vendredi 9 juin 2023

3. 13. Que depuis la venuë de Hugues Capet, jusqu' au regne de S. Loys ...

Que depuis la venuë de Hugues Capet, jusqu' au regne de S. Loys les Papes s' authoriserent plus en grandeur sur les Evesques & Ordinaires, qu' ils n' avoient fait auparavant, et dont en proceda la cause. 

CHAPITRE XIII. 

Des le temps de l' Empereur Arnoul, avoit esté fait un Concil en la ville de Tibour l' an 895. portant entre autres articles cestuy: In memoriam beati Petri Apostoli honoremus sanctam Romanam Apostolicam sedem, ut quae nobis sacerdotalis dignitatis mater est, debeat esse magistra Ecclesiastica rationis. Quare servanda est cum mansuetudine humilitas, ut licet vix ferendum, ab illa sancta sede imponatur iugum, feramus & pia devotione toleremus. Ce Concil fut tenu en Allemagne, & ne sçay s' il fut observé selon sa forme & teneur, bien vous diray-je que tout ainsi que nos Evesques de France ne s' y trouverent, aussi n' en sceumes nous l' usage tant que la seconde lignee de nos Roys dura: Vray que sous la troisiesme, ce fut tout autre discours: Car jamais les Papes n' estoient arrivez à telle extremité de grandeur, comme ils se virent l' espace de cent ou six vingts ans, & me semble qu' il y eut deux causes qui les y pousserent. Nos voyages d' outremer, & le provignement de nouveaux Ordres de Religions & Monasteres. Les voyages d' outremer produisirent une infinité de Capitaines & Soldats, qui avec les armes materielles se promirent, sous l' authorité du S. Siege, de replanter la Religion Chrestienne au Levant: & les nouveaux Ordres de Religions, infinis guerriers, qui avecq' les spirituelles firent estat de restablir la discipline de l' Eglise, qui par les calamitez & desbauches des guerres estoient tombees en desolation.

Les voyages d' outremer commencerent sous Philippes Roy de France premier de ce nom, à l' instigation de Pierre l' Hermite, natif d' Amiens, sous l' authorité d' Urbain second, en un Concil tenu dans la ville de Clairmont en Auvergne. Auquel voyage le consentement general de tous les peuples Chrestiens condescendit. Et à la suitte de cestuy y en eust cinq autres, dont je parleray en leur lieu. En ces voyages pour les authoriser d' avantage, on avoit le premier recours au S. Pere de Rome. Puis chargeoit-on la Croix, le Bourdon, & l' Escharpe, comme si ce ne fust pas tant une guerre, qu' on alloit faire, qu' un pelerinage. Et s' estans les pelerins rendus diversement confez, ils s' acheminoient gaiz, & gaillards à ceste entreprise, comme asseurez d' acquerir par ce moyen Paradis. Ce que le Pape mesmes leur promettoit, leur donnant planieres absolutions de leurs pechez, & non sans cause. Car mourans en ces voyages pour la Foy & Religion Chrestienne, ils mouroient comme Martyrs. Or comme ainsi soit que deslors du premier voyage, chacun se voüast au sainct Siege de Rome, & que par son advis, il eust esté entrepris, au milieu de nostre Eglise Gallicane, aussi rapporta-l'on puis apres à luy tous les fruicts qui en provindrent. Dedans ces voyages se formerent quatre Ordres de Religieux portans les armes pour la deffence & protection de nostre Religion Chrestienne, les Chevaliers du sainct Sepulchre, les Chevaliers de S. Jean de Jerusalem, autrement Chevaliers de Rhodes, les Templiers, les Teutoniques, & Allemans, autrement Chevaliers de la Vierge Marie. Tous lesquels voulurent recognoistre pour leur seul Chef & Superieur le Pape.

