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samedi 8 juillet 2023

6. 16. Des mots dorez & belles sentences de maistre Alain Chartier.

Des mots dorez & belles sentences de maistre Alain Chartier

CHAPITRE XVI.

Il n' est pas dit que je vous doive seulement servir des faits memorables qui se sont passez par la France. Les mots & sentences dorees d' uns & autres ne sont de moindre instruction. Le suject donc de ce chapitre sera de maistre Alain Chartier, autheur non de petite marque, soit que nous considerions en luy la bonne liaison de paroles & mots exquis, soit que nous nous arrestions à la gravité des sentences: grand Poëte de son temps, & encores plus grand Orateur, comme l' on peut voir par son Curial & Quadrilogue, lesquels deux œuvres il nous laissa pour eternelle memoire de son esprit. Et florit sous le regne de Charles septiesme, duquel il escrivit la vie, commençant son histoire à l' annee mil quatre cens deux, qui fut l' an de sa nativité, auquel lieu le mesme Chartier dit que lors il estoit aagé de seize ans. Au moyen dequoy nous pouvons dire qu' il nasquit en l' an mil trois cens quatre vingts six. Depuis il fut Secretaire du Roy, ainsi qu' il appert par le commencement de son Quadrilogue, estant grandement favorisé de plusieurs grands seigneurs pour son bien dire. A cause dequoy mesmement on recite une chose memorable qui luy advint un jour entr'autres: car estant endormy en une salle, par laquelle Marguerite femme du Dauphin, qui depuis fut appellé le Roy Louys XI. passant avecques une grande suitte de Dames & grands Seigneurs, elle l' alla baiser en la bouche. Chose dont s' estans quelques uns esmerveillez, par ce que pour dire le vray, nature avoit enchassé en luy un bel esprit dans un corps laid & de mauvaise grace, cette Dame leur dist qu' ils ne se devoient estonner de ce mystere, d' autant qu' elle n' entendoit avoir baisé l' homme qui estoit laid & mal proportionné de ses membres, ains la bouche de laquelle estoient issus tant de mots dorez: En quoy certes elle ne s' abusoit nullement. Je vous en veux donques icy remarquer quelques uns que j' ay recueillis de ses œuvres. Dedans son Curial il dit que toutes choses retournent de leger à leur principe, & retiennent par naturelle inclination l' emprainte de la fin à quoy leur Createur les ordonne. Et en un autre endroict donnant advertissement aux Roys: Qui diroit (faict-il) que Seigneurie fust entreprise par la violence des plus forts sur les moindres? peu de merveille seroit voir subvertir ou muer chose fondee sur si petit & inique commencement. Et peu apres: Principauté n' est fors commission revocable au plaisir du conseil de là sus, pour ce transporte Dieu les Royaumes d' une main en autre: Ailleurs, A Prince sans Justice, peuple sans discipline. Et vingt ou trente fueillets apres. Si tu me demande quel est le sens des Roys, je responds, qu' il est plus en bien croire conseil, qu' en le donner: car bien conseiller est propre à toute personne privee, mais choisir le bon conseiller, & eslire du sens des autres conseil profitable, appartient à celuy qui doit ouyr chacun, & pour chacun exploicter. Au mesme lieu: Or est le cornard rauy en cette desve, qu' il cuide estre fait pour enseigner le monde, & luy semble que ses responses soient Loix Imperiales, & ses fantaisies sentences d' Evangile: Et quand il a tout fait, ses esperances sont comme feu d' estoupe, & son sens tourné à neant, comme songe d' homme qui a dormy: Adoncques apprend que mieux vaut chercher autruy conseil par humilité douteuse, qu' au sien s' arrester par arrogante outrecuidance. Parlant contre la Justice: Tres-doux Dieux, qui eust cuidé voir la justice si esbranlee, qui est le principal pilier & soustenement du commun? Or est-elle minee & ne tient plus qu' à petites estayes toutes pourries de corruption, pour faire de la publique pauverté, privees richesses. Contre les abus des Ecclesiastics: ils sont à present tirans d' argent, & negotiateurs de la terre. La saincte conversation du Clergé esmeut pieça les courages des Princes, & des conquereurs à leur donner, & la dissolution des Clercs enhardit maintenant chacun à leur tolir. Puis doncques, qu' ils n' honorent leur dignité, qui les honorera? En autre lieu, detestant les sacrileges, & ceux qui pillent le bien des Eglises. Trop ne pourrois-je detester cestuy horrible meffait, dont l' offense est à Dieu