samedi 8 juillet 2023

6. 16. Des mots dorez & belles sentences de maistre Alain Chartier.

Des mots dorez & belles sentences de maistre Alain Chartier

CHAPITRE XVI.

Il n' est pas dit que je vous doive seulement servir des faits memorables qui se sont passez par la France. Les mots & sentences dorees d' uns & autres ne sont de moindre instruction. Le suject donc de ce chapitre sera de maistre Alain Chartier, autheur non de petite marque, soit que nous considerions en luy la bonne liaison de paroles & mots exquis, soit que nous nous arrestions à la gravité des sentences: grand Poëte de son temps, & encores plus grand Orateur, comme l' on peut voir par son Curial & Quadrilogue, lesquels deux œuvres il nous laissa pour eternelle memoire de son esprit. Et florit sous le regne de Charles septiesme, duquel il escrivit la vie, commençant son histoire à l' annee mil quatre cens deux, qui fut l' an de sa nativité, auquel lieu le mesme Chartier dit que lors il estoit aagé de seize ans. Au moyen dequoy nous pouvons dire qu' il nasquit en l' an mil trois cens quatre vingts six. Depuis il fut Secretaire du Roy, ainsi qu' il appert par le commencement de son Quadrilogue, estant grandement favorisé de plusieurs grands seigneurs pour son bien dire. A cause dequoy mesmement on recite une chose memorable qui luy advint un jour entr'autres: car estant endormy en une salle, par laquelle Marguerite femme du Dauphin, qui depuis fut appellé le Roy Louys XI. passant avecques une grande suitte de Dames & grands Seigneurs, elle l' alla baiser en la bouche. Chose dont s' estans quelques uns esmerveillez, par ce que pour dire le vray, nature avoit enchassé en luy un bel esprit dans un corps laid & de mauvaise grace, cette Dame leur dist qu' ils ne se devoient estonner de ce mystere, d' autant qu' elle n' entendoit avoir baisé l' homme qui estoit laid & mal proportionné de ses membres, ains la bouche de laquelle estoient issus tant de mots dorez: En quoy certes elle ne s' abusoit nullement. Je vous en veux donques icy remarquer quelques uns que j' ay recueillis de ses œuvres. Dedans son Curial il dit que toutes choses retournent de leger à leur principe, & retiennent par naturelle inclination l' emprainte de la fin à quoy leur Createur les ordonne. Et en un autre endroict donnant advertissement aux Roys: Qui diroit (faict-il) que Seigneurie fust entreprise par la violence des plus forts sur les moindres? peu de merveille seroit voir subvertir ou muer chose fondee sur si petit & inique commencement. Et peu apres: Principauté n' est fors commission revocable au plaisir du conseil de là sus, pour ce transporte Dieu les Royaumes d' une main en autre: Ailleurs, A Prince sans Justice, peuple sans discipline. Et vingt ou trente fueillets apres. Si tu me demande quel est le sens des Roys, je responds, qu' il est plus en bien croire conseil, qu' en le donner: car bien conseiller est propre à toute personne privee, mais choisir le bon conseiller, & eslire du sens des autres conseil profitable, appartient à celuy qui doit ouyr chacun, & pour chacun exploicter. Au mesme lieu: Or est le cornard rauy en cette desve, qu' il cuide estre fait pour enseigner le monde, & luy semble que ses responses soient Loix Imperiales, & ses fantaisies sentences d' Evangile: Et quand il a tout fait, ses esperances sont comme feu d' estoupe, & son sens tourné à neant, comme songe d' homme qui a dormy: Adoncques apprend que mieux vaut chercher autruy conseil par humilité douteuse, qu' au sien s' arrester par arrogante outrecuidance. Parlant contre la Justice: Tres-doux Dieux, qui eust cuidé voir la justice si esbranlee, qui est le principal pilier & soustenement du commun? Or est-elle minee & ne tient plus qu' à petites estayes toutes pourries de corruption, pour faire de la publique pauverté, privees richesses. Contre les abus des Ecclesiastics: ils sont à present tirans d' argent, & negotiateurs de la terre. La saincte conversation du Clergé esmeut pieça les courages des Princes, & des conquereurs à leur donner, & la dissolution des Clercs enhardit maintenant chacun à leur tolir. Puis doncques, qu' ils n' honorent leur dignité, qui les honorera? En autre lieu, detestant les sacrileges, & ceux qui pillent le bien des Eglises. Trop ne pourrois-je detester cestuy horrible meffait, dont l' offense est à Dieu seulement, & à luy seul reservee la vengeance: Car Religion est de si grande excellence, que mesme des Temples de Payens forcer, Dieu a souffert avenir punitions publiques, & combien que les Idolatres attribuassent divinité à choses vaines, toutesfois n' a-il pas voulu que mespris ou force fust faite sans peine, en lieu dedié par eux en titre de Deïté, pour ce que les mescreans ne devoient sainement villenner ne mescraindre ce que par erreur ils adoroient comme Dieu tout puissant. Devisant de l' ignorance des Princes: On nourrit les jeunes Seigneurs és delices & fetardise dés qu' ils sont nez, c' est à dire dés qu' ils apprennent à parler ils sont