Affichage des articles dont le libellé est Comtes. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Comtes. Afficher tous les articles

lundi 29 mai 2023

2. 13. Des Comtes, Baillis, Prevosts, Vicomtes & Viguiers.

Des Comtes, Baillis, Prevosts, Vicomtes & Viguiers

CHAPITRE XIII.

Les Comtez premierement n' estoient dignitez de telle parure comme nous le voyons aujourd'huy, ains de leur primitive institution estoient mots appropriez presque à toutes manieres d' estats qui estoient autour des Empereurs de Rome, rapportans les anciens, l' effect de ceste diction à la signification Latine. Pour laquelle cause estoient appellez ceux qui avoient superintendance, ou sur le Palais, ou sur l' Escuyrie, ou sur l' Espargne de l' Empereur, Comtes du Palais, Comtes d' Estable, & Comtes des Largitions, & ainsi presque de tous les autres. Verité est qu' à l' imitation de ceux-cy, les Courtizans, & Gentils-hommes qui estoient pris de la suitte des Empereurs pour aller gouverner les Provinces, prindrent semblablement en plusieurs endroicts ce tiltre de Comte: Comme nous voyons être faite assez frequente mention des Comtes de la Marche d' Orient. Et petit à petit ce nom s' espandit de telle façon, qu' il n' y avoit ville qui n' eust son Comte pour juge. Voulant chaque Juge rapporter sa grandeur, comme s' il eust esté tiré de la suitte & compagnie des Empereurs. De là vint que les François arrivans aux Gaules, y trouverent presque ceste generale police plantee, laquelle ils ne voulurent changer non plus que plusieurs autres. De ces Comtes ayans ainsi charge & superintendance de la commune Justice, vous trouverez être souvent faicte mention dedans les loix de Charlemaigne, & de Louys le Debonnaire son fils lesquelles en la plus part de leurs chapitres, ne chantent d' autre chose que la diligence que les Comtes doivent faire en leurs Comtez à rendre droit à chacun. Et fut cecy cause que sur une mesme ville y avoit un Duc, puis un Comte. Mais le Duc ayans sous soy plusieurs Comtes comme celuy qui estoit Visroy & Gouverneur, ainsi que j' ay deduit cy dessus, & les Comtes establis pour le faict de la Justice. Gregoire au chapitre septiesme du troisiesme de ses Histoires, dit qu' Ennode, qui estoit Duc de Tours & de Poictiers, fut osté de sa charge par le Roy Childebert, à l' instigation & pour suitte des Comtes d' icelles villes. Or comme ainsi fust que les Comtes prestassent residence assiduelle sur les lieux, comme Juges ordinaires des villes: & que pour ceste cause ils peussent commettre plusieurs abus & malversations, qui ne leur eust fait controlle: Pour y obvier, noz Roys s' adviserent d' une nouvelle police. Ils deleguoient certains Gentils-hommes de leur Cour, qui avoient tous leurs territoires distincts, desquels l' office estoit de vaguer par leur ressort, & cognoistre si les Comtes exerçoient bien & deuëment leurs offices, & s' il venoit quelque clameur du peuple encontre eux, ils en faisoient puis apres leur rapport au Roy. Ceux-cy exerceans cest office estoient appellez par nos anciens (Missi) desquels il est faict expresse mention en la Decretale premiere, au tiltre des immunitez des Eglises, dans laquelle il est dit en tels termes. 

Ut in domibus Ecclesiarum neque Missus, neque Comes, vel iudex publicus, quasi pro consuetudine, Placitum teneant, sed in publicis locis domos constituant, quibus placitum teneant. Qui est à dire: Nous defendons que l' Envoyé, le Comte, ou autre Juge public, ne tiennent point leurs plaicts dans les Eglises, souz pretexte de quelque coustume, ains qu' ils se pourchassent ailleurs un lieu pour ce faire. Qui monstre que lors que ceste constitution fut bastie, les Comtes estoient encores juges, & outre plus qu' il y avoit une autre espece de Juges, qui estoient appellez Missi. Aimoïn au chap. centiesme du 3. livre, les appelle d' un mot plus elegant (Legatos) & au dixiesme chap. du 4. Fideles ac creditarios à latere. Nos Croniques Françoises redigees par escrit du temps de Charles VIII. les ont appellez Messagers, & speciallement en un lieu, où parlant de l' Empereur Louys le Debonnaire, elles font mention, & des Comtes & des Messagers qui estoient en ceste France commis à l' exercice de la Justice. Lors (porte le passage) n' entrelaissa pas l' Empereur qu' il ne pensast du profit de la commune. Car il fit avant venir ses Messagers qu' il avoit envoyez par tout le Royaume, & s' enquist diligemment de chacun comment il avoit exploité. Et quand il sçeur qu' aucuns de ses Comtes avoient esté paresseux & lasches de leurs terres garder, & de prendre vengeance des latrons, & des mal-faicteurs, il les condamna par diverses sentences, & les punit de telles peines comme ils avoient deservy pour leurs paresses. Si doit-on cecy entendre, que ce n' estoient pas Comtes qui fussent Princes, ne hauts Barons qui tinssent Comtez, ne heritages, mais estoient ainsi comme Baillifs, que l' on ostoit & mettoit à certain temps, & punissoit de leurs meffaits quand ils le desservoient. Auquel lieu il ne faut pas estimer que ce qu' il compare le Comte au Bailly, il entende que ce feussent mesmes estats: mais le compilateur de ces Croniques a voulu dire qu' anciennement les Comtes n' estoient constituez en telle dignité & preeminence comme ils furent depuis, ains exerçoient l' estat de judicature à leur vie, comme de son temps les Baillis. A laquelle opinion Robert Gaguin & tous autres qui font tant soit peu nourris en l' ancienneté de nos Histoires, condescendent sans difficulté.

