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vendredi 19 mai 2023

CHAPITRE III. Combien le nom Gaulois s' amplisia anciennement ...

Combien le nom Gaulois s' amplisia anciennement: & contre les calomnies de quelques autheurs, qui, souz leur faux donner à entendre, voulurent obscurcir noz victoires.

CHAPITRE III.

Sur tous les peuples qui se sont adonnez à covrir l' Univers, l' on en peut à mon jugement remarquer trois de grande recommandation: entre lesquels, faut donner le plus ancien lieu aux Gaulois, le second aux Germains, & le tiers aux Sarrazins. D' autant que les premiers avant que Rome eust attaint au grand degré de souveraineté, les seconds sur la fin de l' Empire d' Italie, & les derniers, celuy de Constantinople commençant à tomber en ruïne, donnerent tant d' espreuves de leurs vaillantises, qu' il y eut peu de contrees, desquelles, selon la varieté du temps ils ne goustassent. Et vrayement quant à noz Gaulois, il fut une saison qu' ils establirent en tant de regions leurs conquestes, que pour ceste occasion plusieurs gens appellerent indifferemment l' Europe souz le nom de Celte ou Gaulois qui se rapportent l' un à l' autre. Qui fut cause que Joseph Juif, pensant subtiliser contre Appion le Grammairien, voulut improperer aux Historiographes Gregeois une ignorance du faict des Gaules: pour autant qu' indifferemment ils comprenoient plusieurs nations souz leur nom, qui n' estoient de leur originaire enceincte. Mais non toutesfois s' avisant que luy-mesmes en cest endroict s' abusoit. Parce qu' en la plus part de toutes les contrees de l' Europe, les Gaulois avoient eu victoires, & bien souvent avecques leurs victoires planté leurs noms. Ainsi tesmoigne Cesar qu' ils avoient anciennement occupé plusieurs environs de la grand Bretaigne. Et d' avantage il atteste qu' ils ficherent aussi leurs demeures dans la Germanie vers la coste de la forest Hercinienne. Et non contens de ce païs, continuerent leurs conquestes jusques en la Scythie, (comme en font foy les Celtoscythes) & aux Espaignes, ainsi que nous pouvons tirer des Celtiberes, peuples, au rapport de Plutarque, extraicts du vieil rige des Gaulois. S' estans veuz mesmement commander à une partie d' Italie, de la Grece, & de la Phrigie. Tellement qu' ayans fait sonner leurs victoires en une Germanie, Scithie, Espaignes, grande Bretaigne, Italie, Grece, & Bithinie, il ne faut trouver trop estrange, que non seulement les Grecs, mais aussi quelques autres, qui nous attouchoient de plus pres, confondissent sous ce nom Gaulois les autres peuples qui dépendoient de la grandeur d' eux. Tout ainsi, comme l' on a veu depuis, une Germanie avoir prins le nom universel d' Allemaigne (qui avoit ses bornes à part) mais pour la victoire que les Allemans firent quelquesfois du reste de la Germanie. Non pourtant que tels autheurs, comme il est à presumer pour telle confusion, n' entendissent le fonds & source de nostre Gaule, mais pource que d' elle, comme d' un grand arbre, s' estoit estendu le branchage parmy toute ceste Europe. Et mesmement que les anciens Gaulois, lors qu' ils avoient conquesté nouvellement un pays, estoient coustumiers d' en exterminer de tout poinct les premiers habitateurs, ou bien leur permettoient viure souz eux comme leurs subjects & vassaux, en la maniere que depuis les mesmes Gaulois esprouverent par la venuë  des François. Or entre tant de conquestes s' en trouvent trois principalement, desquelles, (encores que sur toutes memorables) si n' en avons nous instructions, que par les mains de noz ennemis. La premiere est ceste grande expedition, qui fut faite souz Ambigat Roy de Bourges quand Bellovese & Sigovese ses nepueux prindrent par sort en partage, l' un le pays de l' Italie, & l' autre celuy de la Germanie: leur succedant leur entreprinse si heureusement, que chacun d' eux sans grand destourbier prit terre la part où il avoit projecté: eternisans en chaque pays, par la fondation des villes qu' ils y bastirent, la memoire des nations qui s' estoient avecques eux acheminees à si nobles voyages. 

A maniere que les Venitiens mesmes (afin que je ne m' arreste aux autres peuples d' Italie, qui nous doivent leur nativité, desquels Troge Pompee fait assez grande mention, par l' organe de son abreviateur Justin) prindrent leur nom de ceste flotte, c' est à dire, du peuple de Vannes. De laquelle gloire, combien que quelques Italiens (comme Marc Anthoine Sabellic,) veullent frustrer nostre Gaule, pour la rapporter à quelques Enetiens, peuples forgez à credit, & qu' ils veulent tirer du pays de Paphlagonie, si eit-ce que Polibe autheur ancien attestoit par le confrontement & rapport des mœurs des Venitiens d' Italie, avec les citoyens de Vannes, qu' ils avoient pris leur ancienne origine de nous. Chose, à laquelle condescend volontairement Strabon. Certes les historiographes Latins, qui voulurent discovrir sur ce voyage, pour obscurcir quelque peu la loüange qu' ils ne nous pouvoient bonnement desrober, disent que les Gaulois allechez de la douceur des vins d' Italie, dont ils avoient en certaine information par espions, se donnerent de plus grande ardeur ce pays en proye: toutesfois, l' on sçait que toutainsi que d' un costé Bellovese s' achemina en Italie, aussi d' une autre part Sigovese prit l' adresse de la Germanie, pays pour lors & encores pour le jourd'huy, bien peu cultivé de vignoble. Qui monstre que ce ne fut une friandise des vins, qui nous feit apprendre le chemin de delà les monts, ains la proximité & cofinage des lieux. Parquoy les autres un peu plus sobres, & non si advantageux à mesdire, disent que l' occasion de ce grand desbord fut pour descharger le pays des Gaulois, adonques trop abondant en peuple. Laquelle opinion, bien qu' elle ne soit animeuse comme la premiere, si est-ce que qui considerera le commun cours de nostre nature, mal-aisément qu' il trouve que la Gaule doiue jamais avoir esté plus populeuse qu' à present. Car les grands & peuplez pays (comme il est certain) se sont ou par la disposition du ciel, comme sont les climats froids & Septentrionnaux, ou par la force des loix, qui pour suppléer au commun defaut du pays addressent tous leurs privileges aux mariages, pour inviter par ce moyen les subjects à multiplier en hommes, leur patrie: comme furent plusieurs ordonnances des Lacedemoniens, Atheniens, & Romains, & encor' de nostre temps d' avantage, entre les Mahumetistes, qui pour ceste cause permettent à un seul homme avoir en une mesme famille plusieurs femmes. Lesquelles deux reigles ayans deffailly en nostre Gaule, je ne trouve point raison pourquoy nous devions estimer ces bons peres du vieux temps, plus seconds en peuples, que quand depuis quatre cens ans en ça avec une infinité de Chrestiens souz la main de Boüillon (Bouillon) & autres Princes nous nous croisasmes encontre les Infideles. Par quoy, à dire le vray, leur vertu, ensemble leurs loix militaires, les acheminerent lors & plusieurs fois depuis à si loüables entreprises. Que si paraventure aujourd'huy se trouvoit estrange qu' à un amas de gens de guerre noz Roys avec grande difficulté levent trente ou quarante mil hommes, & que les anciens Gaulois comptoient leurs armees par cent & deux cent mille, je responds que l' occasion de cela procede de la diversité des polices, l' une apprenant principalement à iouer des cousteaux, & l' autre à manlet une plume: tellement que tout ainsi que noz anciens ne marchoient point en champ de bataille qu' avec une fourmiliere de peuples, aussi maintenant en contr' eschange noz Roys leveroient plustost deux cens mille, suyvans l' estat de la plume, que trente mille hommes de guerre. Qui a esté cause que quelque estranger escrivant dessus Ptolomee, à bon droict nous reproche qu' en ce seul pays de France se trouvent plus de chiquaneux & gaste-papiers, qu' en une Allemaigne, Italie, & Espaigne, trois autres grandes regions de l' Europe. De laquelle façon de faire combien que les anciens Gaulois ne fussent du tout eslongnez, ayans aussi bien que nous gens deputez à la vuidange des proces, si avoient-ils d' une autre part, ainsi que je disois au premier chapitre, Chevaliers du tout affectez à la guerre, soubs la devotion desquels de toute ancienne coustume se consacroient diversement les gens du tiers Estat & menu peuple: ne faisans autre compte de mort ou de vie, que celle qui plaisoit au seigneur, souz lesquels ils s' estoient vouez. Qui causoit, & que la justice ne demeuroit point en friche, & que les guerres se faisoient avecques si grand nombre de gens, que les Gaulois de leurs propres forces & sans armes auxiliaires subjuguerent toute l' Europe. En ceste façon, pour retourner sur mes arrhes, conquirent-ils la plus grande partie d' Italie, & aussi de la Germanie, souz leurs Princes Bellovese & Sigovese. En ceste façon exploicterent-ils leur second voyage, quand les Senonois, ayans passé les monts, meirent pour quelques indignitez qu' ils recevrent des Ambassadeurs des Romains, la ville de Rome à sac: dans laquelle ayans quelques journees commandé, ils en furent finalement dejectez tant par defaillance de viures, que par une surprise de Camille. En ceste façon soubs Belgion, & depuis soubz Brennon leurs Capitaines, occuperent-ils une grande partie de la Grece, & de là passans en la Bythinie que maintenant nous appellons Natolie, fonderent en l' une & l' autre contree un grand Royaume. Lesquels trois voyages, il me suffit monstrer seulement au doigt, tant pour être assez amplement couchez par Tite-Live, Justin & autres anciens autheurs, que pour en avoir esté la memoire rafraichie de nostre temps és livres expressément à ce dediez, par feu Messire Guillaume du Bellay, Chevalier, & depuis par Guillaume Postel, ausquels tout homme studieux pourra avoir son recours. Bien adjousteray-je apres eux, que le voyage de Rome rendit de là en avant le nom des Gaulois si redouté au peuple Romain, que lors que le moindre bruit s' eslevoit d' une entreprinse Gauloise, les Romains couroient aux armes comme au feu. Et pour ceste occasion s' estans à leurs propres cousts & despens faicts sages de nostre vertu, curent tousjours argent peculier & de reserve au thresor public, auquel jamais on ne touchoit, sinon pour subvenir aux fraiz des affaires qui se presentoient contre eux de nostre part. Et d' avantage, aux immunitez & exemptions des guerres, qu' ils ottroyoient, ils estoient coustumiers par clause ordinaire excepter celles qui s' offriroient du costé des Gaules. Et au regard de la Grece, y ayans assis nostre demeure, on recite qu' en toutes les grandes entreprises qui se brassoient au Levant, les Princes avoient vers nous leur recours, comme à un ressort de franchise, soit qu' il feust question de restablir en son trosne un pauvre Roy depossedé, ou de porter confort & aide à quelques peuples desolez. En toutes lesquelles entreprises combien que par fois nous cussions du bon, par fois du pire (comme sont les armes de leur nature journalieres) si est-ce que le desastre ne vint jamais en comparaison de nostre heur. Je sçay bien quelques historiographes voulurent anciennement soustenir, que tous ceux qui s' estoient retirez vers la Grece, avoient esté desconfits par la seule puissance de Dieu, au ravage du temple de Delphe, si faut-il bien presumer que la calamité ne fust si grande, veu qu' apres tant de revolutions d' annees, sainct Hierosme recognoissoit que le langage des Galates ou Gallogrecs se conformoit en grande partie avec celuy des Trevires, peuples situez dans nostre Gaule Belgique. Au demeurant, entant que touche le Camille tant rechanté par les Romains, & dont à chaque propos ils font banniere contre nous, pour quelque victoire qu' il rapporta de nous pendant le siege du Capitolle, je croy qu' il leur eust esté du tout plus seant de s' en taire: pour-autant que, si le commencement de ceste guerre fut entrepris (comme nous enseignent leurs propres histoires) pour un juste droict d' espee violé par leurs Ambassades, encores verra l' on que la fin trouva plus malheureuse issuë. Car qui est celuy, qui ne sçait que pendant une surseance d' armes, je veux dire, lors que par commune capitulation des deux osts, les Gaulois estoient au conseil pour sçavoir s' ils devoient lever le siege pour l' argent qui leur estoit offert, ou le continuer, Camille leur vint covrir sus en temps du tout importun & aliene des armes? Laquelle chose mesmement (afin que je ne m' aide d' autre tesmoignage, que de celuy de leurs Princes ) luy fut puis apres assez souvent reprochee en plein Senat par Manle le Capitolin. Et toutesfois quelle que ait esté ceste roupte, il la faut plustost imputer à la famine, qui long temps auparavant batailloit contre nous, qu' au Capitaine Camille: lequel, à bien dire, estonna plustost nostre armee ja attenuee d' une longue faim, qu' il ne luy meffit, quoy que Tite-Live, perpetuel ennemy du nom Gaulois, en vueille dire: Et qu' ainsi ne soit, Jules Frontin, au livre qu' il nous a laissé par escrit des ruses de guerre, est tesmoing qu' apres ceste deffaite, les Romains nous donnerent passage par la riviere du Tybre (Tíber): fournissans viures & munitions, jusques à ce que nous fussions bien loing esloignez de leur ville. Qui nous peut asseurer, qu' il y avoit gens assez de nostre costé pour intimider ou escarmoucher les Romains, & que la retraicte, que nous fismes, procedoit: plus d' une disette de victuailles, que de victoire signalee qu' ils eussent euë contre nous. Je ne doute point qu' il semblera à quelques uns, qui presteront l' œil au present discours, que je me soye plustost destiné, & en ce chapitre & aux autres deux de devant, à la loüange ou deffence de nos vieux Gaulois, qu' à une simple deduction ou narré. Chose que librement je confesse: n' estant pas grandement soucieux que l' on m' ait en opinion de Panegyriste ou Encomiaste, moyennant que ce que je dis se rende conforme au vray: aussi que la necessité m' y semond. Car s' estant l' authorité de quelques autheurs Latins par longue trainee de temps insinuee entre nous, ou, pour mieux dire, affinee, tellement qu' ils sont reputez veritables, il est fort mal-aisé de desraciner ceste opinion du commun, que par un mesme moyen l' on ne passe les bornes d' un simple narrateur. En quoy l' on ne sçavroit mieux convaincre tels-autheurs, que par ce que nous apprenons d' eux-mesmes. D' autant que voulans quelquesfois denigrer nos victoires pour donner lustre aux leurs, ils ne s' avisent pas qu' ils se contredisent, c' est à dire, qu' ils veulent donner à entendre d' un à nostre desavantage: & neantmoins qui confrontera leurs longs propos piece à piece, il trouvera qu' ils monstrent tout le contraire. Or est-ce un dire ancien, qui tombe souvent en la bouche du commun peuple, qu' il faut que tous braves menteurs soient gens de bonne memoire, pour se garder de mesprendre.

mercredi 21 juin 2023

3. 29. De l' ancienneté de Regales en matiere des Archeveschez & Eveschez.