à l' escole de goullardise & viles paroles. Les gens les couvrent és berceaux, & les duisent à mescognoistre eux mesmes & autruy. La sottise d' un petit homme ne nuit gueres qu' à luy seul, & peu d' autres se soubtilent à le decevoir: Mais Prince non sçachant, trouble l' Estat d' un chacun, & est la targe des mauvais, & la couverture des crimes. Doncques doit avoir sçavance de tout cognoistre, celuy qui tout a en garde. Accusant les communs vices des François. Vos conseils sont sans liberté & sans ordre, vos opinions par affection, vos conclusions sans arrest, & vos ordonnances sans exploict. Sur l' oysiveté des jeunes gens, moult est marastre & perilleux adversaire, molle paresse, & combien qu' elle soit à tous contraire, toutesfois est-elle formelle ennemie de jeunesse, & de l' adolescence, à qui le temps du labour & semaille appartient pour preparer les moissons à vieillesse. Autre part discourant amplement sur la creance des Payens, & sur le motif d' icelle. Il n' est si dure ne tant violente introduction, que traict de temps ne tourne à semblance de nature, ne si grand erreur à qui impression de parole continuelle ne donne face de verité. Les enfans suivoient leurs peres à l' abusion des faux Dieux, & où raison les admonestoit, la foy de leurs predecesseurs vainquoit par authorité de doctrine inviolable. Sur le franc vouloir de l' homme, quand il mit en son vouloir l' addressement & le choix de son pouvoir: les autres non ayans ame, ont leur pouvoir reglé en ce qu' ils peuvent par institution de servitude, mais le pouvoir de l' homme est reiglé en ce qu' il veut selon droit de franche seigneurie. Sur l' honneur que les creatures portent au souverain Seigneur: Tu les vois aux chants des oyseaux, qui jettent leurs voix & leurs cris vers les Cieux, & en leur endroict ensuivent les Planettes, & les herbes qui s' enclinent vers le Soleil, quelque part qu' il se tourne, & rendent par signe l' honneur à leur Createur, duquel nature nous a donné vocale loüange. Sur les prieres & oraisons que nous addressons au Seigneur. Dieu veut, & souffre estre prié d' homme selon l' affection temporelle & humaine, mais il veut exaucer selon sa raison eternelle & divine. Tu ne le peux prier, ainsi que tu sens: il ne veut exaucer sinon en ce qu' il doit: fragilité & defaut sont l' esmouvement de ta priere: & puissance, & perfection sont la source de ses dons. Dieu donne, non pas tout ce qui te defaut, mais ce qui te vaut, non pas ce que tu demandes, mais ce que deusses demander. Parlant de l' eternelle Essence de Dieu, pource l' appelles-tu iré, ou courroucé à la semblance des hommes, quand tu sens ses punitions, & dis qu' il est appaisé lors que son flael il cesse. Beaux amis ceste mutation n' est pas en luy. Deduisant comme est venuë à perfection la cognoissance de Dieu: Et combien qu' au premier celle gent demy brute qu' eust sa substentation de viure ains que la cognoissance de Dieu, comme l' estre des choses est enchainé, ils entrerent par la cognoissance des choses à eux necessaires au desir de cognoistre les parfaites. En regardant donc les choses profitables d' embas, & contemplant les choses merveillables d' en haut, ils cogneurent grossement que leur soustenement despendoit de plus haute puissance que celle d' homme. Peu apres voulant taisiblement arguer les grandes possessions que tient à present l' Eglise. Pour ce ne prindrent point les Prestres de la lignee Levy leur partie en la terre de promission, quand l' heritage fut departy aux lignees d' Israël, ains recevrent de l' universel peuple les dismes & offertes, & nulle partie ne leur fut assignee sur le tout, ne sur partie d' iceluy heritage: mais ils eurent leur tout sur les parts de chacun, entendant par ce dernier mot les dismes de leurs biens & fruicts de ceux qui ont aumosné aux Eglises. Ne je n' entends pas pourtant blasmer les preud'hommes seculiers, qui de devotion parfaite ont donné à l' Eglise les possessions: car ils se sont deschargez pour monter vers Dieu en esprit plus legerement & le Clergé en a pris si grand faix & si grosse charge sur ses espaules, qu' il le courbe tout vers la terre, & le destourbe à regarder aux Cieux. Autres plusieurs notables Sentences peut-on lire dans ses œuvres, comme quand il dit. Qui se fie autrement que par la divine esperance, marche sur la glace d' une nuictee & s' appuye au baston de rouzeau. Si ta beauté te delecte, c' est aujourd'huy herbe, demain foing. Telle fleur est plustost passee que venuë. La force faict un droict à part soy, & outrecuidance l' usurpe, & s' attribuë honneur sans desserte. Bien est deceuë la folle fiance de ceux qui cuident faire grand œuvre, quand ils offrent à l' Eglise en vieillesse ce qu' ils ont en leur jeune aage mal acquis. La monstre du sacrifice est és choses qui sont offertes, mais sacrifice est en la conscience. Et une infinité d' autres belles sentences, desquelles il est confit de ligne à autre que je ne le puis mieux comparer qu' à l' ancien Seneque Romain.

