mercredi 21 juin 2023

3. 29. De l' ancienneté de Regales en matiere des Archeveschez & Eveschez.

De l' ancienneté de Regales en matiere des Archeveschez & Eveschez. 

CHAPITRE XXIX. 

Je ne fais aucune doute que ceux qui avront les aureilles trop delicates, ne trouvent estrange ces mots d' Appellations comme d' abus, Regales, Oblats, & Dixmes infeodees, comme estans, ce leur semblera, mots plus propres pour l' usage commun des plaidoiries du Palais, que d' une Histoire: & encores avront plus d' occasion de s' en esbahir, quand ils entendront que la Regale est un droict annexé à la Couronne de France, comme l' un de ses plus beaux fleurons, par lequel advenant vacquation de certains Archeveschez, & Eveschez de France, au Roy en appartiennent les fruicts, & collation des Dignitez, Prebendes, & Chappelles, jusques à ce que l' Evesché soit remplie d' un nouveau successeur, & qu' il en ait presté le serment de fidelité au Roy. L' Oblat est le soldat ou gendarme pauvre, qui au service du Roy est demouré percluz, & estropié de l' un de ses membres, en recognoissance dequoy le Roy luy peut assigner ses aliments sur quelques Abbayes & Monasteres, qui se trouvent de la nature. Et les Dixmes infeodees sont celles que les Laiz, & personnes non Ecclesiastiques peuvent legitimement posseder. Car si l' Eglise a ses biens, & fonctions diverses d' avec les personnes Seculieres, qui est celuy je vous pri' qui n' ait juste occasion de s' esmerveiller de cest Ordre, lequel semble de prime face n' apporter qu' une confusion à l' Eglise: la Regale aux Evesques, & Ordinaires, l' Oblat aux Abbez, les Dixmes aux Curez? Souz lesquelles trois qualitez semble presque être comprise nostre Eglise universelle? 
& toutesfois, je puis dire, que tout ainsi que des fragmens soubterrains l' on recueille le plus souvent plusieurs antiquailles d' une Republique, aussi de ces Regales, Oblats, & Dixmes, pouvons nous recognoistre quelques anciennetez notables de la France, que le temps semble avoir ensevelies dedans le tombeau d' oubliance.

Entant que touche la Regale, je confesseray vrayement que pour être un subject qui passe souvent entre les mains de ceux qui manient les affaires du Palais, il y a plusieurs hommes qui en ont faict divers traictez, pour nous enseigner quand, comment, & en quel temps un Benefice vacque en Regale, & quels sont les Archeveschez, & Eveschez qui y sont sujets: mais qui nous en ait donné l' ancienneté je ne l' ay encores veu, & non sans cause. Car s' il y a obscurité en nostre Histoire c' est en ceste-cy. Les uns en rapportent l' origine à Clovis, disans qu' apres qu' il eust desfaict les Visegots, au Concil qui fut tenu souz luy en la ville d' Orleans, le Clergé luy octroya ce privilege: mais nous avons ce Concil en noz mains, & neantmoins il n' en fait nulle mention. Les autres l' attribuent au Concil, qui fut celebré dedans Rome soubz le Pape Adrian, lors que pour gratifier Charlemaigne, on luy permeit de pouvoir investir les Evesques, n' ayans ceuxcy autre tesmoin de leur dire que Gratian, lequel au lieu où il fait mention de ce Concil, dit avoir emprunté cela d' une vieille Histoire, mais qui en a esté l' Autheur, il nous le taist. C' est la cause pour laquelle quelques uns sont d' avis qu' il faut dire de la Regale, ce que presque estoit de la Loy Royale du temps des Empereurs de Rome. Car tout ainsi que ceste Loy fut grandement solemnizee par les Jurisconsultes Romains, publians que par ceste Loy le peuple de Rome avoit transporté en la puissance d' un seul homme tout ce qui estoit de sa Majesté ancienne du temps de la Republique, sans que toutesfois l' on cotte bonnement le temps que fut faicte ceste cession, & transport aux Empereurs: aussi combien que nostre Regale qui fraternize de nom avecq l' autre, soit grandement celebree par la bouche des Advocats de la France, comme une Loy, par laquelle les Prelats ont cedé à noz Roys ce droict de colation des Benefices: toutesfois nous ne pouvons bonnement descouvrir le temps de son origine.

