Affichage des articles dont le libellé est Conradin. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Conradin. Afficher tous les articles

lundi 7 août 2023

8. 56. Vespres Siciliennes, Sicile

Vespres Siciliennes, Proverbe sur lequel est par occasion discouru de l' Estat ancien de la Sicile, & des traictemens que recevrent ceux qui la possederent.

CHAPITRE LVI.

Les fureurs qui se sont passees en cette France soubs ces mots de Huguenot & Catholic, me font souvenir de celles qui furent autresfois en Italie soubs deux autres mots partiaux de Guelphe & Gibelin, au bout desquelles furent attachees les Vespres Siciliennes, premier but, mais non seul & principal de ce chapitre. Quand par quelques sourdes pratiques advient un inopiné massacre à ceux qui pensoient estre à l' abry du vent, les doctes appellent cela les Vespres Siciliennes. Proverbe vrayement nostre, pour nous avoir esté cher vendu. Au recit duquel je vous feray voir une Sicile, jouët de la ville de Rome, amusoir des Princes estrangers aux despens de leurs ruines, & si ainsi me permettez de le dire, or de Thoulouse fatalement malheureux aux familles, qui le possederent anciennement. Je veux doncques sur le mestier de ce Proverbe tresmer un discours d' assez long fil, & vous representer les tragedies qui feurent jouees sur le Theatre d' Italie l' espace de cent ans ou environ, dans lesquelles vous verrez des jugemens esmerveillables de Dieu, & pour closture une nouvelle face d' affaires, & changement general d' Estat. Que si quelque escollier Latin me juge manquer d' entregent en ce livre, que j' avois seulement dedié à l' ancienneté de nostre Langue, & de quelques mots & proverbes François, il ne m' en chauld, moyennant que puissions nous faire sages par les follies de nos ancestres. Usez de ce chapitre, comme d' une piece hors d' œuvre, dedans laquelle je glasseray en passant ce qui regarde nos Vespres Siciliennes.

Depuis que l' Empire des Romains fut divisé en deux, l' un prenant le nom & tiltre du Levant dedans Constantinople, & l' autre du Ponant dessoubs Charlemagne, combien que ce grand guerrier eust esté faict Seigneur de l' Italie, toutesfois les affaires se passerent de telle façon, que les pays de Sicile, Poüille, & Calabre demeurerent à l' Empereur de Constantinople, & depuis pour sa neantize hereditaire, qui se transmit de l' un à l' autre, feurent une bute, tantost des Hongres, tantost des Sarrazins, chacun d' eux jouants au boutehors selon la faveur ou desfaveur de leurs armes: Les Gregeois y retenans telle part & portion qu' ils pouvoient. Apres plusieurs secousses, advient que quelques braves guerriers Normands habituez en cette France, ne voulans forligner de leurs devanciers, se resolurent par une belle saillie, de faire nouvelles conquestes. A cette fin levent troupes, voguent en pleine mer, viennent surgir à la Sicile, où par leurs proüesses ils planterent leur siege, & ayants esté longuement gouvernez par Ducs, en fin establirent une Royauté feudatrice du Sainct Siege, non tant par devotion que sagesse, pour estre leur grandeur assistee d' un grand parrein. Conseil toutesfois qui ne leur succeda pas ainsi comme ils s' estoient promis. Car les Papes se lassans par traite de temps de leur voisiné, n' eurent autre plus fort pretexte pour les supplanter que cette infeodation, dont ils firent aussi banniere, tant à l' endroit des Allemands, que François, depuis qu' ils s' engagerent dedans leurs querelles. Mais pour n' enjamber sur l' ordre des temps, Guillaume troisiesme de ce nom Roy de Sicile, estant decedé sans enfans, Tancrede Prince du sang se voulant impatroniser du Royaume, il en fut empesché par le Pape Celestin troisiesme. Lequel attire à sa cordelle Henry fils aisné de l' Empereur Federic premier. Or y avoit-il une Princesse du sang nommee Constance niepce du deffunct Roy plus proche habile à succeder, mais il y avoit un obstacle qui l' en empeschoit: estant religieuse Professe, & Abesse de Saincte Marie de Palerme. Le Pape la relaxe du vœu pleinement & absolument, & lors en faict un mariage avecques Henry, & tout d' une main les investit du Royaume, à la charge de la foy & hommage lige, & de certain tribut annuel envers le sainct Siege. Grand tiltre, mais de peu d' effect sans l' exequution de l' espee, comme aussi ne leur avoit il esté baillé que sous ce gage. Sur ces entrefaictes meurt Federic premier, & apres son decés Henry est esleu Empereur. Adoncques luy & Tancrede commencent de joüer des cousteaux, & à beau jeu, beau retour. Tancrede meurt, & par sa mort, Henry sans grand destourbier se faict Maistre & Seigneur de tout le pays. Mesmes Sibille veufve du deffunct, ses trois filles, & un sien fils se rendent à luy soubs le serment qu' il leur fist de les traiter selon leur rang & dignité. Promesse toutesfois qu' il ne leur tint: Parce que soudain qu' ils furent en sa possession, il les confine dedans une perpetuelle prison, & leur fit creuer les yeux, & par une abondance de pitié fit chastrer le masle, affin de luy oster toute esperance de regrés à la Couronne. Premier trait de tragedie qui se trouve en cette histoire, indigne non seulement d' un Chrestien, mais de toute ame felonne de quelque Religion qu' elle fust.

Constance aagee de 51. ou de 52. ans accoucha d' un fils, auquel fut donné le nom de l' Empereur Federic son ayeul. L' enfant estant encore à la mammelle, il fut declaré Roy des Romains par les Princes de l' Empire, & comme tel luy rendirent le serment de fidelité, l' an 1197. Le tout à la solicitation, priere & requeste du Pere, qui deceda quelques mois apres, laissant son fils au gouvernement de la mere, laquelle le fist couronner Roy de Sicile en l' aage de trois ans seulement.

Elle quitte ce monde l' an 1199. mais avant que de le quitter, supplia par son testament le Pape Innocent III. d' en vouloir prendre la tutelle, ce qu' il fit. Sagesse admirable d' une mere, mettant son enfant en la protection de celuy, qui à la conduite de sa Papauté monstra que ses predecesseurs avoient esté escoliers, au regard de luy.

Jamais Prince ne receut tant d' heurs dés son enfance, dy tant de heurts de fortune sur son moyen aage, jusques à la mort, que cestuy. Proclamé Roy des Romains dés le bers, couronné Roy de Sicile à trois ans, estre demeuré Orphelin de pere & de mere sur les quatre: Adjoustez que sa nativité pouvoit estre revoquee en doute, comme d' une part supposé, la mere estant accouchee au cinquante deuxiesme an de son aage, temps incapable aux femmes pour tel effect, selon la regle commune des Medecins. D' ailleurs une Royauté nouvelle bastie sur une dispence extraordinaire. Et neantmoins sa couronne luy fut conservee en ce bas aage, non vrayement sans quelques traverses. Car Gautier Comte de Brienne, mary de l' une des Princesses aveuglees, esbrecha son Estat pour quelques annees, & l' Empereur Othon cinquiesme prist quelques villes de la Poüille sur luy: Mais tous ces desseins s' esvanoüirent finalement en fumee: Ceux du premier par Dielpod ancien serviteur de Henry, & du second soubs l' authorité du Pape Innocent. J' adjousteray que non seulement elle luy fut conservee, mais l' an 1210. en son absence, luy ne le sçachant, ny poursuyvant, n' ayant atteint que l' aage de seize ans pour le plus, fut au prejudice de l' Empereur, esleu par les eslecteurs se remettans devant les yeux l' ancien serment de fidelité qu' ils luy avoient faict. Et depuis reduisit Othon à telle extremité, qu' il le contraignit de sonner une retraicte à sa fortune, & d' espouser une vie privee. Chasse tout à faict ce qui restoit des Sarrazins dedans la Sicile: nettoye son Royaume des mutins, d' un Thomas & Matthieu, freres Comtes d' Anagni, qui avoient pendant son absence voulu remuer son Estat, & annexe à sa couronne tous leurs biens, pour le crime de leze Majesté par eux commis. Fut il jamais une chesne de plus belles fortunes que celle là? qui dura dés & depuis sa nativité, jusques en l' an 1221.

Toutesfois lors qu' il estoit au comble de ses souhaits, & pensoit avoir cloüé sa bonne fortune à clouz de diamant, elle luy tourne tout à coup visage, & voicy comment. Les deux freres Comtes d' Anagny proches parens du Pape Innocent, ont recours vers le Pape Honoré IV. qui lors siegeoit, & combien que auparavant il eust fait profession d' amitié avec Federic, toutesfois il prit l' affliction de ces deux Seigneurs au point d' honneur, & avec une impatience admirable, fit de leur querelle la sienne, a recours aux remedes ordinaires des siens, qui sont les fulminations: Nouveaux troubles, nouveau mesnage entre eux. Federic en ce boüillon de jeunesse, auquel il estoit, au lieu de reblandir le Pape par honnestes soubmissions, ainsi qu' il devoit, donne ordre de rappeller les Sarrazins par luy chassez, & les logea en la ville de Lucerie, depuis nommee Nocere la Sarrazine, pour luy servir de blocus contre les avenues de Rome: faute du tout inexcusable, & pour laquelle je veux croire que Dieu le permist depuis estre comblé d' une infinité d' afflictions, dont les Papes furent les outils. Car Honoré estant decedé, Gregoire IX. son successeur se fit son ennemy sans respit, & dés son avenement proceda par autres censures & excommunications irreconciliables contre luy. 

