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dimanche 2 juillet 2023

5. 3. Guerres civiles, entre l' Empereur Louys le Debonnaire & ses enfans.

Guerres civiles, entre l' Empereur Louys le Debonnaire & ses enfans.

CHAPITRE III.

Soudain apres que Louys eut esté recogneu heritier Souverain & Universel de l' Empereur Charlemagne son pere, dedans la ville d' Aix la Chappelle, il chassa d' aupres de soy je ne sçay quelle enjance de femmes dont la Cour de son pere estoit plaine: & quelque peu apres donna ordre à la reformation de la discipline Ecclesiastique, qui estoit aucunement en desordre. Et pour le regard des armes reduisit sous son obeissance les Bretons qui s' en estoient soustraicts. Tous actes dignes de recommandation: mais en ce dernier il fit un hola. Car en tout le demeurant de sa vie, il se monstra d' une façon assez fetarde, qui cousta depuis grandement à cette France, comme vous pourrez remarquer parce que je vous reciteray presentement.

Combien qu' il ne fust permis à un nouveau Pape, apres avoir esté esleu, d' entrer en son throsne Pontifical, qu' il n' eust esté auparavant confirmé par lettres patentes de l' Empereur, qui estoit l' un des plus beaux fleurons de sa Couronne Imperiale, toutes-fois le Pape Paschal I. de ce nom pour le peu de courage qu' il recognoissoit en nostre Empereur, ne douta de s' instaler de son authorité privee en son siege, sans le reblandir, & en fut quitte pour telles quelles excuses dont il le paya. C' est l' un des premiers coups de massuë que nostre France receut dedans la ville de Rome. Qui fut secondé par une autre recharge non moins dure. Car l' Empereur ayant depuis envoyé vers le mesme Pape, Lothaire son fils aisné, pour estre par luy honoré de la Couronne Imperiale, il receut nouvelles, qu' apres son retour, Paschal avoit dedans son Palais de Latran fait creuer les yeux à Theodore son premier Secretaire, & à Leon son Nomenclateur, & tout d' une suite fait mourir l' un & l' autre. Non pour autre raison, sinon que Lothaire sejournant à Rome ils luy avoient fait demonstration de plusieurs grands & affectionnez services. Cruauté tenuë pour tres-asseuree par toute l' Italie. Toutesfois apres quelques ceremonies d' Ambassades, dont nostre Empereur se flattoit ordinairement, il se contenta pour toute satisfaction d' un des-adveu faict par le Pape, revestu de son serment: Ores qu' il fust desdit par le seul recit de l' Histoire, & par la voix generale & universelle de tout le peuple: Les Italiens qui en s' agrandissant par effect de nos despoüilles, ne furent chiches de belles paroles, voulurent attribuer cecy à une pieté, & pour cette cause l' honorerent du mot Latin Pius, & les Sages-mondains de nostre France l' imputans à un manque & faute de courage, l' appellerent le Debonnaire. Couvrans sa pusillanimité, du nom de Debonnaireté. Sur ce propos il me souvient que le Roy Henry troisiesme disoit en ses communs devis, qu' on ne luy pouvoit faire plus grand despit que de le nommer le Debonnaire. Parce que cette parole impliquoit sous soy, je ne sçay quoy du sot. Le prenant de cette façon, c' est emporter la piece à cet Empereur. Et neantmoins de l' accuser de sottise tout à fait, ce seroit grandement errer, s' il vous plaist remarquer les deux grands coups d' Estat, dont j' ay parlé au precedent Chapitre, quand pour asseurer son Empire il fit mourir son nepueu Bernard qui estoit plus à craindre, d' une mort naturelle, & ses trois freres bastards, qui estoient de plus foible alloy, d' une mort civile. Or voyez je vous prie comme Dieu se mocque de la sagesse des hommes qui n' est qu' une folie envers luy. Et vrayement ce n' est pas sans raison qu' aux prieres de nos Eglises nous le supplions de ne se vouloir souvenir, ny de nos pechez, ny de ceux de nos peres & meres, & n' en faire tomber la punition sur nous. Le Debonnaire selon le monde s' estoit affranchy de la crainte de ceux qui luy pouvoient plus nuire. Dieu veut qu' il ne soit affligé, ny par son nepueu, ny par ses freres bastards, ains par ses propres enfans, & que cette playe saigne contre toute sa posterité jusques au dernier souspir, tant en la France, qu' Allemagne, qui est le suject du present chapitre.

Pour ne confondre cette histoire faut noter que le Debonnaire eut trois enfans masles d' Hermingarde sa premiere femme, qu' il assortit de divers Royaumes. Car à Pepin son second fils, il donna celuy d' Aquitaine, à Loys son troisiesme, celuy de Baviere, & pour le regard de Lothaire son fils aisné il le designa son heritier principal en tout le demeurant de ses terres & Seigneuries, luy donnant mesmement deslors le tiltre de Roy d' Italie, & d' Empereur. Hermingarde estant decedee, il convola en secondes nopces avecques Judict, dont il n' eut qu' un seul fils, nommé Charles, qui fut un nouveau suject de tragedie. Car elle possedant son mary, moyenna de luy une donation de tous les pays d' Austrasie, en faveur de son fils, c' est celuy que nous avons depuis appellé le Chauve. Les enfans du premier lict sont irritez de cette immense donation. Je vous traceray le crayon de cette histoire en gros, laissant les autres particularitez à ceux qui en ont cy devant escrit. Nouvelle guerre suscitee par les enfans contre le pere, dont le succez fut tel, que Judict est renduë Religieuse voilee à saincte Radegonde de Poictiers, sous la puissance de Pepin: & le Debonnaire & Charles demeurent sous celle de Lothaire. Depuis se fait entr'eux quelque surseance de mauvaises volontez, l' Empereur & sa femme restablis en leurs dignitez, par l' entremise de Pepin & Louys seulement. Judict, rongeant une vengeance mortelle contre Pepin, est la garde duquel elle avoit esté confinee, pendant son affliction, faict donner par le pere à son fils Charles le Royaume d' Aquitaine, au lieu de l' Austrasie. Quoy faisant c' estoit defrauder le titulaire de celuy qui luy estoit dés pieçà acquis. Seminaire d' une autre guerre, mais beaucoup plus furieuse que la premiere, qui produisit des espouventables effects. Car en moins de rien les enfans rendus les plus forts se saisirent en la ville de Compiegne, tant de l' Empereur que de l' Imperatrice, envoyant Judict à Tortonne ville de la Lombardie pour y tenir prison clause. Ce fait Pepin & Louys retournerent en leurs Royaumes, laissans leur pere és mains de leur frere aisné, qui luy fit faire & parfaire son procés par le Clergé. De maniere qu' en l' Eglise sainct Medard de Soissons au milieu d' une infinité de peuple, il fut degradé de sa dignité imperiale.

