lundi 17 juillet 2023

6. 28. Fin de la seconde famille d' Anjou; Comté de Provence

Fin de la seconde famille d' Anjou, avec un Sommaire discours tant sur le Comté de Provence escheu à noz Rois, que des voyages de Naples par eux entrepris.

CHAPITRE XXVIII.

Par cette Princesse Yoland, la seconde famille d' Anjou fondit en celle de Lorraine, & voicy comment.

Jean dix & neufiesme Duc de Lorraine, eut deux enfans, Charles son fils aisné qui luy succeda apres son decés, & Ferry Comte de Vaudemont, puisné.

De Charles nasquit Isabeau de Lorraine qui fut conjointe par mariage avec René Duc d' Anjou, qui se donnoit qualité de Roy de Sicile.

De ce mariage nasquirent Jean & Yoland. Car quant à une Marguerite femme d' un Roy d' Angleterre, je n' en fay mise, ny recepte, comme estant une piece hors œuvre.

Jean d' Anjou mourut auparavant René son pere, & eut un fils nommé Nicolas, qui mourut pareillement auparavant son ayeul. De maniere que toute la maison de René estoit aboutie en une seule Princesse Yoland d' Anjou.

De Ferry Comte de Vaudemont premier de ce nom, nasquit Anthoine, & de luy Ferry second.

Isabeau de Lorraine femme de René pretendoit apres le decés de Charles son pere, que le Duché de Lorraine luy appartenoit, comme seule fille & heritiere du Duc.

Anthoine au contraire soustenoit que ce Duché estoit un fief affecté aux masles qui ne pouvoit tomber en quenoüille. Partant qu' ores qu' il fust seulement issu du puisné, toutesfois estant masle il forcluoit cette Princesse. Nouveau subject de guerre entre luy & René. Auquel en fin René se trouva avoir du pire. Et ayant esté faict prisonnier d' Antoine, pour moyenner sa deliurance, il accorda le mariage d' Yoland sa fille avec Ferry fils d' Antoine. Quoy faisant on unit les deux branches de l' aisné & puisné de Lorraine ensemble. Sage conseil pour faire cesser les differents qui estoient entre eux. Mariage toutesfois que jamais René ne peut bonnement gouster pour avoir esté extorqué de luy. Tellement que tous ses projets ne tendoient qu' à coupper les aisles à son gendre. Et de faict Philippes de Commines nous tesmoigne, que s' il n' eust esté prevenu par le desastre qui advint à Charles Duc de Bourgongne contre les Souisses, il se fust donné à luy. Qui eust esté un mauvais party pour la France.

Or avoit il un frere puisné nommé Charles, auquel entre autre biens il laissa pour son partage le Comté du Maine, la Baronnie de Mayenne la Iouais, la Ferté Bernard, Sablé, & autres grandes terres & seigneuries. Ce Seigneur eut un fils portant le nom de Charles comme luy, que René par son testament de l' an mil quatre cens septante huict, institua son heritier universel: lequel choisit pour son domicile la Provence, dont il estoit Seigneur souverain, & y mourut quatre ans apres, & par son testament à l' instigation de Palamedes Forbin Seigneur de Soliers, qui avoit grande part en ses bonnes graces, institua son heritier particulier au Comté de Provence, le Roy Louys unziesme & ses successeurs Roys de France.

En ce Prince Charles dernier masle, prit fin, & le nom, & la familie d' Anjou, & fondit en celle de Lorraine par le mariage d' Yoland avecques Ferry de Lorraine, dont sont issus ces grands Princes Lorrains, que nous voyons aujourd'huy. Famille d' Anjou, (vous dis-je) enflee, tant en pretensions, que d' effect de trois Royaumes, Sicile, Poüille, & Hierusalem (& encore de celuy d' Arragon, si on eust faict droict à Yoland d' Arragon femme de Louys deuxiesme) de trois Duchez, Anjou, Lorraine, & Calabre, de trois Comtez, Provence, le Maine, & Bar; dont le dernier fut depuis erigé en Duché. Et furent les pieces esmorcillees à divers Princes: l' Arragonnois se lotit de la Sicile, Poüille & Calabre: Le Lorrain de la Lorraine & du Barrois, & encores de plusieurs autres seigneuries esparses, tant au pays du Maine, Provence, que plusieurs autres endroicts de la France. Le Roy Louys unziesme de la Provence, par le moyen du testament de Charles, & des Duché, d' Anjou, & Comté du Mayne par nostre droict de reversion à la Couronne, comme estans de l' ancien Domaine de France, qui ne tomboient en quenoüille. Car quant au Royaume de Hierusalem, ce fut un titre de parade, dont ny la premiere, ny seconde lignee d' Anjou, ne jouyt actuellement. Et comme le Roy Louys XI. estoit Prince qui ne laissoit perdre les occasions de s' advantager quand elles se presentoient, aussi se voulut-il faire accroire, que les quatre Baronnies du Duché de Bar luy appartenoient en proprieté, la force estoit pardevers luy: car quant au bon droit je m' en remets à ce en qui estoit. Tant y a que par accord faict entre luy, & René Duc de Lorraine, le seigneur de la Jaille le 14. de Mars 1479. pour le Roy de Sicile meit entre les mains de Louys pour six ans, la ville de Bar, pour en jouyr pendant ce temps, & y mettre telle garde qu' il luy plairoit. Et le lendemian (lendemain) les manans & habitans feirent le serment de fidelité au Roy, conformément au traité fait & passé entre les deux Princes. Et tant & si longuement que Louys vesquit le Prince Lorrain ne s' en oza plaindre.