L' Empereur pour se mettre en sa grace entreprit sur son commandement, le voyage d' outremer, où les affaires luy succederent si à propos qu' à la barbe du Soudan d' Egypte, il remist soubs l' obeyssance des Chrestiens, toute la Palestine, & fut Couronné Roy de Hierusalem. Il pensoit par ce bon succez se reconcilier avec le Pape, & obtenir de luy sentence d' absolution. Il despesche Ambassades pour cet effect: mais en vain, voire que le Pape excommunie tous ceux, qui le vouloient suivre, donnant ordre que les havres leur fussent fermez. Medecine paraventure plus dure & fascheuse que la maladie, d' autant que le deny de cette absolution estoit fondé seulement sur ce que l' Empereur à son partement n' avoit receu sa benediction, faute qui avoit peu estre compensee par les heureux succés de l' Empereur au profit de la Chrestienté: qui eussent bien poussé plus outre, mais voyant de quelle façon il estoir (estoit) traitté, & craignant que ses affaires n' allassent de mal en pis de deçà, il fut contrainct de rebrousser chemin, & laissa imparfaict le bel ouvrage qu' il avoit encommencé. Voila comment les affaires des Infidelles commencerent à se restablir, & celles des Chrestiens à s' affoiblir tant au Levant, que Ponant, pour mesler je ne sçay quoy de l' homme dedans nostre Religion. L' Empereur à son retour trouve ses affaires embarrassees dedans un chaos, tant en Allemagne qu' Italie: dedans l' Allemagne prou de Princes & grands Seigneurs le guerroyer: dedans l' Italie prou de villes se dispenser de leurs consciences contre luy: Le tout fondé sur les excommunications & censures. Et pour consommation de ces procedures, Gregoire estant decedé, eut pour successeur Innocent IV. auparavant fort familier de l' Empereur, dont ses principaux favoris s' esjoüirent, estimant que cette nouvelle promotion mettroit fin à leurs differents, mais luy plein d' entendement leur dist. Vous vous abusez, Cardinal il m' estoit amy, Pape il me sera ennemy. Monstrant par cela qu' il estoit un grand homme d' estat, car tout ainsi qu' il l' avoit predit, il advint: Dautant que ce nouveau Pape r'enviant sur les opinions de son devancier, non seulement excommunia l' Empereur, mais fit assembler un Concil general dans Lyon, par lequel en confirmant toutes les fulminations precedantes, il fut privé, & de son Empire, & de ses Royaumes, & declaré incapable d' en tenir. Qui ne fut pas un petit coup pour sa ruine: Parce que combien que dextrement il parast aux coups, n' estant aprenty à ce mestier, toutesfois estant ores dedans, ores dehors, il estoit plus souvent dehors que dedans. Si de toutes ces querelles vous parlez à l' Abbé d' Urspergence qui en vit une partie, il donne le tort à Gregoire IX. Si à tous les autres autheurs, ils le donnent à Federic, & le nomment Persecuteur de l' Eglise Romaine. Si j' en fuis creu Federic ne se peut excuser du remplacement qu' il fit des Sarrazins dedans la Sicile, ny Gregoire de luy avoir denié l' absolution lors qu' il besongnoit si heureusement au Levant. Et si vous me permettez de passer outre je diray qu' avec tout ce que dessus, l' Empereur n' avoit un plus grand ennemy, que sa grandeur, ne voulant ny Gregoire, ny Innocent IV. un si grand voisin que luy pres d' eux. Leçon qui lors estoit ordinaire à Rome, & que la domination Espagnole luy a fait depuis oublier par la longueur du temps.

Federic second en fin mourut de sa belle mort l' an 1150 (1250). n' ayant trouvé aucun repos que lors depuis l' an 1121 (1221). Il laissa plusieurs enfans legitimes de 3. licts, & plusieurs bastards: Mais tous aboutirent en deux, l' un legitime, qui fut Conrad, l' autre bastard qui fust Mainfroy. Conrad est empoisonné par Mainfroy, d' un poison lent & mesuré: Et ne sçachant ce pauvre Prince de quelle main luy estoit procuree cette mort, il l' institua tuteur, & curateur de Conradin fils unique de Henry fils aisné de Federic qui estoit mort du vivant du pere. Mais Mainfroy ne suyvant la voye du grand Innocent, au lieu de conserver l' Estat à son pupille, l' empiete sur luy, & prend le titre de Roy. Et pour estayer cette induë usurpation donne en mariage une sienne fille unique Constance à Pierre fils de Jacques Roy d' Arragon. Ses deportemens desplaisoient, non sans cause, au Pape Urbain IV. successeur d' Innocent, il l' excommunie, & affranchit tous ses subjects de l' obeyssance qu' ils luy avoient vouée. Et pour faire sortir effect actuel au plomb, semond Charles Comte d' Anjou, & de Provence, frere de nostre S. Louys, à cette entreprise: Lequel s' y achemine d' un franc pied, avec une puissante armee. Escarmouches diverses, il estoit sur l' offensive, l' ennemy sur la deffensive, clos & couvert dedans ses villes & forteresses: La guerre prend quelque trait, toutesfois apres avoir marchandé longuement d' une part & d' autre chacun estimant avoit (avoir) le vent à propos, la bataille se donne. Charles obtient pleine victoire, Mainfroy occis, son armee mise en route, les villes ouvertes aux victorieux, & luy couronné Roy de Sicile par le Pape. Et pour surcroist de grandeur le fait Vicaire general de l' Empire dedans l' Italie.

Estat nouveau, & non auparavant cognu, partant il ne sera hors de propos d' en discourir le subject. Auparavant tous ces troubles, l' Italie ne recognoissoit toutes ces principautez particulieres, que nous y avons depuis veuës, l' Empereur en estoit general possesseur, fors de la ville de Rome, & du Patrimoine de S. Pierre, & de ce dont la Seigneurie de Venise jouyssoit, & s' il y avoit quelque Seigneur souverain particulier, il estoit fort rare: l' Empereur envoyoit par les villes ses Juges & Podestats, pour juger les procez comme celles qu' il possedoit en plein Domaine. Puissance qui esclairoit de bien pres, non la spirituelle de Rome, ains la temporelle, dont les Papes s' estoient faits Maistres par une longue & sage opiniastreté. Et pour cette cause le principal but où ils visoient, estoit de bannir & esloigner cette puissance Imperiale, le plus loing qu' ils pourroient d' Italie. Les grandes & longues guerres qui furent entre le Pape Alexandre troisiesme, & l' Empereur Federic premier enseignerent à plusieurs villes de mescognoistre leur Empereur. Comme de fait vous lisez que pour s' y estre la ville de Milan aheurtee, il la ruina rez pied, rez terre, & lors plusieurs autres villes balancerent entre l' obeïssance & rebellion. L' excommunication faicte par le Pape contre Federic portoit quant & soy absolution du serment de fidelité aux subjets, & en cas de ne s' en dispenser, suspension de l' administration du service divin dedans les villes & plat pays. Que pouvoit moins faire une ville pour se garentir de ce haut mal, que de quitter l' obeïssance de son Prince, qu' il n' appelloit rebellion, ains reduction au droict commun, obeïssant à l' authorité & mandement du sainct Siege? En fin se voyant Federic premier tant pressé par la force spirituelle que temporelle du Pape, qui estoit assisté de Guillaume troisiesme Roy du nom de Sicile, il fut contraint de condescendre à la paix, que le Pape & luy jurerent dans Venise, ville neutre, & non subjecte aux dominations temporelles de l' un ny de l' autre Seigneur. Et lors fut l' accomplissement du malheur. Parce que la commune des Historiographes demeure d' accord que Federic s' estant mis à genoux pour baiser les pieds du S. Pere, il le petilla avec cette outrageuse parole, Super aspidem & basiliscum ambulabis, & conculcabis Leonem & Draconem: Particularité sagement passee sous silence par Platine Italien, & l' Abbé d' Urspergense Alleman dedans leurs Histoires pour couvrir la pudeur tant de celuy qui fit le coup, que de l' autre qui le receut. Mais tant y a que cet acte en paix faisant porta plus grand coup contre l' Empire, que toutes les guerres passees, auquel ce grand Empereur Federic para seulement de ces quatre mots, Non tibi, sed Petro: De maniere qu' il fut de là en avant fort aisé aux villes d' Italie de secoüer d' elles le joug de l' Empire. Comme de fait les affaires s' y acheminerent depuis en flotte: Car apres le decez de Henry sixiesme fils aisné de Federic, Philippes son puisné ayant esté appellé à l' Empire par les Princes Electeurs, & empesché par Innocent troisiesme, qui luy opposa un Othon avec ses fulminations, ce fut un nouveau seminaire des guerres civiles entre le Pape & l' Empereur, pendant lesquelles les villes d' Italie mettoient fort aisément en nonchaloir l' obeïssance qu' elles devoient rendre à l' Empire. Et pour accomplissement de ce malheur advindrent les grandes guerres de la Papauté, & l' Empire du temps de Federic second, pendant lesquelles se logerent les partialitez des Guelphes & Gibelins, les unes se faisans toutes Guelphes, les autres toutes Gibelins: Et quelquesfois dedans une mesme ville se trouvant confusion de l' un & de l' autre party. Les Guelphes favorisans le party des Papes Gregoire, & Innocent, & les Gibelins celuy de l' Empereur Federic. Et comme l' Italie estoit en ces alteres, apres la mort de Federic, & de Conrad son fils, il y eut une forme d' interregne d' Empire l' espace de vingt ans dedans l' Allemagne, qui fut par eschantillons possedee, & trois divers portans le titre, mais non l' effect d' Empereurs. Et de ce grand chaos s' escloït la diversité des Ducs, Marquis & Comtes, & par mesme moyen des Republiques souveraines d' Italie, chacun prenant son lopin non seulement au prejudice de l' Empire, ains des Papes mesmes, selon que la necessité de leurs affaires le portoit. Chacun d' eux s' approprians souverainement du domaine des villes, & neantmoins avec une recognoissance de foy & hommage, qui envers l' Empire, qui envers la Papauté. Et depuis ce temps on ne recogneut plus dedans l' Italie cette grande puissance & authorité qui estoit de tout temps & ancienneté deuë aux Empereurs. Et par ce moyen obtindrent les Papes ce qu' ils avoient si long temps desiré. Or tout ainsi que la ruine des affaires y avoit produit ce nouvel ordre particulierement sur unes & autres villes, aussi les Papes pour le fait general de l' Italie, introduisirent un Vicaire de l' Empire qui n' estoit pas un Empereur, car il faisoit son sejour dedans l' Allemagne, mais un Procureur absolu, qui pouvoit disposer des biens qui restoient de l' Empire. Et c' est l' Estat dont Charles d' Anjou fut gratifié par Urbain quatriesme apres qu' il eut occis Mainfroy & toute sa suite en bataille rangee. Restoit encores Conradin de la posterité de Federic deuxiesme, lequel croissant d' aage, creut par mesme moyen de cœur, & voulut entrer en l' heritage qu' il estimoit loyaument luy appartenir, trouve argent, leve gens, prend pour compagnon Federic d' Austriche sien parent. La decision de ce grand procez despendoit d' une bataille. Pour le faire court: la victoire demeure par devers Charles, & quant aux deux Princes ils se garentissent par la fuitte, & desguisez se rendent en la maison d' un meusnier, où ils furent nourris 8. jours durans à petit bruit, tant qu' ils eurent argent en bourse, mais leur defaillant ils furent contraints mettre une bague de cinq cens escus entre les mains de leur hoste, pour la vendre, lequel recogneut par cela que ce n' estoient simples soldats, & en donne advis au Roy Charles, qui se saisit de leurs personnes. Selon le droit commun de la guerre ils en devoient estre quites par leurs rançons. Et de faict telle estoit l' opinion de sa Noblesse Françoise: toutesfois le Roy en voulut estre esclaircy par le Pape, qui en peu de mots luy manda que la vie de Conradin estoit la mort de Charles. Le Roy gouste fort aisément cet advis, & neantmoins pour y apporter quelque fueille, fit juger cette cause par neuf ou dix Jurisconsultes Italiens, lesquels sçachans où enclinoit le Roy, firent aussi passer la loy par son opinion: ces deux pauvres Princes sont exposez au supplice en pleine place sur un eschaffaut, où ils eurent les testes tranchees, & à l' instant mesme, on en fait autant au bourreau, a fin qu' à l' advenir il ne se glorifiast de les avoir executez. O que la Justice eust esté plus belle si on y eust aussi compris tous ces Jurisconsultes flateurs! Car quant à celle du Roy elle fust reservee à un plus grand Roy. L' Histoire porte que Conradin avant que de s' agenoüiller, jetta un de ses gands au milieu du peuple, comme un gage de bataille contre le Roy Charles, priant la compagnie de le relever, & porter à l' un des siens, pour vanger l' injure ignominieuse qui luy estoit faite & à son cousin. Gand qui fut relevé par l' un de sa troupe, & porté au Roy d' Arragon, avec la sommation du jeune Prince.

