mercredi 14 juin 2023

3. 19. Continuation des calamités que produisit le siege tenu dans Avignon, & du grand schisme qui en provint.

Continuation des calamités que produisit le siege tenu dans Avignon, & du grand schisme qui en provint. 

(CHAPITR) CHAPITRE XIX.

Jamais conseil ne fut receu avec plus de faveur & applaudissement que celuy de Philippes le Bel, lors qu' il attira dans nostre France la Papauté: & jamais conseil ne despleut tant à Dieu, que celuy-là comme l' evenement le monstra. Ores que la Religion soit l' un des principaux instrumens par lequel toute Republique se contienne en son devoir, toutesfois c' est une impieté d' user de nostre Religion Chrestienne, comme d' un affaire d' Estat.

Clement V. venant establir sa demeure en France, lors qu' il fit son entree dans Lion, fut accueilly d' une infinité de Princes & grands Seigneurs. Les Roys de France, d' Angleterre, d' Arragon, Jean Duc de Bretaigne, s' y trouverent pour l' accueillir. Il est conduit par la ville d' un magnifique appareil & tout ainsi qu' Estienne Pape venant en France pour confirmer la Couronne Royale à Pepin, ce nouveau Roy pour authoriser ceste confirmation d' avantage envers le peuple, s' humilia de telle façon, qu' allant à pied, il conduisoit le cheval du Pape par la bride, lors qu' il entra dans Paris: Aussi à ceste entree du Pape Clement, les deux freres du Roy tenoient les resnes de son cheval des deux costez: toutesfois le malheur voulut qu' un pan de muraille tomba pendant qu' ils passoient, qui tua une infinité de peuple, mesme le Duc de Bretaigne, blessa les deux freres du Roy, fit tomber la Couronne du Pape, qui estoit dessus sa teste, où estoit une escarboucle de valeur inestimable, qui fut perduë. Les uns disent que ce fut au passer, les autres dedans l' Eglise. Mais soit l' un, ou l' autre, c' estoit un pronostic tres-certain des ruines, & calamitez que ceste nouvelle face d' affaires devoit apporter à nostre Eglise: mesmes qu' au long aller la Papauté perdroit la principale bague & joyau de son Estat par ce nouveau conseil: Je vous ay dit en l' autre chapitre, & suis tres-aise de le vous dire, que l' on ne veit plus de là en avant en ce Royaume, voire par toute l' Eglise generale, qu' une meslange & desbauche de toutes choses. Le Pape, & le Roy, fraternisans en conseils, se jettoient l' esteuf l' un à l' autre, au prejudice du Clergé. Le Pape accordoit levees des decimes au Roy sur le Clergé beaucoup plus à l' abandon que l' on n' avoit faict auparavant, soubz pretexte des voyages imaginaires d' outremer. Et le Roy en contr'eschange connivoit aux Graces expectatives, & provisions extraordinaires du Pape, sur les Benefices, ensemble aux exactions qu' il faisoit dessus tous les Beneficiers, pour entretenir son Estat. Ce nouveau changement advint vers l' an mil trois cens & six: & tout ainsi que tels remuemens de menage ne s' entrepreignent aisément que soubz la conduite de quelques hardis entrepreneurs: aussi ne peut-on denier que Clement V. ne fust un grand homme, & qui pendant sa Papauté en fit plusieurs braves demonstrations. Il fit prescher la Croisade contre quelques heretiques qui regnoient encores de son temps dans les montaignes de Piedmont, reliques des anciens Vaudois, & en extermina la race. Dés son entree (suivant les capitulations qui estoient entre eux deux) il donna planiere absolution au Roy Philippes, & leva à pur & à plain toutes les censures Ecclesiastiques de Boniface contre le Royaume, fit le procés aux Venitiens, qui s' estoient emparez de l' estat de Ferrare & les excommunia tous, les reduisant en ceste extremité, que François d' Andule leur Duc fut contraint de se prosterner à ses pieds pour luy