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dimanche 6 août 2023

8. 37. Ferté, Parage, Piédefief, & autres dictions racourcies en nostre langue.

Ferté, Parage, Piédefief, & autres dictions racourcies en nostre langue. 

CHAPITRE XXXVII.

Entre les Romains il eut des paroles racourcies, qui ne furent trouvees de mauvaise grace, comme quand ils disoient macte pour magis aucte, & Capsis pour cape si vis, dedans les Comiques intellextin, & dixtin, pour intellexisti nè & dixisti nè. Nostre langue en eut de semblables, qui en leurs saisons furent recueillies des mieux disans. Dans nos vieux Poëtes je trouve hireté pour heredité, main pour matin, forment pour fortement, dont l' utage est pour le jourd'huy perdu: aussi dirent-ils Penancier pour Penitencier, dont aussi a usé François de Villon en ses Repuës franches.

Vrayement ce dit le Penancier 

Tres-volontiers on le fera.

Il y en a d' autres que nous mettons indifferemment en œuvre, Benisson, & Benediction, cil & celuy, Hersoir, & hier au soir, confez, & repens, dit Viginelle au commencement de Villardoüin, pour Repentant: frilleux, & froidilleux. Marrien vient de Materien. Je trouve en un vieux Registre parlant des Loges de bois, qui avoient esté faites dans Rheims au sacre du Roy Philippes le Bel, qu' en fin elles furent venduës beaucoup moins qu' elles ne valoient en Materien, & façon. Qui me fait dire que de ce mot est issu nostre Marrien, que nous avons retenu, & rejetté le Materien. Ce que nous appellons mestier, vient de menestrier. Ainsi le voyons nous dans certaines lettres de Charles cinquiesme Regent, du vingtseptiesme Fevrier 1353. pource que sur la Chartre des ouvriers, laboureurs, manouvriers, & menestriers, nous avons fait certains Statuts (c' est à dire gens de mestier.) Le Latin les appelle Ministeriales. Celuy sur lequel pour peine on empraint une fleur de Lys chaude, on dit qu' il a esté flestry, qui est un abregement au lieu de fleurdelizer, mot qui sonneroit mal aux oreilles. Ester à droict, qui est fort familier en pratique est un racourcissement d' assister à droict: Ce que vous trouverez verifié par deux passages de l' Histoire mesdisante de Louys unziesme, comme si on eust voulu dire Iudicio sistere, & dans Froissard chap. 246. du premier Tome de son Histoire, où il dit qu' il fut ordonné que le Prince de Galle seroit adjourné à comparoir à Paris en la Chambre des Pairs de France, pour assister à droict, & respondre aux Requestes contre luy faites. Et quand dans des Essars en son Amadis de Gaule, & autres Romans, vous lisez un Ce m' aist Dieu, c' est une abreviation au lieu de ce que nos anciens disoient, Ainsi m' aide Dieu, dont on fit un ainsi m' aid Dieu, faisant par succez de temps du mot d' Ainsi un ce, & de m' aid un m' aist, ainsi en use Villon:

Si pour ma mort le bien publicque

D' aucune chose vaulsist mieux

A mourir comme un homme inique

Me jugeasse ainsi m' aist Dieux.

De là aussi est venu que quand un homme esternuë, pour salutation nous disons Dieu vous aid, pour Dieu vous aide, & depuis pour le faire plus doux, Dieu vous y. De cette mesme abreviation vint Courfeu pour Couvrefeu quand on dict sonner le Courfeu, que depuis par corruption de langage nous avons appellé Carfou, ainsi que j' ay deduit ailleurs. Quant à la Ferté, c' est un racourcissement de fermeté, qui signifioit anciennement forteresse tant en Latin, du temps de la corruption de la langue Latine, qu' en François. Adon de Vienne parlant de Charlemagne. Rex gloriosus Carolus iterum Saxones aggressus, Firmitatésque illorum, & universam Saxoniam recepit. Et Froissard au premier Tome de son Histoire: Et aussi (dit-il) si aucuns du Royaume, & obeïssans du dit Roy d' Angleterre ne vouloient rendre les chasteaux, villes, Fermetez, & forteresses. Or que ceste diction de Fermeté se prist en la façon que dessus, nous en voyons encore certaines remarques pour le jourd'huy en la conjonction de ces deux paroles, fort & ferme.

Entre ces mots racourcis il y en a deux qui sont diversement employez en matiere des fiefs, Parage & Piédefief. En quelques Coustumes nous voyons, que quand un fief se divise entre freres, à l' aisné appartient de faire la foy & hommage de tout le fief au Seigneur dominant & feudal, tant pour luy que pour ses puisnez, lesquels sont de là en avant estimez relever de luy leurs parts & portions, & les dit-on Tenir en Parage, qui n' est autre chose qu' une abbreviation du mot de Parentage, comme si nos anciens eussent voulu dire que par le moyen de leur Parentage les puisnez tenoient leurs parts en foy & hommage de leur aisné. Ainsi dit la vieille Oraison qu' on adressoit à la Vierge Marie, A toy Roine de haut parage, c' est à dire de haut parentage. Bel est aussi l' abregement du Piédefief tant rechanté par la Coustume de Touraine: car ce mot ne sonne autre chose que le Fief qui est depecé & demembré lors que le vassal s' en joüe pour sa commodité par alienations & transports, auquel cas la Coustume apporte divers regards, comme l' on peut recueillir d' icelle.

samedi 5 août 2023

8. 21. Sainct Denis Mont-joye

Dont vient ce cry public, Sainct Denis Mont-joye, que l' on dit avoir esté autresfois usurpé par nos Roys en champ de bataille.

CHAPITRE XXI.

Il y a en chaque Republique plusieurs histoires que l' on tire d' une longue ancienneté, sans que le plus du temps l' on en puisse sonder la vraye origine, & toutesfois on les tient non seulement pour veritables, mais pour grandement auctorisees, & sacrosaintes. De telle marque en trouvons nous plusieurs tant en Grece, qu' en la ville de Rome: Et de cette mesme façon avons nous presque tiré entre nous, l' ancienne opinion que nous eusmes de l' Auriflame, l' invention de nos fleurs de lys, que nous attribuons à la Divinité, & plusieurs autres telles choses, lesquelles bien qu' elles ne soient aidees d' autheurs anciens, si est-ce qu' il est bien seant à tout bon citoyen de les croire pour la majesté d' un Empire. Et sous cette mesme creance, à mon jugement s' est insinuée entre nous l' opinion que le commun peuple a, que nos Roys anciennement en une affaire presente, & au meillieu d' une bataille avoient accoustumé quasi pour un mot solemnel de dire Sainct Denis Mont-joye. Comme mesmes Jeanne la Pucelle respondit à ses Juges, lors qu' ils luy improperoient qu' apres qu' elle fut blecee devant Paris, elle fit une offrande de ses armes à S. Denis, par forme de gloire & orgueil, elle respondit sagement que ce qu' elle en avoit fait, estoit par devotion seulement. D' autant que sainct Denis estoit le commun cry de la France en la bouche de ceux qui se trouvoient en telles meslees, Sainct Denis Mont-joye. Or dont ce mot ait pris son origine, je ne l' ay jamais leu dans les vieux autheurs, j' entends de ceux qui nous sont de quelque merite. Maistre Raoul de Presles en la preface qu' il a faite sur les livres de S. Augustin de la Cité de Dieu, par luy traduict, qu' il addresse au Roy Charles sixiesme, dit sur le subject qui s' offre telles paroles: Clovis premier Roy Chrestien combattant contre le Roy Dandat, qui estoit venu d' Allemagne aux parties de France & qui avoit mis & ordonné son siege à Conflans saincte Honorine, dont combien que la bataille commencee en la vallee, toutesfois fut-elle achevee en la montaigne, en laquelle est à present la tour de Mont-joye, & là fut pris premierement, & nommé vostre cry en armes c' est à sçavoir Mont-joye S. Denis. Ces paroles sont mal couchees, lesquelles je ne vous ay rapportees à autre fin, que pour monstrer que du temps de Charles sixiesme cecy estoit tenu pour familier en la bouche de nos Roys. Et au surplus que maistre Raoul le rapportoit au Roy Clovis, comme aussi font tous les autres. Vray que plusieurs sont en doute de l' occasion pour laquelle Clovis usa de ce mot Mont-joye: & semble aucunement que cest autheur le vueille attribuer à cette montagne, en laquelle il dit estre situee cette tour. Toutesfois quelques uns sont d' advis que Clovis ayant esté par plusieurs fois admonnesté de sa femme Clotilde de recevoir le S. Sacrement de Baptesme; finalement s' acheminant à la guerre qu' il eut contre les Allemans, il luy promist qu' en cas de bon succés de ses affaires, il accompliroit son vouloir. Parquoy se trouvant pendant le conflict & pesle mesle de la journee de Tolbiac en grand danger de sa personne, reclama soudainement le sainct grandement reveré en France, & que nous appellons nostre Apostre, qui est S. Denis, disant S. Denis mon Iouecomme s' il eust voulu dire, qu' en cas que S. Denis eust favorisé son entreprise, il l' eust de là en avant reveré comme son Jupiter (Ioue, Jove, Iovis, Jovis), que lors comme Ethnique il adoroit sur tous les autres Dieux: Et que depuis on avroit fait de Mon Jove, un Mont-joye comme par succession de temps il est aisé d' eschanger plus estrangement les paroles. Cettecy est l' opinion de Messire Robert Cenal Evesque d' Auranches en ses Perioques de la Gaule. Toutesfois si en cecy la divination est excusable, je croirois (si tant est toutesfois que Clovis ait esté premier autheur de cette parole) que si lors de cette necessité (qui fut certes l' une des plus grandes que courut jamais ce brave Roy) il invoqua l' aide de S. Denis, il usa du mot de Mont-joye sans aucun changement, comme s' il eust voulu dire que S. Denis estoit sa joye, son espoir, & consolation, & auquel il avoit toute sa fiance, usant toutesfois d' un article impropre de mon pour ma, ainsi que nous voyons les Allemans, Anglois, Escossois pratiquer assez souvent, lors qu' ils n' ont parfaite information de nostre Langue, comme il est à presumer qu' estoit Clovis, qui jamais n' avoit fait estat que des armes entre ses gend'armes François, la plus part desquels estoient extraicts du pays de la Germanie: Ainsi ayant esté mis ce mot en avant par Clovis, par le moyen duquel il pensa que ses affaires demy desesperees, luy reussiroient à bon effect: Les Roys qui de luy furent successeurs, s' attachans estroictément à cette parole, comme sacree & pleine de grand mystere, la mirent semblablement en œuvre, lors qu' ils se trouverent pressez en quelque rencontre de guerre, sans juger s' il falloit dire ma joye, plustost que mon-joye

vendredi 28 juillet 2023

7. 12. Que nostre langue est capable des vers mesurez, tels que les Grecs & Romains.

Que nostre langue est capable des vers mesurez, tels que les Grecs & Romains.

CHAPITRE XII.

Ovide en quelque endroict de ses Regrets, qu' il intitule De Tristibus, dit qu' estant banny en la Scythie, pour tromper son malheur, avoit appris de faire des vers à la Romaine, en ce langage goffe, & barbare. Je ne dispute point si la forme des vers Latins avecques pieds longs & courts est meilleure, que nos rimes. Ce que j' entends maintenant deduire est de sçavoir si nostre langue Françoise en est capable. Quant à cela il n' en faut point faire de doubte, mais je souhaite que quiconque l' entreprendra soit plus né à la Poësie, que celuy qui de nostre temps s' en voulut dire le maistre. Cela a esté autresfois attenté par les nostres, & peut estre non mal à propos. Le premier qui l' entreprit fut Estienne Jodelle en ce distique qu' il mist en l' an mil cinq cens cinquante trois, sur les œuvres Poëtiques d' Olivier de Maigny.

Phoebus, Amour, Cypris, veut sauver, nourrir, & orner, 

Ton vers, & chef, d' umbre, de flamme, de fleurs. 

Voila le premier coup d' essay qui fut fait en vers rapportez, lequel est vrayement un petit chef d' œuvre. Ces deux vers ayans couru par les bouches de plusieurs personnages d' honneur, le Comte d' Alcinois en l' an mil cinq cens cinquante cinq, voulut honorer la seconde impression de mon Monophile de quelques vers Hendecasyllabes, dont les cinq derniers couloient assez doucement.

Or quant est de l' amour amy de vertu,

Don celeste de Dieu, je t' estime heureux

Mon Pasquier, d' en avoir fidellement faict,

Par ton docte labeur, ce docte discours,

Discours tel que Platon ne peut refuser. 