Le sacrifice ainsi fait de ces deux ames innocentes, Charles d' une sanglante main poursuit sa route, faisant passer la plus grande part des Seigneurs Siciliens, & Napolitains au fil de l' espee, & bannissant les autres qui avoient favorisé le party de Conradin, & demolissant leurs Chasteaux. En recognoissance dequoy le Pape Urbain luy fait donner l' Estat de Senateur de Rome par la voix du peuple. C' estoit un Estat que les Citoyens avoient mis sus pour reigler toute la Police seculiere au prejudice du Pape, de l' authorité duquel ils pretendoient estre exempts en cet affaire ainsi que j' ay touché ailleurs. Ce Senateur representoit ceux qui sur le declin de l' Empire occuperent dedans Rome sous le nom de Patrices, sur la dignité Imperiale qui estoit à Constantinople. Et combien que ces dignitez de Senateur dedans Rome, & de Vicaire de l' Empire dedans l' Italie, tombans en une main commune fussent seulement images des vrayes, toutesfois estans tombees entre les mains de celuy, qui sous le titre de Roy de Sicile, commandoit à la Sicile, la Poüille, & la Calabre, mesmes qui avoit obtenu deux grandes victoires contre Mainfroy & Conradin, croyez qu' elles luy apporterent grande puissance & authorité par tout le pays: Car lors il s' en voulut faire accroire absolument, mesmes dedans la ville de Rome. Auparavant la grandeur de Federic estoit suspecte aux Papes pour estre trop proche de leur ville, & lors il y avoit plus de subject de redouter celle de Charles qui estoit nourrie dedans le sein de la ville: Baudoüin son beau pere avoit esté chassé de Constantinople par Michel Paleologue usurpateur de son Estat. Le gendre veut armer en faveur du beau pere, estimant qu' en restablissant il s' establiroit. Toutes choses luy avoient ry jusques en ce temps, mais lors la fortune commença de se mocquer, & rire de luy.

Jean Prochite grand Seigneur Sicilien avoit couru mesme traictement que les autres Seigneurs, en son bien, mais s' estoit garanty de la vie par une bonne & prompte fuite: ne respirant en son ame qu' une vangeance, par le moyen de laquelle il se promettoit d' estre reintegré en ses biens. Il visite Pierre Roy d' Arragon gendre de Mainfroy, luy met devant les yeux, & sa femme, & le gand à luy envoyé, cartel de defy, luy promet tous bons & fideles services. Pour le faire court on entreprend contre Charles une tragedie qui fut joüee à trois personnages, dont Prochite estoit sous la custode, le Protecole, uns Pierre Roy d' Arragon, Michel Paleologue Empereur de Constantinople, le Pape Nicolas troisiesme. Pierre leve une grande armee, faisant contenance de vouloir s' acheminer au Levant pour secourir les Chrestiens, Paleologue fournit aux frais: Il n' est pas que Philippes troisiesme de ce nom Roy de France, nepueu de Charles ne contribuast au defroy de cette guerre, estimant que ce fust pour guerroyer les Infideles. (Voyez comme quand Dieu nous delaisse nous sommes traictez.) Le Pape Innocent se voyant ainsi appuyé ne doute de luy rongner les aisles à l' ouvert, le debusquant & de l' Estat de Senateur, & du Vicariat de l' Empire. Qui n' estoit pas un petit coup d' Estat, & ne fust-ce que pour ravaller sa reputation, par laquelle ordinairement les Grands maintiennent leurs grandeurs: Et depuis ce temps Charles alla tousjours au deschet. D' un costé l' Arragonnois fait voile avecques ses trouppes, d' un autre Prochite sous l' habit de Cordelier practique la rebellion de ville en ville par toute la Sicile. Quoy plus? cette tresme est ourdie de telle façon, qu' à point nommé le jour de Pasques selon le rapport de quelques Historiens, ou de l' Annonciade, ainsi que disent les autres, le premier son des Cloches de Vespres, par toutes les villes, bours & bourgades, servit de toxin general, sur lequel tout le peuple Sicilien se desbanda d' une telle furie contre les François qu' ils les massacrerent tous, sans acception, & exception de personnes, de sexe, ny d' aage, ne pardonnans pas mesmes aux femmes Italiennes qu' ils estimoient estre enceintes du fait des François. L' Arragonnois estoit anchré sur mer & aux escoutes, pour sonder quelle issuë avroit la practique de Prochite, & adverty de ce qui s' estoit passé, y accourt à toute voile, le bien venu & embrassé de tout le peuple. Cela fut fait l' an mil deux cens quatre-vingts deux en la Sicile qui eut de là en avant nouveau Roy & non à la Poüiile, où la ville de Naple est assise, ny pareillement en la Calabre, qui demeurerent és mains de Charles: Pour cette cause on commença d' un Royaume en faire deux. Et au lieu que auparavant on appelloit Roy de Sicile seulement celuy qui commandoit à ces trois païs: L' Arragonnois fut appellé Roy de Sicile, & Charles & ses successeurs Rois de Naples. Et en effect, voila quand, comment, & dont est venu ce brutal, & cruel Proverbe de Vespres Siciliennes, dans le discours duquel j' ay voulu comprendre tous les autres exploits tragiques de je ne sçay de combien d' annees.