venir demander mercy. Chose dont ce Pape ne fut satisfaict, mais (si quelques historiographes disent vray) il usa de luy en forme de marchepied quand il vouloit monter à cheval. Il celebra un magnifique Concil en la ville de Vienne, où se trouverent une infinité d' Evesques, Abbez, & Docteurs en Theologie, & y fut condamné l' ordre des Templiers, & la secte des Beguines, conclud un voyage d' outremer, pour la recousse de la terre saincte, & de là passa sur la reformation de l' Estat exterieur de l' Eglise: mesmes pour s' authoriser d' avantage, non seulement à l' endroict des vivans, mais de toute la posterité, il fit compiler le livre (que l' on appelle les Clementines) lequel il voulut être leu par toutes les fameuses Universitez, tout ainsi que les Decretales de Gregoire IX. & le Sexte de Boniface VIII. Mais si au bout de cela il vous plaist de considerer toutes ses actions, tout ainsi qu' il fut d' un grand entendement, aussi l' attacha-il aux extremitez, tantost de vertu, tantost de vice, selon qu' il en vouloit faire emploicte. Car la condamnation des Templiers ne s' est peu garentir, que plusieurs histoires anciennes ne l' imputent à une inimitié particuliere que Philippes le Bel avoit conceuë encontre eux, conjoincte à une avarice, pour s' enrichir d' une partie de leurs despouilles: & le voyage d' outremer, qui fust lors conclud, n' estoit qu' un faux pretexte mis en avant, pour tirer une decime sur le Clergé, mesmes que le traict practiqué contre le Duc de Venise (s' il est veritable) ne se peut bonnement excuser. Brief jamais l' Eglise de France n' avoit esté auparavant tant chargee d' exactions extraordinaires de la Cour de Rome, comme elle fut lors, pour subvenir aux opinions insuportables de ce Prelat. Leçon qui fut depuis fort bien suivie par tous ceux qui luy succederent dedans Avignon: Qui furent Jean XXII. Benoist XII. Innocent VI. Gregoire XI. Clement VI. & Benoist XIII. Et qui faict grandement à peser, c' est que pendant ceste desbauche extraordinaire, de laquelle les gens de bien ne se pouvoient taire par leurs escrits, le schisme se logea dans l' Eglise, sur lequel se planta l' heresie: Voyez, je vous prie, combien un premier inconvenient en atraine d' autres quant & soy: Louys Empereur d' Allemaigne, peut être conduict de devotion, peut être d' ambition, voulant reduire les affaires de l' Eglise en leur ancienne dignité, fit creer un Pape dans Rome, (durant le siege de Jean XII.) qui fut nommé Nicolas V. tant s' en faut que cela apportast remede, qu' au contraire il procura un nouveau desordre: parce qu' ils commencerent lors de ioüer à belles censures l' un contre l' autre: Mais en fin le champ de bataille, & la victoire demoura à Jean. Ce mesme malheur survint apres le decés de Gregoire XI. lequel d' un meilleur enclin desirant remettre l' Estat de l' Eglise en son premier train, quitta la ville d' Avignon, & ramena dedans Rome toute sa Cour, & ores qu' il semblast que son conseil luy eust aucunement reuscy, si est-ce que la racine de ceste calamité n' estant tout à faict amortie, elle commença apres sa mort de rejetter plus que devant. Car les Cardinaux au Conclave se trouvans particularisez en brigues, les François pour vouloir se maintenir en leur possession de je ne sçay combien d' ans depuis laquelle on n' avoit veu Pape que de la nation Françoise: au contraire les Italiens craignans de tomber au mesme accessoire qu' auparavant si on élisoit un François, jettoient toutes leurs opinions sur un qui fust de leur nation. En fin fut éleu Urbain VI. Italien, homme superbe le possible, & lequel pour avoir en peu de temps offensé tout l' Ordre, les Cardinaux abandonnerent, & procederent à nouvelle