Quelques annees apres devisant avecques Ramus, personnage de singuliere recommandation, mais aussi grandement desireux de nouveautez, il me somma d' en faire un autre essay de plus longue haleine que les deux precedens. Pour luy complaire je fis en l' an 1556. cette Elegie en vers Hexametres & Pentametres.

Rien ne me plaist sinon de te chanter, & servir & orner

Rien ne te plaist mon bien, rien ne te plaist que ma mort. 

Plus je requiers, & plus je me tiens seur d' estre refusé, 

Et ce refus pourtant point ne me semble refus. 

O trompeurs attraicts, desir ardent, prompte volonté,

Espoir, non espoir, ains miserable pipeur. 

Discours mensongers, trahistreux œil, aspre cruauté,

Qui me ruine le corps, qui me ruine le cœur. 

Pourquoy tant de faveurs t' ont les Cieux mis à l' abandon,

Ou pourquoy dans moy si violente fureur? 

Si vaine est ma fureur, si vain est tout ce que des cieux

Tu tiens, s' en toy gist cette cruelle rigueur: 

Dieux patrons de l' amour bannissez d' elle la beauté,

Ou bien l' accouplez d' une amiable pitié: 

Ou si dans le miel vous meslez un venimeux fiel,

Vueillez Dieux que l' amour r'entre dedans le Chaos: 

Commandez que le froid, l' eau, l' Esté, l' humide, l' ardeur:

Brief que ce tout par tout tende à l' abisme de tous, 

Pour finir ma douleur, pour finir cette cruauté,

Qui me ruine le corps, qui me ruine le cœur,  

Non helas que ce rond soit tout un sans se rechanger,

Mais que ma Sourde se change, ou de face, ou de façons: 

Mais que ma Sourde se change, & plus douce escoute les voix,

Voix que je seme criant, voix que je seme, riant. 

Et que le feu du froid desormais puisse triompher, 

Et que le froid au feu perde sa lente vigueur:

Ainsi s' assopira mon tourment, & la cruauté

Qui me ruine le corps, qui me ruine le cœur.

Je ne dy pas que ces vers soient de quelque valeur, aussi ne les mets-je icy sur la monstre en intention qu' on les trouve tels: mais bien estime-je qu' ils sont autant fluides que les Latins: & à tant veux-je que l' on pense nostre Vulgaire estre aucunement capable de ce subject.

Cette maniere de vers ne prit lors cours, ains apres en avoir faict part à Ramus, je me contentay de les mettre entre les autres joyaux de mon estude, & les monstrer de fois à autres à mes amis. Neuf ou dix ans apres, Jean Antoine de Baïf marry que les Amours qu' il avoit premierement composez en faveur de sa Meline, puis de Francine, ne luy succedoient envers le peuple de telle façon qu' il desiroit, fit vœu de ne faire de là en avant que des vers mesurez, (ainsi appellons nous ceux ausquels nous voulons representer les Grecs & Latins) toutesfois en ce subject si mauvais parrain que non seulement il ne fut suivy d' aucun: mais au contraire descouragea un chacun de s' y employer. D' autant que tout ce qu' il en fit estoit tant despourveu de cette naïfveté, qui doit accompagner nos œuvres, qu' aussi tost que cette sienne Poësie veit la lumiere, elle mourut comme un avorton.

Or ces vers par moy cy dessus recitez, representent en nostre langue les vers Grecs & Latins, esquels on considere la proportion des pieds longs & briefs seulement: toutesfois je ne sçay comment la douceur de la rime s' est tellement insinuee dedans nos esprits, que quelques uns estimerent que pour telle maniere de vers agreable, il y falloit encores adjouster par supplément la rime au bout des mots: Le premier qui nous en monstra le chemin fut Claude Butet dedans ses œuvres Poëtiques, mais avec un assez malheureux succés.

Prince des Muses, Joviale race,

Vien de ton beau mont, subit de grace, 

Monstre moy les jeux de la Lire tienne 

Dans Mitilenne, 

Le demeurant de cette Ode contient sept couplets que je ne vous veux icy representer, par ce que je ne la trouve pas bonne. Et de fait en ce premier couplet vous y trouvez deux fautes notables. L' une qu' il fait l' E feminin long par la rencontre de deux consonantes qui le suivent: en quoy il s' abusoit: par ce que cest E n' est qu' un demy son que l' on ne peut aucunement rendre long: l' autre que quand cest E tombe en la fin du vers, il n' est point compté pour une syllabe, comme il a voulu faire. 

Il me suffit seulement de vous dire qu' il fut le premier autheur de nos vers mesurez rimez. Bien vous diray-je qu' il choisit sagement les vers Saphiques. Car si nous avions à transplanter en nostre vulgaire quelques vers Latins, il faudroit que ce fussent principalement ceux qui sont d' unze syllabes, que nous appellons tantost Phaleuces, tantost Saphiques. Il n' y a rien de si mignard que tels vers. Chose que l' Italien recognoissant a formé toute sa Poësie sur eux. Vray que ç'a esté sans consideration des syllabes briefves, ou longues: Car cela luy eust trop cousté, se contentant seulement de la rime au bout des unze syllabes. Ce que Ronsard a voulu representer en une Ode qui se commence, 

Belle, dont les yeux doucement m' ont tué 

Par un doux regard qu' au cœur ils m' ont rué, 

Et m' ont en un roc insensible mué 

En mon poil grison. 

Et en une autre, dont le premier couplet est tel:

N' y l' aage, ny sang ne sont plus en vigueur, 

Les ardents pensers ne m' eschauffent le cœur, 

Plus mon chef grison ne se veut enfermer 

Sous le joug d' aimer. 

En ces deux pieces que l' on poura lire tout au long dans le 5. de ses Odes la rime est tres-riche sans pieds, & neantmoins vous voyez qu' ils ne sont pas sans quelque grace: En l' Ode de Butet la faute visible qui s' y trouve est que tous ses vers clochent du pied. Et c' est pourquoy en l' an mil cinq cens septante huict, dedans mes œuvres Poëtiques, qui estoient adjoustees au bout de mon Monophile, je voulus faire ces Hendecasyllabes en vers rimez, & mesurez.

Tout soudain que je vis Belonne voz yeux, 

Ains vos rais imitans cet astre des Cieux, 

Vostre port grave-doux, ce gracieux ris, 

Tout soudain je me vis Belonne surpris, 

Tout soudain je quitay ma franche raison, 

Et peu caut je la mis à vostre prison:

Mais soudain que je vis Felonne tes yeux, 

Ains tes deux Baselics etincelans feux, 

Ton port plein de venin, ce traistre soubris, 

Tout soudain je cogneu de m' estre mespris, 

Tout soudain je repris ma serve raison, 

Et plus caut la remis dedans sa maison:

Et si comme ton œil premier me lança 

Un feu, aussi ton œil second me glaça. 

Or Adieu sot Amour, Adieu je m' en voy, 

Si le froid, & le chaud tu couvres en toy,

En vain veux-je du feu d' Amour me chauffer,

En vain vieil de l' Amour je veux trionfer, 

En vain veux-je mener l' Amour à douceur, 

En vain fais-je voyage avecques luy seur, 

Et constant en amour me veux-je ronger. 

S' il est jeune, cruel, aveugle, leger.

De tout cet Epigramme je ne demanderay pardon au lecteur sinon du mot Leger, dont j' ay faict la premiere syllabe longue, combien que je la pense briefve: faute toutesfois excusable, & en laquelle j' ay plustost choisi de tomber, que de perdre la pointe du dernier vers, qui se rapporte aux quatre precedens. Depuis Jean Passerat, homme duquel on ne sçavroit assez honorer les vers, soient Latins, ou François, quand il en a voulu faire, fit une Ode en vers Saphiques, qui est telle.

On demande en vain que la serve raison 

Rompe pour sortir l' amoureuse prison,

Plus je veux briser le lien de Cypris, 

Plus je me voy pris. 

L' esprit insensé ne se paist que d' ennuis, 

Plaintes, & sanglots, ne repose les nuits

Pour guerir ces maux que l' aveugle vainqueur 

Sorte de mon cœur. 

Pren pitié des tiens, tire hors de mon flanc

Tant de traits lancez, enyurez de mon sang, 

Moindre soit l' ardeur de ton aspre flambeau 

Archerot oiseau. 

Ou si mon tourment renouvelle tousjours, 

Il me faut trencher le filet de mes jours, 

Sur ce traistre enfant je seray le plus fort,

Quand je seray mort.

Le mesme Passerat fit une autre Ode telle qu' est celle d' Horace, qui se commence, Miserarum est neque amori dare ludum.

Ce petit Dieu colere, Archer, leger Oiseau, 

A la parfin ne me lairra que le tombeau, 

Si du grand feu que je nourry ne s' amortit la vive ardeur. 

Un Esté froid, un Hyver chaud, me gele, & fond, 

Mine mes nerfs, glace mon sang, ride mon front,

Je me meurs vif ne mourant point, je me seiche au temps de ma verdeur.

Sote trop tard à repentir tu te viendras, 

De m' avoir faict ce mal à tort tu te plaindras, 

Tu attens donc à me cercher remede un jour que je mourray.

D' un amour tel meritoit moins la loyauté, 

Que de gouster du premier fruict de ta beauté, 

Je le veux bien, tu ne veux pas, tu le voudras, je ne pourray. 

Nicolas Rapin Lieutenant Criminel de robbe courte dans Paris, homme qui sçait aussi bien s' ayder de la plume en vers Latins, & François, que de l' espee, quand la necessité de son estat le requiert, entre autres Epitaphes faits en l' honneur de Pierre de Ronsard, le voulut honorer de cestuy que je veux icy inserer tout de son long: Car c' est une piece qui me semble le meriter, tant en l' honneur de celuy qui l' a faite, que pour celuy qu' elle fut faicte.

ODE SAPHIQUE RIMEE.

Vous qui les ruisseaux d' Helicon frequentez,

Vous qui les Jardins solitaires hantez,

Et le fonds des bois, curieux de choisir

L' ombre & le loisir.

Qui vivant bien loing de la fange & du bruit,

Et de ces grandeurs que le peuple poursuit,

Estimez les vers que la Muse apres vous,

Trempe de miel doux. 

Eslevez vos chants, redoublez vostr' ardeur, 

Soustenez vos voix d' une brusque verdeur, 

Dont l' accord montant d' icy jusques aux Cieux,

Irrite les Dieux. 

Nostre grand Ronsard, de ce monde sorty, 

Les efforts derniers de la Parque a senty: 

Ses faveurs n' ont peu le garentir en fin

Contre le destin: 

Luy qui put des ans, & de l' aage vaincus 

Susciter Clovis, Pharamond, & Francus, 

Qu' un pareil cercueil receloit, & leur los

Moindre que leurs os: 

Luy qui put des morts ralumer le flambeau, 

Et le nom des Roys retirer du tombeau, 

Imprimant ses vers par un art maternel,

D' un style eternel.

Bien qu' il eust neuf sœurs qui souloient le garder, 

Il ne put les trois de là bas retarder, 

Qu' il ne fust forcé de la fiere Clothon,

Hoste de Pluton: 

Maintenant bien prés de la troupe des grands 

Fondateurs, guerriers de la gloire des Francs, 

On le voit pensif paravant qu' aborder

Son Luth accorder:

Mais si tost qu' on l' oit reciter de ses vers,

Virgile au combat cede les Lauriers verds, 

Orphee, & Linus, & Homere font lieu,

Ainsi qu' à un Dieu.

Il va leur contant comme lors de son tans

Nos civils discords alumez de vingt ans,

Par tout ont remply le voyaume d' erreur,

D' armes & d' horreur.

Il va leur chantant le peril, & danger

Du Troyen Francus, valeureux estranger,

Qui devoit aux bords de la Seine à bon port

Eslever un fort. 

Ja le Rhin forchu se couvroit de vaisseaux,

Et le Loir enfloir le canal de ses eaux, 

Sous ce grand guerrier, qui d' Hiante avoit pris 

L' ardeur à mespris. 

Ja Paris monstroit le sommet de ses tours,

Quand le sort rompit le milieu de son cours,

Il ne pleut aux Dieux que d' un homme fust fait

Oeuvre si parfait: 

Ainsi d' Apelles de la Parque surpris 

Fut jadis laissé le tableau de Cypris,

Nul depuis n' osant sa besongne attenter,

Pour la remonter.

Quel de nous pourra renoüer ce tissu, 

Concevant l' ardeur que son ame a conceu:

Quel de nous pourra de ce docte pourtraict

Contrefaire un traict?

Grand Daimon François, digne chantre des Dieux, 

Qui premier passas la loüange des vieux,

Sans second, sans pair, de la Grece vainqueur,

Prince du sainct choeur. 