L' estat donc de ces Messagers estoit, de vacquer par tout leur ressort (que nos ancestres appellent Missaticum) & cognoistre si les Comtes faisoient bonne & loyalle Justice. Pour laquelle cause au 4. livre des ordonnances du Debonnaire article 64. estoit porté en termes Latins. Que nul Messager n' eust à faire longue demeure, ny convoquer le peuple aux endroits où il trouveroit les Comtes avoir fait bonne Justice, ains qu' il s' arrestast seulement és lieux esquels il trouveroit la Justice avoir esté mal ou negliemment administree.

Outre ce, estoit leur jurisdiction fondee sur peages & tributs. Avoient l' œil sur les Fiefs & vassaux du Roy (car les causes communes & de legere estofe appartenoient aux Comtes) estoient chargez de faire sommaires descriptions des cens & rentes qui appartenoient au Prince, & combien de serfs & esclaves estoient compris soubz chaque fief. Et si paravanture, faisans le faict de leur charge, il se presentoit cause d' importance, estoient tenus d' en faire leur rapport au Roy. Comme de toutes ces choses nous nous sommes acertenez par les ordonnances de Charlemaigne & du Debonnaire. Quelquesfois aussi leur estoit enjoint de rapporter aux Parlemens ce qu' ils avoient exploité pendant leur voyage, comme nous voyons dans Aimoin au quatriesme livre de ses Histoires chapitre quinziesme. Il commanda (dit-il) à ses Messagers d' aller par chaque Comté, pour nettoyer le pays d' un tas de meschans garniments, qui ne faisoient que piller: à la charge, que s' ils trouvoient resistance, ils prissent confort & aide tant des Comtes, que des gens des Evesques, pour deffaire ceste canaille. Leur enjoignant, que de tout ce qu' ils avroient fait, ils luy en vinssent faire rapport au prochain Parlement, qu' il devoit tenir en la ville de Uvorme (Worme, Worms). Qui sont tous actes qui se conforment directement à noz Baillis, & dont nous devons estimer leur estats avoir esté pris. D' autant qu' encores pour le jourd'huy cognoissent-ils du faict, & causes des Prevosts qui sont au lieu de ces Comtes, ont specialement cognoissance des matieres des Nobles & des fiefs, cognoissent seuls entre les autres Juges, des matieres domaniales du Roy. Et mesmes, tout ainsi qu' anciennement ces Messagers visitoient les Provinces qui estoient de leur charge, pour faire droict à chacun, aussi comme pour image & simulacre de cecy, furent pratiquees entre nous les Assises que les Baillis avant l' Edict des Juges Presidiaux, avoient accoustumé de tenir de Prevosté en Prevosté qui estoit de leur Bailliage. Toutes lesquelles choses ainsi rapportees piece à piece, nous rendent asseurez dont est procedee l' origine de noz Baillis. Chose que l' on peut encores descouvrir aisément à l' œil par un vieil passage du grand Coustumier de Normandie. Car comme ainsi soit que l' Estat du Bailly & du Seneschal soient tout un, & different sans plus, de noms, se trouve au chapitre dixiesme, l' Estat du grand Seneschal de Normandie être en ceste façon expliqué. Anciennement souloit descovrir par le pays de Normandie un Justicier greigneur, qui estoit appellé le Seneschal au Prince. Il corrigeoit ce que les autres bas Justiciers avoient delinqué, gardoit la terre du Prince, les loix & les droicts de Normandie *il faisoit garder: Et ce qui estoit moins, que deuëment faict par les Baillis, il corrigeoit les ostoit du service du Prince, s' il voyoit qu' il les convint oster: il visitoit les forests & les hayes du Prince, & revoquoit les forfaits, & s' enqueroit comme ils estoient traictez: Et la paix du pays fermement il entendoit: principalement à faire: Et ainsi en descourant par Normandie de trois ans en trois ans, visitoit chacunes parties & Bailliages d' iceluy. A celuy appartenoit en chacun Bailliage d' enquerir de ces excés, & des injures des soubs-Justiciers. Qui monstre bien qu' estans les baillis reduits chacun en leurs ressorts au païs de Normandie, encores fut erigé un estat par dessus eux, qui fut nommé grand Seneschal, qui est autant que grand Bailly: lequel faisoit les mesmes chevauchees qu' avoient fait anciennement les Baillis. Mais tout ainsi que ceux qui estoient particuliers, les faisoient seulement dans les destroicts de leurs Bailliages, aussi celuy-là qui estoit le grand & general, les faisoit sur tout le Duché.