Tout de ceste mesme façon nostre Eglise estant tombee en grand desordre par l' ignorance de nos Prelats, se planta une nouvelle devotion entre les bons & fideles Chrestiens, de fonder Ordres nouveaux de Religions & Monasteres. Qui fut l' accomplissement de la grandeur du sainct Siege, dessus tous les Ecclesiastics de la France. Car ceux-cy voyans le peu de soing qu' avoient eu les Evesques en la discipline Ecclesiastique sur leurs Dioceses, d' ailleurs que toutes les Abbayes anciennes lesquelles avoient pris source de S. Benoist, & ses disciples, estoient indifferemment donnees aussi bien aux gens Laiz, & seculiers, comme aux Ecclesiastics, pour ne tomber en ce desarroy, se voulurent affranchir des Ordinaires, qui leurs estoient mauvais garends envers les Roys, & avoir recours à la ville de Rome, sous la protection de laquelle ils se mirent, recognoissans le Pape principalement entre tous les autres. Encontr' eschange dequoy les Papes ne furent avaricieux en leur endroict. Car ils exempter les aucuns de la puissance de leurs Evesques, contre les coustumes anciennes de l' Eglise, & affranchirent les autres des dixmes qui estoient deuës naturellement aux Curez par la seule monstre de leurs clochers. Et de ces nouveaux Ordres le nombre n' en est pas trop petit, Clugny, Grandmont, la Chartreuse, Cisteaux, Premonstré, qui tous mesmement prindrent leur source & origine de ceste France. Et depuis se sont grandement espandus par toute l' Europe. Tellement que qui voudra considerer les affaires de nostre France de pres, ce n' est pas sans grande raison que l' on a donné à nos Roys le tiltre de Roys Tres-chrestiens de tout temps immemorial: Parce que chaque famille de nos Roys a dequoy se le vendiquer. La premiere, d' autant que quittant le Paganisme, auquel elle estoit nourrie se voüa non seulement à la foy Chrestienne, mais encores poussee d' un tresbon instinct, ne degenera point en l' erreur Arrienne, ainsi que firent plusieurs peuples qui butinerent l' Empire Romain. La seconde, pour autant qu' elle planta la Papauté en France. Et la troisiesme, pour avoir esté l' un des principaux motifs de ces voyages d' outremer, & que sous elle toutes ces grandes & sainctes Religions furent fondees en ceste France: à la suitte desquelles vindrent aussi les quatre Ordres des Mendians, qui pareillement eurent recours, ainsi que les autres à Rome. Lesquels depuis apporterent une infinité de fruit à la Chrestienté par leurs saintes exhortations. Qui m' a fait mille fois esmerveiller pourquoy Guillaume de sainct Amour, & apres luy Jean de Meun en son Romant de la Roze, les abhorroient, pour avoir voüé une pauvreté, tant en general que particulier. Car la mendicité dont ils font profession n' est une mendicité telle qu' est celle d' un tas de mendians valides & vagabonds, qui pour demourer perpetuellement inutiles à la Republique, vont caïmandans par les maisons. Au contraire ce pauvre peuple vacquant journellement au service de Dieu, & aux presches, se remet à la devotion des gens de bien, de luy faire aumosnes, selon qu' ils pensent le meriter. Et n' y a plus grand moyen pour ruiner la devotion, que la grandeur des biens, & possessions terriennes, que l' on donne à perpetuité aux Eglises. Parce que soudain que nature se trouve gorgee, & à son aise, elle quitte fort aisément ce qui despend de la necessité de sa charge, pour s' adonner à oysiveté, comme l' experience a depuis monstré en la plus part des autres Religions, lesquelles comblees de biens, semblent être demourees en friche, en ce qui dependoit de leur devoir: estant tout le faix tombé sur ces quatre Ordres derniers. Pour laquelle cause, quelques-uns voyans les demeures, ensemble les deportemens de tous ces Moines, dirent, que les Benedictins, qui furent les premiers Religieux prindrent pour leur partage les villes esquelles ils avoient choisi leurs domiciles: Et la pluspart des autres Ordres, les champs, forests, & montagnes: Tellement que s' estans de ceste façon accommodez des choses terriennes, ces derniers, qui portent le nom & tiltre de Mendians, prindrent pour leur lot seulement Le Ciel. Toutesfois soudain que l' on leur ouvrira la porte à la iouyssance des biens & possessions, comme il semble que l' on ait fait par le Concil de Terente, & qu' ils s' en trouveront remplis, il y a grandement à craindre qu' il ne leur en preigne comme aux autres. Si ne faut-il pas denier ce pendant que les premiers, aussi bien que ces derniers, n' ayent apporté tres-grande utilité à nostre Religion Chrestienne. Car ce fut le principal instrument, par lequel nostre Eglise fut reformee, & reduite en un meilleur train, du grand desbaux qui s' estoit trouvé en la France, sous la lignee de Charlemagne. Aussi au lieu que sous la premiere famille de nos Roys, & devant, on parloit des grands Evesques: sous ceste derniere on parla principalement des grands Abbez, & Religieux, qui florirent tant en ceste France, qu' ailleurs. D' uns Bernon, Odon, Odilon, trois premiers Abbez de Clugny, d' un Brunon fondateur de la Chartreuse, d' un S. Bernard de Clairvaux, d' un S. Dominique extirpateur par ses presches, de l' heresie Albigeoise, pour laquelle cause ceux de sa famille furent depuis appellez freres Prescheurs: d' un S. François premier, dont vindrent les freres Mineurs: d' un S. Bonaventure restaurateur de cest ordre: d' un S. François deuxiesme, qui fut Autheur des Hermites, que nous appellames Bons-hommes, parce que lors que ce sainct homme vint en France, à la semonce de Louys unziesme, la commune voix du peuple l' appella pour sa preud' hommie, Bon-homme. Et encores dans Hugues, & Richard Religieux de sainct Victor, d' uns Gratian, Raimond, Durant, Sigebert, Hugues Chartreux, Albert le Grand, & S. Thomas d' Acquin son disciple, tous deux de l' Ordre des freres Prescheurs, & une infinité d' autres que l' on peut recueillir de l' ancienneté, qui par oubliance ne tombent maintenant sous ma plume. Voire que les Evesques quittoient quelquesfois leurs Eveschez pour choisir ceste saincte conversation, comme fit Hugues Evesque de Grenoble coadjuteur de Brunon, & Albert Patriarche de Constantinople, l' un des premiers ordinateurs de la Religion des Carmes. Au contraire de leurs Religions estoient souvent appellez au premieres dignitez de l' Eglise, voire jusques à la Papauté. Car Eugene le tiers avoit pris l' habit de l' Ordre de Clairvaux de S. Bernard, & avons leu plusieurs Dominicains, & Franciscains être montez jusques à ce hault, & premier degré de l' Eglise. Sous la premiere lignee, c' estoit une forme de peine que de tondre, & releguer en une Religion un enfant d' ancienne maison. Sous ceste derniere, ce fut honneur. Et tout ainsi que sous les deux premieres lignees de nos Roys, les Evesques gouvernoient quelquesfois leurs maistres, aussi sous ceste derniere veit-on Hildebrand Moine de Clugny dans Rome, en ceste France Sugger Abbé de S. Denis, manier toutes les affaires, celuy-là de la Papauté, cestuy de nostre Royaume, & plusieurs autres de mesme qualité, pour les grands advantages qu' ils avoient aux lettres & sciences, soit en la Theologie, soit pour les anciens Decrets, & constitutions de l' Eglise, & pour les Histoires qui semblerent s' estre confinees dans leurs Cloüestres. Et mesmes sembloient thesauriser en livres dans leurs Monasteres, desquels jaçoit que l' ancienneté des ans, & le malheur de nostre temps nous en ait fait esgarer plusieurs, si recueille-l'on de leurs Biblioteques encores plusieurs beaux brins, dont l' on peut embellir le public.