seulement, & à luy seul reservee la vengeance: Car Religion est de si grande excellence, que mesme des Temples de Payens forcer, Dieu a souffert avenir punitions publiques, & combien que les Idolatres attribuassent divinité à choses vaines, toutesfois n' a-il pas voulu que mespris ou force fust faite sans peine, en lieu dedié par eux en titre de Deïté, pour ce que les mescreans ne devoient sainement villenner ne mescraindre ce que par erreur ils adoroient comme Dieu tout puissant. Devisant de l' ignorance des Princes: On nourrit les jeunes Seigneurs és delices & fetardise dés qu' ils sont nez, c' est à dire dés qu' ils apprennent à parler ils sont à l' escole de goullardise & viles paroles. Les gens les couvrent és berceaux, & les duisent à mescognoistre eux mesmes & autruy. La sottise d' un petit homme ne nuit gueres qu' à luy seul, & peu d' autres se soubtilent à le decevoir: Mais Prince non sçachant, trouble l' Estat d' un chacun, & est la targe des mauvais, & la couverture des crimes. Doncques doit avoir sçavance de tout cognoistre, celuy qui tout a en garde. Accusant les communs vices des François. Vos conseils sont sans liberté & sans ordre, vos opinions par affection, vos conclusions sans arrest, & vos ordonnances sans exploict. Sur l' oysiveté des jeunes gens, moult est marastre & perilleux adversaire, molle paresse, & combien qu' elle soit à tous contraire, toutesfois est-elle formelle ennemie de jeunesse, & de l' adolescence, à qui le temps du labour & semaille appartient pour preparer les moissons à vieillesse. Autre part discourant amplement sur la creance des Payens, & sur le motif d' icelle. Il n' est si dure ne tant violente introduction, que traict de temps ne tourne à semblance de nature, ne si grand erreur à qui impression de parole continuelle ne donne face de verité. Les enfans suivoient leurs peres à l' abusion des faux Dieux, & où raison les admonestoit, la foy de leurs predecesseurs vainquoit par authorité de doctrine inviolable. Sur le franc vouloir de l' homme, quand il mit en son vouloir l' addressement & le choix de son pouvoir: les autres non ayans ame, ont leur pouvoir reglé en ce qu' ils peuvent par institution de servitude, mais le pouvoir de l' homme est reiglé en ce qu' il veut selon droit de franche seigneurie. Sur l' honneur que les creatures portent au souverain Seigneur: Tu les vois aux chants des oyseaux, qui jettent leurs voix & leurs cris vers les Cieux, & en leur endroict ensuivent les Planettes, & les herbes qui s' enclinent vers le Soleil, quelque part qu' il se tourne, & rendent par signe l' honneur à leur Createur, duquel nature nous a donné vocale loüange. Sur les prieres & oraisons que nous addressons au Seigneur. Dieu veut, & souffre estre prié d' homme selon l' affection temporelle & humaine, mais il veut exaucer selon sa raison eternelle & divine. Tu ne le peux prier, ainsi que tu sens: il ne veut exaucer sinon en ce qu' il doit: fragilité & defaut sont l' esmouvement de ta priere: & puissance, & perfection sont la source de ses dons. Dieu donne, non pas tout ce qui te defaut, mais ce qui te vaut, non pas ce que tu demandes, mais ce que deusses demander. Parlant de l' eternelle Essence de Dieu, pource l' appelles-tu iré, ou courroucé à la semblance des hommes, quand tu sens ses punitions, & dis qu' il est appaisé lors que son flael il cesse. Beaux amis ceste mutation n' est pas en luy. Deduisant comme est venuë à perfection la cognoissance de Dieu: Et combien qu' au premier celle gent demy brute qu' eust sa substentation de viure ains que la cognoissance de Dieu, comme l' estre des choses est enchainé, ils entrerent par la cognoissance des choses à eux necessaires au desir de cognoistre les parfaites. En regardant donc les choses profitables d' embas, & contemplant les choses merveillables d' en haut, ils cogneurent grossement que leur soustenement despendoit de plus haute puissance que celle d' homme. Peu apres voulant taisiblement arguer les grandes possessions que tient à present l' Eglise. Pour ce ne prindrent point les Prestres de la lignee Levy leur partie en la terre de promission, quand l' heritage fut departy aux lignees d' Israël, ains recevrent de l' universel peuple les dismes & offertes, & nulle partie ne leur fut assignee sur le tout, ne sur partie d' iceluy heritage: mais ils eurent leur tout sur les parts de chacun, entendant par ce