Quelque temps apres les deux freres puisnez ayans pitié du mauvais traictement que leur pere recevoit par Lothaire, se liguent ensemblement contre luy à la suscitation de Pepin, auquel toutesfois l' injure avoit esté faicte, & donnerent si bon ordre à leur faict que l' Empereur & sa femme furent reintegrez, nonobstant les destourbiers & empeschemens que leur frere aisné y apportast. Si en cette histoire tragique il y avoit eu quelque lieu de reprimende, c' estoit en la personne de Lothaire qui s' estoit continuellement opiniastré à la ruine de son pere, & si quelque lieu de repremiation, c' estoit en faveur des deux puisnez, lesquels apres leurs rebellions estoient revenus à recognoissance & honnestes submissions envers leur pere, luy donnans confort & ayde sur son restablissement. Toutesfois par un jugement rebours l' opiniastreté profita à Lothaire, & les submissions nuisirent à ces deux puisnez. Pepin decedé quelque temps apres, delaissé un sien fils du mesme nom que luy pour son successeur au Royaume d' Aquitaine. Judict qui d' un costé ne respiroit en son ame qu' une grandeur pour son fils Charles à quelque condition que ce fust, mais qui d' un autre avoit senty combien la main de Lothaire estoit pesante, s' advisa d' un nouveau conseil. Qui fut de l' attirer à soy en la façon qui s' ensuit. Il est mandé de l' Italie par l' Empereur qui luy propose sa volonté estre telle, de faire un partage de tous ses pays entre luy & Charles, fors & excepté celuy de Bavieres qui appartiendroit à Louys: A la charge que tout ainsi qu' il avoit tenu son plus jeune frere sur les fons baptismaux, aussi seroit-il tenu d' estre son parrain en la protection qui escherroit en son lot. Offre non seulement acceptee franchement, mais aussi promise & juree solemnellement par Lothaire. Et sur ces conventions fut faict le partage entr'eux au souhait de l' Imperatrice, dans lequel entre autres contrees escheut particulierement à son fils la Neustrie, qui est la France que nos Roys possedent aujourd'huy. Par ce partage la part & portion de Louys Roy de Bavieres estoit racourcie au petit pied sans esperance de ressource, advenant la mort de son pere. Et quant au jeune Prince Pepin, il demeuroit lourche, son Royaume d' Aquitaine estant confus en celuy de Charles le Chauve son oncle. Occasion pour laquelle le Clergé & la Noblesse d' Aquitaine envoyerent par devers l' Empereur, l' Evesque de Poictiers & quelques autres Prelats, pour le supplier vouloir avoir pitié de son petit fils. La responce qu' ils eurent de luy, fut qu' il avroit esgard à leurs remonstrances, au prochain Parlement qu' il tiendroit en la ville de Chaalons, & qu' en attendant sa responce ils s' en retournassent en leurs pays. Promesse faicte, mais non tenuë, & de faict le Parlement rompu, il s' en va avecques sa femme en Auvergne faisant partie de l' Aquitaine, où les Prelats & principaux de la Noblesse firent le serment de fidelité à Charles. De là il arrive à Poictiers en deliberation de recevoir le semblable des Poictevins, mais sur ces entrefaictes nouvelles luy vindrent que Louys son fils avoit pris les armes, & remuoit nouveau mesnage contre luy. Au moyen dequoy il fut contraint de rebrousser chemin pour luy faire teste, mais comme il estoit en cette deliberation, vaincu de l' aage & de despit pres de Majence, il fut surpris d' une maladie dont 40. jours apres il mourut. Jamais il n' y eut plus d' injustice de pere envers ses enfans que cette cy, d' apparier en tout & par tout un cadet avec son aisné, tenir Pepin son petit fils pour un chiffre, & Louys pour une piece de rebut. Nonobstant les grandes obligations qu' il eust en luy, l' Imperatrice Judict n' avoit autre plus grande asseurance pour le soustenement de son fils que Lothaire. Toutesfois Dieu veut qu' il en soit le premier infracteur, & lors voicy un nouveau mesnage qui se pratique entr'eux. Car Louys & Charles se liguent contre leur aisné avecques lequel Pepin son nepueu se mit de la partie, esperant que pour closture du jeu il trouveroit en luy quelque ressource contre Charles. Il ne fut point lors question de passer leurs affaires à l' amiable. Leur different se vuida en la campagne de Fontenay à trois lieuës pres d' Auxerre, où fut liuree une bataille la plus sanglante qui fut jamais en cette France, en laquelle mourut la fleur de la Noblesse de tous leurs pays: de là en avant ce fut rat en paille. Car ces Princes ayans affaires de guerriers & les guerriers de places à leurs bienseances, ils s' en firent accroire sans que leurs Roys les en ozassent bonnement desdire. En fin ils acheverent leurs querelles par où ils devoient commencer, & s' en rapporterent à quelques seigneurs de marque, lesquels apres avoir loti Lothaire comme aisné & Empereur, laisserent à Louys la plus grande partie de toute l' Allemagne, lequel de là en avant prit titre non de Roy de Bavieres, ains de la Germanie, & à Charles advint la Neustrie & autres pays circonvoisins, prenant pour cette cause qualité de Roy de France. Car comme j' ay dict nostre France Occidentale estoit lors appellee Westrie, & depuis Neustrie, à la difference de la France Orientale que l' on appella du commencement Ostrie, & par succession de temps Austrasie. Et à vray dire, c' est en luy auquel commença le plant de la France, tel que l' on a depuis veu continuer en la lignee de Hugues Capet. Or se donnerent-ils par leur partage la peau de l' Ours qui estoit en vie. Je veux dire non seulement ce qu' ils possedoient reellement & de fait, mais aussi ce qu' ils ne possedoient, ains pretendoient devoir posseder à tort ou à droit. Tellement que la paix generalle entr'eux arrestee, estoit un acheminement de nouvelles guerres, contre uns & autres seigneurs possesseurs, dont ils ne devoient avoir autres garends de leurs lots, que leurs glaives, ny pour ce partage toutesfois ils ne laisserent d' enjamber les uns sur les autres quand les occasions s' y presenterent. Qui fut cause pendant leurs divorces intestins, de donner voye aux Sarrazins dedans l' Italie, aux Hongres dedans l' Allemagne, aux Danois (que nous appellasmes Normans) tant en la France, qu' Allemagne: Et combien qu' auparavant ces derniers vinssent, si ainsi voulez que je le die, en nostre France a tatons, ils y vindrent sous Charles le Chauve en flotes, & depuis continuerent leurs inundations, guidez tantost de la riviere de Loire, tantost de celle de Seine, l' oree desquelles ils establirent leurs demeures premierement en la ville de Blois, puis en celle de Roüen & des environs.

