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lundi 7 août 2023

8. 59. Patelin, Pateliner, Patelinage, & de quelques Adages & mots que nos ancestres tirerent de la Farce de Patelin.

Patelin, Pateliner, Patelinage, & de quelques Adages & mots que nos ancestres tirerent de la Farce de Patelin.

CHAPITRE LIX.

Ne vous souvient il point de la responce que fit Virgile à ceux qui luy improperoient l' estude qu' il employoit en la lecture d' Ennius, quand il leur dit, que en ce faisant, il avoit apris de tirer l' or d' un fumier? Le semblable m' est advenu n' agueres aux champs, où estant destitué de la compagnie, je trouvay sans y penser, la Farce de Maistre Pierre Patelin, que je leu & releu avec tel contentement, que j' oppose maintenant cet eschantillon à toutes les Comedies Grecques, Latines, & Italiennes. L' Autheur introduit Patelin Advocat, Maistre passé en tromperie, une Guillemette sa femme qui le seconde en ce mestier, un Guillaume Drapier, vray badaut, je dirois volontiers de Paris, mais je ferois tort à moy-mesme, un Aignelet Berger lequel discourant son fait en lourdois, & prenant langue de Patelin, se faict aussi grand Maistre que luy. Patelin se voulant habiller de neuf, aux despens du Drapier, complote avecques sa femme de ce qu' il avoit à faire. De ce pas il va à la foire, où feignant de ne recognoistre bonnement la boutique du bon Guillaume, apres s' en estre asseuré, il s' abouche avecques luy, raconte l' amitié qu' il avoit porté à feu son pere, les bons advis qui estoient en luy, ayant dés son vivant predit tous les malheurs depuis advenus par la France, & tout d' une suitte luy represente sa posture, ses mœurs, sa maniere de viure, en fin que Guillaume luy ressembloit en tout, de face & de façons. Et ainsi l' endormant sur le narré de cette belle histoire, il jette l' œil sur ses draps, les considere, les manie, nouvelle envie luy prend d' en achepter, encores que venant à la foire il n' y eust aucunement pourpensé, commence de les marchander. Guillaume luy loüe hautement sa marchandise, les laines estans grandement encheries depuis peu de temps, demande vingt-quatre sols de l' aulne. Patelin luy en offre vingt: Guillaume est marchand en un mot, & ne veut rien rabatre du prix. A quoy Patelin condescend, & en leve six aulnes tant pour luy, que sa femme: revenans à neuf francs, qui disoient six escus. Il est question de payer, mais il n' a argent sur soy, dont il est bien aise: Car il veut renoüer avec luy l' ancienne amitié qu' il portoit à son pere. Le semond de venir manger d' une oye qui estoit à la broche, & qu' il le payeroit. Combien qu' il poisast au marchand de n' estre payé sur le champ, comme estant d' une nature defiante, si est-ce que vaincu des importunitez de Patelin, il est contrainct de s' y accorder. Patelin emporte son drap, lequel à l' issuë de là, parlant à part soy, dit que Guillaume luy avoit vendu ce drap à son mot, mais qu' il le payeroit au sien: & en cela il ne fut menteur. Car estant de retour en sa maison, sa femme bien estonnee, luy demande en quelle monnoye il entendoit le payer, veu qu' il n' y avoit croix ny pille chez eux. Il luy respond que ce seroit en une maladie, & que deslors il s' alloit aliter, a fin que le marchand venant, Guillemette le payast de pleurs & larmes. Ce qui fut faict. Le bon Guillaume ne demeura pas long temps sans s' acheminer chez Patelin: Se promettant de faire un bon repas avant que d' estre payé.

Ils ne verront Soleil ny Lune, 

Les escus qu' il me baillera.

Disoit ce pauvre idiot: en quoy aussi il dit verité. En cette opinion il arrive gay & gaillard en la maison de Patelin: où pensant estre accueilly d' une mesme chere, il y trouve une pauvre femme infiniement esploree de la longue maladie de son mary: Plus il hausse sa voix, plus elle le prie de vouloir parler bas, pour ne rompre la teste au malade, & le supplie à jointes mains de le laisser en recoy.