Tous ces Abbez & Religieux ayans reduit leurs Republiques devotes sous l' arbitrage du sainct Siege, & les Evesques estans à demy reduits dés la seconde lignee de nos Roys, les Papes attaignirent lors au comble de grandeur sur tous les Benefices de la France, dont ils furent estimez les Generaux & Universels protecteurs, & non seulement sur les Benefices, mais aussi sur tout ce qui sembloit appartenir à la police Ecclesiastique. Et de la mesme façon que les Religieux, le semblable fut pratiqué par les Chanoines des Eglises Cathedrales. On avoit quelques siecles auparavant erigé en Colleges les Clercs, qui assistoient aux Evesques en leurs Eglises, que l' on appella Chanoines: ceux-cy pareillement se mettans sous l' authorité du sainct Siege, commencerent de se separer de table d' avec leurs Evesques, & leur faire teste. Tellement que les choses se passans en ceste sorte, nous allames chercher dans Rome les Pardons, & Indulgences, la confirmation de tous nouveaux Ordres de Religion: à nul qu' au Pape ne fut permis de canoniser la memoire des ames beatifiees, à luy seul appartint la planiere ouverture des Concils Generaux, & plusieurs autres choses de mesme suject, que nous ne pouvons ny ne devons luy envier pour une infinité de raisons que je laisse aux Theologiens, m' estant icy proposé seulement d' escrire l' Histoire de la Papauté, & comme elle a pris divers plis. 

jeudi 8 juin 2023

3. 12. Que nos Rois sont francs, & exempts des censures de la Cour de Rome.