De ma part, a fin que je le tranche court, j' ay tousjours estimé que ce nom de Regale ne luy fut point temerairement donné: & à bien dire, que tout ainsi que nous nommons ce droict, Regale, aussi est-il né avecques nostre Royauté, au moins dés lors que noz Roys eurent receu le sainct Sacrement de Baptesme. Droict qui est tant specialement affecté à la Royauté, que combien qu' un Prince Regent ait toute puissance souveraine au millieu de nous, si ne peut-il conferer les Benefices vacquans en Regale. Ainsi fut-il ordonné en l' emologation de la Regence de Dame Loyse de Savoye, mere du Roy François premier. Pareillement Charles cinquiesme Regent pendant la prison du Roy Jean son pere, fut contraint apres le retour du Roy, d' obtenir un Edict confirmatif de toutes les provisions par luy faites en matiere de Regale. Qui feut du quatorziesme Octobre 1360. verifié en la Chambre des Comptes le quinziesme Janvier ensuivant. Vray que comme toutes autres choses, aussi ceste-cy a pris divers pliz, selon la diversité dés temps, jusques à ce que finalement elle s' est fermee en la maniere que nous observons aujourd'huy. Car s' il vous plaist reprendre les choses de plus haut, on ne doit faire aucune doubte que soubz la lignee de Clovis nul ne pouvoit estre eleu, & receu à Evesque, sans la permission de noz Roys. Meilleur, ne plus fidele tesmoin ne pouvons nous avoir pour cecy que ce grand Gregoire de Tours, qui fut de ce temps là. Que s' il vous plaist repasser, & courir toute son Histoire, à peine que vous trouviez une seule provision d' Archevesché, ou Evesché, que ce ne soit par commandement du Roy, quoy que soit, de son consentement. Qu' ainsi ne soit, vous y lirez uns Onomace, Theodore, Procule, Divise, en la ville de Tours, Monderic, Papole, dans celle de Langres: Cantin à Clairmont, Theeodoze, Innocence, à Rhodez, Domnole au Mans, Sulpice à Bourges, Dodon à Bourdeaux, Loere à Arles, Vice à Vienne: Pasceme à Poictiers, Nomuches à Nantes, avoir esté successivement Evesques, mais par le vouloir de noz Rois: Nonobstant que les Elections des Prelats eussent lieu en France, suivant les anciens Canons & Decrets. Et est cela si certain & arresté en cest Autheur, qu' en tous les endroits où il parle des Provisions des Prelats, il dit cestuy avoir esté pourveu par le commandement du Roy, cestuy-là par son consentement, l' autre pour avoir esté de luy choisi: & sur tout, le Clergé pour un general refrain se rend suppliant envers le Roy, qu' il luy plaise avoir pour agreable l' Election par luy faite, comme estimant qu' elle seroit de nulle valeur, si le Prince n' y interposoit ses parties. Coustume qu' il ne faut point trouver estrange, qui considerera comme les affaires de l' Eglise passoient adoncq', d' autant que nous les empruntasmes nommément des mœurs de l' Empire. Car c' estoit une regle generale, que nul Evesque ne s' osoit immiscer en sa charge, sans que premierement l' Empereur l' eust receu: & est une chose certaine que de tous les peuples, qui butinerent l' Empire, il n' y en eut jamais aucun qui raportast toutes les remarques de la Majesté Imperiale, comme les François. Et tant furent noz Roys jaloux de ce droict, que combien que les Gouverneurs des Provinces eussent presque toute puissance en leurs gouvernemens, toutesfois Rois ne leur donnoient le pouvoir de consentir à telles elections, ains voulurent que l' on eust recours à eux. Et c' est la cause pour laquelle nous lisons qu' apres la mort de Ferrobe Evesque en Provence, Diname Gouverneur de ce pays là, ayant fait pourvoir Albin en cest Evesché, sans en advertir le Roy, Jovin receut commandement expres de luy, d' y en commettre un autre: mais Albin estant decedé avant ce mandement receu, & Diname ayant prevenu Jovin, & fait pourvoir Marcel Diacre, il en fut dechassé, comme ce droict de confirmation dependant nuement de la volonté du Roy, & non d' autre. Proposition qui s' est depuis à bonnes enseignes ramantue soubz la troisiesme lignee de nos Roys.