Qui me payast (replique l' autre) je m' en allasse. Ce temps pendant Patelin vient aux entremets, qui dit mille mots de resverie. Je vous prie d' imaginer combien plaisant est ce contraste. Car pour dire la verité il m' est du tout impossible de le vous representer au naïf. Tant y a qu' apres une longue contestation, le Marchand est contrainct de s' en retourner en sa boutique: Bien empesché lequel des deux avoit resué, ou luy, ou bien Patelin. Retourné qu' il est, il trouve que ce n' estoit resverie de son costé, & qu' il y avoit six aulnes de tare en sa piece de drap. Au moyen dequoy il reprend sa premiere voye chez Patelin, lequel se doutant du retour, n' avoit encore desemparé son lit. Là c' est à beau jeu beau retour, chacun joüe son personnage à qui mieux mieux, mesme Patelin pousse de sa reste. Car en ses resveries il parle cinq ou six sortes de langages, Limosin, Picard, Normand, Breton, Lorrain: Et sur chaque langage Guillemette fait des commentaires si à propos pour monstrer que son mary estoit sur le point de rendre l' ame à Dieu, que non seulement le Drapier s' en depart, mais à son partement supplie Guillemette, de l' excuser, se faisant accroire que ç' avoit esté quelque Diable transformé en homme qui avoit enlevé son drap. Et deslors tourna toute sa colere contre son Berger Aignelet, qu' il avoit fait adjourner, a fin de luy rendre la valeur de quelques bestes à laine par luy tuees, faignant que elles estoient mortes de la clavellee. Ne se promettant rien moins que de luy faire servir d' exemple en Justice. Le jour de l' assignation, Aignelet se presente à son Maistre, & avec une harangue digne d' un Berger, luy racompte comme il avoit esté à sa requeste, le priant de le vouloir licentier, & renvoyer en sa maison. A quoy son Maistre ne voulant entendre, il se resout de prendre Patelin pour son conseil. Lequel apres avoir entendu tout le fait où il n' y avoit que tenir pour luy, est d' advis, que comme s' il fust insensé, quand il seroit devant le Juge, il ne respondist qu' un Bee à tout ce qui luy seroit demandé, qui estoit le vray langage de ses moutons. Et que joüant ainsi son personnage, Patelin luy serviroit de truchement, pour suppleer le deffaut de sa parole. Le Berger meschant, comme est ordinairement telle engeance de gens, trouve cet expedient tresbon, & qu' il n' y faudra d' un seul point. Sur cela Patelin stipule une & deux fois d' estre bien payé de luy au retour des plaids, quand il avroit gaigné sa cause: & le Berger aussi luy respond une fois & deux qu' il le payeroit à son mot, comme il fit. La cause est audiancee: Là se trouvent les deux parties, & mesmement Patelin qui tenoit sa teste appuyee sur ses deux coudes, pour n' estre si tost apperceu du Drapier. Lequel auparavant que de l' avoir envisagé, propose articulément sa demande, mais soudain qu' il eut jetté l' œil sur luy, il perdit esprit & contenance tout ensemble, meslant par ses discours, son drap avecques ses moutons. Et Dieu sçait comme Patelin en sçeut faire son profit pour monstrer qu' il avoit le cerveau troublé. D' un autre costé le Berger n' ayant autre mot dans la bouche qu' un Bee, Monsieur le Juge se trouve bien empesché. Mesmement qu' il n' estoit question que de moutons en la cause, neantmoins le Drapier y entremesloit son drap, & luy enjoint de revenir à ses moutons. En fin voyant qu' il n' y avoit ny rime ny raison d' une part & d' autre, il renvoye le deffendeur absous des fins & conclusions contre luy prises par le demandeur. Il est maintenant question de contenter Patelin, qui commence de gouverner le Berger. Luy applaudit & congratule du bon succez de sa cause, qu' il ne restoit plus que de le payer, le somme & interpelle de luy tenir parole: mais à toutes ces sommations, le Berger le paye seulement d' un Bee. Et à vray dire, il luy tint en cecy sa promesse. Car il avoit promis de payer Patelin à son mot, qui estoit celuy de Bee. Ce grand personnage se voyant ainsi escorné par son client, vient des prieres aux menaces: mais pour cela il n' advance de rien son faict, n' estant payé en autre monnoye que d' un Bee.

Que Bee (dit Patelin) l' on me puisse pendre,

Si je ne feray venir 

un Sergent, mesavenir 

Luy puisse s' il ne t' emprisonne

A quoy le Berger luy respond. 

S' il me trouve, je luy pardonne.

Et en ce vers est la closture de la farce: dont on peut dire pour fin de compte, qu' à trompeur, trompeur & demy.