6. 15. De la mort de Marie Sthuart Royne d' Escosse, veufve en premieres nopces de François second de ce nom Roy de France.

De la mort de Marie Sthuart Royne d' Escosse, veufve en premieres nopces de François second de ce nom Roy de France.


De la mort de Marie Sthuart Royne d' Escosse, veufve en premieres nopces de François second de ce nom Roy de France.

CHAPITRE XV.

Combien que par le present discours je feray une faillie de nostre France en Angleterre, toutesfois je ne pense faire chose esloignee de mon but, si je parle de cette Princesse qui avoit en premieres nopces espousé l' un de nos Roys. L' histoire du Connestable de sainct Pol a engendré dedans mon ame un peslemesle de despit & compassion: Despit, le voyant en sa bonne fortune trop oublieux de son devoir: Compassion, quand apres tant de grandeurs dont il estoit comblé, je voy sa fin estre aboutie à un malheureux escharfaut. Semblables effects a produit en moy l' histoire tragique du Duc de Bourbon. Mais en celle que je discourray maintenant, il me semble n' y avoir que pleurs: & paravanture se trouvera-il homme qui en la lisant ne pardonnera à ses yeux.

Apres que cette pauvre Princesse eut esté detenuë prisonniere en Angleterre l' espace de dix-neuf ans (si sous bon, ou mauvais tiltre, je m' en raporte à ce qui en est) elle fut accusee en l' assemblee des Estats (qu' ils appellent Parlement) d' avoir voulu attenter par personnes interposees, contre la vie de la Royne d' Angleterre. Sur cette querelle son procez luy ayant esté faict & parfaict, par arrest elle est condamnee à mort. Lequel luy fut deslors signifié, & toutesfois l' execution sursise par le commandement de la Royne. Cette pauvre Princesse avoit esté (comme un roc au milieu des vagues & flots) constante pendant ses malheurs, en nostre Religion Catholique, Apostolique, Romane. Qui rendoit les seigneurs d' Angleterre estonnez, lesquels pour faire profession, les uns du Lutheranisme, les autres du Calvinisme, craignoient que s' il mesadvenoit à leur Royne, & que si cette-cy, comme plus proche par droit de sang, arrivast à la Couronne, elle troubleroit tout d' une main, & le repos de leurs consciences, & celuy generalement de l' Estat, ils soliciterent à toute bride leur Royne de vouloir, sans plus delayer, faire sortir effect à l' arrest. Laquelle vaincuë de leurs importunitez fit decerner sa commission le premier jour de Fevrier 1587. Qui fut mise és mains de Robert Beesle, l' un des secretaires du Conseil, avec commandement tres-expres aux Comtes de Scherosbery, Kent, Arby, Comberlan, Pambrox, d' y prester confort & aide: Tous seigneurs voisins du lieu de Foteringay, où elle avoit esté depuis l' arrest confinee & gardee plus estroictement qu' auparavant par le sieur Amias Poolet. Beesle arrive le quatriesme du mois, & presente la commission au Comte de Kent: le 6. va trouver le Comte de Scherosbery, grand Mareschal d' Angleterre. Le Mardy 7. ces Millors, arrivez au Chasteau envoyerent dire à la Royne d' Escosse sur les trois heures de relevee, qu' ils desiroient parler à elle pour une affaire de grande importance. Adoncques cette Dame asseuree que c' estoient nouvelles de sa proche mort, s' armant d' une magnanimité de courage, leur mande qu' ils seroient les tres-bien venus, & pour donner audience aux Ambassadeurs de sa mort, s' assiet dedans une chaire. Où le Comte de Scherosbery, nuë teste avecques ses compagnons, luy fit recit du commandement expres qu' ils avoient receu de la Royne leur Dame, & Maistresse: La suppliant ne vouloir trouver mauvais qu' on luy en fist la lecture. Requeste qu' elle leur enterina d' une grande franchise d' esprit. La commission ayant esté leuë: Je n' eusse jamais pensé (dit-elle) que la Royne ma sœur eust voulu acquiescer à