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mardi 13 juin 2023

3. 17. Des Graces, Expectatives, Mandats, Indults Apostolics, Exactions faictes en Avignon,

Des Graces, Expectatives, Mandats, Indults Apostolics, Exactions faictes en Avignon, & du remede que nostre Eglise Gallicane y apporta. 

CHAPITRE XVII. 

Je ne veux point que l' on pense que j' aye fait ce chapitre au desadvantage du Siege de Rome: au contraire c' est son exaltation, pour monstrer que la primace de nostre Eglise ne pouvoit être exercee, qu' au lieu que sainct Pierre avoit choisi pour luy & ses successeurs, sans qu' il en advint un scandale. Belle chose & digne d' être trompetee aux oreilles de tout le monde, que Dieu establissant sa vraye Religion, voulut que la ville de Rome, Siege ancien de l' Empire, fut aussi le premier Siege de son Eglise, sur lequel toutes les nations jetteroient leurs veuës. 

N' attendez de moy en tout ce chapitre qu' un chaos, pesle mesle & confusion des affaires de nostre Eglise, dont nous fusmes en ceste France les premiers forgerous. Toutes & quantesfois que noz Roys parerent aux coups de Rome par les armes de nostre Eglise Gallicane, toutes choses leur succederent à point sans scandale. Mais quand ils y voulurent apporter de l' homme, & manier nostre Religion, comme une affaire d' Estat, ils gasterent tout. Je vous ay cy-dessus discouru la querelle de Boniface VIII. & Philippes le Bel, & comme les desseins du Pape avoient esté rendus illusoires. Toutesfois Boniface estant decedé & l' interdiction levee par Benoist XI. son successeur, qui ne siegea que huict mois, Clement V. Gascon, estant fait Pape, tout le soin de Philippes le Bel fut de s' entretenir non seulement en bon menage avecq' luy, mais par un nouveau dessein, pour ne tomber à l' advenir au desarroy où il s' estoit veu, projetta de l' attirer en France avecques toute la Cour, a fin que de là en avant les Papes & les Roys de France eussent occasion de viure en perpetuelle alliance. Ce qui en facilitoit le passage, estoit que Jeanne Comtesse de Provence avoit fait present de la ville d' Avignon & du Comtat, au sainct Siege.

Je ne sçay par quel destin le pays de Provence semble avoir presque tousjours eu sa fortune liee avec celle d' Italie. C' est la premiere de la Gaule qui fut conquise par les Romains long temps auparavant qu' ils eussent desseigné de s' impatronizer de tout le pays. Et laquelle leur estoit si agreable qu' entre toutes les autres Provinces à eux subjectes, ceste-cy fut d' un mot special appellee Province sans suitte de parole, comme la recognoissant par cela, l' une des plus belles Provinces qu' ils eussent. Et depuis, bien qu' elle se fust separee de la domination d' Italie par l' envahissement que les Visegots en firent & de tout le Languedoc: Toutesfois Theodoric Roy des Ostrogots ayant usurpé l' Italie, re-unit de rechef avecq' l' Italie ce mesme pays de Provence, estant fait tuteur d' Atalaric Visegot son arriere fils. Pareillement au partage des trois enfans de Louys le Debonnaire, à Lothaire son fils aisné escheut l' Italie avecq' la Provence. Et jaçoit que depuis selon les mutations des regnes, il fut erigé en Royaume par Charles le Chauve, & donné à Bosson son beau frere: si est-ce qu' encores advint-il que Louys fils de Bosson se fit Roy d' Italie, & apres luy Hugues, l' un de ses successeurs: En cas semblable, long temps apres, furent les Estats de Naples, Sicile, & de Provence, unis soubz mesmes seigneurs. Et tout ainsi qu' au temporel, le semblable advint au spirituel. Parce que dés le temps mesmes de sainct Gregoire, l' Eglise Romaine avoit quelques biens, & heritages à elle appartenans dont l' Evesque de Vienne en avoit occupé partie: Duquel bien sainct Gregoire parle assez souvent en ses Epistres, l' appellant Patrimoniolum, & le recommande à ceux, ausquels il avoit quelque part en France. Mesmes y envoya Vincent Soudiacre pour le gouverner. Pareillement les premiers Evesques des Gaules, qui embrasserent la grandeur & authorité du sainct Siege, sont ceux de Provence (quand je dis Provence, j' entends aussi le Dauphiné, qui n' estoient vers ce temps là separez) & les lettres les plus frequentes que verrez être adressees par sainct Gregoire à noz Evesques, sont principalement à ceux de Provence. Et finalement fut donné aux Papes Avignon, & autres villes adjacentes par un certain instinct, & pour entretenir ceste ancienne liaison, voire que l' on dit encores Provence être un Pays d' obeissance de la Papauté.

Suivant le nouveau conseil de Philippes le Bel, le Pape Clement V. se retire en la ville d' Avignon, où ayant par mesme moyen attraict tout l' attirail de Rome, bien que le Roy pensast par ce moyen avoir mieux estably ses affaires, si est-ce que le plus grand malheur qui advint jamais à l' Eglise, fust ceste retraicte. Car le Pape estimant que le Roy luy estoit grandement redeuable de ceste gratification, se persuada aussi qu' il le devoit en contr'eschange gratifier de tout ce qui luy seroit agreable. Chose dont il ne l' eust osé esconduire. De sorte que lors commencerent à venir en desordre les Mandats, & Graces expectatives, tant generales que particulieres: & pareillement les exactions de Cour de Rome sur les Beneficiers: (Car encores que le Siege se tint dans Avignon, si l' appelloit on tousjours Cour de Rome) & de mesme suitte les Decimes, que depuis l' on imposa dessus le Clergé. Estans les choses arrivees en tel excés, que nul homme de vertu ne pouvoit obtenir, voire esperer un seul Benefice, ains tomboit le tout à la table des Cardinaux d' Avignon. A quoy mesmement prestoient l' espaule les plus grands Seigneurs du Royaume qui avoient part au gasteau.

Ces Graces expectatives estoient Mandements, par lesquels les Papes lioient les mains des Ordinaires, leur enjoignans que le premier Benefice vacquant de telle ou telle condition, fut conferé à ceux, qui leurs estoient par eux recommandez. Et ne sçavoit-on anciennement que c' estoit de telles reservations en l' Eglise. Qui faict qu' en tout le Decret de Gratian il n' en est faicte nulle mention. Depuis on les mit dans Rome en avant, mais avecq' quelque sobrieté, premierement par prieres, puis par commandemens expres. Et n' avoit accoustumé un Pape de greuer, sinon une fois une Eglise, & encores d' un Benefice tant seulement. Pour ceste raison estoit coustumier d' adjouster tousjours ceste clause, moyennant que nous ne vous en ayons point escrit pour un autre. Avec le temps on passa plus outre, & neantmoins voyant que les Ordinaires se rendoient quelques fois refractaires à ces Mandemens, s' il estoit advenu qu' au prejudice d' un Mandataire, les Evesques en eussent pourveu un autre, le Pape vouloit qu' ils fussent contrains de bailler pension à son denommé, jusques à ce qu' il eust esté remply du premier Benefice vacquant. Et pour encores être mieux obey, il envoyoit premierement lettres monitoriales, ou preceptoriales à l' Evesque, & s' il se rendoit difficile à y obeyr, il decernoit puis apres des lettres executoriales. C' estoit qu' il addressoit ses bulles à un Abbé, ou autre ayant une dignité Ecclesiastique, pour mettre à execution ses Bules, & pourvoir son mandataire à la premiere vacquation qui adviendroit d' un Benefice. La meilleure de toutes ces constitutions Decretales estoit contre tout ordre de droit, toutesfois un tas de Canonistes Courtizans, les voulurent flatter de propositions plus hardies, soustenans que c' estoit une chose de mesme effect & vertu, de voir un benefice mis en reserve par le Pape, comme s' il eust vacqué en Cour de Rome. Et depuis ceste invention se meit au desbord, & fit sa derniere preuve en France, ainsi que je disois maintenant dessouz le siege d' Avignon.

Comme pareillement fut celle des Exactions, lesquelles estoient de trois especes. L' une qui venoit soubs le pretexte des visitations, l' autre soubs le nom de vacquans des premieres annees des benefices, que nous appellasmes depuis Annates: & la derniere soubs celuy des Decimes. En tant que touche la premiere, elle prit son estoc de plus loing, & voicy comment. Le principal soing des Evesques est d' avoir l' œil sur toutes leurs ovailles, & par special sur les personnes Ecclesiastiques. Et à ceste cause leur estoit enjoinct par tous les plus anciens Concils de visiter tous les ans leur Clergé: C' est une charge fonciere qui est annexee à leur mitre, dont ils sont redeuables envers leurs inferieurs, tant s' en faut que leurs inferieurs leurs en doivent payer chose aucune. Toutesfois comme il eschet ordinairement que les plus foibles soient tousjours opprimez par les plus forts, aussi petit à petit il advint que les Evesques faisans, ou en personnes, ou par l' entremise de leurs Archidiacres leurs visitations, ils se firent payer quelques deniers pour le defroy de leur despence. Chose qui fut tres estroittement defendue par l' Eglise Gallicane, en un Concil tenu à Chalons sous la lignee de Charlemagne. Qui monstre que deslors l' abus commençoit à naistre. Or le Pape se pretendant Ordinaire des Ordinaires, avoit dés pieça attiré par devers soy ce droict de Visitation: lequel on tourna en coustume depuis le siege d' Avignon: Car fust que l' on visitast ou non, il fassoit payer au Pape le droict de ces Visitations, appellees autrement Procurations. Chose dont les Beneficiers avoient passé condamnation volontaire. De tant qu' ils sentoient beaucoup moins de charge, & incommodité en leurs benefices, n' estans visitez, que s' ils l' eussent esté. 