dernier mot les dismes de leurs biens & fruicts de ceux qui ont aumosné aux Eglises. Ne je n' entends pas pourtant blasmer les preud'hommes seculiers, qui de devotion parfaite ont donné à l' Eglise les possessions: car ils se sont deschargez pour monter vers Dieu en esprit plus legerement & le Clergé en a pris si grand faix & si grosse charge sur ses espaules, qu' il le courbe tout vers la terre, & le destourbe à regarder aux Cieux. Autres plusieurs notables Sentences peut-on lire dans ses œuvres, comme quand il dit. Qui se fie autrement que par la divine esperance, marche sur la glace d' une nuictee & s' appuye au baston de rouzeau. Si ta beauté te delecte, c' est aujourd'huy herbe, demain foing. Telle fleur est plustost passee que venuë. La force faict un droict à part soy, & outrecuidance l' usurpe, & s' attribuë honneur sans desserte. Bien est deceuë la folle fiance de ceux qui cuident faire grand œuvre, quand ils offrent à l' Eglise en vieillesse ce qu' ils ont en leur jeune aage mal acquis. La monstre du sacrifice est és choses qui sont offertes, mais sacrifice est en la conscience. Et une infinité d' autres belles sentences, desquelles il est confit de ligne à autre que je ne le puis mieux comparer qu' à l' ancien Seneque Romain.

vendredi 26 mai 2023

2.6. De l' establissement du grand Conseil, & promotion d' iceluy

De l' establissement du grand Conseil, & promotion d' iceluy:

Et de celuy qui depuis feut appellé Conseil privé. 

CHAPITRE VI. 

Ayant esté le Parlement arresté dans la ville capitale de la France, & le Roy desgarny (ce luy sembloit) de son ancien Conseil, pour en avoir voulu accommoder ses subjects, ceste nouvelle police donna acheminement à une autre. D' autant qu' il fut necessaire au Prince d' avoir gens autour de soy, pour luy administrer conseil aux affaires qui se presenteroient, pour l' utilité du Royaume. Ces personnages estoient pris tant du corps du Parlement sedentaire, que des Princes & grands Seigneurs de la France, selon les faveurs qu' ils avoient de leur maistre. Ce conseil, dans les vieux Registres, est tantost appellé Conseil secret, tantost Conseil estroict, tantost grand Conseil: Je trouve unes lettres de Charles VI. du 28. Avril. 1407. par lesquelles outre les sieurs de son lignage & les chefs d' office de son Royaume, tant au faict de la guerre, comme de Justice, & de son Hostel, il reduict son grand Conseil, estroict, & Privé à vingt & sept: Qui sont trois Epithetes dont il usa lors, toutesfois depuis ce mot de grand Conseil en fin gaigna le dessus des deux premiers: parce qu' il estoit dedié pour decider toutes les grandes affaires de la France. Voire que tout ainsi qu' auparavant on disoit que le Roy tenoit son Parlement, lors qu' à jours solemnels il faisoit convocation des Princes & Prelats, pour terminer quelques differents notables, aussi trouve l' on que depuis en cas semblable au lieu de Parlemens, on disoit que le Roy alloit tenir son grand Conseil en tels ou tels lieux, ainsi que bon luy sembloit. Maistre Alain Chartier en l' histoire de Charles septiesme, chapitre traitant de l' annee mil quatre cens cinquante neuf: En cedict mois (dit-il) vint le Roy à Vendosme, & tint son grand Conseil, qu' il avoit ordonné être à Montargis, où il ne vint point, à l' occasion de la grande mortalité qui estoit en la cité d' Orleans, audit Montargis, & és pays d' environ: Et là estans les grands Seigneurs, c' est à sçavoir ceux de son grand Conseil, les Pairs de France, & les sieurs de son Parlement, fut condamné le Duc d' Alençon de perdre & confisquer toute sa terre, & son corps demourer prisonnier à la volonté du Roy. Et fut mené prisonnier au chasteau de Loches en Touraine: Auquel lieu vous voyez ceste notable compagnie être appellee soubz le nom du grand Conseil, & non du Parlement, comme l' on avoit accoustumé de faire avant que le Parlement fut resseant dedans Paris. Non pas toutesfois, afin que le lecteur ne mespreigne en cecy, qu' il faille estimer que le grand Conseil ne fut ainsi dit, que lors que se faisoient telles notables assemblees. Car la verité est que le grand Conseil estoit ordinairement tenu à la suite du Roy: mais je veux dire que quand ces grandes convocations se faisoient environ la personne du Roy, le mot de Parlement estoit aboly, & en son lieu estoit lors pris & usurpé celuy de grand Conseil, comme vous voyez par ce passage de Chartier.

