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jeudi 10 août 2023

9. 29. Invention de l' Imprimerie, & comme, & vers quel temps la langue Latine commença d' estre diversement cultivee en l' Europe.

Invention de l' Imprimerie, & comme, & vers quel temps la langue Latine commença d' estre diversement cultivee en l' Europe.

CHAPITRE XXIX.

Apres vous avoir discouru sur le fait de nostre Université de Paris, qui a produit tant de beaux & nobles esprits par le moyen des bonnes lettres; pourquoy ne me sera-il loisible de vous parler maintenant de l' Imprimerie qui baille vie aux bonnes lettres? Il me souvient d' un Epigramme dont un grand Poëte de nostre temps voulut honorer le docte Alde Manuce Imprimeur Italien, qui avoit par son impression mis en lumiere plusieurs anciens Poëtes, dont la memoire estoit, si non perduë, pour le moins aucunement esgaree: & ayant sur le commencement de son Epigramme monstré comme les Poëtes devoient estre mis au rang des Dieux, pour faire par leurs Poësies reviure les hommes illustres morts, en fin il conclud que Manuce estoit de plus grande recommandation & merite que les Poëtes, puisque par son Impression il leur redonnoit la vie.

Quod si (dit-il) credere fas Deos Poëtas, 

Vitam reddere quod queant sublatam,

Quanto est iustius, aequiusque quaeso,

Aldum Manutium Deum vocare,

Ipsis qui potuit suo labore,

Vitam reddere mortuis Poëtis.

Que si l' Université de Paris, & par mesme moyen toutes les autres ont avec le temps trouvé leurs grandeurs dedans l' Impression; pourquoy serions nous si ingrats de ne l' honorer de son embleme: veu que par une honneste liberté je veux croire que si l' ancienneté establit sept especes de sciences, je ne penseray forligner quand j' y adjousteray l' art de l' Impression pour huictiesme. Recognoissons donc s' il vous plaist quand, & par qui elle prit sa premiere naissance.

Si vous parlez à celuy qui a fait l' Histoire du Royaume de Chine és Indes Orientales, il vous dira que de toute ancienneté l' Impression y estoit en usage, & long temps auparavant qu' elle prist pied en l' Europe; ce qu' on ne peut dire de tout le demeurant de l' Univers, & par especial en nostre Christianisme, où nous n' avions, si ainsi me permettez de le dire, autres Imprimeurs que les Monasteres, aux Librairies desquels nous avions recours, comme magazins des livres manuscrits, qui plus, qui moins, selon le plus ou le moins de devotion qui residoit en ces familles pour l' exercice des bonnes lettres. Le premier qui nous garentit de cette disette fut Jean Gutemberg Gentil-homme demeurant en la ville de Majence, faisant profession des armes. Ainsi l' apprenons nous de Polidore Virgile en son deuxiesme livre de ceux qui furent inventeurs. Munster en sa Cosmographie y adjouste cette particularité, qu' ayant inventé la maniere d' imprimer, il ne la voulut tout aussi tost eventer, ains demeura plusieurs ans, luy donnant diverses façons, jusques à ce que n' y trouvant plus à redire, il la divulgua en l' annee mil quatre cens cinquante & sept. Nostre docte Veignier au second Tome de sa Bibliotheque Historiale, est de mesme opinion, & neantmoins dit que quelques uns attribuoient l' invention à un Joannes Faustius. Je veux croire qu' il y a faute en l' impression, d' autant qu' au lieu de Faustius, il faut lire Fustius. Qui ne seroit pas sans propos: Parce qu' il est autresfois tombé entre mes mains un livre des Offices de Ciceron, imprimé sur du parchemin, à la fin duquel estoient ces mots. Praesens Marci Tullij clarißimum opus, Ioannes Fusti Maguntius cinis (civis), non atramento, non plumali canna, neque aerea, sed arte quadam pulchra, manu Petri Gerrismi pueri, foeliciter effeci: finitum anno 1466. 4. die Februarij. Eloge duquel vous pouvez recueillir qu' en ce livre fut fait le premier coup d' essay de l' Imprimerie, lors fraischement inventee, & que Jean Fust est celuy auquel on le doit, sur la leçon qu' il avoit apprise de l' Autheur, si tant est qu' il y en eust un autre que luy.

Je vous ay dit que cette noble manufacture avoit esté inventee en l' an mil quatre cens cinquante & sept, & publiee en l' an mil quatre cens soixante & six. Grande chose, qui ne doit estre escoulee sous silence, que le siecle de l' an mil quatre cens fit honorer les langues Latine, & Grecque, & par mesme moyen les sciences. Auparavant, encores que vous y trouviez du sçavoir; toutes-fois en l' estallement d' iceluy, le debit se faisoit en une langue Latine goffe: & oze presque dire qu' en tous nos vieux livres Latins, qui veirent le jour depuis l' introduction de nos Universitez; voire plusieurs siecles auparavant, jusques vers le milieu de l' annee mil trois cens, il y avoit plus de barbarie, que de diction pure & nette. J' en excepte Eghinard, lequel on dit avoir esté Secretaire de l' Empereur Charlemagne, auquel par miracle particulier je trouve au peu qu' il escrivit de la vie, & mœurs de son Maistre, un langage qui ne se ressent en aucune façon de la parole barbare de son temps, ny de plusieurs autres siecles suivans. Chose qui me faict presque croire que celuy qui en fut l' Autheur, vivoit lors que la langue Latine fut rehabilitee entre nous, & que pour donner plus de foy & creance à son Histoire, il emprunta le nom d' Eghinard Secretaire de Charlemagne.

Toutesfois je me remets de cecy au jugement de ceux, qui avecques plus de diligence que moy ont fueilleté les manuscrits. Or le premier que je voy nous avoir affranchy de cette Barbarie fut François Petrarque, celuy qui entre les Poëtes Italiens a acquis le premier lieu de la Poësie Toscane: honneur toutesfois que je n' estime de telle recommandation, que celuy que je remarque maintenant en luy; d' autant que la langue Toscane se borne de l' enceinte de l' Italie, & la Latine de tout l' Univers: Ny pour cela ne pensez pas trouver en luy un langage revestu de toutes les fleurs qui depuis se trouverent en ses survivans: il ouvrit seulement le pas.

Tant y a que vous voyez en ses œuvres Latins une diction nette, un esprit moüelleux, nerveux, & sententieux, un stile court & concis. Bref vous recognoissez en luy un autre Seneque. Mais en cette conformité de plumes, il y eut cette distinction, que l' ancien Seneque ayant succedé au siecle doré d' eloquence de Ciceron, Cesar, Hortense, Saluste, Pollion, & donné quelque privilege particulier en ses escrits non familier aux anciens, fut jugé par Quintilian avoir le premier forligné de la delicatesse de la langue, & Petrarque estant né dedans un siecle barbare, s' estant aucunement mis en bute l' autre Seneque, fut le premier qui la restablit. Chose que je voy estre alloüee par Paule Jove, quand il dit de luy ces mots: Sed debeamus plurimum ingenio sudore semper aestuanti, dum litteras à multo aevo misere sepultas, è Gothicis sepulchris excitaret. 

Et Vives dedans ses livres de tradendis disciplinis: Franciscus Petrarcha ab hinc annos plures ducentis Bibliothecam iamdiu clausam reseravit primus, & pulverem situmque è monumentis maximorum authorum excußit. Quo nomine plurimum ei Latinus sermo debet, non est omnino impurus, nam squalorem sui saeculi non valuit prorsus detergere.

Ce que je vous remarque de ce grand personnage est du siecle de l' an 1300. car il nasquit l' an 1304. & mourut l' an 1374. ayant vescu soixante & dix ans. Ce que je vous deduiray cy-apres concerne le siecle de l' an 1400. Les deux premiers champions que je voy en ce siecle estre entrez en champ de bataille pour combatre cette barbarie, furent Laurent Valle Gentil-homme Romain, & Poge Secretaire de la Republique Florentine, tous deux armez d' armes de haut appareil, tant en la langue Latine que Grecque, & tous deux ennemis formels par une jalousie particuliere qu' ils avoient conceuë l' un contre l' autre. Tellement que ils s' attaquerent par unes & autres invectives Latines, & par leurs divisions particulieres s' accreut l' Estat general des bonnes lettres. Si vous croyez Raphaël Volaterran au vingt & uniesme Livre de son Anthropologie, nous devons à Poge les Institutions Oratoires de Quintilian, & les œuvres d' Asconius Pedianus: fuit in Concilio Constantiensi (dit-il) quo tempore, & Quintilianum, & Asconium Pedianum dicitur reperisse. Toutesfois je voy Quintilian avoir esté allegué long temps devant luy par Petrarque au I. livre de ses Epistres familieres, Epistre 8. escrivant à Thomas Messanense: qui me fait croire qu' auparavant il estoit en vogue: mais pour ne rendre Volaterran menteur, il faut croire qu' il n' estoit lors si correct, comme il fut depuis par la diligence & industrie de Poge: mais la beauté de ce conte est que si nous luy devons le Quintilian, qui est celuy auquel Laurent Valle a plus de creance, en sa deduction de l' elegance Latine, & ainsi le remarque Volaterran au mesme livre, Quintiliani imprimis admirator, simul & imitator. De maniere que par ce moyen il estoit grandement redeuable à Poge, avec lequel il exerçoit une inimitié irreconciliable.

Ces deux premiers entrez en champ de bataille, eurent plusieurs qui les suivirent en flote, si ainsi me permettez de le dire: Uns Marcus Antonius Sabellicus, Blondus, Georgius Trapezuntius, Aeneas Sylvius, depuis Pape, Domitius Calderinus, Bartholomaeus Capella, Rudolphus Agricola, Bartholomeus Platina, Franciscus Philelphus, Marsilius Ficinus, Ioannes Camarinus, Bartholomaeus, Baptista Guarinus, Georgius Merula, Ambrosius Calepinus, Ioannes Picus Mirandula, & Baptista Mantuanus: Mais sur tous Angelus Politianus, qui n' eut point son semblable entre tous ceux qui florirent en ce siecle, ainsi que nous voyons par ses œuvres: Et furent encores suivis par d' autres qui ores qu' ils fussent nez dedans le siecle de l' annee mil quatre cens, veirent celuy de l' an mil cinq cens, comme uns Hermolanus Barbarus, Philippus Beroaldus, Ascensius Badius, Iacobus Faber, Paulus Aemilius, Robertus Gaguinus. Tous ceux-là firent profession de la langue Latine, avecques lesquels les Grecs de nation voulurent estre de la partie; qui n' apporterent pas peu de lumiere & splendeur aux bonnes lettres: Uns Bessario depuis Cardinal, Jean Lascary de la famille des derniers Empereurs de Constantinople, Theodorus Gaza, Argyropilus, qui depuis provignerent avecques honneur la langue Grecque, que nous avons du depuis veuë grandement fleurir dans l' Université de Paris.

Ceux qui enseignerent le Latin, meslerent avecques le langage terse & poly, l' erudition & doctrine: Du depuis se trouva une nouvelle brigade, qui faisoit plus d' estat de bien parler que des sciences: Ainsi le trouverez vous dedans les lettres des Cardinaux de Bembe, Sadolet, Polus, & de Christophorus Longolius, & Petrus Bunellus. Et fut cette nouvelle secte cause qu' Erasme fit depuis un livre sous le nom de Ciceronian, pour monstrer combien cette opinion estoit prejudiciable aux bonnes lettres. Aussi ne voy-je point que ceux-là en ayent emporté le dessus; Ce fut une fleur Printanniere, ou passagere: nostre siecle porta quatre grands personnages en mesme temps, Erasme Alleman, Budé François, Alciat Italien, Vives Espagnol: & encore eusmes chez nous Adrian Tournebus, & Pierre Ramus, qui avec la superstition du langage par luy affectee traicta la Philosophie, & fit plusieurs autres livres pleins de doctrine & sçavoir: car quant aux Adversaires de Tournebus consistant en Humanité; c' est un ouvrage inimitable en varieté de sçavoir. Les Imprimeurs mesmes ont fait paroistre combien ils affectionnoient cette noble ambition: uns Aldus Manutius, & apres luy Paulus son fils dedans Venise: & en nostre France Robert Estienne par son Thezaurus linguae Latinae, qui n' eut jamais son pareil. Je ne vous fais part des autres qui se sont rendus florissans en ce sujet de nostre temps, dont le nombre est innombrable: Pour vous dire que depuis quelques annees en ça cette ardante devotion envers la langue Latine s' est grandement refroidie; & qui me fait douloir davantage, est qu' un Lipsius homme tres-docte, lequel ayant survescu tous ceux-là, & enseigné les bonnes lettres au pays Bas, a voulu prendre un party nouveau en ses escrits, les reparans de mots antiques hors d' usage. Bijarrerie que je voy aujourd'huy estre embrassee par plusieurs que l' on estime les plus doctes. De maniere que si nous n' y prenons garde, l' ancienne Barbarie se viendra loger derechef chez nous; dont Dieu par sa Saincte grace nous vueille garder. Et puis que je voy les opinions des doctes au fait de la plume se renverser de telle façon: il me plaist tout d' une mesme mesure finir ce Chapitre par un autre monde renversé. 