De ceste mesme hardiesse Jean vingt-deuxiesme, successeur de Clement cinquiesme, introduisit sur les Benefices, les Annates: Qui estoit, que de tous les benefices vacquans en & au dedans le Royaume de France, il pretendoit que le revenu de la premiere annee luy estoit deu. C' est luy qui fit dresser les Extravagantes, tout ainsi que Clement les Clementines, de la lecture desquels livres on peut aussi aisement recueillir quel estoit l' Estat de ce temps là. Et au milieu des corruptions telles que dessus, encores s' en engendra une autre de plus pernicieux exemple que celles-cy, & qui à la longue a presque apporté la ruine, & desolation de l' Eglise. Ce fut d' imposer des Decimes par les Papes sur tout le Clergé, lesquelles auparavant on n' avoit accoustumé de lever que par devotion pour subvenir aux voyages d' outremer: & comme un abysme en produit aisement un autre, aussi l' abus s' y planta à perte de veuë. Boniface IX. confirma les Annates à toute sa posterité par une sentence Decretale. Clement septiesme d' un autre costé ordonna que de tous les Benefices de la France il prendroit la moitié du revenu pour l' entretenement de son Estat, & de ses Cardinaux, sur peine de privation totale des Benefices à ceux qui s' y opposeroient: & eut l' Abbé de S. Nicaise de Rheims ceste commission: d' avantage fit plusieurs autres exactions non auparavant cogneues par l' ancienneté. Nous trouvons une Ordonnance de Charles sixiesme, de l' an mil trois cens octante cinq, où il recite que trente trois Cardinaux creatures de Clement VII. en Avignon, prenoient la plus grande partie des fruicts & emolumens des benefices de la France, par ce qu' ils n' en avoient ailleurs, defraudans par ce moyen les gens doctes des Universitez, du talent qui leur estoit deu. D' avantage, que combien qu' un Evesque peust tester & creer un executeur de son testament & delaisser sa succession à un heritier ab intestat: toutesfois soudain qu' il estoit decedé, le Pape envoyoit arrester par un Collecteur tous ses biens meubles, & immeubles, tant propres, qu' acquests, & les approprioit à son usage, sans en reserver une seule parcelle, pour la reparation de l' Eglise, & sans payer les debtes du deffunct, comme s' il n' en eust peu contracter aucune, au prejudice de ses droicts. Et le semblable faisoit à l' endroict d' un Abbé estant decedé, auquel son Eglise devoit succeder. D' ailleurs tant & si longuement qu' une Abbaye vacquoit, & jusques à ce que son successeur eust pris possession paisible, le Pape en percevoit les fruicts. Adjoustant que les collecteurs levoient au profit du Pape le revenu du premier an de tous les benefices vacquans par resignation, permutation, ou autrement, en quelque façon que ce fust, voire encore qu' ils vacquassent en Regale, ou en Patronage lay, & que les Cardinaux prenoient pensions enormes sur les Benefices, ne laissans moyens aux titulaires d' eux nourrir & alimenter. Pour ces causes le Roy veut & ordonne que les Juges ordinaires procedent par voye de saisie sur ces pensions, ensemble sur le temporel, des Eglises, pour proceder aux reparations du consentement des personnes Ecclesiastiques: veut aussi que les heritiers des Evesques leur sucedent, & les Monasteres aux Abbez, & que le Pape ne puisse rien prendre sur les benefices, qui estoient en Regale, ou patronage lay, c' estoit aucunement se garentir du desordre, mais non tout à fait, comme depuis nous feismes soubs le Pape Benoist treziesme: car à la verité en ce grand besoin l' Eglise Gallicane monstra à bonnes enseignes ses forces. 

lundi 17 juillet 2023

6. 28. Fin de la seconde famille d' Anjou; Comté de Provence

Fin de la seconde famille d' Anjou, avec un Sommaire discours tant sur le Comté de Provence escheu à noz Rois, que des voyages de Naples par eux entrepris.

CHAPITRE XXVIII.

Par cette Princesse Yoland, la seconde famille d' Anjou fondit en celle de Lorraine, & voicy comment.

Jean dix & neufiesme Duc de Lorraine, eut deux enfans, Charles son fils aisné qui luy succeda apres son decés, & Ferry Comte de Vaudemont, puisné.

De Charles nasquit Isabeau de Lorraine qui fut conjointe par mariage avec René Duc d' Anjou, qui se donnoit qualité de Roy de Sicile.

De ce mariage nasquirent Jean & Yoland. Car quant à une Marguerite femme d' un Roy d' Angleterre, je n' en fay mise, ny recepte, comme estant une piece hors œuvre.

Jean d' Anjou mourut auparavant René son pere, & eut un fils nommé Nicolas, qui mourut pareillement auparavant son ayeul. De maniere que toute la maison de René estoit aboutie en une seule Princesse Yoland d' Anjou.

De Ferry Comte de Vaudemont premier de ce nom, nasquit Anthoine, & de luy Ferry second.

Isabeau de Lorraine femme de René pretendoit apres le decés de Charles son pere, que le Duché de Lorraine luy appartenoit, comme seule fille & heritiere du Duc.

Anthoine au contraire soustenoit que ce Duché estoit un fief affecté aux masles qui ne pouvoit tomber en quenoüille. Partant qu' ores qu' il fust seulement issu du puisné, toutesfois estant masle il forcluoit cette Princesse. Nouveau subject de guerre entre luy & René. Auquel en fin René se trouva avoir du pire. Et ayant esté faict prisonnier d' Antoine, pour moyenner sa deliurance, il accorda le mariage d' Yoland sa fille avec Ferry fils d' Antoine. Quoy faisant on unit les deux branches de l' aisné & puisné de Lorraine ensemble. Sage conseil pour faire cesser les differents qui estoient entre eux. Mariage toutesfois que jamais René ne peut bonnement gouster pour avoir esté extorqué de luy. Tellement que tous ses projets ne tendoient qu' à coupper les aisles à son gendre. Et de faict Philippes de Commines nous tesmoigne, que s' il n' eust esté prevenu par le desastre qui advint à Charles Duc de Bourgongne contre les Souisses, il se fust donné à luy. Qui eust esté un mauvais party pour la France.

Or avoit il un frere puisné nommé Charles, auquel entre autre biens il laissa pour son partage le Comté du Maine, la Baronnie de Mayenne la Iouais, la Ferté Bernard, Sablé, & autres grandes terres & seigneuries. Ce Seigneur eut un fils portant le nom de Charles comme luy, que René par son testament de l' an mil quatre cens septante huict, institua son heritier universel: lequel choisit pour son domicile la Provence, dont il estoit Seigneur souverain, & y mourut quatre ans apres, & par son testament à l' instigation de Palamedes Forbin Seigneur de Soliers, qui avoit grande part en ses bonnes graces, institua son heritier particulier au Comté de Provence, le Roy Louys unziesme & ses successeurs Roys de France.

En ce Prince Charles dernier masle, prit fin, & le nom, & la familie d' Anjou, & fondit en celle de Lorraine par le mariage d' Yoland avecques Ferry de Lorraine, dont sont issus ces grands Princes Lorrains, que nous voyons aujourd'huy. Famille d' Anjou, (vous dis-je) enflee, tant en pretensions, que d' effect de trois Royaumes, Sicile, Poüille, & Hierusalem (& encore de celuy d' Arragon, si on eust faict droict à Yoland d' Arragon femme de Louys deuxiesme) de trois Duchez, Anjou, Lorraine, & Calabre, de trois Comtez, Provence, le Maine, & Bar; dont le dernier fut depuis erigé en Duché. Et furent les pieces esmorcillees à divers Princes: l' Arragonnois se lotit de la Sicile, Poüille & Calabre: Le Lorrain de la Lorraine & du Barrois, & encores de plusieurs autres seigneuries esparses, tant au pays du Maine, Provence, que plusieurs autres endroicts de la France. Le Roy Louys unziesme de la Provence, par le moyen du testament de Charles, & des Duché, d' Anjou, & Comté du Mayne par nostre droict de reversion à la Couronne, comme estans de l' ancien Domaine de France, qui ne tomboient en quenoüille. Car quant au Royaume de Hierusalem, ce fut un titre de parade, dont ny la premiere, ny seconde lignee d' Anjou, ne jouyt actuellement. Et comme le Roy Louys XI. estoit Prince qui ne laissoit perdre les occasions de s' advantager quand elles se presentoient, aussi se voulut-il faire accroire, que les quatre Baronnies du Duché de Bar luy appartenoient en proprieté, la force estoit pardevers luy: car quant au bon droit je m' en remets à ce en qui estoit. Tant y a que par accord faict entre luy, & René Duc de Lorraine, le seigneur de la Jaille le 14. de Mars 1479. pour le Roy de Sicile meit entre les mains de Louys pour six ans, la ville de Bar, pour en jouyr pendant ce temps, & y mettre telle garde qu' il luy plairoit. Et le lendemian (lendemain) les manans & habitans feirent le serment de fidelité au Roy, conformément au traité fait & passé entre les deux Princes. Et tant & si longuement que Louys vesquit le Prince Lorrain ne s' en oza plaindre.

Quelque temps apres son decez Charles huictiesme son fils, luy ayant succedé à la Couronne en l' aage seulement de quinze ans, René Duc de Lorraine vint en Cour, & en plein Conseil du Roy (auquel estoit Philippes de Commines, comme Conseiller d' Estat, duquel j' ay emprunté ce Placard) feit instance, tant pour le Duché de Barrois, qu' il soustenoit luy avoir esté induëment occupé par le feu Roy, que pour le Comté de Provence qu' il disoit luy devoir appartenir du chef de la Royne Yoland d' Anjou sa mere, qui avoit est plus proche habille à succeder à Charles d' Anjou son cousin germain. Et ce nonobstant le testament par luy faict en faveur du Roy Louys unziesme, comme n' en ayant peu disposer par les anciens statuts de Provence.

Particularité que je vous touche icy par expres contre l' opinion de ceux qui se font accroire que le Roy s' en estoit emparé par un droict de bienseance seulement & sans tiltre. Car si cela eust esté vray, le Duc de Lorraine ne l' ust oublié, non plus que du pays de Barrois. Mais au cas qui lors se presentoit, il demoura d' accord le testament avoir esté faict, & revoqua seulement en doubte, sçavoir s' il avoit peu estre faict au prejudice de la plus proche lignagere. De moy je vous puis dire l' avoir eu, veu, & leu en bonne forme & authentique, en la cause du Vicomte de Martygues, que par trois diverses matinees d' uns Lundy, Mardy, & Jeudy, nous plaidasmes au parlement de Paris, l' an mil cinq cens septante trois à huis ouvert, en la presence de tous les Princes & Princesses Lorrains & Lorraines residents en cette France, moy plaidant pour Messire Henry de Lorraine Duc de Guyse, & Maistre Claude Mangot grand & excellant Advocat, pour la fille unique de Messire Sebastien de Luxembourg. Testament qui servoit à la decision de nostre cause, lequel fut fait par Charles, le dixiesme Decembre mil quatre cens octante & un, dedans lequel il institua le Roy Louys unziesme son heritier particulier au Comté de Provence, & apres luy, tous ses successeurs Roys de France. Tellement qu' il ne faut point revoquer en doute, si ce testament a esté fait, puisque René en demouroit d' accord, mais bien si Charles en avoit peu gratifier nos Roys par son Ordonnance testamentaire. En quoy il n' y avoit aucune obscurité, d' autant que la Provence est un pays de droict escrit, auquel il est loisible à chacun de disposer de tous & chacuns ses biens, par son testament. Et mesmement avoit esté cette cause prejugee en cas individu par deux diverses dispositions: La premiere du Comte Beranger au profit de Beatrix femme de Charles d' Anjou frere de S. Louys, au desadvantage de ses trois sœurs qui la precedoyent d' aage: La seconde par la Royne Jeanne premiere Comtesse de Provence en faveur de Louys Duc d' Anjou premier de ce nom. Lequel en jouyt apres le decés d' elle, & le transmeit à ses successeurs. Qui estoit du tout clorre la bouche du Prince Lorrain. Comme aussi sagement & justement le conseil du Roy fut d' advis de luy rendre le Duché de Bar, mais non le Comté de Provence. Vray que pour luy oster toute opinion de remuëment de mesnage, Pierre Duc de Bourbon beau-frere du Roy Charles huictiesme, qui lors avoit tout le gouvernement des affaires de France en main, luy feit bailler une compagnie de cent gendarmes, & pension de soixante mille liures pour quatre ans. Leçon qui luy avoit esté expres enseignee par le Roy Louys son beau-pere, avant que de mourir, luy enjoignant que sur toutes choses il empeschast qu' on ouvrist la porte aux armes dedans son Royaume, tant & si longuement que son fils seroit en bas aage. Comme aussi n' y a-il riens qu' il faille tant craindre, que la guerre, pendant la minorité d' un Roy.