Vandomois harpeur, qui mourant ne mourras, 

Mais de loing nos pleurs à ton aise verras, 

Oy ce sainct concert, & retiens avec toy

L' ombre de ton Roy. 

Puisse ton tombeau leger estre à tes os, 

Et pour immortel monument de ton los, 

Les Oeillets, les Lys, le Lierre à maint tour,

Croißent à l' entour.

Et certes si ces deux beaux esprits, j' entens Rapin, & Passerat, eussent entrepris cette querelle, tout ainsi comme fit Baïf, ils en fussent venus à chef. Il n' y a rien en tout cela que beau, que doux, que poly, & qui charme malgré nous nos ames. Paravanture arrivera-il un temps, que sur le moule de ce que dessus, quelques uns s' estudieront de former leur Poësie. Vray qu' il y a un point qui m' en fait desesperer, c' est que la douceur de nostre langue despend tant de l' E masculin que feminin: Or pour rendre cette Poësie accomplie, il faut du tout bannir de la fin des vers, l' E feminin, autrement il sera trop long ou trop court. 

jeudi 27 juillet 2023

7. 5. Des Chants Royaux, Ballades, & Rondeaux.

Des Chants Royaux, Ballades, & Rondeaux.

CHAPITRE V.

Tel fut le cours de nostre Poësie Françoise, tel celuy de la Provençale. Et tout ainsi que cette-cy prit fin quand les Papes se vindrent habituer en Avignon, qui fut sous le regne de Philippes le Bel: Temps auquel, & un Dante, & un Petrarque se firent riches des plumes de nos Provençaux, & commencerent de planter leur Poësie Toscane en la Provence, où Petrarque se choisit pour Maistresse la Laura Gentil-femme Provençale: Aussi le semblable advint-il vers le mesme temps à nostre Poësie Françoise, pour le nombre effrené d' un tas de gaste-papiers qui s' estoient meslez de ce mestier. Au moyen dequoy au lieu de la Poësie qui souloit representer les exploits d' armes des braves Princes & grands Seigneurs, commença de s' insinuer entre nous une nouvelle forme de les escrire en prose sous le nom & tiltre de Romans, les uns en l' honneur de l' Empereur Charlemagne, & de ses guerriers, les autres du Roy Artus de Bretagne, & des siens qu' ils appellerent Chevaliers de la table ronde. Livres dont une plume mesnagere pourroit bien faire son profit si elle vouloit, pour l' advancement & exaltation de nostre langue. Vray que comme toutes choses se changent selon la diversité des temps, aussi apres que nostre Poësie Françoise fut demeuree quelques longues annees en friche, on commença d' enter (entrer) sur son vieux tige, certains nouveaux fruits auparavant incogneus à tous nos anciens Poëtes: Ce furent Chants Royaux, Ballades, & Rondeaux. Je mets en premier lieu le Chant Royal comme la plus digne piece de cette nouvelle Poësie, & se faisoit, ou en l' honneur de Dieu, ou de la Vierge sa mere, ou sur quelque autre grand argument, & non seulement la plus digne, mais aussi la plus penible. Et parce que depuis le regne de Henry deuxiesme nous avons perdu l' usage de ces trois pieces, je vous en representeray icy le formulaire. Au Chant Royal le fatiste (ainsi nommerent-ils le Poëte d' un mot François symbolizant avecques le Grec) estoit obligé de faire cinq onzaines en vers de dix syllabes, que nous appellons heroïques, & sur le modele de ce premier, falloit que tous les autres tombassent en la mesme ordonnance qu' estoit la rime du premier, & fussent pareillement accolez mot pour mot du dernier vers, qu' ils appelloient le Refrain. Et en fin fermoient leur Chant Royal par cinq vers, qu' ils nommoient Renvoy, gardans la mesme reigle qu' aux autres, par lesquels, les addressant à un Prince, ils recapituloient en bref ce qu' ils avoient amplement discouru dedans le corps de leur Poëme.

Par exemple, Clement Marot en fit quatre, dont le premier estoit sur la Conception.

Lors que le Roy par haut desir & cure

Delibera d' aller vaincre ennemis,

Et retirer de leur prison obscure

Ceux de son ost à grands tourmens soubmis,

Il envoya ses fourriers en Judee

Prendre logis sur place bien fondee:

Puis commanda rendre en forme facile,

Un pavillon pour exquis domicile:

Dedans lequel dresser il proposa

Son lict de camp, nommé en plein Concile,

La digne couche où le Roy reposa.

Au pavillon sur la riche peinture,

Monstrant par qui nos pechez sont remis:

C' estoit la nuë ayant en sa closture

Le jardin clos, à tous humains promis.

La grand cité des hauts Cieux regardee, 

Le Lys Royal, l' olive collaudee,

Avec la tour de David immobile.

Parquoy l' ouvrier sur tous le plus habile,

En lieu si noble assit & apposa

(Mettant à fin le lict de la Sibylle)

La digne couche où le Roy reposa.

Les trois autres qui suyvent sont tous de cette mesme parure: & finalement pour conclusion le renvoy s' adresse au Prince. 

Prince je prens en mon sens puerile,

Le pavillon pour Saincte Anne sterile:

Le Roy pour Dieu, qui aux Cieux repos a: 

Et Marie est (vray comme l' Evangile) 

La digne couche où le Roy reposa. 

Servitude certes, que je ne die gesne d' esprit admirable, & neantmoins ils en sortoient à leur honneur. Quant à la Ballade, c' estoit un chant Royal racoursi au petit pied, auquel toutes les reigles de l' autre s' observoient & en la suitte continuelle de la rime, & en la closture du vers, & au Renvoy, mais ils se passoient par trois ou quatre dizains ou huitains, & encores en vers de sept, huit, ou dix syllabes à la discretion du fatiste, & en tel argument qu' il vouloit choisir. Au regard du Rondeau, il avoit son logis à part de la façon qu' est celuy de Marot au Seigneur Theocrenus lisant à ses disciples.

Plus profitable est de t' escouter lire, 

Que d' Apollo ouyr toucher la lire, 

Où ne se prend plaisir que pour l' oreille:

Mais en ta langue ornee & nompareille, 

Chacun y peut plaisir & fruict eslire.

Ainsi d' autant qu' un Dieu doit faire & dire 

Mieux qu' un mortel, chose où n' ait que redire: 

D' autant il faut estimer ta merveille. 

Plus profitable. 

Bref si dormir plus que veiller peut nuire,

Tu dois en loz par sus Mercure bruire: 

Car il endort l' œil de celuy qui veille: 

Et ton parler les endormis esveille, 

Pour quelque jour à repos les conduire, 

Plus profitable.

Si ces trois especes de Poësie estoient encores en usage, je ne les vous eusse icy representees, comme sur un tableau: vous les recevrez de moy comme d' une antiquaille. Toute mon intention estoit & est de vous monstrer dont provenoit, que combien que les Chants Royaux & Ballades ne parlassent en aucune façon des Princes, toutes-fois leurs conclusions aboutissent seulement en eux.

Et parce que de cecy depend la cognoissance d' une ancienneté qui est incognuë, la verité est qu' en telles matieres d' esprit, les nostres ont tousjours esté sur toutes autres nations desireux de l' honneur. C' est pourquoy dés le temps mesme de Juvenal, dedans Lyon, ceux qui faisoient profession de declamer, sembloient subir une ignominie quand ils estoient vaincus. 

Aut Lugdunensem Rhetor dicturus ad aram. 

Il n' est pas qu' en ma jeunesse és disputes qui se faisoient entre nous dedans nos Classes, celuy qui avoit mal respondu, estoit par nous appellé Reus, comme si on luy eust faict son procez. Il en prit autrement à nos vieux Poëtes. Car comme ainsi fust qu' ils eussent certains jeux de prix en leurs Poësies, ils ne condamnoient point celuy qui faisoit le plus mal, mais bien honoroient du nom, tantost de Roy, tantost de Prince, celuy qui avoit le mieux fait, comme nous voyons entre les Archers, Arbalestiers, & Harquebusiers estre fait le semblable. Ainsi l' autheur du Roman d' Oger le Danois s' appelle Roy. 

Icy endroict est cil livre finez, 

Qui des enfance Oger est appellez: 

Or vueille Diex qu' il soit parachevez,

En tel maniere kestre n' en puist blasmez, 

Li Roy Adams par Ki il est rimez.

Et en celuy de Cleomades.

Ce livre de Cleomades 

Rimé-ie le Roy Adenes,

Menestré au bon Duc Henry.

Mot de Roy qui seroit tres-mal approprié à un Menestrier, si d' ailleurs on ne le rapportoit à un jeu de prix: & de faict il semble que de nostre temps, il y en eust encores quelques remarques, en ce que le mot de Iouingleur (Jovingleur) s' estant par succession de temps tourné en batelage, nous avons veu en nostre jeunesse les Jovingleurs se trouver à certain jour tous les ans en la ville de Chauny en Picardie, pour faire monstre de leur mestier devant le monde, à qui mieux mieux: Et ce que j' en dis icy n' est pas pour vilipender ces anciens Rimeurs, ains pour monstrer qu' il n' y a chose si belle qui ne s' aneantisse avec le temps.

Toutes-fois cette ancienneté se pourra encores mieux averer par le moyen des Chants Royaux, Ballades, & Renvois d' iceux dont je parlois maintenant. Tous ces Chants, comme j' ay dit, estoient dediez à l' honneur, & celebration des Festes les plus celebres, comme de la Nativité de nostre Seigneur, de sa Passion, de la Conception nostre Dame, & ainsi des autres: la fin estoit un couplet de cinq, ou six vers que l' on adressoit à un Prince, duquel on n' avoit faict aucune mention par tout le discours du Chant. Chose qui peut apprester à penser à celuy qui ne sçavra cette ancienneté. La verité doncques est (que j' ay apprise du vieux art Poëtique François par moy cy-dessus allegué) que l' on celebroit en plusieurs endroits de la France des jeux Floraux, où celuy qui avoit rapporté l' honneur de mieux escrire, estant appellé tantost Roy, tantost Prince, quand il falloit renouveller les jeux, donnoit ordinairement de ces Chants à faire, qui furent pour cette cause appellez Royaux, d' autant que de toute leur Poësie, cestuy estoit le plus riche sujet qui estoit donné par le Roy, lequel donnoit aussi des Ballades à faire, qui estoient comme demy Chants Royaux. Ces jeunes Fatistes ayans composé ce qui leur estoit enjoinct, reblandissoient à la fin de leurs Chants Royaux & Ballades leur Prince, a fin qu' en l' honorant ils fussent aussi par luy gratifiez, & lors il distribuoit Chapeaux & Couronnes de fleurs, à uns & autres, selon le plus ou le moins qu' ils avoient bien faict. Chose qui s' observe encores dans Tholose, où l' on baille l' Englantine à celuy qui a gaigné le dessus, au second la Soulcie, & quelques autres fleurs par ordre, le tout toutes-fois d' argent: Et porte encores cet honneste exercice le nom de jeux Floraux, tout ainsi qu' anciennement.