Si ce privilege fut en nos Rois sous leur premiere famille, il ne faut pas estimer qu' il fust perdu sous la seconde. Car au contraire ceux-cy disposerent des Eveschez avec plus de liberté. Le defaut que l' on reprenoit aux premiers estoit qu' ils en gratifioient les Courtisans, & ceux qui auparavant n' avoient jamais fait profession de Clergie. Tellement qu' estans destinez par le Roy, du jour au lendemain ils prenoient la tonsure, puis les ordres, pour être consacrez. Et c' est la grande clameur qu' en faisoit sainct Gregoire par ses missives à la Royne Brunehaut, & au Roy Childebert son fils, ne s' estant au surplus jamais plainct en aucune de ses Epistres, de l' authorité que nos Roys interposoient en telles affaires. Qui me semble un grand poinct pour le fondement de nostre Regale. Le premier qui apporta de l' abus fut Charles Martel, n' ayant encores transporté en sa famille le nom & tiltre de Roy, ains seulement de Prince des François, ou Maire du Palais. Car il priva licentieusement Rigobert de son Archevesché, pour la donner à Milon Capitaine, qui l' avoit suivy és guerres contre les Sarrazins, & dict Flodoard à la suitte de cecy. 

Hic Carolus ex ancillae stupro natus, ut in annalibus Regum de eo legitur, cunctis qui ante se fuerant, audacior Regibus, non solum ipsum, sed etiam alios regni Episcopatus Laicis hominibus, & Comitibus dedit. 

Ce Charles (dit-il) qui fut engendré d' une servante, comme nous lisons és Annales des Roys, fut plus hardy que tous les Roys du passé: Parce qu' il donna non seulement cestuy, mais aussi tous les autres Eveschez de France à des gens Laiz, & des Comtes. En un Concil tenu sous Pepin, le quatriesme an de son regne, à Vernes, il fut ordonné que les Evesques chastieroient les Religieux ou Religieuses discoles, ou en ce defaut les Metropolitains, que le Roy entendoit distribuer par les Provinces. Dans Rheginon, Charles le Chauve donne l' Archevesché de Treves à Hilduin Abbé, l' un de ses favoris. Bref il ne faut point faire de doute que nos Roys sous ceste lignee n' eussent aussi bonne part aux promotions des Evesques, qu' ils avoient soubs celle de Clovis: & ne me puis persuader qu' ils l' eussent par privilege d' Adrian Pape, en un Concil celebré à Rome. Car il eust donné une chose dont luy, ny tous ses devanciers, n' avoient jamais iouy en ce Royaume, & mesmement à ceux qui en estoient en possession: & aussi que si ceste liberalité eust esté vraye, elle n' estoit point de si peu de recommandation, que les Historiographes, qui florirent sous ceste lignee (je veux dire Aimon, Rheginon, & Flodoard) n' en eussent laissé quelques memoires à la posterité. Desquels toutesfois nous n' en avons aucuns, fors de Gratian, qui est moderne, au regard d' eux, lequel comme j' ay dict, se vante avoir pris l' eschantillon, qu' il nous en donne, d' une ancienne histoire, sans nous donner le nom de l' autheur. Joint que de ce Concil, qui toutesfois estoit de marque, pour l' importance, on n' en trouve rien en tous les quatre tomes des Concils. Parquoy on me le pardonnera, si en cecy, où je voy l' ancienneté le dedire, je n' adjouste foy à Gratian, non plus qu' en la renonciation, qu' il dit avoir esté faite par le Debonnaire, dont il est le premier autheur, la rejettant sur les pactions qu' il dit avoir esté faites entre les Papes & ce bon Roy, desquelles mais que je voye les panchartes bonnes, & asseurees, j' y croiray, & non plustost. Aussi de le croire, ou de croire en cecy, c' est une chose indifferente, & qui ne tombe en article de foy. Ce n' est pas le premier, qui en telles affaires pour faire plaisir aux plus grands, s' en est voulu faire accroire. Nicephore pour favoriser son Prelat, fut si impudent de dire qu' au deuxiesme Concil de Constantinople la Primace de toutes les Eglises fut donnee à l' Evesque Constantinopolitain, au prejudice du Romain. Au contraire au sixiesme Concil, qui fut tenu en la ville de Cartage souz le Pape Boniface I. les Evesques estans en peine de trouver les anciens canons du vray Concil de Nice, Faustin Legat du Pape voulut persuader à toute la compaignie, que par le Concil de Nice, il avoit esté arresté, que si un Evesque accusé avoit esté condamné par ses Evesques comprovinciaux en plain Concil, & qu' il en apellast à Rome, la cause pouvoit être de rechef examinee par le Pape, ou par le Legat qu' il delegueroit sur les lieux, disant qu' il l' avoit ainsi apris. Toutefois fut cest article remis jusques à ce que ces Canons seroient extraicts de l' original du Concil, que l' on disoit être en la ville de Constantinople, par lequel fut trouvé qu' il n' y avoit rien de verité en ce que disoit ce Legat.