Mais pour n' anticiper sur les temps, Charles le Chauve garny de son partage se voulut avant tout œuvre heurter contre Pepin son nepueu Roy d' Aquitaine, mais voyant qu' il y faisoit mal ses affaires, tourna visage tant contre les Bretons qui s' estoient donnez un nouveau Roy, que contre les Normans qui rodoient le pays d' Anjou, & de Touraine. Ausqueis il voulut opposer Robert grand Capitaine, yssu de Saxe, luy assignant un grand territoire sous le nom & tiltre de Marquisat, comme celuy qu' il destinoit pour defendre contr'eux les marches & limites de la Touraine & Anjou. Ce choix cousta puis apres la ruine totale des siens dedans cette France. Car c' est de luy dont de main à autre nasquit le Roy Hugues Capet. Ce que Charles le Chauve n' avoit peu gaigner par armes contre Pepin son nepueu, il pourpensa de l' obtenir par pratiques sourdes. Comme de fait ce jeune Roy trahy luy fut liuré par les siens, l' accusant d' exercer une cruelle tyrannie contr'eux, & tout d' une main fut rendu Moine par son oncle en l' Abbaye sainct Medard de Soissons où il paracheva ses jours, le Chauve se faisant couronner Roy d' Aquitaine dedans la ville de Bordeaux, Dieu ne le voulut pas rendre exempt de la punition qu' il devoit porter pour l' injustice par luy commise envers son nepueu. Parce que Carloman l' un de ses enfans le guerroya quelque temps apres. Vray qu' en fin vaincu, il fut condamné par le pere d' avoir les yeux creuez. Supplice auquel le pere avoit part, aussi bien comme le fils, ou bien nature manquoit en luy. Il n' est pas qu' il ne sentist une algarade du Roy de Germanie son frere sous le mesme pretexte que celuy avoit exercé contre son nepueu, d' autant qu' il fut solicité par quelques seigneurs de la France de vouloir s' emparer de l' Estat, pour mettre fin aux tyrannies que le Roy Charles exerçoit sur ses sujects. Sur cette sollicitation les portes de la France luy sont ouvertes, où sans autre destourbier il fut ordonné Roy dedans la ville de Sens, pendant que le Chauve estoit empesché contre les Normans, & advança grandement ses affaires, favorisé d' un esclair de fortune qui luy fit courte compagnie. Car ayant eu advis d' une nouvelle revolte qui se faisoit en Allemagne contre luy, pour y remedier, il y envoya ses gensdarmes & sujects qui luy estoient tres-fonciers, estimant que ceux qu' il s' estoit fraischement acquis le conserveroient en sa nouvelle dignité. En cecy grandement trompé de son opinion, parce que de la mesme facilité qu' ils s' estoient rendus à luy, ils s' en soustrahirent: Se reduisans sous l' obeïssance originaire de leur vray & legitime Roy. Et par ainsi se reconcilierent les deux freres par beaux semblans, en attendant commodité plus propice, pour empieter l' un sur l' autre. Je vous recite cecy, ne gardant point l' ordre des temps, pour monstrer en quel mesnage estoient lors les affaires de cette famille dedans nostre France.