Les Historiographes sont grandement empeschez de rendre raison de ce malheur. Les Italiens pour excuser cette cruauté Barbaresque l' imputent aux insolences des François qui n' espargnoient pas mesmement la pudicité des femmes de bien, és lieux où ils avoient plein commandement, & les nostres au contraire, à une trop grande bonté, disans que si nous les eussions tenus en bride, comme depuis les Espagnols ont fait, jamais nous ne fussions tombez en un si piteux desarroy. Discours toutesfois qui me semble grandement oiseux. Parce que s' il vous plaist rechercher la cause de tout ce que je vous ay cy-dessus deduit, ce furent coups du Ciel. Je vous ay dit que Henry contre son serment avoit fait creuer les yeux à la mere, aux filles, & à un jeune enfant, lequel il avoit d' abondant fait chastrer, leur faisant espouser tout d' une suite une prison clause en Allemagne. Esperant perpetuer par ces moyens inhumains, en sa famille la Couronne de Sicile. Dieu veut que Federic son fils en joüisse, mais avec tant de revers & algarades de fortune depuis l' an 1221. jusques en l' an 1250. qu' il est mal aisé de juger s' il regnoit, ou si en regnant il mouroit. Et pour closture finale de ce jeu, Dieu veut que la famille de Henry soit affligee par elle mesme, & qu' apres la mort de Federic, Mainfroy son bastard empoisonne Conrad son fils legitime, & vray heritier, que non assouvy de cette meschanceté, il empiete la Royauté sur Conradin son pupille, fils de Conrad: En fin que Conradin & Federic d' Austriche son cousin meurent sur un eschaffaut. Ne voyez vous en cecy une Justice tres-expresse de Dieu pour expier l' inhumanité de Henry, Justice, dis-je, executee par les injustices des hommes? Qu' il y eust du Machiaveliste és morts des deux Princes Allemans, & de tout le demeurant des pauvres Seigneurs du Royaume, 

qui furent occis de sang froid, je n' en fais aucune doute, pour cuider par Charles asseurer à luy & à sa posterité le Royaume de Sicile. Henry avoit commencé par les veuës, & cestuy-cy achevé par les vies, tous deux à mesme progrez. Le sang innocent des deux Princes, & de toute la suitte des Seigneurs assassinez, cria vangeance devant Dieu, qui exauça leurs prieres, & permist cette cruelle Vespree, non contre la personne du Roy, ains contre ses sujets, qui est en quoy il exerce ordinairement les punitions quand les Princes ont faict quelque faute signalee. Et je veux croire que si l' Arragonnois eust consenty à ce detestable carnage, luy ou sa posterité eussent esté chastiez de Dieu. Bien trouvé-je qu' il avoit mis en besongne Prochite pour faire revolter le peuple, mais non qu' il eust consenty à cette execrable boucherie. Belles leçons pour enseigner à tous Princes Chrestiens de ne maintenir leurs estats par ces malheureux preceptes que depuis Machiavel a voulu recueillir de l' ordure, honte & pudeur de quelques anciennetez en son chapitre de la Sceleratesse, au traicté du Prince.

Voila le premier fruict que je desire estre cueilly de ce chapitre: Il y en a encore un autre, qui est, qu' au faict de la Religion nous devons tous viure en l' union de l' Eglise sous l' authorité du sainct Siege de Rome, comme celuy qui fut basty sur la pierre de sainct Pierre, & cette-cy assise sur celle de Jesus-Christ: mais quand avec la Religion on y mesle l' Estat, & que par belles sollicitations, & promesses on nous semond de passer les monts, c' est tout un autre discours, & en une asseurance de tout il faut tout craindre, je ne dis pas que quelquesfois les affaires ne soient pas reüssies à souhait, comme à uns Pepin & Charlemagne, qui furent deux torrens de fortune, mais pour ces deux il y en a peu d' autres qui ne s' y soient eschaudez. La papauté est une dignité viagere, qui produit ordinairement successeur non heritier des volontez du predecedé. Tellement que la chance du jeu se tournant, celuy en fin de jeu se trouve lourche, qui pensoit estre maistre du tablier, comme vous voyez qu' il advint aux trois familles des Normans, Allemans & François dont je vous ay cy-dessus discouru. Adjoustez, que les volontez mesmes de ceux qui nous employent sont passageres selon la commodité ou incommodité de leurs affaires, & faillent souvent au besoin.

Federic II Sicile
(Federic II)


samedi 15 juillet 2023

6. 26. De la famille d' Anjou qui dés & depuis le temps de Charles frere de sainct Louys commanda au Royaume de Naples, & des traverses qu' elle receut.

De la famille d' Anjou qui dés & depuis le temps de Charles frere de sainct Louys commanda au Royaume de Naples, & des traverses qu' elle receut.

CHAPITRE XXVI.

Je vous ay dit sur la fin du 23. Chapitre que le Royaume de Hierusalem fondit en nostre Charles d' Anjou lors Roy de Sicile, & par quel moyen ce tiltre d' honneur luy fut acquis & à sa posterité. C' est pourquoy je ne pense estre hors de propos (apres le precedent Chapitre dont je vous ay repeu par forme d' entremets) si j' enfile celuy qui s' offre à la suite des Roys de Hierusalem. Histoire pleine de tragedies, que je vous veux discourir, ores qu' elles n' ayent esté joüées sur le theatre de la France, ains d' Italie. Toutes-fois parce que les premiers personnages d' icelles, furent de la premiere famille d' Anjou, extraite du sang de nos Roys, je pense faire œuvre de merite, vous representant, non le tout, ains un sommaire abregé de cette Histoire, pepiniere de plusieurs malheurs advenus par succession de temps à la France. Fuzeau fascheux à demesler, bien qu' il tombe ordinairement en nos bouches. Pour le desvelopement duquel je deduiray le nombre & suitte des Roys, & leurs genealogies, & les revers qu' ils recevrent de la fortune.

Je trouve en cette famille y avoir eu onze tant Princes que Princesses, qui porterent le tiltre de Roys, & Roynes de Naples, Charles premier, Charles second, Robert, Jeanne premiere, André, Louys premier, Louys second, Charles troisiesme, Marguerite, Ladislao, Jeanne seconde, qui tous furent tirez du tige de Charles premier, & Jacques de Bourbon Comte de la Marche mary de Jeanne deuxiesme.

Charles I. frere de nostre bon Roy S. Louys, fut Comte d' Anjou de son estoc, & par Beatrix sa femme Comte de Provence.

De luy & d' elle nasquit Charles II. dit le Boiteux, qui espousa Marie fille unique d' Estienne Roy de Hongrie, & de ce mariage nasquirent 14. enfans, 9. masles & 5. filles, desquels toutes-fois je ne toucheray que 4. Charles, Robert, Philippes & Louys.

Charles fils aisné surnommé Martel, fut apres le decez d' Estienne son ayeul maternel, couronné Roy de Hongrie, du consentement de ses pere & mere.

Robert qui apres le decez de Charles le Boiteux son pere se fit proclamer Roy de Naples.

Philippes Prince de Tarente. 

Louys Duc de Durazzo.

De ces quatre Princes enfans de Charles II. sourdit la suitte des autres Roys & Roynes.

Charles Martel Roy de Hongrie eut un fils nommé Charles, Nombert, autrement Charrobert, d' un mot composé de Charles nom de son pere, & de Robert son oncle & parrain: Cestuy ne fut Roy de Naples, mais de luy nasquirent deux enfans Louys & André, qui par la rencontre du temps & des affaires, porterent diversement ce tiltre.

Du Roy Robert vint Charles seul fils qui predeceda son pere, delaissées trois filles, Jeanne, Marie, & Marguerite, dont la premiere & derniere furent intitulees Roynes.

De Philippes Prince de Tarente nasquit un seul fils nommé Louys, qui fut aussi Roy de Naples.

Louys Duc de Durazzo eut Charles, duquel nasquit un autre Charles qui porta le tiltre de Roy: Et de luy vindrent Ladislao, que nous appellons en nostre vulgaire Lancelot, & Jeanne II. tous deux qualifiez Roy & Royne. Genealogies ausquelles trouverez les Couronnes diversement advenuës, à quelques uns par le Droict reiglé de nature, aux autres par le desreiglé de fortune, selon que les occasions leur mirent le sujet en main.

Les Papes attediez de longues guerres & differens qu' ils avoient eus contre Federic second Empereur du nom, Roy de Sicile, voulurent exterminer sa race en la personne de Mainfroy son bastard, lequel par voyes induës s' estoit emparé du Royaume au prejudice de Conradin son nepueu & pupille. Pour y parvenir fut en l' an 1262. par eux appellé Charles Comte d' Anjou, Prince d' une magnanimité admirable, mais aussi d' une ambition desmesuree, & sans frein. Luy promettant de l' investir du Royaume, s' il pouvoit chasser Mainfroy. Sur cette promesse, il s' y achemine; Toutes choses luy rient sur son advenement. Mainfroy par luy desconfit, & occis en bataille rangee, Charles & Beatrix sa femme couronnez Roys par le Pape le jour & feste des Roys, l' an 1265. moyennant certain grand tribut, qu' ils promirent par chacun an au S. Siege. En quoy il y a diverses leçons: car les uns disent quarante mille ducats, les autres quarante huit, & les autres une hacquenée seulement par honneur, pour recognoissance de son hommage. Outre cela luy est conferé l' Estat de Senateur de Rome dedans la ville, & de Vicaire de l' Empire par toute l' Italie. Celuy-là premier Estat politic de la ville, & cestuy-cy du plat pays. Il est en outre gratifié par la Royne Marie du tiltre de Roy de Hierusalem, que ses successeurs n' oublierent en leurs qualitez de parade. Se fait continuer le tribut payé par la ville de Tunes à ses devanciers. Et comme il n' aspiroit qu' à hautes entreprises, aussi se promettoit-il l' Empire de Constantinople sur les Paleologues. Vainquit en champ de bataille Conradin: Victoire qu' il estimoit l' asseurance de son Estat: mais comme il est plus mal-aisé de mesnager sa bonne, que sa mauvaise fortune, aussi mettant sous pieds tout droict de guerre, auquel tous Princes Souverains sont obligez, il soüilla ses mains dedans le sang du jeune Conradin, & de Henry Duc d' Austrie son proche parent ses prisonniers de guerre, qu' il fit decapiter en plein marché, comme s' ils eussent esté ses justiciables. Le semblable fit-il à plusieurs Seigneurs de leur suite, non seulement du Royaume, mais aussi des pays estranges, & abatre tous les Chasteaux, tant des Gentils-hommes presens, qu' absens: Esperant que par ces morts, ruines & abbatis la voye seroit elaguée à sa domination. Playe qui seigna depuis longuement en luy, & toute sa posterité. Sujet du present discours, auquel j' ay donné quelque atteinte au Chapitre des Vespres Siciliennes, Livre 7. mais non si ample qu' en cestuy.