Que nos Rois sont francs, & exempts des censures de la Cour de Rome

CHAPITRE XII. 

La dignité de nos Roys est si grande, que je ne me puis estancher en ce que j' ay cy dessus discouru, ains veux y adjouster le present commentaire, pour monstrer qu' ils sont de toute ancienneté affranchis des excommunications de la Cour de Rome. Proposition qui semblera de prime-face tres-hardie, je ne diray point à ceux qui pour s' avantager en credit dedans Rome, veulent introduire une nouvelle Papauté en la France, mais aussi aux ames plus calmes, qui sans partialitez recognoissent nostre S. Pere le Pape, chef de nostre Eglise Catholique & Universelle. Comment me diront-ils? Tu accordes toute primace & superiorité au S. Siege, en ce qui concerne le Spirituel: Mesmes vos Roys de France, de tout temps immemorial se disent être les enfans aisnez de l' Eglise Catholique, Apostolique Romaine: Et neantmoins tu ne les veux exposer sous les verges de ce grand Siege, qui sont, premierement, les excommunications & censures, quand ils se desvoient de bon chemin

Et en apres l' interdiction de leur Royaume, en consequence du peché d' un Roy. A ceux-cy je respondray de ceste façon, & les supplie vouloir prendre ma response de bonne part. Mes amis, nous recognoissons en France le Pape, pour chef de nostre Eglise Universelle, mais pour cela il n' est point hors de propos, que nos Roys soient francs & exemps de sa censure. Ainsi que nous voyons tous les Monasteres anciens être naturellement sujets à la jurisdiction de leurs Diocesains: & neantmoins qu' il y en a plusieurs, qui par privileges speciaux en sont exempts. Nos anciens Rois furent les premiers protecteurs de l' Eglise Romaine, tant contre la tyrannie des Empereurs de Constantinople, que contre les courses des Lombards, qui estoient journellement aux portes de Rome. Un Roy Pepin gagna tout l' Exarquat de Ravenne, dont il fit present aux Papes: Deliura leur ville du long siege qu' Astolphe Roy des Lombards y avoit mis: Et Charlemagne son fils chassa de la Lombardie, leur Roy Didier, & toute sa race, se faisant Roy de la ville de Rome, & de toute l' Italie, où il fut depuis couronné Empereur de l' Occident, par le Pape Leon, lequel il remit tout d' une main en sa liberté contre l' insolence du peuple Romain, qui le gourmandoit. Et deslors fut arresté que les Papes esleuz ne pourroient entrer en l' exercice de leurs charges, qu' ils ne fussent avant tout œuvre confirmez, par luy & ses successeurs. Je m' asseure aussi que deslors luy & sa posterité furent affranchis des excommunications du S. Siege. Et encores que nous n' en voyons la constitution expresse, si est-ce qu' on la peut tirer de l' Ordonnance de ce mesme Empereur representee par Yve Evesque de Chartres, en ses Epistres 123. & 195. Si quos culpatores Regia potestas, aut in gratiam benignitatis receperit, aut mensa suae participes fecerit, hos & sacerdotum, & populorum conventus suscipere Ecclesiastica communione debebit: Ut quod principalis pietas recepit, nec à Sacerdotibus Dei extraneum habeatur. Si le Roy, dit-il, reçoit quelqu' un en sa grace & faveur, ou admet à la table quelques pecheurs, il faut aussi qu' ils soient receus par les Prestres, & tout le peuple en la communion des fideles: A fin que ceux que la pieté du Prince embrasse, ne soient rejettez de l' Eglise, comme Ethniques. Que si la table ou faveur de nos Roys rendoit l' excommunié franc des censures Ecclesiastiques, il faut bien dire que nos Roys estoient hors de toutes excommunications. Ils avoient droit de confirmer les Papes apres leurs eslections. Droit, di-je, que les Papes disent leur avoir esté par eux remis: Aussi ne nous doit-on non plus envier, que de tout temps immemorial on ait quitté dedans Rome à nos Rois, toutes excommunications que l' on voudroit faire contre leurs Majestez. Tant y a que le Pape Gregoire IV. voulant y contrevenir, pour gratifier aux enfans du Roy Louys le Debonnaire, qui estoient en mauvais mesnage avecq' luy, tous les bons Evesques & Prelats de la France, luy manderent avant qu' il y fust entré, que s' il venoit pour excommunier leur Roy, il pouvoit hardiment reprendre le chemin de Rome. Parce que luymesme s' en retourneroit excommunié: parole brusque (je le confesse) mais qui fut de tel effect que Gregoire pour couvrir son jeu, dit qu' il estoit seulement venu a fin de pacifier toutes choses: & de fait moyenna la paix pour quelque temps, entre le pere, & les enfans. Plus hardie fut la responce de nostre Noblesse Françoise au Pape Adrian, quand sur une querelle juste il voulut excommunier le Roy Charles le Chauve. 