De l' ancienneté de Regales en matiere des Archeveschez & Eveschez. 

CHAPITRE XXIX. 

Je ne fais aucune doute que ceux qui avront les aureilles trop delicates, ne trouvent estrange ces mots d' Appellations comme d' abus, Regales, Oblats, & Dixmes infeodees, comme estans, ce leur semblera, mots plus propres pour l' usage commun des plaidoiries du Palais, que d' une Histoire: & encores avront plus d' occasion de s' en esbahir, quand ils entendront que la Regale est un droict annexé à la Couronne de France, comme l' un de ses plus beaux fleurons, par lequel advenant vacquation de certains Archeveschez, & Eveschez de France, au Roy en appartiennent les fruicts, & collation des Dignitez, Prebendes, & Chappelles, jusques à ce que l' Evesché soit remplie d' un nouveau successeur, & qu' il en ait presté le serment de fidelité au Roy. L' Oblat est le soldat ou gendarme pauvre, qui au service du Roy est demouré percluz, & estropié de l' un de ses membres, en recognoissance dequoy le Roy luy peut assigner ses aliments sur quelques Abbayes & Monasteres, qui se trouvent de la nature. Et les Dixmes infeodees sont celles que les Laiz, & personnes non Ecclesiastiques peuvent legitimement posseder. Car si l' Eglise a ses biens, & fonctions diverses d' avec les personnes Seculieres, qui est celuy je vous pri' qui n' ait juste occasion de s' esmerveiller de cest Ordre, lequel semble de prime face n' apporter qu' une confusion à l' Eglise: la Regale aux Evesques, & Ordinaires, l' Oblat aux Abbez, les Dixmes aux Curez? Souz lesquelles trois qualitez semble presque être comprise nostre Eglise universelle? 
& toutesfois, je puis dire, que tout ainsi que des fragmens soubterrains l' on recueille le plus souvent plusieurs antiquailles d' une Republique, aussi de ces Regales, Oblats, & Dixmes, pouvons nous recognoistre quelques anciennetez notables de la France, que le temps semble avoir ensevelies dedans le tombeau d' oubliance.

Entant que touche la Regale, je confesseray vrayement que pour être un subject qui passe souvent entre les mains de ceux qui manient les affaires du Palais, il y a plusieurs hommes qui en ont faict divers traictez, pour nous enseigner quand, comment, & en quel temps un Benefice vacque en Regale, & quels sont les Archeveschez, & Eveschez qui y sont sujets: mais qui nous en ait donné l' ancienneté je ne l' ay encores veu, & non sans cause. Car s' il y a obscurité en nostre Histoire c' est en ceste-cy. Les uns en rapportent l' origine à Clovis, disans qu' apres qu' il eust desfaict les Visegots, au Concil qui fut tenu souz luy en la ville d' Orleans, le Clergé luy octroya ce privilege: mais nous avons ce Concil en noz mains, & neantmoins il n' en fait nulle mention. Les autres l' attribuent au Concil, qui fut celebré dedans Rome soubz le Pape Adrian, lors que pour gratifier Charlemaigne, on luy permeit de pouvoir investir les Evesques, n' ayans ceuxcy autre tesmoin de leur dire que Gratian, lequel au lieu où il fait mention de ce Concil, dit avoir emprunté cela d' une vieille Histoire, mais qui en a esté l' Autheur, il nous le taist. C' est la cause pour laquelle quelques uns sont d' avis qu' il faut dire de la Regale, ce que presque estoit de la Loy Royale du temps des Empereurs de Rome. Car tout ainsi que ceste Loy fut grandement solemnizee par les Jurisconsultes Romains, publians que par ceste Loy le peuple de Rome avoit transporté en la puissance d' un seul homme tout ce qui estoit de sa Majesté ancienne du temps de la Republique, sans que toutesfois l' on cotte bonnement le temps que fut faicte ceste cession, & transport aux Empereurs: aussi combien que nostre Regale qui fraternize de nom avecq l' autre, soit grandement celebree par la bouche des Advocats de la France, comme une Loy, par laquelle les Prelats ont cedé à noz Roys ce droict de colation des Benefices: toutesfois nous ne pouvons bonnement descouvrir le temps de son origine.

De ma part, a fin que je le tranche court, j' ay tousjours estimé que ce nom de Regale ne luy fut point temerairement donné: & à bien dire, que tout ainsi que nous nommons ce droict, Regale, aussi est-il né avecques nostre Royauté, au moins dés lors que noz Roys eurent receu le sainct Sacrement de Baptesme. Droict qui est tant specialement affecté à la Royauté, que combien qu' un Prince Regent ait toute puissance souveraine au millieu de nous, si ne peut-il conferer les Benefices vacquans en Regale. Ainsi fut-il ordonné en l' emologation de la Regence de Dame Loyse de Savoye, mere du Roy François premier. Pareillement Charles cinquiesme Regent pendant la prison du Roy Jean son pere, fut contraint apres le retour du Roy, d' obtenir un Edict confirmatif de toutes les provisions par luy faites en matiere de Regale. Qui feut du quatorziesme Octobre 1360. verifié en la Chambre des Comptes le quinziesme Janvier ensuivant. Vray que comme toutes autres choses, aussi ceste-cy a pris divers pliz, selon la diversité dés temps, jusques à ce que finalement elle s' est fermee en la maniere que nous observons aujourd'huy. Car s' il vous plaist reprendre les choses de plus haut, on ne doit faire aucune doubte que soubz la lignee de Clovis nul ne pouvoit estre eleu, & receu à Evesque, sans la permission de noz Roys. Meilleur, ne plus fidele tesmoin ne pouvons nous avoir pour cecy que ce grand Gregoire de Tours, qui fut de ce temps là. Que s' il vous plaist repasser, & courir toute son Histoire, à peine que vous trouviez une seule provision d' Archevesché, ou Evesché, que ce ne soit par commandement du Roy, quoy que soit, de son consentement. Qu' ainsi ne soit, vous y lirez uns Onomace, Theodore, Procule, Divise, en la ville de Tours, Monderic, Papole, dans celle de Langres: Cantin à Clairmont, Theeodoze, Innocence, à Rhodez, Domnole au Mans, Sulpice à Bourges, Dodon à Bourdeaux, Loere à Arles, Vice à Vienne: Pasceme à Poictiers, Nomuches à Nantes, avoir esté successivement Evesques, mais par le vouloir de noz Rois: Nonobstant que les Elections des Prelats eussent lieu en France, suivant les anciens Canons & Decrets. Et est cela si certain & arresté en cest Autheur, qu' en tous les endroits où il parle des Provisions des Prelats, il dit cestuy avoir esté pourveu par le commandement du Roy, cestuy-là par son consentement, l' autre pour avoir esté de luy choisi: & sur tout, le Clergé pour un general refrain se rend suppliant envers le Roy, qu' il luy plaise avoir pour agreable l' Election par luy faite, comme estimant qu' elle seroit de nulle valeur, si le Prince n' y interposoit ses parties. Coustume qu' il ne faut point trouver estrange, qui considerera comme les affaires de l' Eglise passoient adoncq', d' autant que nous les empruntasmes nommément des mœurs de l' Empire. Car c' estoit une regle generale, que nul Evesque ne s' osoit immiscer en sa charge, sans que premierement l' Empereur l' eust receu: & est une chose certaine que de tous les peuples, qui butinerent l' Empire, il n' y en eut jamais aucun qui raportast toutes les remarques de la Majesté Imperiale, comme les François. Et tant furent noz Roys jaloux de ce droict, que combien que les Gouverneurs des Provinces eussent presque toute puissance en leurs gouvernemens, toutesfois Rois ne leur donnoient le pouvoir de consentir à telles elections, ains voulurent que l' on eust recours à eux. Et c' est la cause pour laquelle nous lisons qu' apres la mort de Ferrobe Evesque en Provence, Diname Gouverneur de ce pays là, ayant fait pourvoir Albin en cest Evesché, sans en advertir le Roy, Jovin receut commandement expres de luy, d' y en commettre un autre: mais Albin estant decedé avant ce mandement receu, & Diname ayant prevenu Jovin, & fait pourvoir Marcel Diacre, il en fut dechassé, comme ce droict de confirmation dependant nuement de la volonté du Roy, & non d' autre. Proposition qui s' est depuis à bonnes enseignes ramantue soubz la troisiesme lignee de nos Roys.

Si ce privilege fut en nos Rois sous leur premiere famille, il ne faut pas estimer qu' il fust perdu sous la seconde. Car au contraire ceux-cy disposerent des Eveschez avec plus de liberté. Le defaut que l' on reprenoit aux premiers estoit qu' ils en gratifioient les Courtisans, & ceux qui auparavant n' avoient jamais fait profession de Clergie. Tellement qu' estans destinez par le Roy, du jour au lendemain ils prenoient la tonsure, puis les ordres, pour être consacrez. Et c' est la grande clameur qu' en faisoit sainct Gregoire par ses missives à la Royne Brunehaut, & au Roy Childebert son fils, ne s' estant au surplus jamais plainct en aucune de ses Epistres, de l' authorité que nos Roys interposoient en telles affaires. Qui me semble un grand poinct pour le fondement de nostre Regale. Le premier qui apporta de l' abus fut Charles Martel, n' ayant encores transporté en sa famille le nom & tiltre de Roy, ains seulement de Prince des François, ou Maire du Palais. Car il priva licentieusement Rigobert de son Archevesché, pour la donner à Milon Capitaine, qui l' avoit suivy és guerres contre les Sarrazins, & dict Flodoard à la suitte de cecy. 

Hic Carolus ex ancillae stupro natus, ut in annalibus Regum de eo legitur, cunctis qui ante se fuerant, audacior Regibus, non solum ipsum, sed etiam alios regni Episcopatus Laicis hominibus, & Comitibus dedit. 

Ce Charles (dit-il) qui fut engendré d' une servante, comme nous lisons és Annales des Roys, fut plus hardy que tous les Roys du passé: Parce qu' il donna non seulement cestuy, mais aussi tous les autres Eveschez de France à des gens Laiz, & des Comtes. En un Concil tenu sous Pepin, le quatriesme an de son regne, à Vernes, il fut ordonné que les Evesques chastieroient les Religieux ou Religieuses discoles, ou en ce defaut les Metropolitains, que le Roy entendoit distribuer par les Provinces. Dans Rheginon, Charles le Chauve donne l' Archevesché de Treves à Hilduin Abbé, l' un de ses favoris. Bref il ne faut point faire de doute que nos Roys sous ceste lignee n' eussent aussi bonne part aux promotions des Evesques, qu' ils avoient soubs celle de Clovis: & ne me puis persuader qu' ils l' eussent par privilege d' Adrian Pape, en un Concil celebré à Rome. Car il eust donné une chose dont luy, ny tous ses devanciers, n' avoient jamais iouy en ce Royaume, & mesmement à ceux qui en estoient en possession: & aussi que si ceste liberalité eust esté vraye, elle n' estoit point de si peu de recommandation, que les Historiographes, qui florirent sous ceste lignee (je veux dire Aimon, Rheginon, & Flodoard) n' en eussent laissé quelques memoires à la posterité. Desquels toutesfois nous n' en avons aucuns, fors de Gratian, qui est moderne, au regard d' eux, lequel comme j' ay dict, se vante avoir pris l' eschantillon, qu' il nous en donne, d' une ancienne histoire, sans nous donner le nom de l' autheur. Joint que de ce Concil, qui toutesfois estoit de marque, pour l' importance, on n' en trouve rien en tous les quatre tomes des Concils. Parquoy on me le pardonnera, si en cecy, où je voy l' ancienneté le dedire, je n' adjouste foy à Gratian, non plus qu' en la renonciation, qu' il dit avoir esté faite par le Debonnaire, dont il est le premier autheur, la rejettant sur les pactions qu' il dit avoir esté faites entre les Papes & ce bon Roy, desquelles mais que je voye les panchartes bonnes, & asseurees, j' y croiray, & non plustost. Aussi de le croire, ou de croire en cecy, c' est une chose indifferente, & qui ne tombe en article de foy. Ce n' est pas le premier, qui en telles affaires pour faire plaisir aux plus grands, s' en est voulu faire accroire. Nicephore pour favoriser son Prelat, fut si impudent de dire qu' au deuxiesme Concil de Constantinople la Primace de toutes les Eglises fut donnee à l' Evesque Constantinopolitain, au prejudice du Romain. Au contraire au sixiesme Concil, qui fut tenu en la ville de Cartage souz le Pape Boniface I. les Evesques estans en peine de trouver les anciens canons du vray Concil de Nice, Faustin Legat du Pape voulut persuader à toute la compaignie, que par le Concil de Nice, il avoit esté arresté, que si un Evesque accusé avoit esté condamné par ses Evesques comprovinciaux en plain Concil, & qu' il en apellast à Rome, la cause pouvoit être de rechef examinee par le Pape, ou par le Legat qu' il delegueroit sur les lieux, disant qu' il l' avoit ainsi apris. Toutefois fut cest article remis jusques à ce que ces Canons seroient extraicts de l' original du Concil, que l' on disoit être en la ville de Constantinople, par lequel fut trouvé qu' il n' y avoit rien de verité en ce que disoit ce Legat.