Or furent ainsi appellez à mon jugement ces Baillis, pour autant que de leur premiere origine, ils estoient baillez & envoyez en diverses Provinces, par noz Roys. Ou bien sans aucune alteration de lettre, Baillis, comme conservateurs & gardiens du bien du peuple encontre les offences qu' il eust pou encovrir des Juges ordinaires. Tout en mesme façon comme de nostre temps, le Roy Henry II. voulant eriger un Magistrat en chaque Bailliage qui eust l' œil sur les Baillis & Prevosts, pour en faire son rapport au Conseil Privé du Roy, le voulut intituler, Pere du Peuple: Car le mot de Bailly en vieil langage François, ne signifioit autre chose que Gardien, & Baillie, Garde: Jean de Melun en son Romant de la Roze

Cœur failly

Qui de tout dueil est bailly.

Et en autre endroit, où Faux semblant se vante que Contrainte abstinence est en sa garde & protection.

M' amie Contrainte abstinence

A besoin de ma pourveance,

Pieça fut morte ou mal sortie,

S' elle ne fut en ma baillie.

De la mesme façon voyons nous que dans la plus grand part de noz Coustumes de France nous appellons ceux Baillis ou Baillistres qui ont la garde noble ou bourgeoise de leurs enfans. Tellement qu' il n' est pas du tout hors propos, de penser que tels Messagers fussent de ceste derivaison nommez Baillis. Aussi Jean le Bouteiller vieil autheur, en tout son traicté de pratique qu' il intitule Somme rural, appelle Baillies seulement, ce que nous appellons Bailliages. Et qui plus est, je puis asseurer comme chose vraye que l' on ne commença d' user du mot de Bailliage que souz le regne du Roy Jean, & encores fort sobrement. 

Car quant au mot de Seneschal, qui n' a autre puissance ou authorité entre nous que le Bailly, ainsi que je disois maintenant, quelques personnages de bon sens, comme feu François de Conan, estiment que ce soit un mot corrompu, my Latin & my François, signifiant vieil Chevalier. Qui n' est pas une opinion du tout hors propos: parce qu' anciennement tels estats estoient seulement donnez à vieux Gentils-hommes & Chevaliers: & en estoit la porte fermee aux Advocats & Legistes. Voire qu' au Vieil stile de la Cour de Parlement, il est defendu à tous Baillis & Seneschaux de commettre pendant leurs absences, en leurs sieges, Lieutenans de robe longue. Toutesfois je suis presque semonds de croire que ce mot de Seneschal ait esté emprunté du vieil langage Anglois, par nous non entendu: Parce que je le voy principalement pratiqué és lieux de la France qui ont esté autrefois souz l' obeïssance des Anglois, voire jusques aux portes presque de Paris, comme en la Seneschaussee de Ponthieu.