Que si lors que l' ambition n' avoit gaigné tel pied en l' Eglise, comme elle a fait depuis, on voulut falsifier les Concils, à l' advantage des autres: je dy Concils mesmement si solemnels, que ceux de Nice & Constantinople, combien devons nous apporter de craintes & regards auparavant que de passer condamnation de toutes les choses que Gratian nous a baillees pour anciennetez asseurees, lors mesmes qu' elles sont sans autheur? Quant à moy, pour ne sortir des termes, & limites de mon discours, je ne puis me persuader que le Debonnaire ait fait la renonciation, dont ce moine parle, en faveur des Papes, pour n' en voir rien qui soit approuvé. Joinct qu' ils n' eussent pas laissé passer si long temps par connivence les Investitures des Evesques faites par les Empereurs, si ce droict leur eust esté delaissé, lesquelles toutefois eurent cours sans destourbier jusques à l' Empereur Henry IIII. Et au regard du Concil que l' on pretend avoir esté faict sous Adrian, s' il est vray (comme je n' y puis facilement condescendre) tant y a que je pense que noz Roys faisoient plus pour les Papes, que non les Papes pour eux: recognoissans tenir de la Papauté un droict, qu' auparavant ils tenoient de leur Royauté: tout de la mesme façon, que les Empereurs avoient estimé tenir les Investitures des Evesques, de la Majesté de l' Empire. 

Mais pour retourner à mon premier discours, encores que la desbauche de l' Eglise sourdit principalement sous ceste seconde famille en la France, si est-ce que la posterité de Charles Martel fut plus retenue que luy en la concession des Eveschez, ne permettans pas aisement qu' elles tombassent és mains de personnes layes, ains sans plus les Abbayes, Doyennez & autres dignitez de l' Eglise. Et neantmoins se donnoient les Eveschez tantost de la pure liberalité de nos Roys, tantost par elections confirmees par eux. Le premier improuvé par les Concils qui furent lors tenus entre nous, & le second approuvé. Car au premier Concil tenu dans Paris, les elections du Clergé, & peuple, furent par l' article huictiesme ramenees en usage, & defendu nommement que nul ne peut être appellé à la dignité Episcopale, que par le commandement du Roy, avec injonctions expresses à tous les Evesques sufragans, & Comprovinciaux, de n' en recevoir par autre voye, sur peine d' excommunication. Et au cinquiesme Concil d' Orleans article dixiesme, estoit porté. 

Ut nullum Episcopatum donis, aut comparatione liceat adipisci, sed cum voluntate Regis, iuxta electionem Cleri, ac plebis, sicut in antiquis Canonibus scriptum continetur, consensu Cleri ac plebis, à Metropolitano, vel quem Vice sua miserit, cum provincialibus Pontifex consecretur. 