election d' un autre, qui fut Clement VI. lequel tint son siege en Avignon: De maniere que l' on vit lors d' ordinaire deux Papes en un mesme temps: l' un demourant dans la ville de Rome, qui estoit suivy de l' Allemaigne, & de l' Italie: l' autre en celle d' Avignon, duquel la France, l' Espaigne, l' Angleterre, & l' Escosse prindrent le party: & lors à beau ieu, beau retour, chacun ioüoit, non à qui mieux mieux, mais bien à pis faire: ayans diversement partissans qui s' employoient les uns en faveur de Clement, les autres pour Urbain: lesquels estans mis en la balance, ne valoient pas mieux l' un que l' autre. Le commencement de ce schisme advint (si je ne m' abuse) vers l' an mil trois cens septante six, & dura quarante ans entiers, au veu de tout le monde, sans qu' on y peut mettre remede bien à poinct. Urbain eut pour successeurs Boniface IX. Innocent VII. Gregoire XII. A Clement succeda Pierre de la Lune (tant rechanté par noz anciennes histoires) appellé Benoist XIII. Les Princes seculiers voyans ce desordre qui couroit à la honte, confusion, & desolation de toute la Chrestienté y veulent mettre la main. L' Empereur Sigismond, & le Roy Charles sixiesme s' entrevoyent à cest effect en la ville de Rheims. La reünion de l' Eglise est entre eux concluë: on depesche ambassadeurs vers le Pape Gregoire XII. & Benoist XIII. pour y apporter mesme devotion de leur part: & à ceste fin est choisie la ville de Pise pour y besongner. Les deux Papes font contenance d' y vouloir entendre: mais y apportent tant de remises, & longueurs, qu' il n' y eust celuy qui ne vit que c' estoient toutes hypocrisies, dont ils entretenoient ces deux Princes. Quoy voyans tous les Cardinaux, tant de l' un, que de l' autre costé, se trouverent en la ville de Pise, où ils tindrent un Concil, auquel furent les deux Papes destituez de leurs charges par defaux, & contumaces: & à l' instant mesmes fut éleu Alexandre V. Il sembloit que cela deust apporter quelque fin à tous ces troubles, toutesfois ce fut un rejetton de plus grande division, parce que nonobstant ce Concil les deux Papes anciens s' en voulurent faire croire comme devant: & neantmoins le dernier pensant être le vray Pape, prit mesme qualité que les autres, de façon qu' il y avoit lors trois Papes dedans nostre Eglise, Benoist XIII. Gregoire XII. & Alexandre V. auquel succeda Jean XXIII. Chacun d' eux r' envioit de sa reste. Car comme ainsi fust que leur grandeur despendist de l' authorité de leur consistoire, aussi creoient-ils à l' envy des Cardinaux par troupeaux. Et à la suitte de cecy, il falloit trouver une infinité d' inventions extraordinaires sur le pauvre Clergé, pour fournir au defroy de toutes ces grandeurs. Tous les Princes Chrestiens voyoient cela, nul n' y osoit bonnement toucher, parce que c' estoit le haut poinct: toutesfois nous autres François y apportasmes la premiere emplastre, par l' ordonnance de l' an mil quatre cens & six, dont j' ay parlé au chapitre precedent, & qui est un poinct infiniement remarquable, pour monstrer la grandeur des jugemens de Dieu: tout ainsi que ce fut en l' an 1306. que Clement V. se vint habituer en France, premiere interversion de l' Estat Ecclesiastic, aussi en l' an 1406. fut le premier restablissement. Dieu permit que cent ans entiers son navire fut agité des flots & vents, mais non toutesfois submergé.

3. 18. De quelle vertu l' Eglise Gallicane proceda pour exterminer le grand Schisme qui advint pendant le Siege d' Avignon,

De quelle vertu l' Eglise Gallicane proceda pour exterminer le grand Scisme qui advint pendant le Siege d' Avignon, & des vertueuses procedures faictes contre Pierre de la Lune, dit Benoist treziesme.

CHAPITRE XVIII.