Ces Chants Royaux, Ballades, Rondeaux & Pastorales, commencerent d' avoir cours vers le regne de Charles cinquiesme, sous lequel tout ainsi que le Royaume se trouva riche & florissant, aussi les bonnes lettres commencerent de reprendre leur force, lesquelles il eut en telle recommandation, qu' il fit mettre en François la plus grande partie des œuvres d' Aristote par Maistre Nicole Oresme, qu' il fit Evesque de Lizieux. Celuy que je voy avoir grandement advancé cette nouvelle Poësie, fut Jean Froissard qui nous fit aussi present de cette longue Histoire que nous avons de luy, depuis Philippes de Valois jusques en l' an 1400. Et m' estonne comme il n' ait esté recommandé par l' ancienneté en cette qualité de Poëte: Car autres-fois ay-je veu en la Bibliotheque du grand Roy François à Fontainebleau un grand Tome de ses Poësies, dont l' intitulation estoit telle: Vous devez sçavoir que dedans ce livre sont contenus plusiour dictié ou traitié amoureux & de moralité, lesquels sire Jean Froissard Prestre & Chanoine de Canay, & de la nation de la Comté de Hainaut & de la ville de Valentianes, a fait dicter & ordonner à l' aide de Dieu & d' Amours, à la contemplation de plusieurs Nobles & vaillans, & les commença de faire sur l' an de grace 1362. & les cloist en l' an de grace 1394. Le Paradis d' Amour, le Temple d' Honneur, un traité où il loüe le mois de May, la fleur de la Marguerite, plusieurs Laiz amoureux, Pastoralles, la Prison amoureuse, Chansons Royalles en l' honneur de nostre Dame, le Dicté de l' Espinette amoureuse, Balade, Virelaiz, & Rondeaux, le Plaidoyé de la Roze, & de la Violette. Je vous ay voulu par exprés cotter mot apres mot cette Intitulation: D' autant que depuis ce temps-là, toute nostre Poësie consistoit presque en toutes ces mignardises. Apres luy fut sous Charles VII. Maistre Alain Chartier Secretaire du Roy, qui escrivit en Vers & en Prose, auquel j' ay donné son chapitre particulier au 5. de ces presentes Recherches. Tout cet entrejet de temps jusques vers l' advenement du Roy François I. de ce nom, nous enfanta plusieurs Rimeurs, les uns plus, les autres moins recommandez par leurs œuvres: Arnoul, & Simon Grebans freres nez de la ville du Mans, Georges Chastelain, François de Villon, Coquillard Official de Reims, Meschinot, Moulinet, mais sur tous me plaist celuy qui composa la Farce de Maistre Pierre Patelin, duquel encore que je ne sçache le nom, si puis-je dire que cette Farce tant en son tout, que parcelles, fait contrecarre aux Comedies des Grecs & Romains. Le premier qui à bonnes enseignes donna vogue à nostre Poësie, fut Maistre Jean le Maire de Belges, auquel nous sommes infiniment redeuables, non seulement pour son Livre de l' Illustration des Gaules, mais aussi pour avoir grandement enrichy nostre langue d' une infinité de beaux traicts tant en Prose que Poësie, dont les mieux escrivans de nostre temps se sont sçeu quelques-fois fort bien aider. Car il est certain que les plus riches traits de cette belle Hymne que nostre Ronsard fit sur la mort de la Roine de Navarre, sont tirez de luy au jugement que Paris donna aux trois Deesses. Cet Autheur florit sous le regne de Louys XII. & veit celuy de François premier. Nostre gentil Clement Marot en la seconde impression de ses œuvres recognoissoit que ce fut luy qui luy enseigna de ne faillir en la coupe feminine au milieu d' un vers. Le mesme Marot en un Epigramme qu' il fit à Hugue Salel son Concitoyen, à l' imitation de Martial, fait estat de quelques Poëtes tant anciens, que de son temps.

De Jean de Mehun s' enfle le cours de Loire, 

En Maistre Alain Normandie prend gloire,

Et plaint encor' mon arbre paternel,

Octavian rend Cougnac eternel, 

De Moulinet, de Jean le Maire, & Georges,

Ceux de Hainaut chantent à pleines gorges,

Les deux Grebans ont le Mans honoré, 

Nante la Brete en Meschinoit se baigne,

De Coquillart s' esjouït la Champagne,

Quercy, de toy Salet, se vantera,

Et comme croy de moy ne se taira.

Je voy que les deux Grebans freres dont Marot fait mention furent grandement celebrez, par les nostres. Car Jean le Maire en sa preface du Temple de Venus les meit au nombre de ceux qui avoient mieux escrit en nostre langue. Le semblable fait Geoffroy Toré en son Champ flory, & neantmoins recognoissoit n' avoir rien veu de leur façon fors une oraison d' Arnoul qui estoit dedans un tableau en l' Eglise des Bernardins à Paris, addresee à la Vierge Marie, dont le commencement estoit. En protestant. Et que les premieres lettres du dernier couplet contenoient son nom & surnom. Arnaldus Grebans me. L' autheur du vieux art Poëtic François recite tout au long une complainte par luy faicte, dont je copiay seulement ces trois couplets en la ville de Blois, où j' eus communication du livre.

A vous Dame je me complains,

Je vois pleurant par vaux & plains,

Je ne cognois que pleurs & plains

Puis que ie vis.

Vostre gent & gratieux vis,

J' aime mieux estre mort que vis, 

Neantmoins plus volontiers qu' enuis

Je me soubmets

Au Dieu d' Amour, qui desormais

Me fait servir d' estranges mets

De danger & de refus, mais

C' est pour aimer.

Et ainsi vont plusieurs autres couplets que je regrette grandement n' avoir copiez, n' estimant pas lors que ce fust une piece dont je me deusse un jour aider. Joinct que l' Autheur dit que cest Arnoul fut le premier inventeur en cette France de cette maniere de rime, qui n' estoit pas pauvre.

Le Roy Louys douziesme estant decedé, luy succeda le grand Roy François I. de ce nom, qui fut restaurateur des bonnes lettres, & son exemple excita une infinité de bons esprits à bien faire, mesmes au subject de la Poësie Françoise, entre lesquels Clement Marot, & Melin de sainct Gelais eurent le prix: aussi sembloient-ils avoir apporté du ventre de leurs meres la Poësie: Car Jean Marot pere de Clement fut Poëte assez elegant, duquel j' ay veu plusieurs petites œuvres Poëtiques qui n' estoient de mauvaise grace: Et Octavian pere de Melin mit en vers François toutes les Epistres d' Ovide: C' est pourquoy Clement Marot disoit que la Normandie plaignoit son arbre paternel, & qu'  Octavian rendoit Cougnac eternel. Or se rendirent Clement & Melin recommandables par diverses voyes, celuy-là pour beaucoup & fluidement, cestuy pour peu & gratieusement escrire. Ce dernier produisoit de petites fleurs, & non fruits d' aucune duree, c' estoient des mignardises qui couroient de fois à autres par les mains des Courtisans

& Dames de Cour, qui luy estoit une grande prudence. Parce qu' apres sa mort, on fit imprimer un recueil de ses œuvres, qui mourut presque aussi tost qu' il vit le jour: Mais quant à Clement Marot ses œuvres  furent recueillies favorablement de chacun. Il avoit une veine grandement fluide, un vers non affecté, un sens fort bon, & encores qu' il ne fust accompagné de bonnes Lettres, ainsi que ceux qui vindrent apres luy, si n' en estoit-il si desgarny qu' il ne les mist souvent en œuvre fort à propos. Bref, jamais livre ne fut tant vendu que le sien, je n' en excepteray un tout seul de ceux qui ont eu la vogue depuis luy. Il fit plusieurs œuvres tant de son invention que traduction, avec un tres-heureux Genius: Mais entre ses inventions je trouve le livre de ses Epigrammes tres-plaisant: Et entre ses traductions il se rendit admirable en celle des 50. Pseaumes de David, aidé de Vatable Professeur du Roy és lettres Hebraïques, & y besongna de telle main, que quiconque a voulu parachever le Psautier, n' a peu attaindre à son parangon: C' a esté une Venus d' Apelles. Ce bel esprit eut pour ennemy de sa vertu un Sagon, qui se mesla d' escrire contre luy, mais il y perdit sa peine. Ce mesme regne enfanta aussi d' autres nobles esprits, entre lesquels je fais grand grand compte d' Heroët en sa Parfaite amie: Petit œuvre, mais qui en sa petitesse surmonte les gros ouvrages de plusieurs. Aussi fiorit de ce temps-là Hugue Salet qui acquit grand nom par sa traduction d' unze livres de l' Iliade d' Homere. Quelques uns honoroient Guillaume Cretin duquel je parleray plus amplement au dernier Chapitre. Je mettray entre les Poëtes du mesme temps, François Rabelais: car combien qu' il ait escrit en prose les faits Heroïques de Gargantua & Pantagruel, si estoit-il mis au rang des Poëtes, comme j' apprens de la response que Marot fit à Sagon sous le nom de Fripelipes son valet:

Je ne voy point qu' un sainct Gelais, 

Un Heroet, un Rabelais:

Un Brodeau, un Seve, un Chapuy, 

Voisent escrivans contre luy.

Cestuy és gayetez qu' il mit en lumiere, se mocquant de toutes choses, se rendit le nompareil. De ma part je recognoistray franchement avoir l' esprit si folastre, que je ne me lassay jamais de le lire, & ne le leu oncques que je n' y trouvasse matiere de rire, & d' en faire mon profit tout ensemble.

Je vous laisse à part Estienne Dolet, qui traduit en François les Epistres de Ciceron, Jean Martin, les Azolains de Bembo, & l' Arcadie de Sannazar, & Jean le Maçon, le Decameron de Boccace: Parce qu' ils n' eurent autre sujet que de traduire, & neantmoins nostre langue ne leur est pas peu redeuable: mais sur tous à Nicolas de Herberay, sieur des Essars aux huit livres d' Amadis de Gaule, & specialement au huictiesme: Roman dans lequel vous pouvez cueillir toutes les belles fleurs de nostre langue Françoise. Jamais livre ne fut embrassé avec tant de faveur que cestuy, l' espace de vingt ans ou environ: Et neantmoins la memoire en semble estre aujourd'huy esvanoüie. Du Bellay l' honora d' une longue Ode dans son cercueil: Qui est la plus belle de toutes les siennes. Mais pour clorre la Poësie qui fut lors, je vous diray qu' encores fut elle honoree par le Roy François I. lequel composa quelques chansons non mal faites, qui furent mises en Musique: Mesme fit l' Epitaphe de la Laure, tant honoré par les Italiens, qu' il n' y a eu depuis presque aucun Petrarque imprimé, où ce petit eschantillon ne soit mis au frontispice du livre. Et sur tout faut que nous solemnizions la memoire de cette grande Princesse Marguerite sa sœur, Roine de Navarre, laquelle nous fit paroistre par sa Marguerite des Marguerites (ainsi est intitulee sa Poësie) combien peut l' esprit d' une femme, quand il s' exerce à bien faire: C' est elle qui fit encore des Comptes à l' imitation de Boccace.

vendredi 7 juillet 2023

6. 13. Procedures tenuës en la foy & hommage, que feit Philippes Archiduc d' Austriche, à nostre Roy Louys douziesme.

Procedures tenuës en la foy & hommage, que feit Philippes Archiduc d' Austriche, à nostre Roy Louys douziesme.

CHAPITRE XIII.

Le mal-heur qui nous advint en la journee de Pavie, & le traicté qui fut fait à sa suitte, veulent que je vous represente en ce lieu la derniere foy & hommage, qui nous fut faite par Philippe Archiduc d' Austriche. Paravanture que quelques-fois la fortune joüant autrement son rolle, ce Chapitre pourra enseigner à la posterité, de quelle façon elle se deura comporter. Et vrayement je me trans-formerois volontiers tout à fait, en celuy dont j' ay emprunté cette Histoire: Laquelle representee au jour & naïf de son ancienneté, peut estre y aura-il moins de grace au langage: mais aussi plus de foy & creance. L' Autheur de ce mien discours fut un Maistre Jean Auis (: Avis), Notaire & Secretaire du Roy, qui non seulement fut de la partie, ains eut commandement exprez, comme il nous tesmoigne, de Monsieur de Rochefort, Chancelier de France, de rediger par escrit la presente Histoire, dont je coppieray mot pour mot les principaux articles, a fin que le Lecteur se puisse informer de quelques anciennetez que nous n' observons aujourd'huy.

Messire Guy de Rochefort Chancelier sous le regne de nostre bon Roy Louys XII. partit de la ville de Dourlens pays de Picardie, pour aller en celle d' Arras, où il arriva le I. jour de Juillet 1499. accompagné des Seigneurs de Ravastain, & de la Grutture, de deux Maistres des Requestes du Roy, sept Conseillers du grand Conseil, deux Procureurs generaux du Parlement, & grand Conseil, du grand Rapporteur de la Chancelerie, du Baillif d' Amiens, & de cinq Notaires & Secretaires du Roy: Je vous les specifie ainsi que je le trouve par le memoire, & vous laisse à part leurs noms & surnoms: D' autant que ce ne seroit ce me semble, que remplissage de papier.

Et ainsi que mon dit sieur le Chancelier (dit Avis) fut à tout sa dite compagnie, comme à lieuë & demie de la Cité d' Arras, chevauchant en bon ordre, ayant au devant de luy, l' Huissier du grand Conseil, portant sa masse descouverte, armoyée des armes du Roy, & apres luy le Chauffecire qui portoit le seel, ainsi qu' il est accoustumé quand mon dit sieur le Chancelier va par champs: Et lequel Chauffecire estoit costoyé de deux Roys d' armes: c' est à sçavoir Mont-joye premier Roy d' armes, & Normandie. 

