samedi 3 juin 2023

3. 7. Du Pallium que le Pape Gregoire premier envoya à quelques Prelats de la France,

Du Pallium que le Pape Gregoire premier envoya à quelques Prelats de la France, & que l' ambition d' un costé, & l' affliction des Prelats d' un autre, cuiderent intervertir sous la premiere lignee de nos Roys, la Liberté de nostre Eglise Gallicane. 

CHAPITRE VII. 

La familiarité tant de ceste Royne, que de ses enfans, avecq' le Pape, encores que ce ne fust si ainsi le faut dire, qu' un esclair, si cuida-elle couster quelque chose à la liberté ancienne de nostre Eglise Gallicane, par l' ambition de quelques particuliers Evesques. Il y a deux choses qui ont nuit à nos libertez selon la diversité des temps: l' ambition, & en apres l' affliction des uns & des autres: & ces deux particularitez se sont aucunement trouvees en ceste premiere lignee. 

Car pour deduire sommairement le premier poinct, il ne faut faire nulle doute, qu' encores que nos privileges fussent tels que j' ay cy dessus discourus, & que nos Prelats passassent toutes les affaires de leurs Eglises dedans l' enclos de ce Royaume, si est-ce qu' il ne faut douter que le sainct Siege de Rome ne fust infiniement respecté par toutes les Eglises de l' Europe, & specialement en ceste France. De là vient que quand l' on escrivoit aux Evesques, toute la plus belle remarque d' honneur qu' on leur pouvoit bailler, estoit de les dire dignes du Siege Apostolic de Rome: Et ainsi Clovis escrivant aux Evesques de France, à l' ouverture du premier Concil d' Orleans, disoit: Domnis Sanctis, & Apostolica sede dignissimis. De là, si en leurs Concils ils ramenoient en usage quelque Decret ancien, ils pensoient beaucoup faire pour eux de le puiser de l' Eglise de Rome, comme de la source, & fontaine de nostre foy: ainsi que vous pourrez voir par les trois, & vingt-cinquiesme articles du troisiesme Concil d' Orleans. Et à peu dire, ce grand Gregoire de Tours parlant de la retraicte que Brice fit à Rome. Ad Papam urbis dirigit (dit-il) sans faire mention de Rome. Lesquelles paroles ne peuvent être renduës de telle force en nostre langue, comme elles sont en la Latine: mais, si je ne m' abuse, sortans de la bouche d' un si grand Prelat, nous pouvons aucunement par cest eschantillon juger que ce Siege estoit grandement respecté & honoré par les nostres.

Or s' estoit lors, & quelques annees auparavant introduict une coustume en l' Eglise de Rome d' envoyer le Pallium à uns & autres Evesques, qui estoient ses diocesains: & ceux ausquels il estoit envoyé se ressentoient presque de mesmes prerogatives & authoritez que le sainct Siege, comme si ç' eussent esté les Collateraux du Pape. Presque de la mesme façon qu' estoient à l' endroit des Empereurs sur le declin de l' Empire ceux qui estoient par eux honorez de la dignité de Patrice, laquelle estoit non seulement donnee à ceux qui estoient de la suitte des Empereurs, mais aussi diversement à uns, & autres Princes estrangers. Ce fut la cause pour laquelle quelques Evesques Bourguignons, & Provençaux, desirerent en ceste France être gratifiez de cest honneur par sainct Gregoire, a fin de preceder tous les autres Evesques de ceste France par une nouvelle entreprise. Le premier qui le poursuivit fut Vigile Archevesque d' Arles, & interposa à cest effect l' authorité du Roy Childebert deuxiesme du nom, qui en escrivit à Sainct Gregoire: lequel ne voulant perdre l' occasion d' user de son benefice, par le moyen duquel il gagnoit autant, en donnant, comme l' autre en recevant, le luy confera tres-volontiers. Mais avecq' un grand appareil de langage, comme estant une nouvelle leçon qu' il vouloit enseigner à la France, laquelle vous trouverez au quatriesme de ses Epistres. Nous vous commettons (escrivoit-il à Vigile) pour nous representer avecq' l' aide de Dieu en tout le Royaume de Childebert nostre fils, comme il est aussi observé en tous les Metropolitains par ancienne usance, vous envoyant le Pallium, pour en user seulement dans l' Eglise, lors qu' on celebrera la Messe. Que si quelque Evesque veut deguerpir son Diocese, & aller voyager bien loing, defenses à luy de ce faire sans vostre permission. Et au surplus s' il se presente quelque difficulté sur la Foy, ou autres causes de consequence qui ne puissent être bonnement vuidees par un seul, appellez douze Evesques avecq' vous pour la terminer, & si en vostre assemblee n' en pouvez venir à chef, renvoyez le tout à nostre sainct Siege. 

Ceste legation ainsi donnee à Vigile sous le pretexte de ce Pallium, sainct Gregoire en escrit puis apres à tous les Evesques des Gaules, & leur enjoint de luy obeïr, comme à un Vicegerant du sainct Siege. Mesmes que s' il intervenoit quelque different entre les Evesques, il soit decidé par Vigile. Et specialement que toutes & quantesfois qu' il voudroit assembler un Concil par la France, on eust à luy obeïr. Et au bout de tout cela, il escrit à Childebert, que pour le gratifier, il avoit donné à Vigile le privilege tel que dessus. C' estoit en bon langage une entreprise nouvelle sur les anciennes franchises & libertez de nostre Eglise Gallicane en trois articles. L' un en ce que si cela eust sorty effect, on prejudicioit à tous les Metropolitains de la France, ausquels on donnoit un Chef, lequel pouvoit prendre Jurisdiction sur ceux qui n' estoient de sa Province. Le second que l' on ostoit l' usage des Concils Provinciaux, remettant au Consistoire des douze Evesques tels qu' il eust pleu à Vigile de choisir, la decision tant des causes, que de la foy. Et finalement S. Gregoire, vouloit que les grandes causes fussent renvoyees devant luy à Rome. Ce qui n' estoit jamais auparavant advenu: car le dernier ressort de tous les differens de la Cour d' Eglise en ceste France, estoient les Concils qui se faisoient par le Metropolitain avecque ses Evesques Provinciaux.