Mais pour ne m' esgarer de mes brisees, ce grand Conseil estant ainsi composé, je ne puis mieux comparer ces deux ordres, j' entends du Parlement & de ce Conseil, qu' au Senat qui estoit dans Rome: & au Conseil qui estoit à la suitte des Empereurs. Car proprement le Parlement representoit quelque chose de la grandeur de ce Senat, & ce grand Conseil simbolizoit à la police qui fut instituee par Adrian, & depuis entretenuë par plusieurs grands Empereurs de Rome, lesquels avoient en leur Cour plusieurs hommes d' eslite, non seulement tirez du Senat, mais aussi quelques autres personnes de marque, ainsi qu' il leur plaisoit les choisir. Bien est vray qu' il y a eu quelque difference. Car le Conseil des Empereurs s' esteignoit avec la faveur de leurs maistres: & ne trouve l' on point qu' il se soit tourné en une necessité de police: Et de celuy de nostre France, nous en avons faict à la longue, un perpetuel. Toutesfois pour bien entendre cecy, ce grand Conseil du commencement n' estoit fondé en jurisdiction contentieuse: Car telles matieres estoient reservees pour la cognoissance de la Cour de Parlement, ains seulement cognoissoit de la police generale de France, concernant, ou le fait des guerres, ou l' institution des Edicts, dont la verification appartenoit au Parlement. Et dura longuement tel ordre, c' est à dire, jusques sur le commencement des factions qui intervindrent entre la maison d' Orleans, & celle de Bourgongne, auquel temps tout ainsi que toutes les choses de la France se trouverent grandement broüillees, & en tres-grand desarroy, aussi ceux qui avoient la force & puissance par devers eux pour gouverner toutes choses à leur appetit, faisoient evoquer les negoces qu' il leur plaisoit pardevers le Conseil du Roy, qui estoit composé, ou de Bourguignons, ou d' Orleannois, selon ce que les uns ou les autres des deux factions avoient le credit en la Cour du Roy Charles sixiesme, qui lors estoit mal dispofé de son bon sens. Et par ceste voye frustroient ceux de la Cour de Parlement des causes qui leurs estoient affectees. Ainsi ioüans ces grands Seigneurs à boute-hors, trouve-l'on és registres de la Cour, restitution d' offices ostees, & la cognoissance attribuee au grand Conseil, du dixhuictiesme Novembre, mil quatre cens douze: Et au mesme an, le vingt-septiesme jour Fevrier, la Cour procedant à l' élection du Procureur general, vint au Secretaire du Duc Jean de Bourgongne, dire, que Louys lors Dauphin de France, & Duc de Guyenne, vouloit que ceste élection se fit au grand Conseil: Pource qu' ils avoient envie d' en gratifier un jeune Advocat nommé Rapou, qui depuis fut President en icelle Cour. Et à peu dire, toutes & quant efois que les Seigneurs qui gouvernoient, avoient envie d' esgarer quelque matiere en faveur des uns ou des autres, ils en usoient en ceste maniere: Laquelle depuis fut tres-curieusement gardee par le Duc de Bethfort Regent en France, pendant que les Anglois occupoient une grande partie du Royaume. A cause dequoy trouve l' on és mesmes registres un different qui se presenta en l' an mil quatre cens vingt & deux, le dixiesme jour de Mars, entre le Chancelier & la Cour, sur ce que le Chancelier n' avoit voulu deliurer relief d' appel à quelques uns appellans de certaine sentence contre eux donnee par les Comissaires des conspirateurs de la paix, s' excusant le Chancelier, parce que le Duc de Bethfort vouloit que telles causes fussent vuidees & definies au grand Conseil, & non en icelle Cour. Et le vingt & quatriesme Mars, mil quatre cens vingt & sept, se trouve une evocation de tous les dons & provisions qu' avoit auparavant faict le Roy Henry, durant sa conqueste de Normandie. Et plusieurs autres telles causes qui empescherent au long aller de telle façon ce Conseil, que