Que si lors que l' ambition n' avoit gaigné tel pied en l' Eglise, comme elle a fait depuis, on voulut falsifier les Concils, à l' advantage des autres: je dy Concils mesmement si solemnels, que ceux de Nice & Constantinople, combien devons nous apporter de craintes & regards auparavant que de passer condamnation de toutes les choses que Gratian nous a baillees pour anciennetez asseurees, lors mesmes qu' elles sont sans autheur? Quant à moy, pour ne sortir des termes, & limites de mon discours, je ne puis me persuader que le Debonnaire ait fait la renonciation, dont ce moine parle, en faveur des Papes, pour n' en voir rien qui soit approuvé. Joinct qu' ils n' eussent pas laissé passer si long temps par connivence les Investitures des Evesques faites par les Empereurs, si ce droict leur eust esté delaissé, lesquelles toutefois eurent cours sans destourbier jusques à l' Empereur Henry IIII. Et au regard du Concil que l' on pretend avoir esté faict sous Adrian, s' il est vray (comme je n' y puis facilement condescendre) tant y a que je pense que noz Roys faisoient plus pour les Papes, que non les Papes pour eux: recognoissans tenir de la Papauté un droict, qu' auparavant ils tenoient de leur Royauté: tout de la mesme façon, que les Empereurs avoient estimé tenir les Investitures des Evesques, de la Majesté de l' Empire. 

Mais pour retourner à mon premier discours, encores que la desbauche de l' Eglise sourdit principalement sous ceste seconde famille en la France, si est-ce que la posterité de Charles Martel fut plus retenue que luy en la concession des Eveschez, ne permettans pas aisement qu' elles tombassent és mains de personnes layes, ains sans plus les Abbayes, Doyennez & autres dignitez de l' Eglise. Et neantmoins se donnoient les Eveschez tantost de la pure liberalité de nos Roys, tantost par elections confirmees par eux. Le premier improuvé par les Concils qui furent lors tenus entre nous, & le second approuvé. Car au premier Concil tenu dans Paris, les elections du Clergé, & peuple, furent par l' article huictiesme ramenees en usage, & defendu nommement que nul ne peut être appellé à la dignité Episcopale, que par le commandement du Roy, avec injonctions expresses à tous les Evesques sufragans, & Comprovinciaux, de n' en recevoir par autre voye, sur peine d' excommunication. Et au cinquiesme Concil d' Orleans article dixiesme, estoit porté. 

Ut nullum Episcopatum donis, aut comparatione liceat adipisci, sed cum voluntate Regis, iuxta electionem Cleri, ac plebis, sicut in antiquis Canonibus scriptum continetur, consensu Cleri ac plebis, à Metropolitano, vel quem Vice sua miserit, cum provincialibus Pontifex consecretur. 

Que nul (dit-il) ne parvienne aux Eveschez par dons, ou argent, ains par election du Clergé, & du peuple, avec le vouloir du Roy, ainsi qu' il est escrit aux anciens Canons, qu' il soit par le consentement du Clergé, & peuple consacré par le Metropolitain, ou son vicegerant, avec les autres Evesques. Qui est un Concil Gallican, par lequel vous voyez l' authorité du Roy être receuë pour les Eveschez, moyennant qu' elle soit jointe avec les elections. Suivant lequel on trouve une Epistre du Pape Formose à Foulques, Archevesque de Rheims, en laquelle il le reprend de ce qu' il ne vouloit consacrer Bertaire, qui avoit esté appellé à l' Evesché de Chaalons par election du Clergé, & consentement du Roy Eude. Et Hincmare, predecesseur de Foulques, qui siegea à Rheims l' espace de trente cinq ans, escrivit à Hilduin Abbé, qu' il moyennast envers Charles le Chauve, que l' on pourveust à l' Evesché de Terouanne par election: & depuis à Hugues autre Abbé, qu' il feist le semblable envers les Roys Louys, & Carloman, pour l' Evesché de Noyon suyvant les anciennes traces de leurs predecesseurs, & dit Flodoard qu' il adjousta à sa lettre ce qui s' ensuyt. Adiungens sacrorum Canonum promulgatam super electione canonicam authoritatem, & ostendens quod non Episcopi de palatio præcipiantur eligi, sed de propria qualibet Ecclesia: & quod de ordinando Episcopo, non Regis, vel Palatinorum debet esse commendatio*, sed cleri, & plebis electio, & Metropolitani in electione dijudicatio: deinde terreni Principis consensio, & sic fieri Episcoporum manus impositionem. Qui est à dire, Adjoustant à toutes ces remonstrances l' authorité ancienne des saincts Canons sur le fait des elections, & monstrant que ce n' estoit pas de la Cour du Roy qu' il falloit prendre les Evesques, ains de leurs propres Eglises & Dioceses: & qu' en l' ordination d' un Evesque, il ne falloit les recommandations ny du Roy, ny des Courtisans, mais l' election faite par le Clergé, & le peuple, puis la confirmation de l' election faicte par le Metropolitain, & en apres le consentement du Prince terrien. Et ce fait, les autres Evesques procedent puis apres à l' imposition des mains dessus cest esleu. Qui est un passage merveilleusement poignant, & à propos, pour monster de quelle façon on procedoit lors regulierement dans ce Royaume aux provisions des Evesques: Et sur tout, que nul Evesque ne pouvoit recevoir l' imposition de la main, jusques à ce que le consentement du Roy y eust passé. De toutes lesquelles choses nous pouvons recueillir que jamais l' on ne fit ny sous la premiere, ny souz la seconde lignee de nos Roys doute, qu' ils n' eussent bonne part à la promotion des Archevesques & Evesques. Car quant aux Abbayes, cela leur estoit tellement tourné non en coustume, ains en nature (comme il sera touché en son lieu parlant des Oblats) que nos Roys faisoient estat, qu' à eux seuls appartenoit la collation d' icelles. Au demeurant ne faut faire doute qu' ils n' appropriassent à eux le revenu des Eveschez quands ils vacquoient, & ce, peut être, pour autant qu' estant l' Eglise vefve & destituee de son espoux, & pasteur, elle n' en pouvoit pendant son interject de temps avoir plus fidele, & certain, que le Roy general patron, pasteur, & protecteur de ses Eglises. A ce propos lisons nous dans Flodoard, que Foulques Archevesque de Rheims, ayant l' œil, & l' aureille du Roy Charles le Simple son maistre à commandement, obtint unes bulles du Pape Formose, par lesquelles il vouloit qu' avenant le decez d' un Archevesque de Rheims, il ne fust permis aux Roys d' employer à leurs usages le revenu de l' Archevesché, ains qu' il fust reservé au futur successeur. Privilege que l' Archevesque de Rheims ne pouvoit obtenir, sinon pour se dispenser du droict commun de la France, introduit en faveur de noz Roys. Privilege toutes fois qui s' esvanoüit en fumee par la mort de Foulques, avec sa faveur. Par ce que non obstant ces bulles, il est certain que l' Archevesché de Rheims vacqua en Regale. Et n' estoit ceste coustume mal receüe de nos Prelats, ains d' une chose se plaignoient-ils seulement que noz Roys non contens de ceste iouyssance des fruicts, surpris par les embusches de leurs Courtisans, pendant ceste possession se disposoient d' aliener les biens immeubles des Eglises, lesquels ils assignoient à uns & autres en fiefs: Comme nous lisons qu' avoit fait Charles le Chauve pendant la destitution d' Ebon Archevesque de Rheims: & neantmoins à la postulation, & requeste d' Hincmare depuis restitua ce qui avoit esté par luy aliené. Et voyons en un Concil tenu à Mets sous le mesme Roy, que les prieres & supplications des Prelats tendirent principalement à ce qu' il luy pleust deleguer par les Provinces des Baillis (qu' ils appelloient Missos) pour cognoistre des alienations induës de telle nature de biens, a fin de les reincorporer aux Eglises, dont elles avoient esté eclipsees.

mercredi 5 juillet 2023

6. 5. Sommaire du procés de Jeanne la Pucelle.

Sommaire du procés de Jeanne la Pucelle.

CHAPITRE V.

Grande pitié, jamais personne ne secourut la France si à propos, & plus heureusement que cette Pucelle, & jamais memoire de femme ne fut plus deschiree que la sienne. Les Anglois l' estimerent, & sorciere & heretique, & sous cette proposition la firent brusler. Quelques uns des nostres se firent accroire que ce fut une feintise telle, que de Numa Pompilius dans Rome, quand il se vantoit communiquer en secret avecques Egerie la Nymphe, pour s' acquerir plus de creance envers le peuple, & telle est l' opinion du Seigneur de Langey au troisiesme livre de la discipline militaire chapitre 3. A quoy les autres adjoustent & disent que les Seigneurs de la France supposerent cette jeune garce, feignans qu' elle estoit envoyee de Dieu pour secourir le Royaume, mesme quand elle remarqua le Roy Charles à Chinon entre tous les autres, on luy avoit donné un certain signal pour le recognoistre. J' en ay veu de si impudens & eshontez, qui disoient que Baudricour Capitaine de Vaucouleur en avoit abusé, & que l' ayant trouvee d' entendement capable, il luy avoit fait joüer cette fourbe: Quant aux premiers je les excuse, ils avoient esté malmenez par elle, & nul ne sçait combien douce est la vengeance que celuy qui a receu l' injure. Quant aux seconds, bien qu' ils meritent quelque reprimande, si est-ce que je leur pardonne aucunement, parce que le malheur de nostre siecle aujourd'huy est tel, que pour acquerir reputation d' habille homme, il faut Machiavelizer. Mais par le regard des troisiesmes, non seulement, je ne leur pardonne, mais au contraire ils me semblent estre dignes d' une punition exemplaire, pour estre pires que l' Anglois, & faire le procés extraordinaire à la renommee de celle à qui toute la France a tant d' obligation. Ceux là luy osterent la vie, ceux-cy l' honneur, & l' ostent par un mesme moyen à la France, quand nous appuyons le restablissement de nostre Estat sur une fille deshonoree. 

De ma part je repute son histoire un vray miracle de Dieu. La pudicité que je voy l' avoir accompagnee jusques à sa mort, mesme au milieu des troupes, la juste querelle qu' elle prit, la proüesse qu' elle y apporta, les heureux succés de ses affaires, la sage simplicité que je recueille de ses responses aux interrogatoires qui luy furent faits par des juges du tout voüez à sa ruine, ses predictions qui depuis sortirent effect, la mort cruelle qu' elle choisit, dont elle se pouvoit garentir, s' il y eust eu de la feintise en son fait: Tout cela, dis-je me fait croire (joinct les voix du ciel qu' elle oyoit) que toute sa vie & histoire fut un vray mystere de Dieu: Aussi est ce la verité que son pere avoit songé que cette fille deuroit quelquesfois viure au milieu des soldats, comme je remarqueray en son lieu. J' ay veu autresfois la copie de son procez en la Librairie de sainct Victor, puis en celle du grand Roy François à Fontainebleau, & depuis ay eu en ma possession l' espace de quatre ans entiers le procés originaire, auquel tous les actes, lettres patentes du Roy Henry, advis de l' Université de Paris, interrogatoires faits à la Pucelle estoient tout au long copiez, & au bout de chaque fueillet y avoit escrit, Affirmo, ut supra, Bosquille, c' estoit le Greffier, & à la fin du registre estoient les seings, & seaux de l' Evesque de Beauvais, & de l' Inquisiteur de la Foy, ensemble celuy du Greffier. Qui fait que j' en puis parler plus hardiment. Je veux doncques icy raconter comme les choses se passerent, & vous discourant les principaux poincts de son procés, vous pourrez aussi recueillir par ses responses tout ce qui fut de sa maison & de son histoire particuliere.