De mesme façon voulut-il gratifier Hiagre Evesque d' Autun, par les prieres & intercession de Brunehault. Toutesfois je ne trouve point que jamais l' indult octroyé à ces deux Prelats, ait porté coup, ne qu' ils eussent jamais iouy de ce privilege extraordinaire, & ay mesmes de propos deliberé fueilleté tous les Concils de ce temps-là, pour voir si en la soubscription, Vigile, & Hiagre avroient eu quelque particuliere preseance, mais je n' en ay trouvé un tout seul. Qui monstre que ce fut seulement un tiltre de parade, qui demoura pardevers eux sans aucun effect. 

Voilà l' un des premiers traicts, par lequel l' ambition de quelques Prelats de la France voulut prejudicier à nos anciennes Libertez: & ainsi que l' ambition des uns, aussi l' affliction des autres faillit d' y apporter quelque dommage & nuisance. La grandeur des Papes s' est faite par deux voyes du tout contraires. Au spirituel, pour avoir supporté les plus foibles contre les Ecclesiastics, les plus forts, & authorisez de puissance, leur baillant aisément la main pour semondre un chacun à les reclamer. 

Au temporel, en s' allians des Princes les plus forts, & laissans le party des plus foibles, quelque ailiance qu' ils eussent auparavant avecq' eux. J' ay dit que l' affliction de quelquesuns faillit de nous prejudicier. Ce fut que quelques Evesques comdamnez par la voye ordinaire de France, je veux dire par les Concils Provinciaux, ne s' en voulurent contenter, ains brisans la discipline commune, choisirent la voye de Rome. Enquoy neantmoins nos affaires se conduisirent de telle façon, ou que les Papes sagement n' en voulurent prendre cognoissance, comme ne pensans qu' ils le deussent faire, ou s' ils le firent, cela n' eut pas longue suitte. Or de ceux-cy, encores n' y eut-il pas de grands exemples, non plus que des ambitieux, & neantmoins il y en eut quelques-uns. Le premier des nostres que je voy s' estre retiré à Rome, fut Maxime Evesque Gaulois, devant la venuë de nos Roys, lequel estant accusé de l' heresie Manichienne, & luy ayant esté baillé assignation pour comparoir à un Concil que l' on devoit assembler à ceste fin, se retira par devers le Pape Boniface premier, pensant par ce moyen rompre le coup à la poursuitte que l' on faisoit contre luy: mais le Pape ne voulut prendre aucune cognoissance de son fait, ains pria par lettres nos Evesques de luy vouloir accorder certain delay pour comparoir devant eux: A la charge que s' il defailloit dans le temps qui luy seroit prefix, il seroit declaré attainct & convaincu du cas à luy imposé. Il y avoit beaucoup d' apparence au Pape de se mettre de la partie en la cause de Brice successeur de sainct Martin, lequel ayant esté dechassé par le peuple de son Archevesché sans cognoissance de cause, pour un adultere dont on l' accusoit, & s' estant retiré en la ville de Rome, vous ne trouverez que le Pape y interposast jamais son Decret. Mais bien Brice temporisa sept ans dans Rome à son infortune, jusques à ce qu' adverty de la mort d' Anthoine, qu' on avoit surrogé en son lieu, & du changement de la volonté de ses ennemis, il retourna à son Siege, auquel il fut restably tout de la mesme façon qu' il en avoit esté jecté, sans cognoissance de cause. Ceux qui semblent avoir fait plus grande bresche à nos privileges sous la premiere lignee de nos Roys, furent deux Evesques recogneuz tres-scelerats par l' ancienneté, Salon Evesque d' Ambrun, & Sagitaire Evesque de Gap, dont l' Histoire est escrite dans le septiesme livre de Gregoire de Tours. Ces deux cy accusez par un autre Evesque nommé Victor, de plusieurs outrages qu' ils luy avoient faicts & à d' autres, firent contenance de s' en vouloir purger: & à ceste fin prierent le Roy Gontran, duquel ils n' estoient point mal voulus, comme l' evenement le monstra, que leur fait passast par Concil. Ce que leur aiant accordé, ils furent par Concil tenu à Lyon, privez de leurs Eveschez. Mais eux ayans quelque part en la bonne grace du Roy, luy remonstrerent qu' ils avoient esté injustement condamnez, le suplians de leur permettre de se retirer pardevers le Pape: A quoy le Roy condescendit comme celuy qui les portoit, & avoit conceu un maltalent de ceste condamnation. Estans doncques arrivez à Rome devant le Pape Jean, ils luy remonstrerent qu' à tort ils avoient esté chassez de leurs Sieges: Au moyen dequoy sans plus ample cognoissance de cause, le Pape, auquel ceste cause avoit esté sous main recommandee par le Roy, commanda qu' ils fussent restablis, nonobstant le Decret Conciliaire de nostre Eglise. Ce que Gontran qui conduisoit sourdement ceste orne, fit executer du jour au lendemain, & en outre, moyenna une reconciliation entre Victor accusateur, & les accusez, pour apporter quelque pretexte à ceste sentence extrordinaire. A quoy les Evesques de France ne peurent resister, ores qu' ils y obeïssent malgré eux: & toutesfois encores ne se peuvent-ils lors rendre. Car ils ne s' attacherent pas à ces deux qu' ils voyoient être notoirement portez par le Roy, mais bien excommunierent Victor. D' autant que luy accusateur au prejudice de la sentence donnee à son instigation & pourchas, avoit receu ces deux pretendus Evesques à sa communion. Et au surplus Dieu plus juste, sans comparaison que les hommes ne sont injustes, monstra bien par l' evenement, combien peu luy plaisoit le jugement donné à Rome. Parce que soudain que ces deux Evesques furent restablis en leurs Sieges, ils recidiverent plus que devant. Tellement que tout ainsi que le Roy d' une puissance absoluë  assistee de l' authorité du sainct Siege les avoit remis, aussi puis apres par une volonté de Dieu plus absoluë, il fut contraint de les confiner en des monasteres, & leur bailler gardes, pour leurs deportemens vitieux. Je n' ay point leu d' acte ny devant, ny durant la premiere lignee de nos Roys, plus hardy que cestui-cy, par lequel ceux qui presiderent dans Rome s' en voulurent faire croire contre les Libertez anciennes de nostre Eglise Gallicane. Et toutesfois qui voudra meurement sonder ceste Histoire, il ne s' en esmerveillera pas grandement. Parce que toute ceste tragedie se conduisoit par la volonté de Gontran. Et c' est une reigle generale dont son se doit perpetuellement souvenir, que toutes & quantesfois que quelques mignons, & favoris de la Cour conjoingnirent par brigues le consentement de nos Roys avecq' l' authorité du sainct Siege pour obtenir quelque chose qui contrevint à nos privileges, c' est là où nos anciens Evesques se trouverent infiniement empeschez. Et au surplus ce passage, qui semble de prime-face combattre nos Libertez, fait, si je ne m' abuse grandement, pour nous. Car apres ceste sentence Synodale de Lyon, ces deux Evesques ne s' oserent pourvoir à Rome, sans permission expresse du Roy. Qui nous enseigne que ce fut par privilege special qu' ils se pourveurent, & non par le droit ordinaire & commun de la France: car autrement il n' eust esté besoin d' obtenir ceste permission. 

