mardi 27 juin 2023

4. 11. Sçavoir si la proposition que l' on tient aujourd'huy au Palais, que le Roy ne plaide jamais dessaisi, a esté tousjours observee en France.

Sçavoir si la proposition que l' on tient aujourd'huy au Palais, que le Roy ne plaide jamais dessaisi, a esté tousjours observee en France.

CHAPITRE XI.

Puis que l' on tient aujourd'huy au Palais par commune reigle, que le Roy ne plaide jamais dessaisi, je veux croire que la proposition est tres bonne. Le temps qui polit toutes choses nous l' a apprise. Bien diray-je que nos anciens Roys ne nous enseignoient pas cette leçon: & de cela j' ay plusieurs remarques que je rapporteray icy des vieilles Ordonnances de la France, telles que je les trouve en Latin. Au quatriesme Livre des Loix de Louys le Debonnaire, article quatriesme. Si servi quorumlibet dominorum ad fiscum nostrum confugerunt, & à Dominis, vel eorum advocatis repetentur, si fisci nostri procuratori visum fuerit quod hi ad dominium nostrum pertineant, eos de fisco nostro expellat, & postquam à repetitoribus recepti fuerint, cum eis legitimam actionem habeat, ac eos si poßit, in dominium nostrum evendicet. Les Serfs anciennement faisoient part & portion de nostre tres-fonds, & estoient desnombrez dans nos anciens adveuz, tout ainsi que les autres choses que nous tenions de nos Seigneurs feodaux. Voila comme Louys le Debonnaire declaroit qu' il n' entendoit pas que si son Procureur pretendoit qu' ils luy appartinssent, il les saisist & arrestast, mais vouloit qu' ils fussent rendus à leurs pretendus Seigneurs, pour puis faire telle poursuitte en Justice par son Procureur qu' il penseroit de raison. Je vous ay cy-dessus discouru les anciens droicts de Bourgeoisie du Roy, & fait estat de l' Ordonnance de Philippes le Bel de l' an 1302. Voyez celle qu' il feit à la suitte de celle-là. Volumus quod ordinatio Burgesiae per nos, & consilium nostrum factae diu est, super Burgensibus custodiatur, & firmiter teneatur, & si contingeret quod emergeret quaestio, quod gentes nostrae requirant aliquem, tanquam Burgensem nostrum, recredentia fiat de illo, per eum qui illum tenet: Si ita sit quod in caussa recredentiae teneatur. Et inquisita veritate super negotio, vocatis his qui fuerant evocandi, negotium executioni demandetur, ut ius, & bona consuetudo patriae postulabunt, servata tamen ordinatione Burgesiarum per consilium nostrum edita. De qua copiam habebit qui eam voluerit habere, & legere.

Cela veut dire que si un serf est demeurant en & au dedans de la Seigneurie d' un Seigneur haut Justicier, la recreance luy en sera adjugee, nonobstant qu' il fust vendiqué par le Procureur du Roy, comme aussi le semblable seroit fait au profit du Roy, si celuy pour lequel la cause avroit esté intentee, se tenoit en une ville Royale, & en termes beaucoup plus formels, fut l' Ordonnance de Philippes de Valois 1344. pour toutes occurrences de cas.

Hac in perpetuum valitura constitutione sancimus, ut si quis procurator noster movere voluerit, vel moveat litem super re, vel iurisdictione quacumque contra possidentem, non dessassiatur, neue turbetur poßidens, nisi prius causa cognita, nec ad manum nostram res litigiosa ponatur, nisi in casu in quo si lis esset inter privatos, res ipsa contentiosa ad ipsam manum tanquam superiorem poni deberet: Et si poßidens, vel saisitus lite pendente utatur in casu praemisso iurisdictione, vel re contentiosa, declaramus ipsum non posse, vel debere super attentatis impeti propter hoc, vel etiam molestari. L' on tient que cette proposition s' est changee avecques le temps, mais tousjours a esté grandement celebré le jugement de l' Empereur Auguste duquel Suetone recite, Quod bona publica iuris ambigui, possessoribus adiudicavit, id est, de quibus ambigebatur an privatorum essent, an ad publicum pertinerent: Quia nimirum possessorum melior esset conditio.

4. 10. Pourquoy en matiere de cession de biens l' on fait abandonnement de sa ceinture devant la face du Juge.

Pourquoy en matiere de cession de biens l' on fait abandonnement de sa ceinture devant la face du Juge.

CHAPITRE X.