Le commencement de ce mien discours a esté sur l' Impression des Livres que j' ay attribuee à un Gentil-homme de Majence: Je le veux finir sur l' Artillerie, qui fut l' invention d' un Moine nommé Bertold Scuvards de l' Ordre de S. François, qui vivoit l' an 1354. Ne voyez vous en ces deux inventions un monde renversé. Un Moine inventeur de l' Artillerie, un Guerrier de l' Imprimerie. C' est pourquoy me joüant autresfois de ma plume je fis cette Epigramme Latin.

Bombardam Monacho debet male sana vetustas,

Et Monacho, cui pax alma colenda fuit. 

At mandare typis chartas à milite habemus,

Hoc unum est, currus ducit anhelus equos.


Invention de l' Imprimerie, & comme, & vers quel temps la langue Latine commença d' estre diversement cultivee en l' Europe.

dimanche 6 août 2023

8. 44. Ribaux, Ribaudes, Roy des Ribaux.

Ribaux, Ribaudes, Roy des Ribaux.

CHAPITRE XLIV.

Il n' y a dignité temporelle en France, qui entre en comparaison avecques celle du Roy: & neantmoins il n' y a parole en laquelle nos devanciers se soyent tant licentieusement desbordez qu' en cette cy, en subjects, les uns plus ravalez, les autres plus relevez. Roy des Merciers, Roy des Barbiers, Roy des Poëtes, Roy des Arbalestiers, Roy d' armes, Roy des Ribaux. Je vous laisse celuy de la Bazoche qui a lieu entre les Clercs du Palais. Et seroit tresmalaisé, voire impossible de dire pourquoy on honora les superieurs de ces six ordres du nom de Roy, au desavantage de tous les autres, & plus encores de deviner en quels temps ces Royautez imaginaires feurent introduites, fors celle des Arbalestiers, en laquelle nous trouvons lettres patentes de Charles

VI. du 26. Avril 1411. portans que le Roy avoit receu la suplication des Roy, Connestable, & Maistres de la Confrairie des soixante Arbalestiers de Paris: Le Roy des Merciers avoit l' œil sur les poids, aulnes, & mesures des Marchands: Le Roy des Barbiers, sur tous les autres Barbiers, ores qu' ils fussent passez Maistres en leur mestier & pouvoient l' un & l' autre, chachun endroit soy, proceder par amendes contre ceux esquels ils trouvoient quelque defaut.

Le Roy des Poëtes estoit celuy qui és jeux floraux de nostre Poësie ancienne se trouvoit avoir mieux besongne que tous les autres fatistes, & des lors l' année ensuivant jugeoit des Poësie (Poësies) de ses compagnons, ainsi que j' ay monstré au cinquiesme Chapitre du sixiesme livre de ces miennes Recherches: Le Roy des Arbalestiers, celuy qui avoit gaigné le prix sur ses Confreres au jeu de l' Arbaleste: & à vray dire les deux premiers visoient au gain sous le pretexte de leurs visitations, & les deux derniers à l' honneur. Quant aux Roys d' armes ou des armes, c' estoient les Heraux, lesquels comme messagers de paix ou de la guerre revestus de leurs cottes de velours pers pourfilées devant & derriere des armoiries d' or de la France, pouvoient aller trouver l' ennemy avec toute asseurance de leurs personnes pour executer ce qui estoit de leur charge.

Le dernier fut le Roy des Ribaux auquel j' ay dedié ce present Chapitre. De tous les autres nous sommes asseurez quelles estoient leurs fonctions; de cettuy cy on en doubte.

Si vous parlez à du Tillet, voicy quel en feut son advis, que je vous transcriray mot pour mot du tiltre du Prevost de l' Hostel du Roy.

Es Estats des Roys Philippes nommez au Chapitre precedant est faicte mention du Roy des Ribaux officier domestique, lequel se devoit tousjours tenir hors de la porte de l' Hostel du Roy, par l' ordonnance du Roy Philippe le long faite à Lorry en Gastinois le Jeudy 17. Novembre 1317. nommant Crasse Ire qui tenoit le dit office, ainsi appellé pour ce que les mauvais garçons estoient deslors appellez Ribaux, comme les filles, ou femmes abandonnées Ribaudes. Le mot de Roy estoit appliqué au superieur ou Juge, tout ainsi qu' au grand Chambrier le Roy des Merciers, à la Bazoche leur Roy, aux Arbalestiers leur Roy, & semblables. La charge du dit Roy des Ribaux estoit de faire Justice des crimes commis à la suite du Roy hors son Hostel. De ceux faits dedans, le grand & autres Maistres du dit hostel avoient la cognoissance. Le dit Roy des Ribaux avoit Varlets, ou Archers pour la force, & execution de son office, qui ne portoient verges au dit Hostel, & estoient de la jurisdiction des Maistres des Requestes de l' Hostel, lesquels anciennement avoient leur siege à la porte du dit Hostel, pour ouïr les Requestes, & plaintes de ceux de dehors, ainsi qu' il sera plus amplement deduit en leur Chapitre. Est ce que dessus concernant les Varlets du Roy des Ribaux recité au plaidoyé de la cause de I. Iunet le 16. Mars 1404. és Arrests de la Pentecoste 1270. est escrit Poincard Prevost des Ribaux. Car longues années apres, & le 22. Fevrier 1353. au second Arrest de Jean de Beauleem, le Roy des Ribaux est nommé pour chef de l' office, qui a depuis changé de nom, & regnant Charles VI. se trouve intitulé Prevost de l' Hostel du Roy. Les filles de joye suivantes la Cour font sous sa charge, & tous les mois de May sont subjettes aller faire sa Chambre.

Tout le reste du Chapitre concerne le fait, & charge du Prevost de l' Hostel. Et vrayement cette opinion n' est pas de petit effect, tant pour estre assistée d' un tel parrein, que le parrein des Arrests par luy alleguez, que je veux croire avoir esté par luy veus, puis qu' il en a cotté les dates, & noms des parties. Vray que j' eusse desiré qu' il eust particularizé le cas de l' un des Arrests pour en estre plus esclaircy.

Si vous vous adressez au President Fauchet vous le trouverez formellement de contraire advis au Chapitre du Roy des Ribaux premier livre des dignitez, & Magistrats de la France.

Celuy (dit-il) qu' on appelloit Roy des Ribaux ne faisoit pas l' Estat du grand Prevost de l' Hostel, comme aucuns ont cuidé, ains estoit celuy qui avoit la charge de bouter hors de la maison du Roy ceux qui n' y devoient manger, ou coucher. Car au temps passé ceux qui estoient deliurez de viandes (qui est ce que depuis on a dit avoir bouche en Cour) aprés la cloche sonnée se trouvoient au tinel, ou salle commune pour manger, & les autres estoient contraints de vuider la maison, & la porte fermée, les clefs estoient apportées sur la table du grand Maistre, & parce qu' il estoit defendu à ceux qui n' avoient leurs femmes de coucher en l' Hostel du Roy, & aussi pour voir si aucuns estrangers s' estoient cachez, ou avoient amené des garces, ce Roy des Ribaux, une torche au poing alloit par tous les coings, & lieux secrets de l' Hostel chercher ces estrangers soit larrons, ou autres de la qualité susdite.

En ces mots finit l' opinion de Fauchet sans toutesfois la fortifier d' autre authorité que de la sienne, luy qui d' ailleurs en tout son œuvre est prodigue en alleguation d' uns & autres Autheurs anciens, pour le soustenement de ses opinions; Vray qu' une page apres, sur la fin du Chapitre il adjouste ces mots. C' est trop s' asseurer de l' antiquité, de dire que le Roy des Ribaux faisoit l' Estat du Prevost de l' Hostel. Car dés le temps mesme de Charlemagne, il y avoit un Comes Palatij, qui jugeoit des differens des gens de la suite de sa Cour. Ainsi qu' on voit dans Eginard qui a escrit la vie de cest Empereur.

Je ne suis pas si mal apris que je vueille entreprendre jurisdiction & cognoissance sur ces deux personnages: Chacun d' eux porte son saufconduit sur le front; toutesfois si vous en croyez la voix commune du peuple, elle adhere plus à l' opinion du premier que du second, nonobstant son Comes Palatij, qui sous la troisiesme lignee de nos Rois a esté attribué à celuy qu' on appella grand Maistre. Et est certain que tout ainsi que le grand Maistre a pretendu estre fondé en jurisdiction des crimes qui estoient commis dedans la maison du Roy, aussi faisoit le semblable celuy qui sous la premiere, & seconde lignée, s' appelloit Comes Palatij, horsmis qu' en ce qui concernoit les Grands, il falloit en passer par le jugement du Roy. Et neantmoins si l' on me permet franchir le pas, & passer outre, je m' advantureray de dire que je treuve beaucoup à redire au premier: Car si le Ribaud estoit de son premier estre tel qu' il presuppose, je veux dire celuy qui abuse effrontément de son corps envers les femmes: Et la Ribaude celle qui fait le semblable à l' endroit des hommes. Pour à quoy remedier fut trouvé la jurisdiction du Roy des Ribaux, comme il dit. Hé vrayement nos ancestres ne furent guere sages, quand voulans designer celuy qui cognoissoit des causes criminelles en Cour, il fut par eux appellé, non Prevost, non Baillif, non Seneschal, ains Roy, & encore Roy des Ribaux, comme si la paillardise eust fait son principal & ordinaire sejour en la Cour de nos Rois. Chose fausse: car nous voyons par l' Ordonnance de sainct Louys de l' an 1254. qu' il chassa non seulement des villes, ains des champs, & consequemment de sa Cour, toutes garces & filles de joye. Et quand bien il s' y fust trouvé quelque abus, il falloit chastier ce vice sous le mot general de juge, comme l' on fait en toutes les autres jurisdictions de la France, & non le designer particulierement sous ce nom honteux du Roy des Ribaux. C' est pourquoy je veux deschifrer cette ancienneté tout d' un autre sens, qui n' a encore esté fait par aucun des nostres, & vous dire que du temps de Philippe Auguste, Ribaud n' estoit un mot de pudeur, ains d' honneur. Je ne doute point que dés cette premiere demarche je ne reçoive diverses atteintes, non seulement de la populace, ains de ceux qui font profession de bien entendre nostre langue Françoise. Le mot de Ribaud en France, ou de Ribaldi dans l' Italie, ne se peut prendre en bonne part, dit Nicot en son Dictionaire François. Adjoustez y le mot de Ribaude, encore y trouverez vous plus de honte; ce sont deux paroles pleines de vergongne. C' est pourquoy je supplie le Lecteur de suspendre son jugement jusques à la fin de ce mien discours, dedans lequel il verra une metamorphose admirable. Le mot de Ribaud sous le regne de Philippe Auguste estoit baillé à des soldats, ausquels il avoit tres-grande creance, en ses exploits militaires. Guillaume le Breton au troisiesme Livre de sa Philippide, dit que ce Roy estant venu pour donner confort & aide à la ville de Mante, que le Roy Henry d' Angleterre tenoit assiegee, soudain apres son arrivee, le Seigneur de Bar brave cavalier, avec ceux de sa banniere, & les Ribaux, attacqua chaudement l' escarmouche, & logea la spavente au camp de l' Anglois.

Hi, paucique aiij stimulante cupidine laudis,

Eminus admisso post Barrica signa feruntur, 

Armigerique suis dominis, qui deesse nequibant,

Et Ribaldorum nihilominus agmen inerme, 

Qui nunquam dubitant in quaevis ire pericla:

Et quelques vers apres, les nostres ayans vaillamment combatu & batu l' ennemy.

Nec munus armigeri, Ribaldorúmque manipli,

Ditati spolijs, & rebus, equisque subibant; 

Nec mora, Rex, & caetus ouans rediere Medonta, 

Et laeti somno se curavere, ciboque: 

Anglicus ex illo tunc tempore non fuit ausus 

Armato, nostros adoriri, milite fines.

Vous voyez qu' entre toutes les compagnies, il fait un singulier estat de celle des Ribaux. Le Roy Philippe apres avoir subjugué le Poitou, voulant assieger la ville de Tours, & trouvant la riviere de Loire luy faire obstacle. il choisit un Capitaine Ribaud pour la gayer.

Rex quodam duce Ribaldo vada tentat ubique,

Donec inundantis medio se fluminis, hasta

Appodians, ripa subito stetit ulteriori, 

Inventoque vado quasi per miracula, contra

Spem, contra fluvij naturam, transit absque

Remigis officio.