Et a fin de vous faire toucher au doigt, & voir à l' œil ceste liberté ancienne de nostre Eglise, je la vous representeray icy comme sur un grand tableau par un exemple notable. Il n' y a nul, selon mon advis à qui la Papauté doive tant pour l' accroissement de sa grandeur en spirituel, qu' à sainct Gregoire. Car combien qu' il combatit la qualité d' Evesque oecumenique & universel contre Jean Patriarche de Constantinople, & qu' il soustint qu' il n' appartenoit à nul Primat de se dire tel: toutesfois sous le tiltre de Serf des Serfs, qu' il emprunta de Damase, il exerça par effect ce tiltre d' Universel sur ceux qui estoient de l' ancienne obeïssance de Rome: Adonc la Sicile, la Dalmatie, la Sardaigne, & une bonne partie de l' Affrique se recognoissoient estre exposees sous la primace du sainct Siege, ainsi que l' Egypte sous le Patriarchat d' Alexandrie, & la Palestine sous celuy de Hierusalem. Lisez toutes les Epistres de sainct Gregoire, il destine tantost un Pierre Soudiacre, tantost un Maximian Evesque de Syracuse, Legats en la Sicile, pour le presenter par tout ce pays-là, & prendre cognoissance de toutes causes, tout ainsi qu' il eust peu faire, fors & excepté toutesfois qu' il se reserve la decision des plus grands, qu' il veut luy estre renvoyez. Il confere des Eveschez à uns, & autres de sa propre authorité, sans attendre l' eslection du Clergé, ny la confirmation du Metropolitain. Il commande que Reparat soit esleu Evesque en la ville de Salonne en Dalmatie, autrement il ferme les mains aux Eslecteurs: transporte ainsi que bon luy semble les Eveschez d' un lieu à autre: Unit quelquesfois une, deux, trois parroisses à un monastere, à la charge que les Religieux y avront des Vicaires bien & deuëment stipendiez: Les Eveschez estant ruinees à l' occasion des guerres, il recompense les Evesques d' autres Eveschez, sans attendre autre consentement: prend cognoissance des Moines, au prejudice de leurs Ordinaires: confere Diaconez, Archidiaconez, & Cures, (qu' ils appelloient lors Prestrises) assisses en & au dedans des Eveschez de son obeïssance: Delegue oeconomes, qu' il appelle Visitateurs, aux Eglises veufves & denuees de Pasteurs (pendant que l' on procede aux eslections) ausquels il donne toute puissance, fors de conferer les Ordres: Dispensant selon que les occasions l' admonnestent: cognoist de la cause de Paule Evesque d' Affrique, que Colombe Evesque de Numidie, & ses Comprovinciaux avoient condamné, & le restituë en entier sans s' arrester à leur sentence: commet Hilaire Moine d' Affrique pour cognoistre d' une cause contre Argense Evesque, de ce qu' en l' Eglise il avoit preferé en l' ordre de Diacre, deux Donatistes, à deux Catholiques, & luy enjoinct à ceste fin d' assembler un Concil: commande à Sylvaire, Patriarche d' Aquileïe de venir à Rome, pour faire penitence condigne de l' opinion erronee, en laquelle il estoit inadvertemment tombé: Enjoinct à Maria Evesque de Ravenne de venir proceder devant luy en Cour de Rome, pour une controverse qu' il avoit contre un certain Abbé, & luy remonstre qu' il ne falloit point qu' il eust honte de ce faire, veu qu' autresfois le Patriarche de Constantinople avoit suby pareille Jurisdiction: & en un autre endroit il exhorte l' Evesque de Corinthe, de ne prendre plus argent pour les Ordres Ecclesiastiques, ou bien qu' il exerceroit contre luy la severité de la cohertion Canonique. Il mande à Noel Evesque de Salonne, qu' il ait à restablir Honoré en son Archidiaconé, dont il l' avoit destitué, & s' il ne le fait qu' il le privera de l' usage du Pallium, duquel il l' avoit gratifié: & si apres cela, il persevere en son opiniastreté, il luy interdira la communion de l' Eglise. Et ce fait, dit-il, nous verrons puis apres si ceste excommunication n' emporte à la longue quant & soy perte du tiltre de l' Evesché. 

Toutes lesquelles rencontres, (qui ne sonnent autre chose que la puissance d' un Evesque universel, & souverain) ny aucunes d' elles ne se trouvent avoir esté practiquees par ce grand Pape encontre aucun des Evesques de France, encore qu' il addresse diverses lettres à uns & autres, & que comme vous avez entendu cy dessus en ce que j' ay discouru de Vigile, & Hiagre, il ne fust pas sans desir d' estendre sa puissance Apostolique dessus les Prelats de la France, tout ainsi que sur ceux que j' ay presentement recitez. Urcissin condamné sous le Roy Gontran au Concil tenu à Lyon, s' estoit retiré pardevers luy pour en rapporter quelque aide, toutesfois S. Gregoire se donne bien garde de cognoistre de la cause, mais seulement en escrit à Theodebert, & Theodoric Roys, à ce qu' ils le veulent remettre en son ancienne dignité, comme aussi prie-il Hiagre Evesque d' Autun, qui avoit grande part en la bonne grace de Brunehault leur ayeule, qu' il voulust se rendre intercesseur envers elle pour ce pauvre destitué. Il n' en usa pas ainsi (comme j' ay dit cy dessus) à l' endroit de Columbe Evesque de Numidie, & ses Comprovinciaux en la cause de Paule.

