lundi 17 juillet 2023

6. 29. Qu' il n' est pas expedient pour un Prince, de mettre ses Commandemens faicts par colere en prompte execution.

Qu' il n' est pas expedient pour un Prince, de mettre ses Commandemens faicts par colere en prompte execution.

CHAPITRE XXIX.

L' on recite que l' Empereur Theodose, ayant esté adverty que les Thessaloniens l' avoient joüé sur un escharfaut, irrité de cette nouvelle commanda que l' on les meit tous à mort. Ce qu' ayant esté executé à la chaude cole, il en fut apres aigrement repris par sainct Ambroise Evesque de Milan, qui ne le voulut recevoir à la Communion des fideles, qu' il n' en eust premierement faict penitence en la presence de toute l' Eglise. Ce qu' il fit, & ordonna que ses Commandemens de là en avant ne sortissent effect, sinon quelques jours apres qu' il les avroit faicts, c' est a dire, lors que sa colere estant refroidie, il avroit recueilly ses esprits en soy. Il appartient au Prince de sagement commander, & au subject de sagement executer les Ordonnances de son Prince, ores que ce ne soit à luy d' entrer en cognoissance de cause de la volonté de son Maistre, ainsi que je vous veux representer par ce present chapitre. L' Histoire est commune des guerres qui furent entre la maison de Montfort, & celle de Blois, pour le Duché de Bretaigne, lesquelles prindrent fin par la mort du Comte de Blois, & prise de ses enfans, qui furent confinez en Angleterre par Jean Comte de Montfort, & Duc de Bretaigne. Messire Olivier de Clisson, Breton, & Connestable de France, qui dans son ame n' aspiroit à petites entreprises, conseilloit de jour à autre au Duc de deliurer des prisons Jean & Guy de Bretaigne ses cousins, suivant ce qu' il avoit promis au traité fait à Guerrande, & que plustost il imposast une taille sur ses sujets pour fournir à leur rançon: Toutesfois le Duc n' y vouloit entendre, craignant qu' estans deliurez, ils ne remuassent quelque nouveau mesnage encontre luy. Quoy voyant Clisson, il sollicite sous main le mariage de Marguerite sa fille avecques Jean, & moyennant ce, promet payer & acquiter sa rançon. L' affaire est conduite de telle façon, que Jean de Bretaigne deliuré, espouse la fille du sieur Clisson. Ce qui offença tellement le Duc de Bretaigne, & paravanture non sans cause, qu' il delibera s' en venger à quelque prix que ce fust. Pour y parvenir il fit proclamer ses Estats à certain jour en la ville de Vannes avec mandement exprés à tous ses Barons & vassaux de s' y trouver, lesquels s' y trouvent au jour assigné, & apres avoir decidé entr'eux ce qui leur avoit esté proposé, & les Estats clos, le Duc les festoya tous en sa maison; & le lendemain le Connestable fit le semblable, où sur la fin du disner le Duc vint trouver la compagnie: Or faisoit-il lors bastir à l' un des autres bouts de la ville un fort Chasteau, qu' il nommoit l' Ermine, si leur dit qu' il desiroit qu' ils le vinssent voir, a fin de luy en donner leur jugement: chacun se met à sa suite, & arrivez qu' ils y furent, il les promena par tout le logis, estans à la principale Tour, le Duc s' arreste à l' entree, & dit au Connestable qu' il y entrast pour juger si la place estoit de deffense contre les avenuës de la Mer. Soudain qu' il y est entré, & monté à un estage, il est salüé par des gendarmes, lesquels se saisirent de luy, & le mettent aux fers, & quant & quant l' on ferme la porte sur luy. En cette compagnie estoit le seigneur de Laval, Beaufrere du Connestable, lequel bien estonné, commence d' en faire instance au Duc, qui luy commanda de vuider promptement, sçachant bien ce qu' il avoit deliberé de faire. A quoy le seigneur de Laval replique, qu' il ne partiroit de sa ville sans son beau-frere. Le Connestable est baillé en garde au seigneur de Bavalan, auquel le Duc enjoignit de le faire noyer sur le minuict à petit bruit. Le seigneur de Bavalan Gentilhomme advisé, le supplie qu' il luy pleust remettre l' execution de ce commandement au temps qu' il ne seroit plus courroucé. Mesmes que le meilleur seroit qu' on luy fist son procés, & que s' il se trouvoit que le Connestable eust desservy la mort, il la souffrist. Quoy faisant on ne pourroit rien imputer au Duc: Mais luy d' un courage forcené, luy repartit qu' il n' en feroit rien, & qu' il n' y avoit autre que luy qui sceust combien le Connestable luy pesoit sur le cœur. Bavalan ce neantmoins ne se veut rendre, & luy dit qu' il valoit mieux le garder vif que mort: Monseigneur (luy dit-il) attendez encores quelque peu, il n' a garde de vous eschapper: Si vous l' aviez fait mourir, & puis en vinssiez au