Que nul (dit-il) ne parvienne aux Eveschez par dons, ou argent, ains par election du Clergé, & du peuple, avec le vouloir du Roy, ainsi qu' il est escrit aux anciens Canons, qu' il soit par le consentement du Clergé, & peuple consacré par le Metropolitain, ou son vicegerant, avec les autres Evesques. Qui est un Concil Gallican, par lequel vous voyez l' authorité du Roy être receuë pour les Eveschez, moyennant qu' elle soit jointe avec les elections. Suivant lequel on trouve une Epistre du Pape Formose à Foulques, Archevesque de Rheims, en laquelle il le reprend de ce qu' il ne vouloit consacrer Bertaire, qui avoit esté appellé à l' Evesché de Chaalons par election du Clergé, & consentement du Roy Eude. Et Hincmare, predecesseur de Foulques, qui siegea à Rheims l' espace de trente cinq ans, escrivit à Hilduin Abbé, qu' il moyennast envers Charles le Chauve, que l' on pourveust à l' Evesché de Terouanne par election: & depuis à Hugues autre Abbé, qu' il feist le semblable envers les Roys Louys, & Carloman, pour l' Evesché de Noyon suyvant les anciennes traces de leurs predecesseurs, & dit Flodoard qu' il adjousta à sa lettre ce qui s' ensuyt. Adiungens sacrorum Canonum promulgatam super electione canonicam authoritatem, & ostendens quod non Episcopi de palatio præcipiantur eligi, sed de propria qualibet Ecclesia: & quod de ordinando Episcopo, non Regis, vel Palatinorum debet esse commendatio*, sed cleri, & plebis electio, & Metropolitani in electione dijudicatio: deinde terreni Principis consensio, & sic fieri Episcoporum manus impositionem. Qui est à dire, Adjoustant à toutes ces remonstrances l' authorité ancienne des saincts Canons sur le fait des elections, & monstrant que ce n' estoit pas de la Cour du Roy qu' il falloit prendre les Evesques, ains de leurs propres Eglises & Dioceses: & qu' en l' ordination d' un Evesque, il ne falloit les recommandations ny du Roy, ny des Courtisans, mais l' election faite par le Clergé, & le peuple, puis la confirmation de l' election faicte par le Metropolitain, & en apres le consentement du Prince terrien. Et ce fait, les autres Evesques procedent puis apres à l' imposition des mains dessus cest esleu. Qui est un passage merveilleusement poignant, & à propos, pour monster de quelle façon on procedoit lors regulierement dans ce Royaume aux provisions des Evesques: Et sur tout, que nul Evesque ne pouvoit recevoir l' imposition de la main, jusques à ce que le consentement du Roy y eust passé. De toutes lesquelles choses nous pouvons recueillir que jamais l' on ne fit ny sous la premiere, ny souz la seconde lignee de nos Roys doute, qu' ils n' eussent bonne part à la promotion des Archevesques & Evesques. Car quant aux Abbayes, cela leur estoit tellement tourné non en coustume, ains en nature (comme il sera touché en son lieu parlant des Oblats) que nos Roys faisoient estat, qu' à eux seuls appartenoit la collation d' icelles. Au demeurant ne faut faire doute qu' ils n' appropriassent à eux le revenu des Eveschez quands ils vacquoient, & ce, peut être, pour autant qu' estant l' Eglise vefve & destituee de son espoux, & pasteur, elle n' en pouvoit pendant son interject de temps avoir plus fidele, & certain, que le Roy general patron, pasteur, & protecteur de ses Eglises. A ce propos lisons nous dans Flodoard, que Foulques Archevesque de Rheims, ayant l' œil, & l' aureille du Roy Charles le Simple son maistre à commandement, obtint unes bulles du Pape Formose, par lesquelles il vouloit qu' avenant le decez d' un Archevesque de Rheims, il ne fust permis aux Roys d' employer à leurs usages le revenu de l' Archevesché, ains qu' il fust reservé au futur successeur. Privilege que l' Archevesque de Rheims ne pouvoit obtenir, sinon pour se dispenser du droict commun de la France, introduit en faveur de noz Roys. Privilege toutes fois qui s' esvanoüit en fumee par la mort de Foulques, avec sa faveur. Par ce que non obstant ces bulles, il est certain que l' Archevesché de Rheims vacqua en Regale. Et n' estoit ceste coustume mal receüe de nos Prelats, ains d' une chose se plaignoient-ils seulement que noz Roys non contens de ceste iouyssance des fruicts, surpris par les embusches de leurs Courtisans, pendant ceste possession se disposoient d' aliener les biens immeubles des Eglises, lesquels ils assignoient à uns & autres en fiefs: Comme nous lisons qu' avoit fait Charles le Chauve pendant la destitution d' Ebon Archevesque de Rheims: & neantmoins à la postulation, & requeste d' Hincmare depuis restitua ce qui avoit esté par luy aliené. Et voyons en un Concil tenu à Mets sous le mesme Roy, que les prieres & supplications des Prelats tendirent principalement à ce qu' il luy pleust deleguer par les Provinces des Baillis (qu' ils appelloient Missos) pour cognoistre des alienations induës de telle nature de biens, a fin de les reincorporer aux Eglises, dont elles avoient esté eclipsees.