Il y avoit lors deux vices en ceste France qui s' estoient rendus fort familiers aux eslections des Evesques, la Simonie, & l' abus que l' on commettoit en faveur des grands Seigneurs. Parce que sous le nom d' eslection on vendoit par brigues sourdes les Archeveschez & Eveschez. Quoy que soit les Roys y interposans leurs authoritez, ceux qui les approchoient, s' en faisoient trop plus que souvent croire, au grand scandale de l' Eglise: & de là s' ensuivit un autre desordre. Car les Seigneurs s' estans rendus asseurez pour celuy, pour lequel estoit tissuë  la tresme, on luy bailloit les ordres du jour au l' endemain, en intention de le faire tout à coup chef de l' Eglise. Ce dernier poinct avoit esté autresfois pratiqué en faveur de sainct Ambroise à Milan, & de Nectarius à Constantinople, mais non par brigues, ains pour leurs grandes suffisances & capacitez. D' ailleurs les benedictions, que Dieu par sa saincte grace distribuë à quelques-uns, ne se communiquent pas à tous, & est grandement errer de les vouloir tirer en consequence pour les autres. Ces vices doncques regnans grandement en nostre Eglise de France, Sainct Gregoire n' y apporte point le cautere, comme il fait contre les Evesques de Corinthe & de Salonne: Mais par une bonté naïfve qui estoit en luy, prie Vigile Archevesque d' Arles, prie Hiagre Evesque d' Autun, bien venus envers noz Roys, de s' estudier totalement à l' extermination de ces deux monstres. Et non content de ce, en escrit lettres expresses à Brunehault, & en apres à Theodebert, & Theodoric, les suppliant (si ainsi le faut dire à jointes mains) qu' ils voulussent donner ordre à la reformation de tels abus, & ne permissent que ceste zizanie provignast plus en un Royaume Chrestien comme cestuy. Et certes je ne penseray jamais que ce grand & vertueux personnage y eust procedé d' un pied si mol, ne qu' il eust tourné sa puissance absoluë en humbles prieres, pour deux si grands & scandaleux vices, s' il eust estimé que cela dependoit de sa jurisdiction, luy (di-je) qui n' obmit jamais la moindre occasion qu' il pensast pouvoir servir à l' augmentation de la dignité du sainct Siege. De toutes lesquelles choses je croy qu' il n' y a si peu clair-voyant qui ne voye que devant, & durant la premiere lignee de noz Roys, encores que nous vescussions souz la foy Catholique & Apostolique de Rome, comme dependant d' elle, l' unité de l' Eglise universelle: si est-ce que ny noz Roys, ny noz Evesques n' estoient tenus de passer les monts, ny pour le fait de la discipline de leurs Eglises, ny pour les causes Ecclesiastiques. Et à tant je feray icy une pause pour reprendre un peu mon haleine, & vous discourir cy-apres quelle fut la police de nostre Eglise Gallicane souz les deux autres lignees de noz Roys. 

3. 6. Des libertez de l' Eglise Gallicane devant & sous la premiere lignee de nos Roys.

Des libertez de l' Eglise Gallicane devant & sous la premiere lignee de nos Roys. 

CHAPITRE VI. 

Jamais dignité ne monta à telle grandeur que la Papauté, & jamais dignité ne fut tant combatuë en ce monde, comme celle-là, non par armes materielles, ains par les spirituelles, par les opinions d' uns & autres: les aucuns luy donnans (ainsi que quelques-uns estiment) plus qu' il ne luy appartenoit, ores qu' il luy en appartint beaucoup, & les autres beaucoup moins. Je dy expressemment combatuë par uns & autres: parce que ce n' est pas petite question de sçavoir lequel des deux lui a plus nuit, ou celui qui noury en cour de Rome par flateries courtizanes luy a voulu trop donner, ou l' autre qui habitué és parties Septentrionales, luy en a moins accordé. Car encores que le premier faisant contenance de soustenir la grandeur de son maistre apportast en faveur de luy, une infinité de propositions prejudiciables tant aux Roys, Princes, & Potentats, qu' aux Patriarches, Archevesques, & Evesques, si est-ce que le temps nous a enseigné qu' il ressembloit en cecy au Lierre, lequel embrassant estroitement une paroy, semble la soustenir pour quelque temps aux yeux de ceux qui la regardent, toutesfois petit à petit la mine interieurement: aussi le semblable est-il avenu au fait present. Car combien que pour quelque temps ces propositions ayent porté coup à l' avantage du Pape, & desavantage de tous autres Princes, toutesfois nous avons cogneu puis apres qu' elles couvoient sous elles, sinon la ruine, pour le moins quelque diminution de sa dignité. Et ont esté cause qu' au long aller plusieurs peuples se sont voulu soustraire de son obeïssance. Tellement que celuy qui luy en a voulu trop bailler, l' a mais au hazard de tout perdre, au grand scandale de l' Eglise, dommage de la Chestienté, & desolation de tous les Estats Politics. De ma part ne m' estant icy proposé de juger des coups, je me contenteray de reciter comme toutes choses se sont passees en cest endroit, laissant au jugement des plus sages, & clair-voyans, si elles se devoient en ceste façon escouler.