L' Empereur Lothaire voulant faire penitence des torts & injures qu' il avoit procurees au Debonnaire son pere se rend Moine, delaissant tous & chacuns ses biens à ses enfans. Dont Louys son aisné fut Roy d' Italie, & Empereur, Lothaire son second Roy du païs d' Austrasie, qui depuis emprunta de luy le nom de Lotharingie, & Charles son dernier Roy de Provence, Dauphiné, Savoye, & d' une partie du Lyonnois. Charles meurt quelque temps apres, & delaisse son Royaume à ses deux freres qui le partagerent entr'eux sans fraude & malengin. Il fut suivy quelques ans apres par Lothaire qui n' avoit autre plus proche heritier que Louys l' Empereur son frere, lequel lors estoit empesché dans l' Italie à se defendre contre les Sarrazins, comme semblablement Louys Roy de Germanie son oncle encontre quelques siens sujects nouvellement revoltez. Il n' estoit pas adoncques question de les secourir par Charles le Chauve ainsi qu' il estoit obligé de faire, mais luy abusant de ces occasions, donna si bon ordre à son faict qu' en peu de temps il se rendit maistre & seigneur du Royaume de Lothaire, & comme tel se fit couronner Roy d' Austrasie ou Lotharinge dedans la ville de Mets. Nouvelle discorde entre les deux oncles, non pour rendre à Louys leur nepueu le bien qui luy appartenoit, ains pour le partager ensemble, & pour n' en venir aux mains, à Louys de Germanie escheurent les villes & contrees attenans le Rhin, & au Chauve, la Provence, le Dauphiné, & la Savoye. Cet Empereur Louys ainsi frustré par ses oncles decede n' ayant qu' une seule fille nommee Hermingarde: Charles le Chauve, qui estoit aux escoutes, adverty de cette mort negotie son fait de si bonne sorte avecques le Pape Jean huictiesme de ce nom, que moyennant une grande somme de deniers dont il luy fit present, ce Pape le couronna Empereur & Roy d' Italie le jour de Noüel l' an 876. luy vendant un droict auquel il n' avoit aucun droict. Toutesfois le seul tiltre coulouré de l' authorité de ce grand Prelat, luy rendit cette qualité asseuree: lequel tout d' une suitte s' achemine à Pavie, où en presence de tout le Clergé & de la Noblesse du païs, il se fit proclamer & couronner Roy de Lombardie. Je vous laisse icy les divisions & rumeurs qui se trouverent pour cette cause entre luy & le Roy de Germanie son frere: comme Carloman son premier fils voulut venir en l' Italie pour envahir l' Estat, & plusieurs autres particularitez, n' ayant icy entrepris de vous escrire toute cette histoire, ains de la vous monstrer au doigt en passant. Et me contenteray de vous dire, que tout ce qui fut lors entrepris contre le Chauve fut en vain: La fortune ne voulut permettre à Carloman de passer plus outre. Sur ces entrefaites Louys Roy de Germanie va de vie à trespas delaissez Carloman, Louys & Charles, depuis surnommé le Gras, qui tous porterent diversement titres & qualitez de Roys. Ce que je vous reciteray cy apres est un inventaire de morts violentes, & non naturelles qui se trouverent en cette famille. Charles le Chauve meurt apres en l' an huict cens septante huict, empoisonné par Zedechie Juif son medecin lors qu' il retournoit d' Italie. Auquel succeda Louys le Begue son fils unique, qui fut couronné Empereur par le Pape Jean, mais à vray dire il n' en porta que le masque. Il regna seulement deux ans, & mourut aussi de poison, tout ainsi comme son pere. Il eut deux enfans bastards, Louys & Carloman, & un legitime nommé Charles le Simple qui nasquit apres son decés. Cela fut cause que ses deux freres bastards entreprindrent sur luy la couronne de France, & regnerent quelques anees. Louys monté sur un bon coursier, poursuivant à toute bride par forme de jeu une Damoiselle, elle se lance dans une maison, ferme la porte sur soy, & ce Prince ne pouvant retenir son cheval fort en bride, se heurta de telle façon, qu' il se rompit les reins, dont il mourut. Apres sa mort Carloman son frere chassant fut tué par un sanglier, n' ayant qu' un fils nommé Louys, qui mourut dedans l' an de son regne. Et par ces trois morts, à Charles le Simple vray & legitime heritier devoit appartenir la couronne de France. Voila de quelles façons moururent ces quatre Princes chez nous. Ne pensez pas que les Princes Allemans furent de beaucoup meilleure condition. Car des trois enfans de Louys Roy de Germanie, Carloman mourut le premier, delaissé seulement Arnoul son bastard, auquel il donna par son appanage la Carinthie. Loys le Jeune eut un seul fils portant le mesme nom que luy, qui mourut du vivant de son pere d' une malheureuse mort. Car folastrant dedans une chambre avecques quelques seigneurs de son aage, il tomba casuellement du haut en bas d' une fenestre & se rompit le col: Suivy peu apres de son pauvre pere esploré. De maniere que toutes les grandes terres, Seigneuries & possessions qui estoient hors le pourprix de ce Royaume de France eschevrent à Charles le Gras restant seul & unique des Princes de ce cette famille qui habitoient outre le Rhin: Comme aussi dedans cette France ne restoit plus autre rejetton de cette grande famille des Martels que Charles le Simple.