Quelque temps apres son decez Charles huictiesme son fils, luy ayant succedé à la Couronne en l' aage seulement de quinze ans, René Duc de Lorraine vint en Cour, & en plein Conseil du Roy (auquel estoit Philippes de Commines, comme Conseiller d' Estat, duquel j' ay emprunté ce Placard) feit instance, tant pour le Duché de Barrois, qu' il soustenoit luy avoir esté induëment occupé par le feu Roy, que pour le Comté de Provence qu' il disoit luy devoir appartenir du chef de la Royne Yoland d' Anjou sa mere, qui avoit est plus proche habille à succeder à Charles d' Anjou son cousin germain. Et ce nonobstant le testament par luy faict en faveur du Roy Louys unziesme, comme n' en ayant peu disposer par les anciens statuts de Provence.

Particularité que je vous touche icy par expres contre l' opinion de ceux qui se font accroire que le Roy s' en estoit emparé par un droict de bienseance seulement & sans tiltre. Car si cela eust esté vray, le Duc de Lorraine ne l' ust oublié, non plus que du pays de Barrois. Mais au cas qui lors se presentoit, il demoura d' accord le testament avoir esté faict, & revoqua seulement en doubte, sçavoir s' il avoit peu estre faict au prejudice de la plus proche lignagere. De moy je vous puis dire l' avoir eu, veu, & leu en bonne forme & authentique, en la cause du Vicomte de Martygues, que par trois diverses matinees d' uns Lundy, Mardy, & Jeudy, nous plaidasmes au parlement de Paris, l' an mil cinq cens septante trois à huis ouvert, en la presence de tous les Princes & Princesses Lorrains & Lorraines residents en cette France, moy plaidant pour Messire Henry de Lorraine Duc de Guyse, & Maistre Claude Mangot grand & excellant Advocat, pour la fille unique de Messire Sebastien de Luxembourg. Testament qui servoit à la decision de nostre cause, lequel fut fait par Charles, le dixiesme Decembre mil quatre cens octante & un, dedans lequel il institua le Roy Louys unziesme son heritier particulier au Comté de Provence, & apres luy, tous ses successeurs Roys de France. Tellement qu' il ne faut point revoquer en doute, si ce testament a esté fait, puisque René en demouroit d' accord, mais bien si Charles en avoit peu gratifier nos Roys par son Ordonnance testamentaire. En quoy il n' y avoit aucune obscurité, d' autant que la Provence est un pays de droict escrit, auquel il est loisible à chacun de disposer de tous & chacuns ses biens, par son testament. Et mesmement avoit esté cette cause prejugee en cas individu par deux diverses dispositions: La premiere du Comte Beranger au profit de Beatrix femme de Charles d' Anjou frere de S. Louys, au desadvantage de ses trois sœurs qui la precedoyent d' aage: La seconde par la Royne Jeanne premiere Comtesse de Provence en faveur de Louys Duc d' Anjou premier de ce nom. Lequel en jouyt apres le decés d' elle, & le transmeit à ses successeurs. Qui estoit du tout clorre la bouche du Prince Lorrain. Comme aussi sagement & justement le conseil du Roy fut d' advis de luy rendre le Duché de Bar, mais non le Comté de Provence. Vray que pour luy oster toute opinion de remuëment de mesnage, Pierre Duc de Bourbon beau-frere du Roy Charles huictiesme, qui lors avoit tout le gouvernement des affaires de France en main, luy feit bailler une compagnie de cent gendarmes, & pension de soixante mille liures pour quatre ans. Leçon qui luy avoit esté expres enseignee par le Roy Louys son beau-pere, avant que de mourir, luy enjoignant que sur toutes choses il empeschast qu' on ouvrist la porte aux armes dedans son Royaume, tant & si longuement que son fils seroit en bas aage. Comme aussi n' y a-il riens qu' il faille tant craindre, que la guerre, pendant la minorité d' un Roy.

Nostre Roy & le Duc de Lorraine diversement assortis des biens, terres, & seigneuries de la maison d' Anjou, restoit à partager entre eux l' esperance des trois Royaumes & du Duché de Calabre, chacun d' eux pretendants y avoir la meilleure part: car combien que les François se l' adjugeassent en consequence du testament de Charles d' Anjou, toutesfois les Princes Lorrains n' en voulurent lors quitter le tiltre. Ainsi Yoland s' intitula Royne de Sicile, jusques au jour de son decés, qui fut l' an mil quatre cens quatre vingts neuf, & apres elle René son fils: Le tout au veu & sceu de nos Roys sans aucune contradiction. Et d' un autre costé combien que Charles huictiesme cornast la guerre contre l' Arragonnois pour la recousse du Royaume de Naple, toutesfois jamais René ne feit protestation contraire. Voire en plus forts termes, sommé & interpellé par les Napolitains qui s' estoient revoltez contre leur Roy Ferdinand, de s' armer & joindre ses forces avecques les leur, comme celuy qui y avoit le principal interest, il saigna du nez, soit qu' il estimast cette querelle estre la nostre, ou qu' il se fust faict sage par les folastres voyages des Princes d' Anjou ses predecesseurs.