Dieu permit que Pierre Roy d' Arragon mary de Constance fille de Mainfroy, s' impatroniza du Royaume de Sicile, par les pratiques & intelligences des Gentils hommes mal contens du pays, qui s' estoient garentis par une bonne & prompte fuite, lesquels en un jour entr'eux assigné, au son d' un toxin general par tout le pays, massacrerent tous les François, sans exception de sexe, ny d' âge, ne pardonnant pas mesmement aux femmes Siciliennes qui se trouvoient estre enceintes de leur faict. De maniere que là où au precedant ce Royaume estoit compris sous le nom de la Sicile, on commença d' en faire deux lots. L' un qui estoit au delà du Far, occupé par l' Arragonnois, auquel fut continué le nom de Sicile, & l' autre au deça, qu' on appella Royaume de Naples, qui demeura és mains de Charles & des siens: Lequel au lieu de conquerir l' Empire de Constantinople, comme il s' estoit promis, alla de là en avant tousjours en empirant en toutes ses affaires jusques au dernier souspir de sa vie, & les Papes mesmes petit à petit luy retrancherent les grandeurs qu' ils luy avoient du commencement octroyées.

Ce Roy desirant estre tout ou rien, somma par cartel de deffi le nouveau Roy de Sicile, d' entrer en champ clos contre luy, a fin que leur differant fust vuidé par la decision de leurs espees seulement. Gage de bataille accepté par l' Arragonnois, du consentement du Pape qui leur bailla pour juge le Roy d' Angleterre: Occasion pour laquelle l' assaillant choisit pour lieu du combat la ville de Bourdeaux, dont l' Anglois joüissoit lors. Avant que de partir il laissa le gouvernement de son Royaume à Charles le Boiteux son fils, avecques tres-expresses inhibitions & deffences de faire aucune sortie, ains de se tenir clos & couvert en attendant son retour. 

L' Arragonnois laisse en la Sicile la Royne Constance sa femme, assistee de Doria son Admiral, Capitaine grandement duit & pratic au faict de la guerre marine. Les deux Princes ayant donné ordre à leurs Royaumes, tel qu' il leur avoit pleu, font voile, & nommément le Roy Charles arrive à Bourdeaux à jour prefix, en bonne deliberation de combattre, mais l' Arragonnois plus retenu y defaut: Au moyen dequoy Charles estimant avoir satisfaict à son devoir, s' en part de la ville, & quelques jours apres son ennemy y arrive, qui ne deliberoit d' entrer au combat que par mines. Et à vray dire Charles avoit en ce party quelque advantage sur l' honneur de l' autre, mais de malheur, ce n' estoit pas le recouvrement de son Royaume perdu. Au contraire Doria pendant ce temps attaquoit le Royaume de Naples avecques une puissante armee de mer, attirant le plus qu' il luy estoit possible au combat. Charles le Boiteux, auquel les mains demangeoient, nonobstant les commandemens à luy faicts par le Roy son pere, en fin la patience luy eschappe, & rame en plaine mer, suivy de toute sa Noblesse. Pour le faire court les deux armees se heurtent: La victoire demeure à Doria, qui prend prisonnier le jeune Prince, lequel il envoya à la Royne Constance avecques neuf de ses principaux favoris: Et quant aux autres il fit decapiter sur le champ deux cens Gentils-hommes Napolitains.

Quelque temps apres Charles I. va de vie à trespas l' an 1484. (7.1.1285) mort certes merveilleusement piteuse. Car il veit avant que mourir la fleur de la Noblesse Napolitaine avoir aux despens de sa vie contregagé la cruauté insolente de luy: son fils unique entre les mains de ses ennemis, la moitié de son Royaume perduë: & l' autre grandement esbranlee, si par un doux remords de vengeance on eust exercé en ce jeune Prince, ce que le pere avoit fait contre Conradin. Comme de fait par Arrest du Conseil d' Estat de Sicile, luy & neuf Seigneurs de sa suitte, furent condamnez à mort. Arrest toutesfois dont la Royne Constance, d' une puissance absoluë remit l' execution à la volonté du Roy son mary, auquel elle envoya les prisonniers: Clemence accompagnee d' une grande sagesse, que Dieu depuis retribua à sa posterité.

La prison fut de quatre ans, au bout desquels elle fut ouverte à Charles II. dit le Boiteux, moyennant les paches capitulez entre les deux Princes: Et quelques mois apres mourut le Roy Pierre, delaissez trois enfans, Aufur, Jacques & Federic. Aufur decede peu apres, tellement que Jacques succeda au Royaume d' Arragon, & Federic à celuy de Sicile. Ce nouvel accident apporta nouvelle face d' affaires: grandes guerres entre les deux Roys: finalement assopies soubs cette condition que Federic joüyroit seulement sa vie durant de la Sicile, laquelle apres sa mort retourneroit à la famille de Charles. C' estoit luy donner prou de loisir pour s' asseurer du cœur des subjects, & consequemment de tout le pays.

Charles II. fut conjoint par mariage avecques Marie seule fille d' Estienne Roy de Hongrie, & mourut en l' an 1309. delaissez quatorze enfans. Or combien que la multitude des enfans procreez en loyal mariage, soit l' une des premieres benedictions de Dieu en ce bas estre, toutes-fois cette belle reigle faillit en cette famille: Car vous n' y verrez dores-en avant que troubles, partialitez, & divisions, pendant lesquelles la Maison d' Arragon asseura son Estat. Et qui est chose digne d' estre remarquee, celuy que les Historiographes estiment avoir esté entre les Roys de Naples le plus preud'homme, qui est Robert, en fut la premiere source.

Des enfans de Charles II. y en eut trois, dont le premier nommé Charles Martel fut du consentement de ses pere & mere, fait Roy de Hongrie, apres le decez du Roy Estienne son ayeul maternel. Louys II. fils fut Evesque de Tholose, & le troisiesme fut Robert. Charles Martel alla de vie à trespas avant son pere, delaissé Charles Nombert, ou Charrobert son seul fils, qui fut aussi apres la mort de son pere Roy de Hongrie. A luy par droict de representation de son pere devoit appartenir le Royaume de Naples, suivant la disposition du droit commun des Romains observé de toute ancienneté dedans l' ltalie, toutes-fois Robert son oncle puisné s' en empare, non comme plus proche habile à y succeder, mais comme plus proche sur les lieux pour y succeder. C' est le premier traict d' injustice que je voy avoir esté commis en cette famille apres la mort de Charles II. qui produisit une grande querelle entr'eux. Car Charrobert, voisin de Henry VII. Empereur d' Allemagne, l' attira à sa cordelle, lequel par Arrest declara Robert usurpateur & incapable de la Couronne de Naples. Au contraire Robert qui estoit dedans Avignon l' hoste du Pape Clement V. obtint de luy Arrest à son profit, par lequel le Pape cassa & annulla celuy de l' Empereur, sur quelques nullitez & formalitez, sans entrer au merite du fonds: comme l' on peut voir par la Clementine Pastoralis. De re iudicat. De moy, pour en parler sans passion, je croy que le plus beau jugement est celuy, qui fut donné par Robert. Il avoit eu un fils nommé Charles qui le predeceda, delaissees trois filles, Jeanne, Marie, & Marguerite. Et le Roy Robert estant sur le point de sa mort, meu d' un sindresse de sa conscience, institua par son testament pour heritiere universelle, Jeanne l' aisnee de ses arriere-filles, à la charge d' espouser André son cousin fils puisné de Charrobert, lequel comme j' ay remarqué cy-dessus avoit eu deux enfans masles, Louys & André. Jugement plein de sagesse, & de droicture, comme noüant par iceluy sa famille avecques celle à laquelle pour son droict d' ainesse appartenoit la Couronne à juste tiltre.

Ny pour cela toutesfois les choses n' en furent pas mieux establies. Car ce mariage ayant esté consommé, Jeanne qui estoit d' un desir insatiable au plaisir du lict, & son mary pour estre d' une matiere floüette ne pouvant fournir à l' appointement, cette mal-heureuse Princesse donna ordre de le faire estrangler de nuict d' un cordon de soye par elle tissu. Et qui est chose digne d' estre recitee, ainsi qu' elle le tissoit, le Roy André luy demandant à quoy estoit bon cet ouvrage: Pour vous estrangler (respondit-elle en se sousriant) parole que le mary tourna en risee, qui sortit toutes-fois son effect. De faire contenance, ny du dueil de ce cruel meurtre, ny de la recherche du meurdrier par une sage hypocrisie, ce fut une leçon à elle incognuë. Au contraire elle convola du jour au lendemain en secondes nopces, quoy que soit non long temps apres, avecques Louys Prince de Tarente son cousin tenant le dessus de germain sur elle. Mariage qui avecques les deux autres circonstances, asseura ce dont on avoit auparavant douté. Chose que Louys Roy de Hongrie frere aisné d' André, prenant à cœur, & semonds, tant du devoir d' une juste vengeance, que par les prieres de tout le peuple, indigné d' un assassin si detestable, s' achemine avecques une puissante armee à la Poüille: La Royne Jeanne & le Roy Louys son mary, se voyans denuez de toutes forces sortables pour faire teste à leur ennemy, apres avoir donné la charge à Charles Duc de Durazzo leur cousin de tout le Royaume, s' enfuyent en leur pays de Provence, où ils se blotirent, pendant que ce torrent des Hongres s' escouleroit. Ainsi le veux je appeller, parce que Louys Roy de Hongrie, apres avoir levé quelque obstacle, qui luy vouloit barrer le cours, se feit voye par tout le pays, comme un torrent, tant estoient les volontez des sujets à luy voüées contre la Roine & son mary. Le premier mets dont il se repeut, fut de la teste de Charles Duc de Durazzo, qu' il luy fist trancher, tant pour avoir participé à la mort d' André, que s' estre incestueusement comporté avecques la Roine sa cousine. Et en moins de trois mois se fit proclamer Roy de Naples & de Hierusalem.