Et sur l' exemple de son Roy, toute l' armee ne douta de passer à gay la Loire, dont le Capitaine Ribaud leur avoit ouvert le premier chemin. Le Roy ayant mis le siege devant Tours: Ribaldi Regis (dit Rigord) qui primos impetus in expugnandis munitionibus facere consueverunt, eo vidente, in ipsam civitatem impetum fecerunt, & per muros cum schalis ascendentes ex improviso ceperunt. Quo audito Rex & exercitus, integram civitatem accepit, positis ibi custodibus, & ibidem aliquot dies gratias Deo agentes, solemnizaverunt.

Vous pouvez recueillir de ces passages, & specialement du dernier, que la compagnie des Ribaux estoit ordinairement à la suitte du Roy Philippe, tout ainsi que la Pretoriane dedans Rome à celle des Empereurs. J' ay repassé tout au long sur les dix livres de la Philippide du Breton, je ne trouve point en tout son œuvre qu' il donne nom expres à aucune autre compagnie qu' à celle-cy. Qui me fait dire que c' estoit la compagnie ordinaire de la garde du Roy; Et comme ainsi fust que l' on n' y enrolast que soldats d' eslite: aussi est-il advenu que depuis ce temps là jusques à huy, nous avons appellé puissans Ribaux, non les putassiers, ains tous hommes forts & membrus. Il leur falloit un Capitaine pour les conduire. Or tout ainsi que le Heraut qui estoit pres du Roy, fut appellé Roy d' armes, aussi fut ce Capitaine appellé Roy des Ribaux, non pour leur faire le procez ainsi qu' un Prevost de l' Hostel; ains pour les conduire à la guerre quand les occasions se presentoient. Ainsi le recueillay-je du Roman de la Rose, quand le Dieu d' Amours assemblant son ost, pour deliurer Bel-accueil de la prison en laquelle il estoit detenu, le dessus du Chapitre porte:

Comment le Dieu d' Amours retient,

Faux semblant qui des siens devient, 

Dont ses gens sont joyeux & baux,

Car il le fait Roy des Ribaux.

Et dans le discours du Chapitre.

Faux semblant par tel convenant, 

Tu seras à moy maintenant, 

Et à nos amis aideras, 

Et point tu ne les greveras:

Ains penseras les enlever, 

Et tous nos ennemis grever,

Tien soit le pouvoir & le baux 

Car le Roy seras de Ribaux.

Il est certain qu' en l' un & en l' autre vers le Roy des Ribaux est pris, non pour Juge; ains pour Capitaine. Tout de la mesme façon que depuis nous appellasmes Coronal de l' Infanterie celuy qui la conduisoit, mot qui approche de la Royauté. Et d' autant que cette compagnie estoit voüée à la garde du Corps du Roy, il falloit que son Capitaine tint pied à boule à la porte du chasteau. Le plus ancien Estat de la Maison du Roy, est celuy qui se trouve au plus vieux Memorial de la Chambre des Comptes de Paris cotté Croix, de l' an 1285. c' estoit la derniere annee du Roy Philippes le tiers fils de S. Louys, portant entr'autres ces deux articles.

Item ils seront deux portiers en Parlement quand le Roy n' y est, Philippot le Camus & un autre, & aura chacun 2. sols de gages, pour toute chose, & on leur defendra que par leur serment ils ne prennent rien de Prelat, ne d' aucuns, & qu' ils ne laissent nulli entrer en la chambre des Prelats, sans commandement des Maistres.

Item le Roy des Ribaux a six deniers de gages, & une provende, & un valet à gages, soixante sols pour robbe par an.

Le Parlement n' estoit lors resseant en la ville de Paris, ains suivoit la Cour du Roy. Au moyen dequoy il y avoit sa chambre pour juger les procez, & deux portiers, avec expresses inhibitions & deffences de prendre argent des Prelats pour y entrer. Et on y met apres le Roy des Ribaux que j' explique pour la garde du Corps du Roy. Chose qui se descouvre bien amplement par un autre Estat fait sous le Roy Philippes le Long, qui est au mesme Memorial.

C' est l' Ordonnance de l' Hostel du Roy Philippes le Grand, faite à Lorry en Gastinois le Jeudy dix-septiesme jour de Novembre mil trois cens dix-sept. Quand on vient à parler de ceux qui devoient avoir la garde des portes de la Maison du Roy.

Les Huissiers de Salle cinq. C' est à sçavoir Thiebaut, Olivier, Philippe, Jean le Clerc, & Geoffroy. Dont il y en aura tousjours 3. en Cour, & s' aideront pour servir par temps, & aura chacun une provende d' avoine, & XIX. deniers de gages pour toutes choses, & liuraison de chandelles, IX. quayer, & VI. conistres, & non point liuraison de vin.

Item portiers quatre, dont les trois seront tousjours en Cour, & aura chacun une provende d' avoine, & XIII. deniers de gages pour toutes choses, ils doivent avoir conistres, & aura la porte 9. cinquain, 9. quayer, & 12. chandelles courtes, & aura pour tout demie moule de busches.

Item trois varlets de porte qui mangeront à Cour, & n' avront autre chose, mais qu' eux trois ensemble avront 9. quayer pour esveiller, & chacun une conistre, & une bote de feurre. 

Item Crasse Joé Roy des Ribaux ne mangera point à Cour: mais il aura six deniers tournois de pain, & deux quartes de vin, une piece de chair, & une poule, & une provende d' avoine, & 13. deniers de gages, & sera monté par l' Escurie, & se doit tousjours tenir hors la porte, & garder qu' il n' y entre que ceux qui y doivent entrer. 

Du Tillet s' est aidé de cet article pour verifier son intention, & dit que l' on recueille de luy que le Crasse Joé qui y est nommé Roy des Ribaux estoit comme le Prevost de l' Hostel. Je voudrois sçavoir sur quel tiltre il voulut faire ce commentaire: Car nulle mention de juger, au contraire prenez l' Ordonnance tout de son long, vous verrez estre question seulement de la garde de l' Hostel du Roy. Et à cet effect elle commence par cinq Huissiers, puis passe à quatre Portiers, puis à trois varlets des portiers, declarant quelles estoient leurs charges, & en fin aboutit au Roy des Ribaux, auquel vous voyez estre aussi enjoint de garder la porte, mais avec plus d' appointement que tous les autres, luy assignant mesme un cheval de l' escurie du Roy; Qui est celuy qui ne voye que par cet article on n' entendit jamais parler d' un qui representast le Prevost de l' Hostel, lequel ne fut jamais commis à la garde des portes de la Maison du Roy: Mais bien que ce Roy des Ribaux avoit la charge de garder la porte, comme celuy qui estoit Capitaine des gardes du Roy. Je sçay bien que depuis ces Ribaux degenererent de leur ancienne vertu: comme je toucheray cy-apres. Ny pour cela ne fut ceste Capitainerie supreme, dont on voyoit l' image, non l' effect. Parce que l' on trouve au Memorial de la Chambre des Comptes cotté C. une Ordonnance du Roy Philippes de Valois sur son Hostel, & sur celuy de Monsieur le Duc d' Orleans son fils du 28. May 1350. par laquelle apres avoir compris sous un general article, Tailleur, Cordonnier, une Guette, un Huissier de la Salle, deux Portiers, deux Varlets de porte, quatre Varlets servans du vin, on adjouste immediatement cet article. Le Roy des Ribaux cinq sols par jour pour toutes choses. Qui estoit garder la mesme police que celle de Philippes le Long, mais avec un retranchement de sa pension ancienne. Jusques à ce qu' en fin pour monstrer combien cette charge estoit venuë avec le temps en nonchaloir, je trouve au Memorial cotté E, une Ordonnance du Roy Charles VI. du mois de Janvier 1386. portant ces mots. Le Roy des Ribaux 4. sols parisis par jour quand il sera à Cour pour toutes choses. Toutes les autres Ordonnances ne portoient point cette restriction de Cour. A la verité Fauchet avoit eu quelque ressentiment de cette ancienneté, quand il disoit que le Roy des Ribaux avoit la charge de fermer la porte à ceux qui ne devoient entrer en l' Hostel, mais de la particulariser de la façon comme il fait, je voudrois pour m' en rendre capable, avoir un autre garand que de luy seul.

Et pour m' estancher de ce long discours, & monstrer en peu de paroles, qu' il n' y avoit aucune communauté entre le Roy des Ribaux, & celuy que depuis nous appellasmes Prevost de l' Hostei, je prens droit (permettez moy de faire icy l' Advocat pour le soustenement de mon opinion) sur ce que du Tillet dit en la fin de son Chapitre. Des sentences du Prevost de l' Hostel (dit-il) en matiere civile les appellations ressortissent du Parlement, comme appert par les Registres d' iceluy des 21. Avril, & 29. Decembre 1486. Or est-il qu' en ce mesme temps il y avoit un Roy des Ribaux couché en l' Estat de l' Hostel du Roy, comme je vous ay cy-dessus touché: Il est donc vray de dire que c' estoient offices distincts. Ny pour ce que j' en discours je n' entens m' advantager au desadvantage de la memoire de du Tillet, ausquels la France a tres-grande obligation. En ces douteuses anciennetez je laisse la liberté aux plumes de me contredire, & au Lecteur de suivre telle opinion qu' il luy plaira: Sauf aux ans de juger des coups.

Quelqu'un paravanture desirera sçavoir de moy dont ce nom de Ribaud a esté emprunté, qui prendra cy-apres un autre visage. Cette compagnie de Ribaux, n' est, ny la premiere, ny la derniere, qui ont eu noms particuliers dont on ne sçait l' origine, desquelles les unes reüssirent avec le temps à honneur, & les autres à deshonneur. Amian Marcellin nous tesmoigne que vers le declin de l' Empire il y eut deux braves compagnies guerrieres, l' outrepasse de toutes les autres, dont l' une estoit appellee Gentilium, & l' autre Scutariorum, sans que sçachions comment, ny pourquoy leur furent baillez ces deux noms. Et de ma partie veux croire, comme j' ay traité ailleurs, que d' elles vindrent en usage ceux que depuis nous appellasmes en France Gentilshommes & Escuyers: Car il est certain que nostre Noblesse Françoise prist son commencement par les armes, & qu' entre toutes les nations estrangeres, qui se firent riches de la despoüille de l' Empire, il n' y en eut pas une des autres, qui emprunta tant des mœurs, & discipline des Romains que la Françoise, comme nous tesmoigne Procope.

Ces deux compagnies de Gentils & Escuyers prospererent. Au contraire deux autres qui avoient tenu dedans la France, lieu de primauté entre les guerriers, s' abastardirent avec le temps, & par un mesme moyen tomberent en l' opprobre de tout le monde. Pendant la prison de nostre Roy Jean, les Anglois s' estans emparez de la ville de Melun fermoient la porte aux basteaux & marchandises qui descendoient du haut de la riviere de Seine à Paris. Au moyen dequoy Charles son fils lors Regent en France, pour faciliter la descente ordonna certain nombre de Soldats, Brigands, Paluoisiens, Archers, & Arbalestiers qui seroient continuellement en basteaux couverts, pour servir d' escorte aux autres basteaux. Par cela vous voyez que la compagnie des Brigands estoit lors mise la premiere en ordre, comme estant de plus grand respect que les autres. Le semblable avoit il esté auparavant en celle des Ribaux: Et neantmoins l' une & l' autre forlignans par succession de temps, des Brigands on feit des Voleurs & guetteurs de chemins en nostre commun langage, & des Ribaux une je ne sçay quelle enjance de putassiers. Deux vices assez familiers aux soldats, si par une discipline estroite ils ne sont tenus en bride par leurs Capitaines. Or commença cette desbauche bien avant sous le regne du Roy Philippes le Bel, comme vous pouvez descouvrir par le Roman de la Rose, dedans lequel vous trouvez, Ribaux & Ribaudes estre pris pour personnes qui mettent indifferemment leurs corps à l' abandon, sans aucun soin de leur honneur. Et signamment quand vous voyez le Dieu d' Amours faire Faux semblant Roy des Ribaux: Car la beauté de ce passage est, que Jean de Mehun Autheur du Roman, qui vivoit sous Philippes le Bel, nous ayant representé quelle estoit la nature du Roy des Ribaux de son temps, qui ne signifioit autre chose que Capitaine, il represente aussi quel estoit le vice des Ribaux de son temps, ausquels il baille pour Capitaine Faux semblant. Et est une chose esmerveillable qu' avec le temps l' Estat de ce Roy des Ribaux alla tellement au raval, que je le voy avoir esté pris pour executeur de haute Justice. Jean Boutillier dedans son livre intitulé Somme Rurale, qui commença d' estre mis en lumiere le 22. Juillet 1490. Cela s' appelle la derniere annee du regne de nostre Roy Charles VII. Ce docte praticien (dis-je) discourant les droits qui appartenoient aux 2. Mareschaux de France: car lors il n' y en avoit d' avantage. Ces 2. Mareschaux (poursuit-il) peuvent faire & accoustrer un Prevost, qui peut & doit avoir pouvoir d' eux deux, où soient empraintes les armes des dits Mareschaux, & premieres du premier Mareschal. Par devant lequel Prevost peuvent estre ventilees toutes les causes qui au droit des dits Mareschaux appartiennent en la Judicature, & doit avoir de chacune commission 2. sols: de chacune amende 60. sols, en quoy il commande, il doit avoir 17. sols. Et pareillement si l' amende estoit de 60. liures, en quoy enqueurt toute personne qui fait ou vient contre les Estats des dits Mareschaux, il a aussi 17. liures. Item a le dit Prevost le jugement de tous les cas advenus en l' ost, ou chevauchie du Roy, & le Roy des Ribaux en a l' execution. Et s' il advenoit qu' aucun forface de corps, qui soit mis à execution criminelle, le Prevost de son droict a l' or & l' argent de la cheinture au malfaicteur: & les Mareschaux ont le cheval, & le harnois, & tous outils se ils sont; reservé le droict, & les habillemens quels qu' ils soient & dont ils sont vestus, qui sont au Roy des Ribaux qui en fait l' execution. Le Roy des Ribaux se fait toutes-fois que le Roy va en ost, ou en chevauchie: appellez l' executeur de ses sentences, & commandement des Mareschaux, & de leur Prevost. Le Roy des Ribaux a son droict à cause de son office, & cognoissance sur tous jeux de dez & de berlans, & d' autres qui se font en l' ost & chevauchee du Roy. Item sur tous les logis de bourdeaux & femmes bourdelieres doit avoir 2. sols la semaine.