Apres que le Duc de Bourgongne eut esté creé Lieutenant general de Paris, il mit le siege devant Compieigne, où il trouva à qui parler, car en fin il fut contraint de le lever, vray qu' en une sortie que firent le Capitaine Poton, & la Pucelle, le malheur voulut que l' un & l' autre y furent pris. Quant à Poton il courut la commune fortune des autres gens de guerre, d' en estre quitte pour sa rançon, où d' estre changé pour un autre, mais non cette pauvre Pucelle, la prise de laquelle fut si agreable aux Anglois, qu' ils en firent chanter un Te Deum dans l' Eglise nostre Dame de Paris, & quittans la forme ordinaire que l' on observe aux prisonniers de bonne guerre, luy voulurent faire son procés. Le bastard de Vendosme l' avoit prise, qui la monstra au Duc de Bourgogne lequel la bailla en garde à messire Jean de Luxembourg, auquel il avoit plus de fiance. Deslors elle commença d' avoir deux maistres. Les Anglois desiroient de l' avoir, a fin de la sacrifier au feu. Le Duc n' y donnoit pas grand obstacle, mais bien Luxembourg & le bastard, ne voulans estre defraudez de la rançon, les uns combattans pour la vie, les autres pour la bourse. Messire Pierre Cauchon Evesque de Beauvais, qui lors estoit en grand credit pres des Anglois, faisoit toute instance à ce qu' elle luy fust deliuree, comme heretique, qui avoit esté prise dans son Diocese. Le jeune Roy se met de la partie, pour le moins ceux de son conseil: En fin elle est mise en ses mains, moyennant cinq mille liures, qui furent baillees à Messire Jean de Luxembourg, & trois cens liures de rente au bastard de Vendosme. L' Université de Paris desiroit que cette cause fust renvoyee à Paris: Toutesfois le Roy par ses lettres patentes du 30. Janvier 1430, donne toute charge à l' Evesque de Beauvais, c' estoit celuy qui peu auparavant avoit esté envoyé expres en Angleterre pour l' amener en France. Le 9. ensuivant l' Evesque demande aux Doyen, Chanoines, & Chapitre de Roüen, territoire pour rendre la cause plus exemplaire, le siege Archiepiscopal estant lors vacquant. Ce qui luy fut tres-volontiers accordé. En cecy il est assisté de frere Jean Magistri, de l' Ordre des freres Prescheurs, Vicegerant de frere Jean Graverant Inquisiteur general de la foy: Messire Jean Estinet Evesque de Bayeux est faict Promoteur en cette cause. Or pour garder l' ordre judiciaire, la Pucelle est citee devant l' Evesque au 21. Fevrier, a fin de venir respondre aux faits proposez encontre elle par le Promoteur. Cette pauvre fille avoit tant de crainte de Dieu en son ame, qu' avant que de subir interrogatoire, elle demanda d' ouyr la Messe. Ce qui luy fut refusé, de tant qu' elle portoit l' habit d' homme, qu' elle ne vouloit delaisser. Je reciteray les principaux articles, sur lesquels elle fut interrogee, à la charge que s' il n' y a tant de grace, il y aura paraventure plus de creance pour ceux qui liront ce Chapitre. Les faits du Promoteur furent couchez en Latin, comme est l' ordinaire en Cour d' Eglise, & fut son interrogatoire fait à diverses journees, selon les instructions & memoires, qu' en donnoit le Promoteur, & à dire le vray, jamais une personne accusee ne fut tant chevalee par un juge pour estre surprise, & toutes-fois jamais personne ne respondit plus à propos que cette cy: Monstrant assez par cela qu' elle estoit assistee de Dieu, & de la verité, au milieu de ses ennemis. En la plus part des demandes qu' on luy faisoit s' il y avoit de l' obscurité, elle demandoit jour d' advis pour communiquer aux sainctes, avecques lesquelles elle parloit, comme en cas semblable, si les juges se trouvoient empeschez sur ses responses, ils en escrivoient à l' Université de Paris, a fin d' en avoir son opinion, laquelle s' assembloit tantost aux Bernardins, tantost aux Mathurins, & pour cette cause le procez est plain d' une infinité de ses advis, qu' il n' est besoin d' inserer icy. Je me contenteray seulement de vous representer l' ame de ce procez, au moins mal qu' il me sera possible.

Interrogee sur le premier article de dire verité, respondit que ses pere, & mere elle les diroit, mais des revelations, que non, & qu' elle les avoit dictes à son Roy Charles, & que dans huictaine elle sçavroit bien si elle les deuroit reveler. Interrogee de son nom, elle dist qu' en son pays on l' appelloit Jannette, & depuis qu' elle vint en France fut appellee Jeanne Darc, du village de Dompré: Que son pere s' appelloit Jacques Darc, & sa mere Isabelle: Que l' un de ses parrains estoit appellé Jean Lingue, l' autre Jean Berrey. De ses marraines, l' une Jeanne, l' autre Agnes, l' autre Sibille, & qu' elle en avoit eu encores quelques autres, comme elle avoit ouy dire à sa mere: Qu' elle estoit lors de l' aage de vingt & neuf ans ou environ, Lingere & Fillandiere de son mestier, & non bergere, alloit tous les ans à confesse, oyoit souvent une voix du Ciel, & que la part où elle l' oyoit y avoit une grande clarté, & estimoit que ce fust la voix d' un Ange. Que cette voix l' admonestoit maintesfois d' aller en France, & qu' elle feroit lever le siege d' Orleans, luy dist qu' elle allast à Robert de Baudricourt, Capitaine de Vaucouleur, lequel luy donneroit escorte pour la mener, ce qu' elle fit, & le cogneut par cette voix. Item dixit quod bene scit quòd Deus diligit ducem Aurelianensem, ac etiam quòd plures revelationes de ipso habuerat, quàm de alio homine vivente, excepto illo, quem dicit Regem suum. Qui est à dire, item elle dit qu' elle sçavoit bien que Dieu aimoit le Duc d' Orleans, & qu' elle avoit eu plus de revelations de luy, que de nul autre vivant, fors & excepté de celuy qu' elle appelle son Roy. Recognoist avoir fait donner une escarmouche à jour de feste devant Paris: Interrogee si c' estoit bien fait, elle dist, passez outre: Interrogee quand elle avoit ouy la voix, elle respond, hier trois fois, la premiere au matin, la seconde sur le vespre, & la troisiesme, quum pulsaretur pro Ave Maria de sero. On l' interroge si elle a veu des Fees, dit que non, qu' elle sçache: mais bien qu' une sienne marraine femme du Maire d' Aulbery se vantoit les avoir quelquesfois veuës vers l' arbre des Fees, joignant leur village de Dompré. Qui estoient ceux ou celles qui parloient à elle, dit que c' estoit saincte Catherine, & saincte Marguerite, lesquelles elle avoit veuës souvent, & touchees depuis qu' elle estoit en prison, & baisé la terre par où elles estoient passees, & que de toutes ses responses elle prenoit conseil d' elles: Qu' elle avoit pris la robbe d' homme par expres commandement de Dieu: Qu' elle fut blecee au col devant la ville d' Orleans: Item dicit quòd antequam sint septem anni, Anglici, dimittent maius vadium quàm fecerunt coram Aurelianis, & quòd totum perdent in Francia: Dicit etiam quòd praefati Anglici habebunt maiorem perditionem, quàm unquam habuerunt in Francia, & hoc erit per magnam victoriam, quam Deus mittet Gallis. Qui est à dire, Item elle dit que devant qu' il soit sept ans, les Anglois delairront un plus grand gage que celuy qu' ils firent devant Orleans, & qu' ils perdront tout ce qu' ils ont dans la France. Dit en outre qu' ils feront une perte plus grande en France qu' ils n' avoient fait auparavant: & que cela adviendra par une grande victoire que les François avront sur eux. Interrogee si elle portoit quelques armoiries, dist que non, ains seulement son estendart. Mais que le Roy en avoit donné à ses freres c' est à sçavoir un escu en champ d' azur, auquel il y avoit deux fleurs de Lys d' or, au milieu une couronne. Je diray cecy en passant, que le Roy d' Angleterre escrivant une lettre aux Prelats, concernant la presomption de cette Pucelle. Elle avoit esté (dit-il) si audacieuse de charger les fleurs de Lys en ses armes, qui est un escu à champ d' azur, avec des fleurs de Lys d' or, & une espee la pointe en haut feruë en une couronne. Au demeurant elle dit à l' Evesque que son pere un jour entre les autres songea qu' elle iroit avec des gensdarmes: Ce que craignant il la tenoit ordinairement de court, & disoit souvent à ses fils que s' il pensoit que cela deust avenir, il avroit beaucoup plus cher qu' on la noyast. On luy impute qu' estant prisonniere à Beaurevoir, elle avoit sauté du haut en bas de la tour pour se tuer, elle confesse le fait, mais que c' estoit en esperance de se sauver: Elle demande d' oüir la Messe, & puis de recevoir Dieu à la feste de Pasques, ce qu' on luy accorde, en reprenant l' habit de femme, mais elle n' y veut entendre. Sur le fait de l' adoration, dit que si quelques uns avoient baisé ses mains, ou sa robbe, ce n' avoit point esté de son consentement. Dit qu' à l' arbre des Fees, & à la fontaine pres de Dompré elle parla à sainctes Catherine, & Marguerite, mais non aux Fees: Et y commença de parler dés l' aage de treize ans. Que quelquesfois on luy avoit bien imputé d' avoir parlé aux Fees, mais qu' il n' en estoit rien, & ainsi l' avoit dit à un de ses freres. Qu' au 20. an de son âge elle alla à Neuf-chastel en Lorraine, où elle demeura chez une hostesse nommee la Rousse, & là menoit les bestes aux champs, mesmes les chevaux paistre, & abreuver: Et ainsi apprit de se tenir à cheval: Que pendant qu' elle estoit à Neuf-chastel, elle fut citee pardevant l' Official de Toul pour un mariage, mais qu' elle gaigna sa cause. Qu' apres y avoir servy cinq ans, elle retourna chez son pere, puis malgré luy s' en alla à Vaucouleur, où Robert de Baudricourt ne tint compte d' elle pour la premiere, ny seconde fois, mais à la troisiesme, il la receut & l' habilla en homme, puis luy bailla vingt Chevaliers, un Escuyer, & quatre varlets qui la menerent au Roy estant à Chinon. Sollicitee par ses Juges de reprendre l' habit de femme, elle respond qu' elle ne requeroit d' avoir de cet habit qu' une chemise apres sa mort. De rechef solicitee de laisser l' habit d' homme, & qu' en ce faisant on la recevroit au S. Sacrement de Communion. Noluit huic praecepto obsequi, in quo apparet peruicacia eius, & obduratio ad malum, & contemptus Sacramentorum. A la fin elle accorde de reprendre une robbe de femme pour ouyr la Messe, mais à la charge que l' ayant ouye elle reprendroit celle d' homme. Ad hoc fuit et dictum quod ipsa caperet habitum muliebrem simpliciter, & absolutè. Ad quod ipsa respondit, Tradatis mihi habitum ad modum unius filiae Burgensis, scilicet unam Houpelandam longam, & similiter Capitium muliebre, & ipsa accipiam pro audiendo missam. Dicebat se malle mori, quàm revocare id quod Dominus fecit sibi fieri, hoc est ut ferret habitum virilem. Dit qu' elle avoit promis au Roy lors qu' elle le salüa la premiere fois de faire lever le siege d' Orleans, de le faire sacrer Roy, & qu' elle le vengeroit de ses ennemis. Luy fut improperé que tousjours elle avoit empesché la paix avec l' Anglois. Ce qu' elle accorda, disant que la paix ne se pouvoit faire qu' ils ne vuidassent du tout de la France. Le Promoteur luy reproche qu' elle avoit faict cacher derriere l' Autel de saincte Catherine de Fierbois une espee qu' elle envoya querir depuis qu' elle eut parlé au Roy pour le tromper: Quod ipsa negat, scilicet se fecisse hoc dolosè: Bien confesse-elle qu' avant qu' aller à Chinon, elle avoit ouy trois Messes en ce lieu de saincte Catherine: Luy reproche d' avantage qu' elle se disoit avoir esté envoyee de Dieu pour faire la guerre. Chose du tout contrevenante à sa volonté pour n' avoir rien tant en horreur, que l' effusion de sang. Respond que par les lettres qu' elle avoit escrites au Roy d' Angleterre, & Princes de son sang, elle avoit premierement demandé la paix, & depuis faict la guerre. La teneur de la lettre est transcrite au procez: Qu' elle avoit faict mourir un Franquet, dict que c' estoit un volleur: que pour tel recogneu, il fut defaict par sentence du Bailly de Senlis: Qu' elle avoit plusieurs fois receu le Corpus Domini en habit d' homme, & aussi qu' elle avoit flechy le genoüil devant les dictes voix, ce qu' elle recogneut, & confessa. Le Promoteur. Item quod ipsa Ioanna in tantum suis adinventionibus Catholicos seduxit, quod multi in praesentia eius eam adoraverunt ut sanctam, & adhuc adorant in absentia, ordinando in reverentiam eius Missas & Collectas in Ecclesiis: imò dicunt eam maiorem esse omnibus sanctis Dei post beatam Virginem, elevant imagines, & repraesentationis eius in basilicis sanctorum, ac etiam in  plumbo, & alio metallo repraesentationes eius super se ferunt. A quoy elle respondit qu' elle s' en rapportoit à Dieu. Contra praceptum Dei  assumpsit dominationem supra viros, constituendo se caput exercitus. Elle dit que si elle avoit esté chef de guerre, c' avoit esté pour battre les Anglois: Dict en outre que son estendart estoit de toille, ou boucassin bordé de veloux, avecques un champ semé de fleurs de Lys, au milieu d' iceluy y avoit un Dieu figuré, tenant un monde costoyé de deux Anges revestus de blanc, & au dessous estoit escrit; Iesus Maria. Il n' y avoit en cette responce aucun mal, toutesfois les Juges tournans tout ce qui avoit esté par elle fait ou dit en venin, luy remonstrerent que Voluerat attribuere tales vanitates Deo, & Angelis, quod est contra reverentiam Dei & Sanctorum: Et si sa fiance estoit en son estendart: A quoy elle respondit sagement, que toute sa fiance estoit en celuy dont elle portoit l' image. Pourquoy elle tint seule cet estendart sur l' Autel, quand le Roy fut couronné, Illud fuerat (dit-elle) in poena, & ideo rationabile erat quod esset in honore. Qu' ayant esté blecee devant Paris, elle offrit depuis, & fit appendre dans l' Eglise sainct Denis son harnois par gloire, dit que par devotion elle l' offrit à S. Denis, comme font tous ceux qui sont blecez en guerre, aussi que S. Denis est le commun cry de la France, S. Denis Mont-joye. On luy demande si elle se vouloit rapporter au jugement de l' Eglise militante: Elle dit que ouy, pourveu qu' elle ne luy commandast rien impossible, Scilicet declarata per eam de visionibus, & revelationibus, quas dixit se fecisse ex parte Dei, quas nollet revocare pro quocunque, & si Ecclesia diceret istas visiones esse illusiones, nollet tunc se referre ad hominem, sed ad Deum.

Les articles tirez des confessions de la Pucelle estoient, qu' elle aagee de treize ans, disoit avoir veu sainct Michel, saincte Catherine, & saincte Marguerite, mesme une grande troupe d' Anges. Que ces sainctes luy conseillerent depuis d' aller trouver Charles VII. pour le secourir, & de changer l' habit d' homme, lequel elle avoit mieux aimé porter que d' oüyr la Messe, ou recevoir le precieux Corps de nostre Seigneur, & avoit refusé en cela de se soubmettre au jugement de l' Eglise militante, ains s' en estoit rapportee au seul Dieu. Item quod dicit quod ipsa est certa de quibusdam mere contingentibus, & occultis, & quod cognovit per voces, quas nunquam ante viderat. Ulterius dicit quod ex quo habeat de mandato Dei deferre habitum viri, oportebat eam accipere tunicam brevem, Caputium, Gipponem, brachas, & caligas cum aiguilletis, capillis suis super aurium summitates scißis in rotundum. D' avantage qu' elle s' estoit precipitee du haut en bas de certaine tour, aymant mieux mourir que de tomber és mains des ennemis: Et quod non tantum audivit, & vidit, sed etiam tetigit corporaliter & sensibiliter Catharinam, & Margaretam, & osculata erat terram, super quam gradiebantur.