La Roine Jeanne premiere & son mary reduits aux termes de desespoir se jettent entre les bras du Pape Clement VI. comme derniere ressource contre leur mal-heur. Luy qui estoit grand sage-mondain ne voulut laisser envoler l' occasion qu' il voyoit estre à son apoinct. Il leur promet toute faveur & assistance, mais en la promettant, leur ramentevoit le tribut stipulé par le Pape Clement IV. du Roy Charles I. quand il l' investit du Royaume: Tribut pour lequel estoient deus infinis arrerages, desquels il compose avecques eux, & pour en demeurer quittes par une cottemote taillee, Jeanne luy cede & transporte la ville & Comtat d' Avignon, appartenances & dependances. Voila comme le ciel & la terre s' armerent contre cette meschante Princesse, pour vanger la mort d' un pauvre Prince innocent. Le contract en estant fait & passé, il ne cousta pas beaucoup au Pape d' investir Louys Tarentin & Jeanne sa femme des Royaumes de Naples, Sicile & Hierusalem: Et neantmoins ne laissa de procurer une paix pour les reintegrer dedans leur Estat. En quoy il eust esté tres-empesché si le malheur du temps ne luy eust facilité la voye. Parce qu' il survint dedans toute l' ltalie une peste la plus espouvantable qui oncques eust esté auparavant veuë, telle representee par Bocasse, sur le commencement de son Decameron, & par Petrarque dedans ses Epistres. Qui occasionna le Roy de Hongrie de deguerpir le pays, apres y avoir laissé pour Gouverneur le Vaivode, l' un de ses plus signalez Capitaines, & emmena quant & soy Charles de Durazzo jeune Prince, fils unique du decapité. Tout ainsi que les Napolitains à la chaudecole luy avoient voüé une admirable bien-vueillance, grandement confirmée par sa presence, aussi leur colere s' estant refroidie, l' ayans inesperément perdu, cette violente affection commença de se refroidir, & de tourner par mesme moyen leur courroux en une pitié envers leur Roine, qu' ils voyoient ainsi mal-menee par la fortune. Mesmes que le Pape y avoit envoyé son Legat pour pacifier toutes choses. C' est pourquoy le Roy de Hongrie cognoissant la legereté des Napolitains, l' inopiné changement de leurs volontez, la grande distance de la Hongrie à la Poüille, davantage que le Pape s' engageoit dedans cette querelle, & qu' en voulant conserver à soy le Royaume de Naples, il se mettoit en danger d' en perdre deux, il condescendit en fin à la paix: Mais à la charge que la Roine venant à faillir, le Royaume reviendroit à luy & aux siens. Belle hypocrisie pour couvrir la honte de cet accord, a fin qu' en tout ce qu' il avoit acquis en la Poüille, on ne l' estimast avoir esté un champignon de fortune.

En cette façon fut la Roine Jeanne premiere restablie avec le Roy Louys son mary, qui mourut quelque temps apres tout alengoury, pour avoir voulu faire trop grande preuve de ses forces sur celle qui ne pouvoit, ny se vouloit rendre. Et elle ne pouvant demeurer longuement en friche, se remaria en troisiesme nopces avec un Jacques d' Arragon, Infant de la Maiorque, beau Prince, & bien proportionné de ses membres, sous condition toutes-fois qu' il se contenteroit seulement du tiltre de Duc de Calabre, lequel elle fit mourir pour une jalousie qu' elle conceut, qu' il faisoit bon marché de son corps à quelques autres Dames de sa Cour. Elle ressembloit proprement au cheval Sejan, que l' ancienneté disoit avoir eu ce malheur, que tous ses Maistres qui l' avoient monté estoient peris de morts violentes. En fin elle eut pour quatriesme mary un Othon de la Maison de Saxe, portant qualité de Duc de Bronzuic, lequel ne prit aussi tiltre de Roy pendant son mariage. Avant que de passer plus outre, je feray une saillie, non peut-estre mal à propos, puis que l' occasion s' est presentee de vous avoir cy-dessus touché comme les Papes se firent Seigneurs proprietaires de la ville & Comtat d' Avignon. Cette ville estoit de l' ancien patrimoine des Comtes de Provence, jusques au Siege & Pontificat de Clement VI. Ce neantmoins Clement V. s' y estoit habitué avec toute la Cour de Rome, dés l' an mil trois cens. Et vrayement je suis contraint de dire, que ce Pape fut d' un esprit merveilleusement bizerre, & d' une volonté bizerrement absoluë, d' avoir quitté cette grande ville de Rome premiere de la Chrestienté, de laquelle ses predecesseurs, par une longue possession, s' estoient acquis la domination souveraine, pour se venir loger, par forme d' emprunt, en un arriere-coin de la France, dedans la ville d' Avignon, nid à corneilles au regard de l' autre. Car mesmes outre le desordre que ce changement apporta à nostre Eglise, cette longue absence d' Italie occasionna une infinité de petits tyrans, par faute de controlle d' un plus grand, de se faire Seigneurs absoluz d' unes & autres villes, au grand prejudice, tant du Sainct Siege, que de l' Empire. Absence qui commença de prendre fin soubs Gregoire unziesme Limosin, & voicy comment. Ce Pape plein de zele & devotion, devisant avecques un Evesque, luy dit qu' il seroit beaucoup mieux pour le devoir de sa conscience, s' il residoit sur son Evesché, laquelle demeuroit par son absence veufve de son espoux. A quoy fut respondu par l' Evesque: Que tout ce qu' il faisoit en cecy estoit à l' exemple de luy, lequel aussi ne faisoit sa residence en son grand Evesché de Rome. Cette response toucha si fort le cœur du Pape, que deslors il se voüa du tout au retour, lequel il executa si dextrement, qu' au desceu de tous ses Cardinaux il arriva à Rome, laquelle avoit senty l' eclypse de son Soleil l' espace de 70. ans. Car en l' an 1306. Clement V. s' estoit venu loger en Avignon, & en l' an 1352. Clement VI. en achepta la proprieté. Et Gregoire XI. en quitta la demeure l' an 1376. Ce bon Pape fut receu par le peuple Romain, avecques une infinité d' applaudissemens & acclamations publiques, & mourut l' an 1378. au tres-grand regret de ce mesme peuple, qui perdit lors son vray pere. Les Cardinaux entrans au Conclave, furent priez par le peuple de se souvenir que la ville de Rome estoit le vray siege des Papes, & pour cette cause qu' ils jettassent leurs yeux sur un Pape Italien: Le nombre des Cardinaux Italiens estoit petit au regard de celuy des François. Les Romains pour suppleer ce defaut, feignans de vouloir asseurer le Conclave mettent plusieurs gendarmes aux environs, mais en verité c' estoit pour intimider les François, à ce qu' ils n' appellassent à la Papauté autre Prelat que de la nation d' Italie. L' affaire est ourdie & conduite de telle façon, que par le suffrage volontaire des uns, & par la crainte des autres fut esleu Pape, Urbain VI. Italien, qui establit son Siege dedans Rome. Les Cardinaux François d' Avignon ne peuvent en leurs ames bonnement digerer cette eslection. Et dissimulans leurs intentions ils obtindrent congé du Pape, d' aller prendre l' air ailleurs pour leurs santez, estans (ainsi qu' ils disoient) inaccoustumez à celuy de Rome. Se transportent premierement en la ville d' Ananie, puis en celle de Fundi, où par un monopole fait avec la Roine Jeanne, qui ne vouloit priver son Comté de Provence de cette grande Cour de Rome, fut par eux esleu celuy qui depuis se fit nommer Clement VII. dont nos Historiographes Ecclesiastics n' ont fait estat en nostre Eglise, non plus que de Benoist XIII. son successeur, comme estans Anti Papes. Cette Roine Jeanne estoit si mal née, que tous ses desseins visoient à mal faire. Et tout ainsi que ce dernier coup d' elle causa une infinité de maux au S. Siege, aussi fut-ce l' accomplissement & dernier periode de ses mal-heurs.

De ces deux diverses eslections, & habitations de Papes nasquit un honteux schisme en l' Eglise, qui prit traict l' espace de quarante ans. Urbain indigné contre la Roine Jeanne l' excommunie, & declare indigne du Royaume de Naples, au contraire Clement VII. l' absout de toutes ces censures, & confirme en tous ses Estats. Grande authorité de l' un, & non moindre de l' autre en plusieurs lieux. Pour accommoder ces deux grandes puissances spirituelles, chacun endroit soy, on eut recours aux temporelles. Urbain somme par Ambassades Louys Roy de Hongrie de reprendre la possession du Royaume qui loyaument luy appartenoit. Clement conseille la Roine pour sa protection & deffense, d' adopter à fils un autre Louys Duc d' Anjou Regent en France, & oncle du Roy Charles VI. lors mineur. Quoy faisant, voulant asseurer l' Estat de la Roine, il asseuroit le sien dans la France. Gaignant par ce moyen la bonne grace de celuy lequel sembloit estre le ressort general des affaires, comme Regent. Toutes-fois au choix de ces deux partis il y avoit bien plus de force en celuy de Hongrie qui estoit Roy par effect, qu' en l' autre qui l' estoit seulement par image. Comme aussi les evenemens nous en rendirent bon tesmoignage. Car Charles de Durazzo ayant esté fait general de l' armee du Roy de Hongrie son cousin, donna si bon ordre à son fait qu' entrant dedans la ville de Naples par une des portes, Othon mary de Jeanne s' enfuit par l' autre. Bataille entr'eux deux: où Othon eut du pire & fut pris. Et quelque peu apres cette Princesse qui s' estoit retiree dedans la roque de Chasteauneuf se rendit à luy prisonniere, estimant qu' il luy feroit bonne guerre, & telle que sa qualité requeroit. Toutes-fois apres avoir eu l' advis du Roy Louys, il la fit pendre & estrangler au mesme lieu qu' elle avoit fait estrangler le Roy André son mary, & encores d' un cordon de las de soye, tout ainsi comme elle avoit faict: & tout d' une suite fit trancher la teste à Marie sœur de Jeanne, veufve de Robert Comte d' Arthois, pour ses desbordees impudicitez, mais paravanture pour asseurer son Estat, ayant espousé Marguerite troisiesme sœur de ces deux Princesses.