Lors estoit l' Université de Paris en grande vogue & peut être trouva elle plus sa grandeur dedans ces partialitez, pour n' avoir jamais encliné, qu' â ce qui estoit de l' honneur & edification de l' Eglise. Aussi nourrissoit elle dans son sein quatre grands Theologiens, Maistres Jean Gerson, Jean Petit, Gilles des Champs, & Nicolas de Clamengis, ennemis capitaux de ceste desolation publique. Estant sous Benoist XIII. ceste affaire mise en deliberation en presence de tous les Prelats dans Paris; Université estoit d' advis pour le repos universel, & union de l' Eglise, qu' il falloit proceder à la demission des deux Papes. On envoya à Benoist les Ducs de Berry, & Bourgongue, oncles du Roy Charles VI. & avec eux Maistre Gilles des Champs, & autres supposts de l' Université pour le convertir à ceste cession & deportement, mais il n' y voulut entendre. Ce que voyant le Roy, il depesche Ambassadeurs aux Roys & Princes d' Allemagne, Angleterre, & de toutes parts pour les advertir quelle estoit la resolution generale de son Eglise, laquelle fut depuis suyvie comme la vraye & la plus seure. Il seroit mal aisé de raconter combien de touts & artifices furent inventez par Benoist, pour rompre le coup à ce bel advis. La necessité du temps avoit produit quatre instrumens, pour defendre les anciens privileges de nostre Eglise Gallicane. Le Roy pour chef, ou pour le moins faisant une des bonnes parties de son Eglise, les Prelats, la Cour de Parlement de Paris, & l' Université de ce mesme lieu. Quant aux Prelats, encores que la querelle les rouchast principalement, si estoient ils tant harassez par les exactions, communications & fulminations de Rome, qu' ils n' osoyent bonnement faire espaule à ce beau dessein. Restoient doncques les trois autres, que Benoist vouloit sur toutes choses gaigner, asseuré d' avoir puis apres aisement victoire contre les assauts qu' on luy liureroit. Il pense de les attirer à sa cordelle par divers moyens. Le tout toutesfois aux despens, perils & fortunes des pauvres Ecclesiastics de la France. Il octroye d' un costé une decime au Roy, à prendre sur tout le Clergé de la France: d' un autre, il octroye aux Universitez, rolles, pour avoir provisions de Benefices sur les Ordinaires, comme dit la mer des Histoires: invention, qui pour être issuë d' une mauvaise cause, produisit toutesfois à l' advenir bons effects. Et pareille permission donna-il à ceux du Parlement de Paris: pour le moins vers ce temps là, & quelques annees apres: l' on commence de parler des irrotulations des benefices, qui leurs estoient accordez. Car vous trouverez aux registres de la Cour du 7. Septembre 1402. rolle des Benefices de ceux de la Cour, dont n' avoit esté faite nulle mention au precedent. Qui est ce que l' on a depuis appellé l' Indult de la Cour de Parlement, dont j' ay parlé au 2. livre. Tout cela ne profita pas grandement pour ce coup là, d' autant que Benoist ne voulant entendre à l' union de l' Eglise, fut tenuë dedans la ville de Paris une assemblee generale de Prelats 1398. où fut conclud qu' on soustrairoit non seulement à Benoist la collation, & pleine disposition des Benefices, mais qui plus est, on luy feroit planiere soubstraction de toute obeissance, & que l' Eglise Gallicane seroit reduite en ses anciennes libertez. C' est à sçavoir, que les Ordinaires confereroient les Benefices estans en leur collation, & par ce moyen cesseroient toutes graces expectatives, & reservations, & qu' aux Benefices electifs on procederoit par voye d' election, & en appartiendroict la collation aux Ordinaires. Apres lequel Decret, vacqua l' Abbaye S. Denis par le decez de Guy Abbé: & en son lieu fut esleu Guy de la Vilette. On doutoit si l' Evesque de Paris pourroit confirmer ceste élection, pour être ceste Abbaye exempte de la jurisdiction de l' Evesque: toutesfois pour ce coup, & sans le tirer en consequence il fut dit que la confirmation tiendroit. Depuis ces Ordonnances Royales ainsi publiees, les Ordinaires par une avarice, qui leur est quelquefois ordinaire, commencerent à gratifier leurs valets des Benefices. Dont sourdit encores, un murmure plus grand, & appresta occasion à l' Université d' en crier. Disant qu' il estoit encores plus supportable que les Cardinaux d' Avignon en fussent pourveus, que les serviteurs des Evesques. Qui fut en partie cause (joint les menees des plus grands qui sous main favorisoient Benoist XIII.) qu' en l' an 1403. fut publiee l' annullation de ceste soubstraction. En suitte de quoy Benoist vouloit casser, & annuller toutes les elections, confirmations, consecrations, benedictions, collations & provisions, qui avoient esté faites, pendant le temps de ceste soubstraction. Mais l' Eglise de France s' y opposa, & fut advisé que le Roy defendroit les possesseurs en leurs possessions, qui avoient tiltre, & qu' on ne souffriroit qu' on s' aidast au contraire de Bulles Apostoliques. Outre furent de rechef prohibees, & defendues les exactions d' argent que faisoit Benoist en vacquans, ou autrement, & en ordonna le Roy ses lettres patentes, le 29. Decembre en cest an. C' estoit luy faucher l' herbe soubs le pied, & ne pesoient pas moins à Benoist ces defenses, que si totalement l' on se fust soubstrait de son obeissance. Au moyen dequoy estimant qu' il n' avoit de plus fort ennemy, que l' Université de Paris, il se voulut armer de pareilles forces. Ce fut de l' Université de Tholoze: mais la partie estoit mal faite, de tant que Tholoze est moindre que la ville de Paris. 