La cession de biens est une infamie de faict, non de droict, disent nos Docteurs, c' est à dire qu' elle blesse la reputation d' un honneste homme, mais pour cela ne luy faict encourir les taches qui accompagnent les infamies de droict. C' est pourquoy encores qu' il ne soit permis de fermer la porte à ceux qui veulent faire cession de biens, si est-ce que nos anciens par un sage esprit ne voulurent permettre qu' elle fust aisément ouverte, pour le moins y voulurent ils apporter quelques pudeurs, a fin que chacun dedans sa maison ne fust facilement induit à ce remede des miserables, comme ressource de ses maux. Les Docteurs d' Italie disent qu' en leur pays celuy qui faisoit abandonnement de ses biens, estoit tenu de frapper trois fois du cul sur une pierre en la presence du Juge: Qui estoit une demie amende honorable. Dans la ville de Lucques l' on portoit un chapeau, ou bonnet orenger: Et en cette France par la Coustume de la Val, un bonnet verd, comme signe que celuy qui faisoit cession de biens, estoit devenu pauvre par sa folie. Ainsi fut-il jugé de nostre temps par sentence du Juge de la Val, contre Guillaume Butugny au profit de Marin je Moine le 9. Septembre 1580. Laquelle fut depuis confirmee par Arrest du 26. Juin 1582. Or entre nous, nostre coustume n' est pas si rude que celle du bonnet verd, mais encores y apportons nous une ceremonie, qui est que celuy qui abandonne ses biens, est tenu par mesme moyen d' abandonner sa ceinture en justice. En l' arrest donné par le Grand Conseil le 25. May 1453. contre Jacques Cueur, il estoit porté nommément qu' il feroit amende honorable sans chaperon & ceinture. Il n' estoit pas lors question d' une simple cession de biens, ny de peu, & neantmoins il fait mention expresse de la ceinture avec le chaperon, l' un representant l' honneur qui gisoit au chaperon, l' autre les biens, qui gisoient en la ceinture, comme si on eust voulu que par la perte de la ceinture il perdoit aussi tous ses biens: Mais d' où vient cette ancienne usance? La ceinture nous estoit comme une lettre hieroglyphique des biens: car aujourd'huy ainsi que nous en usons, il n' y a rien qui symbolise avec cela. Maistre Guillaume Fournier Docteur Regent d' Orleans a fait sur ce sujet un chapitre expres, au second Livre de ses Selections, où il va rechercher cette coustume mal à propos dans les anciennetez de Rome. Je laisse ce qu' il en a dit, sans rien vouloir emprunter de luy. Mon opinion est que cela vint de ce que nos ancestres avoient accoustumé de porter en leurs ceintures tous les principaux outils de leurs biens. L' homme de robbe longue, son escritoire, son cousteau, sa gibbeciere, ses clefs: l' escritoire pour gaigner sa vie, le cousteau pour viure, la gibbeciere pour retirer ses deniers, les clefs qui ouvroient, ou fermoient sa maison, & ses coffres. Le semblable faisoit le marchand, & le gendarme son espee, & son escarcelle. Tellement que si de nostre ceinture despendoient tous les instrumens qui servent à viure, à conserver & entretenir nos familles, il ne faut point trouver estrange que l' on estimast l' abandonnement de la ceinture, representer aussi l' abandonnement de nos biens. Et de ce pouvez vous presque estre asseurez d' un passage d' Enguerrand de Monstrelet au 18. Chapitre du premier Livre de son Histoire, où il dict que Philippes premier de ce nom,   Duc de Bourgongne estant mort, sa vefve renonça à ses biens meubles, craigmant les debtes, en mettant sur la representation sa ceinture, avecques sa bourse, & ses clefs, comme il est de coustume, & de ce demanda acte à un Notaire public, qui estoit là present. Ce sont les propres mots du texte. Il n' est pas, qu' en commun langage quand nous voulons dire qu' une femme a renoncé à la communauté de son mary, & elle, nous disons qu' elle a mis les clefs sur la fosse. Qui me fait dire qu' avecques la renonciation judiciaire, il falloit encores la ceremonie exterieure des clefs. Et à ce propos j' estime que pour bien user de la cession des biens, il faudroit en quittant sa ceinture, quitter par mesme moyen son escarcelle, & ses clefs: Car quant au cousteau, & à l' escritoire, cestuy-là estant l' outil dont nous usons pour manger, & cestuy pour procurer nostre vie, nos creanciers ne nous peuvent envier, ny l' un ny l' autre: Au contraire nous leur pourchassons leur bien, revenans en une plus heureuse fortune, par le moyen de laquelle, en nous acquittons de nos debtes, nous pouvons r'entrer dans nos biens, s' ils ne sont vendus. J' ay touché ce discours dans l' une de mes lettres, mais non si amplement comme en ce lieu.