repentir, il n' y avroit plus de remede, vous luy avriez osté la vie, que ne luy pourriez plus rendre. Allez (dit le Duc) & ne m' en parlez plus, faites ce que je vous commande, autrement je vous monstreray que je suis le Maistre. A cette parole Bavalan promit de le faire, & combien que ce commandement fust absolu, si delibera-il de s' acquitter de sa charge, comme bon & loyal serviteur. Ce jour mesme, comme le Duc se vouloit coucher se presente le Comte de Laval à ses pieds, armé de plusieurs belles prieres & remonstrances telles que l' Histoire qui s' estoit passee entr'eux, & la necessité presente luy pouvoit suggerer: Et pour conclusion, Monsieur (dit-il) je vous supplie tres-humblement puis que mon beau-frere est venu icy sur la foy publique de vous, souz un pretexte des Estats, qu' au moins il vous plaise de luy conserver sa vie: & neantmoins s' il a forfaict en quelque chose contre vous, qu' il le repare par la bourse, & rende toutes les places & forteresses qu' il tient contre vostre volonté. Chose dont dés à present je me rends pleige & caution pour luy. Le Duc ne prenant toutes ces remonstrances en payement, commande au Comte de se retirer, luy disant que la nuict luy donneroit conseil, & que le lendemain il luy feroit response: C' estoit à dire que revenant le lendemain, il luy donneroit nouvelle de la mort. Pendant ces choses Bavalan voyant la fureur de son Maistre, & s' asseurant que quelque jour estant revenu à soy, il seroit grandement marry de cette mort, mesmes qu' il feroit une tache perpetuelle à sa reputation, il se resolut de differer l' execution de cette mort, jusques à ce qu' il vist en luy une preseverance (perseverance) de volonté de quelques jours: & neantmoins luy faire ce pendant entendre qu' il avoit obey à son commandement. Apres que le Duc eut fait son premier somme, estant aucunement revenu à soy, il commença de combatre entre la raison & la colere, inclinant tantost à la mort, tantost à la vie. Pour la mort, faisoit le mariage de Jean de Bretaigne, que le Connestable avoit brassé par exprez, a fin d' empieter l' Estat, & que jamais il n' avroit plus de moyen d' obvier à cette entreprise que lors, estant le Connestable de Clisson du tout en sa puissance: Que morte la beste, mort est pareillement le venin: mais d' un autre costé remettant devant ses yeux les procedures dont il avoit usé pour le faire tomber en ses laz, sous quelle foy l' autre estoit venu, & qu' il estoit grandement à craindre que le Roy à face ouverte n' entreprist la vengeance de cette mort, voire qu' en cette affaire les Anglois luy faillissent de garends, comme estans en mauvais mesnage avec luy pour le traicté de paix n' agueres fait entre le Roy & luy. En cest estrif il passa toute la nuict sans sçavoir sur quel pied il devoit asseoir sa resolution. Discours qui estoit tres-inutile si sa volonté eust esté executee aussi promptement comme il avoit commandé. Sur le poinct du jour il mande à soy Bavalan pour sçavoir si le Connestable estoit mort. Qui luy respondit qu' ouy. A laquelle responce le Duc sans le porter plus loing, commença de faire mille regrets accompagnez d' une infinité de larmes. De ce pas, a fin qu' il n' y eust que luy seul tesmoing de sa douleur, & pour luy donner plus de lieu, fait sortir Bavalan, deffendant l' ouverture de sa porte à tous. Tout le jour se passa en pleurs & gemissemens sans boire ny manger, & sans que le peuple sceust le motif de ce mescontentement, jusques à ce que sur le soir Bavalan ne pouvant plus permettre que le Duc passast la nuict de cette façon, le vint retrouver, & dés son arrivee luy dit, qu' il se devoit consoler, & y avoit remede à tout. A quoy le Duc respondit, fors à la mort, voulant s' imputer la mort du Connestable: Mais l' autre d' un visage riant luy repliqua qu' il n' estoit en ces alteres, & que prevoyant ce qu' il voyoit lors, il avoit supersedé de luy obeyr, jusques à ce que revenu à son second penser, il l' eust veu perseverer en cette mesme volonté de mort: bref, que le Connestable estoit plain de vie. Auparavant le Duc avoit larmoyé de dueil, & lors il pleura de joye: & promit recognoistre le sage service qui luy avoit esté fait par Bavalan. De vous raconter maintenant les traictez & accords qui furent faits pour la deliurance du Connestable, ce n' est le subject du present chap (chapitre). Face Dieu que cest exemple puisse servir de miroüer aux Princes de ne rien commander en colere, qui est une demie fureur: & à leus (leurs) serviteurs domestiques, d' executer leurs commandemens avec mesme sagesse & discretion que Bavalan.