Nostre Roy & le Duc de Lorraine diversement assortis des biens, terres, & seigneuries de la maison d' Anjou, restoit à partager entre eux l' esperance des trois Royaumes & du Duché de Calabre, chacun d' eux pretendants y avoir la meilleure part: car combien que les François se l' adjugeassent en consequence du testament de Charles d' Anjou, toutesfois les Princes Lorrains n' en voulurent lors quitter le tiltre. Ainsi Yoland s' intitula Royne de Sicile, jusques au jour de son decés, qui fut l' an mil quatre cens quatre vingts neuf, & apres elle René son fils: Le tout au veu & sceu de nos Roys sans aucune contradiction. Et d' un autre costé combien que Charles huictiesme cornast la guerre contre l' Arragonnois pour la recousse du Royaume de Naple, toutesfois jamais René ne feit protestation contraire. Voire en plus forts termes, sommé & interpellé par les Napolitains qui s' estoient revoltez contre leur Roy Ferdinand, de s' armer & joindre ses forces avecques les leur, comme celuy qui y avoit le principal interest, il saigna du nez, soit qu' il estimast cette querelle estre la nostre, ou qu' il se fust faict sage par les folastres voyages des Princes d' Anjou ses predecesseurs.

Tellement que ce fut une chasse morte aux Lorrains: mais non à nous autres François, & le premier de nos Roys qui s' engagea à cette querelle fut Charles huictiesme (contre l' advis des plus sages) poussé d' un boüillon de sa grande jeunesse, & de je ne sçay quels mignons apprentis au fait de la guerre. Voyage qui eut une entree heureusement courte, & une retraicte plus heureuse que ne se promettoit la sagesse de tous les Potentats d' Italie. Toutesfois je ne voy point que nostre France raportast de ce voyage autre fruict, que la perte du corps & des biens. Car c' est celuy auquel on doit l' origine de cette malheureuse maladie, que quelques uns nommerent depuis mal de Naples, pour y avoir premierement mis son siege, & les autres mal des François, parce qu' ils en porterent les premieres marques. Et pour le regard des biens, nous devons au mesme voyage le premier engagement du Domaine de la Couronne pour subvenir aux affaires de la guerre. Car le Roy Charles estant sorty du Royaume à la vanuole, sans auparavant recognoistre quel estoit le fonds de ses finances, se trouvant en la ville de Plaisance court d' argent, decerna ses lettres patentes en Octobre mil quatre cens quatre vingts quatorze, pour engager de son Domaine jusques à la somme de six vingts mil escus. Et parce que c' estoit un chemin non encores frayé par la France, il voulut authoriser ses lettres de l' advis de treize seigneurs ses principaux Conseillers. Ces lettres envoyees au Parlement furent du commencement trouvees de tres-fascheuse digestion, toutesfois la necessité n' ayant point de loy, il fut trouvé bon pour desgager nostre Roy de ce perilleux voyage de tolerer cest engagement, pour ce coup tant seulement, & sans le tirer en consequence, portoit la verification du vingtiesme Novembre au mesme an. Belle protestation sans effect. Et de moy toutes & quantes fois que je lis cette sage clause portant un, Sans le tirer en consequence, pour faire passer & donner cours à une ouverture nouvelle, je m' en ris: comme estant une clause contrevenante au naturel de ce Royaume, qui est un Royaume de consequence. Ce que nous avons depuis esprouvé en ce mesme subject: car combien que le Domaine de la Couronne soit une chose sacrosaincte, & que l' alienation n' en soit faicte qu' à faculté de rachapt perpetuel, sans aucune limitation de temps: toutesfois ce mesnage par succession de temps est arrive à tel desbord & desarroy entre nous, que horsmis les tiltres generaux du Domaine, pour le regard des terres particulieres, à peine en trouverez vous aujourd'huy aucunes, esquelles nos Roys se puissent heberger.

Discours qui n' est pas du present subject: mais pour reprendre mes brizees, l' observation que je fais en tous ces voyages de Naples, est une belle promesse de fortune sur nos arrivees, mais fascheuses fins pour closture de nos entreprises. Apres le decés du Roy Charles, trois Roys successivement & l' un apres l' autre s' y voüerent, uns Roys Louys douziesme par l' entremise du Seigneurd' Aubigny, François premier par le Mareschal de l' Autrec, & Henry deuxiesme par le Duc de Guyse, tous grands Capitaines & guerriers. Et ces trois Roys se trouverent successivement, & l' un apres l' autre deceuz de leurs esperances, apres avoir faict une despense infinie, & perte d' une infinité de Seigneurs & Capitaines de marque: J' excepte le dernier voyage, par ce qu' il fut interrompu par un changement de volonté du Pape Carrafe qui nous y avoit appellez. Que si nous eussions employé, quand les occasions s' y sont presentees, au recouvrement des pays qui nous attouchent, & sont de nostre ancien estoc, tout l' argent qu' avons despendu en la recherche de ce Royaume de nous separé, & de mœurs, & d' un long entrejet de chemins, il nous en fust beaucoup mieux pris. Lisant les Historiographes qui en ont escrit, vous trouverez de grandes fautes advenuës de la part de ceux qui prés de nos Roys estoient estimez les plus sages. Et quant à moy je les impute à nostre malheur, y ayant eu quelque Ange qui par le vouloir expres de Dieu, s' opposa aux desseins qu' entreprismes de là les Monts, & tint en bride ceux que pouvions selon les rencontres, aisément executer à nos portes aux pays bas.

dimanche 2 juillet 2023

5. 4. Que le Roy Charles le Chauve fut l' un des principaux instrumens de la ruine des Martels,

Que le Roy Charles le Chauve fut l' un des principaux instrumens de la ruine des Martels, & changement de leur Estat en ceste France.

CHAPITRE IV.

Je vous supplie Lecteur, vouloir faire icy une pause pour considerer combien de couronnes Charles le Chauve porta sur son chef. Car outre celle de France dont il estoit le vray titulaire, il se fit contre tout ordre de droict, Roy d' Aquitaine, Lotharingie, Italie, & Lombardie: Qui estoient en tout cinq couronnes, non en ce comprise l' Imperiale, qu' il usurpa induëment sur son nepueu par les pratiques de luy avecques le Pape Jean. Chose que Adon de Vienne s' est bien donné garde d' escrire dedans sa Cronique, pour ne faire tort a la renommee de ce Prince, sous le regne duquel il vivoit. Et comme son ambition estoit inexpuisable & sans frain, aussi voulut-il avoir un nouveau Roy pour vassal. Parce que mariant Bosson son beau-frere avec l' Infante Hermingarde fille unique de l' Empereur Louys, outre la despence prodigieuse qu' il fit pour l' exaltation de leurs nopces, il erigea la Provence en Royaume, dont il investit Bosson qui luy en fit la foy & hommage: Toutesfois pour vous dire franchement ce que j' en pense, Charles le Chauve est celuy auquel nous devons attribuer plus qu' à nul autre la ruine de cette famille que nos ancestres appellerent Carlienne. Nous avons eu cinq Charles dedans cette France. Charles Martel, Charles le Grand, Charles le Chauve, Charles le Simple, & Charles Duc de Lorraine (car quant à Charles le Gras qui porta le titre de Roy dedans nostre France, ce fut un Roy passager) & tout ainsi que le Chauve fut au milieu de ces cinq, aussi est-ce à luy, que comme à un centre, je rapporte les principaux malheurs, & changemens de cette lignee, soit ou que son ambition en fust cause, ou le desastre de son mesnage, ou tous les deux ensemblement. Voire que son aage d' innocence fust le premier motif des mal-heurs, car comme vous avez entendu: les deux premieres donations que sa mere Judith luy procura, furent cause des deux guerres que les enfans du premier lict firent au Debonnaire leur pere: & de la troisiesme se provignerent les troubles cruels qui furent entre les freres, apres le decés du pere, prognostic tres-certain de la desolation future de l' Estat. Et comme le commencement de ces maux prit de luy sa premiere source, aussi estant arrivé en aage plus meur, il fut continuellement porté à cette ruine: Mesme lors qu' il pensoit mieux faire. Il estoit de son naturel coüard, mais ambitieux le possible. J' ay leu une vieille histoire laquelle en coüardise le comparoit à un lievre, & qui pour supplément adjoustera qu' en astuces & tromperies, il estoit un autre renard, ne sera du tout hors de propos. Or pendant que par ces indeus artifices, il espioit toutes les occasions pour s' enrichir de la despoüille de ses plus proches parents, les Normands commencerent sous son regne de prendre pied ferme en cette France, & depuis opiniastrerent leurs conquestes. De maniere que de ceux qui de son temps s' habituerent vers la Loire, & se dirent Comtes de Blois, sourdit avecques le temps la famille des Comptes de Champagne, & de ceux qui depuis devers la Seine se logerent en la ville de Roüen & païs circonvoisins, vindrent les Ducs de Normandie, nouveaux fleaux des Roys qui succederent au Chauve. Il me suffit de dire que sous luy cette race de Normands planta ses premieres racines dans la France. Et comme son ambition causa une infinité de troubles dés son vivant entre les siens, aussi mourant fonda-il deux obits en la famille des Martels. L' un quand poussé d' une vaine gloire il erigea en Royaume la Provence en faveur de Bosson, l' autre quand il s' empara du Royaume de Lotharingie, qui avoit appartenu au Roy Lothaire; Royaume, dis-je qui appartenoit à l' Empereur Louys son nepueu: comme plus proche de sang à Lothaire son frere. Car pour le regard du premier, Louys & Charles le Chauve freres estans decedez, Carloman, Louys, Charles le Gras, Louys le Begue, leurs enfans estimans qu' il n' appartenoit qu' à la lignee de Charlemagne de prendre le titre de Roy, se liguerent contre Bosson, qui leur fut un long amusoir de guerres, sans en rapporter grand profit. Et quant au second obit, Hugues fils bastard de Lothaire (la question n' est pas petite de sçavoir s' il estoit legitime ou non) venu en âge de maturité ne voulut pas laisser croupir l' injure qu' il pensoit luy avoir esté faite, ains remua toutes sortes de pierres pour en avoir la raison tant contre les enfans de Louys Roy de Germanie, que contre Louys le Begue fils du Chauve, & encores contre Bosson, auquel le Chauve avoit fait present de la Provence, membre despendant du Royaume de Lothaire. Querelle qui receut divers heurts, jusques à ce que Hugues, & Godeffroy Duc de Frise son beau-frere, furent proditoirement tuez par Henry Duc de Saxe Lieutenant General de ce grand Empereur Charles le Gras. Je vous ay touché toutes ces particularitez, pour vous monstrer de combien de maux fut cause l' ambition de Charles le Chauve. Il ne fut pas qu' en son mesnage le malheur ne l' accompagnast, quoy que soit que ce mal-heur ne produisist nouveaux changemens en la France. C' est en luy auquel je remarque la premiere introduction des Ducs de Guyenne, Comtes de Tholoze, & autres. Car apres qu' il se fut fait couronner Roy d' Aquitaine dedans la ville de Bordeaux (estant rappellé à la France pour les guerres, tant des Normands que Bretons) il y establit un Duc, qui seroit secondé de plusieurs Comtes pour l' assister de conseil. Et de là prindrent leurs premieres origines, les Ducs de Guyenne, Comtes de Tholoze, Poictou, Auvergne, Xaintonge, Angoulesme, Perigueux, païs exposez sous le Royaume d' Aquitaine. Dignitez qui depuis ne tomberent à terre; ains se perpetuerent aux familles, plus ou moins, selon le plus ou le moins de la magnanimité de ceux qui y commanderent. Le semblable advint-il, mais avecques plus d' indignité pour la Flandre. Car Judith veufve d' un Roy d' Angleterre, & fille du Chauve, s' estant laissee enlever au desceu de luy, par Baudoüin gouverneur de la Flandre, non seulement il ne vengea cette injure qui luy avoit esté faite aux yeux de toute la France, mais au contraire a fin que sa fille veufve du Roy ne manquast de dignité il erigea le gouvernement de Flandres en titre de Comté hereditaire, dont Baudoüin & ses successeurs jouyrent. Or cettuy est l' un des premiers fleurons qui par le nouveau mesnage de ce Roy fut demembré de nostre couronne sous la seconde lignee, ayant rendu feodal à un tiers ce qui estoit auparavant patrimonial à nos Roys. Sus ce modelle, comme nous sommes en un Royaume de consequence, Charles le Simple ne douta depuis de faire le semblable, en faveur de Raoul le Normand moyennant le mariage de luy avec Gillette sa fille, luy donnant tout le païs que nous avons appellé Normandie, & l' erigeant en Duché. Je vous ay dit que le Chauve donna la Provence à Bosson, & en fit un Royaume suject à son Empire. Encores que par succession de temps, le nom de Royaume se soit effacé en ce pays-là, & que l' on y eust planté celuy de Comté seulement, si demeura-il tousjours separé de nostre France, & exposé sous le Vasselage de l' Empire, jusques à ce que par la sage conduicte de nostre Roy Louys XI. il fut annexé à sa Couronne.