Je vous ay rapporté cette clause tout de son long, a fin que cognoissiez en passant quel ordre tenoient anciennement les Chanceliers allans par pays és actes de ceremonie, ayans pour suitte ordinaire l' un des Chauffecire: Car ce qu' il en dit icy, il le repete cy-apres, en un autre endroit. Or estant le Chancelier à une lieuë pres de la ville, Messire Thomas de Pleurre Evesque de Cambray, Chancelier de l' Archiduc, accompagné du Comte de Nassau, & plusieurs autres Seigneurs de Marque, le vindrent saluër de la part de leur Maistre. En cette premiere entreveuë, mille curialitez: & arrivez aux faux-bourgs d' Arras, l' Archiduc suivy de plusieurs Chevaliers de son Ordre, & Seigneurs de son Conseil, vint accueillir le Chancelier qu' il embrassa, ayant tousjours le bonnet au poing, & luy dit qu' il estoit le bien venu, luy demandant en cette maniere, Comment se porte Monsieur le Roy? A quoy mon dit sieur le Chancelier respondit, Que tres-bien graces à Dieu, comme il avoit intention de plus amplement luy dire. De là plusieurs grandes caresses de la part de l' Archiduc, aux Seigneurs de Ravastain & la Grutture, & Messieurs des Requestes, & du grand Conseil, & jamais il ne se voulut couvrir, sinon que le Chancelier fust le premier couvert, puis l' Autheur poursuivant sa route. Monsieur le Chancelier (dit-il) & l' Archiduc se meirent eux deux ensemble, pour entrer en la ville, le Chancelier tousjours à dextre, & chevauchant au devant de luy l' Huissier du grand Conseil, sa masse haute & descouverte, & le Chauffecire ayant le seel du Roy sur son dos, comme il est de coustume, quand mon dit sieur le Chancelier chevauche par le Royaume, & deux Rois d' armes en leur ordre: sans qu' entre mes dits sieurs le Chancelier & Archiduc y eust autre. Quelle chose estoit, & fut bien regardee, tant par les gens & Officiers de l' Archiduc, que par le peuple, dont il y avoit grand nombre, tant dehors la cité, que dedans, illec venus pour voir l' entree. Et mena & conduit mon dit sieur l' Archiduc, mon dit sieur le Chancelier, tousjours parlant à luy, en soy souvent descouvrant, sans ce qu' il se couvrist, que mon dit sieur le Chancelier ne fust aussi tost couvert, jusques à l' entrée du cloistre de la grande Eglise. Voulant mon dit seigneur l' Archiduc à toute force le mener jusques à la maison Episcopale, en laquelle mon dit seigneur a tousjours esté logé. Nonobstant les requestes & prieres que mon dit seigneur le Chancelier luy feist de soy conteur de l' honneur qu' il luy avoit fait en faveur du Roy. Et sur ces paroles se departit mon dit sieur l' Archiduc, & s' en alla en la ville d' Arras en son logis de S. Vast, & mon dit seigneur le Chancelier en la dite maison Episcopale, accompagné du sieur Comte de Nassau, & autres grands personnages de la maison de mon dit sieur l' Archiduc, & apres chacun de la compagnie, & bande de mon dit sieur le Chancelier, s' en alla au logis qui luy estoit ordonné. Vous pouvez voir par cela avec quel respect le Chancelier fut accueilly par l' Archiduc. Trois jours se passent, pendant lesquels l' Archiduc, & le Comte de Nassau le vindrent visiter, pour concerter ensemblement sur quelques obscuritez que M. Jean Burdelot Procureur general au Parlement, avoit proposees. Desquelles s' estans esclaircis, le Jeudy 4. Juillet le Chancelier leur declara qu' il desiroit que le lendemain se presentast pour faire la foy & hommage qu' il estoit tenu de porter, pour raison de la Pairrie & Comté de Flandres, & semblablement des Comtez d' Artois, & de Charroulois, & autres terres & Seigneuries tenuës & mouvantes de la Couronne de France. Ce qui fut par l' Archiduc trouvé bon. Le jour, lieu, & heure arrestez, le Chancelier ordonna pour le lieu & place la seconde salle de son logis, qu' il fit revestir d' une riche tapisserie, & rehausser le lieu où l' hommage seroit fait de deux marches, où fut mise une chaire de veloux semé de fleurs de Lys, en laquelle il seroit assis devant la reception, & les paroles qui seroient proferees par l' Archiduc. Le lendemain sur les 10. heures, estant en chambre environné de Messieurs des Requestes de l' Hostel, gens du grand Conseil, Baillif d' Amiens, & autres cy-dessus nommez, il fut adverty par l' Evesque, que l' Archiduc estoit party de son Hostel, pour venir faire l' hommage, & par deux autres fois il receut pareil advis par quelques autres Officiers de l' Archiduc, qui luy dirent que leur Maistre estoit en chemin pour cet effect. En fin adverty par les sieurs de la Grutture, Flammezelles Chambellan du Roy, & Ravastan, qui l' avoient accompagné depuis son logis jusques en ce lieu, qu' il estoit entré jusques à la premiere salle. Adoncques le Chancelier vestu d' une robbe de veloux cramoisy, son chapeau en teste se partit de sa chambre, en la maniere qui s' ensuit. Et ainsi l' ay-je coppié mot pour mot de l' Autheur, dont j' ay recueilly l' Histoire. 

Ayant au devant de luy le dit Huissier du grand Conseil, portant sa masse descouverte, & haut criant au peuple qui là estoit assemblé en grand nombre. Devant, devant, faites place. Et apres luy alloient les deux Rois d' armes du Roy nostre dit seigneur, vestus des cottes d' armes du dit sieur. Puis marchoit mon dit sieur le Chancelier, & apres Messieurs des Requestes, les Conseillers du grand Conseil, Notaires & Secretaires du Roy, avec lesquels j' estois (poursuit l' Autheur) & parce  que mon dit sieur le Chancelier m' avoit ordonné auparavant son partement la dite Chambre, me mettre en lieu & place, pour estre present à la reception du dit hommage, pour ouyr les paroles, tant de luy, que de mon dit sieur l' Archiduc, qui y seroient dites & proferees par eux deux, prendre le commencement des lettres à ce necessaires, je m' auancay pour ce faire. Et est à sçavoir qu' ainsi que mon dit sieur le Chancelier approcha de la chaire où il devoit seoir, mon dit sieur l' Archiduc qui aupres d' icelle estoit, attendant mon dit sieur le Chancelier, osta incontinent le bonnet de sa teste: Disant à mon dit sieur le Chancelier ces mots: Monsieur, Dieu vous doint bon jour; & en ce disant baissa fort la teste: Et mon dit sieur le Chancelier sans rien proferer, ou dire mot, meit seulement la main à son chapeau, qu' il avoit en la teste: Et incontinent l' un des dits Rois d' armes, ainsi qu' ordonné luy avoit esté par mon dit sieur le Chancelier, cria à haute voix par trois fois: Faites paix. Ce fait mon dit sieur l' Archiduc se presenta à mon dit sieur le Chancelier pour faire le dit hommage, disant: Monsieur le Chancelier, je suis icy venu devers vous pour faire l' hommage, que tenu suis faire à Monsieur le Roy, touchant mes Pairries & Comtez de Flandre, d' Artois, & Charroulois, lesquels je tiens de Monsieur le Roy, à cause de sa Couronne. Et lors mon dit sieur le Chancelier, ainsi assis qu' il estoit en sa dite chaire, tout couvert de bonnet & chapeau, luy demanda, s' il avoit ceinture, dague, ou autre baston. Lequel mon dit sieur l' Archiduc en levant sa robbe qui estoit sans ceinture, dit que non. Ce dit mon dit sieur le Chancelier luy meit les deux mains entre les siennes, & icelles  ainsi tenans & jointes, mon dit sieur l' Archiduc se veut encliner, monstrant apparence de se vouloir mettre à genoux. Ce que mon dit sieur le Chancelier ne voulut souffrir, ains en le soustenant par ses dites mains, qu' il tenoit comme dit est, luy dit ces mots. Il suffit de vostre bon vouloir. Puis mon dit sieur le Chancelier luy dit en cette maniere, luy tenant tousjours les deux mains jointes, & ayant mon dit sieur l' Archiduc la teste nuë, & encores s' efforçant tousjours de se mettre à genoux. Vous devenez homme du Roy, vostre souverain Seigneur, & luy faites  foy & hommage lige, pour raison des Pairries & Comtez de Flandre, & aussi des Comtez d' Artois & de Charroulois, & de toutes terres que tenez, & qui sont mouvantes, & tenuës du Roy à cause de sa Couronne: Luy promettez le servir jusques à la mort, inclusivement envers & contre tous ceux qui peuvent viure & mourir sans nul reserver, de procurer son bien & eviter son dommage, & vous induire & acquiter envers luy, comme envers vostre souverain Seigneur. A quoy fut par mon dit sieur l' Archiduc respondu: Par ma foy ainsi le promets-je, & ainsi le feray. Et ce dit mon dit sieur le Chancelier luy dit ces mots, Et je vous y reçoy, sauf le droit du Roy en autre chose, & l' autruy en toutes. Puis tendit la joüe, en laquelle mon dit sieur l' Archiduc le baisa: Puis mon dit sieur l' Archiduc requit & demanda lettres à mon dit sieur le Chancelier, lesquelles il me commanda de luy faire, & icelles luy depescher. Lors mon dit sieur le Chancelier se leva de sa dicte chaire, & se descouvrit du chapeau & bonnet, & feit reverence à mon dit sieur l' Archiduc, luy disant ces mots: Monsieur je faisois n' agueres office de Roy, representant sa personne, & de present je suis Guy de Rochefort, vostre tres humble serviteur, tousjours prest de vous servir envers le Roy, mon souverain Seigneur & Maistre, en tout ce qu' il vous plaira me commander. Dont mon dit sieur l' Archiduc le *remercia, luy disant: Je vous mercie Monsieur le Chancelier, & vous prie qu' en toutes mes affaires envers mon dit sieur le Roy, vous me vouliez tousjours avoir pour recommandé. Tesmoin mon seing manuel cy mis le I. jour d' Aoust l' an 1489. Sic signatum Auis (Avis). L' ordre qui fut lors tenu m' a semblé digne d' estre icy enchassé. Les grands Seigneurs joüent leurs rolles ainsi qu' ils veulent, par cet Univers, & les petits qui sont spectateurs de leurs jeux, se donnent quelques-fois la loy de juger des coups. Monsieur le Chancelier de Rochefort estoit un grand personnage, non sujet à faute en ce qui luy estoit enjoint & commandé par son Maistre, toutes-fois la question n' est pas petite de sçavoir, si luy representant lors la personne du Roy son Seigneur (comme luy mesme fut d' accord par ses derniers propos) fit acte digne de soy, ou pour mieux dire de Roy, quand il ne voulut permettre, que l' Archiduc le conduisist jusques à la maison Episcopale pour s' heberger: & que faisant la foy & hommage, il ne voulut permettre qu' il s' agenoüillast, comme il vouloit faire, & estoit le deu de son vasselage: Parce que si ces deux poincts n' estoient en cet acte, la closture d' iceluy eust esté bien plus magnifique, quad (quand) il dit qu' auparavant il faisoit office de Roy, & depuis il estoit un simple Guy de Rochefort, &c. Et toutes-fois je veux croire que tout ce que fit ce grand Chancelier, ce fut par un jeu mesuré qui luy avoit esté prescrit avant son partement par le Roy en son Conseil. Autrement sa faute eust esté tres-grande, & inexcusable.


Philippes Archiduc d' Austriche
Roy Louys douziesme

mercredi 5 juillet 2023

6. 5. Sommaire du procés de Jeanne la Pucelle.

Sommaire du procés de Jeanne la Pucelle.

CHAPITRE V.

Grande pitié, jamais personne ne secourut la France si à propos, & plus heureusement que cette Pucelle, & jamais memoire de femme ne fut plus deschiree que la sienne. Les Anglois l' estimerent, & sorciere & heretique, & sous cette proposition la firent brusler. Quelques uns des nostres se firent accroire que ce fut une feintise telle, que de Numa Pompilius dans Rome, quand il se vantoit communiquer en secret avecques Egerie la Nymphe, pour s' acquerir plus de creance envers le peuple, & telle est l' opinion du Seigneur de Langey au troisiesme livre de la discipline militaire chapitre 3. A quoy les autres adjoustent & disent que les Seigneurs de la France supposerent cette jeune garce, feignans qu' elle estoit envoyee de Dieu pour secourir le Royaume, mesme quand elle remarqua le Roy Charles à Chinon entre tous les autres, on luy avoit donné un certain signal pour le recognoistre. J' en ay veu de si impudens & eshontez, qui disoient que Baudricour Capitaine de Vaucouleur en avoit abusé, & que l' ayant trouvee d' entendement capable, il luy avoit fait joüer cette fourbe: Quant aux premiers je les excuse, ils avoient esté malmenez par elle, & nul ne sçait combien douce est la vengeance que celuy qui a receu l' injure. Quant aux seconds, bien qu' ils meritent quelque reprimande, si est-ce que je leur pardonne aucunement, parce que le malheur de nostre siecle aujourd'huy est tel, que pour acquerir reputation d' habille homme, il faut Machiavelizer. Mais par le regard des troisiesmes, non seulement, je ne leur pardonne, mais au contraire ils me semblent estre dignes d' une punition exemplaire, pour estre pires que l' Anglois, & faire le procés extraordinaire à la renommee de celle à qui toute la France a tant d' obligation. Ceux là luy osterent la vie, ceux-cy l' honneur, & l' ostent par un mesme moyen à la France, quand nous appuyons le restablissement de nostre Estat sur une fille deshonoree. 