Voila en somme tout le sujet de cette farce. Mais en bonne foy dites moy, ay-je esté de plus grand loisir la lisant, ou bien en la vous discourant? Il n' y a remede, encore me veux-je estancher. Car s' il vous plaist examiner les pieces particulieres de ce petit œuvre, vous y trouverez un entregent admirable: mais sur tout en la harangue que le Berger fit à son Maistre lors qu' il luy vint reciter l' adjournement qu' on luy avoit fait.

Mais qu' il ne vous vueille desplaire,

Ne sçay quel vestu desvoyé,

Mon bon Seigneur, tout desroyé,

Qui tenoit un foüet sans corde,

M' a dit, mais je ne me recorde,

Pour bien au vray que ce peust estre,

Il m' a parlé de vous mon maistre,

Je ne sçay quelle adjournerie.

Quant à moy par saincte Marie,

Je n' y entens ny gros, ny gresle,

Il m' a broüillé un pesle-mesle,

De brebis, & de relevee,

Et m' a fait une grand levee,

De vous, mon Maistre, de boucler.

Repassez par toutes les Comedies, tant anciennes que modernes, il n' y en a une toute seule où se trouve une harangue plus brusque & naïfve que cette cy. Dans laquelle vous remarquerez en passant que le Berger en son lourdois remarque la verge du Sergent, un foüet sans corde. Or si l' Autheur a gardé une merveilleuse bien-seance en cet honneste homme: encore l' a-il observee, autant & plus à propos, quand il introduit Guillaume troublé en son ame par la presence de Patelin, qu' il pensoit estre malade en extremité. Car apres avoir plusieurs fois entrevesché sa matiere, tantost de son drap, tantost de ses moutons, le Juge luy ayant commandé de laisser son drap en arriere, & revenir aux moutons, dont il estoit question, le Drapier continuë son theme en cette façon.

Monseigneur, mais le cas me touche,

Toutesfois par ma foy, ma bouche

Meshuy un seul mot n' en dira, 

Une autre fois il en ira

Ainsi comme il en pourra aller.

Il me le convient avaler

Sans mascher: Or ça je disoye

A mon propos, comme j' avoye

Baillé six aulnes, dois-je dire 

Mes brebis, je vous prie, Sire 

Pardonné-moy, ce gentil maistre 

Mon Berger, quand il devoit estre 

Aux champs, il me dit que j' avrois 

Six escus d' or, quand je voudrois: 

Dy-je depuis trois jours en ça 

Mon berger m' enconvenança 

Que loyaument me garderoit 

Mes brebis, & ne m' y feroit 

Ny dommage, ny vilennie, 

Et puis maintenant il me nie

Et drap & argent plainement

Ha maistre Pierre vrayement 

Ce ribault cy embloit mes laines 

De mes bestes, & toutes saines 

Les faisoit mourir & perir, 

Par les assommer & ferir 

De gros bastons sur la cervelle. 

Quand mon drap fut sous son esselle, 

Il se mit en chemin grand erre, 

Et me dit que j' allasse querre 

Six escus d' or en sa maison.

Y eust-il jamais un plus bel entrelas de matiere en un esprit foible, combatu de deux diverses passions? Ne pensez pas que par une opinion particuliere, je sois seul auquel ait pleu ce petit ouvrage. Car au contraire nos ancestres trouverent ce Maistre Pierre Patelin avoir si bien representé le personnage pour lequel il estoit introduit, qu' ils meirent en usage ce mot de Patelin, pour signifier celuy qui par beaux semblans enjauloit, & de luy firent uns Pateliner & Patelinage, pour mesme sujet. Et quand il advient qu' en commun devis quelqu'un extravague de son premier propos, celuy qui le veut remettre sur ses premieres brizees, luy dit, Remenez à vos moutons, Dont a usé à mesme effect Rabelais en son premier livre de Gargantua. Il n' est pas que de fois à autres quand on tire un payement en longueur, nous ne disions, Qui me payast, je m' en allasse: Et en autre sujet contre les gens de mauvaise foy, avoir drap & argent ensemble: Tous proverbes que nous avons puisez de la fontaine de Patelin. Je seray encore plus hardy. Car j' ayme mieux recognoistre de luy le mot de Baye, que nous disons Repaistre un homme de Bayes, c' est à dire de discours frivoles, par un eschange de Bée en Baye, que de passer les montagnes pour le mendier de l' Italien. J' adjousteray que nostre gentil Rabelais le voulut imiter, quand pour se donner carriere il introduisit Panurge, parler sept ou huit langages divers, au premier abouchement de luy avec Pantagruel, le tout en la mesme façon qu' avoit fait Patelin, contre le resveur.