Le mesme Chauve trouva dés son advenement la Bretagne à luy rebelle, & je ne voy point que depuis ce temps-là elle ne fit table à part, & separee d' avecques nos Roys, jusques à ce que par le mariage de la Duchesse Anne avecques le Roy Louys XII. elle a esté unie à nostre Royaume, par leur posterité. Conclusion, la troisiesme lignee de nos Roys n' a jouy du Royaume de France, que sur le modelle de celuy qui fut delaissé par Charles le Chauve, avec quelques racourcissemens. Mais sur tout fait grandement à peser que les familles qu' il choisit pour son secours, lors de ses affaires, furent au long aller les ruines de la sienne.

Estant tourmenté, tant des Bretons rebelles, que des Normands, le long de la riviere de Loire, il choisit Robert extraict du païs de Saxe brave Capitaine, pour leur faire teste, & l' y assigna un grand territoire és environs de la Loire, sous le nom de Marquisat ou Comté pour supporter les frais de la guerre: où il s' employa vaillamment mesmes en defendant la querelle du Roy son maistre, il y fut occis. Et c' est de luy duquel par diverses generations nasquit Hugues Capet, qui en fin se fit Roy de France, au prejudice de la posterité du Chauve, comme je deduiray par le menu au Chapitre subsequent.

Outre Bosson Roy de Provence, le Chauve avoit en Italie deux creatures, Guy Duc de Spolete, & Beranger Duc de Frioul, appellé par les anciens Foriules (Forjules), desquels il avoit receu le serment de fidelité, apres qu' il fut couronné Roy de Lombardie dedans la ville de Pavie, & ces deux seigneurs furent les principaux outils dont la fortune se joüa pour ruiner l' Italie. Luitprand au premier livre de son histoire nous tesmoigne que dés le vivant mesme de ce Roy, ils partagerent ensemblément par une esperance affamee ses Royaumes, Guy ayant pris pour son partage celuy de France, & Beranger celuy d' Italie: Or combien que soudain apres son decés ils n' eussent peu faire sortir effect à leurs desseins, toutesfois Louys le Begue estant decedé (qui fut le dernier de la lignee de Charlemagne, qui dans la France porta le titre d' Empereur & quelques annees apres ses bastards l' ayans suivy, n' y ayant plus que Charles le Simple enfant pour regner, Beranger se fit couronner Roy d' Italie dedans Rome, & Guy Roy de France, & comme estant entré en la Bourgongne pour exercer sa royauté, il eut advis que Eude fils de Robert avoit esté eleu Roy: estimant que son acheminement luy seroit inutile, il rebroussa chemin vers l' Italie, où trouvant son grand amy Beranger avec un plus heureux succez que luy estre entré en la joüissance du Royaume, il commença de broüiller son jeu & s' opposer à sa grandeur, nonobstant quelque amitié qu' ils se fussent auparavant voüee. De maniere que de là en avant se tromperent trois Princes qui joüoient au boutehors pour l' Estat d' Italie, Guy, Beranger, & Arnoul bastard Roy de l' Allemagne. Je n' ay icy entrepris de vous reciter les tours & retours, estant une histoire de trop longue haleine: Suffise vous que les principaux entremetteurs de cette tragedie furent les nourrissons du Chauve. Qui me fait dire (& c' est par où je veux finir ce chapitre) que ce ne fut point sans cause que l' annee qu' il nasquit, il y eut une infinité de prodiges extraordinaires, tant au ciel, comme en la terre, l' Empereur le Debonnaire ayant pris en payement le serment de Paschal Pape pour les morts de Theodore & Leon, & luy renvoyant ses Ambassadeurs; Imperator ergo natura misericordissimus (dit l' Autheur ancien qui escrivit tout au long sa vie) occisorum vindictam ultro persequi non valens, ab inquisitione huiuscemodi cessandum existimavit, & cum responsis congruis, Missos Romanos, absolvit. Eodem tempore quaedam prodigiosa signa apparentia animum Imperatoris sollicitabant; Praecipuè terrae motus palatij Aquensis, & sonitus inauditi nocturno tempore, & puellae cuiusdam ieiunia duodecim mensibus omni cibo penitus abstinentis, crebra & inusitata fulgura, lapidum cum grandine casus, pestilentia hominum & animalium, propter quae singula piißimus Imperator, crebro fieri ieiunia, orationumque instantia, atque eleemosynarum largitionibus, divinitatem per sacerdotum officium monebat placandam, certißimè dicens, per haec portendi magnam humano generi futuram cladem. Quo etiam anno, mense Iunio, natus ei est filius ex Iudith Regina, quem tempore baptismi Carolum vocitare placuit. L' Autheur dont j' ay tiré ce passage, parle de cette naissance par forme d' histoire seulement: & de moy j' en fais mon profit par forme de commentaire, & veux croire que tous ces prodiges estoient les prognostics des mal-heurs qui proviendroient du Prince qui nasquit le mesme an.

ADVERTISSEMENT au Lecteur.

Amy Lecteur, tu recevras s' il te plaist pour bonne raison de la briefveté de ce cinquiesme Livre, que la Bibliotheque de feu Monsieur Pasquier, n' ayant esté entierement fueilletee qu' au temps que l' Impression de cét œuvre approchoit de sa fin, s' est trouvee par heureux rencontre parmy ses manuscrits la continuation d' iceluy, de laquelle ne voulans frustrer ta curiosité, en cette edition, a esté advisé de la rejetter sur la fin & d' en faire le dixiesme Livre, avec intention de la restablir en ce lieu la premiere fois qu' il sera remis sur la Presse.



mardi 25 juillet 2023

7. 4. De la Poësie Provençale.

De la Poësie Provençale.

CHAPITRE IIII (IV).

Or tout ainsi qu' en ces pays de deça nous exercions la Poësie en nostre vulgaire François, aussi faisoient le semblable en leur langue les Provençaux, & ne faut point faire de doute qu' en ce subject ils empieterent un grand rang. Car les Italiens sobres admirateurs d' autruy sont contraincts de recognoistre tenir la leur en foy & hommage de cette cy. Ainsi le trouvez vous dedans Equicola en ses livres d' amour, dedans Pierre Bembe en ses Proses, dans Speron Speronne en son Dialogue des langues. Puis qu' ils le confessent, il les faut croire: Et ce qui nous en rend encores plus certains c' est que quand Dante & Petrarque commencerent de se mettre sur la monstre, ce fut lors que les Papes establirent leur Cour en Avignon: Auparavant lequel temps la Poësie Provençale avoit esté dés pieça en vogue, sous les Comtes de Provence, & specialement sous Raimond Beranger dernier de ce nom. Tellement que les Italiens emprunterent de nos Provençaux plusieurs belles pieces qu' ils transplanterent dedans leur vulgaire.

Or puis que les Italiens nous ont voulu franchement quitter la partie de ce costé-là, hé! vrayement je serois merveilleusement ingrat envers nostre France, si je ne contribuois avecques eux à cette mesme devotion. Je vous diray doncques que la plus grand part des Poëtes qui escrivoient leurs conceptions en langage Provençal, estoient ou Gentilhommes, ou grands Seigneurs, esquels on ne pouvoit facilement remarquer une Poësie Pedantesque: d' ailleurs voüoient ordinairement leurs affections à Dames de haut parage. Et estoit cette Poësie en credit, mesme du temps de l' Empereur Federic premier, devant lequel le Comte Raimond Beranger (qui avoit espousé Richilée sa niepce) ayant fait chanter plusieurs chansons Provençales, elles luy furent si agreables, que descrivant par un Epigramme en cette langue, les choses qu' il avoit trouvées diversement belles en voyageant, entre autres particularitez il loüoit la Poësie Provençale.

Plas mi Cavalier Francés,

Et la donna Catalana,

Et l' ouvrar del Ginoés,

Et la Cour Castellana,

Lou cantar Provençalés.

Leurs Poëtes estoient appellez, Troubadours, à cause des inventions qu' ils trouvoient. Et gisoit leur Poësie en Sonnets, Pastorales, Chansons, Syrventes, Tensons. Les Syrventes c' estoient Satyres, à eux grandement familieres, contre les Empereurs, Roys, Princes, & par fois contre les Ecclesiastics, s' ils y trouvoient à redire: Tensons estoient disputes d' Amour, les uns soustenans un party, les autres un autre: Qui estoient puis apres jugées, par des Seigneurs & Dames d' honneur qui tenoient, comme Juges souverains, Cour ouverte pour cet effect, tant à Pierrefeu, que Romans, & se nommoient les resolutions qu' ils y aportoient, Lous Arrests d' Amour. Ayant cours cette Poësie non seulement dans le pourpris de la Provence, ains de Dauphiné, Languedoc, Guienne & autres Pays circonvoisins: De nostre temps s' est trouvé Jean de Nostredame de la ville d' Aix, qui a fait un ample discours de ces Poëtes, & y en met soixante & seize de nombre: Comme aussi il est tombé entre mes mains un papier qui est encores en ma possession dont la teneur est telle. Extrait d' un ancien livre qui fut au Cardinal Bembo. Los noms daquels que *firent Tansons & Syrventes. Et y en met quatre vingts & seize: Vray qu' il y en a quelques uns oubliez par Nostredame, tout ainsi que cestuy fait pareillement estat d' autres qui ne sont nommez par le Cardinal. Et plusieurs nommez par l' un & par l' autre: De maniere qu' apres les avoir confrontez ensemblément il y en a de compte faict six vingts & plus, entre lesquels je trouve des Empereurs, Rois, Marquis, Comtes, uns Federic Empereur premier de ce nom, Richard Roy d' Angleterre surnommé cœur de Lyon, la Comtesse de Die, Raimond Beranger Comte de Provence, un Roy d' Arragon, un Dauphin d' Auvergne, un Comte de Poictou, & les principaux Seigneurs de sa Cour. Non qu' ils eussent composé des Poëmes entiers en Provençal, ains comme ceux qui de fois à autres passoient leur temps à faire quelques Epigrammes Provençaux.

