samedi 5 août 2023

8. 25. De quelques manieres de parler, tirees de la nature des Fiefs.

De quelques manieres de parler, tirees de la nature des Fiefs.

CHAPITRE XXV.

Nous disons qu' un Seigneur de paille combat un Vassal d' acier: cest adage tiré de quelques unes de nos coustumes, lors qu' elles traictent de la matiere Feodale. Tout homme qui entre nouvellement dans un Fief soit par succession, ou acquest, est tenu de faire la foy, & hommage à son Seigneur Feudal. S' il ne le fait, & que son Seigneur face proceder par voye de saisie sur le Fief, ainsi qu' il luy est loisible de faire, tant & si longuement que la saisie dure, il faict les fruicts siens, & n' y a moyen de s' en garentir, sinon en venant faire la foy & hommage, en laquelle encores faut-il rapporter beaucoup de regards. Car s' il y a eu quelques mutations precedentes, pour lesquelles soient deuz Rachapts, que l' on appelle autrement Reliefs, il faut qu' il en face offre à son Seigneur, lequel en ce faisant combatra fort vivement son Vassal, & lairra escouler le temps pendant une longue contestation sur les offres: Qui s' appelle en bon François manger & consommer un Vassal. De là le peuple a dit. Qu' un Seigneur de paille, combat un Vassal d' acier. De là aussi nos coustumes disent que pendant que le Seigneur dort, le Vassal veille, & pendant que le Vassal veille, le Seigneur dort. Qui n' est pas un adage, mais une leçon des Fiefs, qui nous enseigne que si le Seigneur ne faict saisir le Fief, son Vassal est hors de danger: Mais soudain qu' il est saisi, il faut qu' il se pourvoye par bonnes & suffisantes offres. Vray qu' il y a certaines coustumes si estrangement tyranniques, comme celle d' Amiens, & Estampes, esquelles sans user de main-mise, les fruicts sont acquis au Seigneur à chaque mutation de Fief, tant & si longuement que le Vassal est en demeure de faire la foy.

8. 24. De ces mots, Compagnon, Compagnie, Compain.

De ces mots, Compagnon, Compagnie, Compain.

CHAPITRE XXIV.

Encores faut-il que je loüe icy la diligence du mesme Henry Estienne, lequel au mesme livre parlant de Compagnon, & Compagnie, le raporte à un ancien mot Benna, tiré d' un passage de Festus, qui dit: Benna lingua Gallica genus vehiculi appellatur; unde vocantur Combennones in eadem Benna sedentes. Et que sçait-on (dit Estienne, car je ne luy veux rien desrober) si de ce Combennones on avroit point dit premierement Compennons, en changeant le B. en P. duquel en fin seroit venu Compagnons? Ce qui soit dit par parenthese (adjouste-il) & comme par maniere de devis, veu mesmement que je sçay bien que ce mot a d' autres Etymologies, qui ne sont sans quelque apparence, mesmement pour ce que Compain se trouve en langage Picard. A tant Estienne. 

Or quant à moy je tiens pour tres-asseuré que Compain est le mot originaire, dont est issu Compagnon, & de Compagnon, Compagnie. Nos vieux Poëtes appellent souvent Compain, celuy qui est leur amy. Entre toutes manieres de parler dont nous usons pour signifier une frequentation, on dit ordinairement, c' est trop mangé d' un pain en un lieu, pour trop demeurer en un lieu: Et quand un maistre courroucé veut donner congé à son Varlet, il dit qu' il ne mangera plus de son pain: Cela me fait penser que par le mot de Compain, nos ancestres voulurent representer celuy avec lequel ils vivoient, ou (si ainsi voulez que je le die) mangeoient leur pain d' ordinaire. Le Grec par un mot fondé sur le boire dit anciennement *grec & les Romains se tenans plus au large l' appellerent Convivium, tiré du mot de la vie. Et nous du mot de Compain, fismes celuy de Compagnie, pour ceux qui mangeoient leur pain ensemblement.