De ma part je repute son histoire un vray miracle de Dieu. La pudicité que je voy l' avoir accompagnee jusques à sa mort, mesme au milieu des troupes, la juste querelle qu' elle prit, la proüesse qu' elle y apporta, les heureux succés de ses affaires, la sage simplicité que je recueille de ses responses aux interrogatoires qui luy furent faits par des juges du tout voüez à sa ruine, ses predictions qui depuis sortirent effect, la mort cruelle qu' elle choisit, dont elle se pouvoit garentir, s' il y eust eu de la feintise en son fait: Tout cela, dis-je me fait croire (joinct les voix du ciel qu' elle oyoit) que toute sa vie & histoire fut un vray mystere de Dieu: Aussi est ce la verité que son pere avoit songé que cette fille deuroit quelquesfois viure au milieu des soldats, comme je remarqueray en son lieu. J' ay veu autresfois la copie de son procez en la Librairie de sainct Victor, puis en celle du grand Roy François à Fontainebleau, & depuis ay eu en ma possession l' espace de quatre ans entiers le procés originaire, auquel tous les actes, lettres patentes du Roy Henry, advis de l' Université de Paris, interrogatoires faits à la Pucelle estoient tout au long copiez, & au bout de chaque fueillet y avoit escrit, Affirmo, ut supra, Bosquille, c' estoit le Greffier, & à la fin du registre estoient les seings, & seaux de l' Evesque de Beauvais, & de l' Inquisiteur de la Foy, ensemble celuy du Greffier. Qui fait que j' en puis parler plus hardiment. Je veux doncques icy raconter comme les choses se passerent, & vous discourant les principaux poincts de son procés, vous pourrez aussi recueillir par ses responses tout ce qui fut de sa maison & de son histoire particuliere.

Apres que le Duc de Bourgongne eut esté creé Lieutenant general de Paris, il mit le siege devant Compieigne, où il trouva à qui parler, car en fin il fut contraint de le lever, vray qu' en une sortie que firent le Capitaine Poton, & la Pucelle, le malheur voulut que l' un & l' autre y furent pris. Quant à Poton il courut la commune fortune des autres gens de guerre, d' en estre quitte pour sa rançon, où d' estre changé pour un autre, mais non cette pauvre Pucelle, la prise de laquelle fut si agreable aux Anglois, qu' ils en firent chanter un Te Deum dans l' Eglise nostre Dame de Paris, & quittans la forme ordinaire que l' on observe aux prisonniers de bonne guerre, luy voulurent faire son procés. Le bastard de Vendosme l' avoit prise, qui la monstra au Duc de Bourgogne lequel la bailla en garde à messire Jean de Luxembourg, auquel il avoit plus de fiance. Deslors elle commença d' avoir deux maistres. Les Anglois desiroient de l' avoir, a fin de la sacrifier au feu. Le Duc n' y donnoit pas grand obstacle, mais bien Luxembourg & le bastard, ne voulans estre defraudez de la rançon, les uns combattans pour la vie, les autres pour la bourse. Messire Pierre Cauchon Evesque de Beauvais, qui lors estoit en grand credit pres des Anglois, faisoit toute instance à ce qu' elle luy fust deliuree, comme heretique, qui avoit esté prise dans son Diocese. Le jeune Roy se met de la partie, pour le moins ceux de son conseil: En fin elle est mise en ses mains, moyennant cinq mille liures, qui furent baillees à Messire Jean de Luxembourg, & trois cens liures de rente au bastard de Vendosme. L' Université de Paris desiroit que cette cause fust renvoyee à Paris: Toutesfois le Roy par ses lettres patentes du 30. Janvier 1430, donne toute charge à l' Evesque de Beauvais, c' estoit celuy qui peu auparavant avoit esté envoyé expres en Angleterre pour l' amener en France. Le 9. ensuivant l' Evesque demande aux Doyen, Chanoines, & Chapitre de Roüen, territoire pour rendre la cause plus exemplaire, le siege Archiepiscopal estant lors vacquant. Ce qui luy fut tres-volontiers accordé. En cecy il est assisté de frere Jean Magistri, de l' Ordre des freres Prescheurs, Vicegerant de frere Jean Graverant Inquisiteur general de la foy: Messire Jean Estinet Evesque de Bayeux est faict Promoteur en cette cause. Or pour garder l' ordre judiciaire, la Pucelle est citee devant l' Evesque au 21. Fevrier, a fin de venir respondre aux faits proposez encontre elle par le Promoteur. Cette pauvre fille avoit tant de crainte de Dieu en son ame, qu' avant que de subir interrogatoire, elle demanda d' ouyr la Messe. Ce qui luy fut refusé, de tant qu' elle portoit l' habit d' homme, qu' elle ne vouloit delaisser. Je reciteray les principaux articles, sur lesquels elle fut interrogee, à la charge que s' il n' y a tant de grace, il y aura paraventure plus de creance pour ceux qui liront ce Chapitre. Les faits du Promoteur furent couchez en Latin, comme est l' ordinaire en Cour d' Eglise, & fut son interrogatoire fait à diverses journees, selon les instructions & memoires, qu' en donnoit le Promoteur, & à dire le vray, jamais une personne accusee ne fut tant chevalee par un juge pour estre surprise, & toutes-fois jamais personne ne respondit plus à propos que cette cy: Monstrant assez par cela qu' elle estoit assistee de Dieu, & de la verité, au milieu de ses ennemis. En la plus part des demandes qu' on luy faisoit s' il y avoit de l' obscurité, elle demandoit jour d' advis pour communiquer aux sainctes, avecques lesquelles elle parloit, comme en cas semblable, si les juges se trouvoient empeschez sur ses responses, ils en escrivoient à l' Université de Paris, a fin d' en avoir son opinion, laquelle s' assembloit tantost aux Bernardins, tantost aux Mathurins, & pour cette cause le procez est plain d' une infinité de ses advis, qu' il n' est besoin d' inserer icy. Je me contenteray seulement de vous representer l' ame de ce procez, au moins mal qu' il me sera possible.

Interrogee sur le premier article de dire verité, respondit que ses pere, & mere elle les diroit, mais des revelations, que non, & qu' elle les avoit dictes à son Roy Charles, & que dans huictaine elle sçavroit bien si elle les deuroit reveler. Interrogee de son nom, elle dist qu' en son pays on l' appelloit Jannette, & depuis qu' elle vint en France fut appellee Jeanne Darc, du village de Dompré: Que son pere s' appelloit Jacques Darc, & sa mere Isabelle: Que l' un de ses parrains estoit appellé Jean Lingue, l' autre Jean Berrey. De ses marraines, l' une Jeanne, l' autre Agnes, l' autre Sibille, & qu' elle en avoit eu encores quelques autres, comme elle avoit ouy dire à sa mere: Qu' elle estoit lors de l' aage de vingt & neuf ans ou environ, Lingere & Fillandiere de son mestier, & non bergere, alloit tous les ans à confesse, oyoit souvent une voix du Ciel, & que la part où elle l' oyoit y avoit une grande clarté, & estimoit que ce fust la voix d' un Ange. Que cette voix l' admonestoit maintesfois d' aller en France, & qu' elle feroit lever le siege d' Orleans, luy dist qu' elle allast à Robert de Baudricourt, Capitaine de Vaucouleur, lequel luy donneroit escorte pour la mener, ce qu' elle fit, & le cogneut par cette voix. Item dixit quod bene scit quòd Deus diligit ducem Aurelianensem, ac etiam quòd plures revelationes de ipso habuerat, quàm de alio homine vivente, excepto illo, quem dicit Regem suum. Qui est à dire, item elle dit qu' elle sçavoit bien que Dieu aimoit le Duc d' Orleans, & qu' elle avoit eu plus de revelations de luy, que de nul autre vivant, fors & excepté de celuy qu' elle appelle son Roy. Recognoist avoir fait donner une escarmouche à jour de feste devant Paris: Interrogee si c' estoit bien fait, elle dist, passez outre: Interrogee quand elle avoit ouy la voix, elle respond, hier trois fois, la premiere au matin, la seconde sur le vespre, & la troisiesme, quum pulsaretur pro Ave Maria de sero. On l' interroge si elle a veu des Fees, dit que non, qu' elle sçache: mais bien qu' une sienne marraine femme du Maire d' Aulbery se vantoit les avoir quelquesfois veuës vers l' arbre des Fees, joignant leur village de Dompré. Qui estoient ceux ou celles qui parloient à elle, dit que c' estoit saincte Catherine, & saincte Marguerite, lesquelles elle avoit veuës souvent, & touchees depuis qu' elle estoit en prison, & baisé la terre par où elles estoient passees, & que de toutes ses responses elle prenoit conseil d' elles: Qu' elle avoit pris la robbe d' homme par expres commandement de Dieu: Qu' elle fut blecee au col devant la ville d' Orleans: Item dicit quòd antequam sint septem anni, Anglici, dimittent maius vadium quàm fecerunt coram Aurelianis, & quòd totum perdent in Francia: Dicit etiam quòd praefati Anglici habebunt maiorem perditionem, quàm unquam habuerunt in Francia, & hoc erit per magnam victoriam, quam Deus mittet Gallis. Qui est à dire, Item elle dit que devant qu' il soit sept ans, les Anglois delairront un plus grand gage que celuy qu' ils firent devant Orleans, & qu' ils perdront tout ce qu' ils ont dans la France. Dit en outre qu' ils feront une perte plus grande en France qu' ils n' avoient fait auparavant: & que cela adviendra par une grande victoire que les François avront sur eux. Interrogee si elle portoit quelques armoiries, dist que non, ains seulement son estendart. Mais que le Roy en avoit donné à ses freres c' est à sçavoir un escu en champ d' azur, auquel il y avoit deux fleurs de Lys d' or, au milieu une couronne. Je diray cecy en passant, que le Roy d' Angleterre escrivant une lettre aux Prelats, concernant la presomption de cette Pucelle. Elle avoit esté (dit-il) si audacieuse de charger les fleurs de Lys en ses armes, qui est un escu à champ d' azur, avec des fleurs de Lys d' or, & une espee la pointe en haut feruë en une couronne. Au demeurant elle dit à l' Evesque que son pere un jour entre les autres songea qu' elle iroit avec des gensdarmes: Ce que craignant il la tenoit ordinairement de court, & disoit souvent à ses fils que s' il pensoit que cela deust avenir, il avroit beaucoup plus cher qu' on la noyast. On luy impute qu' estant prisonniere à Beaurevoir, elle avoit sauté du haut en bas de la tour pour se tuer, elle confesse le fait, mais que c' estoit en esperance de se sauver: Elle demande d' oüir la Messe, & puis de recevoir Dieu à la feste de Pasques, ce qu' on luy accorde, en reprenant l' habit de femme, mais elle n' y veut entendre. Sur le fait de l' adoration, dit que si quelques uns avoient baisé ses mains, ou sa robbe, ce n' avoit point esté de son consentement. Dit qu' à l' arbre des Fees, & à la fontaine pres de Dompré elle parla à sainctes Catherine, & Marguerite, mais non aux Fees: Et y commença de parler dés l' aage de treize ans. Que quelquesfois on luy avoit bien imputé d' avoir parlé aux Fees, mais qu' il n' en estoit rien, & ainsi l' avoit dit à un de ses freres. Qu' au 20. an de son âge elle alla à Neuf-chastel en Lorraine, où elle demeura chez une hostesse nommee la Rousse, & là menoit les bestes aux champs, mesmes les chevaux paistre, & abreuver: Et ainsi apprit de se tenir à cheval: Que pendant qu' elle estoit à Neuf-chastel, elle fut citee pardevant l' Official de Toul pour un mariage, mais qu' elle gaigna sa cause. Qu' apres y avoir servy cinq ans, elle retourna chez son pere, puis malgré luy s' en alla à Vaucouleur, où Robert de Baudricourt ne tint compte d' elle pour la premiere, ny seconde fois, mais à la troisiesme, il la receut & l' habilla en homme, puis luy bailla vingt Chevaliers, un Escuyer, & quatre varlets qui la menerent au Roy estant à Chinon. Sollicitee par ses Juges de reprendre l' habit de femme, elle respond qu' elle ne requeroit d' avoir de cet habit qu' une chemise apres sa mort. De rechef solicitee de laisser l' habit d' homme, & qu' en ce faisant on la recevroit au S. Sacrement de Communion. Noluit huic praecepto obsequi, in quo apparet peruicacia eius, & obduratio ad malum, & contemptus Sacramentorum. A la fin elle accorde de reprendre une robbe de femme pour ouyr la Messe, mais à la charge que l' ayant ouye elle reprendroit celle d' homme. Ad hoc fuit et dictum quod ipsa caperet habitum muliebrem simpliciter, & absolutè. Ad quod ipsa respondit, Tradatis mihi habitum ad modum unius filiae Burgensis, scilicet unam Houpelandam longam, & similiter Capitium muliebre, & ipsa accipiam pro audiendo missam. Dicebat se malle mori, quàm revocare id quod Dominus fecit sibi fieri, hoc est ut ferret habitum virilem. Dit qu' elle avoit promis au Roy lors qu' elle le salüa la premiere fois de faire lever le siege d' Orleans, de le faire sacrer Roy, & qu' elle le vengeroit de ses ennemis. Luy fut improperé que tousjours elle avoit empesché la paix avec l' Anglois. Ce qu' elle accorda, disant que la paix ne se pouvoit faire qu' ils ne vuidassent du tout de la France. Le Promoteur luy reproche qu' elle avoit faict cacher derriere l' Autel de saincte Catherine de Fierbois une espee qu' elle envoya querir depuis qu' elle eut parlé au Roy pour le tromper: Quod ipsa negat, scilicet se fecisse hoc dolosè: Bien confesse-elle qu' avant qu' aller à Chinon, elle avoit ouy trois Messes en ce lieu de saincte Catherine: Luy reproche d' avantage qu' elle se disoit avoir esté envoyee de Dieu pour faire la guerre. Chose du tout contrevenante à sa volonté pour n' avoir rien tant en horreur, que l' effusion de sang. Respond que par les lettres qu' elle avoit escrites au Roy d' Angleterre, & Princes de son sang, elle avoit premierement demandé la paix, & depuis faict la guerre. La teneur de la lettre est transcrite au procez: Qu' elle avoit faict mourir un Franquet, dict que c' estoit un volleur: que pour tel recogneu, il fut defaict par sentence du Bailly de Senlis: Qu' elle avoit plusieurs fois receu le Corpus Domini en habit d' homme, & aussi qu' elle avoit flechy le genoüil devant les dictes voix, ce qu' elle recogneut, & confessa. Le Promoteur. Item quod ipsa Ioanna in tantum suis adinventionibus Catholicos seduxit, quod multi in praesentia eius eam adoraverunt ut sanctam, & adhuc adorant in absentia, ordinando in reverentiam eius Missas & Collectas in Ecclesiis: imò dicunt eam maiorem esse omnibus sanctis Dei post beatam Virginem, elevant imagines, & repraesentationis eius in basilicis sanctorum, ac etiam in  plumbo, & alio metallo repraesentationes eius super se ferunt. A quoy elle respondit qu' elle s' en rapportoit à Dieu. Contra praceptum Dei  assumpsit dominationem supra viros, constituendo se caput exercitus. Elle dit que si elle avoit esté chef de guerre, c' avoit esté pour battre les Anglois: Dict en outre que son estendart estoit de toille, ou boucassin bordé de veloux, avecques un champ semé de fleurs de Lys, au milieu d' iceluy y avoit un Dieu figuré, tenant un monde costoyé de deux Anges revestus de blanc, & au dessous estoit escrit; Iesus Maria. Il n' y avoit en cette responce aucun mal, toutesfois les Juges tournans tout ce qui avoit esté par elle fait ou dit en venin, luy remonstrerent que Voluerat attribuere tales vanitates Deo, & Angelis, quod est contra reverentiam Dei & Sanctorum: Et si sa fiance estoit en son estendart: A quoy elle respondit sagement, que toute sa fiance estoit en celuy dont elle portoit l' image. Pourquoy elle tint seule cet estendart sur l' Autel, quand le Roy fut couronné, Illud fuerat (dit-elle) in poena, & ideo rationabile erat quod esset in honore. Qu' ayant esté blecee devant Paris, elle offrit depuis, & fit appendre dans l' Eglise sainct Denis son harnois par gloire, dit que par devotion elle l' offrit à S. Denis, comme font tous ceux qui sont blecez en guerre, aussi que S. Denis est le commun cry de la France, S. Denis Mont-joye. On luy demande si elle se vouloit rapporter au jugement de l' Eglise militante: Elle dit que ouy, pourveu qu' elle ne luy commandast rien impossible, Scilicet declarata per eam de visionibus, & revelationibus, quas dixit se fecisse ex parte Dei, quas nollet revocare pro quocunque, & si Ecclesia diceret istas visiones esse illusiones, nollet tunc se referre ad hominem, sed ad Deum.