Mais sur tout me plaist ce qu' en dit Petrarque, lequel apres avoir faict, au 4. Chapitre du Triomphe d' Amour, un sommaire denombrement des Poëtes Grecs, Latins, & Italiens, qui par leurs escrits avoient honoré l' Amour, repasse apres non sur tous nos Poëtes Provençaux, ains sur quinze ou seize les plus signalez, & y met pour le premier Arnaut Daniel.

Era tutti, il primo Arnaldo Daniello

Gran Maestro d' Amor, ch' a la sua terra,

Anchor fa honor col' dir' polito & bello. 

Ean' vi quei, qu' Amor si leve afferra, 

L' un Pietro, e l' altro, e' l men famoso Arnaldo, 

E quei, che fur conquisi con piu guerra:

I dico l' uno, & l' altro Raimbaldo

Che cantar pur Beatrice in Monteferrato:

El vecchio Pier' d' Alvernia con Giraldo: 

Folchetto, ch' a Marsiglia il nome ha dato.

Et à Genova tolto, & a l' estremo

Cangio per miglior patria habito & stato.

Giaufre Rudel, ch' uso' la vela e'l remo

A cercar la sua morte: & quel Gulielmo

Che per cantar ha' l fior de suoi di scemo.

Amerigo, Bernardo, Ugo, & Anselmo,

Et mille altri ne vidi, a cui la lingua,

Lancia, & spada fu sempre, è scudo, e e'lmo (elmo: yelmo: elm).

Vous voyez que concluant ce discours, il met en ces Poëtes Provençaux la langue & la lance ensemble, pour monstrer qu' avecques la plume, ils faisoient profession des armes. Vers certainement dignes d' un bon & fidele commentaire: Comme quand vous voyez que Petrarque dit que Geoffroy Rudel avoit mis la voile au vent pour trouver sa mort. Geoffroy Rudel Gentil-homme Provençal, & grand Poëte suivoit le Comte Geoffroy frere du Roy Richard d' Angleterre, duquel il recevoit tous les bons traictemens qu' un bel esprit pouvoit desirer. Plusieurs pelerins revenans du Levant luy reciterent les graces, beautez, & vertus de la Comtesse de Tripoly: Au moyen dequoy sans jamais l' avoir veuë, il en fut grandement feru, & fit en faveur d' elle plusieurs vers qu' il donna ordre de luy faire tenir. Il est grandement vray-semblable que ce n' estoit sans remerciemens de la Dame, par lettres: Qui fut cause que ce Gentil-homme commandé de plus en plus par l' Amour, delibera de faire voile vers elle, mais pour ne servir de mocquerie aux siens, il voulut couvrir son voyage d' une devotion, disant qu' il alloit visiter les Saincts lieux de Hierusalem: Et à cet effect choisit un second soy-mesme pour l' accompagner, Bertrand surnommé Allamanon. Le Comte Geoffroy l' en voulut destourner, mais en vain. Les deux pelerins chargent l' escharpe & le bourdon, & en cet equipage s' embarquent. Advint par malheur que Geoffroy tombe malade de telle façon, que les Nautonniers furent en opinion d' en descharger leur navire, & de l' abandonner aux vagues, toutes-fois cette deliberation tenuë pour quelques jours en surseance, ils surgirent en fin au port de Tripoly: Où estans arrivez Allamanon en apporta les nouvelles à la Dame: Laquelle tout aussi tost se transporta vers la nef, où ayant pris la main de ce pauvre Gentil-homme allengoury, soudain qu' il eut entendu que c' estoit la Comtesse, les esprits commencerent à luy revenir, & pensoit-on que cette presence luy serviroit de Medecine, mais la joye en fut fort courte. Car comme tout foible, il se voulust mettre sur son beau parler, pour la remercier de l' honneur qu' il recevoit d' elle, sans l' avoir merité, à peine eut-il ouvert la bouche, que la parole luy meurt, & rend l' ame à l' autre monde. Vray Martyr certes d' amour, & qui au Paradis imaginaire des Amans meritoit de trouver sa place. La Dame toute esploree luy fit eriger un Tombeau de Porphire, sur lequel fut mis un Epitaphe en langue Arabesque, & depuis ne fit jamais demonstration de bonne chere. Toutes-fois pour la consoler, Allamanon luy donna le reste des Poësies du deffunt, dans lesquelles elle voyoit ses perfections estre tout au long enchassees. Voila pourquoy Petrarque disoit que Geoffroy Rudel s' estoit exposé sur la mer, pour y rencontrer sa mort.

En un autre vers il dit que Raimbaut avoit celebré par ses œuvres la Princesse Beatrix de Montferrat: Histoire gaye & qui n' a rien de commun avecques la precedante: Cestuy vers l' an 1218. demeuroit en la Cour de Mossen Boniface Marquis de Montferrat, duquel il receut plusieurs biens-faits. Raimbaut estoit non seulement Poëte, ains Gentil-homme extraict de bonne part, Seigneur de Vacheres: Aussi ne douta il de choisir pour sa Maistresse, Beatrix sœur du Marquis, laquelle ne prit du commencement à desplaisir, ny cet amour, ny les vers qui estoient par luy faits en faveur d' elle. Toutes-fois depuis mariee, ne voulant encourir aucun mauvais soupçon envers son mary, elle pria Raimbaut de s' en vouloir de là en avant deporter: luy au contraire s' opiniastrant, & la Dame ne le trouvant bon, ce Gentil-homme voyant qu' il n' avoit plus aucun franc accez devers elle, s' en voulut vanger, mais d' une vangeance qui merite d' estre sçeuë. Car tout ainsi que la Dame avoit changé d' opinion, aussi pour monstrer que le changement luy estoit agreable, il fit une chanson où à chaque couplet il changeoit de langage. Le premier en langue Provençale, disoit.

Aras quau vey verdeiar.

Le second en langue Toscane, 

I son quel che ben non ho.

Le troisiesme en François,

Belle douce Dame chere,

Le quatriesme en Gascon,

Dauna, yeux my rend à bous

Le cinquiesme en Espagnol,

Mas tan temo vuestro pletto.

Et le dernier couplet fut une meslange de mots empruntez de ces cinq langues. Invention si gaillarde, que si elle eust esté presentee aux Chevaliers & Dames juges d' Amour, je veux croire, qu' ils eussent sententié pour le renoüement des Amours de Beatrix avec ce gentil Poëte. C' est la chanson par laquelle il prit le dernier congé de sa Dame.

Cette Poësie fut longuement en credit, & specialement sous le Comte Raimon Beranger beau pere de S. Louys, non seulement grand Poëte, mais aussi pere de tous les Poëtes, & commença de prendre fin specialement par la mort de Jeanne premiere Roine de Sicile, Comtesse de Provence. Parce que ny Louys I. de ce nom, par elle adopté, ny Louys II. son fils & successeur, ne firent pas grand estat des Poëtes. Ostez la recompense, ou de l' honneur ou du bien aux beaux esprits, ils ne produiront aucuns fruits. Et par ainsi il ne nous en reste que l' honneste commemoration qu' en ont fait les Italiens, à laquelle j' ay voulu adjouster par forme d' apenty, ce placard.

La fin de cette Poësie fut le commencement de celle des Italiens. Car tous ceux qui auparavant Dante Aligere de Florence avoient mis la main à la plume, meritoient plus le nom de Rimeurs, que de Poëtes. Cestuy est vrayement le premier, qui les mit, si ainsi le faut dire, hors de page. Lequel nasquit l' an mil deux cens soixante & cinq, & mourut l' an mil trois cens vingt. Auquel succeda François Petrarque aussi Florentin qui nasquit l' an 1304. & devint amoureux de Laura Damoiselle Provençale l' an 1327. comme nous apprenons de luy, au Sonnet 177. sur la fin.

Mil trecento ventisette apunto, 

Su l' hora prima, a-il di festo d' Aprile 

Nel labyrinto intrai, ne veggio ondesca.

C' estoit le jour du Vendredy oré, comme luy mesme tesmoigne au troisiesme de ses Sonnets: & l' annee d' apres il receut la couronne de Laurier dans Rome par la main du Comte de Languinaire Vicaire du Pape. Je vous fais de propos deliberé mention de ces deux Poëtes, pour avoir esté les deux vrayes fontaines de la Poësie Italienne: mais fontaines qui prindrent leurs sources de nostre Poësie Provençale.

lundi 17 juillet 2023

6. 27. Des pretensions de la seconde famille d' Anjou sur le Royaume de Naples, & des ruineux voyages qu' elle y fit.

Des pretensions de la seconde famille d' Anjou sur le Royaume de Naples, & des ruineux voyages qu' elle y fit.

CHAPITRE XXVII. 

Le Comté d' Anjou baillé en apanage à Charles de France, depuis Roy de Sicile, apres son decés, Charles deuxiesme son fils mariant Marguerite sa fille aisnee avecques Charles Comte de Valois, frere puisné du Roy Philippes le Bel, il leur bailla en faveur de mariage ce Comté, duquel mariage nasquit le Roy Philippes de Valois, & par ce moyen le Comté reuny à la Couronne. Le Roy Jean fils de Philippes, mourant delaissa quatre enfans masles. Charles son fils aisné, auquel escheut la Couronne: Louys qui le secondoit d' aage fut apanné du Duché d' Anjou (ainsi fut-il lors appellé) & du Comté du Maine: Jean du Duché de Berry & d' Auvergne: & Philippe du Duché de Bourgongne. Charles V. mourant delaissa deux enfans moindres d' ans, Charles VI. Louys Duc d' Orleans, & l' ordre tenu apres son decés fut que Louys aisné des trois freres avroit la charge generale des affaires de l' Estat & des finances de France, & Jean & Philipes ses freres puisnez le gouvernement des personnes du Roy & de son frere. Et par ce que ce chapitre est voüé à la seconde famille d' Anjou, je suivray la mesme trace que j' ay faict en la premiere, & la vous representeray depuis son premier tige jusques a la fin. 
Louys premier, Duc d' Anjou & Comte du Maine.
Louys second son fils marié avec Yoland d' Arragon fille unique de la maison d' Arragon & de Bar. De ce mariage nasquirent trois enfans, Louys troisiesme, René & Charles. Louys troisiesme deceda sans hoirs procreez de son corps, delaissez pour ses heritiers René & Charles ses freres. René marié avec Isabeau de Lorraine fille unique de Charles Duc de Lorraine. Duquel mariage nasquirent Jean & Yoland d' Anjou.

Jean deceda avant René son pere, delaissé pour son heritier Nicolas son fils, qui mourut pareillement avant son ayeul. De maniere que les deux successeurs de René d' Anjou & Isabeau de Lorraine aboutirent en Yoland d' Anjou leur fille unique. 

René comme j' ay dict, eut un frere nommé Charles auquel il bailla pour son partage entre autres biens le Comté du Maine.