En l' an 1406. il depesche un Cardinal d' Avignon, avec quelques deputez de l' Université de Thoulouze, dont le chef fut nommé Flandrin portans lettres pleines d' oprobes, signamment de ceste Université, ce que venu à la cognoissance del' Université de Paris, elle delegue maistre Jean Petit pour faire remonstrances contraires en la Cour de Parlement. Chose dont il s' aquita fortement, persistant en la soubstraction du Pape Benoist, telle qu' autresfois elle avoit esté arrestée. Et Juvenal des Ursins Advocat du Roy requit l' Epistre être laceree. Pour le faire court, par arrest donné en Juillet, furent les conclusions des gens du Roy suivies, & ordonné que l' original de ceste Epistre seroit laceré dans Paris, & le transsumpt, tant en la ville de Tholoze, que sur le pont d' Avignon: ce qui fut fait. Et le 7. D' Aoust ensuivant, fut reiteree la soubstraction de Benoist entant que touchoit les finances, & defendu de ne luy en transporter aucunes, & qu' à cet effet seroient deputez gardes par les portes, & ponts (limitrohpes) limitrophes, pour foüiller les passans. Et deslors fut advisé que tous les Evesques, Prelats & Chapitres s' assembleroient dans Paris à la S. Martin lors prochainement venant, pout adviser touchant le fait de l' Eglise, & de Benoist, que nos Historiographes dés là en avant ne daignent plus appeller de ce nom de Benoist, ains sans plus, Pierre de la Lune. Et chacun s' y estant trouvé, mesmes les Chapitres par leurs Syndics, & les premiers de l' Université: là fut le fort de la meslee. Par ce que le Roy ordonna que devant luy en son Grand Conseil il y en eust douze qui soustinssent le party de Benoist, & que l' on ne se devoit soustraire de luy, & les autres le contraire. Maistre François aux Bœufs Parisien Docteur en Theologie, & de l' ordre de S. François commença, suivy de Maistre Jean Petit. Tous deux soustenans que Benoist devoit ceder, & se demettre de la Papauté. Autrement que l' Eglise Gallicane se pouvoit, & devoit purement, & franchement soustraire de son obeyssance, & que le Roy en son Eglise de France pouvoit par ses Prelats pourvoir aux Benefices, qui tomboient en election, ou collation, selon la forme ancienne. Et à ceste mesme opinion condescendit Messire Jean de Cremaux Evesque de Poictiers. Adonques le Roy par l' organe de son Chancelier, demanda aux partissans du Pape ce qu' ils vouloient dire, & leur fut donné delay au Lundy ensuyvant, pour y respondre. Auquel jour parla premierement Maistre Guillaume Filastre Docteur en Canon, & Doyen de l' Eglise de Rheims, parlant grandement au desadvantage du Roy, & de son Eglise de France, pour soustenir le Pape: mais il ne respondit aux raisons des autres. Et à la suitte de cestuy, le Bruel Archevesque de Tours, le 4. Decembre respondit aux raisons de ceux qui estoient d' avis de la cession, & soubstraction. Et l' onziesme du mesme mois, Maistre Pierre d' Ailly Docteur en Theologie (qui depuis fut Evesque de Cambray) reprit les arrhemens de cest Archevesque, concluant qu' il falloit passer les choses par un Concil, & non par voye de fait. Qui n' estoit pas une petite opinion, & par adventure la plus saine. A quoy l' Université respondit par la bouche d' un Abbé de S. Michel en Normandie, Docteur en Decret: puis par maistre Pierre Placet Docteur en Theologie, monstrans l' un & l' autre quelle estoit la puissance & autorité d' un Roy de France en tels desordres. Ausquels repliqua le Doyen de Rheims, commençant sa Harangue par ce verset, Manete in mea dilectione, & l' Evesque de Poictiers luy respondant, commença par cest autre, Si servaveritis mandata mea, manebitis