Je commenceray par Charles le Gras, & puis acheveray par l' autre. Jamais ne se vit un si grand conflus de bonnes fortunes qu' en cettuy du commencement, & jamais Prince ne fut en fin touché d' un si malheureux revers que luy mesme, quand fortune luy voulut tourner visage. Car en moins de rien il se vit par le decés de ses deux freres, Empereur & Roy de tous les pays qui avoient esté possedez par Charlemagne son bisayeul. Manquoit à sa grandeur nostre Royaume de France, lors affligé par les courses des Normands, nostre Charles le Simple ne se trouvant assez suffisant pour leur faire teste, les François appellerent à leur secours l' Empereur Charles le Gras, & l' establirent Roy de la France, vray qu' il n' y fit pas grand sejour. Ainsi plaisoit-il à fortune, pour rendre la puissance de ce Roy generalement absoluë. Mais peu de temps apres, elle luy joüa un tour de son mestier. Car en moins d' un clin d' œil il fut abandonné de soy, de sa femme, de sa sœur Hildegarde, & de ses principaux favoris, & par mesme moyen de tous ses sujects. Je dis abandonné de soy: Parce qu' à un instant il devint stupide, & perclus de son cerveau: Je dis de sa femme, laquelle le voyant par cette indisposition, estre tombé au mespris de tous les siens, se fit separer d' avecques luy en plain Parlement, où elle jura que pendant dix ans qu' ils estoient demeurez ensemble, ils ne s' estoient cognus par attouchemens mutuels. Chose dont son mary fut d' accord. Je dis par Hildegarde sa sœur, laquelle d' un esprit bizarre, indignee du changement inopiné de son frere, au lieu de luy subvenir, sollicita à face ouverte ceux ausquels il avoit plus de fiance, de se soustraire de son obeïssance. Ce qu' ils firent; luy baillans pour son gouverneur, Arnoul bastard son nepueu, lequel sous ce tiltre s' empara des Royaumes de la Germanie & Italie, se faisant proclamer Empereur. N' estant resté pour tout partage que la mendicité à ce pauvre Prince, lequel fut contraint d' avoir recours, non aux armes pour le recouvrement de son Estat, ains aux larmes, & tres humbles supplications, a fin qu' il pleust à Arnoul luy bailler quelques terres pour son entretenement, ce qu' il fit, mais d' une main assez chiche. Tant ce pauvre Prince estoit tombé au mespris de tous. Histoire pleine de compassion & pitié, en laquelle je remarque deux Charles avoir esté grands terriens: Le premier surnommé le Grand, & l' autre le Gras: mais tout ainsi qu' en l' un residoit la vivacité de cœur, & en l' autre la pesanteur de corps & d' esprit, aussi produisirent-ils deux effects du tout contraires. Arnoul mourant laissa Louys son fils unique, successeur de son Estat, aagé seulement de sept ans, qui mourut, l' an neuf cens douze, en l' aage de dix-huict ans, sans hoirs procreez de son corps. Et en luy finit toute la posterité de Charlemagne qui habitoit outre le Rhin. Que si les loix introduites en faveur des successions, eussent lors eu lieu, il est certain que Charles le Simple, comme son plus proche parent luy devoit succeder. Mais ce fut un autre joüet de fortune, non moins miserable que Charles le Gras. Tant y a que par la mort de Louys, Conrad Duc de Franconie fut creé Roy d' Allemagne, & apres luy Henry Duc de Saxe, duquel vindrent les Othons, nouveau plant de Royauté en Allemagne. Restoit en cette France Charles le Simple, autre vray portraict entre les Princes de calamité & misere, dont premierement son bas aage, puis sa sottise furent autheurs & architectes. Car pendant son enfance, ses freres bastards usurperent sur luy la couronne, & depuis Eude son tuteur se fit couronner Roy de France, lequel mourant le restablit par son testament. Restably qu' il fut, il oublia tous les malheurs de son bas aage: & favorisant un Aganon simple gentil-homme, par dessus tous les Princes & grands seigneurs de la France, il engendra un si grand despit dans leurs ames, qu' en haine de ce seul object, Robert frere d' Eude comme son heritier se fit proclamer Roy de France, titre qui fut continué apres sa mort en Raoul Duc de Bourgongne son gendre. La France estant lors generalement affligee par le conflit de ces nouveaux Roys, contre le Simple, & entierpied par les Normans, qui sçeurent fort bien faire leur profit de ces longs troubles: en fin ce pauvre Roy finit ses jours dedans les prisons de Peronne, par les artifices d' Heribert arriere-fils de Bernard Roy d' Italie. De maniere que la Royne Ogine sa veufve fut contrainte de se retirer chez le Roy d' Angleterre son frere, avecques Louys son petit enfant, auquel pour ceste cause la posterité donna le surnom d' Outremer. Hugues le Grand, fils de Robert qui sans porter titre de Roy, fassoit trophees de nos Roys, semond Ogine de retourner en cette France avec promesse de recevoir son fils en son Throsne, comme il fit quelque peu de temps: Et neantmoins il ne fut au long aller gueres mieux traicté que son pere. Car laissant à part le demeurant de son histoire, Hugues luy fit tenir prison clause, un an entier dedans la ville de Laon, sous la garde de Thibault Normand soldat de fortune, qui dans les troubles s' estoit fait Comte de Chartres, homme du tout voüé à la faction de Hugues. Finalement ce jeune Roy estant remis en liberté, apres avoir esté diversement traversé, courant un loup, son cheval luy faut des quatre pieds, & le tua. Il avoit deux enfans masles, Lothaire, & Charles, celuy-là qui fut Roy de France par image tout ainsi que Louys d' Outremer son pere, cettuy-cy Duc de Lorraine, qui recogneut tenir son Duché en foy & hommage de l' Empire. Quelque temps apres Lothaire est empoisonné, auquel succede Louys son fils qui mourut de pareille mort. Et par son decez Hugues Capet fils de Hugues le Grand, s' impatronisa de l' Estat, sans qu' autre Prince luy fist contre-teste. Vray que deux ans apres Charles oncle de Louys, se souvint de s' y opposer, & prit les armes contre luy, mais un peu trop tard. Joinct qu' il avoit accueilly la haine publique des François, pour s' estre rendu imperialiste en son Duché. Fortune en fin pour abandonner de tout poinct cette famille, le fit liurer és mains de Hugues Capet, par la trahison d' Adalberon Evesque de Laon, auquel il avoit mis toute sa fiance. De là fut mené prisonnier avec sa femme & ses enfans en la ville d' Orleans, où ils moururent. Ainsi prist fin cette grande famille de Charles Martel en ce dernier Charles: & ainsi prindrent accroissement deux autres nouvelles familles: l' une des Othons dedans l' Allemagne, & celle de Hugues Capet dedans cette France. Pepin fils de Martel fut couronné Roy de France en la ville de Soissons l' an 750. Louys dernier Roy de cette famille mourut l' an 981. 75. ans apres la mort de l' autre Louys, qui fut aussi le dernier Roy des Carliens en Allemagne. La famille des Martels regna 237. ans en nostre France: celle de Capet jusques à huy, qui est la fin de l' an 1606. l' espace de 616. ans. Non sans recevoir unes & autres algarades, dont avec l' aide de Dieu elle s' est autant de fois garentie.

mardi 23 mai 2023

2.2. Du Parlement Ambulatoire, & premiere introduction d' iceluy.

Du Parlement Ambulatoire, & premiere introduction d' iceluy. 