Les articles tirez des confessions de la Pucelle estoient, qu' elle aagee de treize ans, disoit avoir veu sainct Michel, saincte Catherine, & saincte Marguerite, mesme une grande troupe d' Anges. Que ces sainctes luy conseillerent depuis d' aller trouver Charles VII. pour le secourir, & de changer l' habit d' homme, lequel elle avoit mieux aimé porter que d' oüyr la Messe, ou recevoir le precieux Corps de nostre Seigneur, & avoit refusé en cela de se soubmettre au jugement de l' Eglise militante, ains s' en estoit rapportee au seul Dieu. Item quod dicit quod ipsa est certa de quibusdam mere contingentibus, & occultis, & quod cognovit per voces, quas nunquam ante viderat. Ulterius dicit quod ex quo habeat de mandato Dei deferre habitum viri, oportebat eam accipere tunicam brevem, Caputium, Gipponem, brachas, & caligas cum aiguilletis, capillis suis super aurium summitates scißis in rotundum. D' avantage qu' elle s' estoit precipitee du haut en bas de certaine tour, aymant mieux mourir que de tomber és mains des ennemis: Et quod non tantum audivit, & vidit, sed etiam tetigit corporaliter & sensibiliter Catharinam, & Margaretam, & osculata erat terram, super quam gradiebantur.

En fin apres que le Promoteur eut pris telles conclusions qu' il luy pleut par sentence de l' Evesque, & du Vicegerent de l' Inquisiteur, il est dit que tout ce qui avoit esté fait par la Pucelle, n' estoit que factions, & tromperie, pour seduire le pauvre peuple, ou bien invention du Diable, & qu' en tout cecy elle avoit commis blaspheme contre l' honneur de Dieu, impieté contre ses pere, & mere, idolatrie contre l' honneur de nostre mere saincte Eglise. Autre blaspheme d' avoir mieux aimé ne recevoir le Corps de Dieu, & communier au S. Sacrement de l' Autel, que de quitter l' habillement d' homme. A ce jugement opinerent les Evesques de Constance, & Lizieux, le Chapitre de l' Eglise Cathedrale de Roüen, seize Docteurs, & six tant Licentiez, que Bacheliers en Theologie, & unze Advocats de Roüen. Cette sentence envoyee à l' Université de Paris, pour donner advis sur icelle, elle s' assembla au College de sainct Bernard, sous l' authorité de Maistre Pierre de Gonda Recteur, & apres avoir le tout veu, la Faculté de Theologie fut d' advis par l' organe de Maistre Jean de Troyes, celle de Decret par celuy de Maistre Guerraut Boissel leurs Doyens, que la Pucelle estoit vrayement heretique & schismatique, & sur cette resolution l' Université depescha deux lettres du quatorziesme jour de May, mil quatre cens trente & un. L' une au Roy Henry, l' autre à l' Evesque de Beauvais, a fin de la faire mourir: Toutes-fois cet advis ne fut suivy pour ce coup, mais ayant esté la Pucelle admonestee de se soubmettre au jugement de l' Eglise, elle fait responce qu' elle entendoit se soubmettre à toute raison, ainsi qu' elle avoit tousjours protesté par son procez: On l' exposa sur un escharfaut public, où apres avoir esté preschee, elle dit lors qu' elle se soubmettoit au jugement de Dieu, & de nostre sainct Pere le Pape. Puis voyant que l' on vouloit passer outre, elle protesta de tenir tout ce que l' Eglise ordonneroit, disant plusieurs fois que puis que tant de gens sages soustenoient que les apparitions n' estoient de Dieu, elle le vouloit aussi croire, & fit une abjuration publique inseree tout au long au procez. Sur quoy intervint autre sentence, par laquelle elle est absoulte du lien d' excommunication, & condamnee à perpetuelle prison, Ut cum pane doloris ibi commissa defleret. Et deslors elle reprit l' habit de femme, & l' envoya-l'on en une prison les fers aux pieds: Ce neantmoins furent mis ses habillemens d' homme pres d' elle, pour voir quels seroient ses deportemens. Elle ne fut pas si tost seule, & revenuë à son second penser, qu' elle fit penitence de son abjuration, & reprit ses premiers habits d' homme. Le lendemain au matin visitee, estant trouvee en son ancien appareil, & interrogee sur ce changement, elle respond l' avoir faict par le commandement expres des sainctes, & qu' elle aimoit mieux obeïr aux commandemens de Dieu, que des hommes. A ce mot on la declare heretique relapse, & tout d' une suitte elle est renvoyee au bras seculier, où elle fut condamnee d' estre bruslee toute vifve par sentence du trentiesme May 1431. depuis envoyee au Parlement de Paris, pour y estre enregistree. Les Normans non contens de l' avoir condamnee à mort, la voulurent mitrer lors qu' ils l' envoyerent au gibet, & estoient ces mots escrits sur la mitre, Heretique, Relapse, Apostate, Idolatre, & au devant d' elle un Tableau plain d' injures & contumelies, ne se pouvans assouvir de sa seule mort, ores qu' elle fust tres-cruelle.

L' Université de Paris voulant aussi joüer son rolle, fit une procession generale le jour de sainct Martin d' Esté à sainct Martin des Champs, où un frere Dominicain fit une declamation encontre cette pauvre fille, pour monstrer que tout ce qu' elle avoit faict c' estoient œuvres du Diable, non de Dieu.

Au milieu de tous ces fleaux toutes-fois, pendant qu' on luy faisoit son procez, vint à Paris une femme nommee Peronne, qui estoit du pays de Bretagne, laquelle soustint publiquement que la Pucelle avoit esté envoyee de Dieu, & que de ce elle avoit plusieurs revelations par l' Ange, qu' elle voyoit souvent habillé de robbe blanche: Et parce qu' elle ne voulut jamais desmordre cette creance, elle fut escharfaudee, & preschee le troisiesme de Septembre, mil quatre cens trente, & le jour mesme bruslee. C' estoit six ou sept mois auparavant la condamnation de la Pucelle. Depuis les affaires de la France estans devenuës plus calmes par l' extermination des Anglois, Maistre Robert Cibole Docteur en Theologie, Chancelier de l' Université, par Livre exprez escrivit en l' an mil quatre cens cinquante six, contre tous ceux qui l' avoient declaree heretique, j' en ay veu autres fois le Livre és mains du Feron, ce grand rechercheur d' armoiries.