un acte tant impiteux, que cestuy, contre celle qui n' est en aucune façon sa justiciable, toutesfois je la remercie, & pren à tres-grande obligation l' injustice que l' on exerce en ma personne, par le moyen de laquelle je feray un briz de prison à tous mes mal-heurs, pour entrer en une beatitude eternelle. Et apres plusieurs propos, mettant la main sur les Evangiles elle jura n' avoir jamais pourchassé la mort de la Royne d' Angleterre, & de ce appelloit Dieu à tesmoing. Le Comte de Kent luy voulut bailler un Ministre pour la consoler, mais elle d' un œil sourcilleux le rejetta. Et comme leurs discours se promenoient d' une bouche à autre, advint à ce mesme Milord, qui seul d' entre ses compagnons la vouloit catechiser, de dire, qu' elle avoit mal recognu les honneurs pair elle receus de la Royne sa Maistresse: & que sa vie estoit la mort de leur Religion, comme au contraire sa mort en estoit la vie. A ce mot ayant mis fin à son pourparler, la Royne leur demanda quand elle devoit mourir: A quoy luy fut repondu par le Seigneur de Scherosbery, que ce seroit le lendemain matin sur les huict heures. Elle les pria avant que partir de luy rendre son Aumosnier pour la confesser, & Melvin son maistre d' hostel pour communiquer de ses affaires. Du premier on luy en fait refus tout à plat: du second on luy fit promesse de le luy presenter avant que de mourir. Estant doncques demeuree avecques le peu qui luy estoit resté de ses gens, l' heure de soupper venuë. Or sus (dit-elle) il faut qu' on haste mon soupper, a fin que je donne ordre à mes affaires. Elle se mist peu apres à table, & souppa sobrement selon son ordinaire coustume. Et voyant ses serviteurs & damoiselles plongez en larmes, elle d' une chere hardie leur dist. Mes enfans, il n' est plus temps de me pleurer. Ces larmes devoient estre espanduës lors de ma misere, & longue prison: Mais maintenant que me voyez sur le point de sortir de ce labyrinthe, vous devez vous tous esjouïr & loüer Dieu: & apres les avoir consolez, elle addressa particulierement sa parole à Bourgoin son Medecin, en cette façon. Avez-vous pris garde combien la force de la verité est grande? Ils me font, disent-ils, mourir pour avoir voulu attenter sur la vie de leur Royne, & neantmoins ce Milord Kent ne s' est peu retenir qu' il ne m' ait assez donné à entendre qu' ils n' ont autre sujet de ma mort, que la crainte de leur Religion. Monstrant assez par cela qu' il est un tres-malhabile homme: Mais plus encores d' estimer qu' en ce dernier acte de ma vie, je vueille avecques le corps perdre mon ame, par un changement de ma foy. Elle beut sur la fin du soupper à tous ses gens, leur commandant de la pleger. A quoy obeïssans ils se mirent à genoüil, & meslans leurs larmes avecques leur vin, beurent à leur Maistresse, luy demandans humblement pardon de ce qu' ils la pouvoient avoir offensee. Ce qu' elle leur accorda de bon cœur, les priant de luy rendre le contr'eschange. Il seroit malaisé de dire qui estoient les plus empeschez, ou eux à se lamenter, ou elle à les consoler. La nappe levee elle repassa sur son testament, l' augmentant & diminuant selon le plus ou moins du service des siens: & tout d' une suitte se fit rapporter l' inventaire de ses meubles, bagues & joyaux, l' apostillant en la marge des noms de ceux ausquels elle les destinoit. Distribua quelques deniers manuellement à uns & autres. Pria par lettres son Aumosnier de vouloir prier Dieu pour elle. Commença d' escrire une lettre au Roy Henry son beau frere, qu' elle acheua le lendemain matin: luy recommandant par divers articles ses serviteurs & damoiselles. L' heure de coucher arrivee, elle se mist dans son lict, & apres avoir dormy d' un court somme employa le reste de la nuict en prieres & oraisons.