En fin apres que le Promoteur eut pris telles conclusions qu' il luy pleut par sentence de l' Evesque, & du Vicegerent de l' Inquisiteur, il est dit que tout ce qui avoit esté fait par la Pucelle, n' estoit que factions, & tromperie, pour seduire le pauvre peuple, ou bien invention du Diable, & qu' en tout cecy elle avoit commis blaspheme contre l' honneur de Dieu, impieté contre ses pere, & mere, idolatrie contre l' honneur de nostre mere saincte Eglise. Autre blaspheme d' avoir mieux aimé ne recevoir le Corps de Dieu, & communier au S. Sacrement de l' Autel, que de quitter l' habillement d' homme. A ce jugement opinerent les Evesques de Constance, & Lizieux, le Chapitre de l' Eglise Cathedrale de Roüen, seize Docteurs, & six tant Licentiez, que Bacheliers en Theologie, & unze Advocats de Roüen. Cette sentence envoyee à l' Université de Paris, pour donner advis sur icelle, elle s' assembla au College de sainct Bernard, sous l' authorité de Maistre Pierre de Gonda Recteur, & apres avoir le tout veu, la Faculté de Theologie fut d' advis par l' organe de Maistre Jean de Troyes, celle de Decret par celuy de Maistre Guerraut Boissel leurs Doyens, que la Pucelle estoit vrayement heretique & schismatique, & sur cette resolution l' Université depescha deux lettres du quatorziesme jour de May, mil quatre cens trente & un. L' une au Roy Henry, l' autre à l' Evesque de Beauvais, a fin de la faire mourir: Toutes-fois cet advis ne fut suivy pour ce coup, mais ayant esté la Pucelle admonestee de se soubmettre au jugement de l' Eglise, elle fait responce qu' elle entendoit se soubmettre à toute raison, ainsi qu' elle avoit tousjours protesté par son procez: On l' exposa sur un escharfaut public, où apres avoir esté preschee, elle dit lors qu' elle se soubmettoit au jugement de Dieu, & de nostre sainct Pere le Pape. Puis voyant que l' on vouloit passer outre, elle protesta de tenir tout ce que l' Eglise ordonneroit, disant plusieurs fois que puis que tant de gens sages soustenoient que les apparitions n' estoient de Dieu, elle le vouloit aussi croire, & fit une abjuration publique inseree tout au long au procez. Sur quoy intervint autre sentence, par laquelle elle est absoulte du lien d' excommunication, & condamnee à perpetuelle prison, Ut cum pane doloris ibi commissa defleret. Et deslors elle reprit l' habit de femme, & l' envoya-l'on en une prison les fers aux pieds: Ce neantmoins furent mis ses habillemens d' homme pres d' elle, pour voir quels seroient ses deportemens. Elle ne fut pas si tost seule, & revenuë à son second penser, qu' elle fit penitence de son abjuration, & reprit ses premiers habits d' homme. Le lendemain au matin visitee, estant trouvee en son ancien appareil, & interrogee sur ce changement, elle respond l' avoir faict par le commandement expres des sainctes, & qu' elle aimoit mieux obeïr aux commandemens de Dieu, que des hommes. A ce mot on la declare heretique relapse, & tout d' une suitte elle est renvoyee au bras seculier, où elle fut condamnee d' estre bruslee toute vifve par sentence du trentiesme May 1431. depuis envoyee au Parlement de Paris, pour y estre enregistree. Les Normans non contens de l' avoir condamnee à mort, la voulurent mitrer lors qu' ils l' envoyerent au gibet, & estoient ces mots escrits sur la mitre, Heretique, Relapse, Apostate, Idolatre, & au devant d' elle un Tableau plain d' injures & contumelies, ne se pouvans assouvir de sa seule mort, ores qu' elle fust tres-cruelle.

L' Université de Paris voulant aussi joüer son rolle, fit une procession generale le jour de sainct Martin d' Esté à sainct Martin des Champs, où un frere Dominicain fit une declamation encontre cette pauvre fille, pour monstrer que tout ce qu' elle avoit faict c' estoient œuvres du Diable, non de Dieu.

Au milieu de tous ces fleaux toutes-fois, pendant qu' on luy faisoit son procez, vint à Paris une femme nommee Peronne, qui estoit du pays de Bretagne, laquelle soustint publiquement que la Pucelle avoit esté envoyee de Dieu, & que de ce elle avoit plusieurs revelations par l' Ange, qu' elle voyoit souvent habillé de robbe blanche: Et parce qu' elle ne voulut jamais desmordre cette creance, elle fut escharfaudee, & preschee le troisiesme de Septembre, mil quatre cens trente, & le jour mesme bruslee. C' estoit six ou sept mois auparavant la condamnation de la Pucelle. Depuis les affaires de la France estans devenuës plus calmes par l' extermination des Anglois, Maistre Robert Cibole Docteur en Theologie, Chancelier de l' Université, par Livre exprez escrivit en l' an mil quatre cens cinquante six, contre tous ceux qui l' avoient declaree heretique, j' en ay veu autres fois le Livre és mains du Feron, ce grand rechercheur d' armoiries.

Mais puis qu' un Theologien, & Chancelier de l' Université n' a douté d' accuser tous ces Messieurs là d' impieté, pourquoy ne suivray-je ses traces? S' il vous plaist recueillir ce que j' ay discouru cy-dessus, tout le motif de sa condamnation fut pour deux causes: L' une pour s' estre contre les commandemens de S. Paul habillee en homme, l' autre pour avoir adjousté foy aux voix, qui se presentoient à elle de nuict. Or pour le regard de ces voix, on ne peut dire que ce fust artifice, cela pouvoit estre dit, quand elle se presenta au Roy, a fin d' exciter les Capitaines, & soldats, à se plonger de meilleur cœur dans la querelle de leur Prince: Mais estant és mains de la Justice, se pouvant garantir de la mort, comme elle avoit fait en quittant les habillemens d' homme, & neantmoins le lendemain les ayant repris, qui luy estoit une asseurance de mort tres-cruelle, il ne faut point faire de doute, qu' elle r'entra sur ses alteres par l' advis qu' elle en eut la nuict, comme elle confessa à ses Juges. Quel jugement doncques pouvons nous en cecy faire d' elle, je dy pour en parler sans passion? Non autre certes, sinon qu' elle estimoit que toutes ces voix venoient de Dieu, qui luy avoit du commencement commandé de prendre l' habit d' homme pour sauver le Roy, & puis ne le laisser quelque crainte de mort que l' on luy mist devant les yeux: Et c' est pourquoy elle dist tant de fois, que combien qu' elle se soubmist au jugement de l' Eglise militante, toutes-fois elle vouloit embrasser premierement celuy de Dieu. Mais cette voix estoit-elle de Dieu, ou du Diable? Je sçay bien que le Diable se transforme assez souvent en l' Ange de Dieu pour nous piper. C' est ce que l' Evangile nous enseigne: puis qu' il joüe de fois à autre ce personnage, il faut doncques croire que Dieu envoye aussi quand il veut ses bons Anges sous telles images qu' il luy plaist, pour nous induire à bonnes choses. La Bible est toute pleine de tels exemples. Le mesme Dieu qui estoit lors, est celuy qui gouverne cet Univers, pourquoy douterons nous que sa puissance ne soit telle, & par consequent ses effects? En tout ce procez par moy discouru, vous ne remarquez autre chose qu' une ame toute Catholique, qui ne demande que confession, oüir la Messe, recevoir Dieu, moyennant que ce soit en l' habit qui luy est commandé par les voix: Parce qu' elle estime que ce soit un commandement expres, & particulier de Dieu qui luy est fait. Mais pourquoy prit-elle l' habit d' homme? Estoit-ce pour un meschant œuvre? Pour porter confort & aide à son Roy, contre l' indeuë usurpation des Anglois. Davantage voyez comme illuminee des rayons du sainct Esprit par ces voix, elle predit des choses qui advindrent: Car je vous laisse à part, qu' elle recogneut premierement Baudricourt, puis le Roy, que elle n' avoit jamais veu, cela pouvoit estre sujet à caution, & pourra quelque sage-mondain dire que c' estoit une partie joüee par l' entremise de quelques uns, qui luy avoient servy sous main de protecoles: Quant à moy, je veux croire que ce fut par inspiration de Dieu, puis qu' en tout ce que je diray cy-apres, je n' y voy nulle hypocrisie. Elle dit au Roy qu' elle estoit envoyee de Dieu pour degager Orleans du siege, puis pour faire Sacrer, & Couronner le Roy à Rheims, ne le fit-elle? Par les lettres que sur son advenement elle escrivit au Roy d' Angleterre, elle luy manda que s' il n' entendoit à la paix, il verroit le Roy Charles entrer en tout honneur dans Paris, & qu' ainsi luy avoit esté revelé, cela n' advint-il puis apres? Par une de ses responces elle dit à ses Juges que le Duc d' Orleans estoit bien aimé de Dieu, comment pouvoit-elle juger cela que par l' inspiration divine? Elle dit encores à ses Juges qu' avant le terme de sept ans, l' Anglois seroit exterminé de la France. S' il ne le fut de la France, ne le fut-il de Paris en l' an mil quatre cens trente six ville capitale de la France, par le moyen dequoy le Roy Charles gaigna quarante cinq dessus la partie? Mais sur tout me plaist quand cette guerriere pour braver ses Juges par une belle saillie, leur dit que le Duc d' Orleans qui estoit leur prisonnier il y avoit quinze ans passez, estoit le bien aymé de Dieu. Voyons si cette parolle fut menteuse. Il sortit de prison l' an mil quatre cens quarante, & à son retour espousa en la ville de sainct Aumer, Catherine de Cleues, niepce de Philippes Duc de Bourgongne, dont il eut un seul fils du nom de Louys. Auparavant sa prison il avoit eu un enfant naturel Jean Comte de Dunois, appellé communément par nos Historiographes, le Bastard d' Orleans, qui depuis és annees mil quatre cens cinquante & deux, reduisit sous la puissance du Roy Charles les pays de Normandie & Guyenne. Et quant au legitime ce fut nostre bon Roy Louys douziesme de ce nom, qui pour ses bons & doux deportemens fut apres son decez honoré du bel Eloge de Pere du Peuple, qu' un Claude de Seissel Evesque de Marseille ne douta par livre exprez de parangonner à tous les autres Roys de France. Un Prince pouvoit-il estre mieux aimé de Dieu, que de luy envoyer deux enfans, ausquels nostre France fut depuis tant redeuable? Et puis au bout de cela apres tant de bons actes, apres tant de predictions veritables, en une querelle si juste, apres tant d' heureux succez, nous dirons que c' estoient illusions du Diable? Certes il ne faut point avoir de pieté en la teste qui le soustiendra. Adjoustez, & cestuy est un traict d' Histoire fort memorable: si les anciennes Histoires sont vrayes on trouve unes Semiramis & Jeanne, qui sous habillemens d' hommes exercerent, celle là une Royauté, cette-cy la Papauté: Toutesfois avant que la partie fust parachevee, elles nous servirent d' un plat de leur mestier: Parce que chacune fit un enfant, chose qui leva leur masque. Mais nostre Jeanne, encores que l' Anglois recherchast tous moyens de la calomnier, si ne luy impropera-il impudicité par tout le discours de son procez, jaçoit qu' elle eust vescu au milieu de plusieurs grandes armees, où telle desbauche est plus que souvent en usage. Et c' est pourquoy la posterité non sans grande raison luy donna le tiltre de Pucelle, qui luy est demeuré jusques à huy. Ce neantmoins il y a aujourd'huy quelques plumes si eshontees qui ne doutent de la pleuvir pour garce de Baudricourt. Au demeurant je ne veux oublier que sa memoire fut de si grande recommandation entre nous apres sa mort, qu' en l' an 1440. le commun peuple se fit accroire que la Pucelle vivoit encores, & qu' elle estoit eschappee des mains des Anglois, qui en avoient fait brusler une autre en son lieu: Et pource qu' il en fut trouvee une en la gendarmerie en habillement desguisé, le Parlement fut contraint la faire venir, la representer sur la pierre de Marbre du Palais, au peuple, pour monstrer que c' estoit une imposture.

Je serois ingrat envers la memoire du Roy Charles premierement, puis de cette miraculeuse guerriere, si pour closture de ce Chapitre, je n' y enchassois cet Eloge, qui me semble d' une singuliere recommandation. Elle avoit trois freres, Jaquemin, Jean, & Pierre dit Pierrelot, dont les deux derniers s' embarquerent à pareille fortune que leur sœur, faisans profession des armes. Le Roy en consideration des grands & signalez services qu' il avoit receuz de la Pucelle, tant à la levee du siege d' Orleans, que son Sacre, dont elle avoit esté la principale porte-banniere, l' annoblit, ensemble ses pere, mere, freres, & leur posterité, tant masculine que feminine, par ses Patentes en forme de Chartre, donnees à Mehun sur Yeure, au mois de Decembre mil quatre cens vingt-neuf, verifiees le seiziesme de Janvier ensuivant, en la Chambre des Comptes de Paris, lors transferee à Bourges. La teneur des lettres est telle. Considerantes laudabilia grataque servitia nobis ac regno nostro iam per dictam Ioannam puellam multimode impensa, & quae in futurum impendi speramus, certisque alijs causis ad hoc animum nostrum inducentibus, praefatam puellam, Iacobum Darc patrem, lsabellam eius uxorem, matrem, Iacqueminum, Ioannem & Petrum Perrelo, fratres ipsius puellae, & totam suam parentelam, & lignagium, & ion favorem & pro contemplatione eiusdem & eorum, posteritatem masculinam, & foemineam in legitimo matrimonio natam & nascituram nobilitavimus, & peu apres. Concedentes eisdem & eorum posteritati, tam masculinae, quam femineae, in legitimo matrimonio procreatae, & procreandae, ut ipsi feoda & retrofeoda, & res nobiles à nobilibus, & alijs quibuscumque personis acquirere, & tam acquisitas, quàm acquirendas retinere ac possidere perpetuo valeant. Privilege admirable, & non jamais octroyé à autre famille. Bien trouvons nous un Eude le Maire natif du village de Challo sainct Mas pres d' Estampes, & ses successeurs tant en ligne feminine que masculine avoir esté dispensez de toutes daces: mais non pour cela reputez Nobles, ny joüy du Privilege de Noblesse. 