Il ne faut faire nulle doute que les Papes n' ayent tousjours eu le premier Siege de l' Eglise Chrestienne, & pour tels recogneuz de toute l' ancienneté. Ils furent pour tels recogneuz, toutesfois avec ceste honneste modification, qu' il n' estoit en leur puissance de terrasser les autres Evesques. Mesmes encores que pour le jourd'huy nous appellions le Siege de Rome, Siege Apostolic (mot que nous n' approprions à nul autre) si est-ce que comme j' ay dit ailleurs, tous les Sieges du commencement ausquels les Apostres, ou leurs Disciples avoient presidé, estoient nommez Apostolics. Et depuis ce mot fut specialement adapté par succession de temps seulement aux Sieges de Rome, Alexandrie, Antioche, & Hierusalem, comme nous recueilions des Histoires Ecclesiastiques de Socrate, Sozomene, & Theodoric, jusques à ce que les trois dernieres villes estans tombees sous la puissance des Sarrazins, ausquelles ne restoit plus, si ainsi je l' ose dire, qu' un tiltre imaginaire d' Eveschez, il n' y a aujourd'huy Eglise entre nous qui porte ce tiltre de sainct Siege Apostolic, fors celuy de Rome.

Au demourant ne laissoient les autres Evesques & Pasteurs d' estimer que chacun d' eux dans leurs dioceses estoit de mesme puissance & authorité sur leurs brebis, comme tous les Evesques Apostolics dedans leurs confins. C' est la cause pour laquelle, combien que sainct Cyprian Evesque d' Affrique recogneust avec tout honneur & respect, Cornelian Evesque de Rome, superieur de toute l' Eglise, & qu' à ceste occasion luy & quarante un Evesques l' eussent supplié par lettres de trouver bon que l' on admist à la communion de l' Eglise ceux qui pour la crainte des tourmens s' en estoient distraits, mais estoient revenus à penitence: & qu' en autre endroict escrivant au mesme Pape, il confesse que la Chaire de S. Pierre est l' Eglise principale, dont estoit issuë l' unité sacerdotale. Toutesfois en la mesme Epistre il se plainct que Felicissime heretique Affricain, s' estoit venu justifier à Rome, au prejudice des Evesques d' Affrique, dont il estoit justiciable, & par lesquels il avoit esté excommunié. Luy mesmes escrivant encores à Cornelian Evesque de Rome, & le priant de recevoir quelqu' un à sa communion, il adjouste tout suivamment: Je veux dire, fait-il, à l' unité de l' Eglise Catholique. 

Et en un autre lieu à Jubaïan. Car Dieu, dit-il, authorisant sainct Pierre, sur lequel il edifia son Eglise, & dont il voulut que l' Eglise universelle prit sa source, luy donna ceste puissance, que tout ce qui seroit par luy lié sur la terre, seroit aussi lié aux Cieux. Qui sont tous passages formels, par lesquels on voit en quelle reverence ce sainct personnage avoit le Siege de Rome: ce neantmoins il ne voulut jamais passer (condénatió) condemnation que pour cela, l' Evesque de Rome peust decreter chose aucune sur les diocesains des autres Evesques, en ce qui estoit de leurs dioceses. Ainsi voyez-vous qu' escrivant à Antonian, il dit que l' Eglise de Dieu est un grand Evesché composé de plusieurs Evesques, qui simbolisent en foy ensemble. Et au Concil qu' il tint dans Cartage sur la question de sçavoir s' il failloit rebaptiser le Chrestien, qui avoit esté baptisé par un Evesque heretique, il fut arresté que nul ne se devoit nommer Evesque des Evesques, ny tyranniquement attirer son compagnon à son opinion: comme estans tous les Evesques exposez au jugement de Jesus-Christ, lequel avoit seul, & pour le tout, puissance d' establir les Prelats aux gouvernemens de ses Eglises, & de juger de leurs actions. Pareille resolution trouvons nous dans sainct Hierosme, escrivant à Evagre, quand il dit que le moindre Evesque estoit aussi grand dedans ses fins, & limites, que le plus grand de la Chrestienté. Et toutesfois il ne faut douter qu' il n' estimat la chaire de sainct Pierre être la premiere de toute l' Eglise, ainsi que nous recueillons par expres de l' Epistre qu' il escrit à Damase Pape. Bannisson (disoit-il) de nous l' envie de ceste puissance de Rome, eslongnons nous de l' ambition: j' ay maintenant affaire avec le successeur d' un pescheur, disciple de la Croix. Quant à moy, ne me representant autre premier que Jesus-Christ, je fais vœu de communion perpetuelle avecques vostre Saincteté. Je veux dire avecques là chaire de sainct Pierre. Je sçay, & veux recognoistre que sur ceste Pierre l' Eglise de Dieu est bastie, & que quiconque mangera l' Aigneau Paschal hors ceste maison, sera excommunié. Car aussi s' il advient que pendant le deluge aucun soit mis hors l' Arche de Noé, il est noyé. Tous lesquels passages nous enseignent avec quelle devotion ces bons vieux peres embrasserent la grandeur de l' Evesque de Rome, entre tous les autres: toutesfois avec ceste condition qu' il ne pouvoit riens entreprendre sur les autres Evesques. 

Or ne faut-il point douter qu' entre toutes les nations, celle de la Gaule ne favorisast infiniement le sainct Pere de Rome, avec une honneste dispense de luy faire des remonstrances, tantost humbles, tantost aigres, & rigoureuses, selon que nous le voyons plus ou moins s' emanciper du devoir commun de l' Eglise. De là vient qu' au cinquiesme livre de l' histoire Ecclesiastique d' Eusebe, vous voyez le Clergé de Lyon admonnester doucement Eleuthere Evesque de Rome d' acquiescer à la raison, & ne se separer de la communion de quelques autres Eglises, comme il avoit fait. De là au mesme livre, que Victor Evesque de Rome ayant excommunié les Eglises du Levant, qui ne s' accordoient avec luy, sur quelques ceremonies des jours concernant la celebration des Pasques, est non seulement admonnesté par sainct Irené Evesque de Lyon, mais tres-aigrement repris d' apporter ceste division en l' Eglise. Passages dont on peut sans flatterie, ou calomnie remarquer, & l' authorité qu' avoient deslors les Evesques de Rome, & la liberté honneste qui estoit en l' Eglise Gallicane, de controoler sobrement leurs actions lors qu' elles se mettoient à l' essor. Quelques seditieux & mutins de nostre siecle ont voulu soustenir que le mot d' Eglise Gallicane estoit une chimere, non recogneuë par les anciens autheurs, toutesfois vous en trouverez expresse mention dedans Yves Evesque de Chartres, en ses 94. 116. & 118. Epistres, & dans Sigebert sur le commencement de sa Chronique, & le Pape Hormisda parle de Canonibus Gallicanis, in c. si quis Diaconus 50. distinct.