Le lendemain huictiesme du mois jour de son supplice, voicy l' ordre qu' elle voulut tenir. Elle avoit un mal de pieds ordinaire pour lequel on y appliquoit des unguents. Sçachant qu' apres son decez il la faudroit despoüiller pour n' oublier rien de sa bien-seance, elle se les fit laver le matin. Delà, comme si elle fust allee aux nopces, se fait bailler les habillemens dont elle avoit accoustumé se vestir, recevant quelques Seigneurs de marque par la permission de la Royne, ou pour se mettre en son bon point aux festes solemnelles: & se fit apporter un mouchoir brodé d' ouvrages d' or pour se faire bander les yeux. Et apres avoir depesché quelques menuës affaires à part soy, appella tous ses serviteurs, Officiers, & Damoiselles, fit lire son testament devant eux: les priant de se contenter, estant tres-marrie de n' avoir meilleur moyen de les gratifier, toutesfois esperoit qu' en sa faveur ils trouveroient apres sa mort des amis: Cela faict elle tourne tout son esprit à Dieu, s' agenoüille dans son oratoire, fait ses oraisons & prieres. Mais ne pouvant longuement se tenir à genoux pour la foiblesse de son corps, son Medecin la pria de prendre un peu de pain & de vin pour la soustenir. Ce qu' elle fit, le remerciant de ce dernier repas, & deslors mesmes retourna à ses prieres. Où estant on vint heurter à la porte pour la semondre de sortir. Qu' ils se donnent quelque peu de patience, fit-elle: Je satisferay bien tost à leur opinion. Ils ne demeurerent pas long temps sans nouvelle recharge, tant le peu de vie qui luy restoit leur estoit long. Ouvrez leur (dit-elle) la porte, il est meshuy temps que je sorte de cette terrestre prison. Adoncques le Prevost qu' ils appellent Scherif, la trouva encores à genoux, laquelle se levant prend entre ses mains une petite Croix garnie d' un Crucifix d' yvoire qui estoit sur l' autel, qu' elle baise, puis la baille à un sien valet de Chambre pour la porter devant elle. Son Medecin Bourgoin la prend sous un bras pour la conduire, mais aussi tost luy vint un remords de ce qu' il faisoit, la conduisant pour la mettre és mains de ses ennemis: pour cette cause la supplia les larmes aux yeux, qu' il luy pleust le dispenser de ce dernier service. Ce qu' elle eut pour tres-agreable, & deslors la prindrent deux serviteurs de Poolet pour la soulager. Descend au moins mal qu' elle peut, entrant en la salle, trouva au bas son maistre d' hostel tout esploré. Encores est ce un trait de courtoisie (dit-elle) que je reçoy inesperément de mes ennemis. Et à la mienne volonté qu' ils eussent fait le semblable de mon Aumosnier pour luy confesser mes pechez, & recevoir de luy sa benediction. A lors elle parla assez long temps à ce pauvre Gentilhomme, auquel la parole estoit morte en la bouche, luy commandant d' aller trouver le Roy son fils, pour luy faire service, comme elle s' asseuroit qu' il feroit avecques pareille fidelité, qu' il luy avoit fait. Que ce seroit celuy qui le recompenseroit, puis qu' elle ne l' avoit peu faire de son vivant: qui estoit l' un des principaux regrets, qu' elle emportoit quant & soy en l' autre monde.