Jamais service fait à la France ne vint au parangon de celuy de la Pucelle. Aussi jamais lettres d' annoblissement ne furent de tel poids & mesure que celles-cy. Annoblissement tellement embrassé, que comme ainsi soit qu' en la Normandie, il y ait quelques hommes issus des filles de cette lignee, ils joüissent de ce privilege. Et ainsi voy-je, uns Robert Fournier, Lucas de Chemin, oncle & nepueu, apres ample cognoissance de cause, & examen de leur genealogie, avoir fait enregistrer ces lettres d' annoblissement pour eux & les leur en la Cour des Aydes de Normandie, le 13. Decembre 1608. depuis que le Privilege d' Eude le Maire a esté supprimé.

Or pour plus signalee remarque de cette gratification, le Roy Charles voulut que les freres de la Pucelle portassent en leurs armoiries un escu en champ d' azur, auquel y avroit deux fleurs de Lys d' or, & au milieu une Couronne: & en outre, qu' au lieu du surnom Darc qu' ils avoient apporté du ventre de leur mere, ils fussent de là en avant surnommez du Lys. Comme si la Couronne de France, & le Lys eussent par les paradoxes exploicts & chef d' œuvres de la Pucelle repris leur ancienne force, dignité & vertu. Chose que je descouvre par un extraict tres-notable dont je vous veux faire part. Dés l' an mil quatre cens vingt cinq, on avoit baillé à six liures de rente fonciere par chacun an, le marc d' argent revenant à sept liures, une Isle assise sur la riviere de Loire, contenant deux cens arpens, vulgairement appellee l' Isle aux Boeufs, dont les Receveurs du Domaine d' Orleans, faisoient estat par leurs comptes: Advient que les detempteurs s' en departent le vingt & sixiesme Juillet, mil quatre cens quarante trois, & la remettent és mains de Charles Duc d' Orleans pere de Louys, qui fut depuis Roy de France douziesme du nom, lequel deux jours apres en fit don à Pierre frere de la Pucelle, verifié le vingtneufiesme par Maistre Jean le Fuzelier General de ses finances, pour en joüïr par luy & Jean son fils leurs vies durant, en consideration dequoy cette partie depuis mise en recepte fut couchee à neant, tant & si longuement qu' ils vesquirent. Comme de faict vous trouvez tout cela amplement narré par le compte de l' an mil quatre cens quarante quatre, rendu en la Chambre des Comptes, par Maistre Robin Gaffard, portant entr'autres choses l' article de recepte ces mots qui servent à mon intention. Laquelle Isle mon dict Seigneur le Duc a donné à Messire Pierre du Lys Chevalier; Oüye la supplication du dit Messire Pierre, contenant que pour acquiter la loyauté envers le Roy nostre dit Seigneur, & Monsieur le Duc d' Orleans, il se partit de son pays pour  venir au service du Roy nostre dit Seigneur, & de Monsieur le Duc en la compagnie de Jeanne la Pucelle sa sœur, avec laquelle jusques à son absentement, & depuis jusques à present il a exposé son corps & ses biens ou dit service, & au fait des guerres du Roy, tant à la resistance des anciens ennemis du Royaume, qui tindrent le siege devant la ville d' Orleans, comme à plusieurs voyages faicts & entrepris par le Roy nostre dit Seigneur, & ses chefs de guerre, & autrement en plusieurs & divers lieux. Je vous laisse le demeurant de l' article, auquel est pareillement fait mention de Jean du Lys fils de Pierre: Me contentant qu' on voye que ce Pierre surnommé du Lys estoit frere de la Pucelle. Surnom que je voy luy avoir esté baillé, & à son fils en tous les comptes subsequens faisans mention d' eux.

Je ne me puis faire accroire que cestuy ayant affaire à un grand Prince du Sang eust osé changer son surnom Darc en celuy du Lys: sans que luy & ses freres eussent permission expresse de ce faire, par le benefice du Roy. Mais sortout me plaist qu' on trouve par quelques anciens tiltres que plusieurs des leur qui les survesquirent, apres avoir mis le surnom du Lys, adjoustoient tout suivamment ces mots Dits la Pucelle, pour monstrer qu' ils estoient de sa lignee. Au demeurant comme par succession de temps cette famille fut casuellement espanduë en diverses branches par la France, tant en lignee masculine que feminine: Aussi Maistre Charles du Lys, Conseiller du Roy, & son Advocat general en la Cour des Aydes de Paris, a pardevers soy plusieurs enseignemens, par lesquels il se treuve & preuve en estre un des rejettons.

6. 5. Sommaire du procés de Jeanne la Pucelle.

mardi 30 mai 2023

2. 15. Nobles, Gendarmes, Roturiers, Vilains, Chevaliers, Armoiries de France,

Des Nobles, Gendarmes, Roturiers, Vilains, Chevaliers, Armoiries de France, & plusieurs autres choses de mesme subject, concernants la Noblesse de France. 

CHAPITRE XV. 

Depuis que les premiers & anciens ordres des Fiefs furent de ceste façon alterez, par la passion induë & irreguliere qu' en voulurent prendre les non Nobles: & que nos Roys, d' un autre costé, eurent introduit parmy le peuple, les Tailles sur les personnes roturieres, chacun commença deslors, selon son possible à faire estat de la Noblesse, non toutesfois fondee sur les Fiefs. Car nos Rois voyans que plusieurs cazaniers & bourgeois, qui ne faisoient estat des guerres, les possedoient par importunitez, ne voulurent prendre cela en payement, mais ordonnerent que les Tailles fussent imposees sur tous hommes qui seroient de qualité roturiere. Tellement qu' il pouvoit advenir qu' un homme qui possedast plusieurs Fiefs, se trouvast toutesfois taillable, pour autant qu' il estoit roturier & au contraire, que celuy qui avoit tous ses heritages en censive, en fust exempt parce qu' il estoit de condition Noble. Pour ceste cause les plus riches commencerent à obtenir lettres d' Ennoblissement de nos Roys, ou bien de fonder leur Noblesse sur l' ancienneté de leur race (paraventure non cogneuë, pour avoir changé de pays) verifians que leurs ancestres avoient toujours vescu noblement, sans être cottisez à la taille, & sans exercer aucun estat de marchandise. L' on recite qu' entre les loix que Licurge establit aux Lacedemoniens, il y en eut une principalement par laquelle tous mestiers & arts mecaniques furent delaissez aux serfs & aux estrangers, qui ne iouyssoient du privilege de Bourgeoisie, mettant és mains de ses citoyens & gens libres, seulement l' escu & la lance, & leur interdisant toutes autres communes industries: voire les marchandises & trafiques dont és autres Republiques le commun peuple fait plus grand fonds: pourautant qu' il estimoit que telles vacations devoient appartenir aux esclaves, & autres telles manieres de gens, sur lesquels il ne vouloit employer la severité de ses loix. Le semblable avons nous gardé religieusement en ceste France, entre les Nobles. Tenans non seulement pour chose indigne d' une Noblesse, mais aussi être fait acte derogeant au privilege d' icelle, lors que l' on en trouve aucun, au lieu de l' estat de la guerre exercer un estat mechanique, ou bien faire train d' une marchandise, c' est à sçavoir en acheptant quelques denrees, pour puis apres les debiter à son profit: car des choses qui nous sont prouenuës de nostre creu, le commerce ne nous en fut oncques defendu. Tant est demeuree recommandee entre nous ceste vieille impression des armes, sur laquelle nos premiers François establirent le fondement de leur Noblesse. Tellement qu' encores que depuis que les loix de chiquaneries furent esparces par la France, plusieurs gens de Justice & de robe longue, commencerent à prendre dedans leurs familles ceste qualité de Nobles, pour les grands estats qu' avoient exercé leurs ancestres, si est-ce que non seulement par les suffrages des Courtizans, mais aussi par la voix commune du peuple, ceste Noblesse fut estimee comme bastarde. Parce que tels personnages ne font profession des armes. Et pour ceste raison ceux qui se veulent dire estre à bonnes enseignes Nobles, laissent les villes, pour choisir leurs demeures aux champs. Tant à l' occasion de ce que la plus grand' partie de nos Fiefs y sont assis, lesquels, comme j' ay deduit cy dessus, il estoit seulement permis aux Nobles & gens suivans les armes de posseder, qu' aussi que par ce moyen ils pensent se garentir de toutes opinions que l' on pourroit avoir d' eux, qu' ils pratiquassent ou trafiquassent dans une ville: chose qui obcurciroit (ce leur sembleroit) la lumiere de leur Noblesse. J' ay leu dans Hugues de Bercy Poëte François, qui florit vers le temps de S. Louis, quelques vers, par lesquels il se complaignoit que de son temps les Princes & grands Seigneurs commençoient d' abandonner les villes pour choisir leur residence aux champs.

Mais li Roy, li Duc, & li Comte,

Aux grandes festes font grand honte

Qu' ils n' aiment mais Palais ne Salles,

En ordes maisons & en Salles

Se reponent, & en bocages,

Lor cours ert pauvres & umbrages, 

Or fayent-ils les bonnes villes. 

Cela advint paraventure lors que les Bourgeois, pour contretrancher des Nobles, commencerent d' avoir permission de posseder Fiefs: A fin que l' on dicernast celuy, qui au prix de son sang, & non au prix d' argent gagneroit ce degré de Noblesse. Car aussi, à bien dire, entre toutes les vies qui approchent plus pres de la militaire, en temps de paix, c' est la champestre. A cause dequoy nous lisons que les bons vieux peres & preud' hommes Romains, comme Cincinat & autres personnages de tel calibre, estoient appellez de leur charruë aux armes, & des armes s' en retournoient à leur charruë. Ainsi nos Gentils-hommes, qui establissent le principal point de leur Noblesse sur les armes, s' endurcissans aux champs, au travail, appellerent Villains, ceux qui habitoient mollement dedans les villes, dont s' est depuis faite une distinction generale des estats entre nous. Les uns estans appellez Gentils-hommes, qui sont les Nobles, & les autres Villains, qui sont de condition Roturiere. Comme si ce fussent choses incompatibles d' être Noble, & faire sa reseance és villes, esquelles on vivoit en delices & oysiueté: mesmement s' il advient que nous appellions quelqu' un Gentil-homme de ville, c' est par forme de risee & mocquerie. Quant à moy je ne me suis point icy proposé de vilipender les estats de ceux qui suivent la robbe longue, ny generalement de ceux qui se sont habituez és villes clauses: Car en ce faisant seroy-je traistre & prevaricateur contre moy-mesmes. Aussi sçay-je bien que tout homme en tout estat, qui fait profession de vertu & de vie sans reproche, est Noble, sans exception: toutesfois si en une Republique, c' est chose du tout necessaire de faire degrez des ordres, & mesmement qu' il soit requis de gratifier davantage aux hommes qui se rendent plus meritoires, a fin qu' à leur exemple chacun soit induit à bien faire, je ne seray jamais jaloux ny marry, qu' à ceux qui exposent leur vie pour le salut de nous tous, soit attribué le tiltre de Noble, plustost qu' à ceux qui dedans leurs Palais, à leurs aises, se disent vacquer au bien des affaires d' une Justice. Ceux-là se moyennent ce nom de Noblesse à la pointe de leurs espees, ceux-cy à la pointe seulement de leurs plumes: Ceux-là s' abandonnent au vent, à la pluye, & au Soleil, n' ayans le plus du temps autre meilleure couverture que celle qu' ils peuvent impetrer de la misericorde du Ciel, pendant que ceux-cy regorgent de leurs plaisirs dans leurs maisons de parades: Ceux-cy ont les oreilles ententives à la clameur d' un Huissier, pour faire monstre de leur langue dans un Barreau: & quant aux autres, ils se resveillent au son des clairons & trompettes, pour combattre à une barriere, ou donner coup de lance à point. Les uns s' estoquent à coups de canons & de Loix: & les autres s' exposent & prostituent à l' espreuve d' un canon ou artillerie, qui n' espargne ny grands ny petits: Tous deux travaillent tant pour le public, que pour leur honneur: mais en ceste conformité de travaux, y a telle difference, que ceux-là en travaillant pour le public, ordinairement s' appauvrissent, & s' ils acquierent quelques biens, c' est de la despoüille de leurs ennemis: Et ceux-cy trouvent dedans leurs travaux, comme dedans une grande miniere d' or, infinies richesses, le plus du temps tirees de la ruine des pauvres sujets du Roy: Et à peu dire, ceux-cy font seulement estat de la vie, ceux-là sans plus de la mort: Ne leur restant de recompense pour toute consolation de leurs maux, que l' opinion du lict d' honneur auquel ils s' acheminent d' une grande gayeté de cœur. Tellement qu' entre tant de rudesses, c' est le moins qu' ils puissent faire durant leur vie, que de se flatter de ceste opinion de Noblesse, par dessus le reste du peuple. Et vrayement ç' a esté toujours chose assez familiere à toutes braves nations, de donner au gendarme quelque caractere de Noblesse, par dessus le commun. Plutarque en la vie de Licurge est autheur, qu' il n' estoit point permis d' escrire dessus le tombeau, le nom d' un trespassé, sinon qu' il fut mort en la guerre. Pierre Crinit au vingt & uniesme livre de ses Observations, traittant de l' honneste discipline, remarque des anciens, qu' il n' estoit loisible d' ensevelir dedans la ville de Rome un Citoyen, sinon celuy qui par plusieurs braves exploicts d'armes s' estoit rendu digne de ceste sepulture. Jean Cuspinian en son traicté des mœurs & conditions des Turcs, nous raconte qu' au pays de Turquie n' y a aucune distinction de Noblesse tiree de l' ancien estoc des ancestres, ains que celuy entre les Turcs est seulement reputé Noble, qui en fait de guerre a donné plusieurs espreuves de sa vaillantise. A fin que je ne recite qu' au pays de Caramanie il estoit defendu d' espouser femme, à celuy qui n' avoit fait present à son Prince, de la teste d' un ennemy: Et qu' en la Scythie, estant une ancienne coustume aux grands banquets & festins solemnels, d' apporter sur le dessert un grand hanap à la compagnie, pour boire, qui estoit chose que l' on reputoit à grande singularité, & qui signifioit quelque traict de grandeur, à ceux ausquels il estoit presenté, toutesfois si n' estoit-il permis de le prendre, sinon par ceux qui avoient attestation publique d' avoir occis & mis à mort l' un des ennemis du pays. Parquoy nous ne devons point envier au gendarme, qu' il se donne quelque prerogative de Noblesse par dessus nous moyennant qu' il ne se laisse point piper d' une folle imagination fondee en la memoire de ses ancestres, & que pendant qu' il s' endort sur la Noblesse que luy ont pourchassé ses predecesseurs, par leur proüesse, il ne s' aneantisse point, ains tasche de les surmonter, ou pour le moins les esgaler. 