Je ne feray aucun commentaire sur cet article; car le texte est assez clair, pour cognoistre quelle estoit la charge du Roy des Ribaux du temps de Jean Boutillier. Mais je vous prie de considerer en quel desarroy est en cet endroit nostre histoire: Car du Tillet estime que les filles de joye sont aujourd'huy sous la charge du Prevost de l' Hostel en Cour, comme ayant emprunté cette belle dignité du Roy des Ribaux lors qu' il estoit en pleine vogue: Au contraire Boutillier la luy attribuë, lors que de grand Capitaine, on luy veit faire la charge d' executeur de la haute Justice. Au demeurant pour ne laisser en ce sujet rien en arriere: Je sçay qu' il y a quelques vieux exemplaires de l' Ordonnance du Roy S. Louys de l' an 1254. qui parle des femmes folles & Ribaudes, en l' article auquel il bannit du Royaume tous les bordeaux. Chose qui pourroit apprester à penser que deslors le mot de Ribaud fut pris de mauvaise part. Cette Ordonnance fut faite en Latin (ainsi que l' usage commun de la France le portoit lors, & auparavant) & depuis traduite par diverses plumes, chacune desquelles approprioit sa version au langage commun de son temps. Et de fait je vous puis dire avoir veu une version plus ancienne que celle-là, portant au lieu de Ribaudes, femmes follieuses. Pareille faute trouvons nous aux anciens manuscrits de nostre Roman de la Rose: en chacun desquels le langage François est tel qu' il estoit lors qu' ils furent copiez, horsmis la ruine des vers, ausquels ils ne peuvent donner aucun ordre. Voire y trouverez vous je ne sçay quoy du ravage de ceux qui en furent copistes, je veux dire de leur Picard, Normand, Champenois. Qui sont choses ausquelles le Lecteur doit avoir grand esgard premier que d' y interposer son jugement.

lundi 5 juin 2023

3. 8. Des libertez de l' Eglise Gallicane sous la seconde famille de nos Roys.

Des libertez de l' Eglise Gallicane sous la seconde famille de nos Roys. 

CHAPITRE VIII. 

*Estant la grandeur du Pape telle que j' ay cy-dessus discouruë, & infiniment respectee en ce qui dependoit de la foy, pour la grande religion qui tousjours avoit reluy dedans Rome, cela fut cause que Pepin qui avoit la force de France en ses mains desirant faire tomber la Couronne en sa famille, eut recours au Pape de Rome, (ainsi que j' ay deduit en un autre chapitre) par lequel il fut proclamé Roy de France, & apres son decez Charles son fils fut aussi couronné Empereur. Tellement que de là en avant les Papes commencerent de s' accroistre dedans ce Royaume, en prerogative & grandeur d' une autre façon qu' auparavant. Car plus d' authorité leur donnoit-on, & plus l' on confirmoit la Royauté de nouvel adjugee à ceste seconde famille, à la confusion de la premiere. Et lors commencerent aussi de prendre tiltres plus hauts. Parce que tout ainsi que du commencement, ils avoient esté seulement appellez Evesques de Rome, puis Papes: aussi dés lors en avant on commença de les appeller, tantost Apostoles, tantost Apostolics, sans autre suitte de paroles: & eux mesmes quand ils parloient de leurs actions, avoient accoustumé d' user de ceste maniere de parler. Nostre Apostolat ordonne telle, ou telle chose. Outre que cela se remarque fort souvent dans l' ancienneté, il n' y a lieu toutesfois qui soit plus digne d' être noté que de Rheginon Abbé, qui estoit sur la fin de ceste lignee, vers le regne de Charles le Simple. Cestuy au premier livre de son Histoire, où il parle sommairement de la premiere famille de noz Roys, n' a autre mot dans la plume que celuy de Pape quand il parle du siege de Rome: mais quand au deuxiesme, il descend à la lignee de Pepin, tout aussi tost commence-il d' appeller le Pape ores Apostole, ores Apostolic, & sur tout n' use jamais du mot de Pape, qu' il ne l' appelle Pape universel, voire que quelques Evesques ne rendans honneur condigne au Siege de Rome, dit qu' ils blasphemoyent contre le Pape: & encores que ce changement de style procede plus en cest Autheur d' une simplicité Monachale, que de discours: si est-ce que de ceste simplicité nous pouvons recueillir la verité de l' Histoire. Ayant Rheginon escrit de ceste façon selon le moins, ou le plus d' authorité qu' il voyoit avoir esté prise par les Papes, selon la diversité des temps & saisons.

Or combien que l' authorité du sainct Siege Apostolic fut lors tres-grande, si ne faut-il estimer que pour cela s' esvanouist l' ancien usage de noz Concils, ny par consequent de noz privileges, ains furent diversement tenus soubz Pepin, Charlemaigne, & Louys le Debonnaire, sans en rien changer la forme qui avoit esté suyvie soubz noz premiers Roys, voire de plus grande efficace en plusieurs articles. Car entre autres choses il fut celebré un Concil à Verdun, pour la reformation de toutes les Eglises de France, & d' Allemaigne, par lequel en reprenant les arrhemens des anciens Peres, il fut ordonné qu' il n' y avroit en une Eglise qu' un Evesque: que les Evesques obeiroient aux Metropolitains, que l' Evesque avroit toute Jurisdiction sur son Clergé, tant regulier que seculier: Que deux fois l' an on tiendroit Concil en France, les premiers jours de Mars & d' Octobre, en telle ville qu' il plairoit au Roy: Que les Monasteres tant d' hommes que de femmes vivroient selon les reigles de leurs ordres, & s' ils refusoyent de ce faire, que l' animadversion en demoureroit par devers l' Evesque, & par appel par devant les Metropolitains, que le Roy entendoit constituer dessus les Provinces: Que les differends, qui pourroient sourdre entre le Metropolitain & l'  Evesque, seroient vuidez par la decision d' un Concil: Qu' une Abbesse n' avroit qu' une Abbaye, & defense à elle de sortir sinon par necessité, & encores avecq' le congé de son Evesque. Que l' excommunié ne pourroit entrer dedans l' Eglise, ny manger, ny boire avec un autre Chrestien, ny le saluër, ou approcher de luy pour prier Dieu qu' il ne se fust premierement reconcilié avecq' son Evesque. Et si dedans certain temps il ne se mettoit en devoir de faire lever les censures Ecclesiastiques, que l' on implorast le bras seculier encontre luy.

En ce Concil general passerent plusieurs autres articles notables, esquels n' est faite mention des Papes, non plus qu' en ceux qui furent tenus soubz Charlemagne, & Louys le Debonnaire, és villes de Paris, Compostelle, Strasbourg, Arles, Aix, Majence, Tours, Chalon, & autres situees, part en la France, part en Allemaigne, & Espaigne, lesquelles estoient souz la domination de ces deux Roys, & Empereurs. Et par especial est fait grand estat de cinq Concils, qui furent celebrez soubz Charlemaigne. Concilia quinque iussu eius (dit Rheginon, & apres luy Adon de Vienne) super statum Ecclesiarum per totam Galliam ab Episcopis celebrata sunt. Quorum unum Maguntia, alterum Rhemis, tertium Turonis, quartum *Cabilonis, quintum Arebate, congregatum est: & constitutiones, quae in singulis falta sunt, ab Imperatore sunt confirmata, quos qui nosse voluerit, in supradictis civitatibus investire poterit, quanquam & earum exemplaria in archivo Palatii habeantur. 

Les Evesques (dit-il) par le commandement de l' Empereur assemblerent cinq Concils parmy la Gaule, dont l' un fut à Majence, l' autre à Rheims, le tiers à Tours, le quart à Chalon, & le cinquiesme à Arles. Et toutes les constitutions qui furent faictes en chaque Concil, furent confirmees par l' Empereur: desquelles qui voudra avoir plus certaine information, il les pourra trouver en icelles villes, combien qu' il y en ait autant és archifs & thresor du Palais. Passage merveilleusement recommandable, pour montrer que non seulement la police Ecclesiastique de France s' assoit en ce temps là par noz Concils, mais aussi que l' on y requeroit l' authorité du Prince, tant pour l' ouverture, que confirmation d' iceux: Tout ainsi que pour le jourd'huy l' emologation d' une Cour de Parlement: Chose qu' il ne faut pas trouver estrange. Car aussi est-ce la verité que ces Concils, recognoissans prendre authorité par noz Roys, determinoient indifferemment ce qui concernoit tant la police seculiere, que Ecclesiastique. Qui fut à mon jugement cause que le mesme Rheginon, que j' ay cy dessus allegué, confond les mots de Synodus, & Placitum, combien que celuy-là fut seulement destiné pour les Ecclesiastiques, & cestuy pour les Seculieres. De là est pareillement venu qu' Ansegise Evesque reduisant par escrit les anciennes constitutions de Charlemaigne, & Louys le Debonnaire son fils, mesle & le spirituel; & le temporel dans icelles, le tout par un entrelas de puissance, a fin que tout ainsi que noz Prelats, par la tolerance, ou permission de noz Roys, jectoient l' œil quelquefois sur le reglement de la police seculiere, comme si ell' eust esté de leur fonds: aussi le Roy par le consentement general de tous les Prelats se donnoit Loy sur toutes les deux. Car il ne faut faire aucune doute que noz Roys n' eussent adoncques cognoissance de la discipline de leur Clergé. Et c' est aussi ce que nous enseigne Aimoïn au cinquiesme de son Histoire, quand il dict, que le Debonnaire fit publier un livre concernant la discipline Ecclesiastique. Ce dont cest autheur pouvoit seurement parler, d' autant qu' il estoit de ce mesme temps. Or dans ces Loix de Charlemaigne, & Louys, vous y pourrez recognoistre une infinité de sainctes constitutions, dignes de la grandeur de noz Roys. De quelle marque sont celles-cy. Qu' il ne fust loisible à un Evesque de promouvoir à l' ordre Ecclesiastic un Esclave, sans le gré & consentement de son maistre: Que les Vierges que lon vouloit faire Religieuses ne fissent profession qu' elles n' eussent attainct le vingt-cinquiesme an de leur aage: Que nul ne fust faict Prestre, qu' il n' eust trente ans passez, & accomplis: & que pareillement il n' eust esté bien & deuëment examiné: Injonction aux Prestres, c' est à dire aux Curez, de donner à entendre au menu peuple l' Oraison Dominicale, a fin qu' en priant Dieu, il sceust ce qu' il luy demandoit: Que les Evesques fussent éleuz par le Clergé & le peuple: & les Abbez par les Religieux: Commandement aux Evesques d' annoncer la saincte parole de Dieu à leur peuple: defenses de recevoir les enfans Religieux, ou Religieuses sans l' expres consentement de leurs peres: Que les hommes de franche condition ne peussent prendre clericature de l' Evesque sans prealable permission du Roy: & ce pour autant qu' il avoit entendu que plusieurs prenoient ceste qualité, non tant par devotion qu' ils eussent à Dieu, que pour s' exempter des charges seculieres qu' il leur convenoit supporter pour le service du Roy? Que chaque Seigneur fust tenu de nourrir ses mendians invalides sur sa terre & seigneurie, sans permettre qu' ils vaguassent ailleurs: Que les Eglises servissent à tous de franchise: De ne publier legerement, & sans grande cause des censures Ecclesiastiques: De n' ensevelir les morts dedans les Eglises, ains seulement aux Cimetieres: Que les Evesques donnassent ordre d' avoir escholes publiques en leurs dioceses pour l' instruction des enfans aux bonnes lettres. Defenses d' aliener le bien de l' Eglise, & aux Tabellions d' en recevoir les contracts, sur peine de bannissement: Que les dismes fussent conservees aux Eglises: Et plusieurs autres ordonnances de mesme subject que je passe pour briefueté souz silence, par lesquelles vous pourrez voir que ce n' est de ceste heure que noz Roys sont en possession d' avoir l' œil, & intendance sur la police Ecclesiastique.