6. 28. Fin de la seconde famille d' Anjou; Comté de Provence

Fin de la seconde famille d' Anjou, avec un Sommaire discours tant sur le Comté de Provence escheu à noz Rois, que des voyages de Naples par eux entrepris.

CHAPITRE XXVIII.

Par cette Princesse Yoland, la seconde famille d' Anjou fondit en celle de Lorraine, & voicy comment.

Jean dix & neufiesme Duc de Lorraine, eut deux enfans, Charles son fils aisné qui luy succeda apres son decés, & Ferry Comte de Vaudemont, puisné.

De Charles nasquit Isabeau de Lorraine qui fut conjointe par mariage avec René Duc d' Anjou, qui se donnoit qualité de Roy de Sicile.

De ce mariage nasquirent Jean & Yoland. Car quant à une Marguerite femme d' un Roy d' Angleterre, je n' en fay mise, ny recepte, comme estant une piece hors œuvre.

Jean d' Anjou mourut auparavant René son pere, & eut un fils nommé Nicolas, qui mourut pareillement auparavant son ayeul. De maniere que toute la maison de René estoit aboutie en une seule Princesse Yoland d' Anjou.

De Ferry Comte de Vaudemont premier de ce nom, nasquit Anthoine, & de luy Ferry second.

Isabeau de Lorraine femme de René pretendoit apres le decés de Charles son pere, que le Duché de Lorraine luy appartenoit, comme seule fille & heritiere du Duc.

Anthoine au contraire soustenoit que ce Duché estoit un fief affecté aux masles qui ne pouvoit tomber en quenoüille. Partant qu' ores qu' il fust seulement issu du puisné, toutesfois estant masle il forcluoit cette Princesse. Nouveau subject de guerre entre luy & René. Auquel en fin René se trouva avoir du pire. Et ayant esté faict prisonnier d' Antoine, pour moyenner sa deliurance, il accorda le mariage d' Yoland sa fille avec Ferry fils d' Antoine. Quoy faisant on unit les deux branches de l' aisné & puisné de Lorraine ensemble. Sage conseil pour faire cesser les differents qui estoient entre eux. Mariage toutesfois que jamais René ne peut bonnement gouster pour avoir esté extorqué de luy. Tellement que tous ses projets ne tendoient qu' à coupper les aisles à son gendre. Et de faict Philippes de Commines nous tesmoigne, que s' il n' eust esté prevenu par le desastre qui advint à Charles Duc de Bourgongne contre les Souisses, il se fust donné à luy. Qui eust esté un mauvais party pour la France.

