jeudi 29 juin 2023

4. 25. Contre l' opinion de ceux qui estiment que l' invention du Quadrant des Mariniers, est moderne.

Contre l' opinion de ceux qui estiment que l' invention du Quadrant des Mariniers, est moderne.

CHAPITRE XXV.

Le Quadrant des Mariniers, appellé par les Italiens Boussole, est une invention admirable qui court sur mer pour se recognoistre lors que l' on a perdu tout jugement de son adresse. Or quel moyen ils y tiennent, je le vous diray. L' estoile Polaire, qui fait la queuë de la petite Ourse, ainsi nommee, pour estre la plus prochaine de celles qui sont pres du Pole Artique, est appellee en la mer Mediterranee, par les Italiens Tramontane. L' Aimant est une pierre noire tirant sur la nature du fer. Et a en soy un esprit vif respondant aux quatre parties du monde, ainsi que les Philosophes estiment. De sorte que l' aiguille de fer frotee de la pierre d' Aimant, tourne, & vire incessamment dans son Quadrant, ou Boussole, jusques à ce que la pointe ait esté opposee à la Tramontane: Car lors elle demeure toute coye. Qui fait que les Mariniers usans de cette estoille fixe, comme d' un centre, auquel s' addresse toute la circonference de leur navigation, apres avoir jugé où est le Septentrion, ils jugent tout d' une suitte où est leur midy, qui luy est opposite: & pareillement le Levant, & le Couchant. Chose qui leur sert de guide certain à leur navigation. Cette aiguille se met chez nous dans une figure quarree. Qui est la cause pour laquelle nous l' appellons Quadrant. Les Italiens la mettent dans une petite boüette, qu' ils appellent en leur langage Boussole. Quelques uns estiment que ce soit invention moderne trouvee par les Portugois, depuis leurs grandes navigations és terres incogneuës à nos anciens Geographes: Toutesfois la verité est qu' ils s' abusent. Car dés le temps mesme de Jean de Mehun cette invention estoit en usage, comme nous apprenons de ces trois vers.

Un Marinier, qui par mer nage, 

Cherche mainte terre sauvage, 

Tant il a l' œil en une estoille.

Cela est dit par luy en passant, & comme nous monstrant au doigt que

dés lors les Nautonniers avoient recours à cette estoille, pour s' asseurer de leurs addresses. Mais Hugues de Bercy, qui estoit sous le regne de S. Louys, nous en fait une ample description en sa Bible Guyot, quand il souhaitte que le Pape ressemblast a cette Estoille.

De nostre Pere l' Apostoile

Voulsisse qu' il semblast l' Estoile, 

Qui ne se muet, moult bien le voyent 

Le Maronniers qui s' y avoyent: 

Par celle Estoille vont & viennent, 

Et lor sens, & lor voye tiennent, 

Celle est attachee, & certaine, 

Ils l' appellent la Tremontaine

Toutes les autres se remuent,

Et lor lieux rechangent, & muent,

Mais cette Estoille ne se muet.

Un art font qui mentir ne puet,

Par vertu de la Mariniere,

Une pierre laide, & noiriere,

Où le fer volontiers se joint,

Et si regardent le droit point,

Puis que l' aiguille l' a touchié,

Et en un festu l' ont fichié.

En liau le mettent sans plus,

Et li festus li tient dessus:

Puis se tourne la pointe toute

Contre l' Estoille, si sans doute

Que iaper rien ny faussera,

Ne Maronniers n' en doubtera:

Quand la nuict est obscure & brune,

Qu' on ne voit Estoille, ne Lune,

Lors font a l' aiguille allumer, 

Puis ne peuvent-ils s' esgarer:

Contre l' Estoille va la pointe,

Perce sont li Maronniers cointe

De la droitte voye tenir:

C' est un ars qui ne puet mentir:

Là prennent la forme, & le molle,

Que celle Estoille ne se crolle,

Moult est l' Estoille belle, & claire: 

Tel devroit estre le Sainct Pere,

Clercs deveroit estre, & estable.

Là vous voyez que Bercy appelle l' Aimant la pierre Mariniere, comme unique, quoy que soit principal instrument de leur conduite, & la Tramontaine, cette Estoille que l' on appelle autrement le North: Puis nous enseigne qu' une aiguille de fer ayant esté frottee de cet Aimant, tourne tousjours jusques à ce qu' elle ait arresté sa pointe vers cette Estoille. Tellement que quand pour l' obscurité de la nuict les Nautonniers ne voyans ny Ciel, ny terre, ny mer, ont perdu toute cognoissance de leur route, apres avoir fait allumer une chandelle & dressé leur Quadrant, ou Boussole, ils jugent là estre le North, où ils voyent la pointe de leur aiguille s' arrester: & de là ils font jugement de la voye qu' ils doivent tenir. Toutesfois il faut noter qu' en cette description il y a une particularité qui n' est aujourd'huy en usage: Par ce que lors on mettoit trois ou quatre festus l' un sur l' autre dans l' eau, & sur iceux asseoit-on l' aiguille: maintenant nous la mettons sur une petite pointe de leton dans nostre Quadrant: Mais tant y a que de ce passage vous pouvez recueillir que l' usage de la Tramontane, & Boussole, n' est une invention nouvelle, ains tres-ancienne sur la marine.