A Charles premier succeda Charles second son fils, que René avant que de mourir institua son heritier au Comté de Provence. Cestuy est le dernier Prince masle de ceste seconde famille, lequel mourant sans hoirs yssus & procréez de son corps, delaissa son heritiere ab intestat Yoland d' Anjou sa cousine germaine, vray qu' il fit auparavant que de mourir un testament dont sera parlé en son lieu.

Ce premier plant ainsi jetté, je viens maintenant au sujet du Royaume de Naples, que je pretends n' avoir esté qu' un amusoir de l' ambition de nos Princes, & leurre de nostre ruine.

Louys premier ayant esté adopté par Jeanne premiere du nom Roine de Naples, & consequemment institué son heritier universel en tous & chacuns ses grands biens, se fit Comte de Provence par la mort de sa mere adoptive, comme estant ce pays en sa bienseance. Mais pour le regard du Royaume de Naples, dont Charles de Durazzo s' estoit impatronizé, il leva une puissante armee de cinquante mille hommes, selon la voix commune des Historiens, qu' il fit passer en Italie, qui fut recueillie par son ennemy d' une main hardie. Cette guerre traina l' espace de trois ans ou environ, pendant lesquels plusieurs rencontres & escarmouches. En fin bataille liuree, victoire sanglante obtenuë par Durazzo. Le Duc Louys nauré de cinq playes dont il mourut cinq jours apres. Le Roy l' honore de funerailles & obseques, convenables à sa grandeur, & en porta le dueil un mois durant. Cela s' appelle porter le dueil exterieur, par ceremonie, & grand contentement dedans l' ame, d' estre asseuré de son Estat par la mort de son ennemy. Ce Prince adopté par la Royne Jeanne en l' an mil trois cens septante neuf, entreprit le voyage l' an mil trois cens octante deux, mourut l' an mil trois cens octante quatre, & demeurent tous les historiographes d' accord que ce voyage espuisa tous nos grands thresors se montans à douze millions de liures de monnoye forte, que le sage & riche Roy Charles cinquiesme avoit amassez. Ce que ce grand Roy avoit espargné pendant son regne par sa sagesse, fut en moins de rien dissipé par la follie d' un sien frere. Permettez moy que sans hypocrisie il me soit permis user de ce mot (car pour bien dire sur cette premiere follie nous en entasmes apres plusieurs autres.) Une juste douleur me fait user de ce mot, estant speciallement marry, que les Papes chefs de nostre Eglise, ayent esté le plus souvent les premiers boute feux de nos entreprises pour nous y laisser embourber, ainsi que pourrez plus amplement entendre par ce que je vous discourray cy apres.

Charles de Durazzo s' estant rendu pacifique du Royaume vint adorer à Rome le Pape Urbain sixiesme pour le secours qu' il avoit receu de luy. Et le Pape en contre-eschange le visita en la ville de Naples, pour le congratuler de l' heureux succez de ses affaires. Mais comme ce voyage estoit faict à autre dessein, aussi apres les caresses ordinaires passees, le Pape le pria de vouloir accorder à Butolo son nepueu la principauté de Capoüe. Chose à quoy le Roy ne voulant entendre tira sa responce en longueur: Jusques à ce qu' en fin pressé par le Pape, qui en vouloit estre resolument esclaircy il en fut absolument esconduit. Et deslors se forma une inimitié mortelle entr'eux deux.

Histoire certes pitoyable, mais que je ne puis passer sous silence pour le devoir de ma plume. Le Pape estant en la ville de Nocerre decerne un adjournement personnel contre le Roy, en bonne deliberation de luy faire & parfaire son procez. A l' assignation il compare, mais accompagné d' une puissante armee devant la ville, luy mandant qu' il ne s' estoit voulu rendre contumax encontre le commandement à luy faict par sa Saincteté, Diverses escarmouches: Le nepueu du Pape pris, & mené en seure garde à Naples. Le Pape craignant qu' à la longue ses affaires se portassent mal en cette ville se retire en celle de Fondy, où il excommunie le Roy & tous ses adherans (armes communes des Papes qui portent quelquesfois grand coup) & parce qu' il y avoit quelques Cardinaux dont il se deffioit, apres les avoir fait appliquer à la question, il extorque de leurs bouches ce qu' il desiroit, il en fit noyer cinq, & décapiter trois autres dont les corps furent seichez dedans un four chaud, & leurs carcasses portees devant luy sur trois mulets, leurs chappeaux rouges au dessus, pour servir de crainte & exemple à tous autres, a fin de ne rien entreprendre contre son authorité.

Quelque temps apres le Roy Charles est assassiné dedans la ville de Bude en Hongrie, ainsi que je vous ay discouru par le precedent chapitre. Nouveau remuement de mesnage au Royaume de Naples contre la Royne Marguerite sa veufve, & Ladislao & Jeanne ses enfans, lesquels sont excommuniez par Urbain VI. Croisade sonnee, le Royaume donné en proye au premier Prince qui le pourroit occuper. Ce Prince se trouva en Louys II. Duc d' Anjou, qui fut couronné Roy de Sicile, Naples & Hierusalem par Clement septiesme Antipape, seant en Avignon. Fut-il jamais plus belle semonse de fortune que cette cy? Prince qui s' estimoit Roy droicturier du Royaume par le moyen de l' adoption faicte de son pere par la Royne Jeanne I. Prince invité à cette entreprise par les deux Papes, par l' excommunication, & croisade cornee par celuy de Rome, & par le commandement de celuy de France: Bref avoir affaire à une vieille Princesse, & deux jeunes Princes seulement abandonnez, comme il sembloit du Ciel, & de la terre tout ensemble, par la mort cruelle & inopinee du feu Roy. Or voyez comme Dieu se mocqua de luy. Urbain va inesperément de vie à trespas, qui eut pour successeur Boniface neufiesme, lequel annichila tout ce qui avoit esté decreté par son predecesseur contre la mere & les enfans, les reconciliant par ce moyen au commun peuple, prend leur querelle en main, & faict par son Legat couronner Roy Ladislao dedans la ville de Caiette, & ce jeune Prince plus advisé que son aage ne portoit, voyant une forte guerre qui devoit tomber sur ses bras pour subvenir aux fraiz d' icelle, espouse une Dame non tenant tel rang que luy, mais comblee de bagues, or, & argent monnoyé & non monnoyé. Louys second, secondé par ses partisans du pays, arrive avec ses gens au Royaume, où apres avoir faict quelque demonstration de vouloir joüer des mains, soit ou que le cœur, ou la finance luy defaillist, il tourne visage vers la Provence, faisant gouverner par Procureurs le peu qu' il tenoit au Royaume. Et Ladislao tirant à son profit cette absence se rendit quelques mois apres seigneur universel, ne restant de ce deuxiesme voyage au Prince Louys qu' une honte.

Mais encores sera cette-cy plus grande au troisiesme voyage, que je vous reciteray maintenant. Ladislao né grand capitaine, & guerrier dés le ventre de sa mere, s' estant rendu paisible du Royaume, non toutesfois de son esprit, commence par nouveau conseil de se vouloir rendre seigneur & maistre de la ville de Rome. Comme de faict il la prit, & en jouyt quelque temps: Nouvelle ligue contre luy juree par le Pape, le Florentin, le Sienois, avecques lesquels Louys II. est de la partie. Qui s' achemine en Italie avec un grand ost. Siege mis devant la ville qui est reduite soubs l' obeissance du Pape. Louys est embrassé de tous ses associez d' un tres favorable accueil, prend à sa soulde le grand captaine Sforce, qui lors pour la creance qu' il avoit acquis entre les Princes d' Italie, leur donnoit la loy ainsi que bon luy sembloit. Ladislao les attend de pied quoy: Les deux armees se heurtent l' an mil quatre cens unze. Ladislao mis en route, & plus grande partie des siens, qui tuez, qui prisonniers, mesmes les plus signalez seigneurs, & luy reduict aux termes de desespoir s' il eust esté poursuivy. Mais Louys content de ce qui avoit esté par luy si heureusement exploicté, se retire en son logis, où par une debonnaireté (vous jugerez si bonne ou mauvaise) il licentia tout aussi tost les gens de guerre par luy pris, qui reprindrent leur adresse vers le Roy, lequel petit à petit reprit aussi & son haleine, & ses forces. Victoire non chauldement poursuyvie par Louys, ou par sa nonchallance admirable, ou par un artifice de Sforce, estant tout capitaine gagé tres-content de ne voir la fin d' une guerre, non plus que le praticien d' un procés. Et de faict Ladislao conduisit depuis ses affaires de telle sorte, qu' il revint sur pieds, tout ainsi comme devant. Disant en commun propos que si Louys eust poursuivy à la chaudecole sa victoire, le jour que la bataille fut donnee, il se fust rendu maistre, & de luy & du Royaume: si le lendemain, du Royaume, & non de luy: si le troisiesme jour, ny de luy, ny du Royaume. Par ainsi si j' en suis creu, plus cette victoire fut grande, & plus elle fut honteuse pour nostre Louys.

Le Roy Ladislao meurt l' an mil quatre cens quatorze, delaissee Jeanne sa sœur son heritiere, seconde Royne de ce nom, laquelle ayant esté investie, tombant en mauvais mesnage avecques le Pape Martin cinquiesme, luy pour se venger d' elle, somme Louys troisiesme pour recevoir par ses mains les trois couronnes, à luy loyaument escheües par le decez du Roy Louys deuxiesme son pere. Il y accourt, est investy, & prend par le commandement du Pape le mesme Sforce pour estre Lieutenant general de son camp. Lequel passant avecques son armee le long des murailles de Naples, la Royne estant en une fenestre luy reproche son ingratitude. Luy au contraire s' en deffend, rejettant sur Carracioli favory d' elle, tout le mal qui se presentoit entr'eux. Et neantmoins il promet de luy faire une guerre douce. La Royne pour destourner le grand orage qu' elle voyoit sur le poinct de s' eclater sur la teste: Ayant le Pape l' Angevin & Sforce pour ennemis qui estoit en campaigne, adopta Alfonce Roy de la Sicile par instrumens authentiques l' an mil quatre cens vingt & un, lequel vint à son secours avec une puissante armee, en laquelle il prit Braccio grand capitaine pour faire teste à Sforce. L' Italie portoit lors dedans son sein une engeance de guerriers qui estoient a qui plus leur donnoit. Uns Sforce, Braccio, Baldora, Piscino, lesquels issus de bas lieux se feirent grands par les armes, & s' enrichirent de la ruine d' Italie. Louys troisiesme estoit cependant dans Rome se repaissant des caresses & favorables accueils du Pape: & au regard de son armee s' en reposoit du tout sur Sforce par luy fraischement pris à ses gages: lequel compagnon d' armes de Braccio, capitula avecq' luy une paix secrette, & tout d' une main avecques la Royne & Alfonse. Je vous ay par le precedent chapitre sommairement discouru les rancunes qui avecques le temps se logerent aux cœurs de la mere adoptive, & de son nouveau fils adoptif, qui s' estoit saisi de Carracioli, ne pouvant plus voir les sotties qui se passoient entre la Royne & luy. Chose qui esmeut nouvelle guerre entr'eux, en laquelle la Royne ne douta de s' aider à face ouverte de Sforce, par le conseil duquel elle exhereda l' Arragonnois, comme ingrat, & choisit un autre nouveau fils, qui fut Louys III. qu' elle institua ion heritier universel: que depuis Sforce se noya, Carracioli fut assassiné par le commandement de sa Maistresse, que Louys mourut l' an mil quatre cens trente quatre, & quelque peu apres la Royne, se trouvant par ce moyen nouveau visage d' affaires en ce Royaume.