Telle fut doncques la premiere police des Comtes & Baillis. Bien est vray que pour autant que du commencement les Baillis n' estoient pas Juges qui prestassent resseance ordinaire sur les lieux, ains alloient par certains entrejects de tems (sans p) faire leurs reveuës: & au contraire les Comtes se tenoient ordinairement sur leurs jurisdictions, & que d' ailleurs ils avoient (comme nous apprennent les mesmes ordonnances par moy cy-dessus alleguees) certains fiefs qui estoient annexez à leurs estats, afin que d' une mesme main ils vacquassent quand la necessité le requierroit au faict de la guerre, tout ainsi que de la Justice: pour ceste cause il advint que les Baillis, n' ayans surquoy prendre terre, ne peurent s' accroistre & augmenter de telle façon que firent les Comtes, lesquels commencerent de là en avant de s' arrester seulement aux biens-faits du Roy, laissans la jurisdiction à leurs Lieutenans: dont les aucuns furent appellez Vicomtes, & les autres Viguiers du mot de Vicarius, & les autres Prevosts, d' un autre mot Latin que nous appellons Præpositus. Car en ceste façon les voyons nous être appellez és anciennes lettres de noz Roys, lors qu' elles s' addressoient aux Prevosts. Ayant changé la lettre de P, en V, ainsi que nous avons faict de quelques autres dictions Françoises: Car de Lepus, Lepusculus, & pauper, Aperire, & cooperire, recuperare, operari, nous avons façonnez les mots de liévre, lévraut, pauvre, ouvrir, couvrir, recouvrer, ouvrer. Je sçay que plusieurs sont d' advis que la dignité Prevostale a esté tiree des Romains, estimans que lors que les François arriverent és Gaules, ils trouverent chaque cité garnie de ses Prevosts, mais apres avoir couru tous les estats que les Romains establissoient sur les Provinces, je ne voy point avec lequel d' entr' eux nous puissions assortir ce mot. Et qui m' induit davantage à penser que c' est un estat venu en usage depuis le temps de Charlemaigne & du Debonnaire: c' est que combien que je voye plusieurs reglements en leurs ordonnances pour les Comtes en qualité de personne : *qui exerçoient la Jurisdiction ordinaire, si est-ce que je ne voy point un seul endroit où il soit parlé des Prevosts. Et ne me puis persuader s' ils eussent esté en essence qu' ils eussent esté oubliez: de maniere qu' il faut que l' office de Prevost soit venu lors que les Comtes se desmirent de leurs estats de judicature sur autruy: c' est à dire, lors qu' ils commencerent à se faire grands & à manier les armes, tout de la mesme sorte que les Ducs qui fut depuis le regne du Debonnaire. Croissans en telle grandeur, que comme j' ay deduit ailleurs, entre ces grands Ducs & Comtes qui florirent du temps de Hugues Capet & quelque intervalle au dessouz, il n' y avoit pas grande difference pour le regard de l' authorité & preéminence, ains chacun selon que la fortune & hazard du temps luy donna le tiltre, s' estimoit aussi grand seigneur, cestuy estant Comte de Flandre, comme l' autre qui se disoit Duc du pays de Normandie.

Au demourant, entant que touche le mot de Viguier, tout ainsi que nous le voyons être seulement en usage au pays de Languedoc & és environs, pour representer le Prevost que nous avons en ce pays cy, aussi avoit esté ce mot mis en œuvre en ce pays là par Theodoric Roy des Ostrogots, lequel feignant de garder une partie du Languedoc à son arriere-fils Amalaric grandement affligé par les guerres du Roy Clovis, y establit un Vicaire, ou si ainsi le voulez dire, Viguier general de ceux qui souz son nom avoient le gouvernement du pays. Constituit (dit Cassiodore parlant d' iceluy Theodoric) Gemellum in *Gallis Vicarium præfectorum ad exercendas iustitias. Il establit (dit-il) aux Gaules Gemelle, Vicaire de tous ses gouverneurs, pour rendre le droict à chacun. Et combien qu' il die par un mot general, les Gaules, si les faut-il restraindre au pays que possedoit lors Theodoric dedans icelles, qui estoit seulement le Languedoc. Certes ceste dignité de Viguier destinee à l' estat de Judicature, estoit fort familiere aux Gots. Et pour ceste cause voyons nous que dans Rome pour mesme effect lors qu' iceux Gots regnoient sur l' Italie, y avoit une telle forme de Magistrat, comme nous apprenons du mesme Cassiodore, au quatriesme de ses Epistres, en une lettre de Theodoric à Jean Archiatre, c' est à dire, premier, ou principal medecin. Qui fut cause, à mon jugement, que les Comtes laissans au pays de Languedoc l' exercice personnel de la justice pour s' habituer du tout aux armes, il fut aisé d' y insinuer le mot de Viguier, tant pour y avoir esté autresfois planté, que aussi pour ne representer en sa signification autre chose que l' estat d' un Lieutenant. En l' ordonnance de Charles VI. 1388. Qu' il n' y ait nul Prevost ou Vicaire parent du Bailly ou Seneschal

2. 12. Des Ducs & origine d' iceux.

Des Ducs & origine d' iceux.

CHAPITRE XII. 