L' enchargeant de luy porter sa benediction qu' elle fit à l' heure mesme, faisant le signe de la Croix: L' asseurer de sa part que quelque jugement qui eust esté donné, elle n' avoit jamais rien fait qui deust deplaire à la Royne d' Angleterre sa sœur. Que le semblable devoit il faire, & ne se departir de son amitié. Et pour conclusion que jamais elle n' avoit rien tant desiré depuis sa prison, que le repos des Royaumes d' Angleterre, & Escosse, & que quelque jour ils fussent unis ensemble. Que cestuy estoit le general refrain de toutes ses prieres à Dieu. A cette parole elle se teut, & ce pauvre Gentil-homme portant la queuë de sa robbe, la conduisit jusques à l' escharfaut, où estant montee elle s' assiet sur une petite selle couverte de drap noir, & lors l' Arrest & la Commission estans leus, elle se leve sur pieds, & en presence des Comtes, & deux ou trois cens personnes qui estoient dedans la sale, d' une voix forte & hardie, elle fit en ces termes le procez à ceux qui avoient fait le sien.

Milords, je suis Royne nee, non sujecte à vos loix, doüairiere de France, presomptive heritiere d' Angleterre, qui apres avoir esté detenuë dix-neuf ans prisonniere contre tout droit divin & humain, par celle vers laquelle je m' estois refugiee, comme à l' anchre de ma seurté, sans avoir aucune jurisdiction sur moy, & sans que l' on m' ait receuë en mes justifications, l' on m' a condamnee à mort pour avoir voulu entreprendre sur sa vie. Chose à quoy je ne pourpensay jamais. Et de ce je ne demanderay pardon à Dieu, devant lequel je vais rendre raison de mes actions. Et quand je l' avrois fait, dictes moy je vous supplie, si je n' avois suject de le faire? Je suivray l' ordre des temps, & commenceray par ma prison. Sous quel titre me deteniez vous prisonniere? Estoit-ce comme vostre sujecte? Il n' y a homme des vostres qui fust si ozé de le dire. Cette prison estoit-elle de bonne guerre? Vray Dieu, quand est-ce que jamais je fis prendre les armes aux miens contre vous? quand est- ce que je ne vous ay respectez dedans ma bonne fortune, je veux dire vostre Royne, comme celle à laquelle j' estois plus proche à succeder?
Donnons que j' eusse pris les armes, & que par un desastre de guerre je fusse tombee en vos mains, que despendoit-il de cette prise? A prendre les choses à leur pis j' en devois estre quitte pour une rançon, à laquelle vous ne me voulustes jamais mettre. Je n' estois ny vostre sujette, ny prisonniere de bonne guerre, pourquoy me voulustes vous confiner en une perpetuelle prison? Si j' avois commis quelque faute, estois-je vostre justiciable pour vous en rendre compte? Ce n' est point cela, ce n' est point cela (je parle à vous Puritains, qui d' un cœur devot, & contrit, plus sages que tous vos ancestres, allambiquez une quinte-essence de nostre Religion Chrestienne) il y eut quelque autre anguille sous roche qui me causa ceste prison. Et quand quelque faute y eust euë, dont je n' estois responsable qu' à Dieu, certainement la prison de dix-neuf ans estoit un temps trop plus que suffisant pour expier par une longue penitence le peché envers Dieu, & meriter quelque pardon envers les hommes, qui considerera le rang que j' ay soustenu, & qu' un seul jour de prison m' a esté plus penible, que la mort extraordinaire que je vois souffrir. Et non assouvis de cette prison vous m' avez pourchassé ceste mort, qu' estimez m' estre honteuse, & moy, je la pren à gloire: si tant est qu' en ce piteux estat où je suis reduite, cette vanité se doive loger dans mon ame. Et puisque de toutes mes grandeurs il ne me reste maintenant que la parole, je vous auray malgré vous cette obligation de m' ouïr. J' ay conjuré (dites vous) contre vostre Royne. Je vous ay dit qu' il n' en est rien, & le confirme de rechef sur ma part de Paradis. Mais je veux l' avoir entrepris. Premierement où trouvez vous que ce mot de conjuration puisse estre dit & aproprié de Souverain à Souverain? Cela s' adapte seulement à un suject, lors qu' il entreprend quelque faction contre son Prince. Davantage qu' est-ce dont vous m' avez accusee, sinon qu' en me