Tellement que ce fut une chasse morte aux Lorrains: mais non à nous autres François, & le premier de nos Roys qui s' engagea à cette querelle fut Charles huictiesme (contre l' advis des plus sages) poussé d' un boüillon de sa grande jeunesse, & de je ne sçay quels mignons apprentis au fait de la guerre. Voyage qui eut une entree heureusement courte, & une retraicte plus heureuse que ne se promettoit la sagesse de tous les Potentats d' Italie. Toutesfois je ne voy point que nostre France raportast de ce voyage autre fruict, que la perte du corps & des biens. Car c' est celuy auquel on doit l' origine de cette malheureuse maladie, que quelques uns nommerent depuis mal de Naples, pour y avoir premierement mis son siege, & les autres mal des François, parce qu' ils en porterent les premieres marques. Et pour le regard des biens, nous devons au mesme voyage le premier engagement du Domaine de la Couronne pour subvenir aux affaires de la guerre. Car le Roy Charles estant sorty du Royaume à la vanuole, sans auparavant recognoistre quel estoit le fonds de ses finances, se trouvant en la ville de Plaisance court d' argent, decerna ses lettres patentes en Octobre mil quatre cens quatre vingts quatorze, pour engager de son Domaine jusques à la somme de six vingts mil escus. Et parce que c' estoit un chemin non encores frayé par la France, il voulut authoriser ses lettres de l' advis de treize seigneurs ses principaux Conseillers. Ces lettres envoyees au Parlement furent du commencement trouvees de tres-fascheuse digestion, toutesfois la necessité n' ayant point de loy, il fut trouvé bon pour desgager nostre Roy de ce perilleux voyage de tolerer cest engagement, pour ce coup tant seulement, & sans le tirer en consequence, portoit la verification du vingtiesme Novembre au mesme an. Belle protestation sans effect. Et de moy toutes & quantes fois que je lis cette sage clause portant un, Sans le tirer en consequence, pour faire passer & donner cours à une ouverture nouvelle, je m' en ris: comme estant une clause contrevenante au naturel de ce Royaume, qui est un Royaume de consequence. Ce que nous avons depuis esprouvé en ce mesme subject: car combien que le Domaine de la Couronne soit une chose sacrosaincte, & que l' alienation n' en soit faicte qu' à faculté de rachapt perpetuel, sans aucune limitation de temps: toutesfois ce mesnage par succession de temps est arrive à tel desbord & desarroy entre nous, que horsmis les tiltres generaux du Domaine, pour le regard des terres particulieres, à peine en trouverez vous aujourd'huy aucunes, esquelles nos Roys se puissent heberger.

Discours qui n' est pas du present subject: mais pour reprendre mes brizees, l' observation que je fais en tous ces voyages de Naples, est une belle promesse de fortune sur nos arrivees, mais fascheuses fins pour closture de nos entreprises. Apres le decés du Roy Charles, trois Roys successivement & l' un apres l' autre s' y voüerent, uns Roys Louys douziesme par l' entremise du Seigneurd' Aubigny, François premier par le Mareschal de l' Autrec, & Henry deuxiesme par le Duc de Guyse, tous grands Capitaines & guerriers. Et ces trois Roys se trouverent successivement, & l' un apres l' autre deceuz de leurs esperances, apres avoir faict une despense infinie, & perte d' une infinité de Seigneurs & Capitaines de marque: J' excepte le dernier voyage, par ce qu' il fut interrompu par un changement de volonté du Pape Carrafe qui nous y avoit appellez. Que si nous eussions employé, quand les occasions s' y sont presentees, au recouvrement des pays qui nous attouchent, & sont de nostre ancien estoc, tout l' argent qu' avons despendu en la recherche de ce Royaume de nous separé, & de mœurs, & d' un long entrejet de chemins, il nous en fust beaucoup mieux pris. Lisant les Historiographes qui en ont escrit, vous trouverez de grandes fautes advenuës de la part de ceux qui prés de nos Roys estoient estimez les plus sages. Et quant à moy je les impute à nostre malheur, y ayant eu quelque Ange qui par le vouloir expres de Dieu, s' opposa aux desseins qu' entreprismes de là les Monts, & tint en bride ceux que pouvions selon les rencontres, aisément executer à nos portes aux pays bas.

6. 27. Des pretensions de la seconde famille d' Anjou sur le Royaume de Naples, & des ruineux voyages qu' elle y fit.

Des pretensions de la seconde famille d' Anjou sur le Royaume de Naples, & des ruineux voyages qu' elle y fit.

CHAPITRE XXVII. 

Le Comté d' Anjou baillé en apanage à Charles de France, depuis Roy de Sicile, apres son decés, Charles deuxiesme son fils mariant Marguerite sa fille aisnee avecques Charles Comte de Valois, frere puisné du Roy Philippes le Bel, il leur bailla en faveur de mariage ce Comté, duquel mariage nasquit le Roy Philippes de Valois, & par ce moyen le Comté reuny à la Couronne. Le Roy Jean fils de Philippes, mourant delaissa quatre enfans masles. Charles son fils aisné, auquel escheut la Couronne: Louys qui le secondoit d' aage fut apanné du Duché d' Anjou (ainsi fut-il lors appellé) & du Comté du Maine: Jean du Duché de Berry & d' Auvergne: & Philippe du Duché de Bourgongne. Charles V. mourant delaissa deux enfans moindres d' ans, Charles VI. Louys Duc d' Orleans, & l' ordre tenu apres son decés fut que Louys aisné des trois freres avroit la charge generale des affaires de l' Estat & des finances de France, & Jean & Philipes ses freres puisnez le gouvernement des personnes du Roy & de son frere. Et par ce que ce chapitre est voüé à la seconde famille d' Anjou, je suivray la mesme trace que j' ay faict en la premiere, & la vous representeray depuis son premier tige jusques a la fin. 
Louys premier, Duc d' Anjou & Comte du Maine.
Louys second son fils marié avec Yoland d' Arragon fille unique de la maison d' Arragon & de Bar. De ce mariage nasquirent trois enfans, Louys troisiesme, René & Charles. Louys troisiesme deceda sans hoirs procreez de son corps, delaissez pour ses heritiers René & Charles ses freres. René marié avec Isabeau de Lorraine fille unique de Charles Duc de Lorraine. Duquel mariage nasquirent Jean & Yoland d' Anjou.