l' on fut contrainct, pour la multitude des procés, de faire nouveaux Conseillers, qui commencerent de prester le serment à leur reception, & au Roy, & à la Cour de Parlement, tout ainsi que s' ils eussent esté du corps de ceste Cour. Et estoient creez Conseillers du grand Conseil à mille liures de gages: De ceux-cy nous trouvons registres: L' un du quatriesme jour de Janvier, mil quatre cens & vingt, autre en l' an mil quatre cens vingt & un, & quelques autres du vingt & quatriesme Juillet, mille quatre cens vingt & trois, du dixhuictiesme Aoust, mil quatre cens vingt & cinq, dixhuictiesme Fevrier, mil quatre cens vingt-huict. Portant le registre, Que tel ou tel a esté receu Conseiller au grand Conseil à mille liures de gages, & a presté le serment au Parlement. Ce mesme ordre fut gardé par Charles septiesme, apres que les choses furent reduites & que le Parlement de Poictiers fut uny avec celuy de Paris : car en ceste diversité de differents qui se presentoient de la part de plusieurs qui vouloient être reintegrez en leurs terres, dont la possession & iouïssance leur avoit esté ostee par la venuë des Anglois, le Roy pour les assopir renvoyoit la plus grand partie de telles causes en son grand Conseil: lequel pour ceste occasion commença de s' enfler tellement en nombre effrené & excessif de procés, que les trois Estats qui furent tenus sur l' advenement du Roy Charles huictiesme à la couronne, requirent qu' il estoit besoin que le Roy eust avec soy un grand Conseil de la Justice, auquel presideroit le Chancelier, assisté de certain nombre de notables personnages de divers Estats & contrees, bien renommez & expers en l' administration de la Justice, lesquels Conseillers feroient les sermens à ce appartenans, & seroient raisonnablement stipendiez. Qui fut cause que Charles huictiesme s' advisa depuis de reduire ce grand Conseil en forme de Cour ordinaire. Pour laquelle cause le Chancelier, le seiziesme jour de Fevrier, mil quatre cens quatre vingts dixsept, vint faire les remonstrances à la Cour de Parlement pour cest effect: & sur icelles fut deslors par Edict general creé le grand Conseil en forme de Cour souveraine, avec creation de dixsept Conseillers ordinaires. Toutesfois pour autant que peu apres ce Roy fut prevenu de mort, l' execution de cest Edict estant demouree en surseance, le Roy Louys douziesme par son Edict du troisiesme Juillet, mil quatre cens nonante huict, voulut augmenter le nombre des Conseillers, de deux, & d' un Prelat, qui fut maistre Pierre de Sacierges, Evesque de Luçon. Ordonnant qu' ils fussent Semestres, qui estoit de dix Conseillers pour chaque Semestre outre le Chancelier, & le nombre des Maistres des Requestes de l' hostel du Roy: Pour ioüir de mesmes auctoritez & prerogatives que toutes les autres Cours souveraines: & voulut que nuls autres Conseillers de quelque qualité qu' ils fassent, n' y eussent entree, mesmes aux jugemens des procez, s' ils n' y estoient appellez par le Chancelier: Parquoy, pour bien dire, tout ainsi que le grand Conseil du temps de Philippe le Bel, avoit esté extraict du corps de ceux du Parlement, non pas pour juger les procez, ains pour traitter en la presence du Roy les affaires d' Estat, aussi estant par Louys douziesme reduit en ceste forme que j' ay dite, il estoit comme un nombre tiré du Conseil du Roy, pour terminer avec le Chancelier les affaires de Justice qui se presenteroient à la suitte du Roy. Ainsi pour le commencement presidoit le Chancelier en ce grand Conseil, & en son absence les Maistres des Requestes de l' hostel, selon leurs degrez d' ancienneté. Laquelle coustume dura jusques au regne de François premier, soubz lequel Messire Guillaume Poyet Chancelier, pour gratifier Maistre Guy Brellay son amy, & homme de grande