defendant je vous aye voulu assaillir? Vous vouliez non seulement me tenir captive, mais aussi par une cruauté barbaresque, captiver en moy & tenir en prison un naturel instinct de la liberté, qui nous est commun avecques tous les autres animaux. J' avois plusieurs fois fait prier vostre Royne sur la deliurance de ma personne. A toutes mes prieres sourde aureille. Et vrayement je ne pense point qu' ayez eu autre information pour me condamner, sinon une presomption violente, qu' il estoit impossible de toute impossibilité que le desir de vengeance ne fust entré en ma teste contre le tort desreiglé qui m' estoit fait. Quoy? si estant en pleine liberté, j' eusse tresmé à face ouverte quelque entreprise contre vostre Royaume, & qu' en icelle il me fust advenu autrement qu' à point, voire que je fusse tombee entre vos mains, m' eussiez vous peu pour cela faire mon procez, ou mourir? Ma condition estoit-elle empiree, pour estre tombee par vostre perfidie dedans vos prisons? Mais je suis recidivee (dites vous) depuis l' arrest contre moy donné. Quelques miennes lettres depuis surprises ont acceleré ma mort, contre la volonté de vostre Royne. O impudence esmerveillable! Peut-il tomber en teste d' homme, que moy qui estois plus estroictement, & gardee, & regardee qu' auparavant, à laquelle on avoit osté plume, papier, & ancre, veillee jour & nuict, environnee des plus fidelles creatures de la Royne, j' eusse eu moyen, ou d' escrire, ou de rien conspirer de nouveau contr'elle? Tout cela est un jeu fait à poste, pour donner fueille à une cruauté qu' avez voulu executer contre une Princesse innocente. Vous messieurs les Puritains qui mesnagez les affaires de vostre pays, vous estes fais sages par la calamité des Catholics Anglois. Car voyans qu' apres la mort de la Royne Marie, vostre Royne Elizabeth ayant esté tiree d' une miserable prison planta dés son avenement l' heresie de Martin Luther, & que pour l' asseurer elle fit voler les testes à une infinité de pauvres Catholics, qui n' y pouvoient condescendre, & les autres exiler, avez pensé qu' autant en pendoit-il sur vos chefs, avenant la mort de vostre Royne. Vous avez veu que la langueur d' une traistreuse prison n' avoit de rien alteré en moy, ny l' effort de mon courage envers Dieu, ny de ma Religion Catholique que selon le cours de la nature, & de la loy, le Royaume me devoit quelque jour eschoir. C' est pourquoy estimans qu' il me seroit lors plus aisé de remettre sus nostre Religion en sa possession ancienne, qu' il n' avroit esté de l' exterminer, pour y en establir une nouvelle, & qu' en ce restablissement il y avroit lors du danger de vos vies, vous les avez voulu asseurer aux despens de la mienne. Et atant pour y parvenir, avez du commencement aporté le masque d' une premiere conjuration, & depuis renvié d' une seconde pour ne faillir à vos desseins, ne vous estudians point tant au repos general de vostre Royaume, qu' au particulier de vous autres. Aussi n' avez vous pensé si dextrement couvrir vostre jeu, que par le second article des Remonstrances qu' avez faites à vostre Royne, ne luy ayez mis devant les yeux le fait de la Religion, & que deviez craindre qu' une Princesse nourrie en la Religion Papistique (ainsi appellez vous la nostre) fust à l' advenir appellee au gouvernement absolu de l' Estat: Et vous, Milord de Kent vomistes hier ce mesme venin contre moy. Ma mort doncques a esté pourchassee, non par la voye ordinaire de la Justice, quelques Estats que l' on ait fait assembler à cette fin, mais d' autant qu' estimiez cette mort estre vrayement une mort d' Estat. Car cette malheureuse & damnable proposition est emprainte en l' opinion des plus grands, qu' en telles affaires toutes choses doivent passer, dont pensons raporter profit encores qu' elles soient injustes. Or avez vous maintenant ce que desirez, immolans mon innocence aux pieds de Dieu tout puissant, que je supplie par sa clemence, retribuer à mon cher fils le tort qui m' est fait par vous autres, ausquels je pardonne d' aussi bon cœur, que je prie mon Createur me vouloir pardonner mes pechez.