Davantage je recueille quelques anciennetez qui ne doivent estre negligees. Car quand vous voyez le Drapier vendre ses six aulnes de drap, neuf francs, & qu' à l' instant mesme il dit que ce sont six escus, il faut necessairement conclurre qu' en ce temps-là, l' escu ne valoit que trente sols. Mais comme accorderons nous les passages? En ce qu' en tous les endroits où il est parlé du prix de chaque aulne, on ne parle que de vingt & quatre sols: Qui n' est pas somme suffisante pour faire revenir les six aulnes à neuf francs, ains à sept liures quatre sols seulement. C' est encore une autre ancienneté digne d' estre consideree, qui nous enseigne qu' en la ville de Paris, où cette farce fut faicte, & paradvanture representee sur l' eschaffaut, quand on parloit du sols simplement, on l' entendoit Parisi, qui valoit quinze deniers tournois (car aussi estoit-il de nostre ville de Paris) & à tant que les 24. sols faisoient les 30. sols tournois. A ce propos il me souvient qu' en ce grand & solemnel testament de la Royne Jeanne femme de Philippes le Bel, qui fut du 24. Mars 1304. par lequel elle fonda le College de Champagne, dit de Navarre, faisant une infinité de legs à uns & autres siens Gentils- hommes & serviteurs, elle declara ne vouloir que les sommes par elle leguees fussent estimees au Parisi, sinon aux legs, où elle en feroit mention expresse. Depuis par succez de temps, tout ainsi qu' il ne se trouve plus de la monnoye du Parisi, aussi quand nous la voulons exprimer nous y adjoustons par exprez le mot de Parisi en queuë, autrement soit à Paris ou ailleurs nous n' entendons parler que de sols tournois.

Je ne veux pas aussi oublier qu' en ce temps là les Sergens exploictans portoient leurs manteaux bigarrez, ainsi que nous recueillons de ces mots, Ne sçay quel vestu desrobé, & encore estoient tenus de porter leurs verges: Et c' est ce que le Berger veut dire quand il parle d' un foüet sans corde. De cela nous pouvons apprendre que ce n' est sans raison que l' on appelloit les Sergens de pied, Sergens à verge. Coustume que l' on voulut faire reviure par l' Edit d' Orleans, fait à la postulation des trois Estats en l' an 1560. quand par article expres on ordonna que fussions contraints d' obeïr aux commandemens d' un Sergent & de le suivre: voire en prison, lors qu' il nous toucheroit de sa verge. Je diray encore ce mot, & puis plus. Nous avons deux noms, desquels nous baptizons en commun propos ceux qu' estimons de peu d' effect, les nommans Jeans, ou Guillaumes. Dont soit cela provenu, je m' en rapporte à ce qui en est. Bien vous diray-je que dés le temps que cette farce fut composee, on se mocquoit des Guillaumes. Et paravanture l' Autheur pour cette mesme raison appella le Drapier Guillaume. Car Guillemette voulant sçavoir son nom, Patelin luy respond.

C' est un Guillaume

Qui a le surnom da Jouceaulme.

Et en un autre passage, le Drapier se mescontentant à part soy de Patelin.

Il est Advocat potatif

A trois Leçons, & trois Pseaumes. 

Et tient-il les gens pour Guillaumes?

Il est meshuy temps que je sonne icy la retraite, à la charge que peut estre seray-je estimé de grand loisir, d' avoir employé mon loisir au discours du present chapitre. Il n' est point mal seant à tout homme qui fait profession des lettres, de faire son profit de tous les livres qu' il lit.

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La Farce de Maître Pathelin

jeudi 27 juillet 2023

7. 8. Quelques observations sur la Poësie Françoise.

Quelques observations sur la Poësie Françoise. 

CHAPITRE VIII.