Mais pour retourner aux anciennetez de nostre France, & ne me perdre point icy en un discours qui ne plaira pas à chacun: nos Roys qui sur leur premiere arrivee avoient (comme j' ay deduit cy dessus) recompensé leurs Capitaines & braves soldats en Fiefs nobles, voyans, apres une grande revolution d' annees, que le fonds de leurs liberalitez estoit pour ce regard mis à sec (d' autant que toutes les terres de leur Royaume estoient remplies) s' aviserent de trouver une autre forme de recompense, non veritablement si riche & opulente, mais de plus grand honneur que les Fiefs. Parquoy fut mis ingenieusement par eux, ou leurs sages Conseillers, l' Ordre de Chevalier en avant. Car au lieu où premierement ils recompensoient leurs sujets en terres & grandes possessions, à mesure qu' ils gagnoient les Provinces, de là en avant ils commencerent de les recognoistre pour bons & loyaux serviteurs, par grandes & amiables caresses, c' est à sçavoir par acolees de leurs personnes. Ces acolees depuis se retournerent en Religion. De maniere que lors que nos Roys vouloient semondre quelques Gentils-hommes ou braves soldats à bien faire le jour d' une bataille: ou bien qu' ils leur vouloient gratifier à l' issuë d' une entreprise, les caressoient d' une acolee: Et en ce faisant, avec quelques autres petites ceremonies, ils estoient reputez Chevaliers. Ayants par ce moyen, comme s' ils fussent sortis des propres costez du Roy, autant de primauté & advantage dessus le reste de la Noblesse, comme la Noblesse en son endroit dessus le demourant du peuple. Cest ordre premierement fut inventé en faveur de ceux qui suyvoient les armes, comme mesmement l' etimologie du mot nous rend certains. Toutesfois tout ainsi comme en la Noblesse, aussi par traicte de temps au fait de la Chevalerie, quelques gens de robbe longue y voulurent avoir part, à l' occasion de leurs dignitez & offices. Au moyen dequoy on fist double distinction de Chevaliers: Les aucuns estans Chevaliers des armes, & les autres Chevaliers des Loix. Pour laquelle cause Jean de Mehun en son Romant de la Roze, au lieu où Faux semblant discourt les cas, esquels il estoit loisible de mandier, dit: 

On s' il veut pour la Foy defendre

Quelque Chevalerie emprendre

Ou soit d'armes ou de lectures.

Ainsi Froissard au chapitre cent soixante & dixseptiesme du premier livre de ses Histoires parle de trois Chevaliers, dont les deux estoient d'armes, & le tiers des Loix: Les deux d'armes, dit-il, Monsieur Robert de Clermont gentil & noble grandement, l' autre, le Seigneur de Conflans: le Chevalier des Loix, Monsieur Simon de Bussy. Et à ce propos Guillaume de Nangy, qui fut presque contemporain de Charles cinquiesme, dit que cestuy de Bussy estoit Conseiller au grand Conseil, & premier President en la Cour de Parlement. Qui fut cause pour laquelle il fut appellé Chevalier de Loix: pour autant que les premiers Presidents se disent par privilege ancien avoir annexé à leurs offices l' estat de Chevalier. Quant aux Chevaliers d'armes, entre les autres je trouve une sorte de Chevaliers qui furent appellez Bannerets, qui estoient ceux entre les Chevaliers, qui pour être riches & puissans, obtenoient permission du Roy de lever Banniere, c' estoit une compagnie de gens de cheval ou de pied. En ceste sorte dit Monstrelet au quatre-vingts treziesme chapitre du premier tome de ses histoires, parlant du siege que le Roy Charles sixiesme mit devant la ville de Bourges, dans laquelle s' estoient enclos tous les Princes de la faction du Duc d' Orleans. Là, devant la ville (dit-il) pres du gibet, le Roy fit plus de cinq cens Chevaliers, desquels & aussi de plusieurs autres, qui n' avoient porté banniere, furent immemorables bannieres eslevees. Le sire de Jonville recitant comme le Roy sainct Louys vouloit renouveller son armee, dit, qu' il luy demanda s' il avoit point encores trouvé aucuns Chevaliers pour être avec luy: & je luy respondis (fait-il) que j' avois fait demourer Messire Pierre de Pont-Moulin, luy tiers en banniere. Et en un autre endroit plus bas, il racompte que des prisonniers, qui estoient demourez devers les Admiraux d' Egypte, en revindrent quarante Chevaliers qu' il mena devers le Roy pour avoir pitié d' eux, & les retenir à son service: & comme quelque personnage du conseil du Roy luy eust dit, qu' il se devoit deporter de faire telle requeste au Roy, attendu que son espargne estoit lors courte: Je luy responds (recite-il parlant de soy) que la male avanture luy en faisoit bien parler, & qu' entre nous de Champagne, avions bien perdu au service du Roy trente cinq Chevaliers tous portans banniere. Et encores est ceste maniere de Chevaliers trop mieux donnee à entendre par Froissart, au premier livre de son Histoire la part où le Prince de Gales estant prest de combattre, Messire Bertrand du Kesclin avec Henry Roy de Castille, se presenta devant luy Messire Jean Chandos: Là apporta, dit-il, Messire Jean Chandos sa banniere entre ses batailles, laquelle n' avoit encores nullement boutee hors de l' ost du Prince, auquel dit ainsi: Monseigneur veez cy ma banniere, je la vous baille par telle maniere qu' il vous plaise la developper, & qu' aujourd'huy je la puisse lever: car Dieu mercy, j' ay bien dequoy terre & heritage pour tenir estat, ainsi comme appartiendra à ce: Ainsi prit le Prince & le Roy Dampietre, qui là estoient, la banniere entre leurs mains, qui estoit d' argent à un pieu aguisé de gueules, & luy rendirent, en disans ainsi: Messire Jean veez-cy vostre banniere, Dieu vous en laisse vostre prou faire. Lors se partit Messire Jean Chandos & r'apporta entre ses gens sa banniere, & dit ainsi: Seigneurs, veez-cy ma banniere & la vostre, si la gardez comme la vostre. Qui est un passage presque assez formel pour nous apprendre quels furent jadis les Chevaliers Bannerets.

Au demeurant, pour autant que les factions de la maison de Bourgongne & Orleans avoient amené un grand Chaos & desordre à ceste ancienne police, parce qu' à chaque bout de champ les uns & les autres faisoient des Chevaliers à leur poste: Louys unziesme pour couper broche à ceste confusion, introduisit dés le premier jour d' Aoust mil quatre cens soixante neuf, un ordre de Chevaliers par forme de confrairie, leur donnant pour patron S. Michel. Induit specialement à ce faire: parce qu' il estimoit que sainct Michel avoit esté le principal protecteur de ceste France, pendant les guerres des Anglois. Car Jeanne la pucelle (du pretexte de laquelle s' estoit grandement aidé le Roy Charles septiesme, pour le recouvrement de ses terres) publioit en tous lieux, qu' elle avoit propos & communication de conseil, toutes les nuicts, avec sainct Michel, ainsi que l' on peut lire dedans le procés qui luy fut fait. Tellement que Louys unziesme estimant que le plus grand ennemy qu' eussent eu les Anglois, c' estoit ce grand Sainct: lequel mesmement n' avoit laissé venir en leur subjection le lieu où de tout temps & ancienneté on luy a dedié un Temple, qui est le mont S. Michel, voulust dresser ceste confrairie, quasi pour eternel trophee & commemoration des victoires que son pere avoit obtenuës sur les anciens ennemis de la France: & pour ceste cause il institua d' entree trente six Chevaliers de cest Ordre, dont il estoit le chef & souverain: & quant à ceux qu' il voulut honorer premierement d' iceluy, ce furent Charles son frere Duc de Guyenne, Jean Duc de Bourbonnois & d' Auvergne, Louys de Luxembourg Comte de S. Paul, Connestable de France, André de Laval Seigneur de Loheac, Mareschal de France, Jean Comte de Sanxerre, Seigneur de Bueil, Louys de Beaumont, Seigneur de la Forest & Plessis, Louys de Toute-ville, Seigneur de Torcy, Louys de Laval, Seigneur de Chastillon, Louys bastard de Bourbon, Comte de Rossillon & Admiral de France, Anthoine de Chabanes, Comte de Dammartin, grand Maistre d' hostel de France, Jean bastard d' Armignac, Comte de Cominges, & Mareschal de France, George de la Trimoille, Seigneur de Craon, Gilbert de Chabanes, Seigneur de Curton, Seneschal de Poictou, Taneguy du Chastel, Gouverneur du pays de Rossillon & de Sardaigne, & le surplus pour accomplir & parfaire le nombre de trente six, il le reserva à sa discretion selon que l' occasion le requerroit. Auparavant ceste brave institution le Roy Jean avoit institué l' ordre de l' Estoile au Chasteau de Sainct Ouen, le sixiesme jour de Janvier mil trois cens cinquante & un: Et portoit chaque Chevalier une Estoile d' or à son chaperon, comme ceux de Sainct Michel sont tenus de porter l' effigie de Sainct Michel à leur col. 

Et presque de ce mesme temps, Edoüart troisiesme Roy d' Angleterre institua l' ordre de la Jartiere, qui est un Jartier bleu que tout Chevalier de cest ordre est tenu de porter au genoüil droict. Et est la devise de cest ordre, HONNY SOIT-IL QVI MAL Y PENSE: Chose qui proceda pourautant que ce Roy Edoüart estant grandement amoureux de la Comtesse de Salbery, & l' entretenant de paroles, il advint par cas fortuit, que l' un des Jartiers de ceste Dame tomba, lequel fut par une promptitude assez mal seante à ce Prince soudainement relevé. Qui apresta occasion de rire à plusieurs qui luy assistoient: Au moyen dequoy le Roy indigné, protesta deslors que tel s' en estoit mocqué, qui s' estimeroit bien-heureux de porter la Jarretiere. Et de fait, tant pour l' amitié de sa Dame, qu' en haine & desdain de ceux qui en avoient fait risee, il institua cest ordre de Chevalerie en son Royaume, avecques ceste devise, HONNY SOIT-IL QVI MAL Y PENSE: Voulant dire que l' amitié qu' il portoit à la Comtesse, & qui luy avoit causé de lever sa Jartiere, estoit en tout honneur. Il y a eu aussi quelques autres ordres de marque, & entre autres celuy de la Toison d' or de la maison de Bourgongne, qui fut introduit l' an 1429. par le bon Duc Philippes de Bourgongne. Et semblablement celuy de l' Annonciade en la maison de Savoye institué par Amé sixiesme Comte de Savoye. Tous lesquels se sont trouvez de grande recommandation, chacun diversement selon la diversité des pays & contrees. Et par special entre nous, ces Chevaliers de Sainct Michel, lesquels nous appellons simplement, Chevaliers de l' ordre: Ausquels toutesfois il s' est rencontré un grand desordre, depuis que le mot de Huguenot a pris vogue parmy ceste France. D' autant que là où anciennement on bailloit le collier, avec une grande religion & respect à peu de personnes: l' on a depuis le commencement de ces troubles intestins, fait une infinité de tels Chevaliers, avec un tresgrand abandon. Mais pour ne parler point des vivans, je lairray ce discours à ceux, qui sans aucune crainte entreprennent dedans leurs estudes privees, l' histoire du temps present. Histoire, laquelle estant bien escrite, & d' une main non partiale, apportera grande merveille & admiration de ce siecle à tous les siecles qui ont à nous succeder.