Toutesfois les affaires de la France ne demourerent pas longuement en cest estat souz ceste famille. Car tout ainsi que toutes choses violentes ne sont jamais de duree, aussi ceste famille estant en peu de temps arrivee en une extremité de grandeur, elle esprouva souz trois Roys, trois aages, sa jeunesse souz Pepin, sa virilité souz Charlemaigne, & sa vieillesse souz Louys le Debonnaire. Car tous ceux qui leur succederent, ne firent, à mon jugement que radoter, ainsi que nous voyons quelques uns par leur aage decrepit tomber au rang d' enfance. Ce ne furent que partialitez, que divisions, tantost entre les freres, tantost entre les cousins, puis avecq' leurs propres subjects, jusques à ce que pour closture de ces tragiques spectacles, ils descheurent en fin totalement de leur Estat, par la promotion de Hugues Capet, soubz la lignee duquel on establit une nouvelle forme de Republique. Pendant lesquelles divisions le Pape qui par la confederation qu' il avoit faite avecq' les trois premiers Roys, communiquoit fort souvent avecq' les François, se donna plusieurs grandes authoritez sur noz Roys, auparavant incogneuës: & encores dessus noz Prelats, lesquels mesmement tournans en abus les Concils anciens de la France, & ce qui estoit de devotion, s' oublierent tant que pour gratifier à l' ambition detestable des enfans Louys le Debonnaire qui ne feit jamais faute aux siens que par une trop grande simplicité, que nous avons couvert du mot de Debonnaireté) feirent un Concil à Lyon, quelques uns disent à Soissons, où ils excommunierent leur Roy, & le declarerent incapable, & indigne tant de l' Empire, que du Royaume, permettans à ses enfans de s' en emparer. Ce qui fut apres cher vendu à noz Ecclesiastics. Parce que depuis cest ambitieux Concil, je ne voy plus gueres en usage ceste dignité ancienne de Concils, ou par une juste vengeance de Dieu, pour avoir ainsi temerairement abusé de leur authorité au prejudice de leur Roy, ou bien que les Roys mesmes faicts sages par cest exemple, en voulussent retrancher l' authorité & l' usage. Car combien que l' on celebrast puis apres quelques Concils, si ne furent ils de telle efficace que les anciens. Quoy que foit, depuis ce temps là les Papes gaignerent grande puissance dessus nos Prelats, & au lieu où auparavant quelques uns d' entre eux affligez s' estoient retirez en la ville de Rome comme en une ressource de leurs afflictions pour en tirer quelque honneste support, & ayde, ainsi que firent Maxime, Brice, Salon, Sagitaire, Urcissin, on commença de là en avant d' abreger ce mot, & d' une ressource en faire un ressort, & appeller au Pape des torts & griefs, que les Ecclesiastics pretendoient leur avoir esté faits par leurs confreres. Pareillement le Pape eut souvent des Legats en France, qui s' en faisoient croire. Chose à quoy la porte fut d' autant plus aisec à ouvrir qu' avecq' l' ambition s' estoit en ce temps là logee l' ignorance chez nous. Car Rheginon nous tesmoigne que deux Legats du Pape estans retournez de France à Rome, rapporterent au Pape Nicolas premier, que jamais ils n' avoient trouvé tant d' asnerie, que celle qui estoit lors en nostre Eglise: n' y ayant un tout seul Prelat qui fust sainement nourry aux constitutions Canoniques. Au contraire à peine que Rome eut jamais un Pape de plus grand sens que Nicolas (je n' en excepteray ny Leon premier, ny S. Gregoire) en ce mesmement qui appartenoit à l' accroissement du siege de Rome. J' ay dit en quelque autre endroict qu' entre tous les Papes, il y en eut trois, ausquels la Papauté estoit grandement redeuable, qui furent premiers de leurs noms, Leon, Gregoire, & Nicolas, dont les deux premiers furent par la posterité surnommez les Grands. Leon comme grand Prelat qu' il estoit, pour le respect qu' on luy portoit, fut le premier de tous les Papes qui receut le titre d' Universel au Concil de Chalcedoine, par ceux qui presenterent requestes. Et ores que Gregoire premier combatist fortement contre ce tiltre, craignant que le Patriarche de Constantinople ne le prist, & que par ce moyen il ne se voulust prevaloir d' un degré dessus l' Eglise de Rome, comme celuy qui avoit quelque faveur pres de l' Empereur Maurice: si est-ce que ce grand & sage Prelat Romain couvoit ceste mesme grandeur dans sa poictrine, comme j' ay deduit ailleurs, mesmes qu' en l' une de ses Epistres il soustient que le Constantinopolitain estoit subject au Pape de Rome. Toutesfois ce procez, qui sembloit estre pendu au croc, fut bravement, & hardiment jugé par Nicolas premier, escrivant tant à Michel Empereur de Constantinople, qu' à Phocius Patriarche pour la defence d' Ignace, qu' il jugeoit avoir esté soubs un Concil feint, & simulé mal exterminé de son siege. Car il leur monstre par vifves raisons que le sainct siege Apostolic estably dedans Rome, ville par les anciens nommee Eternelle, tenoit ses privileges, non par emprunt d' un Concil de Constantinople, ou de Chalcedoine, ains en proprieté de Dieu, & de la saincte Escriture. Partant qu' il n' estoit en la puissance d' aucun Prince terrien de les deraciner. Qu' à S. Pierre, duquel luy, & les Papes estoient vicaires, avoit esté baillee puissance de par Dieu universellement sur toutes les Eglises du monde, & que le seul mot de l' Eglise Romaine contenoit ce que ce grand seigneur vouloit être compris sous le nom de toutes les Eglises, desquelles pour ceste cause luy appartenoit avoir le soin. Qu' il n' y avoit en tout cest Univers, auctorité quelle qu' elle fust, qui se peust parangonner à l' Apostolique, & que ce qui s' estoit passé par jugement, ne pouvoit être en aucune façon retracté. Que les anciens Canons avoient voulu que de tous les Climats du monde on peut appeller au sainct Siege de Rome, mais que nul ne pouvoit appeller de luy. Et adjoustoit puis apres, que nulle reigle, nulle coustume n' enseignoit que l' on peust sans l' expres consentement du Pape anuller une sentence par luy donnee. Bien la pouvoit-il luy mesmes reformer selon l' exigence des affaires. Que de toute ancienneté les Papes estoient en possession de ceste grandeur dés le bers mesme de nostre Eglise. Qu' ainsi Victor, qui n' estoit grandement eslongné du temps des Apostres, avoit excommunié les quartodecimains de l' Asie: Que Jules avoit donné assignation à Athanaise, & ses Coevesques de comparoir à Rome par devant luy: A quoy liberalement ils obeirent. Que Felix avoit destitué Acarius de son Evesché de Constantinople: & Agapit condamné Antoine Evesque du mesme lieu. Pour ces causes, que ce qui estoit ordonné par le S. Siege de Rome de son propre mouvement, & puissance absolue, ne pouvoit être revoqué en doute, quelque coustume à ce contraire que l' ignorance du temps eust apportee.

Plusieurs autres raisons alleguoit ce grand prelat, authorisees de maints exemples, dont ores que les aucuns peussent recevoir quelque contredit pour l' histoire seulement, si est-ce que qui lira ces discours, il les trouvera pleins de fonds, jugement & entendement, pour le subject qu' il traitte: & si j' ay quelque sentiment en ceste affaire, & que l' on me permette d' y interposer mon jugement, je croy qu' à cestuy appartenoit le surnom de Tres-grand, non qu' il excedast de sens, Leon & Gregoire premiers: mais il en eut autant qu' eux, tant de naturel que d' acquis, és choses, où il vouloit donner attainte. Et outre ce il trouva le temps propre, & favorable, pour mettre à execution ses desseins, qui est le poinct qui nous fait paroistre plus grands entre les hommes. Car * faut pas estimer que Pirrhus & Annibal fussent moindres en vaillance, ou conduitte, qu' Alexandre de Macedoine, ou Jules Cesar: mais lors que les deux premiers heurterent leur fortune contre l' Estat de Rome, il n' estoit encores disposé à prendre coup, pour une infinité de raisons, comme il fut du temps de Jules Cesar, & celuy d' Asie du temps d' Alexandre. Aussi ne fais-je aucune doute que si Leon ou Gregoire fussent tombez sous le siecle de Nicolas, où les affaires de nostre Eglise estoient en desarroy, ils n' eussent fait ce que fist Nicolas, & luy en leurs temps ce qu' ils firent & non plus. Mais puis que cestuy couronna l' œuvre, tout ainsi que ces trois Papes furent premiers de nom, & d' effect, aussi penseroy-je faire tort à l' histoire, si je ne donnois au troisiesme sinon le tiltre de Tres-grand, pour le moins le tiltre de Grand, tout ainsi qu' on fait aux deux autres. 

dimanche 23 juillet 2023

6. 44. De quelques memorables Bastards qui ont esté en ceste France, & autres discours de mesme subject.

De quelques memorables Bastards qui ont esté en ceste France, & autres discours de mesme subject.

CHAPITRE XLIV.