Mais puis qu' un Theologien, & Chancelier de l' Université n' a douté d' accuser tous ces Messieurs là d' impieté, pourquoy ne suivray-je ses traces? S' il vous plaist recueillir ce que j' ay discouru cy-dessus, tout le motif de sa condamnation fut pour deux causes: L' une pour s' estre contre les commandemens de S. Paul habillee en homme, l' autre pour avoir adjousté foy aux voix, qui se presentoient à elle de nuict. Or pour le regard de ces voix, on ne peut dire que ce fust artifice, cela pouvoit estre dit, quand elle se presenta au Roy, a fin d' exciter les Capitaines, & soldats, à se plonger de meilleur cœur dans la querelle de leur Prince: Mais estant és mains de la Justice, se pouvant garantir de la mort, comme elle avoit fait en quittant les habillemens d' homme, & neantmoins le lendemain les ayant repris, qui luy estoit une asseurance de mort tres-cruelle, il ne faut point faire de doute, qu' elle r'entra sur ses alteres par l' advis qu' elle en eut la nuict, comme elle confessa à ses Juges. Quel jugement doncques pouvons nous en cecy faire d' elle, je dy pour en parler sans passion? Non autre certes, sinon qu' elle estimoit que toutes ces voix venoient de Dieu, qui luy avoit du commencement commandé de prendre l' habit d' homme pour sauver le Roy, & puis ne le laisser quelque crainte de mort que l' on luy mist devant les yeux: Et c' est pourquoy elle dist tant de fois, que combien qu' elle se soubmist au jugement de l' Eglise militante, toutes-fois elle vouloit embrasser premierement celuy de Dieu. Mais cette voix estoit-elle de Dieu, ou du Diable? Je sçay bien que le Diable se transforme assez souvent en l' Ange de Dieu pour nous piper. C' est ce que l' Evangile nous enseigne: puis qu' il joüe de fois à autre ce personnage, il faut doncques croire que Dieu envoye aussi quand il veut ses bons Anges sous telles images qu' il luy plaist, pour nous induire à bonnes choses. La Bible est toute pleine de tels exemples. Le mesme Dieu qui estoit lors, est celuy qui gouverne cet Univers, pourquoy douterons nous que sa puissance ne soit telle, & par consequent ses effects? En tout ce procez par moy discouru, vous ne remarquez autre chose qu' une ame toute Catholique, qui ne demande que confession, oüir la Messe, recevoir Dieu, moyennant que ce soit en l' habit qui luy est commandé par les voix: Parce qu' elle estime que ce soit un commandement expres, & particulier de Dieu qui luy est fait. Mais pourquoy prit-elle l' habit d' homme? Estoit-ce pour un meschant œuvre? Pour porter confort & aide à son Roy, contre l' indeuë usurpation des Anglois. Davantage voyez comme illuminee des rayons du sainct Esprit par ces voix, elle predit des choses qui advindrent: Car je vous laisse à part, qu' elle recogneut premierement Baudricourt, puis le Roy, que elle n' avoit jamais veu, cela pouvoit estre sujet à caution, & pourra quelque sage-mondain dire que c' estoit une partie joüee par l' entremise de quelques uns, qui luy avoient servy sous main de protecoles: Quant à moy, je veux croire que ce fut par inspiration de Dieu, puis qu' en tout ce que je diray cy-apres, je n' y voy nulle hypocrisie. Elle dit au Roy qu' elle estoit envoyee de Dieu pour degager Orleans du siege, puis pour faire Sacrer, & Couronner le Roy à Rheims, ne le fit-elle? Par les lettres que sur son advenement elle escrivit au Roy d' Angleterre, elle luy manda que s' il n' entendoit à la paix, il verroit le Roy Charles entrer en tout honneur dans Paris, & qu' ainsi luy avoit esté revelé, cela n' advint-il puis apres? Par une de ses responces elle dit à ses Juges que le Duc d' Orleans estoit bien aimé de Dieu, comment pouvoit-elle juger cela que par l' inspiration divine? Elle dit encores à ses Juges qu' avant le terme de sept ans, l' Anglois seroit exterminé de la France. S' il ne le fut de la France, ne le fut-il de Paris en l' an mil quatre cens trente six ville capitale de la France, par le moyen dequoy le Roy Charles gaigna quarante cinq dessus la partie? Mais sur tout me plaist quand cette guerriere pour braver ses Juges par une belle saillie, leur dit que le Duc d' Orleans qui estoit leur prisonnier il y avoit quinze ans passez, estoit le bien aymé de Dieu. Voyons si cette parolle fut menteuse. Il sortit de prison l' an mil quatre cens quarante, & à son retour espousa en la ville de sainct Aumer, Catherine de Cleues, niepce de Philippes Duc de Bourgongne, dont il eut un seul fils du nom de Louys. Auparavant sa prison il avoit eu un enfant naturel Jean Comte de Dunois, appellé communément par nos Historiographes, le Bastard d' Orleans, qui depuis és annees mil quatre cens cinquante & deux, reduisit sous la puissance du Roy Charles les pays de Normandie & Guyenne. Et quant au legitime ce fut nostre bon Roy Louys douziesme de ce nom, qui pour ses bons & doux deportemens fut apres son decez honoré du bel Eloge de Pere du Peuple, qu' un Claude de Seissel Evesque de Marseille ne douta par livre exprez de parangonner à tous les autres Roys de France. Un Prince pouvoit-il estre mieux aimé de Dieu, que de luy envoyer deux enfans, ausquels nostre France fut depuis tant redeuable? Et puis au bout de cela apres tant de bons actes, apres tant de predictions veritables, en une querelle si juste, apres tant d' heureux succez, nous dirons que c' estoient illusions du Diable? Certes il ne faut point avoir de pieté en la teste qui le soustiendra. Adjoustez, & cestuy est un traict d' Histoire fort memorable: si les anciennes Histoires sont vrayes on trouve unes Semiramis & Jeanne, qui sous habillemens d' hommes exercerent, celle là une Royauté, cette-cy la Papauté: Toutesfois avant que la partie fust parachevee, elles nous servirent d' un plat de leur mestier: Parce que chacune fit un enfant, chose qui leva leur masque. Mais nostre Jeanne, encores que l' Anglois recherchast tous moyens de la calomnier, si ne luy impropera-il impudicité par tout le discours de son procez, jaçoit qu' elle eust vescu au milieu de plusieurs grandes armees, où telle desbauche est plus que souvent en usage. Et c' est pourquoy la posterité non sans grande raison luy donna le tiltre de Pucelle, qui luy est demeuré jusques à huy. Ce neantmoins il y a aujourd'huy quelques plumes si eshontees qui ne doutent de la pleuvir pour garce de Baudricourt. Au demeurant je ne veux oublier que sa memoire fut de si grande recommandation entre nous apres sa mort, qu' en l' an 1440. le commun peuple se fit accroire que la Pucelle vivoit encores, & qu' elle estoit eschappee des mains des Anglois, qui en avoient fait brusler une autre en son lieu: Et pource qu' il en fut trouvee une en la gendarmerie en habillement desguisé, le Parlement fut contraint la faire venir, la representer sur la pierre de Marbre du Palais, au peuple, pour monstrer que c' estoit une imposture.

Je serois ingrat envers la memoire du Roy Charles premierement, puis de cette miraculeuse guerriere, si pour closture de ce Chapitre, je n' y enchassois cet Eloge, qui me semble d' une singuliere recommandation. Elle avoit trois freres, Jaquemin, Jean, & Pierre dit Pierrelot, dont les deux derniers s' embarquerent à pareille fortune que leur sœur, faisans profession des armes. Le Roy en consideration des grands & signalez services qu' il avoit receuz de la Pucelle, tant à la levee du siege d' Orleans, que son Sacre, dont elle avoit esté la principale porte-banniere, l' annoblit, ensemble ses pere, mere, freres, & leur posterité, tant masculine que feminine, par ses Patentes en forme de Chartre, donnees à Mehun sur Yeure, au mois de Decembre mil quatre cens vingt-neuf, verifiees le seiziesme de Janvier ensuivant, en la Chambre des Comptes de Paris, lors transferee à Bourges. La teneur des lettres est telle. Considerantes laudabilia grataque servitia nobis ac regno nostro iam per dictam Ioannam puellam multimode impensa, & quae in futurum impendi speramus, certisque alijs causis ad hoc animum nostrum inducentibus, praefatam puellam, Iacobum Darc patrem, lsabellam eius uxorem, matrem, Iacqueminum, Ioannem & Petrum Perrelo, fratres ipsius puellae, & totam suam parentelam, & lignagium, & ion favorem & pro contemplatione eiusdem & eorum, posteritatem masculinam, & foemineam in legitimo matrimonio natam & nascituram nobilitavimus, & peu apres. Concedentes eisdem & eorum posteritati, tam masculinae, quam femineae, in legitimo matrimonio procreatae, & procreandae, ut ipsi feoda & retrofeoda, & res nobiles à nobilibus, & alijs quibuscumque personis acquirere, & tam acquisitas, quàm acquirendas retinere ac possidere perpetuo valeant. Privilege admirable, & non jamais octroyé à autre famille. Bien trouvons nous un Eude le Maire natif du village de Challo sainct Mas pres d' Estampes, & ses successeurs tant en ligne feminine que masculine avoir esté dispensez de toutes daces: mais non pour cela reputez Nobles, ny joüy du Privilege de Noblesse. 

Jamais service fait à la France ne vint au parangon de celuy de la Pucelle. Aussi jamais lettres d' annoblissement ne furent de tel poids & mesure que celles-cy. Annoblissement tellement embrassé, que comme ainsi soit qu' en la Normandie, il y ait quelques hommes issus des filles de cette lignee, ils joüissent de ce privilege. Et ainsi voy-je, uns Robert Fournier, Lucas de Chemin, oncle & nepueu, apres ample cognoissance de cause, & examen de leur genealogie, avoir fait enregistrer ces lettres d' annoblissement pour eux & les leur en la Cour des Aydes de Normandie, le 13. Decembre 1608. depuis que le Privilege d' Eude le Maire a esté supprimé.

Or pour plus signalee remarque de cette gratification, le Roy Charles voulut que les freres de la Pucelle portassent en leurs armoiries un escu en champ d' azur, auquel y avroit deux fleurs de Lys d' or, & au milieu une Couronne: & en outre, qu' au lieu du surnom Darc qu' ils avoient apporté du ventre de leur mere, ils fussent de là en avant surnommez du Lys. Comme si la Couronne de France, & le Lys eussent par les paradoxes exploicts & chef d' œuvres de la Pucelle repris leur ancienne force, dignité & vertu. Chose que je descouvre par un extraict tres-notable dont je vous veux faire part. Dés l' an mil quatre cens vingt cinq, on avoit baillé à six liures de rente fonciere par chacun an, le marc d' argent revenant à sept liures, une Isle assise sur la riviere de Loire, contenant deux cens arpens, vulgairement appellee l' Isle aux Boeufs, dont les Receveurs du Domaine d' Orleans, faisoient estat par leurs comptes: Advient que les detempteurs s' en departent le vingt & sixiesme Juillet, mil quatre cens quarante trois, & la remettent és mains de Charles Duc d' Orleans pere de Louys, qui fut depuis Roy de France douziesme du nom, lequel deux jours apres en fit don à Pierre frere de la Pucelle, verifié le vingtneufiesme par Maistre Jean le Fuzelier General de ses finances, pour en joüïr par luy & Jean son fils leurs vies durant, en consideration dequoy cette partie depuis mise en recepte fut couchee à neant, tant & si longuement qu' ils vesquirent. Comme de faict vous trouvez tout cela amplement narré par le compte de l' an mil quatre cens quarante quatre, rendu en la Chambre des Comptes, par Maistre Robin Gaffard, portant entr'autres choses l' article de recepte ces mots qui servent à mon intention. Laquelle Isle mon dict Seigneur le Duc a donné à Messire Pierre du Lys Chevalier; Oüye la supplication du dit Messire Pierre, contenant que pour acquiter la loyauté envers le Roy nostre dit Seigneur, & Monsieur le Duc d' Orleans, il se partit de son pays pour  venir au service du Roy nostre dit Seigneur, & de Monsieur le Duc en la compagnie de Jeanne la Pucelle sa sœur, avec laquelle jusques à son absentement, & depuis jusques à present il a exposé son corps & ses biens ou dit service, & au fait des guerres du Roy, tant à la resistance des anciens ennemis du Royaume, qui tindrent le siege devant la ville d' Orleans, comme à plusieurs voyages faicts & entrepris par le Roy nostre dit Seigneur, & ses chefs de guerre, & autrement en plusieurs & divers lieux. Je vous laisse le demeurant de l' article, auquel est pareillement fait mention de Jean du Lys fils de Pierre: Me contentant qu' on voye que ce Pierre surnommé du Lys estoit frere de la Pucelle. Surnom que je voy luy avoir esté baillé, & à son fils en tous les comptes subsequens faisans mention d' eux.

Je ne me puis faire accroire que cestuy ayant affaire à un grand Prince du Sang eust osé changer son surnom Darc en celuy du Lys: sans que luy & ses freres eussent permission expresse de ce faire, par le benefice du Roy. Mais sortout me plaist qu' on trouve par quelques anciens tiltres que plusieurs des leur qui les survesquirent, apres avoir mis le surnom du Lys, adjoustoient tout suivamment ces mots Dits la Pucelle, pour monstrer qu' ils estoient de sa lignee. Au demeurant comme par succession de temps cette famille fut casuellement espanduë en diverses branches par la France, tant en lignee masculine que feminine: Aussi Maistre Charles du Lys, Conseiller du Roy, & son Advocat general en la Cour des Aydes de Paris, a pardevers soy plusieurs enseignemens, par lesquels il se treuve & preuve en estre un des rejettons.

6. 5. Sommaire du procés de Jeanne la Pucelle.