Le Roy Henry III. dernier mort ayant inesperement receu deux grandeurs de Dieu: l' une quand le jour de la Pentecouste 1573. il fut aux Comices generaux de Polongne, proclamé Roy de Polongne: L' autre quand par le decés du Roy Charles IX. son frere, l' annee suivant ce mesme jour luy escheut la Couronne de France. En commemoration de ces deux grands bien-faits, mesmes pour aucunement reformer la desbauche qui se trouvoit en l' ordre de S. Michel, introduisit un nouvel ordre de Chevalerie, appellé tantost l' Ordre, tantost la Milice du S. Esprit, & ce au mois de Decembre 1598. Et qui en voudra sçavoir les statuts, voye le dixhuictiesme livre du Code Henry, du feu President Brisson, dans lequel il trouvera vingt & trois titres concernans ceste matiere

Mais pour retourner à mon entreprise, tout ainsi que le desarroy qui avoit couru parmy la France, par le moyen de ces deux grandes maisons & familles d' Orleans & de Bourgongne, avoit enfanté une infinité de Chevaliers: Qui fut cause que les choses estans adoucies, le Roy Louys XI. pour gratifier de quelque tiltre extraordinaire ses favoris, introduisit l' Ordre de sainct Michel: aussi ce mesme desarroy occasionna le Roy Charles septiesme (apres plusieurs travaux & fatigues) d' establir une nouvelle police au fait de sa gendarmerie. Jamais ne fut qu' en ceste France n' y eust gens de cheval & de pied, pour la conservation du Royaume, toutesfois l' injustice du temps avoit esté telle, premierement par les factions de ces deux maisons, puis par la survenuë des Anglois, que toute la gendarmerie Françoise estoit presque en confusion & desordre, pillant, rodant, & degastant le plat pays sans controolle. Parce que le Roy qui avoit affaire de gens pour faire teste à l' Anglois, estoit contraint de passer outre par connivence. Toutesfois ayant depuis reduit sous sa devotion la plus grande partie des terres de l' ancienne obeyssance de nos Roys, & fait son entree dedans la ville de Paris, il voulut en l' an mil quatre cens trente neuf, remettre toute sa gendarmerie en meilleur train qu' elle ne s' estoit trouvee pendant les guerres qui s' estoient peu auparavant passees. Pour ceste cause dit Maistre Alain Chartier en l' histoire qu' il a escrite de son temps, Voyant le Roy Charles septiesme, qu' à tenir tant de gens courans sur les champs, ce n' estoit que destruction de son peuple, & qu' à chacun combattant falloit dix chevaux de bagage, de fretin, de pages, & valets, & toute telle coquinaille, qui ne sont bons qu' à destruire le peuple: Si ordonna par grande deliberation de son Conseil, de mettre tous ces gens d'armes és frontieres: chacun homme d' arme a trois chevaux, & deux archers, ou trois, & non plus. Et seroient faictes leurs monstres, & payez tous les mois, & chassez hors tout le demourant du harpail. Et pour ce faire, & commencer telle ordonnance, le Roy fit bailler & deliurer à tous ses Capitaines, argent & artillerie. Et quelques annees apres, (sçavoir est, l' an mil quatre cens quarante quatre) le mesme autheur nous atteste que ce Roy ordonna que tous ces gens d'armes feroient monstre, & que des mieux equippez, & de plus gens de bien, on en prendroit quinze cens lances, & quatre mille Archers, & le demeurant s' en retourneroit en leurs maisons. Chassant tous les Capitaines, en ordonnant seulement quinze qui avroient cent lances, & au prorata des Archers, lesquels seroient logez par les villes de ce Royaume, & payez & nourris du bien du peuple. Et si hardy d' iceux gens d'armes & Archers de faire desplaisir, ny rien prendre sur hommes des champs, ny des villes. De là commença la police des garnisons, qui sont distribuees par les villes de ce Royaume, pour nourrir & alimenter les hommes d'armes. Et de ce mesme ordre il est advenu que nous attribuons au Roy Charles septiesme, d' être le premier introducteur d' iceux hommes d'armes, tels que nous les avons pour le jourd'huy en ceste France: Lesquels furent depuis appellez, Gens des Ordonnances, pour le reglement qui leur convint lors tenir, par les Ordonnances de ce Roy. Ce mesme Roy aussi cognoissant en quelle tempeste il avoit passé sa jeunesse, & combien luy estoit necessaire avoir en son Royaume des gens nourris & entretenus aux armes, introduisit les Francs Archers. En ce temps (c' estoit vers l' an mil quatre cens quarante huict) le Roy ordonna, dit le mesme autheur, d' avoir en chacune parroisse de son Royaume un Archer armé, & prest, toutes les fois que bon luy sembloit pour faire guerre à son plaisir, quand il luy seroit besoin. Et à ceste occasion, a fin qu' ils fussent sujets à ce faire, les affranchit de non payer tous subsides courans en son Royaume. Et fut ordonné aux Baillifs du dit Royaume, chacun endroict soy, choisir en chacun Bailliage & parroisse, les plus habiles & idoines. Qui n' estoit pas une invention petite, attendu mesmement que telles gens estoient de petit coust au Roy. Toutesfois pour les abus qui depuis s' y commettoient, en l' eslection de telle maniere de Francs Archers, ceste invention se perdit assez tost entre nous. D' autant que Louys unziesme, qui estoit d' un entendement particulier & soupçonneux, au lieu de soy aider des siens, fut celuy qui premier s' aida des armes des Suisses, laissant les siennes naturelles en arriere. Chose qui ne fut oncques approuvee en tout Royaume bien reformé: Pour-autant que pendant que nous aguerrissons à nos despens l' estranger, nous aneantissons le cœur des nostres, faisans plus d' estat de leurs bourses que de leurs forces: Dont viennent petit à petit les ruines des grandes Republiques & Monarchies. Sur lequel propos il me souvient avoir leu que du temps du susmentionné Charles septiesme, la necessité des guerres avoit tellement endurcy au travail des armes, nos François, qu' en l' an mil quatre cens quarante & quatre, ayant le Roy fait une trefue de dix-huict mois avec l' Anglois, il prit conclusion en son conseil, d' aller guerroyer de gayeté de cœur, l' Allemagne: a fin que ses soldats ne s' assopissent point ce pendant, dans une lasche oysiueté. Ce qui fut fait & accomply sous la conduitte du Dauphin. A laquelle entreprise se joignirent de mesme cœur plusieurs compagnies Anglesches: Laquelle chose intimida de telle sorte les Allemans, qu' apres avoir esprouvé quelques efforts & secousses des nostres, ils furent contraints d' implorer la paix, moyennant certaines sommes de deniers qu' ils fournirent pour le defroy de la guerre. Qui nous apprend combien pourroit le François de soy-mesmes s' il estoit tousjours duit & industrié aux armes.

Ce lieu m' admoneste, apres avoir discouru sur les Fiefs, sur la Noblesse, Chevalerie, & gens des ordonnances, de donner semblablement icy lieu aux Escussons & Armoiries, que nos Nobles & Gentils-hommes portent ordinairement pour une remarque de leur Noblesse ancienne. C' a tousjours esté une coustume familiere à toutes nations d' avoir eu quelque image, pour être en temps de guerre une enseigne, sous laquelle se peussent r'allier les gens d'armes. Agrippa en son discours de la vanité des sciences, au chap. 9. s' est amusé à nous en amasser plusieurs exemples. Disant que les Romains curent l' Aigle: les Phrigiens le Pourceau: les Thraciens une Mort: les Gots une Ourse: les Alains arrivans és Espagnes un Chat (chatalains): les premiers François un Lyon, & les Saxons un cheval. Et certes le premier qui entre les Romains prit l' Aigle, pour le rendre perpetuel, ainsi que nous apprenons de Valere, fut le vaillant Capitaine Marius. Car auparavant sa venuë, les Romains usoient indifferemment en leurs estendarts, de Loups, de Leopards, & d' Aigles, selon ce qu' il montoit à la fantasie des Colomnels de leurs osts. Depuis, comme j' ay dit, cest Aigle leur fut une perpetuelle enseigne, pour le general de l' armee. Et consecutivement chasques bandes curent certaines formes d' Armoiries distinctes en leurs enseignes, qui furent aussi perpetuelles, ainsi que nous pouvons apprendre du livre qui court és mains des doctes, intitulé la Notice de l' Empire Romain. Toutesfois quant à nous, je ne me puis persuader, que ny nos Rois, ny leurs Capitaines, sur leur premiere arrivee en ceste Gaule, eussent telles manieres d' enseignes ou armoiries perpetuelles: ains est mon jugement tel (combien que je m' en rapporte de cecy à l' opinion des plus sages) que les armoiries anciennes, tant de nos Roys, que de leurs sujets, estoient devises telles qu' il plaisoit à un chacun se choisir. Comme de nostre temps nous avons veu le Roy François I. du nom avoir pris pour sa devise, la Salemandre: & le Roy Henry son fils, le Croissant. Car voyant que tantost quelques autheurs disent que les armoiries des François estoient trois crapaux, tantost trois Couronnes, tantost trois Croissans, tantost un Lion rampant, portant à sa queuë un Aigle: Je ne puis penser dont procede ceste diversité d' opinions, sinon que les autheurs qui nous devancerent sur le milieu de nos Rois, trouverent quelques uns d' entr' eux porter en ses armes, l' un trois croissans, l' autre trois crapaux, & ainsi raportans ceste particularité à une generalité du païs (d' autant que du temps d' iceux autheurs les armoiries estoient ja faites perpetuelles) ils estimerent chacun en son endroict que les armoiries de France fussent les unes trois Couronnes: les autres, trois Croissans: les autres le Lyon: les autres trois Crapaux, jusques à la venuë de Clovis, lequel pour rendre son Royaume plus miraculeux, se fit apporter par un Hermite, comme par advertissement du Ciel, les fleurs de Lys, lesquelles se sont continuees jusqu' à nous. Et quasi à mesme propos me souvient que Polidore Vergile en la vie de Guillaume le Bastard, dit que jusques à la venuë de ce brave Roy, tous les Roys d' Angleterre n' avoient armes certaines & arrestees, ains les diversifioient à chaque mutation de regne, ainsi qu' il plaisoit au Roy, sur son avenement à la Couronne. Pour laquelle chose averer, il asseure avoir veu un vieil livre contenant les armoiries particulieres de tous les autres Roys d' Angleterre. Et vrayement dedans nos anciens Romans, qui nous ont sous le masque de leurs fables representé les vieux temps, je ne trouve point les Chevaliers avoir armoiries arrestees, & encore moins continuees de pere à fils, ains diversement tirees, ou de la faveur qu' ils recevoient de leurs dames, ou selon quelque acte de vaillance qu' ils avoient executé, ou bien suivant l' opinion qu' ils se promettoient de bien faire à l' avenir, imprimans chacun sur son Escu, ce qu' il avoit en la pensee: a fin qu' en une meslee, il peust être recogneu des autres par sa devise. Chose qui a fait, que depuis ont esté telles remarques appellees entre nous, Armes, Armoiries, Escussons. Toutesfois ny plus ny moins que les Roys d' Angleterre se bornerent aux armoiries de Guillaume le Bastard, & les François, en ces Lys miraculeux de Clovis: aussi chaque grande famille, apres avoir eu quelque personnage de nom, qui par sa proüesse & vertu, donna anoblissement à sa race, s' arresta à la commune devise de luy. Et ceux qui se sont voulu exalter en cas de Noblesse dessus le commun, se sont estimez tenir plus de la grandeur, lors que leurs armes leurs estoient donnees par le devis & opinion de leur Prince. En ceste maniere recite le Sire de Joinville, qu' un nommé Messire Arnaut de Comminge, Vicomte de Couserans, avoit ses armes d' or à un bord de gueules: lesquelles il disoit avoir esté donnees à ses predecesseurs, qui portoient le surnom d' Espagne, par le Roy Charlemagne, pour les grands services qu' ils avoient faicts aux Espagnes contre les infideles. Et tout de ceste mesme façon Jeanne la Pucelle, qui pour ses chevaleureux exploicts, fut annoblie avec tous les siens, eut pour ses armoiries, du Roy Charles septiesme, un escu à champ d' azur, avec deux fleurs de Lys d' or, & une espee, la poincte en haut, fermee en une Couronne. Ainsi que les choses vont pour le jourd'huy, l' on tire les armoiries en deux manieres. Dont l' une est prise de l' equivoque des noms, & l' autre fondee sur telle raison que mal-aisément la peut-on rendre, sinon que de telles armes ont de tout temps immemorial jouy nos ancestres, en nos familles. Enquoy, combien que ces dernieres soient grandement agreables aux Seigneurs, qui seroient tres-contens de tirer leur Noblesse, d' une eternité, ou iroient volontiers chercher leurs predecesseurs (ainsi que Guerin Mesquin, son pere) dedans les arbres du Soleil, si est-ce que l' on trouve plusieurs grandes & nobles maisons qui portent leurs armes conformes à leurs noms. Et mesmement les grands Royaumes qui nous sont voisins, en ont forgé de ceste marque. Car celuy de Grenade porte seulement neuf Grenades entamees: celuy de Galice: une coupe en forme de Galice (cáliz), environnee de six Croix: celuy de Leon, un Lyon, & celuy de Castille un Chasteau. Il seroit difficile de dire, combien de noises & debats engendrent quelquesfois entre les Nobles, ces armoiries. Qui fut cause, que autresfois Bartole Docteur és Droicts, en fit un traicté expres. Et qu' en cas semblable le facetieux Poge Florentin, se mocquant de telles querelles, dit que deux Gentils-hommes estans sur le poinct de combattre pour leurs armes, lesquelles chacun d' entr' eux pretendoit être trois testes de Bœuf, fut par les Mareschaux du Camp trouvé un prompt expediant pour les accorder: adjugeans à l' un trois testes de Boeuf, & à l' autre trois testes de Vache. Aussi à dire le vray, sont-ce disputes assez oyseuses & inutiles. Car encores que nos armoiries soient annexees à nos familles, quasi pour un privilege ancien de nos vaillances: si est-ce que nostre proüesse & vertu ne doit despendre d' icelles armes. Et si quelquesfois elles nous furent octroyees par le Prince, pour attestation de quelque Chevalerie faite par quelqu' un de nos bisayeux, c' estoit à luy de les deffendre, & non pas à nous, de nous r' alentir sur ceste vaine opinion de nos ancestres, ains devons penser qu' il faut que nostre Noblesse despende principalement de nostre fonds: & que pendant qu' assopissons nos sens sur ceste folle imagination, nous nous trouvons petit à petit devancez par gens de plus basse condition, mais de plus haut courage que nous: Ne nous restans le plus du temps, tant des grands biens, que des vertus de nos predecesseurs, pour toute trace, que les armoiries nuës & simples. Laquelle chose (si nous avions autant de sentiment de douleur, comme faisons semblant d' avoir de nostre grandeur) deussions estimer retourner plustost à nostre honte, confusion, & impropere, qu' à nostre loüange & honneur.