CHAPITRE II. 

Tous ceux qui ont voulu fonder la liberté d' une Republique bien ordonnee, ont estimé que c' estoit lors que l' opinion du souverain Magistrat estoit attrempée par les remonstrances de plusieurs personnes d' honneur, estans constituees en estat pour cest effect: & quand en contreschange, ces plusieurs estoient controullez par la presence, commandement & Majesté de leur Prince. Et vrayement qui voudra sainement discovrir sur le fait de nostre Monarchie, il semble que cest ordre ait esté quelquesfois tres-estroittement observé entre nous par le moyen du Parlement. Qui est la cause pour laquelle quelques estrangers discourans dessus nostre Republique, ont estimé que de ceste commune police, qui estoit comme moitoyenne entre le Roy & le peuple, dependoit toute la grandeur de la France. 

Les premiers qui meirent ceste noble invention sur les rangs, le feirent pour captiver par ce moyen le cœur & devotion des subjects: car nos anciens Maires du Palais, voulans unir en leurs personnes toute l' authorité du Royaume, & usans de nos Roys par forme de masque: pour ne se mettre en haine des grands Seigneurs & Potentats, introduisirent premierement une forme de Parlement annuel, qui se tenoit an mois de May, auquel presidoient nos Roys, assistez de la plus grand part de leurs Barons, & donnoient responce tant aux plainctes de leurs subjets, qu' aux Ambassadeurs qui venoient des pays estranges: le tout selon les instructions & memoires que souz main ils recevoient de leurs Maires. Ceste coustume depuis fut assez soigneusement observee par le Roy Pepin, lequel cognoissant qu' à tort il s' estoit emparé du Royaume, pour obvier à toute sedition intestine, & monstrer que de la seule grandeur ne despendoient toutes les affaires de France, assembloit selon les urgentes difficultez qui se presentoient, le corps general de ses Princes & grands Seigneurs, pour passer par leur determination & conseil. Ostant par ce moyen toute mauvaise & sinistre opinion que l' on eust peu avoir imprimee de luy pour l' injuste invasion qu' il avoit faict de la Couronne. 

Chose que Charlemagne son fils, qui n' aspiroit pas à petites choses, practiqua plus souvent que luy: Speciallement lors qu' il s' offroit quelque entreprise de guerres, ou qu' il deliberoit ordonner quelque chose à l' avantage de sa famille ou du Royaume universel. Et estoit l' usance de noz anciens Roys telle, qu' és lieux où la necessité les semonnoit, se vuidoient ordinairement les affaires par assemblees generales des Barons. Telles assemblees s' appelloient Parlemens, comme nous appellons maintenant celles où se fait un traicté de paix Pour parler de paix. Duquel mot de Parlement, celebré de la façon que je dy, vous verrez frequente mention dans la vieille histoire de sainct Denis és vies de Pepin, Charlemaigne, & Louys le Debonnaire.

Or se rendirent tels Parlemens beaucoup plus recommandez qu' auparavant soubs le regne du Debonnaire: Car tout ainsi que ce Roy estoit plus enclin an soulagement de son peuple, qu' à faire grands exploicts & chefs d' armes, aussi voulut-il principalement maintenir sa grandeur par telles solemnelles assemblees. Et à tant commencerent à se pratiquer, deux fois l' an d' ordinaire. Non toutesfois à jours certains & prefix, comme depuis soubs Philippes le Bel, mais selon ce qu' il se trouvoit bon au depart de telles congregations, on advisoit de la ville & du temps qu' on les renouvelleroit. En ce lieu donc se decidoient toutes affaires qui importoient de quelque consequence au Royaume: Estoient receuës par le Roy les Fois & Hommages des Princes estrangers : Et en ceste façon lisons nous en Theodulphe & Adon de Vienne qu' en un Parlement tenu à Compieigne, Thassile Duc de Bauieres avecques plusieurs grands Seigneurs de la Province vint promettre le serment de fidelité à Pepin & à ses enfans. Et dict Aimoinus Religieux de Sainct Germain des Prez (ja, dis appellé Annonius par alteration de lettres) que ce mesme Roy ayant reduict les Saxons souz son obeissance, leur feit promettre de luy amener tous les ans à chaque Parlement general trois cens roussins de tribut. Estoient semblablement emologuees les volontez du Roy, c' est à sçavoir celles qui concernoient le faict general de la France. Ainsi pout nourrir paix & concorde entre ses enfans, Charlemaigne leur donna assignation de partage en un Parlement, faisant jurer à tous grands Seigneurs & Barons de l' avoir pour agreable: En ce lieu de mesme façon se terminoient les differens des plus grands Princes, & principalement de ceux qui estoient accusez de trahisons, rebellions & crimes de leze Majesté, & comme il en prit à Tassille du temps de Charlemaigne au Parlement qui fut tenu joignant la ville de Majence, lequel par l' advis de tous les Barons pour ses frequentes & repliquees rebellions, fut condamné à mort. Qui luy fut neantmoins eschangee par la douceur de l' Empereur en un confinement de Religion & monastere, duquel jugement fait honorable mention Paul Aemile. Et du temps du Debonnaire, fut accusé en un autre Parlement, Theadagre Prince & Duc des Abodrites, & Tougon l' un des principaux des Sorabes: comme suscitans l' un & l' autre plusieurs factions & novalitez encontre la Majesté du Roy. A cause dequoy dict Aimoïnus, ou si ainsi le voulez Annonius, qu' il leur fut donné assignation à un autre prochain Parlement: auquel depuis ils se purgerent. Voire pour autant que le Debonnaire, outre son pere & son ayeul, adjousta en telles assemblees les Evesques & Abbez, se determinoient en icelles, plusieurs differents entre les Prelats. A ceste cause lit-on qu' une controverse meuë entre les Evesques de Lyon & Vienne pour raison de leurs Eveschez, tomba soubs la decision du Roy & de son assistance.