Je vous ay dit, & dis derechef, que la difference qu' il y a de la Poësie des Grecs & Romains avec la nostre, est que celle là mesure ses vers par certains nombres de pieds composez tant de longues que briefves syllabes sans rime. Nous au contraire faisons entrer dedans nos vers toutes sortes de syllabes, soient longues ou briefves sans aucun triage, ains suffit qu' ils aboutissent en parolles de pareille terminaison, que nous appellons Rimes. Quant à moy je me donneray bien garde de soustenir que les vers Grecs & Latins soient de plus mauvaise trempe que les nostres. J' admire en eux, non la façon, ains l' estoffe. Je veux dire les braves conceptions qui ont esté par eux exprimées, par uns, Homere, Hesiode, Pindare, Euripide, Catulle, Virgile, Horace, Ovide, Tibulle, Properce. Mais quand je considere qu' il n' y a eu que deux nations, la Gregeoise, & la Romaine, qui ayent donné cours aux vers mesurez, sans rime: au contraire qu' il n' y a nation en tout l' univers, qui se mesle de Poëtizer, laquelle n' use en son vulgaire, de mesmes rimes que nous au nostre, & que cela s' est naturellement insinué aux aureilles de tous les peuples dés & depuis sept & huict cens ans en çà, voire mesme dedans Rome, & dans toute l' Italie, je me fay aisément acroire, qu' il y a plus de contentement pour l' aureille en nostre Poësie qu' en celle des Grecs & Romains. Leurs vers, si ainsi me permettez de le dire, marchent & vont avec leurs pieds, & les nostres glissent & coulent doucement sans pieds, voire quand bien il n' y avroit point de rime, en laquelle toutesfois gist l' accomplissement de nos vers. Chose que Ronsard nous voulut representer par cette Ode, qui est la douziesme du troisiesme livre des Odes, sur la naissance de François, premier fils du Roy Henry deuxiesme.

En quel bois le plus separé

Du populaire, & en quel antre,

Prens tu plaisir de me guider,

O Muse, ma douce folie,

A fin qu' ardent de ta fureur,

Et du tout hors de moy je chante

L' honneur de ce Royal enfant:

J' escriray des vers non sonnez

Du Grec, ny du Latin Poëte,

Plus hautement, que sur le Mont

Le Prestre Thracien n' entonne

Le cor à Bacchus dedié,

Ayant la poictrine remplie

D' une trop vineuse fureur.

Je vous laisse le demeurant, pour vous dire que cette Ode contient une longue texture & trainee de vers qui n' ont point de pieds, comme les Grecs & Romains, & sont pareillement sans rimes, esquelles gist la principale grace des nostres: Ce neantmoins vous les voyez nous succer l' aureille par leur douceur, autant & plus que tous les Exametres & Pentametres des autres, desquels pour cette cause il ne faut mandier les vers mesurez: car de combien se rend nostre Poësie plus douce, quand elle est accomplie de la rime, en laquelle, comme j' ay dit, reside sa principale beauté? Vous ayant mis devant les yeux ce premier fondement, je ne douteray de vous discourir les particularitez, que l' on trouve en nostre Poësie Françoise, laquelle, comme vous sçavez, gist en vers, le vers est fait par les dictions: la diction par les syllabes; Je commenceray doncques par les syllabes, & vous diray que nostre vers peut estre composé de deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, dix & douze syllables. Toutes ces especes de vers nous sont frequentes & familieres, horsmis celles de deux syllabes, dont toutesfois nous trouvons trois exemples dedans Marot en ses 24. & 25. Chansons, & en l' un de ses Epigrammes commençant par ce mot Linote: Je vous representeray icy seulement sa vintquatriesme Chanson.

Quand vous voudrez faire une amie,

Prenez-la de belle grandeur:

En son esprit non endormie,

En son tetin bonne rondeur:

Douceur

En cœur,

Langage

Bien sage,

Dansant, chantant par bons accords,

Et ferme de cœur & de corps.

Et quant aux vers de douze syllabes, que nous appellons Alexandrins, combien qu' ils proviennent d' une longue ancienneté, toutesfois nous en avions perdu l' usage. Car lors que Marot en insere quelques uns dedans ses Epigrammes ou Tombeaux, c' est avec cette suscription, Vers Alexandrins, comme si c' eust esté chose nouvelle & inaccoustumee d' en user, pource qu' à toutes les autres, il ne baille point cette touche. Le premier des nostres qui les remeit en credit, fut Baïf en ses Amours de Francine, suivy depuis par du Bellay au livre de ses Regrets, & par Ronsard en ses Hymnes: & finalement, par du Bartas, qui semble l' avoir voulu renvier sur tous les autres en ses deux Sepmaines, auquel toutesfois je trouve beaucoup, non de Virgile, ains de Lucain.

Et est une chose qu' il nous faut grandement noter, que jamais l' aureille Françoise ne peut porter des vers de neuf syllabes, dont la derniere finit en rime masculine, comme qui diroit. 

Je respecte sur tous mon Ronsard,

Car je le trouve plein de grand art.