3. 28. Du Concil de Trente,

Du Concil de Trente, & que l' Appel comme d' abus est un moyen par lequel on se peut pourveoir contre toutes les entreprises qui se font au prejudice des Libertez de nostre Eglise Gallicane. 

CHAPITRE XXVIII. 

Il y a doncques quatre pilliers sur lesquels est fondé l' Appel comme d' abus, la contravention aux saincts Decrets, aux Ordonnances Royaux, aux Arrests du Parlement, & l' Entreprise de Jurisdiction sur la seculiere. Pilliers que nous ne pouvons dire être nouveaux en ceste France. Car jamais ne fut que n' ayons combatu pour la manutention, & des saincts Decrets, & des Ordonnances du Roy, & des Arrests du Parlement depuis son establissement. Et quant à l' entreprise de Jurisdiction, bien que nous nous fussions relaschez, toutesfois depuis la venuë de Maistre Pierre de Congneres Advocat du Roy au Parlement, on ne passa plus par connivence ce desordre. Vray que tout ainsi que le Diamant brusque reçoit polissure par la main du bon Lapidaire, aussi l' Appel comme d' abus nous a apris de les sçavoir mettre en œuvre quand les occasions le requierent. Qu' ainsi ne soit, s' il advenoit maintenant qu' un Pape voulust de son authorité, envoyer en France un Legat, sans ample consentement du Roy, & de ceux qui y ont le principal interest en la France, nous ne tomberions en ce labyrinth, auquel se trouva Nanterre d' appeller du Pape à sa saincteté mieux conseillee: mais appellerions comme d' abus de l' execution (ou pour user du mot ordinaire de la fulmination) de ceste Legation, comme estant une entreprise sur les Ordinaires, au prejudice des saincts Decrets, qui leurs ont baillé leurs authoritez en & au dedans de leurs Dioceses. En cas semblable, s' il estoit advenu que par mal talent le Pape meit en interdiction le Roy, & son Royaume, pour l' exposer en proye au premier occupant, encores que nous fussions sur noz pieds d' en appeller au Concil futur: si est-ce que sans entrer en ceste involution, choisissant la plus courte voye, l' Appel comme d' abus nous y peut apporter remede, comme estant cecy une entreprise faite, non seulement contre les saincts Decrets, mais contre la parole expresse de Dieu, qui est plus forte, par laquelle il ne veut point que la Jurisdiction Ecclesiastique ait aucune puissance sur la Temporelle. Pour le faire court, nous pouvors sur ces modelles nous pourvoir contre toutes les entreprises qui pourroient être faites en la Cour de Rome, tant contre le Roy que les Ordinaires, voire contre les dispenses mesmes, quand on voit que par surprise, & obreption que l' on a fait au sainct Siege, elles tournent plus à la destruction, qu' edification de l' Eglise: Autrement, disoit Gerson, ce n' est user de la plenitude de puissance, mais abuser plainement de sa puissance. Et generalement nous pouvons user de ce remede contre tout ce qui viendra de Rome, qui sera prejudiciable à l' une de ces quatre propositions, esquelles nous avons reduit toutes les Libertez anciennes de nostre Eglise Gallicane. Et c' est pourquoy encores que le Pape en tous les mandemens qu' il decerne aux Ordinaires, leur enjoigne de proceder par Authorité Apostolique, quoy faisant ce seroit apporter prejudice à noz privileges: nous reduisons l' execution de ceste puissance Apostolique à l' Ordinaire, pour y observer les voyes Juridiques de France. Que si le Juge par luy delegué en usoit d' autre façon, & que l' on en appellast comme d' abus, on casseroit indubitablement tout ce qui avroit esté par luy edifié sur ces Bulles: voire que nous passons encores plus outre. Car combien que par les decisions communes de toute l' Eglise, le Concil general & universel fait par dessus la puissance du Pape: Toutesfois nous ne sommes tenus en ceste France d' obeyr à tels Concils, s' ils innovoient chose aucune au desadvantage de ces quatre fondemens generaux. Cela fut cause qu' au Concil de Constance fut envoyé Maistre Jean de la Riviere Advocat, pour être Procureur du Roy & depuis en son lieu, commis Maistre Jean Champenois le vingt-sixiesme Juin mil quatre cens seize, pour defendre les droicts & privileges de nostre Roy. Et par ce que ceste proposition pourra sembler trop hardie, il me plaist de la vous prouver par un exemple qui est né depuis trente ans en çà au milieu de nous. 