De toutes les dignitez que je lis avoir, selon le changement des temps diversifié de façons, je trouve que c' est celle de Duc. Car premierement ce mot ne sonnoit entre les Romains autre chose qu' un Magistrat militaire, comme celuy que nous appellons Capitaine, & la diction du Duché, ce que nous disons Capitainerie. Et ainsi se doivent-ils prendre dans Suetone en la vie de Neron, chapitre trentecinquiesme, où il dict que l' Empereur Neron fit noyer un sien parent & allié, nommé Ruffin, par ce qu' abusant du pretexte de luy, il jouyoit les Duchez, c' est à dire les Estats des Capitaines de guerre. Et depuis par traitte de temps on en usa pour un certain degré au faict de la guerre, & comme on montast graduellement aux honneurs militaires, apres avoir esté soldat on estoit Tribun, puis Duc, puis Legat, ausquels termes, je ne m' arresteray pour n' être de nostre gibier, ains me contenteray d' en donner les addresses à ceux qui en voudront être plus amplement informez: lesquels pourront, si bon leur semble, trouver ce que je dis, veritable: lisans la vie d' Alexandre dans Lampride, & celle de Maximian dans Jules le Capitolin. 

Or combien que l' on en usast particulierement pour celuy qui devançoit au fait de guerre le Tribun, & secondoit le Legat, si est-ce que la generalité de ce mot (Duc) ne laissoit pas d' être employee aux Tribuns, Legats, & autres chefs de guerre: Ny plus ny moins que nous voyons entre nous y avoir Capitaine, Lieutenant & Enseigne: Et toutesfois chacun d' entr' eux separément être par les soldats appellé Capitaine. Parquoy, tout ainsi que sur le declin de la Republique de Rome ceste diction d' Empereur, qui ne signifioit auparavant qu' un General ou Colomnel d' une armee, se tourna puis apres par factions & guerres civiles pour mot souverain d' honneur, en la faveur de celuy qui usurpa toute la tyrannie sur le peuple, aussi la Monarchie & Empire des Romains commençant grandement à balancer par la venuë des nations estrangeres, les Empereurs se voyans affligez d' une continue des guerres, furent contraincts de donner les grandes charges des Provinces aux Ducs & à ceux qui au precedent avoient les conduittes des guerres. Tellement que le Duc, qui se prenoit premierement pour chef de guerre, commença lors d' être pris pour un Gouverneur, & depuis par succez de temps, pour nom de Principauté. Le premier endroict où j' ay leu le Duc être pris pour un Gouverneur ou Visempereur, est dans Vopisque en la vie de l' Empereur Bonose, la part où il dict que cest Empereur avoit esté Duc de la Marche Rhetique. Aussi entre tous les Estats & gouvernemens des Provinces recitez par Cassiodore aux 6. & 7. livres de ses Epistres, je trouve être faicte mention d' un seul Duc Rhetique. De façon qu' il semble que ce pays là fut premier auquel le mot de Duché commença de se prendre pour gouvernement. Et estime que l' occasion de cecy vint, pour autant qu' il estoit exposé à l' emboucheure de l' Allemaigne, dont sourdoient de jour à autre infinies novalitez: pour ausquelles obvier estoient les Empereurs contraincts tirer du corps de leur gendarmerie un Capitaine pour y envoyer: Par ce qu' il luy estoit besoin avoir l' œil sur une gendarmerie, comme sur les propres subjects. Et à ceste cause nous apprenons du mesme Cassiodore que quand l' Empereur donnoit telle dignité Ducale à celuy qu' il envoyoit en la Marche Rhetique, c' estoit avec une telle preface. Ce n' est pas mesme chose de commander à une nation quoye & comme à celle que l' on tient pour suspecte, & pour laquelle on ne craint seulement les vices, ains les guerres. La Rhetique est un boulevard d' Italie, laquelle non sans grand cause fut ainsi appellee par ce qu' elle est exposee aux nations brutales pour les surprendre, ainsi que les bestes sauvages aux rets & penneaux. En ce pays-là on reçoit les assauts des Barbares, & les met-on en suitte à coups de sagettes. Au moyen dequoy tels assauts vous sont une perpetuelle chasse, & par maniere de dire jeu, pour les repousser. Pour ceste cause nous bien & deüement informez, de vostre sens, preu d' hommie, & suffisance, par ces presentes vous donnons le Duché & charge de la Marche Rhetique: A fin que par vostre moyen nostre gendarmerie vive paisiblement, & qu' avec elle vous couriez diligemment tous les environs de vostre pays. Estimant ne vous avoir point esté donnee petite charge, puis que la tranquillité de nostre Empire depend de vostre diligence. A la charge toutesfois que vos soldats vivent avec nos subjects de gré à gré. Qui nous apprend que la necessité du pays fut cause de commettre en tel pays un Duc, non seulement pour être Capitaine general sur une gendarmerie, mais aussi Gouverneur de ceste contree. La mesme necessité apprit puis apres aux Romains d' user de mesme façon. Car estans agitez d' infinies guerres des nations qui les venoient assaillir de toutes parts ils furent contraincts donner la charge des villes à leurs Ducs. Et la premiere distribution que je voy en avoir esté faite, ce fut à l' occasion de Totile Roy des Ostrogots, lequel desconfit deux fois les Romains avec une telle cheute & vergógne (vergongne), que jamais il n' avoit esté presque memoire qu' ils eussent receu semblable playe. Au moyen dequoy, Procope au troisiesme de ses histoires, dit qu' à la seconde route, eux estans reduicts en toute extremité, les gens d'armes abandonnerent la campaigne, se tenans clos & couverts dans leurs villes, contre les advenues de leurs ennemis. Et dit cest autheur, que les Ducs & Capitaines prindrent lors chacun en partage la garde des villes, c' est à sçavoir Constantin, celle de Ravenne, Jean celle de Rome, Besse, de Spolete: Justin de Florence, Ciprian de Perouse. Laquelle police depuis se continua apres que les Ostrogots furent chassez & reduicts à neant par Narses: Car lors que Longin fut commis au Gouvernement d' Italie par le r'appel de Narses, il establit tout un nouvel ordre au pays, d' autant qu' au lieu des Prefects qui tenoient auparavant le Gouvernement des villes, il y commit Ducs & Capitaines, pour tenir par un mesme moyen, un chacun en bride, & obvier aux courses de leurs ennemys: & quant à luy, choisissint son domicile dedans la ville de Ravenne, où il prit le nom d' Exarque. De là en avant, commença le nom de Ducs à s' accroistre, & mesmement les François s' estans impatronizez de la Gaule, apprindrent des Romains à user de ce nom de Duc, pour un Gouverneur de Province. Ainsi que nous pouvons apprendre de noz vieilles histoires Françoises. Gregoire de Tours au huictiesme de ses histoires, nous atteste qu' au lieu d' un Berulphe, Gontran Roy d' Orleans donna pour Duc aux Poictevins & Tourangeaux un nom né Ennode: & au neufiesme il dict, qu' à l' instigation de quelques uns, il l' osta depuis. Desquels lieux il est aisé de tirer que le nom de Duc se prenoit lors pour nom de simple Gouverneur, que les Roys mettoient & deposoient à leurs volontez.