Lothaire Roy d' Austrasie estant decedé, delaisse Louys son frere Empereur & Roy d' Italie son heritier, le Roy Charles le Chauve leur oncle s' empara du Royaume d' Austrasie par un droit de bien-seance. Louys eut recours au Pape, qui prit la cause pour luy: & admonesta le Chauve de faire droit à son nepueu, à peine d' excommuniement. Toutesfois Charles le Chauve n' y obeït, au moyen dequoy le Pape voulut interposer ses censures avecques aigres comminations: mesmes sçachant la grande authorité qui residoit en Hincmare Archevesque de Rheims, luy enjoignit de ne l' admettre à sa communion, sur peine d' être privé de la sienne. Jamais ordonnance de Pape ne fust plus juste & saincte que ceste-cy. Car quel pretexte y avoit-il qu' un oncle frustrast son nepueu de la succession de son frere? Toutesfois jamais ordonnance ne fut plus mal receuë que celle là. Parce que Hincmare ayant communiqué les Lettres Apostoliques à plusieurs Prelats & Barons de la France, pour sçavoir comment il se devoit gouverner en cest affaire, il escrivit au Pape Adrian ce qu' il avoit recueilly de leurs opinions: & nommément que eux tous se sçandalisoient de son Decret, disans que jamais on n' avoit veu tels commandements, bien que les Roys fussent heretiques, schismatiques, ou tyrans. Soustenants que les Royaumes s' acquieroient par la poincte de l' espee, & non par les excommunications du sainct Siege, ou des Prelats. Et quand je leur couche, (disoit Hincmare) de la puissance donnee par nostre Seigneur à sainct Pierre qui est transmise aux Saincts Peres de Rome ses successeurs, ils me respondent. Petite Dominum Apostolicum, ut quia Rex & Episcopus simul esse non potest, & sui antecessores Ecclesiasticum ordinem (quod suum est) & non Rempublicam (quod Regum est) disposuerunt. Non præcipiat nobis habere Regem, qui nos in sic longinquis partibus adjuvare non possit, contra subitaneos & frequentes paganorum impetus, & nos Francos iubeat servire, cui nolumus servire. Quia istud iugum sui antecessores, nostris antecessoribus non imposuerunt. Quia scriptum sanctis libris audivimus, ut pro libertate & hæreditate nostra ad mortem certare debeamus, & peu apres, Propterea si Domnus Apostolicus vult pacem quærere, sic quærat, ut rixam non moveat. C' est à dire: Recherchez nostre S. Pere le Pape, comme s' il pouvoit être Roy, & Evesque ensemblément. Ses predecesseurs ont disposé de l' Ordre Ecclesiastic, qui estoit de leur vray estoc, & non du fait d' une Republique, qui appartient aux seuls Roys. Qu' il ne nous commande point d' avoir un Roy, lequel habitué en païs loingtain, ne nous puisse secourir contre les courses inopinees & frequentes des Payens. Ny n' enjoigne à nous qui sommes François de servir contre nos volontez. C' est un joug que ses devanciers ne nous imposerent jamais. Aussi est-il escrit dans les sainctes lettres, que chacun doit combatre jusques à la mort, pour la manutention de sa liberté, & son bien. Partant si nostre S. Pere le Pape recherche la paix, qu' il la recherche de telle façon, que ce soit sans nouvelle noise. Et apres tout cela Hingmare ferme la lettre en ces mots. Et ut mihi experimento videtur, propter meam interdictionem, vel propter linguae humanae gladium, nisi aliud obstiterit, Rex noster, vel eius regni primores non dimittent, ut quod cæperunt, quantum potuerint non exequantur. Et comme je cognois par experience, dit-il, ny le Roy, ny les principaux Seigneurs de son Royaume, ne delairront point de poursuivre leur premiere route, quelque interdiction, ou glaive spirituel que j' y interpose, s' ils ne sont destournez par quelque autre obstacle. De laquelle missive vous pouvez recueillir que le Pape non seulement vouloit censurer le Roy Charles le Chauve, par faute de luy obeïr en une querelle tresjuste, mais aussi se declaroit juge des Empires & Royaumes. A quoy ny le Roy, ny ses sujets ne voulurent condescendre: Soustenans que cela n' estoit de son authorité & puissance: & qu' ils estoient resolus de luy faire teste à quelque prix que ce fust. Comme estant une Loy nouvelle dans la France, qu' il vouloit introduire au prejudice de nos Roys, & de leur estat. 