L' opinion de quelques uns est, que les Bastards sont naturellement plus forts & plus vigoureux, que les enfans procreez en loyal mariage: & rendent raison de cecy, d' autant que la grande, & continuë  frequentation qu' il y a du mary à la femme, les rend plus tiedes & nonchalans au mestier de faire enfans, comme chose à quoy ils doivent satis-faire plus par maniere d' acquit qu' autrement. Au contraire les autres qui n' y vont que par emprunt y apportent leurs corps, leurs esprits, & leurs ames sans exception & reserve. Que ceste raison soit vraye ou non, je m' en rapporte à ce qui en est, pour le peu d' interest que j' y ay: Mais tout ainsi que j' ay voüé la fin du precedent Chapitre à une grande Dame, je veux aussi donner cestuy à quelques genereux Bastards. Grande chose, que la plus part des grandes Monarchies ayent pris leur commencement, ou advancement des Bastards. De ceste marque furent Romule fondateur de l' Empire de Rome, Theodoric Ostrogot Roy d' Italie, Gentzeric Roy des Vandales, Artaxerxes, qui du temps de l' Empereur Alexandre transporta la Monarchie des Parthes aux Perses, Artus Roy de la grand Bretagne. Or entre les nostres je vous mettray premierement Theodebert Roy de Mets, lequel premier de tous les François fit trembler l' Italie: en apres Clotaire second, fils de Fredegonde: Car encores qu' il fust conceu pendant le mariage d' elle avecques le Roy Chilperic, & que pour cette cause il ait esté reputé enfant legitime par toute la posterité: Toutes-fois ny Gontran Roy d' Orleans, frere du deffunt Roy, ny plusieurs autres du mesme temps ne le pouvoient bonnement croire. Comme vous le trouverez en mots couverts rapporté par Gregoire de Tours, encores que par la conduite & magnanimité de sa mere tout le Royaume luy fut depuis conservé. Le troisiesme Bastard dont nous ne faisions point de doute fut Charles Martel, lequel bien qu' il ne portast jamais tiltre de Roy, si sceut-il commander aux Roys, & est celuy auquel la seconde lignee de nos Roys doit sa promotion en grandeur: Car quant à Guillaume Duc de Normandie, qui conquit l' Angleterre, la qualité de Bastard que nos anciennes Histoires luy baillerent, monstre qu' il n' estoit extraict de loyal mariage, & en dernier lieu nous ne sçavrions assez haut loüer Jean Comte de Dunois, Bastard d' Orleans, auquel nous devons la closture du restablissement de l' Estat sous Charles VII. Mais oserois-je adjouster avec tous ceux-cy, ce grand Clovis, qui nous fut un autre Hercule? Nos anciens le couchent entre les legitimes, toutes-fois ils ne s' advisent pas qu' en faisant le recit de sa vie, ils chantent tout le contraire. Qu' il ne soit vray, ils sont tous d' accord que Childeric ayant esté chassé du Royaume pour ses extorsions & tyrannies, se retira à Toringe, où ayant esté honorablement accueilly du Roy, il devint amoureux de la Roine Bazine sa femme: Tellement qu' estant depuis rappellé par les François, il l' enleva, & espousa, violant par ce moyen tout droict de gens, & d' hospitalité: toutes-fois de ce mariage nasquit ce grand Clovis, & paravanture que cette Dame fut à ce faire induite par une taisible cognoissance qu' elle avoit des choses futures, prevoyant le grand bien qui devoit provenir de ce mal: D' autant que tous nos Historiographes sont d' accord qu' à la requeste de cette Princesse leur premiere nuict se passa sans aucun jeu de mariage. Priant son mary de vouloir considerer ce qu' il pourroit voir en la Cour de leur Palais: Ce à quoy condescendant, il rapporta à sa femme avoir veu trois diversitez d' animaux, dont les premiers estoient Licornes, & Lyons, les deuxiesmes Ours, & Loups ravissans, & les troisiesmes des petits Chiens qui s' entremordoient l' un l' autre. Lesquelles visions rapportees par le mary à sa femme, elle luy dit que tout cela representoit l' image de la posterité qui descendroit d' eux: parce que les premiers, d' un cœur genereux representeroient des Lyons, & bien que les seconds fussent forts & puissans, toutes-fois il n' y avroit en eux le cœur, & la valeur des premiers, & les derniers par leur neantise succomberoient. Et ainsi comme elle predit, il advint: Car la France, comme j' ay dit, ne porta jamais plus grand Prince que Clovis, & se trouve que ses descendans allerent en ravalant selon la prediction de cette Princesse. Qui me fait dire que prevoyant le grand Prince qui devoit provenir de ce mariage, elle abandonna son premier mary, pour adherer au second. Voila le jugement que j' en fais, un autre fera jugement du mien tel qu' il luy plaira. Bien vous veux-je reciter icy une autre Histoire, qui ne s' esloigne de cette-cy, encores que ce ne fust entre personnes de pareille estoffe. On trouve aux Histoires de Perse (j' entends durant l' Empire de Rome) qu' un Panachius pauvre couroyeur, qui avoit quelque cognoissance des choses à venir, ou par les astres, ou par la familiarité qu' il avoit avec les Demons, un jour entr'autres, passant un advanturier par sa maison, nommé Samnes, il cogneut que de sa semence devoit issir un enfant, qui arriveroit à la Monarchie, & comme cestuy hebergeant en sa maison, ils familiarisassent ensemble, Panachius se plaignit à luy qu' il ne pouvoit avoir enfans de sa femme, & contre tout devoir marital le sollicita de prendre pour une nuict son lict, ce qu' ayant esté gayement accepté par le soldat, il engrossa sa femme d' un enfant, qui fut nommé Artaxerxes, lequel depuis par son heur & vaillance se fit couronner Roy, & transporta l' Empire des Parthes aux Perses dont il estoit. Je ne veux asseurément dire que cette mesme science fust en la Roine Bazine: Mais tant y a que je n' ay point dit cy-dessus sans cause qu' elle nous produisit un autre Hercule: Car tout ainsi que Hercule Gregeois extermina les monstres du monde, aussi Clovis d' une mesme hardiesse chassa les Romains des Gaules sans esperance de retour, rendit les Bourguignons à soy tributaires, expulsa de l' Aquitaine les Visigots, & reduisit sous son obeïssance toute l' Allemagne. Chose auparavant attentee, mais non jamais mise à fin par le Romain: & à peu dire, il n' y eut oncques un tout seul de ses successeurs, qui vint au parangon de luy. Car quelque valeur qui depuis fut en Charlemagne sous la seconde lignee, mon opinion est qu' il n' eust osé s' apparier à luy, s' ils fussent tombez en mesme temps.

lundi 29 mai 2023

2. 14. De l' ancienneté des terres tenuës tant en Fief, qu' en Alleud

De l' ancienneté des terres tenuës tant en Fief, qu' en Alleud: Escuyers, Gentils-hommes: Du Ban & Arriereban. 

CHAPITRE XIIII (XIV). 

Tout ainsi que nous n' avons livres anciens qui nous baillent à poinct nommé certain advertissement des choses que je me suis en ce lieu mis en bute, aussi tout tant que nous sommes n' en parlons que par conjectures tirees de noz particuliers jugemens, lesquels encores le plus du temps nous reglons par noz particulieres passions. Car premierement en tant que touche les Fiefs, je voy que les aucuns en rapportent la premiere source aux François, Bourguignons, Lombards, & autres peuples de la Germanie, qui donnerent dans l' Empire de Rome. Les autres pensans plus ingenieusement bannir une barbarie de leurs discours, adaptent ceste invention aux plus anciens Romains, & les autres à noz Gaulois, pour gratifier à nostre patrie. Soustenans chacun en son endroict, les uns, qu' auparavant la venuë des François, & autres nations estrangeres, n' estoit mention des Fiefs en la Gaule: & les autres, que dans la ville de Rome, & és Gaules, estoit ceste police en credit, sinon souz les noms de Seigneurs & Vassaux, pour le moins souz d' autres de mesme efficace. Certainement qui voudra repasser tout au long l' ancienneté, il trouvera que dés la premiere naissance & fondation de Rome, Romule premier Roy de ce lieu cognoissant que l' entretenement de toute Republique bien composee, depend de la liaison des grands avec les petits, voulut que le menu peuple se mit diversement souz la protection des plus Nobles & opulents, avec telles obligations que tout ainsi que les Nobles estoient tenus de deffendre ceux qui s' estoient ainsi adonnez à eux, encontre toutes indignitez & injures: Semblablement estoient ceux-cy au reciproque obligez faire leur querelle de celle des Nobles: voire leur subvenir de leur bien en cas que le besoin le requit: Lesquelles alliances estoient aux Romains appellees souz les noms de Patrons & Clients, que plusieurs doctes personnages, entre lesquels Guillaume Budé, honneur de nostre Paris, & apres luy Zaze Jurisconsulte insigne, voulurent approprier aux vasselages que nous observons maintenant. Or si cest ordre fut en quelque recommandation à l' endroict des premiers Romains, encores fut-il plus religieusement observé par noz Gaulois. Car comme ainsi fust que le commun peuple fust tenu comme en nul nombre, & que toute la puissance demourast tant par devers les Druides, qui avoient la charge de la Religion & de la Justice, que par devers les Chevaliers, qui estoient destinez pour la guerre: aussi ce peuple ordinairement le voüoit souz la protection des uns & des autres Chevaliers, a fin qu' estant d' eux authorisé, il se peut revanger de toutes oppressions & encombres que l' on luy eust voulu pourchasser. Et deslors qu' un homme estoit entré en ce vœu, il ne faisoit autre estat de la vie, que celuy qui dependoit de la fortune de son protecteur. Tellement que (comme dit Jules Cesar au troisiesme livre de ses Memoires de la Gaule) l' on n' avoit veu gueres de telles gens retiver à la mort, lors que celuy souz la devotion & clientelle duquel ils s' estoient consacrez, se trouvoit avoir esté meurdry: parce que leur commune profession estoit (dit-il au septiesme livre) de courir toute semblable fortune que luy, & jamais ne l' abandonner, mesmement aux plus grands desastres. Qui sont toutes choses qui simbolisent grandement avec noz fiefs, & par lesquels ce docte Parisien, François de Conan, d' une gentillesse d' esprit voulut soustenir que ceste vieille ordonnance Gauloise donna la premiere entree aux Fiefs. Laquelle opinion se trouve confirmee de quelque autre presomption qui n' est pas du tout hors propos. Car de la mesme façon que nous voyons és Fiefs toutes choses retourner à leur poinct, je veux dire au Roy duquel releve & depend directement un grand Seigneur, & de luy plusieurs arriere-vassaux de main en main, aussi ces Clientelles commençoient premierement par les plus grands Quantons, souz lesquels se voüoient les plus petites Citez & Republiques, selon ce qu' elles en pensoient recevoir plus de faveur & defense: quoy faisans se rendoient subjettes de prendre les armes pour eux: & à ceste imitation le peuple se soubmettoit soubz la Clientelle des Nobles. Ainsi recite le mesme Cesar au septiesme livre, que par generale diette des Gaulois fut conclud que les Heduens, avec leurs Clients, qui estoient les Secusians, Ambivares, & autres, feroient trente cinq mille hommes de guerre. Et au sixiesme livre, parlant de la grandeur des mesmes Heduens, il la fonde specialement sur leurs Clientelles. Ne faisant pas moindre estat d' icelles pour le regard de la communauté des Heduens, qu' il faict en un autre passage, prix pour prix, pour le regard des Chevaliers, où il dit que plus un Seigneur estoit riche ou d' ancienne lignee, & plus il avoit autour de soy de telle maniere de Cliens. Voire que ny plus ny moins qu' à l' occasion des fiefs, furent introduits par noz ancestres les Bans & Arrierebans, qui est une proclamation publique à tous vassaux de se trouver la part qui leur estoit assignee par le Roy, comme nous dirons cy-apres, aussi semble-il qu' anciennement en la Gaule y eust une telle forme de Ban. Car aux urgentes affaires se faisoit une proclamation generale, à laquelle tous hommes qui se disoient extraicts de l' ancien estoc des Chevaliers, & qui pouvoient porter armes, estoient tenus de comparoir: Et dont ils furent si estroicts observateurs, que le dernier y venant, pour exemple de sa paresse estoit exposé à la mort, ainsi que le recite Cesar en propres termes, parlant de l' entreprise que brassoit contre luy Induciomare, Roy de Triers. Qui monstre qu' il y avoit és Gaules plusieurs choses qui se conformoient avec noz Fiefs. Toutesfois à bien dire, je ne voy point qu' en tous ces devoirs de Clientelles, soit que nous tournions nostre esprit à la loy ancienne de Rome, ou que nous nous arrestions à la police des Gaules, il y eust assignation certaine de terres: à raison desquelles seulement en matiere de Fiefs, nous nous advoüons hommes de noz seigneurs Feodaux, & leur faisons les fois & homages. Au moyen dequoy, plusieurs doctes personnes sont d' advis, que l' invention de ces Fiefs proceda des possessions que les Empereurs distribuoient à leur gendarmerie, sur les païs frontiers, & limitrophes. Laquelle opinion me semble être la plus probable, encore que les deux autres que j' ay cy-dessus recitees, ayent bons garends qui leur assistent. 

Toutesfois pour discourir ceste opinion tout au long, faut noter que lors que la Republique de Romme tomba soubz la puissance d' un seul, cestuy establit diverses garnisons en toutes les frontieres, tant pour oster à ses subjects toute opinion de revolte, que pour empescher les courses des nations estranges. A ceste cause lisons nous qu' il y eut plusieurs legions esparses le long du Rhin, qui faisoit la separation ancienne des Gaules & des Allemaignes. Et pour autant que ces Empereurs fondoient le principal estat de leur authorité & grandeur sur leur gendarmerie, par le moyen de laquelle ils avoient occupé la liberté populaire, Auguste qui premier se fit à tiltre ouvert proclamer Empereur de Rome, pour captiver le cœur des soldats, commença de leur donner certaines assiettes de terres, ainsi que nous pouvons recueillir du lieu où Melibee soy complaignant à Titire dans la premiere Pastorelle de Virgile, disoit que les terres & possessions seroient appropriees à l' impiteux gendarme, pendant que luy pauvre & chetif en seroit à tort defraudé. Laquelle coustume depuis fut tres-estroictement observee par les successeurs d' Auguste, comme ceux qui faisoient leur principal fonds sur leurs gen darmes, lesquels le plus du temps tumultuairement, & sans conseil deposoient les Empereurs de leur siege, gratifians de la couronne de l' Empire, à autres de leurs chefs & superintendans, qui leur estoient plus agreables. Qui fut cause que depuis, la posterité (voyant les Empereurs avoir esté mis non par la grandeur de lignage & honneur, ains par les tumultuaires suffrages & proclamations des gens d'armes) a dit & encores disons aujourd'huy, que l' Empereur est fait par force, & le Roy par nativité. De ces departemens & distributions faictes aux Capitaines & soldats, nous voyons assez frequente mention és anciens Jurisconsultes, comme au chapitre premier du tiltre traictant des Reivendications au chapitre 21. du tiltre des Evictions, & encores au 10. livre des Constitutions Imperiales, au tiltre qui est expressemment dedié à la deduction des terres limitrophes qui estoient octroyees aux soldats: Je dy aux soldats nommément, parce qu' à autres ne se distribuoient telles terres: lesquelles (qui est chose à noter) ne leur estoient du commencement octroyees qu' à vie. Et le premier qui franchit le pas en la faveur des heritiers des gens d'armes, fut l' Empereur Alexandre Severe: qui permit (comme dit Lampride en la vie de luy) que leurs hoirs iouyssent de ces terres là, & au cas toutesfois, qu' ils suivissent les armes, & non autrement. Ordonnant tres expressément que jamais tels heritages ne peussent tomber és mains de ceux qui meneroient vie privee. Et quelque temps apres luy, Constantin le Grand au commencement de son Empire donna à ses principaux Capitaines, & ceux, desquels il se pensoit plus prevaloir encontre ses corrivaux, à jamais & perpetuité, les terres qui leurs estoient assignees, si nous croyons à Pomponius Lætus, autheur non du tout à vilipender. A dire le vray, tout ainsi que la gendarmerie Romaine estoit grande, & qu' il eust fallu en chaque contree grand territoire, pour en faire part à chacun, ou bien faire les portions fort petites, aussi est-il à presumer que c' estoit premierement aux chefs de guerre, puis aux bandes de plus grand choix & eslite, qu' estoient faictes telles gracieusetez. Je trouve que sur le declin de l' Empire il y eust principalement deux manieres de gens de guerre qui furent sur tous les autres en reputation d' être braves au faict des armes: dont les uns furent appellez Gentils, & les autres Escuyers, desquels specialement Julian l' Apostat faisoit compte, lors qu' il sejournoit aux Gaules. De ceux-cy parle assez souvent Amian Marcellin avecq' marques d' honneur, & expressemment au 17. livre de ses histoires, où il raconte que Julian ayant repris la ville de Colongne, il s' en alla hyverner en celle de Sens, en attendant le Printemps pour renouveller la guerre, & espandit son armee en divers lieux, afin que les viures ne luy fussent couppez. Haec solicitè expensantem (dit-il) hostilis agreditur multitudo oppidi capiundi spe, in manus accensa: Ideo confidentes quod nec Scutarios adesse (prodentibus profugiis) didicerant, nec Gentiles, per municipia distributos, ut commodius versarentur. 