Or comme toutes choses ont quelque revolution avec le temps, ces Ducs petit à petit furent mots de Principautez, & non de Gouvernemens. Et les premiers qui userent de telle façon, feurent les Lombards: Lesquels, comme recite Paul le Diacre, apres que Cleph leur second Roy feust decedé, (cecy estoit vers le temps de Clotaire, premier de ce nom, Roy de France) voulurent être gouvernez par Ducs, com ne par une forme d' Aristocratie. De maniere, que par l' espace de dix ans entiers chaque Duc eut sa Cité, de laquelle il recevoit les fruicts: toutesfois les dix annees expirees, le peuple voulut de rechef avoir un Roy. Ce qui fut faict & luy contribua chaque Duc la moitié de son revenu, pour luy servir de Domaine. Ceste police neantmoins ne trouva si tost lieu en ceste France: Car soubs la premiere lignee de Clovis, le nom de Duc fut viager & temporel. Bien est vray que sur le declin de ceste lignee, de la mesme façon que les Maires du Palais avoient attiré à leur Estat toute la puissance Royale, & l' avoient faicte comme hereditaire en leur famille: aussi voulut chaque Duc en faire autant en son endroict. Et de faict se treuve que du temps de Charles Martel, Loup Duc de Gascongne, & aussi Eude Duc d' Aquitaine, s' estoient faicts Ducs perpetuels, ne voulans recognoistre le Roy de France à superieur. Voire que j' ay trouvé en quelque endroict escrit, que lors quelques Ducs se voulurent intituler Roys de leurs pays, tout ainsi que depuis Pepin fit de tout le Royaume de France. Toutesfois ils furent tous reduits l' un apres l' autre en leur devoir tant par Charles Martel, que par Pepin, & en fin par Charlemaigne, & le Debonnaire son fils.