Y ayant en cecy je ne sçay quelle discordance de voix qui ne peut estre mesnagee par nous. Sur l' avenement du Roy Charles neufiesme, y eut un certain homme que l' on nommoit en François du Poeiz, & en Latin Podius, qui se frottoit aux robbes de nos meilleurs Poëtes, lequel ne pouvant attaindre à leur parangon, voulut par un esprit particulier escrire en cette enjance de vers, mais il y perdit son François. Le semblable est-il entre nous des vers d' unze syllabes. Car combien que la beauté de la Poësie Italienne gise en ces vers, empruntez des Hendecasyllabes Latins, esquels Catulle s' est fait appeller le Maistre: Mesmes que l' Italien les employe ordinairement en ses œuvres Heroïques, comme nous voyons Arioste l' avoir fait en son Roland le furieux, & Tasso en sa Hierusalem recousse: Toutesfois nous n' en avons jamais peu faire nostre profit en

France. Bien sçay-je que d' un vers dont le masculin est de huict syllabes, vous en pouvez faire un feminin de neuf, pour exemple.

Ne verray je point que ma France,

Comme en cas semblable d' un vers masculin de dix syllabes, vous le faites feminin de unze, comme par exemple.

Tu m' as rendu la force & le courage.

Mais c' est pour autant que ces deux vers finissent par l' E feminin, auquel les deux dernieres syllabes sont tenuës seulement pour une, parce que cest E mis en la closture d' un vers ne represente qu' un demy son. Il n' y a voyele en nostre vulgaire qui nous soit si familiere que l' E, dont nous faisons l' un masculin, qui se prononce tout de son plain, comme René, Aimé, Honoré: & l' autre que nous appellons feminin, lequel par un racourcissement de langage ne se prononce qu' à demy, comme femme, Rome, homme, orme. Mais laissant à part l' E masculin, la proposition est tres-vraye & tres-certaine en nostre Poësie Françoise, que tous mots qui ne tombent point soubs la terminaison derniere de l' E feminin, sont appellez masculins de quelque genre, & partie d' oraison qu' ils soient. Ce dont il nous faut souvenir pour les raisons que pourrez cy apres entendre. Or entre tous ces vers il y en a quelques uns où l' on observe la cesure. Nous appellons cesure une petite pause que l' on fait sur le milieu des vers. Et faut noter qu' il n' y en a que deux especes ausquelles elle soit necessaire. C' est à sçavoir aux quatre premieres syllabes du vers de dix syllabes, que Ronsard en son art Poëtic a appellé vers Heroïque, & aux six premieres des Alexandrins. Par exemple, pour vers Heroïque.

Entre les traicts de sa jumelle flame 

Je vey Amour, qui son arc desbandoit. 

Pour l' Alexandrin.

Puisque Dieu qui les cœurs des grands Roys illumine, 

Sire, vous a fait voir des vostres la ruine.

Si vous ostez la cesure, je veux dire l' hemistich & demy vers qui se trouve en ces deux manieres de vers, non seulement vous en ostez la grace, mais qui plus est ne sçavriez recognoistre le vers, ainsi que le pourrez voir par ces deux lignes. 

Je me veux ramentevoir à vous deux, 

Cestuy est de dix syllabes.

Je vous ayme par dessus toutes les beautez.

Cestuy est de douze syllabes, & neantmoins de l' un & de l' autre vous ne pouvez recueillir que deux lignes, & non deux vers. Bien sçay-je que Baïf en l' une de ses Chansons, voulut faire des vers de dix syllabes sans observer cette regle.

Oyez amans, oyez le plus nouvel ennuy

Que jamais ayez ouy,

De moy lors que me plain n' ayant dequoy:

Le ciel n' a rien laissé de ses riches thresors 

Pour m' orner esprit & corps 

Qui ont assujecti à mon mal malheur 

Tant d' hommes de valeur.

Ainsi va le demeurant de la Chanson, dans laquelle en chaque couplet, le troisiesme vers qui est de dix syllabes, est sans l' observation de la cesure au demy vers. Je voy bien que ce fut d' un propos par luy deliberé, toutesfois sans propos si j' en suis creu: Car en cela je ne voy aucune forme de vers. En tous les autres, horsmis de ces deux especes, la cesure n' est point necessaire.

Quelques uns ont estimé que ces Hemistiches, ou demy vers estoient de pareille nature que la fin du vers, & que quand ils se terminoient par l' E feminin, il ne falloit point craindre de les faire suivre d' une consonante, comme si cest E se fust mangé de soy-mesme tout ainsi qu' en la fin du vers. Posons par exemple au vers Heroïque.

Si de mon ame quelque pitié avez.

Ou en l' Alexandrin.

Si mon ame jalouze vers tous les vents se tourne.

Qui est un vice. Car il faut pour rendre le vers accomply, que l' E feminin soit embrassé par une voyelle suivante. Parquoy je diray.