doctrine, introduisit en faveur de luy un Estat de President au grand Conseil, duquel il l' en fist pourvoir. Mais à l' advenement du Roy Henry, en fut iceluy Brellay despourveu, & les choses reduittes en leur ancien train, & les Conseillers presidez par les Maistres des Requestes jusques à ce que le mesme Henry, reprenant les artes de son feu pere, y remist les Presidens: ce qui s' est continué jusques à huy. Au demeurant, du regne de François premier y eut Edict, par lequel il vouloit & entendoit que la Cour de Parlement & grand Conseil fraternisassent ensemble, & fussent reputez un seul corps, duquel despendoient toutes autres Cours souveraines: Et pour ceste cause ordonna que les Presidents & Conseillers du Conseil eussent lieu en icelle Cour selon l' ordre de leur reception, & le semblable avroient ceux des Parlemens au grand Conseil. Chose toutesfois que la Cour de Parlement de Paris n' a jamais voulu recevoir. Au moyen dequoy ceux du grand Conseil voyans la porte leur être fermee en ceste Cour, aussi ne luy donnent-ils entree en leur consistoire: combien qu' ils l' accordent à tous les autres Parlemens, parce qu' ils reçoivent la mesme courtoisie d' eux. Or combien que ceste jurisdiction soit grande, si est-ce que pour en dire la verité, elle ne recognoist sa grandeur que par l' indulgence des Chanceliers, lors qu' ils se desbordent quelquefois en lettres d' evocation. Car estans tous les territoires de France remplis de Parlements, destinez pour rendre le droict à chacun, tout ainsi que ce grand Conseil fut ambulatoire & sans arrest, aussi n' eust-il (s' il faut ainsi que je le die) certaine asseurance de subject. Mais a l' on ou augmenté ou retranché la jurisdiction de ceste compaignie, selon que les occasions se sont presentees. Aussi à la verité n' y est traictee chose aucune dont les parties ne puissent prendre reiglement de leurs Juges naturels & domiciliers, ou bien par les Parlemens. Car les evocations, differents qui procedent des contrarietez d' Arrests, indults de Cardinaux, Archeveschez, Eveschez, Abbayes, Maladeries, Hospitaux, & autres choses dont noz Roys ont voulu attribuer la cognoissance au grand Conseil, pouvoient être sans aucuns fraiz extraordinaires traitez sur les lieux mesmes des parties, n' eust esté que la volonté de nostre Prince, auquel devons toute obeïssance, a esté autre. Et au surplus je trouve que ceste jurisdiction s' est grandement enflee de causes, lors que la Cour de Parlement, pour quelques considerations secrettes, ne s' est peu bonnement induire à passer & emologuer quelque chose, sinon par plusieurs jussions de noz Roys. En ceste façon voyous nous que n' ayant voulu, qu' à toute difficulté, accorder le Concordat qui avoit esté passé entre le Pape Leon & le Roy François premier de ce nom, & encores que l' ayant accordé elle ne le pouvoit digerer qu' à longs traicts, le Roy, pour avoir telle depesche & expedition de sa volonté qu' il desiroit, luy interdit toute jurisdition de procez provenans à raison des Archeveschez, Eveschez, Abbayes, Priorez electifs & conventuels, & les evoca à sa personne le troisiesme Juillet, mil cinq cens vingt & trois: & le sixiesme Septembre ensuivant, en artribua toute cour & cognoissance au grand Conseil. Chose que nous avons veuë de fraische memoire être encore advenuë en cas non beaucoup dissemblable apres l' Edict de la pacification des Troubles, de l' an mil cinq cens soixante deux, pour plusieurs procez concernans le faict de la Religion, que les aucuns appellent nouvelle, & les autres reformee. Et certes noz Roys se sont trouvez assez empeschez à les occuper, & en ont quelquesfois trenché & coupé, leur donnans, puis leurs ostans, ainsi que bon leur sembloit: car le mesme Roy François leur donna la cognoissance des offices