Louys III. avoit laissé René son second frere plus proche à luy succeder, lequel par consequent pretendoit le Royaume luy appartenir. Partant se trouverent lors deux grands corrivaux, chacun d' eux ayant assez de moyens & subject pour exercer & la langue & la plume d' un Advocat, si la cause eust deu estre terminee par la voye de la pratique, & non des armes. Car Alfonce soustenoit avoir esté bien & deuëment adopté par la Royne, & d' une mesme main institué son heritier universel au Royaume. Double qualité qui le rendoit Roy apres le decés d' icelle, ny ne luy pouvoit nuire que depuis par une injuste colere, elle l' eust exheredé, comme ingrat. Car aucune ingratitude ne pouvoit-on trouver en luy pour laquelle il deust encourir la peine d' exheredation. D' autant que tout ce qu' elle luy pouvoit imputer, estoit la prison de Carracioli, lequel impudemment abusoit aux yeux de tous de l' honneur de cette Princesse, dont il ne vouloit plus asseuré tesmoin que la voix commune du peuple. Parquoy tant s' en falloit que ce qui avoit esté faict par luy fust subject à reprimande, qu' au contraire il meritoit repremiation & guerdon. Grandes raisons certes de la part d' Alfonse, mais non moindres de celle de René. Car il soustenoit qu' il ne falloit coucher de cette nouvelle adoption d' Alfonce. Par ce que la famille d' Anjou, dés pieça & auparavant avoit esté appellee, & au Comté de Provence, & au Royaume de Naples par la Royne Jeanne I. du nom. En consequence dequoy Louys I. son ayeul s' estoit apres la mort d' elle mis en possession du Comté de Provence, & combien qu' il n' eust pas fait le semblable du Royaume, c' avoit esté pour les obstacles & destourbiers, qui luy avoient esté faits & à ses successeurs, lesquels s' estoient opiniastrez à la recousse d' iceluy. Tesmoins le premier voyage de Louys premier, les second & troisiesme de Louys deuxiesme, & le quatriesme de Louys troisiesme dernier mort, depuis adopté & institué heritier par la Royne Jeanne seconde. Adoption & institution qui ne luy pouvoit prejudicier ny aux siens. Car pour icelle il n' entendoit pas renoncer à son ancien droict, pour lequel il s' estoit acheminé avecques son armee en Italie. Mais bien qu' ayant deux cordes en son arc, il se pourroit faciliter les moyens de joüir de son Royaume sans coup ferir. Au demeurant qu' Alfonse ne se pouvoit aucunement excuser de la faute par luy commise envers sa mere adoptive: d' autant que ce n' estoit à luy de descouvrir sa turpitude, quand bien il s' y en fust trouvé, non plus qu' à Cam celle de son pere Noé, qui fut cause de son exheredation. Tout cela s' appelle, à bien assaillir, bien defendre. Et à vray dire si cette cause eust deu estre vuidee par la plume, je veux croire que celle du Prince Angevin estoit la meilleure. Mais ayant à estre decidee par les armes, l' Arragonnois avoit un titre plus fort. Qui estoit que tout ainsi que son Royaume de Sicile atouchoit de plus pres celuy de Naples, aussi estoit Alfonce, par la commodité de ses affaires, plus proche habille à y succeder. Car en telles matieres d' Estat, un simple tiltre coloré, avecques la force, va devant tous les autre tiltres.

Or comme ces deux Princes avoient diverses raisons pour le soustenement de leurs droicts, aussi ne manquerent ils de partisans d' une part & d' autre, qui tenoient grand rang dedans le Royaume. Douze personnages d' honneur furent nommez en la ville de Naples, pour donner ordre à la Police, qui favorisoient le party Angevin. Mesmes pour cuider rendre sa cause plus forte, supposerent un faux testament de la Royne en faveur de luy, outre ses anciennes pretensions (ainsi que mettent en avant quelques malignes plumes, ce que je ne veux croire: Car il avoit trop de bons droicts sans cela) & luy envoyerent Ambassades pour le prier de venir en toute diligence prendre possession actuelle de son Royaume. Ce qu' il ne peut: car de mal-heur il estoit lors prisonnier d' Antoine de Lorraine Comte de Vaudemont. Je vous toucheray cy apres le motif de leur different: Ny pour cette prison toutesfois ses affaires n' en empirerent pas grandement. Estant assisté d' une Isabeau de Lorraine son espouse, vraye Amazone, qui dans un corps de femme portoit un cœur masle, & feit tant d' actes genereux pendant cette prison, que je pense cette piece devoir estre enchassee en lettres d' or, dedans les Annales de Lorraine. Soudain qu' elle eut cest advis de son mary, elle prie Philippes Duc de Milan de vouloir embrasser les affaires de leur maison, & à l' aide de luy, feit mettre garnison dedans Caiette (ville qui en grandeur & authorité seconde celle de Naples) dont elle estoit la premiere entremetteuse. Alfonse d' un autre costé ne dort pas, & prend la prison de son ennemy, pour un sien grand avantage.

Et par ce qu' au port de Caiette y avoit plusieurs Nauz marchandes Genevoises, & plusieurs riches marchands de Gennes, sur quoy il y avoit beaucoup à gaigner, il mit le siege devant cette ville, esperant par la prise en rapporter un butin, qui seroit suffisant pour fournir au defroy general de cette guerre. Les Genevois au contraire implorent le secours de leurs concitoyens, qui lors s' estoient mis sous la protection du Duc de Milan. Ils y envoyent une armee navale qui rencontre celle d' Alfonce, lequel tenoit la ville assiegee par terre, & par mer. Bataille par mer est donnee, en laquelle les affaires succedent si à propos aux Genevois, qu' ils en rapportent pleine victoire, le Roy pris avecques deux de ses freres, & plusieurs autres grands seigneurs qui furent tous envoyez au Duc de Milan pour en disposer à sa volonté. Imaginez je vous prie en quel piteux estat pouvoit lors estre le Royaume de Naples, les deux Princes qui le pretendoient estans diversement prisonniers. Et à vray dire l' Angevin sembloit avoir le dessus, par la presence de la Royne sa femme, qui estoit dedans la ville de Naples, & le siege de Caiette levé, soudain apres le desastre de l' Arragonniois. Que si le Duc de Milan qui s' estoit du commencement rendu parrein du Roy René n' eust point tourné sa robbe, indubitablement il falloit qu' Alfonce tirast le rideau, car la farce estoit tout à faict joüée pour luy.

Or voyez comme Dieu renversa inopinément tous ces advantages, mesmes voulut que celuy sur lequel René fondoit sa grandeur fust l' instrument de sa ruine. Le Roy Alfonse estoit Prince sage, auquel, ny l' esprit, ny la parole ne manquoient au besoin, & comme il gouvernoit de fois à autres le Duc, il luy remonstra que la consequence de sa prison ne le concernoit point tant, comme elle concernoit le Duc. Que luy demeurant maistre & seigneur du Royaume de Naples, il ne seroit pas assez puissant pour le guerroyer, mais que le plus grand heur qui luy pourroit advenir pour sa manutention seroit d' estre son confederé: Et qu' en ce faisant ils se pourroient par leur confederation conserver en leurs Estats. Qu' au contraire le Duc René rendu paisible, estant François, mesmes extraict du sang Royal, advenant que pour quelque nouveau subject il luy convint tirer forces de France, le Duché de Milan serviroit de planche & passage, & en tel accessoire y avoit danger qu' en passant, le Roy de France ne s' en voulust faire croire. De maniere qu' il adviendroit que le Duc de Milan avroit 2. ennemis, l' un en teste qui seroit le Roy de France, l' autre en queuë qui seroit le Prince Angevin Roy de Naples. Ces remonstrances digerees tout à loisir par le Duc luy firent changer de propos, & se passerent les affaires de telle sorte que dés l' heure le Roy Alfonse, & Philippe Duc de Milan, jurerent une amitié fraternelle entr'eux, qui ne prit fin que par la mort du Duc, lequel mit en pleine liberté Alfonse & tous les autres prisonniers. Alfonse dis-je, qui raporta un grand heur de son mal-heur. Comme aussi vers ce mesme temps le Roy René sortit de prison, moyennant le mariage de sa fille Yoland d' Anjou, avec Ferry de Lorraine fils d' Antoine Comte de Vaudemont. Ainsi estans ces deux Princes au large commencerent à joüer des cousteaux à qui mieux mieux, l' un tantost victorieux, & puis l' autre. Et ne fut jamais un plus grand chaos, meslange & confusion d' affaires en ce Royaume: Cela dura environ six ans, chacun des deux Princes se donnant titre & qualité de Roy és lieux par luy possedez. René ayant un advantage sur Alfonce, en ce qu' il possedoit Naples ville metropolitaine du Royaume, mais l' autre en contreschange ayant la commodité d' un plus prompt secours que luy, comme aussi favorize en cecy de la fortune, il reprit la ville sans grande effusion de sang par un aqueduct, c' est à dire par la mesme voye que le grand Bellissaire l' avoit autresfois reduite sous la puissance de l' Empereur Justinian son maistre. Je remarque ces six ans pour la crise de la maladie en faveur d' Alfonse. Car en fin, le Roy René & sa femme apres s' estre espuisez de tous moyens furent contraincts de quitter la partie, & de faire leur retraitte à Marseille. Non toutesfois sans envie & esperance de retour, mais en vain. Et cestuy est le cinquiesme voyage de Naples, qui porte plus ample nom que de voyage, car le sejour fut de six ans, mais non de plus heureux succez que les autres.

Ils eurent un fils nommé Jean, qui portoit titre & qualité de Duc de Calabre. Prince doüé de plusieurs bonnes & grandes parties, tant de corps que d' entendement, lequel fut faict gouverneur de l' Estat & ville de Gennes, le Gennevois s' estans mis sous la protection de nostre Roy Charles septiesme. Ce jeune Prince se comporta avecques une telle modestie envers ce peuple hagard, qu' il gaigna grandement sa bonne grace. Advint en l' an 1458. la mort du Roy Alfonce, qui par son testament institua son heritier Jean son frere aux Royaumes d' Arragon & de Sicile, & Ferdinand son fils naturel en celuy de Naples. Si vous parlez à Pandolfe en son histoire de Naples, c' est Ferdinand: si à Machiavel en celle de Florence, c' est Ferrand: si à Jovinian Pontan, qui estoit l' un de ses Conseillers & a escrit son histoire, c' est Ferdinand, & tel aussi me sera-il en ces presens discours. Ce jeune Roy trouva sur son advenement la fortune merveilleusement rebourse. Car outre ce qu' il n' estoit enfant legitime, le Pape Calixte III. qui desiroit faire tomber la Couronne de Naples és mains de Pierre Louys Borgia son fils ou nepueu, excommunia Ferdinand, & defendit aux subjects sur peine d' excommunication de luy faíre le serment de fidelité. Le Roy Alfonse auparavant son decez avoit osté quelques villes & bourgades à Jean Antoine Prince de Tarente, qui s' en voulut lors ressentir. Il attire à sa cordelie les Duc de Sesse, & Marquis de Cottion, & sollicite, tant le Roy René, que Jean son fils de ne perdre l' occasion qui se presentoit pour le recouvrement du Royaume qui loyaument leur appartenoit. Que jamais temps ne se trouveroit plus à propos que cestuy. Ayant affaire à un bastard, excommunié par le Pape, & hay par la plus grande partie de la Noblesse. Mesmes qu' ils estoient trois grands chefs de part liguez contre luy. Toutes ces rencontres y feirent entendre le Duc Jean, assisté, outre les forces du Roy René son pere, de celles des Gennevois tant en vaisseaux de mer comme argent.