La proposition generale de nostre Eglise Gallicane fut de reduire toutes ses pensees à l' union de l' Eglise Romaine, la recognoistre la premiere, simboliser aux articles de foy, & aux principes generaux, & universels de l' Eglise, avecques elle, comme estant la vraye source & fontaine, dont il les falloit puiser, laquelle n' avoit jamais esté troublee par les damnables & malheureuses heresies de l' Orient. Mais en ce qui despendoit de la discipline Ecclesiastique, nous n' estimions qu' il fallut l' aller mendier à Rome, ains que chaque Evesque avoit puissance de l' establir modestement dans son diocese. Et s' il y avoit quelque obscurité, qui resultast de ce, ils avoient accoustumé de la resoudre par Concils Nationnaux, ou Provinciaux, ausquels on ne mendioit aucunement l' authorité du sainct Siege, ains des Evesques des Gaules. Comme en cas semblable les Abbayes voulans être exemptes de la jurisdiction de leurs Evesques, on ne passoit point les monts pour obtenir leurs exemptions. Car ainsi trouvons-nous és Archifs de sainct Germain des Prez, que quand le Roy Childebert voulut exempter ceste Abbaye de la puissance de l' Evesque de Paris, il y interposa seulement l' authorité de cest Evesque, assisté de sept ou huict autres qui tous sous-signerent ceste exemption: & le semblable fut fait par Landry Evesque de Paris, pour l' exemption de sainct Denis en France, comme on voit par un autre tiltre ancien, qui est au Thresor de ceste Abbaye. Et vivans en ceste façon, nous eusmes beaucoup de choses distinctes & separees quant aux mœurs de l' Eglise Romaine. 

Ainsi voyons-nous qu' auparavant le temps de Charlemagne, le chant de l' Eglise Gallicane estoit autre que celuy de l' Eglise Romaine: Ainsi usant l' Eglise de Rome du Psaultier de la version des septante deux Interpretes, soudain, apres que S. Hierosme l' eust traduit, l' Eglise Gallicane prit pour son usage ceste traduction. Enquoy les choses nous succederent si à propos, que tout ainsi que nous laissames par traicte de temps nostre premier, & ancien chant, pour prendre celuy de l' Eglise Romaine, aussi à nostre imitation l' Eglise Romaine quitta la version des septante deux Interpretes, pour se tenir à celle de S. Hierosme. En cas semblable furent plusieurs choses introduites en nostre Eglise Gallicane, qui depuis furent transportees delà les mots (monts). Car le premier que l' on dit avoir jamais composé des Hymnes, & Cantiques, pour des chanter en l' honneur de Dieu, & de ses Saincts és Eglises, fut sainct Hilaire Evesque de Poictiers, & celuy qui apres se voulut en cecy conformer à luy, fut sainct Ambroise Evesque de Milan: Pareillement celuy qui premier inventa les Rogations, que nous celebrons la sepmaine avant l' Ascension, fut Mamerque Evesque de Vienne. Institution qui depuis fut trouvee si bonne, qu' elle s' est par une taisible alluvion espanduë par toutes les Eglises, & specialement en la Romaine. Et se rendirent aucuns des nostres tant admirables en saincteté, qu' ils firent mesme teste aux Empereurs, lors qu' ils les voyoient degenerer de la justice. Sulpice Severe nous enseigne que Maxime ayant occupé l' Empire, premierement en la grande Bretagne, puis és Gaules, où il commanda librement, à la honte des vrais & legitimes Empereurs, il fut pour ceste cause excommunié par nostre grand sainct Martin, qui ne le voulut jamais recevoir à communion, que premierement il ne l' eust deuëment informé que pour la seurté de sa vie, il avoit esté contrainct de s' impatroniser de l' Estat, & que s' il ne l' eust fait, les legionaires l' eussent mis à mort. Et le semblable fit-il contre Itachius, & Ursatius Evesques, lesquels contre les anciens Canons de l' Eglise avoient opiné à la mort des Priscilianistes. Excommunication qui fut de tel effect, que ces deux Evesques par plusieurs importunitez solliciterent l' Empereur de moyenner leur reconciliation avec ce sainct homme, laquelle l' Empereur Maxime, ny eux, ne peurent jamais obtenir, jusques à ce qu' ils eussent changé d' opinion, & fait penitence de leur erreur. Tant estoit grande, & venerable la reputation de ce grand personnage és Gaules. N' estant lors moins redoutee l' excommunication venant de sa part, que depuis celle des Papes venant de Rome. Tout de ceste mesme façon voyons nous que pour purger les heresies, on eut quelquefois recours à nostre Eglise Gallicane, aussi bien comme à la Romaine. Adon Archevesque de Vienne raconte que les Pelagiens troublans la foy de la grande Bretagne, nous leur envoyasmes S. Germain, & S. Loup, Evesques d' Auxerre, & de Troye, qui par leurs sainctes & Chrestiennes exhortations nettoyerent le pays de cest erreur.