Tant nous embrassames deslors ce privilege de nos Roys, que je le vous puis dire, ou être né avecq' nostre Couronne soudain que Clovis fut fait Chrestien, ou bien sous la seconde lignee, peu apres que nos Roys eurent pris en main la defense & protection de l' Eglise Romaine. Car ainsi le voyons nous successivement avoir esté observé en Charlemagne, Louys le Debonnaire son fils, & Charles le Chauve son arriere fils. Le premier Roy des nostres qui sous la troisiesme lignee merita d' être censuré pour son demerite, fut Philippe premier, à raison d' un mariage mal ordonné qu' il avoit fait au prejudice de sa vraye & legitime espouse. Toutesfois le Pape Urbain second se donna bien garde de le vouloir excommunier de sa puissance unique & absolue, mais y interposa avecq' luy l' authorité de l' Eglise Gallicane au Concil de Clairmont en Auvergne. Celuy qui premier voulut franchir le pas au desadvantage de nostre Couronne fut Boniface huictiesme contre Philippe le Bel, mais jamais censures ne cousterent tant aux Papes, comme celles-là. Ainsi qu' avez peu entendre par le chapitre precedent. Le semblable fit Benoist XIII. (dit Pierre de la Lune) tenant son siege en Avignon, sous le regne de Charles VI. Et il s' en trouva autant mauvais marchand que l' autre. 

Jules II. voulut suivre ceste mesme piste contre nostre bon Roy Louys XII. surnommé le Pere du peuple. Or par l' assemblee Conciliaire de l' Eglise Gallicane tenuë en la ville de Tours, en l' an 1510. ses censures furent censurees. Sans nous esloigner de nostre temps pendant les Troubles derniers, pareilles censures vindrent de Rome, contre le Roy à present regnant. Et par Arrest, tant du Parlement de Paris transferé à Tours, que de la Chambre souveraine seante à Chaalons en Champagne, il fut ordonné que les Bulles seroient brulees par l' executeur de la haute Justice, comme elles furent. Il n' est pas que l' Arrest depuis donné contre Jean Chastel, le 29. Decembre 1594. ne portast ce chef particulier: qu' entre autres choses il estoit condamné à mort, pour avoir soustenu devant ses Juges, que nostre Roy Henry IV. n' estoit en l' Eglise, jusques à ce qu' il eust l' approbation du Pape. Dont il declareroit faisant l' amende honorable, avant que d' estre exposé au dernier suplice, qu' il se repentoit, & demandoit pardon à Dieu, au Roy, & à Justice. 

