jeudi 29 juin 2023

4. 26. De la fatalité qui se trouve quelquesfois és noms.

De la fatalité qui se trouve quelquesfois és noms. 

CHAPITRE XXVI.

Paravanture semblera-il à aucuns que le present discours soit plus digne de risee, que d' observation, si ne le veux je passer sous silence, parce que l' on trouve quelques exemples en nostre France qui concernent telle matiere. Et neantmoins je ne veux pas soustenir qu' il y ait presage aux noms. Bien puis-je dire qu' il y a eu quelques rencontres, esquelles la fortune du temps a voulu que sous le mesme nom de Prince, les Royaumes, ou Empires prinssent leurs commencemens, & pareillement leurs fins. Un Brutus moyenna au peuple Romain la liberté par l' extermination des Roys, & un autre de mesme nom voulut la conserver, quand en plain Senat il tua Jules Cesar, usurpateur d' une nouvelle tyrannie. Auguste, comme chacun sçait, premier à banniere desployee se fit proclamer Empereur de Rome: & la fortune voulut que sous un autre Auguste, qui fut communement appellé Augustule, ce nom se perdit dans la mesme ville, & au lieu du mot d' Empereur, on appella ceux qui y commandoient Patrices. Constantin le Grand, fils d' Heleine, fut fondateur & de l' Empire des Grecs, & de la ville de Constantinople: & sous Constantin Paleologue fils d' une autre Heleine, la ville, & l' Empire de Constantinople furent reduits sous la puissance des Turcs. Tout de la mesme façon en est il souvent advenu aux nostres. Car tout ainsi que sous Charles Martel sa lignee prit premier accroissement de grandeur, & que sous un Charles le Grand son petit fils, elle vint en toute extremité, aussi sous Charles le Simple commença elle à perdre sa force, & sous un Charles que Hugues Capet frustra du Royaume qui luy appartenoit, elle perdit toute authorité. Philippes Auguste gagna sur les Anglois, & reünit á sa couronne la Normandie, l' Aquitaine, l' Anjou, Touraine, le Maine, & Poictou contre un Roy Jean, dit Sans-terre, & les Anglois en contr' eschange faillirent de nous ruiner, pendant qu' un autre Jean regnoit en France. La ville de Hierusalem fut prise par les François à la suscitation du Pape Urbain second, & au contraire durant le siege d' Urbain troisiesme elle retourna en la servitude des Turcs, & infidelles. Voire que tout ainsi que Baudoüin fut le premier des Roys de Hierusalem qui chargea la couronne sur sa teste (car Godefroy de Boüillon son frere n' avoit pris la hardiesse de ce faire, encores qu' il fust appellé Roy) aussi sous Baudoüin le Lepreux vint le premier choc de fortune à ce Royaume, 

pour le moins qui soit de grande marque. Depuis lequel les Roys de Hierusalem ne se peurent oncques relever ains de là en avant alla tousjours le Royaume en ruine, jusques à ce qu' il ne demeura aux Roys de toutes leurs possessions, que le tiltre. Lesquels exemples se sont encores manifestez de nostre temps en une ville de Calais, laquelle fut premierement fortifiee par Philippes Comte de Boulongne, oncle de sainct Louys, en la façon que depuis elle s' est renduë admirable, perduë par Philippes de Valois, depuis assiegee l' espace de quatre mois sans rien faire par Philippes deuxiesme de ce nom Duc de Bourgongne, & finalement regagnee en l' an mil quatre (cinq) cens cinquante sept, contre Philippes d' Austriche Roy d' Espagne, lors mary de Marie Royne d' Angleterre. Jean Duc de Bourgongne fut le premier promoteur de la ruine de France, quand pour donner plus aisément lieu à son ambition detestable il fit tuer en l' an mil quatre cens sept Louys Duc d' Orleans à la porte Barbette dans Paris: Parce que depuis ce temps les troubles, guerres, & divisions regnerent en France, & sous deux personnes de mesme nom fut le Royaume estably: premierement par la venuë de Jeanne la Pucelle, & pour accomplissement par Jean bastard d' Orleans, Comte de Dunois, qui reduisit en fin la Normandie & la Guyenne sous l' obeïssance de Charles VII. Exemples certes sinon beaucoup profitables, pour le moins quelque peu delectables, & qui nous peuvent apprester à penser sur les mysteres de Dieu.

4. 25. Contre l' opinion de ceux qui estiment que l' invention du Quadrant des Mariniers, est moderne.

Contre l' opinion de ceux qui estiment que l' invention du Quadrant des Mariniers, est moderne.

CHAPITRE XXV.