Or avoit il un frere puisné nommé Charles, auquel entre autre biens il laissa pour son partage le Comté du Maine, la Baronnie de Mayenne la Iouais, la Ferté Bernard, Sablé, & autres grandes terres & seigneuries. Ce Seigneur eut un fils portant le nom de Charles comme luy, que René par son testament de l' an mil quatre cens septante huict, institua son heritier universel: lequel choisit pour son domicile la Provence, dont il estoit Seigneur souverain, & y mourut quatre ans apres, & par son testament à l' instigation de Palamedes Forbin Seigneur de Soliers, qui avoit grande part en ses bonnes graces, institua son heritier particulier au Comté de Provence, le Roy Louys unziesme & ses successeurs Roys de France.

En ce Prince Charles dernier masle, prit fin, & le nom, & la familie d' Anjou, & fondit en celle de Lorraine par le mariage d' Yoland avecques Ferry de Lorraine, dont sont issus ces grands Princes Lorrains, que nous voyons aujourd'huy. Famille d' Anjou, (vous dis-je) enflee, tant en pretensions, que d' effect de trois Royaumes, Sicile, Poüille, & Hierusalem (& encore de celuy d' Arragon, si on eust faict droict à Yoland d' Arragon femme de Louys deuxiesme) de trois Duchez, Anjou, Lorraine, & Calabre, de trois Comtez, Provence, le Maine, & Bar; dont le dernier fut depuis erigé en Duché. Et furent les pieces esmorcillees à divers Princes: l' Arragonnois se lotit de la Sicile, Poüille & Calabre: Le Lorrain de la Lorraine & du Barrois, & encores de plusieurs autres seigneuries esparses, tant au pays du Maine, Provence, que plusieurs autres endroicts de la France. Le Roy Louys unziesme de la Provence, par le moyen du testament de Charles, & des Duché, d' Anjou, & Comté du Mayne par nostre droict de reversion à la Couronne, comme estans de l' ancien Domaine de France, qui ne tomboient en quenoüille. Car quant au Royaume de Hierusalem, ce fut un titre de parade, dont ny la premiere, ny seconde lignee d' Anjou, ne jouyt actuellement. Et comme le Roy Louys XI. estoit Prince qui ne laissoit perdre les occasions de s' advantager quand elles se presentoient, aussi se voulut-il faire accroire, que les quatre Baronnies du Duché de Bar luy appartenoient en proprieté, la force estoit pardevers luy: car quant au bon droit je m' en remets à ce en qui estoit. Tant y a que par accord faict entre luy, & René Duc de Lorraine, le seigneur de la Jaille le 14. de Mars 1479. pour le Roy de Sicile meit entre les mains de Louys pour six ans, la ville de Bar, pour en jouyr pendant ce temps, & y mettre telle garde qu' il luy plairoit. Et le lendemian (lendemain) les manans & habitans feirent le serment de fidelité au Roy, conformément au traité fait & passé entre les deux Princes. Et tant & si longuement que Louys vesquit le Prince Lorrain ne s' en oza plaindre.

Quelque temps apres son decez Charles huictiesme son fils, luy ayant succedé à la Couronne en l' aage seulement de quinze ans, René Duc de Lorraine vint en Cour, & en plein Conseil du Roy (auquel estoit Philippes de Commines, comme Conseiller d' Estat, duquel j' ay emprunté ce Placard) feit instance, tant pour le Duché de Barrois, qu' il soustenoit luy avoir esté induëment occupé par le feu Roy, que pour le Comté de Provence qu' il disoit luy devoir appartenir du chef de la Royne Yoland d' Anjou sa mere, qui avoit est plus proche habille à succeder à Charles d' Anjou son cousin germain. Et ce nonobstant le testament par luy faict en faveur du Roy Louys unziesme, comme n' en ayant peu disposer par les anciens statuts de Provence.