Auquel temps s' introduisit autre nouvelle police des Ducs. Car tous ceux qui estoient dedans le pourpris, & enceinte de ce Royaume, demourerent comme Gouverneurs des Provinces, desquelles ils estoient appellez Ducs. Et de là vint que (comme j' ay plus amplement deduit au Chapitre des Pairs) vous voyez tantost une Aquitaine être appellee Duché, quand ce pays estoit regy par grands Seigneurs, puis à un instant, Royaume quand Charlemagne en investit à perpetuité par forme de partage son fils Louys le Debonnaire. Toutes fois és pays loingtains & que l' on ne pouvoit pas si aisément contenir, il y avoit double maniere de Ducs. Les uns possedans les Duchez comme leur propre patrimoine, mais avec certaine recognoissance ou redeuance qu' ils faisoient à noz Roys. Les autres comme Gouverneurs, & de la mesme façon que ceux qui estoient dans la France. Du premier rang estoit Tassile Duc de Bavieres, selon que tesmoigne Theodulphe, duquel je suis content d' inserer les propres mots, pour autant que son œuvre n' est pas imprimé, Tassilonem in Ducatu Boioiariorum collocavit per suum beneficium: Pepinus autem Rex tenuit Placitum suum in Compendio cum Francis, ibique Tassilo venit Dux Boioiariorum in vassatico se commendans, sacramento iurans, multas & innumerabiles reliquias sanctorum per manus imponens, & fidelitatem Regi Pepino promisit, & filiis eius, scilicet vassum recta mente & firma devotione. Il donna (dit-il) en fief le Duché de Bauieres à Tassille, puis tint Pepin son Parlement en la ville de Compieigne, auquel lieu vint Tassille luy faire foy & hommage, & mettant les mains sur plusieurs sainctes Reliques, jura de luy garder la fidelité requise & à ses enfans, telle qu' un bon & loyal vassal est tenu faire à son Seigneur. De mesme façon se voit dans Aimoïn au quatriesme de ses histoires un Grimovauld Duc de Benevent en Italie, qui devoit par chacun an à l' Empereur le Debonnaire sept mil escus de tribut. Ce nonobstant au mesme pays d' Italie y avoit quelques Ducs qui ne tenoient les villes que par forme de gouvernement, comme nous apprenons du mesme autheur, qui dict au mesme livre que Sapon Duc de Spolete estant mort, le Roy Louys le Debonnaire y envoya Atalarde Comte de son Palais en son lieu. Desquels passages & autres qu' on peut lire dans les anciens, nous apprenons qu' és pays loingtains de la France, les aucuns Ducs (comme j' ay dit) tenoient leurs Duchez par maniere de gouvernement, & les autres à tiltre de principauté pour eux & leurs hoirs à perpetuité. Laquelle derniere coustume s' insinua depuis entre nous en ceste grande confusion & chaos, qui advint soubs le regne de Charles le Simple. Car estant le Royaume abbayé par plusieurs grands Princes, tant par le moyen de son bas aage, que de sa simplicité & sottie, comme j' ay deduict au dixiesme chapitre de ce livre: ce temps pendant chaque Duc, voire chaque Comte en chaque ville, commença de se faire grand par la ruyne du Roy. Je ne puis mieux comparer ce temps là, qu' à ceste grande mutation qui advint depuis dans l' Italie, par les guerres du Pape & de l' Empereur Federic second, soubs les noms de la faction des Guelphes & Gibelins. Car tout ainsi que pendant que chacun estoit ententif à mener guerre, s' il se trouva lors quelque puissant personnage qui eut voix & authorité dans sa ville, feignant de la garder à celuy duquel il se disoit être partizan, il l' appropria au long aller à soy & aux siens: Dont vint l' origine des Ducs de Ferrare, Milan & d' autres villes dont les unes estoient auparavant Imperiales, les autres Papales. Aussi se trouva lors le semblable en ceste France: car estant ainsi le sceptre de France envié de toutes parts, ceux qui se disoient Ducs & Comtes, faisants semblant de garder les villes & provinces desquelles ils estoient Gouverneurs, au profit du Roy & sous son nom, tirerent toute la prerogative, voire tout le Domaine devers eux. En quoy ils se fortifierent : de façon que Hugues Capet occupa le Royaume de France, il trouva une infinité de Ducs, Comtes, & grands Seigneurs, qui concurroient avec luy (par maniere de dire) en grandeur. Bien est vray que par une pacification generale, estant chacun d' eux grand en son endroict, si recogneurent-ils tous, devoir le baise-main au Roy: demourans en tout le surplus demy esgaux à sa Majesté, en leurs Duchez & Comtez. Et par ceste mutation se trouverent lors les Roys petits tertiens, au regard de ceux qui avoient regné depuis la venuë de Clovis: car au lieu où ils s' estoient veus posseder toute la Gaule, l' Allemagne & l' Italie, tantost le tout, tantost moins, de