Si de mon ame avez quelque pitié

Si mon ame jalouze à tous les vents se tourne.

Et de cecy la raison est, d' autant que l' E feminin fermé dedans le corps du vers, suivy d' une consonnante fait une syllabe entiere. Nous appellons cette cesure qui tombe en l' E feminin, la Couppe feminine, en laquelle Marot par la seconde impression de ses œuvres recognut avoir failly par la premiere, & que de ce il avoit esté adverty par Jean le Maire de Belges en cest hemistiche: O Melibée, de la version du Titirus de Virgile. Et pour cette cause corrigeant cette faute en la seconde impression, mist. 

O Melibée amy doux & parfait,

Et en un autre suivant.

O Melibe' je vey ce jeune enfant.

Ostant par une apostrophe l' E feminin, pour ne retomber en cette premiere faute.

Tout ce que j' ay cy dessus deduit regarde particulierement les syllabes dont nos vers prennent leur naissance, je veux maintenant parler de l' Economie generale qui se trouve en nostre rime. Laquelle est double, l' une qu' on appelle rime plate, l' autre croisee. La plate est quand sans aucun entrelas de rimes nous faisons deux vers d' une mesme consonance, puis deux de suitte d' une autre, & ainsi de tout le demeurant de l' œuvre: rime dont sont composez les Poëmes de longue haleine, comme la Franciade de Ronsard, ses Hymnes, les deux sepmaines du Bartas, les deux premiers livres de la Metamorphose d' Ovide de la traduction de Marot, les quatre & sixiesme de Virgile translatez par du Bellay. Et y a encores certaines autres pieces non de si longue tire, esquelles cette espece de rime est employee, comme aux Epistres, Elegies, Eglogues, Panegyrics, Complaintes, Dialogues, Comedies, Tragedies, voire de fois à autres, aux Epigrammes, tombeaux, & Odes par un droit de passe-partout dont elle est privilegiee, fors toutesfois aux Sonnets.

Quant à la rime croisee, c' est celle en laquelle nous entrelassons nos rimes les unes dedans les autres, laquelle est proprement destinée pour les Poëmes qui se font par couplets: Mot qui est de nostre ancien estoc, & dont il me plaist plustost user que de celuy de Stance, que par nouvelle curiosité nous mandions sans propos de l' Italien. Tels sont nos Quatrains, Sixains, Huictains, Dixains: Tels les autres couplets de cinq, sept, neuf, unze, douze, & quatorze vers, dont nous diversifions nos Odes, Chansons, & Sonnets, & anciennement nos Chants Royaux, Balades, & Rondeaux.

Icy je vous prie de peser qu' en ces deux manieres de rimes, nos Poëtes anciens ne faisoient aucun triage du masculin & feminin. Car quelquesfois en la rime plate ils mettoient une longue suite de masculins, sans l' E feminin, puis plusieurs E feminins ensemble sans masculins, ainsi qu' il leur tomboit en la plume, voire aux chansons mesmes. La plus belle chanson que fit Melin de Sainct Gelais, est celle qui se commence: Laissez la verte couleur, ô Princesse Cytherée. En laquelle vous ne trouverez aucun ordre des masculins & feminins, ains y sont mis pesle-mesle ensemblement: Qui est une grande faute aux Chansons, qui doivent passer par la mesure d' une mesme musique. Cela mesme fut pratiqué par du Bellay non seulement en sa traduction des deux livres de l' Eneide, mais aussi en son Olive, & encores en ses premiers vers Lyriques. Ce dont il se voulut excuser en une Epistre liminaire. Mais je ne puis recevoir cette excuse en payement de la part de celuy, que l' on disoit estre venu pour apporter nouvelle reformation à la Poësie ancienne. Joint que luy mesme non seulement ne s' en excuse, mais impute à superstition le contraire en son deuxiesme livre de la Defense, & illustration de la langue Françoise.