Royaux en debat. Laquelle depuis en l' an 1539. il restablit aux Maistres des Requestes de son hostel, comme estoit l' ancienne usance. Et de mesme façon le Roy Henry leur avoit attribué jurisdiction des decimes & soulde de cinquante mil hommes, qu' il a depuis transportee aux Generaux des Aydes, sur le faict de la Justice. Depuis la reduction du grand Conseil en tel ordre, nous appellons Conseil privé, celuy qui se tient environ la personne du Roy: Auquel Messire Guillaume Poyet Chancelier, qui avoit osté nourry dés le berceau à façonner les procez, apporta tant de chiquaneries, que combien qu' auparavant luy, on ne traictast en ce lieu que matieres d' Estat, si est-ce qu' il commença de prester l' aureille aux parties privees pour matieres mesmement qui se doivent decider dans un Chastelet de Paris, ou une cohuë de Rouën: Laquelle coustume depuis eut grand vogue soubz le Roy Henry II. Tellement que cela a introduict gens à la suitte de la Cour qui font acte de Procureurs & Advocats en ce Conseil, tout ainsi qu' aux simples jurisdictions subalternes. Voire & y ont esté quelquesfois taxez les despens par les Maistres des Requestes: Coustume veritablement indigne de ce grand Tribunal de la France. A cause dequoy Messire François Olivier (auquel pendant le regne de Henry on avoit subrogé un garde Seaux) ayant esté r' appellé à l' administration de son Estat de Chancelier sur l' advenement du Roy François II. à la Couronne, la premiere chose qu' il eut en recommandation, fut d' exterminer du Conseil privé toutes telles manieres de procés, r' envoyant chacun en sa chacune. Ce qui a esté depuis son decés tres religieusement observé par son successeur Messire Michel de l' Hospital: Si ne sçavroit-on si bien faire que l' on en espuise ce lieu tout à sec. Au demeurant les affaires du Conseil privé estoient dispofees en tel estat, lors que je dressay le premier project du present chapitre (qui estoit du vivant de François second) qu' outre ce Conseil, auquel s' assembloient plusieurs Princes & notables Seigneurs, il y avoit encores un Conseil des affaires: auquel trois ou quatre des principaux de la France avoient entree pour adviser sur le gouvernement general de ce Royaume. Toutesfois depuis ce temps-là, les affaires de France ont grandement changé de face pour les guerres civiles & intestines qui ont couru entre nous: lesquelles ont esté cause que ceux qui ont le principal gouvernement du Royaume, pour gratifier aux uns & aux autres, & par ce moyen donner ordre de tranquiliter toutes choses, ont baillé lieu & seance en ce Conseil à plusieurs personnages d' estofe, augmentans ce lieu de nombre presque superabondant & extraordinaire. Qui me faict prognostiquer (si toutes fois il m' est loisible d' asseoir mon jugement sur chose si haute & illustre) que tout ainsi que la necessité du temps a apporté ce grand nombre: aussi les choses estant petit à petit composees & reduittes en meilleur train, une autre necessité nous enseignera, qu' il n' est pas expedient qu' un conseil estroict d' un Royaume soit communiqué à tant de personnes. Or quant est des Conseillers du Conseil privé, du commencement ils n' avoient seance en la Cour de Parlement, depuis elle fut accordee à ceux qui avoient eu autresfois lieu & entree en ceste Cour: finalement apres l' assopissement des tumultes derniers, tout ainsi que les cinq Presidens de la Cour furent receuz Conseillers du Conseil privé, aussi fut-il arresté que delà en avant tous Conseillers du Conseil privé avroient voix deliberative en la Cour de Parlement. Quand j' escrivy premierement ce chapitre, l' ordre y estoit tel que dessus. Depuis souz Henry III. on le nomma Conseil d' Estat, auquel on a donné tant de façons, que j' en laisse le discours à ceux qui me surviuront.