Qui est à dire: Julian soigneusement ententif à ces choses, fut sur ces entrefaictes assailly par une troupe d' ennemis, qui esperoient prendre la ville: A ceste esperance induits, d' autant qu' ils avoient entendu par quelques uns qui s' en estoient enfuys, que les Escuyers n' estoient avec luy, ny semblablement les Gentils, ains tenoient garnison és environs, pour plus commodemment viure. Au livre vingtseptiesme, parlant de Salvius, & Lupicia, deux braves soldats, Scutarius unus, alter è schola Gentilium: L' un (dit-il) estoit Escuyer, l' autre sorty de l' escole des Gentils. Et au vingtiesme, De Scutariis & Gentilibus excerpere quemque promptissimum & ipse perducere Scintula tunc Caesaris stabuli Tribunus iussus: Scintule Comte de l' Estable de Cesar (dit-il) eut commandement de choisir des plus bragards & prompts à la main d' entre les Escuyers & Gentils, & de les conduire. Et afin que l' on ne pense point que ce mot d' Escuyer se rapportast aux Escuyers d' Escuyries, qui ont esgard dessus les chevaux du Prince (parce qu' en ce dernier passage il est dit, que Scintule Comte d' Estable eut charge de choisir des plus braves d' entre les Escuyers) c' est que ces Escuyers avoient leur Capitaine à part & separé du Comte d' Estable: Tellement que ce fut lors une commission extraordinaire, qui fut adressee à Scintule, comme il appert par un passage du quatorziesme livre: Infamabat haec suspicio Latinum domesticorum Comitem, & Agilonem tribunum stabuli, atque Scudilonem, Scutariorium rectorem. Ceste suspition (fait-il) diffamoit Latin Comte des domestiques, Agilon Comte d' Estable, & Sculidon conducteur des Escuyers. Desquels passages l' on voit notoirement que les Gentils & Escuyers furent compagnies de guerres, sur lesquelles les derniers Empereurs de Rome, constituoient la meilleure partie de leur force (ainsi qu' anciennement un Souldan d' Egypte sur les Mammelus: maintenant le grand Turc sur les Janissaires: Et nous autres François quelquesfois, tant sur les Archers, que sur les Arbalestiers) & à ce propos recite Procope que vingt & deux Escuyers desconfirent trois cens Vandales. Qui fut, selon mon jugement, cause qu' en ceste distribution de terres, qui se faisoit aux soldats, ces Gentils & Escuyers estoient les mieux assortis comme les plus estimez. Or que ces terres s' appellassent Benefices, comme firent du commencement les Fiefs entre nous, je ne l' ay pas veritablement remarqué. Bien trouvé-je être faicte mention des gens d'armes Beneficiers: Qui semblent avoir esté seuls ausquels l' on faisoit telles assignations. Et de tels gens d'armes trouverez vous passages expres, & non grandement esloignez de mon intention, en la vingt uniesme, & vingt-septiesme Epistre de Pline à l' Empereur Trajan. Et mesmement Valere le Grand au livre 4. chapitre de la liberalité, parlant qu' apres l' Asie subjugee, le peuple Romain avoit donné ce pays à Atalus Roy, pour le recognoistre tenir de la Republique de Rome, dit ainsi, Asiam bello raptam, Atalo Regi muneris loco, possidendam tribuit populus Romanus, eò excelsius & speciosius urbis futurum imperium credens, si ditissimam atque amoenissimam partem terrarum orbis, in beneficio, quàm in fructu suo reponere maluisset. Passage que nous pourrions tourner en François, selon l' usage present, que le peuple Romain aima mieux joüir de l' Asie feodalement que domanialement.

Or comme les affaires de la gendarmerie Romaine se demenoient de ceste sorte par la Gaule, d' un autre costé les Princes de France vindrent occuper ce pays. Ils avoient lors abandonné leur propre patrie & contree, en intention de gaigner terre sur les Romains, ayans avecq' eux un grand attirail & suitte de gens d'armes, lesquels d' une mesme devotion s' estoient vouez & consacrez à la conqueste de ce Royaume. Parquoy, apres avoir en partie satisfaict à leur opinion, la raison vouloit bien que noz Roys usassent de liberalité à l' endroict de leurs soldats, selon leurs degrez & merites. Pour ceste cause en recompense de leurs travaux, ils leurs assignerent certaines terres qu' ils appellerent, Benefices. Ainsi pour me recueillir, il n' est pas hors de tres-poignante suspition, d' estimer, que tout ainsi que les Romains appelloient leurs gens d'armes Beneficiers, c' est à sçavoir ceux ausquels ils assignoient les terres frontieres & limitrophes aussi noz Roys voulans user de semblables, voire plus grandes liberalitez envers les leurs (car comme victorieux, ils leurs firent part de leurs conquestes au beau milieu de la Gaule) ils appellassent les terres qu' ils leur octroyoient Benefices. Diction que nous voyons être pure Romaine, & de laquelle nos premiers François userent familierement, pour nous signifier ce que depuis nous avons voulu nommer Fiefs. De toutes les choses que j' ay cy dessus discourues, selon mon advis, proceda, que ny plus ny moins que ces distributions limitrophes ne se faisoient qu' en faveur du soldat Romain, semblablement n' estoient les benefices & fiefs donnez par noz Roys, qu' à leur gendarmerie. Et mesme de la façon que ces assignations Romaines estoient viageres seulement, aussi furent du commencement les benefices donnez à vie par nos Roys. De là aussi proceda que les Gaulois qui avoient veu durant l' Empire des Romains, les Escuyers & Gentils entre les autres soldats emporter sur les pays frontiers les plus belles pieces de terre, commencerent (comme il est à presumer) par une accoustumance tiree de ce qu' ils avoient veu observer entre les Romains, d' appeller Gentils-hommes & Escuyers, ceux qu' ils veirent estre pourveuz par nos Roys de tels benefices, comme estans principalement baillez à ceux, qui en l' ost & exercite du Roy reluisoient de quelque proüesse. Et pour autant qu' ils voyoient ceux-cy n' être chargez d' aucune redeuance pecuniaire à raison de leurs terres Beneficiales envers le Prince, & outre plus qu' à l' occasion d' icelles ils devoient prendre les armes pour la protection & deffence de ce Royaume, le peuple commença de fonder le seul & unique degré de Noblesse, sur telle maniere de gens. De façon que par long usage de temps nous avons appellez Gentils-hommes & Escuyers, ceux que nous estimons être Nobles. Toutes lesquelles rencontres nous donnent assez à entendre de quel fonds sourdit l' invention de nos benefices: desquels est faite ample mention dedans les loix de Charlemagne. Car d' estimer (je diray cecy en passant) que nous les ayons empruntees des Lombards, comme je voy la plus part du peuple se le faire accroire, c' est un abus. D' autant qu' il est certain, & sans doute, que du temps de Clovis, ceste police estoit ja en regne dans ceste France: comme nous apprenons d' un passage d' Aimoïn au 7. chap. du I. livre, où ayant deduict qu' Aurelian avoit esté envoyé par Clovis pour negotier le mariage de luy & de Clotilde: ce qu' il avoit conduit à chef par ses pratiques & menees, il adjouste. Unde cum Clodoveus regnum suum usque ad Sequanam, atque post modum usque ad Ligerim fluvios ampliasset: Milidunum castrum eidem Aureliano cum totius Ducatu regionis iure Beneficii concessit. A cause dequoy, (dict il) ayant Clovis amplifié les bornes de son Royaume jusques à la riviere de Seine premierement, puis à celle de Loire, il donna à Aurelian le chasteau de Melun, avec tout le Duché & gouvernement de ceste region, pour le tenir de luy par droict de Benefice. Duquel lieu nous remarquerons que deslors non seulement l' on donnoit à tiltre de Benefice les lieux & places, comme villes, bourgades; & chasteaux, mais les contrees mesme. Non toutesfois qu' il faille estimer que la diction de Duché, qui est portee par ce passage, se preigne pour mot de principauté, comme depuis elle fit sous la lignee de Capet, mais veut cest autheur dire que Clovis bailla ce qui estoit du gouvernement de Melun à Aurelian, pour le tenir de luy par forme de benefice, c' est à dire en foy & homage. Au demeurant, ce lieu nous monstre apertement que c' est totalement errer, d' approprier l' origine de ces Benefices ou Fiefs aux Lombards: lesquels aborderent tant seulement en Italie soubs l' Empire de Justin second, c' est à dire, long temps apres le decez de Clovis, qui florissoit du temps de Zenon, puis d' Anastaise, Empereur de Constantinople: apres lesquels y a deux Empereurs de suitte, Justin premier, puis Justinian son successeur, qui tindrent l' Empire pres de quarante cinq ans, & impererent tous deux auparavant Justin second: Tellement qu' il est beaucoup plus croyable que les Lombards ayent mandié de nous ceste invention, que non pas nous des Lombards. Toutesfois pour autant que jamais aucun de nos François ne s' ingera de voguer à plaine voile sur ce subject, ains que tous ceux qui en ont parlé, l' ont faict comme à la traverse, & quasi traictans autre chose: Et au contraire qu' un Orbert de Orto Milannais nous en a laissé quelque recueil, qui court avec les livres du droict Civil, l' ignorance du temps a voulu que plusieurs ayent attribué aux Lombards l' introduction d' une chose, dont eux mesmes nous sont redeuables. 

Estans doncques les François arrivez és Gaules, & s' en estans faicts maistres & patrons, ils establirent double police en ceste contree: l' une tiree du Romain, & l' autre de leur propre estoc. Parquoy ils diviserent les terres en Beneficiales & Allodiales, destinans les premieres, pour ceux qui faisoient profession des armes: & celles-cy pour tous subjects indifferemment. Les benefices (comme j' ay dit) de leur primitive origine, furent entre nous viagers, toutesfois tout ainsi comme au lieu du mot de benefice nous en avons un nouveau, par lequel nous le designons, qui est ce que nous appellons Fief: Aussi comme toutes choses varient, au lieu où ces Benefices nous estoient du commencement donnez par usufruict seulement, nous les avons depuis faicts & rendus patrimoniaux à nos successeurs. Bien est vray qu' au lieu de cecy il nous en est resté quelque remarque entre nous. Car tout ainsi que ces Fiefs & Benefices estoient primitivement viagers, pareillement à cest exemple, quand l' Eglise commença de s' enrichir par les aumosnes des gens de bien, l' on appella les Eveschez, Abbayes, Priorez, Cures, Benefices. Par ce que les Ecclesiastiques les possedoient tout de la mesme façon que les anciens gens d'armes faisoient leurs Benefices & Fiefs. Et mesmement de cest ordre s' en ensuyvit au long aller un desordre: Car voyans nos Roys que les Abbayes s' estoient faictes tres-opulentes, & qu' elles estoient presque reduites à l' instar de leurs benefices militaires, ils commencerent de les conferer à leurs gens d'armes. Ce qui se trouva pratiqué depuis le regne de Charles le Chauve, jusques à celuy de Robert. Ne redoutans les grands Seigneurs qui suivoient les armes de s' appeller Abbez & Doyens, non plus que maintenant Ducs, Comtes, Barons ou Chastellains. Si fut ceste forme, de viage és fiefs, selon mon advis introduite avecq' tres-grande sagesse. D' autant que nos Roys ne voulans epuiser le fonds de leurs liberalitez, ains retenir sous leur devotion leurs braves Capitaines & soldats sans bourse deslier, ils leurs donnoient durant leurs vies, terres & possessions, avec charge expresse de porter les armes pour eux, tant & si longuement qu' ils en seroient detenteurs. Estimans que telles possessions & heritages estoient suffisans, tant pour le deffroy des guerres que pour passer honorablement le commun cours de ceste vie. Et en ceste façon Barthelemy Georgievich au livre où il traitte des meurs & conditions des Turcs, nous tesmoigne que les Princes & grands Seigneurs de Turquie, qui ont tousjours admiré sur toutes nations, les François, ne possedoient aucune cité ou bourgade par droict successif, ny ne la pouvoient transporter par leur decez à leurs enfans, sans permission expresse du grand Seigneur.