in mea dilectione. Le Chancellier ordonna que les gens du Roy seroient ouys apres eux. A quoy satisfaisant Maistre Juvenal des Ursins Advocat du Roy, l' un des plus grands personnages de sa robbe qui fut de son temps, commença aussi par ce verset, qui est du 31. Pseaume de David. Viriliter agite, confortetur cor vestrum, omnes qui speratis in Domino. Concluant pour la puissance du Roy, & adherant avec l' Université de Paris. Les choses estans en ceste façon disputees, & à bien assailly bien defendu, avant que d' y interposer aucun Decret, il fut advisé d' implorer la grace du S. Esprit. A ceste fin fut faite le seiziesme Janvier une procession generale, où y avoit 64. qu' Archevesques, qu' Evesques, qu' Abbez, & le 18. Fevrier, le tout estant passé par meure & saincte deliberation de Conseil, fut le Concil general arresté pour reformer l' Eglise, tant au Chef, comme aux membres, & neantmoins cependant que soubstraction seroit faite de Pietre de la Lune, dit Benoist, & l' Eglise de France reduite en ses anciennes franchises & libertez, & qu' en ce faisant les Ordinaires confereroient les Benefices, qui estoient en leurs collations, & aux electifs pourvoyroient par elections, & confirmations au desir des constitutions anciennes, & Canoniques. Vray est que ceste ordonnance ne fust, si tost publiee, pour l' empeschement qu' y donnerent les Princes, & grands Seigneurs, qui favorisoient sourdement le party de Benoist. Et en l' an 1408. le Roy pourveut à la forme & maniere de conferer les Benefices aux supposts des Universitez, pour oster l' abus qui s' estoit auparavant en pareille reformation introduict entre eux, par les Indults, & gratifications qu' ils en faisoient à gens indignes, pour recompense de leurs services, en defraudant ceux-là qui avoient bien merité des bonnes lettres. Pietre de la Lune ne se voulut pour cela rendre, & sommé premierement de se demettre de la Papauté pour le repos du public, il respondit brusquement qu' il n' en feroit rien, & que ce n' estoit de nous qu' il devoit recevoir la loy, ains nous de luy. Et d' une mesme main depesche les Legats en France, qui apporterent une longue bulle de sa part, par laquelle il mettoit le Roy, & tout son Royaume en interdiction, pour s' être soubstraits de son obeissance. Au moyen de quoy le Roy le 21. jour de May, 1408. vint au palais en son lict de Justice, où assisté de plusieurs Princes du sang, & autres Seigneurs de son grand Conseil, il representa la bulle d' interdiction. Et là devant sa Majesté, un Docteur de Theologie, nommé Courtecusse, monstra par plusieurs raisons les abus de ceste bulle. A maniere que par arrest fut dit qu' elle seroit publiquement laceree, puis arse. Et que Gonsalve, & Conseloux, qui l' avoient apportee, seroient pris, escharfaudez, mitrez, & preschez publiquement. Ce qui fut fait le plus ignominieusement que l' on pourroit dire, au mois d' Aoust ensuivant. Et dit Enguerrand de Monstrelet, qu' ils furent * Losure au Palais sur une claye, vestus d' habillemens (j' ay leu dedans un papier journal de ce temps là, d' une tunique de toile où estoient figurees les armes de Pierre de la Lune à l' envers, & aupres de la pierre de marbre, *aux pieds des grands degrez du Palais, fut un *escharfaut levé, & * * monstre à tout le peuple, estant escrit sur leurs Mitres. Ceux sont desloyaux à l' Eglise & au Roy. En fin l' arrest executé en tout, selon sa forme, & teneur. Et apres cela maistre Ursain Taluande, Docteur en Theologie, fit une longue harangue devant tout le peuple, par laquelle il representa le motif de ceste histoire, au grand contentement de chacun. 