Jean deceda avant René son pere, delaissé pour son heritier Nicolas son fils, qui mourut pareillement avant son ayeul. De maniere que les deux successeurs de René d' Anjou & Isabeau de Lorraine aboutirent en Yoland d' Anjou leur fille unique. 

René comme j' ay dict, eut un frere nommé Charles auquel il bailla pour son partage entre autres biens le Comté du Maine.

A Charles premier succeda Charles second son fils, que René avant que de mourir institua son heritier au Comté de Provence. Cestuy est le dernier Prince masle de ceste seconde famille, lequel mourant sans hoirs yssus & procréez de son corps, delaissa son heritiere ab intestat Yoland d' Anjou sa cousine germaine, vray qu' il fit auparavant que de mourir un testament dont sera parlé en son lieu.

Ce premier plant ainsi jetté, je viens maintenant au sujet du Royaume de Naples, que je pretends n' avoir esté qu' un amusoir de l' ambition de nos Princes, & leurre de nostre ruine.

Louys premier ayant esté adopté par Jeanne premiere du nom Roine de Naples, & consequemment institué son heritier universel en tous & chacuns ses grands biens, se fit Comte de Provence par la mort de sa mere adoptive, comme estant ce pays en sa bienseance. Mais pour le regard du Royaume de Naples, dont Charles de Durazzo s' estoit impatronizé, il leva une puissante armee de cinquante mille hommes, selon la voix commune des Historiens, qu' il fit passer en Italie, qui fut recueillie par son ennemy d' une main hardie. Cette guerre traina l' espace de trois ans ou environ, pendant lesquels plusieurs rencontres & escarmouches. En fin bataille liuree, victoire sanglante obtenuë par Durazzo. Le Duc Louys nauré de cinq playes dont il mourut cinq jours apres. Le Roy l' honore de funerailles & obseques, convenables à sa grandeur, & en porta le dueil un mois durant. Cela s' appelle porter le dueil exterieur, par ceremonie, & grand contentement dedans l' ame, d' estre asseuré de son Estat par la mort de son ennemy. Ce Prince adopté par la Royne Jeanne en l' an mil trois cens septante neuf, entreprit le voyage l' an mil trois cens octante deux, mourut l' an mil trois cens octante quatre, & demeurent tous les historiographes d' accord que ce voyage espuisa tous nos grands thresors se montans à douze millions de liures de monnoye forte, que le sage & riche Roy Charles cinquiesme avoit amassez. Ce que ce grand Roy avoit espargné pendant son regne par sa sagesse, fut en moins de rien dissipé par la follie d' un sien frere. Permettez moy que sans hypocrisie il me soit permis user de ce mot (car pour bien dire sur cette premiere follie nous en entasmes apres plusieurs autres.) Une juste douleur me fait user de ce mot, estant speciallement marry, que les Papes chefs de nostre Eglise, ayent esté le plus souvent les premiers boute feux de nos entreprises pour nous y laisser embourber, ainsi que pourrez plus amplement entendre par ce que je vous discourray cy apres.

Charles de Durazzo s' estant rendu pacifique du Royaume vint adorer à Rome le Pape Urbain sixiesme pour le secours qu' il avoit receu de luy. Et le Pape en contre-eschange le visita en la ville de Naples, pour le congratuler de l' heureux succez de ses affaires. Mais comme ce voyage estoit faict à autre dessein, aussi apres les caresses ordinaires passees, le Pape le pria de vouloir accorder à Butolo son nepueu la principauté de Capoüe. Chose à quoy le Roy ne voulant entendre tira sa responce en longueur: Jusques à ce qu' en fin pressé par le Pape, qui en vouloit estre resolument esclaircy il en fut absolument esconduit. Et deslors se forma une inimitié mortelle entr'eux deux.

Histoire certes pitoyable, mais que je ne puis passer sous silence pour le devoir de ma plume. Le Pape estant en la ville de Nocerre decerne un adjournement personnel contre le Roy, en bonne deliberation de luy faire & parfaire son procez. A l' assignation il compare, mais accompagné d' une puissante armee devant la ville, luy mandant qu' il ne s' estoit voulu rendre contumax encontre le commandement à luy faict par sa Saincteté, Diverses escarmouches: Le nepueu du Pape pris, & mené en seure garde à Naples. Le Pape craignant qu' à la longue ses affaires se portassent mal en cette ville se retire en celle de Fondy, où il excommunie le Roy & tous ses adherans (armes communes des Papes qui portent quelquesfois grand coup) & parce qu' il y avoit quelques Cardinaux dont il se deffioit, apres les avoir fait appliquer à la question, il extorque de leurs bouches ce qu' il desiroit, il en fit noyer cinq, & décapiter trois autres dont les corps furent seichez dedans un four chaud, & leurs carcasses portees devant luy sur trois mulets, leurs chappeaux rouges au dessus, pour servir de crainte & exemple à tous autres, a fin de ne rien entreprendre contre son authorité.