là en avant sur l' advenement de Capet, ils tenoient seulement en leur pleine possession, une partie de la Bourgongne, Picardie, Sologne, la ville de Paris & la Beausse. Si commencerent noz Roys à abbaisser l' orgueil de ces grans Seigneurs, premierement par Louys le Gros, dés le vivant de Philippes son pere, pendant que les plus grands Ducs & Comtes estoient occupez au premier voyage de Jerusalem. A cause dequoy Guillaume de Nangis en ses Croniques de France, l' appelle le batailleux. Et depuis Philippes Auguste conquit la Normandie & l' Aquitaine, qui estoient tombees és mains des Anglois par mariages: Et du mesme temps par l' entremise de Simon Comte de Montfort, reduisit presque à sa devotion Raimond Comte de Tholoze, & une partie du Languedoc: tant que finallement, soit par alliances, soit par guerres, ou par forfaictures, la plus grand partie de tous les Duchez & Comtez ont esté joincts & reconsolidez à la Couronne: & seroit mal-aisé de dire quelle utilité apporterent pour cest effect à noz Roys, les premiers voyages d' outremer. Car pendant que la plus grande partie des Ducs & Comtes s' estoient d' une devotion esperduë du tout vouez à la conqueste de la terre saincte, noz Roys qui demourerent par deça, seurent fort bien faire leur profit de ceste longue absence, pendant laquelle ils guerroyoient les plus petits, & puis s' attacherent aux plus grands, remettans petit à petit en leurs mains, ce que l' injustice du temps avoit soustrait de leur Couronne. Ceste reunion apporta puis apres autre forme de Duchez en la France: car au lieu que l' on avoit veu quelques fois les Duchez être eschangez en Royaumes, & d' un Royaume être fait apres un Duché, depuis par une nouvelle maniere, noz Roys ont fait, de petites villes, Bourgades, & Seigneuries, Duchez & Comtez à leur appetit. En ceste façon fut erigé Longue-ville en Duché l' an 1510. Vandomois en Duché & Pairrie le quatorziesme Mars 1514. Guyse au mois de Janvier 1527. Estampes 1536. Neuers en Duché & Pairrie en Janvier 1538. & au mesme an, Montpensier aussi en Duché & Pairrie : Aumale en Duché & Pairrie 1547. Montmorency qui n' estoit que simple Baronnie, en Duché & Pairrie 1552. Le tout a fin qu' ayans noz Roys reincorporé sous leur puissance la plus grand' part des anciens Duchez, ils ne semblassent toutesfois avoir effacé les anciennes dignitez de France, par lesquelles ce Royaume sembloit être ilustré & embelly entre les autres, combien qu' à prendre les choses au vray, les Ducs & Comtes qui sont aujourd'huy ne soient qu' images de ceux qui estoient du temps de Hugues Capet: N' ayans ce semble, aucune prerogative sur les autres Seigneurs, sinon par une pompe de nom, & pour les ceremonies exterieures, car le Duc va devant le Comte, & cestuy devant le Baron. Dont est à mon jugement, procedé que quelques uns nous ont icy apporté certaines maximes qu' ils content par quaternions. Disans qu' il failloit qu' un Empereur eust soubs soy quatre Royaumes: un Roy quatre Duchez: un Duc quatre Comtez: un Comte, quatre Baronnies: un Baron, quatre Chasteleniés, & un Chastellain quatre fiefs. Chose inventee à credit par gens plus plains de loisir que de sçavoir: d' autant que si leur proposition avoit lieu, il n' y avroit gueres de Ducs & Comtes pour le jourd'huy. Car mesmes le Duché d' Angoulmois, que l' on baille pour appanage au tiers enfant de France, n' a que le Comté de la Rochefoucault dessouz soy. Et ausurplus encores que sur le premier advenement de noz Roys, les Ducs fussent plus grands que les Comtes en dignitez, si est-ce qu' en ceste generale confusion qui vint en la France, quand depuis le regne du Simple, jusques à Capet & ses successeurs, chaque Seigneur prit son eschantillon du Royaume, & au desavantage du Roy, certainement les provinces prindrent le nom, qui de Duchez, qui de Comtez, plus par hazard & fortune, que par discours. Tellement que non moindre estoit en son endroict un Comte de Flandres, ou de Champaigne, qu' un Duc de Guyenne, ou de Normandie : ains en egalité de puissances, differoient seulement de noms. Et de faict nous voyons mesmement qu' un Comte de Champaigne avoit soubs soy sept Comtes pour ses vassaux, comme j' ay cy-dessus remarqué. Et en effect voila les mutations qu' ont eu diversement les Ducs: estans premierement simples Capitaines, puis par succession de temps Gouverneurs de Provinces, en apres s' estans faits presque esgaux aux Roys, & finalement estans reduicts au petit pied tels que nous les voyons aujourd'huy, au regard de ces autres grands, qui florirent sur la venuë de Hugues Capet à la Couronne.