Contre l' opinion de ceux qui estiment que l' invention du Quadrant des Mariniers, est moderne.


4. 24. Invention de l' Artillerie, & Imprimerie.

Invention de l' Artillerie, & Imprimerie.

CHAPITRE XXIV. 

Encores que l' invention de ces deux manufactures ne soit nostre, si est-ce que leur usage nous estant familier & commun, de l' une pour le fait de la guerre, & de l' autre pour la paix, je croy que l' on ne trouvera point mauvais, si je vous touche icy deux mots de ceux qui en furent les inventeurs & en quel temps. En quoy je vous puis dire cela estre advenu de mesme façon, que j' ay veu advenir en la France sous le regne de Henry deuxiesme, quand il envoya à Rome, Malras autresfois marchant Tholozan, & depuis maistre d' hostel de la Royne sa femme, & l' Evesque d' Aix a Constantinople. Celuy-là pour estre Ambassadeur pres de nostre S. Pere le Pape, & cestuy-cy, pres du grand Turc. Vous jugerez par cette premiere demarche que je me mocque. Non fay certes. Le semblable est-il advenu sur le suject qui se presente. D' autant que l' inventeur de l' Artillerie, fut un Moine, & de l' Imprimerie un Chevalier: l' un & l' autre Allemans. N' est-ce pas en cecy vrayement l' histoire d' un monde renverse? Le Moine se nommoit Bertold Scuvards de l' Ordre de S. François, qui vivoit en l' an mil trois cens cinquante quatre. Et pense en ma conscience qu' il estoit yssu de ce malheureux Salmonee, lequel pour avoir voulu representer les foudres de Jupiter, est despeint par les Poëtes anciens tres-mal traitté en leurs enfers. Hé vrayement il ne fut pas dit sans raison par un grand Philosophe, qu' il falloit que celuy qui se voüoit à la solitude, fust, ou un Dieu, ou un diable: ny par les nostres en commun proverbe, que l' habit ne faict pas le Moine.

Au regard de l' Impression, si vous parlez à celuy qui à fait l' histoire du Royaume de Chine, és Indes Orientales, il vous dira que de toute ancienneté l' impression y estoit en usage, & long temps auparavant qu' elle prist pied en l' Europe. Ce que l' on ne peut dire de tout le demeurant de l' Univers. Et par especial en nostre Christianisme nous n' avions (si ainsi voulez que je le die) autres Imprimeurs que les Monasteres, aux Librairies desquels avions recours, comme magasins des livres manuscripts, qui plus, qui moins, selon le zele & devotion que les Religieux avoient apporté à l' estude des bonnes lettres. Le premier qui nous garentit de cette necessité, fut Jean Guttemberg Gentil homme demeurant en la ville de Majence, fassant profession des armes. Ainsi nous l' enseigne Polydore Virgile, en son second livre des inventeurs des choses. Munster en sa Cosmographie y adjouste cette particularité, qu' ayant inventé la maniere d' imprimer il ne la voulut tout aussi tost esventer, ains demeura plusieurs ans, l' estoufant de toutes façons, a fin que son invention voyant l' air ne s' esvanouyt point en fumee: & dit le mesme autheur qu' il la divulgua l' an 1457. Nostre docte Veigner (Vignier), au second tome de sa Bibliotheque historiale est de mesme opinion, & neantmoins dit que quelques uns en attribuoient l' invention à un Joannes Faustius. Je veux croire qu' il y a faute en l' impression, & qu' au lieu de Faustius, il faut lire Fustius. Qui ne seroit pas sans propos. Parce qu' il est autresfois tombé entre mes mains un livre des Offices de Ciceron, imprimé sur du parchemin, à la fin duquel livre estoit ce placard: Praesens Marci Tullij clarissimum opus, Ioannes Fust. Maguntinus civis, non atramento, non plumali canna, neque aerea, sed arte quadam pulchra, manu Petri Genriseni pueri mei, foeliciter effeci. Finitum anno mill. iiiic.lxvi. quarta die Februarij. Eloge duquel vous pouvez recueillir qu' en ce livre fut fait le premier coup d' essay de l' impression, lors fraischement inventee. Autrement il eust esté un grand sot d' en faire un si grand fanfare. Et à tant pour ne me detraquer de l' opinion commune, je me fay accroire qu' à Jean Guttemberg est deuë la premiere invention de l' Imprimerie, & que Jean Fust est celuy qui en fit la premiere espreuve sur la leçon qu' il avoit apprise de l' Autheur. Ces deux inventions sont en tout & par tout l' une à l' autre contraires, l' Artillerie estant inventee pour la guerre, l' Imprimerie pour la paix: celle là faisant mourir les hommes illustres qui vivent: & cette cy leur redonnant la vie apres qu' ils sont morts.