Le premier qui y mist la main fut Ronsard, lequel premierement en sa Cassandre, & autres livres d' Amours, puis en ses Odes garda cette police de faire suivre les masculins & feminins sans aucune meslange d' iceux. Et sur tout dedans ses Odes, sur le reglement du masculin & feminin, par luy pris au premier couplet, tous les autres qui suivent vont d' un mesme fil. Quelquesfois vous en trouverez de tous feminins, quelquesfois de tous masculins: chose toutesfois fort rare, mais tant y a que sur le modelle du premier couplet, sont composez tous les autres. Et au regard de la rime plate, il observa tousjours cette ordonnance, que s' il commençoit par deux feminins, ils estoient suivis par deux masculins, & la suite tout d' une mesme teneur comme vous voyez en sa Franciade. Si par deux masculins, ils estoient suivis par deux feminins sans entreveschure. Ordre depuis religieusement observé par du Bellay, Baïf, Belleau, & specialement par des Portes, Bertas, Pibrac. Et cette difference de l' ancienne Poësie d' avecques la nouvelle, vous la pourrez plus amplement remarquer en deux diverses traductions d' un mesme autheur. Hugues Salel, soubz le regne de François premier traduisit de Grec en François unze livres de l' Iliade d' Homere: Traduction qui fut du commencement caressee d' un tres-favorable accueil. Et toutesfois la mesme confusion du masculin & feminin y estoit, comme en celle de Marot des deux livres de la Metamorphose d' Ovide, Amadis Jamin ayant repris les arrhemens de Salel, & translata le demeurant de l' Iliade, avecques toute l' Odyssée: vous n' y trouvez rien de cette meslange ancienne, ains avoir en tout & par tout observé la nouvelle ordonnance de Ronsard sur la suite du masculin & feminin.

Je ne veux interposer icy mon jugement, pour sçavoir si cette nouvelle diligence est de plus grand merite & recommandation que la nonchallance de nos vieux Poëtes. Celuy qui sera pour le nouveau party comparera nostre Poësie à ces beaux parterres qui se font par allignemens en nos maisons de parade. Et l' autre qui favorisera l' ancien, dira que nostre Poësie estoit lors semblable aux prez verds qui sont pesle mesle diversifiez de plusieurs fleurettes, dont la naïfveté de nature ne se rend moins agreable, que l' artifice des hommes qui se trouve dans nos jardins. De moy je seray pour la nouvelle reformation, puisque tel en est aujourd'huy l' usage.

Mais je ne passeray soubs silence ce que j' ay observé en Clement Marot. Car aux Poëmes qu' il estimoit ne devoir estre chantez, comme Epistres, Elegies, Dialogues, Pastorales, Tombeaux, Epigrames, Complaintes, Traduction des deux premiers livres de la Metamorphose, il ne garda jamais l' ordre de la rime masculine & feminine. Mais en ceux qu' il estimoit devoir, ou pouvoir tomber soubs la musique, comme estoient ses Chansons, & les cinquante Pseaumes de David par luy mis en François, il se donna bien garde d' en user de mesme façon, ains sur l' ordre par luy pris au premier couplet, tous les autres furent de mesme cadence, voire que le premier couplet estant, ou tout masculin, ou tout feminin, tous les autres sont aussi de mesmes. Suivant cette leçon, Estienne Jodelle, en la maniere des anciens Poetes, en sa Comedie d' Eugene, & Tragedies de Cleopatre, & Didon, de fois à autres, mais rarement a observé la nouvelle coustume, mais en tous les Choeurs qu' il estimoit devoir estre chantez par les jeunes gars ou filles, il a faict ainsi que Marot en ses Chansons. Et vrayement je ne m' esmerveille point qu' entre une infinité de livres François, je n' en voy un tout seul qui ait esté autant de fois imprimé comme le Marot. Car combien qu' il n' eust le sçavoir correspondant à Ronsard, si avoit-il une facilité d' esprit admirable, qui l' a fait tellement honorer par les nostres, que s' il se presente quelque Epigramme, ou autre trait de gentille invention, dont on ne sçache le nom de l' auteur, on ne doute de le luy attribuer, & l' inserer dedans ses œuvres, comme sien.

C' est un heur qui luy est peculier entre les François, comme à Ausone entre les Latins. Il fut le premier Poete de son temps, Ronsard est celuy que je mets devant tous les autres, sans aucune exception & reserve. Car ou jamais nostre Poesie n' arriva, & n' arrivera à sa profection, ou si elle y est arrivee c' est en nostre Ronsard qu' il la faut telle recognoistre. Et toutesfois pour vous monstrer quel estat on doit faire de Marot, il feit un Panegyric sur la victoire obtenuë par François de Bourbon Seigneur d' Anguen à Carignan. Victoire pareillement depuis trompetee par Ronsard en la septiesme du premier livre de ses Odes. Je souhaitte que le lecteur se donne patience de les lire tous deux, pour juger puis apres des coups. Car encores que le style de Ronsard soit beaucoup plus relevé, que celuy de Marot, si trouvera-il subject loüant l' un de ne mettre en nonchaloir l' autre.