Et ce qui de plus en plus authorisa nostre Eglise Gallicane fut, que selon la diversité des temps elle produisit des Prelats, qui pour leur saincteté furent grandement respectez de toute la Chrestienté. Uns Irené Evesque de Lion, Hilaire Evesque de Poictiers, Saturnin Evesque de Tholose, Martial, de Limoges, Denis, puis Germain de Paris, Gatian, & Martin de Tours, Medard de Soissons, Germain, d' Auxerre, Loup de Troye, Remy de Rheins (Rheims), Arnoul de Mets, tous enregistrez au catalogue des Saincts: sans faire icy estat de plusieurs autres grands personnages, qui par leurs merites se rendirent fort recommandez de toute l' ancienneté: Mamerque, & Avite à Vienne, Sidon Apollinaire en Auvergne, Saluian Prestre à Marseille, Gregoire en la ville de Tours. A fin que je ne face aussi mention de ceux qui furent sous la deux, & troisiesme lignee de nos Rois, pour lesquels j' apporteray en son lieu autre discours que celuy qui s' offre, quand l' occasion s'y presentera. Tous ces saincts hommes vivans en l' union de la foy approuvee par les saincts Concils generaux, & consequemment en celle de l' Eglise Romaine: toutefois ils ne permirent jamais que l' on entreprit dedans Rome sur leurs superioritez. Je ne veux point dire, ne permirent (ce mot sans y penser s' est escoulé de ma plume) mais bien le Pape ne se donna jamais permission d' enjamber sur leurs puissances, & authoritez ordinaires: Au contraire les laissa viure en ceste honneste & saincte liberté de Concils, tantost Nationaux, tantost Provinciaux, qu' ils avoient empruntez de l' Eglise primitive, & continuez de pere à fils. Car a fin que je ne foüille dans une longue & obscure ancienneté, où peut-être nous ne recognoistrions riens qu' à tatons, je commenceray mon discours par Leon premier, qui pour avoir grandement authorisé le sainct Siege, emporta le surnom de Grand, il y eut quatre Concils tenus de son temps en la Province de Narbonne, & encores deux autres és villés de Carpentras, & Arles, esquels non seulement il ne presida, mais qui plus est au second article du deuxiesme Concil, il fut dit que qui ne voudroit acquiescer à la sentence de son superieur, il failloit qu' il eust recours au Concil, sans faire mention de Rome. Chose que je ne penseray jamais que Leon eust passé par connivence (luy qui d' ailleurs avoit receu au Concil de Chalcedoine par quelques Clercs le tiltre d' Evesque, & Patriarche universel, & qui encores se le donna escrivant à Eudoxie Emperiere) s' il n' eust estimé qu' il ne devoit entreprendre sur les libertez de nostre Eglise. Comme aussi en donna-il jugement ouvert, quand en respondant à la demande qui luy avoit esté faite par Rustique Evesque de Narbonne, il luy escrivit que celuy n' estoit Evesque, qui n' avoit esté esleu par le Clergé, & confirmé par son Metropolitain: Ne mettant icy riens de reserve pour l' authorité du sainct Siege à ceste confirmation, & neantmoins vous voyez par ceste question que les nostres y avoient recours pour être esclaircis des obscuritez qui se presentoient entre eux.

Ceste Eglise Gallicane s' estant en ceste façon bastie par longue succession de temps, Clovis Roy de France, apres avoir receu le sainct Sacrement de baptesme, ny toute sa posterité, n' eschangerent riens de ceste ancienne liberté: & ne trouverez dessous toute ceste lignee un seul Concil entre nous qui soit assemblé sous l' authorité du sainct Siege, ains sous celle de nos Roys, esquels presidoit par fois le Metropolitain du lieu, par fois celuy, qui entre les Prelats pour sa saincte vie estoit en plus grande reputation, & par fois celuy qui estoit plus agreable au Roy. Il y en eut cinq notables en la ville d' Orleans. Le premier par le commandement de Clovis, où se trouverent trente trois Evesques: & là entre autres choses fut arresté, que les Abbez estoient sujects à la cohertion des Evesques, & que s' ils commettoient quelque irregularité, les Evesques les pouvoient chastier. Le second sous Childebert I. auquel presida Honorat Archevesque de Bourges, où entr' autres articles fut renouvellee l' ancienne police de l' eslection des Evesques Metropolitains, qui s' estoit perduë par la nonchalance du temps. C' est à sçavoir que le Metropolitain seroit esleu par les Ecclesiastics, & par le peuple de sa Province, & en apres confirmé par ses Evesques comprovinciaux, & qu' il seroit tenu de faire tous les ans un Concil Provincial. Le troisiesme sous le mesme Childebert le vingt-sixiesme an de son regne, où presida Loup Archevesque de Lion, auquel furent ramenez en usage plusieurs anciens Canons de l' Eglise, & defenses faites de vendre le bien de l' Eglise, voire aux Abbez mesmes, sans l' expresse authorité de l' Evesque. Le quatriesme sous le mesme Childebert, où il fut de rechef enjoint aux Metropolitains, de renouveller d' an en an leurs Synodes, avecq' leurs comprovinciaux. Le cinquiesme celebré le trente-huictiesme an du regne du mesme Roy, auquel par l' article xvij. il fut dit que les appellations du Metropolitain seroient jugees, & terminees par le Concil Provincial, qui se devoit tenir tous les ans, & defendu à tous Evesques, un siege vacquant, de riens attenter au prejudice de son successeur, tant au temporel, que spirituel. A l' exemple dequoy furent diversement tenus plusieurs autres Concils, selon que les affaires & necessitez Ecclesiastiques le desiroient. A Clairmont, où il fut conclud que l' Evesque seroit esleu par le Clergé, & confirmé par son Archevesque. Pareillement plusieurs en la ville de Tours, où mesmes par le second Concil furent faites inhibitions & defenses de laisser vaguer les pauvres d' une ville à autre, ains que chaque ville seroit tenuë de nourrir les siens: En la ville de Paris, où adjoustant aux eslections des Evesques, il fut de rechef ordonné que l' Evesque seroit esleu par le Clergé, & confirmé par l' Archevesque: Mais on y adjousta ces deux mots, sans que l' authorité du Roy y fust interposee. Et au surplus que l' on ne donnast au peuple un Evesque qui luy fust desagreable. Sous le Roy Gontran, deux à Lyon, deux à Mascon, un à Valence. En tous lesquels furent principalement traictees & decidees les affaires qui concernoient la discipline de l' Eglise, tant pour le regard des chefs, que des membres. Et outre ce, au dernier Concil d' Orleans, furent les heresies Eutichienne, & Nestorienne condamnees. Concils, puis-je dire, infiniement honorez par toute l' ancienneté, & dont Gratien le moine sçeut fort bien faire son profit dans son Decret. Aussi sont-ils inserez avec tous les autres Concils, comme estans approuvez, & authorisez de l' Eglise universelle, encores que l' authorité du sainct Siege n' y intervint. Et neantmoins nous pouvons remarquer en iceux une reigle generale, qui estoit qu' en apportans une honneste police à l' Eglise Gallicane, toutesfois ils embrassoient tres-estroictement les bonnes instructions & memoires du sainct Siege. Comme nous pouvons recueillir du troisiesme Concil d' Orleans. 