Ainsi fut-il investy par le Pape Urbain VI. Roy de Naples: & ainsi faisant les affaires du Roy son Maistre & cousin, fit-il les siennes propres. Luy qui estoit Prince du sang, & avoit espousé celle à laquelle apres le decez de ses deux sœurs, sembloit devoir appartenir le Royaume, Louys Duc d' Anjou I. de ce nom fils adoptif de Jeanne entra dedans l' Italie, faisant contenance de vouloir guerroyer le Roy Charles III. du nom, mais son voyage ne fut qu' entree & issuë. Discours que je reserve pour une autre fois.

Voila la fin, & du regne, & de la vie de la Roine Jeanne, & commencement de la Maison de Durazzo qui regna depuis longuement dedans la Poüille, & la Calabre. Or comme il advient souvent qu' en une grande famille des Princes du sang en un Royaume, les premiers estans richement assortis, ceux qui les suivent d' aages ne sont pas lotis de mesme: Aussi advint-il le semblable aux neuf enfans masles du Roy Charles le Boiteux. Car apres que Charles Martel son fils aisné eut esté fait Roy de Hongrie, & Louys son second Archevesque de Tholose, & que Robert III. en rang, se fut empieté de l' Estat de Naples, tous les autres qui les suivirent d' aages prindrent diverses qualitez, si vrayes, ou non, je m' en rapporte à ce qui en est. Tant y a qu' ils furent Princes du Sang, tiltre qui apres celuy de Roy, est l' outrepasse de tous les autres. Et entre ces neuf freres y eut un second Louys que les uns appellerent Duc, les autres Comte de Durazzo, ayeul de Charles III. nouveau Roy: Mais en quel lieu fut situé ce Duché, ou Comté, nulle mention dedans les histoires. Si vous lisez Platine en la vie de Clement VI. il l' appelle Carolum Dyrachinum. Qui seroit le rapporter à la ville de Dyrachium, tant solemnizée par la victoire qu' obtint Pompe contre Jules Cesar. Mais cette ville estoit assise en la Macedoine. Quoy qu' il en soit cette famille de Durazzo obtint assez longuement la domination de Naples. Car Charles III. commença de regner absolument l' an 1380. & se continua cette domination jusques à la mort de Jeanne de Durazzo sa fille, qui fut en l' an 1432. qui sont 52 ans.

Quelque temps apres l' advenement de Charles à la Couronne de Naples mourut Louys Roy de Hongrie, delaissée une seule fille nommée Marie, du commencement pour son bas aage exposée sous la puissance & authorité de la Roine sa mere. Les Hongres ne pouvoient bonnement gouster que leur Couronne tombast en quenoüille: & de fait pour monstrer combien cela leur estoit à contre-coeur, parlans de leur Roine, ils en faisoient un masculin, l' appellans le Roy Marie: Placard digne d' estre remarqué. En fin cognoissans qu' entre les collateraux du deffunt, il n' y avoit Prince plus proche habile à luy succeder (cette jeune Princesse sa fille ostee) que Charles III. Roy de Naples, il fut par les Seigneurs de Hongrie appellé à leur Royauté: Semonce à luy agreable, & fut par eux favorablement receu: Voire par les deux Princesses, dont la fille renonça franchement en faveur de luy à tout le droit qu' elle pouvoit pretendre à la Couronne. Mais Isabeau sa mere ne pouvant porter patiemment cette indignité fit un tour de Maistre. Car apres que Charles eut esté couronné Roy, estant en la ville de Bude, il est par elle convié en un grand banquet, & ainsi qu' il estoit à table, fut par un homme, par elle attitré, tué d' un coup de hache, qu' il luy donna sur le chignon du col, dont il rendit l' ame sur le champ.

Mourant il laissa deux enfans, Ladislao & Jeanne sous le gouvernement de la Roine Marguerite leur mere. Mais les nouvelles de sa mort arrivees, les Napolitains, pour ne deschoir du privilege de legereté qui leur est de toute ancienneté familier, se revolterent. En cecy secondez, & d' un nouveau mescontentement que le Pape Urbain avoit conceu contre le deffunct, & d' une nouvelle opinion de changement, en faveur de Louys II. Duc d' Anjou qui pretendoit la Couronne luy appartenir comme heritier de Louys I. son pere, fils adoptif de la Roine Jeanne. Toutes-fois la mort du Pape Urbain advenuë, qui eut pour successeur Boniface IX. il investit & couronna Ladislao Roy, soustenant sa cause envers & contre tous. Guerres intestines dedans le pays, les aucuns de la Noblesse soustenant le party du Roy Ladislao, sous l' authorité du Pape Boniface, & les autres celuy de Louys assisté du Pape Clement VII. Villes partialisées, qui pour l' un, qui pour l' autre, toutes-fois en fin Ladislao demeure Maistre du tapis. Et comme Prince qui estoit l' un des plus grands Guerriers & Capitaines de son temps, apres qu' il se fut rendu paisible de son Royaume de Naples, non toutes-fois de son esprit, il se voulut rendre Maistre & Seigneur de la ville de Rome, ainsi qu' il fit en l' an 1413. & lors de la prise d' icelle, il raffla tous les deniers & meubles des Florentins qui y hebergeoient. Et ce pour une haine particuliere qu' il leur portoit. Qui luy cousta puis apres la vie. Car s' estans enamouré de la fille d' un Medecin, avec laquelle il prenoit souvent son esbat, le pere gaigné par quelques Florentins, moyennant grande somme de deniers, promit d' empoisonner le Roy. Et pour y parvenir voicy la police qu' il y tint. Il donna un certain poison à sa fille, qu' il disoit estre un oignement amatoire, de laquelle frotant sa nature, elle gaigneroit de plus en plus le cœur du Roy, quand il avroit sa cognoissance. A quoy la pauvrette obeïssant, comme à un conseil de pere, à l' issuë du premier combat, le Roy & elle se trouvans empoisonnez moururent d' un mesme coup. Telle fut la fin de ce grand guerrier, qui ne pouvoit mourir par les armes.

Il laissa Jeanne de Durazzo sa sœur son heritiere, seconde Roine de ce nom, veufve, qui faisoit banque de paillardise & impudicité dedans sa maison. Et ne fust jamais arrivee à ce haut point, n' eust esté qu' elle se trouva environnee de 16. mille hommes de guerre, commandez par Sforce I. l' un des plus grands & signalez Capitaines de son temps. Vous ne verrez en son regne que guerres, non civiles, ains domestiques. Et c' est pourquoy en elle finit dedans ce Royaume la premiere famille d' Anjou. Et estoit gouvernée par deux, ausquels selon le bruit commun, elle faisoit part de son honneur. Par Pandolfe Aloppe son Chambellan, & par le mesme Sforce au grand despit & regret de tout le peuple. Du premier, on ne faisoit nulle doute, du second, le jeu estoit plus couvert. Mais elle pour assopir ces bruits, delibera de se marier, & choisit pour son mary Jacques de Bourbon, Comte de la Marche, à la charge que l' espousant il ne changeroit le tiltre de Comte. Ce qu' il promit, mais le mariage accomply, il s' en voulut faire croire. Car sous le tiltre & qualité de Roy de Naples, il fit mourir Pandolfe, mettre en prison le Capitaine Sforce, & appliquer à la question, pour s' esclaircir des bruits sourds qui couroient de luy, tint la Roine recluse dedans une chambre, ne luy permettant d' avoir aucune communication des affaires d' Estat, mesmes n' avoit la compagnie d' elle que par jeux mesurez, & fort sobrement. Le tout par la suggestion d' un Jules Cesar Gentil-homme Capoüan qui s' insinua aux bonnes graces du Roy dés son arrivée. Et pour comble de ses insolences, il osta les charges publiques aux Napolitains, pour en revestir les François. Qui tint en ceruelle tous les Italiens contre luy: mesmes le Jules Cesar dont j' ay presentement parlé.