Particularité que je vous touche icy par expres contre l' opinion de ceux qui se font accroire que le Roy s' en estoit emparé par un droict de bienseance seulement & sans tiltre. Car si cela eust esté vray, le Duc de Lorraine ne l' ust oublié, non plus que du pays de Barrois. Mais au cas qui lors se presentoit, il demoura d' accord le testament avoir esté faict, & revoqua seulement en doubte, sçavoir s' il avoit peu estre faict au prejudice de la plus proche lignagere. De moy je vous puis dire l' avoir eu, veu, & leu en bonne forme & authentique, en la cause du Vicomte de Martygues, que par trois diverses matinees d' uns Lundy, Mardy, & Jeudy, nous plaidasmes au parlement de Paris, l' an mil cinq cens septante trois à huis ouvert, en la presence de tous les Princes & Princesses Lorrains & Lorraines residents en cette France, moy plaidant pour Messire Henry de Lorraine Duc de Guyse, & Maistre Claude Mangot grand & excellant Advocat, pour la fille unique de Messire Sebastien de Luxembourg. Testament qui servoit à la decision de nostre cause, lequel fut fait par Charles, le dixiesme Decembre mil quatre cens octante & un, dedans lequel il institua le Roy Louys unziesme son heritier particulier au Comté de Provence, & apres luy, tous ses successeurs Roys de France. Tellement qu' il ne faut point revoquer en doute, si ce testament a esté fait, puisque René en demouroit d' accord, mais bien si Charles en avoit peu gratifier nos Roys par son Ordonnance testamentaire. En quoy il n' y avoit aucune obscurité, d' autant que la Provence est un pays de droict escrit, auquel il est loisible à chacun de disposer de tous & chacuns ses biens, par son testament. Et mesmement avoit esté cette cause prejugee en cas individu par deux diverses dispositions: La premiere du Comte Beranger au profit de Beatrix femme de Charles d' Anjou frere de S. Louys, au desadvantage de ses trois sœurs qui la precedoyent d' aage: La seconde par la Royne Jeanne premiere Comtesse de Provence en faveur de Louys Duc d' Anjou premier de ce nom. Lequel en jouyt apres le decés d' elle, & le transmeit à ses successeurs. Qui estoit du tout clorre la bouche du Prince Lorrain. Comme aussi sagement & justement le conseil du Roy fut d' advis de luy rendre le Duché de Bar, mais non le Comté de Provence. Vray que pour luy oster toute opinion de remuëment de mesnage, Pierre Duc de Bourbon beau-frere du Roy Charles huictiesme, qui lors avoit tout le gouvernement des affaires de France en main, luy feit bailler une compagnie de cent gendarmes, & pension de soixante mille liures pour quatre ans. Leçon qui luy avoit esté expres enseignee par le Roy Louys son beau-pere, avant que de mourir, luy enjoignant que sur toutes choses il empeschast qu' on ouvrist la porte aux armes dedans son Royaume, tant & si longuement que son fils seroit en bas aage. Comme aussi n' y a-il riens qu' il faille tant craindre, que la guerre, pendant la minorité d' un Roy.

Nostre Roy & le Duc de Lorraine diversement assortis des biens, terres, & seigneuries de la maison d' Anjou, restoit à partager entre eux l' esperance des trois Royaumes & du Duché de Calabre, chacun d' eux pretendants y avoir la meilleure part: car combien que les François se l' adjugeassent en consequence du testament de Charles d' Anjou, toutesfois les Princes Lorrains n' en voulurent lors quitter le tiltre. Ainsi Yoland s' intitula Royne de Sicile, jusques au jour de son decés, qui fut l' an mil quatre cens quatre vingts neuf, & apres elle René son fils: Le tout au veu & sceu de nos Roys sans aucune contradiction. Et d' un autre costé combien que Charles huictiesme cornast la guerre contre l' Arragonnois pour la recousse du Royaume de Naple, toutesfois jamais René ne feit protestation contraire. Voire en plus forts termes, sommé & interpellé par les Napolitains qui s' estoient revoltez contre leur Roy Ferdinand, de s' armer & joindre ses forces avecques les leur, comme celuy qui y avoit le principal interest, il saigna du nez, soit qu' il estimast cette querelle estre la nostre, ou qu' il se fust faict sage par les folastres voyages des Princes d' Anjou ses predecesseurs.