Certainement telles congregations (que noz Historiographes Latins appellent Placita, & nos plus vieilles Histoires Françoises, comme j' ay dict, Parlemens) estoient arrivees en tel degré d' administration, que non seulement elles sembloient être comme une ressource en laquelle respondoient les grands negoces de France, mais aussi les differens mesmes qui tomboient entre les estrangers estoient soubmis à leur arbitrage. C' est pourquoy raconte le mesme Aimoïnus (le quel j' employe icy plus souvent, pour autant qu' il fut du temps de Louys le Debonnaire) qu' en un Parlement que ce Roy tint en la ville de Francfort, auquel lieu se trouverent de toutes parts, François, Allemans, Saxons & Bourguignons, se presenterent deux freres d' une mesme nation, nommee Vvitzes (Witzes), laquelle par vœu & profession ancienne, exerçoit inimitiez mortelles contre nostre France, lesquels freres sur le debat qu' ils avoient de leur Royaume, s' en rapporterent à l' advis de l' Empereur de son Parlement, Par ce que Milegast, l' un des deux contendants, comme aisné avoit esté appellé au Royaume apres le decez de son pere, dont l' on l' avoit depuis dejetté, pour ses extorsions extraordinaires, & en son lieu investi du Royaume Celeadagre son puisné: En laquelle assemblee fut par commun advis & deliberation sententié en la faveur du puisné. Qui nous apprend & rend certains en quelle reputation estoient tels Parlements envers les nations estranges. Ceste police, qui avoit esté entre nous si religieusement observee soubs le Debonnaire, fut intermise par l' outrecuidance & orgueil de Charles le Chauve son fils, & depuis ramenee en valeur par Louys le Begue. Au moyen dequoy nos Historiographes racontent qu' il gaigna grandement le cœur des subjects à demy alienez, pour avoir esté telles assemblees mises soubs pied, & à non chaloir du vivant de son devancier. 

Voilà, selon mon advis, la primitive origine & institution des Parlements, lesquels tout ainsi qu' en un coup ils ne furent jettez en moule, *  selon la diversité des saisons trouvons nous qu' ils prindrent divers plis sous Hugues Capet & ses successeurs: Sous lesquels ils se continuerent encor plus frequentement que devant. Car combien que ce grand Prince occupé le tiltre de Roy, si n' en avoit-il presque que le nom: Par ce que tout de la mesme façon que luy en son endroict, aussi chasque gouverneur de Province se maintenoit être vray titulaire du lieu qui estoit demouré soubs sa charge. Et n' y avoit presque ville de laquelle quelque Gentilhomme de marque ne se fust enseigneurié. Chose que ce Roy nouvellement instalé, fut contrainct de passer par connivence. N' ayant pas dequoy respondre, comme autresfois avoit eu un Pepin encontre Eude Duc d' Aquitaine, qui voulut faire à l' advenement de luy le semblable. Parquoy Capet plus fin que vaillant, & qui par astuce seulement estoit arrivé à la Couronne, fit au moins mal qu' il peut une paix avecques tous ses grands Ducs & Comtes, qui commencerent deslors à le recognoistre seulement pour souverain, ne s' estimans au demourant gueres moins en grandeur que luy. Et certes quelques uns, non sans grand' apparence de raison, sont d' advis que la premiere institution des Pairs commença adonc entre nous.

Estans doncques ces grands Seigneurs ainsi lors unis, se composa un corps general de tous les Princes & Gouverneurs par l' advis desquels se vuideroient non seulement les differents qui se presenteroient entre le Roy & eux, mais entre le Roy & ses subjects. Qui fut une institution notable pour contenir ceste France en union, laquelle estoit ce neantmoins divisee en plusieurs Ducs & Comtes, qui amoindrissoient l' authorité du Roy de tant plus, que hormis le baisemain que par prerogative ils luy devoient, ils ne despendoient au surplus que de leur authorité & grandeur. Tellement que maintesfois ils guerroyoient particulierement le Roy mesme, & le reduisoient en grandes angusties. Toutesfois apres plusieurs guerroyements, chacun se soubmettoit à ce commun Parlement. Laquelle usance (presque de la mesme façon) avoit esté observee par les anciens Gaulois, lesquels combien qu' ils fussent partialisez en ligues, si avoient-ils tous ensemble un general ressort de la Justice, qui se manioit au pays Chartrain par leurs Prestres, qu' ils nommoient Druydes.

Il seroit mal-aisé d' estimer quel profit apporta depuis ceste invention à nos Roys. D' autant que par ce moyen, comme d' un Concile general, se gardoit esgalement droict & au Roy, & aux Ducs, & Comtes. Et neantmoins estant ce conseil à la *tte du Roy, comme celuy qu' entre les autres un chacun recognoissoit pour souverain. L' on trouva à la longue moyen de r' entrer en plusieurs terres par Arrests qui emanerent du Parlement, au desadvantage de plusieurs Seigneurs, desquels les seigneuries, voire les Duchez & Comtez par desobeyssance & forfaicture estoient declarez acquis & confisquez au Roy. En quoy se rendoient les Princes mesmes executeurs de tels Arrests. Car combien que le Roy n' eust quelques fois force à suffisance pour faire sortir plain effect aux choses arrestees, si estoit-il secouru par les autres Ducs & Potentats, qui estoient facilement induicts à luy donner confort & aide, comme despendant son droict de la Justice & raison. 