Quelque temps apres le Roy Charles est assassiné dedans la ville de Bude en Hongrie, ainsi que je vous ay discouru par le precedent chapitre. Nouveau remuement de mesnage au Royaume de Naples contre la Royne Marguerite sa veufve, & Ladislao & Jeanne ses enfans, lesquels sont excommuniez par Urbain VI. Croisade sonnee, le Royaume donné en proye au premier Prince qui le pourroit occuper. Ce Prince se trouva en Louys II. Duc d' Anjou, qui fut couronné Roy de Sicile, Naples & Hierusalem par Clement septiesme Antipape, seant en Avignon. Fut-il jamais plus belle semonse de fortune que cette cy? Prince qui s' estimoit Roy droicturier du Royaume par le moyen de l' adoption faicte de son pere par la Royne Jeanne I. Prince invité à cette entreprise par les deux Papes, par l' excommunication, & croisade cornee par celuy de Rome, & par le commandement de celuy de France: Bref avoir affaire à une vieille Princesse, & deux jeunes Princes seulement abandonnez, comme il sembloit du Ciel, & de la terre tout ensemble, par la mort cruelle & inopinee du feu Roy. Or voyez comme Dieu se mocqua de luy. Urbain va inesperément de vie à trespas, qui eut pour successeur Boniface neufiesme, lequel annichila tout ce qui avoit esté decreté par son predecesseur contre la mere & les enfans, les reconciliant par ce moyen au commun peuple, prend leur querelle en main, & faict par son Legat couronner Roy Ladislao dedans la ville de Caiette, & ce jeune Prince plus advisé que son aage ne portoit, voyant une forte guerre qui devoit tomber sur ses bras pour subvenir aux fraiz d' icelle, espouse une Dame non tenant tel rang que luy, mais comblee de bagues, or, & argent monnoyé & non monnoyé. Louys second, secondé par ses partisans du pays, arrive avec ses gens au Royaume, où apres avoir faict quelque demonstration de vouloir joüer des mains, soit ou que le cœur, ou la finance luy defaillist, il tourne visage vers la Provence, faisant gouverner par Procureurs le peu qu' il tenoit au Royaume. Et Ladislao tirant à son profit cette absence se rendit quelques mois apres seigneur universel, ne restant de ce deuxiesme voyage au Prince Louys qu' une honte.

Mais encores sera cette-cy plus grande au troisiesme voyage, que je vous reciteray maintenant. Ladislao né grand capitaine, & guerrier dés le ventre de sa mere, s' estant rendu paisible du Royaume, non toutesfois de son esprit, commence par nouveau conseil de se vouloir rendre seigneur & maistre de la ville de Rome. Comme de faict il la prit, & en jouyt quelque temps: Nouvelle ligue contre luy juree par le Pape, le Florentin, le Sienois, avecques lesquels Louys II. est de la partie. Qui s' achemine en Italie avec un grand ost. Siege mis devant la ville qui est reduite soubs l' obeissance du Pape. Louys est embrassé de tous ses associez d' un tres favorable accueil, prend à sa soulde le grand captaine Sforce, qui lors pour la creance qu' il avoit acquis entre les Princes d' Italie, leur donnoit la loy ainsi que bon luy sembloit. Ladislao les attend de pied quoy: Les deux armees se heurtent l' an mil quatre cens unze. Ladislao mis en route, & plus grande partie des siens, qui tuez, qui prisonniers, mesmes les plus signalez seigneurs, & luy reduict aux termes de desespoir s' il eust esté poursuivy. Mais Louys content de ce qui avoit esté par luy si heureusement exploicté, se retire en son logis, où par une debonnaireté (vous jugerez si bonne ou mauvaise) il licentia tout aussi tost les gens de guerre par luy pris, qui reprindrent leur adresse vers le Roy, lequel petit à petit reprit aussi & son haleine, & ses forces. Victoire non chauldement poursuyvie par Louys, ou par sa nonchallance admirable, ou par un artifice de Sforce, estant tout capitaine gagé tres-content de ne voir la fin d' une guerre, non plus que le praticien d' un procés. Et de faict Ladislao conduisit depuis ses affaires de telle sorte, qu' il revint sur pieds, tout ainsi comme devant. Disant en commun propos que si Louys eust poursuivy à la chaudecole sa victoire, le jour que la bataille fut donnee, il se fust rendu maistre, & de luy & du Royaume: si le lendemain, du Royaume, & non de luy: si le troisiesme jour, ny de luy, ny du Royaume. Par ainsi si j' en suis creu, plus cette victoire fut grande, & plus elle fut honteuse pour nostre Louys.

Le Roy Ladislao meurt l' an mil quatre cens quatorze, delaissee Jeanne sa sœur son heritiere, seconde Royne de ce nom, laquelle ayant esté investie, tombant en mauvais mesnage avecques le Pape Martin cinquiesme, luy pour se venger d' elle, somme Louys troisiesme pour recevoir par ses mains les trois couronnes, à luy loyaument escheües par le decez du Roy Louys deuxiesme son pere. Il y accourt, est investy, & prend par le commandement du Pape le mesme Sforce pour estre Lieutenant general de son camp. Lequel passant avecques son armee le long des murailles de Naples, la Royne estant en une fenestre luy reproche son ingratitude. Luy au contraire s' en deffend, rejettant sur Carracioli favory d' elle, tout le mal qui se presentoit entr'eux. Et neantmoins il promet de luy faire une guerre douce. La Royne pour destourner le grand orage qu' elle voyoit sur le poinct de s' eclater sur la teste: Ayant le Pape l' Angevin & Sforce pour ennemis qui estoit en campaigne, adopta Alfonce Roy de la Sicile par instrumens authentiques l' an mil quatre cens vingt & un, lequel vint à son secours avec une puissante armee, en laquelle il prit Braccio grand capitaine pour faire teste à Sforce. L' Italie portoit lors dedans son sein une engeance de guerriers qui estoient a qui plus leur donnoit. Uns Sforce, Braccio, Baldora, Piscino, lesquels issus de bas lieux se feirent grands par les armes, & s' enrichirent de la ruine d' Italie. Louys troisiesme estoit cependant dans Rome se repaissant des caresses & favorables accueils du Pape: & au regard de son armee s' en reposoit du tout sur Sforce par luy fraischement pris à ses gages: lequel compagnon d' armes de Braccio, capitula avecq' luy une paix secrette, & tout d' une main avecques la Royne & Alfonse. Je vous ay par le precedent chapitre sommairement discouru les rancunes qui avecques le temps se logerent aux cœurs de la mere adoptive, & de son nouveau fils adoptif, qui s' estoit saisi de Carracioli, ne pouvant plus voir les sotties qui se passoient entre la Royne & luy. Chose qui esmeut nouvelle guerre entr'eux, en laquelle la Royne ne douta de s' aider à face ouverte de Sforce, par le conseil duquel elle exhereda l' Arragonnois, comme ingrat, & choisit un autre nouveau fils, qui fut Louys III. qu' elle institua ion heritier universel: que depuis Sforce se noya, Carracioli fut assassiné par le commandement de sa Maistresse, que Louys mourut l' an mil quatre cens trente quatre, & quelque peu apres la Royne, se trouvant par ce moyen nouveau visage d' affaires en ce Royaume.