Tellement que ce fut une chasse morte aux Lorrains: mais non à nous autres François, & le premier de nos Roys qui s' engagea à cette querelle fut Charles huictiesme (contre l' advis des plus sages) poussé d' un boüillon de sa grande jeunesse, & de je ne sçay quels mignons apprentis au fait de la guerre. Voyage qui eut une entree heureusement courte, & une retraicte plus heureuse que ne se promettoit la sagesse de tous les Potentats d' Italie. Toutesfois je ne voy point que nostre France raportast de ce voyage autre fruict, que la perte du corps & des biens. Car c' est celuy auquel on doit l' origine de cette malheureuse maladie, que quelques uns nommerent depuis mal de Naples, pour y avoir premierement mis son siege, & les autres mal des François, parce qu' ils en porterent les premieres marques. Et pour le regard des biens, nous devons au mesme voyage le premier engagement du Domaine de la Couronne pour subvenir aux affaires de la guerre. Car le Roy Charles estant sorty du Royaume à la vanuole, sans auparavant recognoistre quel estoit le fonds de ses finances, se trouvant en la ville de Plaisance court d' argent, decerna ses lettres patentes en Octobre mil quatre cens quatre vingts quatorze, pour engager de son Domaine jusques à la somme de six vingts mil escus. Et parce que c' estoit un chemin non encores frayé par la France, il voulut authoriser ses lettres de l' advis de treize seigneurs ses principaux Conseillers. Ces lettres envoyees au Parlement furent du commencement trouvees de tres-fascheuse digestion, toutesfois la necessité n' ayant point de loy, il fut trouvé bon pour desgager nostre Roy de ce perilleux voyage de tolerer cest engagement, pour ce coup tant seulement, & sans le tirer en consequence, portoit la verification du vingtiesme Novembre au mesme an. Belle protestation sans effect. Et de moy toutes & quantes fois que je lis cette sage clause portant un, Sans le tirer en consequence, pour faire passer & donner cours à une ouverture nouvelle, je m' en ris: comme estant une clause contrevenante au naturel de ce Royaume, qui est un Royaume de consequence. Ce que nous avons depuis esprouvé en ce mesme subject: car combien que le Domaine de la Couronne soit une chose sacrosaincte, & que l' alienation n' en soit faicte qu' à faculté de rachapt perpetuel, sans aucune limitation de temps: toutesfois ce mesnage par succession de temps est arrive à tel desbord & desarroy entre nous, que horsmis les tiltres generaux du Domaine, pour le regard des terres particulieres, à peine en trouverez vous aujourd'huy aucunes, esquelles nos Roys se puissent heberger.

Discours qui n' est pas du present subject: mais pour reprendre mes brizees, l' observation que je fais en tous ces voyages de Naples, est une belle promesse de fortune sur nos arrivees, mais fascheuses fins pour closture de nos entreprises. Apres le decés du Roy Charles, trois Roys successivement & l' un apres l' autre s' y voüerent, uns Roys Louys douziesme par l' entremise du Seigneurd' Aubigny, François premier par le Mareschal de l' Autrec, & Henry deuxiesme par le Duc de Guyse, tous grands Capitaines & guerriers. Et ces trois Roys se trouverent successivement, & l' un apres l' autre deceuz de leurs esperances, apres avoir faict une despense infinie, & perte d' une infinité de Seigneurs & Capitaines de marque: J' excepte le dernier voyage, par ce qu' il fut interrompu par un changement de volonté du Pape Carrafe qui nous y avoit appellez. Que si nous eussions employé, quand les occasions s' y sont presentees, au recouvrement des pays qui nous attouchent, & sont de nostre ancien estoc, tout l' argent qu' avons despendu en la recherche de ce Royaume de nous separé, & de mœurs, & d' un long entrejet de chemins, il nous en fust beaucoup mieux pris. Lisant les Historiographes qui en ont escrit, vous trouverez de grandes fautes advenuës de la part de ceux qui prés de nos Roys estoient estimez les plus sages. Et quant à moy je les impute à nostre malheur, y ayant eu quelque Ange qui par le vouloir expres de Dieu, s' opposa aux desseins qu' entreprismes de là les Monts, & tint en bride ceux que pouvions selon les rencontres, aisément executer à nos portes aux pays bas.