Le Quadrant des Mariniers, appellé par les Italiens Boussole, est une invention admirable qui court sur mer pour se recognoistre lors que l' on a perdu tout jugement de son adresse. Or quel moyen ils y tiennent, je le vous diray. L' estoile Polaire, qui fait la queuë de la petite Ourse, ainsi nommee, pour estre la plus prochaine de celles qui sont pres du Pole Artique, est appellee en la mer Mediterranee, par les Italiens Tramontane. L' Aimant est une pierre noire tirant sur la nature du fer. Et a en soy un esprit vif respondant aux quatre parties du monde, ainsi que les Philosophes estiment. De sorte que l' aiguille de fer frotee de la pierre d' Aimant, tourne, & vire incessamment dans son Quadrant, ou Boussole, jusques à ce que la pointe ait esté opposee à la Tramontane: Car lors elle demeure toute coye. Qui fait que les Mariniers usans de cette estoille fixe, comme d' un centre, auquel s' addresse toute la circonference de leur navigation, apres avoir jugé où est le Septentrion, ils jugent tout d' une suitte où est leur midy, qui luy est opposite: & pareillement le Levant, & le Couchant. Chose qui leur sert de guide certain à leur navigation. Cette aiguille se met chez nous dans une figure quarree. Qui est la cause pour laquelle nous l' appellons Quadrant. Les Italiens la mettent dans une petite boüette, qu' ils appellent en leur langage Boussole. Quelques uns estiment que ce soit invention moderne trouvee par les Portugois, depuis leurs grandes navigations és terres incogneuës à nos anciens Geographes: Toutesfois la verité est qu' ils s' abusent. Car dés le temps mesme de Jean de Mehun cette invention estoit en usage, comme nous apprenons de ces trois vers.

Un Marinier, qui par mer nage, 

Cherche mainte terre sauvage, 

Tant il a l' œil en une estoille.

Cela est dit par luy en passant, & comme nous monstrant au doigt que

dés lors les Nautonniers avoient recours à cette estoille, pour s' asseurer de leurs addresses. Mais Hugues de Bercy, qui estoit sous le regne de S. Louys, nous en fait une ample description en sa Bible Guyot, quand il souhaitte que le Pape ressemblast a cette Estoille.

De nostre Pere l' Apostoile

Voulsisse qu' il semblast l' Estoile, 

Qui ne se muet, moult bien le voyent 

Le Maronniers qui s' y avoyent: 

Par celle Estoille vont & viennent, 

Et lor sens, & lor voye tiennent, 

Celle est attachee, & certaine, 

Ils l' appellent la Tremontaine

Toutes les autres se remuent,

Et lor lieux rechangent, & muent,

Mais cette Estoille ne se muet.

Un art font qui mentir ne puet,

Par vertu de la Mariniere,

Une pierre laide, & noiriere,

Où le fer volontiers se joint,

Et si regardent le droit point,

Puis que l' aiguille l' a touchié,

Et en un festu l' ont fichié.

En liau le mettent sans plus,

Et li festus li tient dessus:

Puis se tourne la pointe toute

Contre l' Estoille, si sans doute

Que iaper rien ny faussera,

Ne Maronniers n' en doubtera:

Quand la nuict est obscure & brune,

Qu' on ne voit Estoille, ne Lune,

Lors font a l' aiguille allumer, 

Puis ne peuvent-ils s' esgarer:

Contre l' Estoille va la pointe,

Perce sont li Maronniers cointe

De la droitte voye tenir:

C' est un ars qui ne puet mentir:

Là prennent la forme, & le molle,

Que celle Estoille ne se crolle,

Moult est l' Estoille belle, & claire: 

Tel devroit estre le Sainct Pere,

Clercs deveroit estre, & estable.

Là vous voyez que Bercy appelle l' Aimant la pierre Mariniere, comme unique, quoy que soit principal instrument de leur conduite, & la Tramontaine, cette Estoille que l' on appelle autrement le North: Puis nous enseigne qu' une aiguille de fer ayant esté frottee de cet Aimant, tourne tousjours jusques à ce qu' elle ait arresté sa pointe vers cette Estoille. Tellement que quand pour l' obscurité de la nuict les Nautonniers ne voyans ny Ciel, ny terre, ny mer, ont perdu toute cognoissance de leur route, apres avoir fait allumer une chandelle & dressé leur Quadrant, ou Boussole, ils jugent là estre le North, où ils voyent la pointe de leur aiguille s' arrester: & de là ils font jugement de la voye qu' ils doivent tenir. Toutesfois il faut noter qu' en cette description il y a une particularité qui n' est aujourd'huy en usage: Par ce que lors on mettoit trois ou quatre festus l' un sur l' autre dans l' eau, & sur iceux asseoit-on l' aiguille: maintenant nous la mettons sur une petite pointe de leton dans nostre Quadrant: Mais tant y a que de ce passage vous pouvez recueillir que l' usage de la Tramontane, & Boussole, n' est une invention nouvelle, ains tres-ancienne sur la marine.

Contre l' opinion de ceux qui estiment que l' invention du Quadrant des Mariniers, est moderne.