A maniere que petit à petit nos Rois temporisans & faisans, comme l' on dit, d' une main l' autre, sans que ces grands Ducs & Comtes y prinssent garde, remirent à leur domaine toutes leurs terres & pays, demourans Monarques & uniques Princes de la France. Car les Ducs que nous appellons aujourd'huy ne sont qu' une image des anciens sans grand effect.

Voire qu' au moyen de ceste souveraineté, le Roy s' estant petit à petit rendu le plus fort dans son Royaume, adonc commença de se renforcer la commune police à l' advantage de sa Couronne. A cause dequoy les appellations des Baillis & Seneschaux ressortissoient premierement au Conseil, Grands jours ou Eschiquier des Ducs ou Comtes, & de là en la Cour de Parlement: pour laquelle cause estant ceste Cour arrestee dedans Paris, eurent les Ducs & Comtes continuellement leurs Procureurs generaux pour deffendre leurs jugemens. Ainsi trouvons nous aux plus anciens registres de la Cour certaine ordonnance portant qu' ez pays que le Roy d' Angleterre tenoit dans les limites de la France, seroient receus les appellans tant en cause civile que criminelle, au Lieutenant du Roy d' Angleterre, ou au Juge qui en cognoistroit en son lieu, & la seconde appellation seroit tousjours à la Cour du Roy de France. Toutesfois si ce Lieutenant en cognoissoit en premiere instance, on en appelleroit à la Cour du Roy. De laquelle chose j' ay trouvé autresfois un exemple fort notable & digne d' être icy inseré. Le Vicomte de Bearn ayant deux filles, l' une qui eut nom Matilde, & l' autre Marguerite, celle-là fut donnee en mariage au Comte de Foix, & depuis instituee heritiere universelle par son pere, & ceste-cy mariee au Comte d' Armaignac. Le pere estant decedé, le Comte d' Armaignac debat ceste institution, s' aydant d' une coustume du pays, par laquelle il pretendoit que quand la succession tomboit en quenoüille elle se partageoit par égales portions. Sur quoy les douze Barons tindrent Cour majeur, & appellerent avec eux les Prelats & autres gens notables du pays. Finalement parties ouyes fut par eux le Vicomté de Bearn adjugé au Comte de Foix à cause de sa femme. Duquel jugement le Comte d' Armaignac appella à Bordeaux pardevant le Conseil & les commis au gouvernement de Guyenne de la part du Roy d' Angleterre Duc de Guyenne: Où par sentence il feut dit que ce jugement estoit bon & valable, & que mal sans grief Armaignac avoit appellé: De laquelle sentence il appella de rechef au Parlement de Paris, où il releva son appel, & en sont les lettres d' appel en la Cour, qui y furent apportees dedans un sac l' an 1443. apres la prise du Comte Jean d' Armaignac: Auquel sac il y a plusieurs choses concernantes les droicts du Roy. Et feut ceste lettre apportee par maistre Guillaume Cousinot, lequel par commandement du Roy feut delegué pour inventorier tous les tiltres & enseignemens concernans ce Comté.

Toutesfois pour ne m' eslongner de mon propos, & reprendre mon premier fil: Toutainsi qu' en ces Parlemens, le Roy tenoit le premier lieu, aussi estoit-il assisté de plusieurs grands Princes & puissans Seigneurs, que depuis nous avons appellez Pers ou Peres de France (à l' imitation des Patrices qui furent soubz les Empereurs) avec lesquels estoient plusieurs Conseillers & Assesseurs. Et pour autant qu' en ces Parlements ne se traictoient ordinairement que causes de grand poids, pour celles qui se presentoient communement en la Cour du Roy, l' on avoit de coustume d' employer, non seulement quelques Seigneurs de sa suitte, qui estoient du corps du Parlement, mais le Roy mesme souventes fois donnoit audience aux parties. Et en ceste façon recite le sire de Jonville que S. Louys, apres avoir ouy Messe, s' alloit souvent esbatre au bois de Vincenne, & se seoit au pied d' un chaisne, faisant asseoir aupres de luy quelques Seigneurs de son Parlement, prestant audience libre à chacun, sans aucun trouble ou empeschement: Puis demandoit à haute voix s' il y avoit aucun, qui eut partie, & s' il se presentoit aucun, l' escoutoit prononçant sa sentence sur ce qui s' offroit devant luy. Qui est à bien dire un acte digne de Roy, & symbolisant grandement avec celuy de l' Empereur Auguste, ou de l' Empereur Adrian, lesquels non seulement rendoient droict aux parties seans en leur tribunal, mais aussi le plus du temps pendant leur repas, quelquesfois dedans leurs litieres, telle fois couchez en leurs licts. Tant ils avoient peur que justice ne feust administree à leurs subjects. 

Or estoient ces Parlemens de telle & si grande recommandation, que Federic second Empereur de ce nom, en l' an mil deux cens quarante quatre, ne douta de vouloir remettre à iceluy tous les differens qu' il avoit avec le Pape Innocent quatriesme, ausquels n' y alloit que du nom & tiltre de l' Empire. Et est icy à noter que le Parlement pour lors ne se tenoit en certain lieu & designé: mais selon les occasions maintenant en une ville, puis en une autre, & destinoient les bonnes festes pour le tenir, tantost vers les festes de Pasques, Pentecoste, tantost vers celles de Noel, Toussainct, Nostre Dame de myAoust, selon les necessitez & occurrences. En memoire dequoy, le Parlement ayant esté faict sedentaire, l' on a eu tousjours de coustume les surveilles de telles journees, prononcer en robe rouge quelques Arrests de consequence, pour tenir comme lieu de Loy. Depuis se trouvans les causes en plus grande affluence, Philippes le Bel y voulut donner police telle que je deduiray au chapitre suyvant.