Louys III. avoit laissé René son second frere plus proche à luy succeder, lequel par consequent pretendoit le Royaume luy appartenir. Partant se trouverent lors deux grands corrivaux, chacun d' eux ayant assez de moyens & subject pour exercer & la langue & la plume d' un Advocat, si la cause eust deu estre terminee par la voye de la pratique, & non des armes. Car Alfonce soustenoit avoir esté bien & deuëment adopté par la Royne, & d' une mesme main institué son heritier universel au Royaume. Double qualité qui le rendoit Roy apres le decés d' icelle, ny ne luy pouvoit nuire que depuis par une injuste colere, elle l' eust exheredé, comme ingrat. Car aucune ingratitude ne pouvoit-on trouver en luy pour laquelle il deust encourir la peine d' exheredation. D' autant que tout ce qu' elle luy pouvoit imputer, estoit la prison de Carracioli, lequel impudemment abusoit aux yeux de tous de l' honneur de cette Princesse, dont il ne vouloit plus asseuré tesmoin que la voix commune du peuple. Parquoy tant s' en falloit que ce qui avoit esté faict par luy fust subject à reprimande, qu' au contraire il meritoit repremiation & guerdon. Grandes raisons certes de la part d' Alfonse, mais non moindres de celle de René. Car il soustenoit qu' il ne falloit coucher de cette nouvelle adoption d' Alfonce. Par ce que la famille d' Anjou, dés pieça & auparavant avoit esté appellee, & au Comté de Provence, & au Royaume de Naples par la Royne Jeanne I. du nom. En consequence dequoy Louys I. son ayeul s' estoit apres la mort d' elle mis en possession du Comté de Provence, & combien qu' il n' eust pas fait le semblable du Royaume, c' avoit esté pour les obstacles & destourbiers, qui luy avoient esté faits & à ses successeurs, lesquels s' estoient opiniastrez à la recousse d' iceluy. Tesmoins le premier voyage de Louys premier, les second & troisiesme de Louys deuxiesme, & le quatriesme de Louys troisiesme dernier mort, depuis adopté & institué heritier par la Royne Jeanne seconde. Adoption & institution qui ne luy pouvoit prejudicier ny aux siens. Car pour icelle il n' entendoit pas renoncer à son ancien droict, pour lequel il s' estoit acheminé avecques son armee en Italie. Mais bien qu' ayant deux cordes en son arc, il se pourroit faciliter les moyens de joüir de son Royaume sans coup ferir. Au demeurant qu' Alfonse ne se pouvoit aucunement excuser de la faute par luy commise envers sa mere adoptive: d' autant que ce n' estoit à luy de descouvrir sa turpitude, quand bien il s' y en fust trouvé, non plus qu' à Cam celle de son pere Noé, qui fut cause de son exheredation. Tout cela s' appelle, à bien assaillir, bien defendre. Et à vray dire si cette cause eust deu estre vuidee par la plume, je veux croire que celle du Prince Angevin estoit la meilleure. Mais ayant à estre decidee par les armes, l' Arragonnois avoit un titre plus fort. Qui estoit que tout ainsi que son Royaume de Sicile atouchoit de plus pres celuy de Naples, aussi estoit Alfonce, par la commodité de ses affaires, plus proche habille à y succeder. Car en telles matieres d' Estat, un simple tiltre coloré, avecques la force, va devant tous les autre tiltres.

Or comme ces deux Princes avoient diverses raisons pour le soustenement de leurs droicts, aussi ne manquerent ils de partisans d' une part & d' autre, qui tenoient grand rang dedans le Royaume. Douze personnages d' honneur furent nommez en la ville de Naples, pour donner ordre à la Police, qui favorisoient le party Angevin. Mesmes pour cuider rendre sa cause plus forte, supposerent un faux testament de la Royne en faveur de luy, outre ses anciennes pretensions (ainsi que mettent en avant quelques malignes plumes, ce que je ne veux croire: Car il avoit trop de bons droicts sans cela) & luy envoyerent Ambassades pour le prier de venir en toute diligence prendre possession actuelle de son Royaume. Ce qu' il ne peut: car de mal-heur il estoit lors prisonnier d' Antoine de Lorraine Comte de Vaudemont. Je vous toucheray cy apres le motif de leur different: Ny pour cette prison toutesfois ses affaires n' en empirerent pas grandement. Estant assisté d' une Isabeau de Lorraine son espouse, vraye Amazone, qui dans un corps de femme portoit un cœur masle, & feit tant d' actes genereux pendant cette prison, que je pense cette piece devoir estre enchassee en lettres d' or, dedans les Annales de Lorraine. Soudain qu' elle eut cest advis de son mary, elle prie Philippes Duc de Milan de vouloir embrasser les affaires de leur maison, & à l' aide de luy, feit mettre garnison dedans Caiette (ville qui en grandeur & authorité seconde celle de Naples) dont elle estoit la premiere entremetteuse. Alfonse d' un autre costé ne dort pas, & prend la prison de son ennemy, pour un sien grand avantage.