Or est-il que le Roy ayant grande confidence en cestuy l' avoit par exprez commis pour faire compagnie à la Roine sa femme, c' est à dire pour observer ses actions & deportemens: Avec lequel elle estoit en mauvais mesnage, quelque beau semblant qu' elle luy fist, comme celle qui le sçavoit avoir esté le premier autheur & promoteur de tout ce nouveau mesnage du Roy, & aussi qu' on le luy avoit baillé pour controlleur: mais luy d' un esprit remuant, indigné d' un costé de l' avancement des François au prejudice de ceux de sa nation, d' ailleurs desirant d' entrer en la bonne grace de la Roine qu' il sçavoit estre sa Dame naturelle, commença d' ourdir autre tresme, & projetter d' assassiner le Roy. Et parce qu' il estimoit que ce dessein ne seroit desagreable à la Roine, ainsi mal menée par son mary, comme dit est, la chevala à diverses fois par ambages, pour sçavoir quelle pourroit estre son opinion sur pareilles affaires. En fin la trouvant assez fouple & disposée, sur ce qu' il luy proposoit en general, prit la hardiesse de luy esclorre en particulier ce qu' il couvoit en sa pensee. Le tout pour le service de vous (disoit-il) Madame, & de vostre deliurance. Ce que la Roine fit contenance d' avoir pour tres-agreable, mais elle qui auparavant avoit dissimulé son maltalent avec une patience vrayement Italienne, pourpensa de se vanger de deux personnes tout d' un coup, de son mary, & de cestuy-cy. Car cette deliberation ainsi prise, elle la descouvre au Roy, & pour luy en faire preuve apparente le fit retirer dedans son cabinet, avecques quelques Seigneurs bien armez; Lors faict venir pardevers elle Jules, & demande quelle police il entendoit tenir pour mettre son entreprise à effect. Ce mal-heureux qui ne pensoit estre aguetté, luy discourt tout au long & par le menu, quand, comment, & en quel lieu il entendoit y proceder. Adoncques le Roy, juge, tesmoin, & partie, & les Seigneurs qui estoient avec luy, sortent de leur embusche, & se saisissent du traistre, qui est aussi tost mis entre les mains du Juge, & exposé au supplice. Voila le premier traict de vengeance de la Roine, entendez maintenant le second. Le Roy estimant par cet acte, avoir recogneu en sa femme une fidelité admirable, commença de se donner le tort, & de luy lascher la bride. Et elle se voyant au large, l' entretient par faux semblans, & cependant gaigne soubs main un Otin Carracioli, & un Hennequin Morinelle, celuy-là chef de part des Nobles, cestuy-cy du commun peuple; Nobles, dis-je, & menu peuple, tous deux ayans unanimement conceu une haine mortelle contre le Roy pour avoir advantagé les François, à leur honte & desadvantage: Ces deux personnages bien suivis se mettent en pleine place, avec leurs confidens bien armez, & massacrent à l' impourveu tous les officiers de la nation Françoise. Et quant au Roy, il est par eux, si non gardé, pour le moins soigneusement regardé, & ordonné qu' il licentieroit d' autour de luy tous les François, fors quarante. Tout d' une main les portes de la prison sont ouvertes au Capitaine Sforce. La Roine pour payer son mary de mesme monnoye qu' il luy avoit prestee, luy prescript l' ordre qu' il devoit tenir toutes & quantes fois qu' elle le voudroit admettre avec elle. Bref, le reduit au mesme pied pour l' examen des affaires, qu' elle avoit esté reduite par luy. Ce pauvre Prince voyant toutes choses conjurer contre luy dedans Naples, mesme qu' il seroit mal-aisé que Sforce puissant ennemy ne se voulust ressentir des outrages par luy receuz dedans la prison, se desrobe à petit bruit une belle nuit, vogue en pleine mer, arrive à Marseille, delà vient en sa maison, & comme il estoit Prince qui s' attachoit aux extremitez, quelques mois apres se rend Moine, par desespoir ou devotion. 

D' un autre costé la Roine ayant, ce luy sembloit, vent en poupe, fait voile à ses desordonnez appetits, retournant fort aisément à son premier naturel. Car mettant sous pieds, & son honneur, & les mauvais bruits, elle s' enamoure d' un Jean Carracioli Gentil-homme Napolitain, & le faict grand Seneschal de son Royaume. Auquel la grandeur de Sforce estant suspecte, il donne ordre de le faire desarçonner. Nouveau sujet de Tragedie: car le Pape Martin V. irrité contre la Roine Jeanne, la declara vers ce mesme temps descheuë du droict de la Couronne par elle pretendu, & en investit Louys III. Duc d' Anjou: Qui arriva en Italie avec une grande armee pour en prendre possession. La Roine se voyant sur les bras trois puissans ennemis, le Pape, le Duc d' Anjou, & Sforce, pour obvier à cette tempeste, adopte & prend à fils, Alfonce Roy de Sicile, lequel arrive dans le Royaume avec une autre grande armee, favorablement accueilly dedans la ville de Naples. Bataille liuree entre les deux, le Roy Alfonse mis en route, plusieurs Barons & Capitaines pris par Sforce dont la rançon valoit quatre-vingts mille escus pour une fois payee. A cette victoire, Sforce Conducteur de l' orne, sonna un Hola, ne pouvant mettre en oubly les anciennes faveurs qu' il avoit receu de la Roine, laquelle aussi deslors se reconcilia sous main fort aisément avec luy, sans toutes-fois que pour l' heure il retournast en sa Cour. Victoire qui demeura par ce moyen infructueuse à l' Angevin, le Capitaine Sforce luy faillant de garand. La Roine estimant par ce Hola, & taisible reconciliation, toutes choses luy estre asseurées, vivoit dedans la ville de Naples avec Alfonse son fils adoptif, se donnant cependant toute carriere avec son Carracioli. La guerre estrangere assopie, Dieu luy en liure une nouvelle dedans sa maison. Alfonse qui est mis entre les Roys, l' un des plus sages & accomplis de son temps, voyant la continuation de ces sottises, se resout de ne les plus passer par dissimulation. Il contrefait le malade, & est trois jours sans sortir de sa chambre. La Roine desirant sçavoir comme il se portoit, luy envoye Carracioli, lequel estant entré dans sa chambre est pris au corps, avec toute sa suitte, hors-mis un, lequel estant eschappé court de toute vistesse vers la Roine, à laquelle ayant faict recit de ce qui s' estoit passé, commande aussi tost de fermer les portes de son chasteau, dont bien luy prit. Car à peine en fermoit-on l' une, que le Roy estoit sur le pontlevy pour y entrer. Il se fait maistre de la ville, & assiege la Roine dedans son chasteau: elle appelle à son aide Sforce, qui y vient à grandes journees. Bataille donnee entr'eux dont Sforce obtint le dessus, Alfonce est contraint de se fermer avec Carracioli son prisonnier dedans la citadelle du Chasteau-neuf. Ces deux guerriers joüent au boute-hors, tantost l' un chassé de la ville de Naples, puis aussi tost restably à la ruine & desolation generale de tous. Il y avoit parmy ces troubles deux sortes de prisonniers, les Capitaines & Seigneurs Napolitains qui estoient entre les mains de Sforce, dont la rançon estoit grande, & entre celles du Roy Alfonce, le bien-aimé Carracioli: mais il y en avoit une troisiesme plus estrange, c' estoit la Roine, prisonniere de Carracioli, lequel elle ne pouvoit lors oublier. Pour se deliurer de prison, elle moyenne que Sforce rendroit tous ses prisonniers sans rançon, & qu' Alfonce en contr'eschange mettroit en pleine liberté Carracioli: Quoy faisant il ne restoit plus que la Roine sa prisonniere. Sforce condescend à la volonté de la Princesse, qui pour recompense des rançons luy faict present de quelques chasteaux & bourgades.

Les affaires se passans de cette façon; Alfonce se voyant disgratié de la Roine, s' en retourne à son Royaume de Sicile, & laisse la garde de la ville de Naples és mains de Pierre son frere. La Roine qui estoit és environs avoit une puissante armee pour l' envahir. Et par le conseil de Sforce, revoque son testament, & exherede Alfonce comme ingrat, & en son lieu fait Louys III. de ce nom Duc d' Anjou son fils adoptif, & l' instituë son heritier universel, non seulement au Royaume, mais aussi en la Provence, & generalement en tous & chacuns ses biens, terres & Seigneuries, dont furent passez instrumens authentiques. Sforce faisant nouvelle entreprise pour la Roine contre le party Arragonnois passant à gué le fleuve de Pescara, ainsi qu' il vouloit aider un qui se noyoit vers l' emboucheure de la mer, le train de derriere faillit à son coursier. De sorte qu' il fut tiré au fonds par la violence du fil de l' eau, & n' estant secouru de personne fut noyé, & oncques puis son corps ne fut veu. La Roine eut lors recours à autres grands Capitaines, entre lesquels fut Francisque Sforce fils du deffunct & Jacomo Caldora, qui reduisirent, & la ville de Naples, & le Royaume soubs la puissance d' elle.

Estant de cette façon paisible, elle fit Louys III. son fils adoptif, Duc de Calabre, bien aimé & courtizé tant de la Noblesse que du menu peuple pour la debonnaireté de ses mœurs. En mesme temps fut fait le mariage du fils de Carracioli, avec l' une des filles de Jacomo Codora (Caldora) avec une despence infinie telle que l' on eust peu desirer en un grand Monarque.

Au bout de tout cela voicy tout nouveau discours qui se presente au Royaume. Parce que Carracioli logé au Chasteau de Cappuana, pensant triompher de la fortune, quelques uns par le commandement de la Roine, l' allerent trouver de nuict, & comme ils le pressassent de se lever pour aller parler à elle, qu' ils disoient estre en grand danger de mort, pour un accident qui luy estoit de nouveau survenu: Luy se levant hastivement pour se vestir, la porte de sa chambre ouverte, il est tout aussi tost par eux assassiné. Puis son corps porté à demy chaussé, sur un aiz, hors du chasteau, sans aucun honneur, & comme un belistre. Et ne fut en apres informé, ny de la cause de la mort, ny de l' Autheur, ny des executeurs. Argument tant d' une grande inimitié ancienne du peuple, que d' une nouvelle de la part de la Roine contre luy.

Quelque temps apres Louys III. son fils adoptif surpris d' une fiévre chaude mourut en l' an 1434. sans delaisser aucuns enfans, ou heritiers de son corps, regretté de tous les Seigneurs du Royaume. Ainsi la Roine demeuree comme seule, passa au mesme an de cette vie en l' autre, ayant regné vingt ans, & en elle finit la race de la premiere famille d' Anjou, qui avoit joüy du Royaume dés & depuis l' an 1266. jusques à cette annee 1434. (qui disent 151. an) avec toutes sortes d' encombres, miseres, & calamitez. J' attendois en cette Princesse quelque mort honteuse ou tragique: toutes-fois Dieu se contenta qu' en elle cette grande famille prit fin.