Chacun est assez informé quel a esté le Concil de Terente, Concil, puis-je dire, qui est accompagné de plusieurs belles, & sainctes resolutions: Et mesmes en tout ce qui regarde la doctrine de nostre Foy, je puis dire comme chose tres-veritable, que c' est un abregé & recueil de tous les anciens Concils qui sont approuvez de l' Eglise. Or comme ainsi soit qu' apres plusieurs remises, il en fut en fin parachevé & conclud au plus fort des troubles de ceste France, & que la plus part de noz querelles procedassent de ce que ceux, qui se sont separez de nostre Religion, tendent principalement au terrassement du sainct Siege de Rome, mesmes que les pays d' Allemaigne, Angleterre, & Escosse s' en soient distraits, ceux qui se trouverent en ce Concil, pour faire contre-teste aux autres, voulurent de tant plus s' estudier à l' exaltation de la Papauté. Et de fait en toutes les reformations qu' ils apporterent à l' Eglise, ils voulurent que les Archevesques & Evesques y procedassent en leurs Dioceses de l' authorité Apostolique, & comme Vicegerans du Pape, pour monstrer en quel honneur, respect, & reverence, il falloit avoir le sainct Siege. Qu' ils peussent d' une Eglise parrochiale en faire deux en forme de secours, si la necessité les semonnoit de ce faire, au contraire de deux en faire une, quand la pauvreté estoit si grande à chacune, qu' il n' y avoit assez pour substanter leurs Pasteurs: Qu' il leur fust loisible de bailler Vicaires aux Curez negligens, & les salarier deuëment du revenu de la Cure: De mettre nombre suffisant de Prestres en une Eglise qui le merite, pour sa grandeur & frequence de peuple: De transferer une Eglise ruinee par guerre, ou ancienneté, d' un à autre, quand d' ailleurs elle ne peut être restablie en son ancien manoir. Qu' il leur fust permis de reformer les Abbayes, & Prevostez de leurs Dioceses par saisie de leur temporel. D' avantage qu' ils fussent executeurs de toutes dispositions pitoyables faites tant par donations entre vifs, que prenans traict à mort, eussent toute intendance sur les Hospitaux, Maladeries, Colleges, Confraities, & de toutes choses qui dependoient des Aulmones, & Charitez. Ouyssent les comptes mesmes des Marguilliers, & Fabriques, encores que l' exercice de toutes ces choses en appartint à gens Laiz: nonobstant tous Privileges, ou Coustumes à ce contraires, sinon que par la fondation de l' Eglise, ou Fabrique, il eust esté autrement ordonné. Auquel cas en rendant compte à d' autres, toutesfois si faudroit-il appeller l' Evesque, sur peine de nullité: Que les Evesques s' informeroient de la suffisance des Notaires Apostoliques, Imperiaux, & Royaux, & ne les trouvans suffisans, ou qu' ils eussent commis faute en leurs estats, ils les pourroient destituer ou suspendre, selon l' exigence des cas, nonobstant oppositions, ou appellations quelconques, & sans prejudice d' icelles. En toutes lesquelles particularitez nous avons trouvé tant de repugnance, & contravention à noz anciennez libertez, que jamais nous ne peusmes nous induire à recevoir ce Concil. Car premierement, d' oster à l' Evesque la reformation des Eglises de son Diocese, & ne luy en bailler sinon de tant qu' il luy en est distribué du sainct Siege, nous estimons, que c' est contre les anciens Decrets, & Canons, approuvez de nostre Eglise Gallicane. Ainsi c' est fouler les Evesques, & encores leurs inferieurs: de tant qu' en les reformant s' ils pretendoient leur être fait quelque grief, ce seroit leur oster le moyen d' avoir recours par appel au Superieur de leur Evesque, qui est contre la texture, & police des procedures, qui nous sont prescrites par la Pragmatique Sanction, qui n' a esté en cecy suprimee par le Concordat fait entre le Pape Leon & le Roy François premier. D' avantage laissant à part ceste entreprise, qui se faict d' Ecclesiastique sur l' Ecclesiastique, encores establit-on icy un nouveau Royaume, au prejudice des Roys, Princes, Barons, & des Jurisdictions temporelles, voulant que les Evesques procedent par saisie du