Elle ne se pouvoit estancher poussee d' une juste douleur, qui fut cause que le Comte de Kent l' interrompit, luy disant, qu' il n' estoit plus temps de se souvenir du passé, ains devoit seulement jetter ses yeux sur la vie future. Partant luy presenta au bas de l' escharfaut le Doyen de Preterbourgth Ministre pour la conseiller & consoler: mais elle tout aussi tost tourna visage d' un autre costé: priant ces Messieurs de ne la vouloir au peu de vie qui luy restoit, induëment importuner contre sa conscience, laquelle luy estoit un inexpugnable rempart encontre toutes leurs embusches: Et alors joignant les mains & levant les yeux au Ciel, fit plusieurs prieres à Dieu, tantost en François, tantost en Latin. En fin commanda à l' une de ses filles (cela estoit sur les neuf à dix heures du matin) de luy bander les yeux du mouchoir qu' elle avoit expressément dedié pour cet effect. Bandee, elle s' agenoüille, s' acoudoyant sur un billot, estimant devoir estre executee avecques une espee à la Françoise, mais le Bourreau assisté de ses satellites, luy fit mettre la teste sur ce billot, & la luy couppa avecques une doloire. Le jour mesme fut envoyé Henry Talbot fils du Comte de Scherosbery porter nouvelles à la Royne de tout ce qui s' estoit passé, lequel arriva le lendemain à Richemont où elle estoit. Ces nouvelles ne furent long temps celees. Car dés les trois heures de relevee, toutes les cloches de Londre commencerent de sonner, & furent faits feux de joye par toutes les ruës, & banquets publics en signe de resjouïssance.

Je ne leu jamais tant de rigueur (je ne diray cruauté) comme celle qui fut exercee contre cette Dame, ny de constance comme celle qui se trouva en elle: Rigueur, qu' une pauvre Royne affligee d' une prison de dix-neuf ans, eust esté exposee à mort par jugement d' une autre Royne, en laquelle selon le commun cours de nature devoit resider plus de misericorde. Et que pour la faire mourir tous les jours de mille morts, on luy eust prononcé sa sentence trois mois devant, la resserrant en une prison plus estroicte. Constance durant sa vie, & que pendant sa prison elle eust vescu avecques une liberté de sa conscience, en la Religion de ses pere & mere. Sçachant que si elle l' eust voulu tourner à gauche les prisons luy eussent esté ouvertes: Plus grande constance en sa mort, que l' execution de sa sentence luy ayant esté signifiee pour le lendemain, non seulement elle n' eut besoin de consolation des siens, au contraire les consola. Quoy faisant elle triompha non seulement de la mort, ains de la Royne mesme d' Angleterre, & ensevelit d' une mesme main, tous les bruicts sinistres dont les malvueillans s' estoient prevalus encontr'elle. De moy, comme nos pensees sont libres, je ne fais aucune doute, que tout ce qu' on mist en la bouche de cette Dame avant son decés ne soit veritable: Et pour cette cause voyant ces durs traittemens exercez sur elle, je croyois que le son de ces cloches seroit un tauxin, & les feux, un flambeau de guerre qui s' espandroit quelque jour par toute l' Angleterre: toutesfois le temps m' a depuis enseigné que j' estois un tres-mauvais faiseur d' Almanachs. Car, & elle, & eux ont eu l' accomplissement de leurs desirs: la Royne desiroit en mourant que les deux Royaumes fussent unis en la personne de son cher fils, apres le decez de la Royne d' Angleterre: Et les autres n' aspiroient qu' à un repos futur du Royaume, & asseurance de leurs vies en l' exercice libre de leur Religion. Tous deux leur sont advenus, & qui sans passion approfondira cette affaire, il cognoistra qu' ils ne pouvoient arriver ensemble que par cette mort.