Comme les affaires de l' Eglise Gallicane se menageoient de ceste façon en France, d' un autre costé pour reduire les choses en leur premiere union, fut en l' an mil quatre cens & sept tenu un Concil en la ville de Pise, où se trouverent huict vingt Evesques, & Abbez, six vingts Docteurs en Theologie, & une infinité de Docteurs Canonistes, & Civilistes, & quelques Ambassadeurs des Princes Chrestiens, & là, Gregoire 12. & Benoist 13. citez ne comparans, furent pour leurs contumaces destituez de leurs Papautez, & en leur lieu creé Alexandre 5. de l' ordre des freres Mineurs. L' apostume n' estoit encores meure. Ce nouvel ordre apporta un plus grand desordre. Car les deux autres n' y obeyssans, & cestuy se faisant accroire qu' il estoit le Pape legitime, se trouverent trois Papes en un mesme temps. Et ce tiers mesmement au lieu de despoüiller l' ambition de sa teste, soudain apres sa promotion envoya en France pour lever deux Decimes sur l' Eglise Françoise: mais le grand Conseil, & l' Université ne les luy voulurent accorder, & s' y opposa l' Université pour le corps general du Clergé, & suyvant son opposition luy furent deliurez mandemens du Roy, addressez à tous Dioceses pour chasser ceux qui feroient ceste demande. Ce Pape ne vesquit qu' un an, & fut apres son decez creé Jean XXIII. homme d' une vie tres-damnable, & lequel fut accusé d' avoir empoisonné son predecesseur pour parvenir par corruption à ceste dignité Pontificale, à la quelle aussi tost qu' il fut appellé, il commanda une Decime, & encores declara que toutes despoüilles des Ecclesiastics trespassez luy appartenoient. L' Université prit encores vertueusement ceste querelle en main, & pource s' assembla au College de S. Bernard (c' estoit le lieu, où premierement se faisoient les congregations du Recteur) & là est ramenee à effect l' ordonnance de mil quatre cens six encontre Pierre de la Lune, par laquelle il avoit esté arresté que l' Eglise Françoise estoit franche, & par consequent quitte, & exempte de tous dixsmes, procurations, exactions & subsides en quelque façon que ce fust, & furent deputez aucuns de ce corps pour remonstrer au grand Conseil, & au Parlement, que c' estoit à eux de defendre les droits du Roy. Que si le Pape vouloit contraindre par censures Apostoliques le Clergé de France, il en faudroit appeller au futur Concil general: & s' il y avoit personnes Ecclesiastiques, ausquelles fust commise la charge de ceste collecte, il les faudroit punir par saisie, & annotation de leurs biens. Et à ceste fin requeroient l' adjonction du Procureur general du Roy, declarans toutesfois que là où le Pape allegueroit necessité apparente en l' Eglise, seroient assemblez les Prelats pour contribuer par forme de subside charitable seulement, & que les deniers seroient consignez és mains de certains preud'hommes à ce par eux deputez pour les mesnager, & distribuer ainsi que l' on trouveroit bon de faire. Depuis le Roy passa par cest advis, nonobstant les remonstrances de l' Archevesque de Pise, Legat du Pape, qui soustint que qui voudroit empescher ceste cueillette, & levee de deniers, il ne seroit pas vray Chrestien. A quoy resista l' Université fort & ferme, comme contrevenant ceste proposition aux anciens Decrets & Canons, à la Majesté du Roy, & privileges de nostre Eglise, demandant que le Legat eust à revoquer sa parole, ou permission aux facultez de Theologie, & Decret d' escrire contre luy: ostroit neantmoins pour l' union de l' Eglise Latine, & Gregeoise, ou pour la conqueste de la terre saincte contribuer: comme estans les deux cas, pour lequels seulement le Pape pouvoit user d' imposition dessus le Clergé. Et dit l' histoire que le Roy acquiesça pour ce coup aux remonstrances de l' Université. Mais avant que passer plus outre, il me semble que la longueur de ce chapitre merite bien de faire une pause, pour advertir tous les Princes Chrestiens, & speciallement les nostres, de la faute qu' il me semble qui fut commise par Philippes le Bel, lors qu' il attira la Papauté dedans Avignon, source premiere de tous maux. Discours que je reserve par exprez au chapitre suyvant.