Or combien que ces Benefices fussent du commencement distribuez aux gens dediez au faict de la guerre, si ne leur estoit-il pourtant deffendu de tenir terres en Alleud: Qui estoient terres que l' on tenoit en proprieté, & qu' en mourant l' on transferoit à ses heritiers. Ceste diction d' Alleud prit selon mon jugement, sa premiere source d' un ancien mot François, Leud, qui signifioit un Subject. Gregoire de Tours, au huictiesme Livre de ses histoires, recitant comme Gontran Roy d' Orleans vint à Paris, pour lever sur les fonds Clotaire fils unique du feu Roy Chilperic, indigné de ce qu' on luy usoit de remises: par ce qu' on luy avoit donné premierement assignation au jour & feste de Noel, puis à Pasques, & finalement à la sainct Jean Baptiste, pour baptiser cest enfant, & neantmoins on luy avoit tousjours failly de parole: Veni igitur & ecce absconditur nec ostenditur mihi. Unde quantum intelligo, nihil est quod promittitur: sed, ut credo, alicuius ex Leudibus nostris fit filius, nam si de stirpe nostra fuisset, ad me utique fuisset deportatus. Je suis icy venu (dict-il) & voila que l' on me le cache, & qu' on ne me le monstre point. Au moyen dequoy, à ce que je voy, ce sont frivoles dont on me repaist: & doit être certainement cest enfant le fils de quelqu' un de nos Leuds: car s' il fust de nostre lignee, on me l' eust pieça apporté. Et au livre neufiesme recitant la teneur du traitté de paix qui fut entre le mesme Gontran, & Childebert Roy de Mets son nepueu, Similiter convenit ut nullus alterius Leudes nec sollicitet, nec venientes recipiat. Il a esté semblablement accordé entre' eux, qu' aucun d' eux ne solicite, ne tire par devers soy les Leuds de son compaignon. Et au mesme endroict. Similiter convenit ut secundum pactiones inter domnum Gontranum & bonae memoriae domnum Sigisbertum initas, Leudes illi qui domno Gontrano post transitum domni Clotarii sacramenta praebuerunt, si postea convincunturse in parte alia tradidisse, de locis ubi manere videntur, convenit ut debeant removeri: similiter & qui post transitum domni Clotarii convincuntur domno Sigisberto sacramenta primitus præbuisse, & se in aliam partem transtulerunt, simili modo removeantur.: Aussi a esté accordé que selon les traittez & convenances qui furent faictes entre Dom Gontran, & feu de bonne memoire Dom Sigisbert, les Leuds qui avroient fait le serment à Gontran apres le trespas de feu Dom Clotaire, s' ils sont convaineus de s' estre depuis ce temps là retournez de l' autre costé, qu' ils ayent à vuider des lieux esquels ils semblent avoir assis leur demeure. Et en cas semblable ceux qui se trouveront apres le decez du mesme Clotaire, avoir presté le serment és mains de feu Dom Sigisbert, & l' avront depuis delaissé, qu' ils soient tenus de retourner. Desquels lieux on voit appertement que la signification de Leud entre nos François, se prenoit pour un sujet. Comme encores l' on peut tirer clairement d' un passage de Aimoïn au 8. chapitre du 3. de ses histoires, Fuit Gontranus in bonitate præcipuus, leudis suis benevolus, gentibus externis pacatus. Gontran fut souverain en bonté, gracieux & debonnaire à ses Leuds, & aux estrangers paisible. De ce mot vint que nos anciens Roys de France faisans és Gaules le departement general des terres appellerent celles être tenues en Alleud, qui devoient cens & redeuance. Estant à mon jugement cest Alleud, la pension que l' on payoit pour recognoissance des heritages en signe de subjection. Pour laquelle occasion furent dites aucunes terres être tenues en franc Alleud, c' est à dire celles qui n' estoient pas de si grande marque que les Benefices, lesquelles furent assignees diversement à la commune des François, desquels nos Roys, par un passe droict special, ne voulurent prendre aucune recognoissance de cens, comme ils firent des Gaulois. Dont advint que s' estans depuis ces deux nations confuses par telle course de temps, qu' il estoit mal aisé à distinguer l' une de l' autre, on employa ce mot de franc Alleud à toutes terres indifferemment, que par possession immemoriale on maintenoit être exemptes de cens & rentes. Et en ceste façon recite Procope, que les Vandales avans occupé l' Afrique, le Roy Gentzerich leur donna plusieurs belles terres franches de toutes redeuances, que l' on appella de là en avant, terres des Vandales. Qui n' est pas chose grandement eslongnee du franc Alleud des François. 

De ceste diction, Alleud, est venu ce que nous appellons Lotir, pour partager une chose qui est en censive, & Lot pour part & portion. Car quant à ce qu' en cas d' achapt, il faut payer les Lots & ventes, cela est venu d' un autre vieil mot François, Los, qui signifie gré & volonté: Duquel encores nous disons Alloüer pour la chose que nous avons pour agerable. Et ainsi en est usé en la vieille Histoire sainct Denis, chapitre septiesme, où il est dit que le Pape Adrian tint un Concile, par lequel il fut ordonné que les Archevesques & Evesques seroient de là en avant investis de leurs prelatures par Charlemaigne: & s' ils entrent (porte le texte) par autruy sans son gré & sans son Los, qu' ils ne peussent de nully être sacrez: Parquoy nous appellasmes payer Los & ventes, la recognoissance qui se faisoit par nous à nostre Seigneur direct & foncier, par le gré & los duquel nous estions impatronisez, & entrions en plaine saisine de la chose qui nous estoit venduë. 

Lors de la premiere distribution tant de ces terres Beneficiales, qu' Allodiales, il n' estoit point mention de Tailles, ains estoient les Nobles tenus de supporter à cause de leurs seigneuries, le fais des armes: & le demourant du peuple qui n' estoit necessité à ce faire, en recompense payoit par forme de tribut, les cens & Alleuds à nos Roys, pour supporter en partie les frais qui leur conviendroit faire. Depuis (comme toutes choses par long usage de temps changent de face) ces Benefices ou Fiefs se firent perpetuels: prenant ceste mutation grand advancement sous la lignee de Charlemaigne, & sa fin & accomplissement sur la venuë de Capet. Et deslors les Seigneurs qui tenoient les grands benefices des Roys, commencerent à les subdiviser à autres personnages, desquels ils attendoient service: leurs baillans telles conditions de fois & homages que bon leur sembloit. A doncques commencerent de s' insinuer entre nous les termes des fiefs & arrierefiefs (que nous avons ainsi appellez pour la feauté que nous promettons à nos Seigneurs) & de vassaux & arriere vassaux: ces derniers estans ainsi appellez, à la difference de ceux qui relevent directement & sans moyen, leurs Fiefs du Roy. 

Aussi commençames nous d' appeller les aucuns de ces vassaux, hommes, liges, qui sans exception promettoient tout devoir de fidelité à leurs Seigneurs: & les non liges, ceux qui seulement promettoient devoir à raison du Fief superieur, dont despendoit le leur qui estoit inferieur. Semblablement vindrent en usage les loix de droict d' ainesse, non cogneuës par nos François sur leur premiere arrivee. De ces mutations aussi, il advint que par succession & progrés de temps, les gens roturiers, coustumiers & non Nobles, commencerent à posseder Fiefs, contre leur ancienne & primitive institution. Qui apporta une question qui fut autrefois traictee en plain Parlement, ainsi que feu maistre Matthieu Chartier (que je nomme icy par honneur, comme celuy qui par l' espace de quarante cinq ans a tenu le premier rang d' Advocat fameux en nostre Palais) m' a autrefois asseuré avoir leu dedans quelque vieux registre: Sçavoir si un Gentil-homme estoit tenu prester foy & homage à un bourgeois, nouvel acquereur d' un Fief, lequel auparavant il relevoit d' un Noble homme. Et toutesfois combien que les roturiers eussent à la longue gagné cest advantage sur les Nobles, si falloit-il neantmoins que du commencement, & long temps apres, ils impetrassent cecy par benefice du Prince, & luy en païassent finance, tout de la mesme forme & maniere que font les Ecclesiastiques, lors qu' ils veulent amortir par chartres du Roy, quelques terres qu' ils ont acquises. C' est pourquoy nos Roys decernent fort souvent des lettres sur les francs Fiefs & nouveaux acquests, par lesquelles ils commettent certains Juges des Cours souveraines, pour faire vuider les mains des Fiefs que les roturiers ont de nouvel acquis, si mieux ils n' ayment payer finance, pour laquelle ils chevissent & composent avec les Comissaires.

Or tout ainsi que ces Fiefs tomberent sans aucune distinction és mains du Noble & non Noble, du gendarme, & du Bourgeois: aussi commencerent petit à petit à s' amortir entre nous les loix militaires. Et eust esté un chacun tres-content de jouyr de la franchise de sa terre, & neantmoins se soustraire du faix & travail de la guerre. Au moyen dequoy commencerent à être mis en avant par nos Roys les Ordonnances du Ban & Arriereban pour raison des Fiefs.

Ce mot de Ban, estoit une vieille diction Françoise, par laquelle nos anciens voulurent signifier une chose qui estoit publique, ainsi que je deduiray plus amplement au septiesme livre, & singulierement approprierent ce mot a une proclamation qui se faisoit parmy le peuple. A ceste occasion voyons nous que pour oster les mariages clandestins, nous faisons faire par nostre Curé en nos Eglises, les bans qui sont annonces publiques du mariage qui se traicte entre les futurs espoux, a fin que nul n' en pretende aucune cause d' ignorance. A ceste mesme occasion se sont les adjournemens que nous appellons à ban & cry public. Et en outre les bannissemens, lesquels anciennement se faisoient à son de trompe, a fin que le banny n' eust à soy repatrier en la terre de laquelle il estoit exilé. Tout de la mesme façon nos Roys qui dressoient leurs camps de leurs beneficiers & vassaux, avoient accoustumé de les faire bannir de la France, c' estoit à dire proclamer: & à ceste semonce convenoient tous, la part qui leur estoit ordonnee. Flodoard parlant que Raoul Roy de France, se preparoit à la guerre contre les Normans, Rodulphus interea de Burgundia revertitur in Franciam, & ut se ad bellum contra Normannos præparat Francis banno denunciat. Ainsi voyons nous en l' ancien coustumier de Normandie, chapitre quarante & troisiesme être porté en tels termes: L' ost au Prince de Normandie dés le jour qu' il est banny prolonge les querelles. De là, nous appellasmes Bans & Arrierebans les proclamations qui se faisoient des vassaux & arriere-vassaux du Roy, pour luy faire compagnie en guerre. Si (peut être) ne voulons dire que ceste diction d' Arriereban soit venuë du mot Heriban, dont nous voyons être faite frequente mention dans la Loy Salique, lors que nos Roys convioient leurs subjets de les suivre en la guerre. Et deslors que telles proclamations estoient faites, chaque vassal estoit tenu de soy presenter en personne en bon equipage, sans user d' exoine, ou de remise, sinon qu' il fust, peut-être malade: auquel cas il estoit tenu d' envoyer homme suffisant en son lieu. Toutesfois tombans les Fiefs aussi bien en main roturiere comme Noble, nos Roys userent de Bans & Arrierebans, comme d' une forme de taille. Estant loisible à chacun qui tient Fief, d' aller en personne servir le Roy, pour la tuition du Royaume, ou en son lieu, de deleguer homme mettable & de sorte, ou bien en tout evenement fournir argent pour le defroy du Ban & Arriereban, que l' on leve en chaque Bailliage ou Seneschaussée.