Ceste question concernant le privilege de la dignité de nos Roys, au prejudice de l' excommunication faite en Cour de Rome, tint aucunement les successeurs de Boniface en cervelle, pour le scandale advenu entre luy, & le Roy Philippe le Bel. Qui fut cause que le Roy Philippe le Long son fils, delegua Maistre Raoul de Presles, l' un de ses Maistres de Requestes, à Rome, en l' an 1316. pour en être esclaircy: lequel fit un ample extraict de tous les privileges Ecclesiastics de nos Roys. Mesmes y en avoit deux dont le mesme Boniface leur en avoit passé condamnation, auparavant qu' il fust ulceré contre nostre Roy: L' un que le Roy de France, la Royne sa femme, & leurs enfans ne pouvoient être excommuniez. L' autre que le Confesseur du Roy les pouvoit absoudre de tous pechez sans exception & reserve. Proposition si arrestee en ceste France qu' au traicté de paix qui fut fait en la ville d' Arras, l' an 1481. entre le Roy Louys XI. & Maximilian Archiduc d' Austriche, & les Estats du païs bas, les Deputez de Maximilian, & des Estats stipulerent des nostres, que le Roy promettoit d' entretenir le Traité, & à ceste fin luy & son fils se soubmettoient à toutes censures Ecclesiastiques. Non obstant le privilege (portoit la capitulation) des Roys de France par lequel, ny eux, ny leur Royaume ne pouvoient être contraints par Censures Ecclesiastiques. Traité depuis confirmé le mesme an par le Roy Louys, au Plessi lez Tours, portant la confirmation en ces mots. Avons soubmis, nous, & nostre fils, & nostre Royaume à toutes censures Ecclesiastiques pour l' entretenement du dit Traité nonobstant le privilege qu' avons, que nous, nos successeurs, & nostre Royaume, ne devons être soubmis, ny contraincts par censures. Maxime qui fut encores confirmee par arrest donné en l' an 1549. sur un sujet qui fut tel que je vous deduiray presentement. Charles Cardinal de Lorraine Archevesque de Rheims pour immortaliser sa memoire en une tres-noble entreprise, fonda une Université dedans Rheims, avec plusieurs grands privileges. Ce qui luy fut premierement permis par le Roy Henry II puis par le Pape Paule III. en ce qui regardoit le Spirituel, lequel decerna ses Bulles bien amples qui portoient entre autres clauses ceste cy. Nos igitur pium & laudabile Henrici Regis, & Caroli Cardinalis desiderium, plurimum commandantes, praefatum Regem Henricum, à quibusvis, excommunicationis, suspensionis & interdicti, aliisque Ecclesiasticis, sententiis & censuris, pœnis à jure vel ab homine, quavis occasione, vel caussa latis, si quibus quomodolibet innodatus existat, ad effectum praesentium duntaxat consequendum, harum serie absolventes. Cecy merite de venir à la cognoissance de tous. Parquoy (dit la Bulle) loüans grandement le bon & loüable zele du Roy Henry, & de Charles Cardinal, l' absolvons de toutes excommunications, suspensions, interdicts, sentences Ecclesiastiques & censures, peines de droict, ou ordonnees par les hommes, pour quelque suject & occasion que ce soit, & en quelque maniere qu' il en puisse être lié. Le tout seulement en consideration des presentes, & a fin qu' elles sortent leur effect. Plus grande faveur ne pouvions nous recevoir de Rome que celle-là. Que le Roy Henry, sans aucune sienne supplication fust declaré absout de toutes excommunications, qu' il avoit peu encovrir de fait, ou de droict, toutesfois de mesme liberalité qu' elle fut offerte, la Cour de Parlement de Paris la refusa. D' autant que par la verification, tant des Bulles que lettres patentes du Roy, il fut dit par Arrest du penultime Janvier 1549. A la charge que nonobstant ceste pretenduë  absolution, on ne pouvoit inferer, que le Roy eust esté, ou pouvoit être à l' advenir aucunement ny pour quelque cause que ce fust, suject aux censures & excommunications Apostoliques, ny prejudicier aux droicts, privileges & preeminences du Roy, & de son Royaume. Lors que cest Arrest fust donné nous n' estions partialisez en Religions, comme nous, avons depuis esté par le malheur du temps: au contraire les Lutheriens & Calvinistes estoient tresgriesuement punis en ceste France.

Je vous ay discouru tout ce que dessus, non pour malveillance que je porte au S. Siege, plustost m' envoye Dieu la mort, ains pour vous monstrer que nos Roys portent avecques leur Couronne, leur saufconduit par tout, & ne sont sujects aux embusches de leurs ennemis pres des Papes. Placard que j' ay icy enchassé tout expres, contre ces nouveaux broüillons & trouble-mesnages, qui pour se faire grands dedans Rome, aux despens des Princes & Potentats Souverains, nous enseignent que leurs Royaumes peuvent être transferez d' une main à autre par les Papes: Je ne seray point marry que ceste puissance s' execute par tout ailleurs où il leur plaira, moyennant que ce ne soit, ny contre nos Roys, ny contre nostre Royaume. Et neantmoins il ne faut pour tout cela qu' ils forlignent de leur devoir. Parce qu' il y a un plus grand juge que le Pape, qui transfere les Royaumes, & sçait chastier non seulement les delinquants, mais aussi les enfans, des fautes commises par les Peres.