temporel: Eux qui n' ont de droict divin, que la Censure pour toute cohertion & reprimende. Qu' ils cognoissent sur gens Laiz de reddition de comptes, ores qu' ils n' ayent Jurisdiction sur eux que des choses qui concernent les Sacremens de l' Eglise, & au bout de tout cela qu' ils puissent deposer des Notaires Imperiaux & Royaux. Qui seroit en bon François reduire les choses en ces anciens abus, qui furent reformez sur les memoires de Congneres, a fin que je ne discoure icy plusieurs autres particularitez de mesme suject, lesquelles je passe de propos deliberé, me contentant seulement de monstrer que noz privileges sont tels, que si un Concil, voire fut-il general, entreprend chose aucune sur eux, nous ne sommes obligez de le suivre. Et cecy me fait souvenir d' une opinion, que tint autresfois Maistre Nicole de Clamengis Docteur en Theologie de Paris, en une Epistre qu' il escrivoit à un sien amy escolier, sur le Concil de Constance, quand il disoit qu' il eust esté plus expedient de restituer la paix en l' Eglise, que de faire tant de Constitutions nouvelles, que l' on avoit faites en ce Concil, lesquelles n' avoient esté jamais cogneuës aux autres Concils precedans. Estant les nouveautez en tous schismes, tres dangereuses, & souhaittoit que les actes eussent esté authorizez, ou de la saincte Escriture, ou des saincts Decrets, ou des Concils approuvez, ou bien qu' ils eussent rendu quelque raison de leur dire. En quoy paravanture estoit ce bon Docteur trop difficile à contenter. De ma part, encores que je sçache bien que selon la corruption des mœurs il faut proceder à nouveaux remedes, si seray-je tousjours d' avis qu' il faut esprouver en chaque suject toutes extremitez, avant que d' annuller une loy ancienne, & qu' il n' y a chose en la Republique, où le souverain Magistrat doive apporter tant de circonspection, crainte, & prudence, qu' en la novalité de la Loy. Je ne suis point icy exposé pour controller ce grand Concil de Terente: mais j' eusse souhaité (je le diray si je puis avec le gré, & congé de ceux qui liront mes Recherches) que la devotion qu' on y apporta, eust esté accompagnee de toutes les parties, que les sages desirent en un bon zele, & qu' en anathematizant ceux qui sont heurtez contre le sainct Siege, ils n' eussent appresté matiere aux autres, qui ne s' en veulent soustraire, de n' obeïr à ce Concil, pour la plus part des constitutions qui y sont comprises, dont l' ancienneté n' avoit jamais esté repuë. Car en ce faisant, on a armé les adversaires du saint Siege, de ses propres armes contre luy. Et qui admettroit tous ces Decrets, au lieu de moyenner un ordre, on y apporteroit un desordre, & une Monarchie, non jamais veuë, au millieu de la nostre. C' est pourquoy sagement nous ne l' avons voulu admettre en France, encores qu' à chaque occurrence d' affaire les courtizans de la ville de Rome nous couchent tousjours de la publication de ce Concil, par lequel en un traict de plume le Pape acquerroit plus d' authorité qu' il n' avroit peu faire dés & depuis la fondation de nostre Christianisme.

Que si les libertez de nostre Eglise Gallicane sont de telle efficace & vertu, que ny l' authorité d' un Pape, ny d' un Concil, ne les puisse abroger, comme estans fondez sur une raison saincte & generale, qui ne peut recevoir alteration par le temps: raison, dy-je, qui ne tend qu' à l' edification de l' Eglise universelle, & destruction des schismes, avarice, & ambition, meres nourrices de l' heresie & de l' erreur, certes il ne faut trouver estrange si nous avons introduit entre nous cest Appel comme d' abus. Car lors toutes choses iront, & sainement, & sainctement en l' Eglise de Dieu, quand chacun demeurera dedans les bornes de son devoir, pour l' entretenement duquel fut l' Appel comme d' abus trouvé. Et si en tels objects & rencontres d' affaires il se trouve y avoir de l' abus, nul laps de temps, nul pretexte emprunté d' une longue ancienneté, nulle excuse rejectee sur la dignité de ceux qui s' en prevalent ne le peut authorizer.