Et par ce qu' au port de Caiette y avoit plusieurs Nauz marchandes Genevoises, & plusieurs riches marchands de Gennes, sur quoy il y avoit beaucoup à gaigner, il mit le siege devant cette ville, esperant par la prise en rapporter un butin, qui seroit suffisant pour fournir au defroy general de cette guerre. Les Genevois au contraire implorent le secours de leurs concitoyens, qui lors s' estoient mis sous la protection du Duc de Milan. Ils y envoyent une armee navale qui rencontre celle d' Alfonce, lequel tenoit la ville assiegee par terre, & par mer. Bataille par mer est donnee, en laquelle les affaires succedent si à propos aux Genevois, qu' ils en rapportent pleine victoire, le Roy pris avecques deux de ses freres, & plusieurs autres grands seigneurs qui furent tous envoyez au Duc de Milan pour en disposer à sa volonté. Imaginez je vous prie en quel piteux estat pouvoit lors estre le Royaume de Naples, les deux Princes qui le pretendoient estans diversement prisonniers. Et à vray dire l' Angevin sembloit avoir le dessus, par la presence de la Royne sa femme, qui estoit dedans la ville de Naples, & le siege de Caiette levé, soudain apres le desastre de l' Arragonniois. Que si le Duc de Milan qui s' estoit du commencement rendu parrein du Roy René n' eust point tourné sa robbe, indubitablement il falloit qu' Alfonce tirast le rideau, car la farce estoit tout à faict joüée pour luy.

Or voyez comme Dieu renversa inopinément tous ces advantages, mesmes voulut que celuy sur lequel René fondoit sa grandeur fust l' instrument de sa ruine. Le Roy Alfonse estoit Prince sage, auquel, ny l' esprit, ny la parole ne manquoient au besoin, & comme il gouvernoit de fois à autres le Duc, il luy remonstra que la consequence de sa prison ne le concernoit point tant, comme elle concernoit le Duc. Que luy demeurant maistre & seigneur du Royaume de Naples, il ne seroit pas assez puissant pour le guerroyer, mais que le plus grand heur qui luy pourroit advenir pour sa manutention seroit d' estre son confederé: Et qu' en ce faisant ils se pourroient par leur confederation conserver en leurs Estats. Qu' au contraire le Duc René rendu paisible, estant François, mesmes extraict du sang Royal, advenant que pour quelque nouveau subject il luy convint tirer forces de France, le Duché de Milan serviroit de planche & passage, & en tel accessoire y avoit danger qu' en passant, le Roy de France ne s' en voulust faire croire. De maniere qu' il adviendroit que le Duc de Milan avroit 2. ennemis, l' un en teste qui seroit le Roy de France, l' autre en queuë qui seroit le Prince Angevin Roy de Naples. Ces remonstrances digerees tout à loisir par le Duc luy firent changer de propos, & se passerent les affaires de telle sorte que dés l' heure le Roy Alfonse, & Philippe Duc de Milan, jurerent une amitié fraternelle entr'eux, qui ne prit fin que par la mort du Duc, lequel mit en pleine liberté Alfonse & tous les autres prisonniers. Alfonse dis-je, qui raporta un grand heur de son mal-heur. Comme aussi vers ce mesme temps le Roy René sortit de prison, moyennant le mariage de sa fille Yoland d' Anjou, avec Ferry de Lorraine fils d' Antoine Comte de Vaudemont. Ainsi estans ces deux Princes au large commencerent à joüer des cousteaux à qui mieux mieux, l' un tantost victorieux, & puis l' autre. Et ne fut jamais un plus grand chaos, meslange & confusion d' affaires en ce Royaume: Cela dura environ six ans, chacun des deux Princes se donnant titre & qualité de Roy és lieux par luy possedez. René ayant un advantage sur Alfonce, en ce qu' il possedoit Naples ville metropolitaine du Royaume, mais l' autre en contreschange ayant la commodité d' un plus prompt secours que luy, comme aussi favorize en cecy de la fortune, il reprit la ville sans grande effusion de sang par un aqueduct, c' est à dire par la mesme voye que le grand Bellissaire l' avoit autresfois reduite sous la puissance de l' Empereur Justinian son maistre. Je remarque ces six ans pour la crise de la maladie en faveur d' Alfonse. Car en fin, le Roy René & sa femme apres s' estre espuisez de tous moyens furent contraincts de quitter la partie, & de faire leur retraitte à Marseille. Non toutesfois sans envie & esperance de retour, mais en vain. Et cestuy est le cinquiesme voyage de Naples, qui porte plus ample nom que de voyage, car le sejour fut de six ans, mais non de plus heureux succez que les autres.