Et parce que paravanture l' on pourroit dire que c' estoient simples Concils Provinciaux, esquels n' estoit requise l' authorité du sainct Siege, encores y a-il passage expres d' Evesque qui florissoit de ce temps-là, & qui tenoit l' un des premiers lieux de la France, tant pour la dignité de luy, que de son siege, qui nous esclaircit grandement de ce poinct. Celuy dont je parle est Gregoire de Tours, lequel ayant esté envoyé par Childebert second en ambassade avec autres Prelats & Seigneurs, par devers Gontran Roy d' Orleans, executant le fait de sa charge, entre autres choses fit ces remonstrances à Gontran, comme luy-mesmes atteste au neufiesme livre de son histoire. Vous avez, dit-il, notifié à Childebert vostre nepueu qu' il eust à faire assembler en un lieu tous les Evesques de son Royaume, parce qu' il y a plusieurs difficultez, dont il se faut esclaircir: toutesfois il estoit d' advis que selon la coustume ancienne des saincts Decrets, chaque Metropolitain assemblast ses Evesques comprovinciaux, & que lors ce qui se trouveroit de male-façon en chaque province fut reformé par sanctions Canoniques. Car quelle raison y a-il de faire maintenant si grande congregation, veu qu' il n' y a nul peril eminent à nostre Eglise, & qu' il ne se presente aucune nouvelle heresie? Quelle necessité y a-il doncques que tant d' Evesques s' assemblent: A quoy le Roy fit responce: Il y a plusieurs choses, dont il faut cognoistre. Et lors il ordonna que le premier jour du quatriesme mois ensuyvant ce Concil fust tenu. Passage par lequel on peut indubitablement recueillir que non seulement les Concils particuliers, & Provinciaux, mais aussi generaux, & Nationaux, esquels il s' agissoit de la foy, s' ouvroient par l' authorité de nos Roys. Car Gregoire ne fait nulle doute par ce discours, s' il y eust eu quelque necessité apparente pour quelque nouvelle heresie, qu' il eust bien esté d' advis d' assembler ce Concil general, mais non autrement: & neantmoins Gontran s' en fit croire. 

Or seruoit encores l' usage de ces Concils à autre chose. Car si un Prelat estoit prevenu en justice, on assembloit soudain un Concil par l' auctorité du Roy, & en ceste assemblee legitime estoit fait le procez à cest accusé, lequel par les voix & suffrages des Evesques estoit condamné, ou absous, quelques fois au contentement de nos Roys, quelquesfois contre leur volonté. Gregoire Archevesque de Tours accusé d' avoir dit que Gontran Archevesque de Bourdeaux avoit incestueusement abusé de Fredegonde, Royne de France, son procés luy est fait en l' Eglise sainct Pierre de Paris (nous l' appellons aujourd'huy du nom de saincte Geneviefve) & là, bien que Chilperic & Fredegonde sa femme desirassent le contraire, il est absous de ceste faulse imputation. Au contraire Pretexat Archevesque de Roüen est en un autre Concil tenu à Paris, condamné à la solicitation, & poursuitte du mesme Roy. Auquel Concil (si vous lisez Gregoire de Tours) vous trouverez combien peut la solicitation du Roy, pour corrompre une Justice, quand telle est son intention. Autre Concil, par lequel Urcissin Evesque de Cahors est destitué de son Evesché, pour avoir receu dans sa ville, Gondebault Roy putatif. Cest Urcissin est celuy, pour la restitution duquel, sainct Gregoire escrivit depuis à Theodebert, & Theodoric Roys, nepueux du Roy Gontran. Autre Concil tenu à Lyon sous le mesme Gontran, ou Salon, & Sagitaire, Evesques d' Ambrun, & de Gap, furent aussi condamnez. Autre en la ville de Verdun sous Childebert second, où Gilles Archevesque de Rheims fut demis de son Archevesché, pour avoir voulu attenter contre la vie du Roy. Bref c' estoit une coustume si familiere à la France, que ce seroit du tout errer contre l' ancienneté, qui la voudroit ignorer

Et n' est pas chose qu' il faille aisément passer sous silence, qu' en toute ceste premiere famille de nos Roys, je ne voy point qu' aucun d' eux familiarisast avecques les Papes par lettres, ou autrement, fors la Royne Brunehault, Childebert son fils, & Theodebert, & Theodoric, enfans de Childebert, à l' endroit de sainct Gregoire. Ceste Royne, l' une des plus malheureuses Princesses que la terre porta jamais, pensa couvrir ses meschancetez envers Dieu, & les hommes, pour avoir recours à ce grand sainct homme. Platon disoit en ses loix qu' il y avoit trois especes d' Atheistes: les uns qui du tout soustenoient n' y avoir des Dieux: les autres, qu' il y en avoit, mais qu' ils ne se soucioient des affaires humaines, ains les laissoient vaquer à l' incertain: & les derniers qui croyoient y avoir des Dieux qui avoient soin de nous tous, mais qui facilement estoient appaisez par prieres. Non que par ceste derniere espece ce grand, & sage Philosophe voulut bannir de nos consciences, les prieres: mais il s' attachoit à ceux qui pensent toute meschanceté leur être permise, & en être quittes par une chimagree exterieure des prieres, recidivans neantmoins de jour à autre en leurs pechez. Vice fort familier quelquesfois aux plus grands. Et croy que ceste mesme opinion fit retirer Brunehault pardevers ce sainct personnage, joinct la reputation en laquelle estoit son Eglise. Qui est cause que S. Gregoire luy addresse plusieurs lettres, par lesquelles il louë infiniement le zele qu' elle portoit à la Religion Chrestienne: & à la suitte de cela, à Childebert, Theodobert, & Theodoric, pour le respect qu' ils portoient à leur mere, & ayeule. Ou bien paravanture en consideration de ce que Childebert guerroya quelque temps les Lombards, par lesquels l' Eglise de Rome estoit grandement affligee, comme voisins puissans & factieux.