Ils eurent un fils nommé Jean, qui portoit titre & qualité de Duc de Calabre. Prince doüé de plusieurs bonnes & grandes parties, tant de corps que d' entendement, lequel fut faict gouverneur de l' Estat & ville de Gennes, le Gennevois s' estans mis sous la protection de nostre Roy Charles septiesme. Ce jeune Prince se comporta avecques une telle modestie envers ce peuple hagard, qu' il gaigna grandement sa bonne grace. Advint en l' an 1458. la mort du Roy Alfonce, qui par son testament institua son heritier Jean son frere aux Royaumes d' Arragon & de Sicile, & Ferdinand son fils naturel en celuy de Naples. Si vous parlez à Pandolfe en son histoire de Naples, c' est Ferdinand: si à Machiavel en celle de Florence, c' est Ferrand: si à Jovinian Pontan, qui estoit l' un de ses Conseillers & a escrit son histoire, c' est Ferdinand, & tel aussi me sera-il en ces presens discours. Ce jeune Roy trouva sur son advenement la fortune merveilleusement rebourse. Car outre ce qu' il n' estoit enfant legitime, le Pape Calixte III. qui desiroit faire tomber la Couronne de Naples és mains de Pierre Louys Borgia son fils ou nepueu, excommunia Ferdinand, & defendit aux subjects sur peine d' excommunication de luy faíre le serment de fidelité. Le Roy Alfonse auparavant son decez avoit osté quelques villes & bourgades à Jean Antoine Prince de Tarente, qui s' en voulut lors ressentir. Il attire à sa cordelie les Duc de Sesse, & Marquis de Cottion, & sollicite, tant le Roy René, que Jean son fils de ne perdre l' occasion qui se presentoit pour le recouvrement du Royaume qui loyaument leur appartenoit. Que jamais temps ne se trouveroit plus à propos que cestuy. Ayant affaire à un bastard, excommunié par le Pape, & hay par la plus grande partie de la Noblesse. Mesmes qu' ils estoient trois grands chefs de part liguez contre luy. Toutes ces rencontres y feirent entendre le Duc Jean, assisté, outre les forces du Roy René son pere, de celles des Gennevois tant en vaisseaux de mer comme argent.

Pendant ces menees, advient la mort de Calixte aagé de quatre vingts ans, au lieu duquel fut faict Pape Aeneas Silvius, qui se fit nommer Pie deuxiesme, homme grand faciendaire, ainsi qu' il avoit bien faict paroistre par ses deportemens, auparavant qu' il fust appellé à cette grande & souveraine Prelature. Les Picennins s' estoient emparez de quelques terres & seigneuries du sainct Siege. Ferdinand par un meur & sage conseil s' arme contre eux, & donne si bon ordre à son faict qu' il les en chasse, & faict que le tout retourne à l' ancien estat de l' Eglise, & tout d' une main marie une sienne niepce avecques Anthoine Piccolomini nepueu du Pape: en faveur duquel mariage il leur donne les Comtez de Melfe, & de Colano: rend quelques villes, que le Pape pretendoit appartenir au sainct Siege. Brief manie ses affaires d' une si sage conduite, qu' il est absous des censures Ecclesiastiques, & tout d' une main instalé au Royaume de Naples par le Pape Pie, qui de là en avant feit son propre faict du faict de luy. Car comme ainsi fust, qu' en la generale assemblee des Princes Chrestiens tenuë en la ville de Mantouë, pour faire la guerre au Turc, le Roy Charles, & le Roy René, y eussent envoyé leurs Ambassadeurs, qui avant tout œuvre eussent fait instance du tort qui leur estoit fait en l' Estat de Naples, induëment occupé par Ferdinand: Le Pape ne s' en feit que rire, leur monstrant qu' ils n' avoient

aucun subject de s' en plaindre. Qui feit retourner les Ambassadeurs malcontens sans attendre la conclusion de l' assemblee.

Nonobstant cette confederation avecques le Pape, les autres ne laissent de poursuivre leur premiere pointe. Et de faict le Duc Jean apres avoir donné ordre à son gouvernement partit de Gennes en Octobre mil quatre cens cinquante neuf, avecques sa flote, & eut si bon vent que peu de jours apres il surgit au Royaume de Naples. Accueilly à son arrivee, non seulement de trois grands seigneurs cy-dessus nommez, qui luy avoient ouvert le chemin, mais aussi de plusieurs autres. Ce peuple naturellement disposé à novalitez, disoit que par commun bruit, c' estoit un jeune Prince bien né, doux, agreable, piteux & vaillant extraict du sang Royal de France, lequel venoit s' opposer à l' usurpation induë de Ferdinand, bastard, d' une extraction Espagnole, dont la domination à la longue se trouvoit insupportable, quelques apparences de doux appas qu' elle produisist du commencement. Au moyen de quoy plusieurs sur ces gages se licentians de l' obeyssance de Ferdinand, se soubmirent soubs celle de Jean. 

Pour le faire court, jamais Prince François ne s' estoit auparavant trouvé en son tout, accompagné de tant de faveurs de fortune, & neantmoins le fruict final que raportasmes de cette entreprise, fut que les Gennevois, non moins desireux de nouveautez que les Napolitains, trouverent moyen pendant l' absence de Jean de se soubstraire de la protection des François: De maniere que par un mesme moyen, nous perdismes, & la recousse du Royaume de Naples, & la manutention de l' Estat de Gennes: n' estant demeuré en l' esprit de Jean, qu' un remords & desir de vengeance contre le Roy Louys unziesme, qu' il disoit avoir de propos deliberé desdaigné de le secourir. Et depuis pour s' en vanger, se mit du party des Princes, qui s' estoient contre luy liguez souz le masque du bien public: Mais avant qu' il quittast la partie, il se veit abandonné de ses trois partissans qui feirent leur paix l' un apres l' autre avecques le Roy Ferdinand, mesmes le Prince de Tarante, que le Roy fut tres-aise d' embrasser, au lieu de le chastier, a fin d' asseurer son Estat de tout point. Depuis ce temps les Princes Angevins ne reprindrent les brizees de Naples: car Jean mourut en l' an 1470. & Nicolas son fils en l' an 1473. delaissé le Roy René leur pere & ayeul chargé d' ans, & d' ennuis, qui mourut n' ayant pour toute consolation qu' une seule fille Yoland d' Anjou pour son heritiere.