Pendant ces menees, advient la mort de Calixte aagé de quatre vingts ans, au lieu duquel fut faict Pape Aeneas Silvius, qui se fit nommer Pie deuxiesme, homme grand faciendaire, ainsi qu' il avoit bien faict paroistre par ses deportemens, auparavant qu' il fust appellé à cette grande & souveraine Prelature. Les Picennins s' estoient emparez de quelques terres & seigneuries du sainct Siege. Ferdinand par un meur & sage conseil s' arme contre eux, & donne si bon ordre à son faict qu' il les en chasse, & faict que le tout retourne à l' ancien estat de l' Eglise, & tout d' une main marie une sienne niepce avecques Anthoine Piccolomini nepueu du Pape: en faveur duquel mariage il leur donne les Comtez de Melfe, & de Colano: rend quelques villes, que le Pape pretendoit appartenir au sainct Siege. Brief manie ses affaires d' une si sage conduite, qu' il est absous des censures Ecclesiastiques, & tout d' une main instalé au Royaume de Naples par le Pape Pie, qui de là en avant feit son propre faict du faict de luy. Car comme ainsi fust, qu' en la generale assemblee des Princes Chrestiens tenuë en la ville de Mantouë, pour faire la guerre au Turc, le Roy Charles, & le Roy René, y eussent envoyé leurs Ambassadeurs, qui avant tout œuvre eussent fait instance du tort qui leur estoit fait en l' Estat de Naples, induëment occupé par Ferdinand: Le Pape ne s' en feit que rire, leur monstrant qu' ils n' avoient

aucun subject de s' en plaindre. Qui feit retourner les Ambassadeurs malcontens sans attendre la conclusion de l' assemblee.

Nonobstant cette confederation avecques le Pape, les autres ne laissent de poursuivre leur premiere pointe. Et de faict le Duc Jean apres avoir donné ordre à son gouvernement partit de Gennes en Octobre mil quatre cens cinquante neuf, avecques sa flote, & eut si bon vent que peu de jours apres il surgit au Royaume de Naples. Accueilly à son arrivee, non seulement de trois grands seigneurs cy-dessus nommez, qui luy avoient ouvert le chemin, mais aussi de plusieurs autres. Ce peuple naturellement disposé à novalitez, disoit que par commun bruit, c' estoit un jeune Prince bien né, doux, agreable, piteux & vaillant extraict du sang Royal de France, lequel venoit s' opposer à l' usurpation induë de Ferdinand, bastard, d' une extraction Espagnole, dont la domination à la longue se trouvoit insupportable, quelques apparences de doux appas qu' elle produisist du commencement. Au moyen de quoy plusieurs sur ces gages se licentians de l' obeyssance de Ferdinand, se soubmirent soubs celle de Jean. 

Pour le faire court, jamais Prince François ne s' estoit auparavant trouvé en son tout, accompagné de tant de faveurs de fortune, & neantmoins le fruict final que raportasmes de cette entreprise, fut que les Gennevois, non moins desireux de nouveautez que les Napolitains, trouverent moyen pendant l' absence de Jean de se soubstraire de la protection des François: De maniere que par un mesme moyen, nous perdismes, & la recousse du Royaume de Naples, & la manutention de l' Estat de Gennes: n' estant demeuré en l' esprit de Jean, qu' un remords & desir de vengeance contre le Roy Louys unziesme, qu' il disoit avoir de propos deliberé desdaigné de le secourir. Et depuis pour s' en vanger, se mit du party des Princes, qui s' estoient contre luy liguez souz le masque du bien public: Mais avant qu' il quittast la partie, il se veit abandonné de ses trois partissans qui feirent leur paix l' un apres l' autre avecques le Roy Ferdinand, mesmes le Prince de Tarante, que le Roy fut tres-aise d' embrasser, au lieu de le chastier, a fin d' asseurer son Estat de tout point. Depuis ce temps les Princes Angevins ne reprindrent les brizees de Naples: car Jean mourut en l' an 1470. & Nicolas son fils en l' an 1473. delaissé le Roy René leur pere & ayeul chargé d' ans, & d' ennuis, qui mourut n' ayant pour toute consolation qu' une seule fille Yoland d' Anjou pour son heritiere.

lundi 22 mai 2023

Chapitre VIII. De l' entree, progrez & fin de la Monarchie des Gots.

De l' entree, progrez & fin de la Monarchie des Gots.

CHAPITRE VIII.

Quand Dieu voulut demembrer l' Empire de Rome, il suscita une infinité de nations, auparavant, point ou peu cognues de nom, lesquelles ioüerent diversement à boutehors. Car si l' une par droict de bien-seance s' estoit emparee d' un pays, les vaincus n' avoient autres garends de leurs pertes, que les terres de l' Empire. Cela advint aux Gots, anciens citoyens de la Scythie, laquelle ayant esté envahie par les Huns (gens qui pour quelques annees furent un foudre de l' Univers) ils furent contraints de quitter leur originaire manoir, & se jetter aux pieds de l' Empereur Valens: Qui leur octroya pour demeure un arrierecoin de la Thrace. Mais pour oster à ces nouveaux hostes tout moyen de rien attenter encontre l' Estat, il les desarma premierement, & d' une mesme main leur osta tous leurs enfans masles moindres de quatorze ans, qu' il confina en diverses villes du Levant, soubz la charge & discipline de Jules, homme sage, afin qu' estans distraicts de la veuë & cognoissance de leurs peres, meres, & parents, ils ne recogneussent au long aller, autre pere commun d' eux tous que l' Empereur. Ce faict, il commanda à quelques Capitaines & compagnies de conduire le gros en toute seureté, au pays à eux assigné. Mais au lieu de leur servir de fideles escortes, ils commencerent de les gourmander, abusans de la beauté & chasteté de leurs femmes, & soustrayans les plus robustes, les envoyerent en leurs maisons pour en faire des esclaves. Ce qui offença tellement les Gots, qu' apres qu' ils furent logez, ils ne proietterent en eux autre chose, qu' une vengeance, & sur ceste deliberation, comme un furieux torrent, rompirent toute barriere, & se feirent voye par la Pannonie, Macedoine, & Thessalie. Et au surplus s' habituerent non seulement aux lieux tant marescageux que montaignars, qu' on leur avoit baillé pour demeure, mais au beau milieu de la Thrace: Dont Valens desirant les chasser, envoya un grand Capitaine, nommé Sebastien, qui s' empara des plus fortes places, faisant estat de temporiser encontre eux, & escorner tous leurs desseins par longueur. Conseil qui ne fut trouvé bon par les Seigneurs qui estoient pres de l' Empereur: Luy conseillans qu' ayant affaire à un peuple barbare, exterminé de son pays, & peu aguerry, il les devoit choquer au premier jour, comme gens dont il viendroit aisément à chef. Les affaires se manierent de telle façon, que la bataille donnee, l' Empereur fut mis en route, & s' estant avecq' quelques uns des siens bloty dans une bourgade, les autres y meirent le feu: Telle fut la fin de Valens, mais Theodose qui luy succeda au Levant, ne voulant que ce desastre demourast non vangé, les attacha si vivement, qu' il les desfeit d' une victoire plus sanglante que n' avoit esté celle qu' ils avoient obtenuë encontre Valens. Et ce qui sembla être l' abysme de leur malheur feut, que tous ces jeunes Gots que l' on avoit confinez & espandus és parties Orientales, ayans eu advis de ce qui s' estoit passé, commencerent de se revolter, & eust leur conseil succedé, mais Jules homme pratic pour les destourner leur promit diverses assiettes de terres, & comme il leur assigné une journee generale pour leur en faire les departements, il donna si bon ordre à son faict, qu' en chaque ville il eut des soldats atiltrez, qui les feirent tous passer par le fil de l' espee. De maniere que par ces deux heurts de fortune, il sembloit que les affaires des Gots fussent du tout sans ressource. Toutesfois c' estoit une pepiniere qui repoussoit plus hautement, tant plus on la vouloit resseper. Et ne peurent les Empereurs si bien ioüer leurs personnages, qu' en fin les Gots ne se feissent maistres de la Thrace. Il y avoit entre eux, & leur ancienne demeure le traject seulement de la riviere d' Istre, dont ils tiroient tousjours rafraischissement de secours. Et de faict par succession de temps, il partagerent entre eux par esperance commune l' Empire. Dont les aucuns prindrent pour leur lot le Levant, qui feurent nommez Ostrogots, c' estoit à dire Gots Orientaux, & aux autres escheut l' Occident, souz la conduitte d' Alaric, & feurent appellez Visegots, qui vouloit dire en leur langue Gots Occidentaux. Ceuxcy estans arrivez sur les marches d' Italie, avec vœu expres de la conquerir, l' Empereur Gratian pour destourner de luy cest orage, leur octroya pour demeure tout le pays d' Aquitaine: duquel sevoulans mettre en possession apres le decez de Gratian, Stilicon (qui, comme beaupere d' Honore fils de Gratian, tenoit toutes les affaires de l' Empire Occidental en sa main) espiant son apoint, lors qu' ils voulurent passer les monts, leur donna un jour de Pasques à doz: qui les irrita tellement, que rebroussans chemin, tournerent visage vers l' Italie, laquelle ils meirent à sac, & prindrent la ville de Rome d' embleé : de là poursuivans leur routte plus loing, au meilieu de leur entreprise mourut Alaric leur Roy: auquel succeda Ataulphe, qui pour la seconde fois retournant vers Rome, apres avoir glané tout ce qui y estoit demeuré de la premiere despouille, enleva Placidie sœur de l' Empereur, & par les prieres d' elle s' achemina suyvant leur premier dessein en Aquitaine, dont il se feit possesseur, chassant les Vandales (qui peu auparavant l' avoient usurpee) aux Espaignes. Apres luy regna Rugeric: puis Vallie, qui chassa les Vandales totalement des Espaignes: puis Theodoric, qui, s' estant joint avec Aetius  & Merovee, fut tué en la bataille contre Attille: & successivement Thorismond, Theodoric son frere, Euric, Alaric gendre de Theodoric Roy des Ostrogots, & finalement Amalaric son fils, qui fut tué par Childebert Roy de France: auquel faillit en ceste Gaule le nom & la puissance des Visegots: qui prindrent de là en avant leur accroissement en Espaigne. En ce pendant les Ostrogots (qui tenoient lors l' Italie) depuis la mort d' Alaric (comme j' ay dit au chapitre prochain) s' estoient saisis d' une partie du Languedoc, & Provence souz umbre de la tutelle d' Amalaric: auquel (combien que venu en aage de regner) ils restituassent ses terres, si avoient-ils tousjours garnisons, tellement qu' apres sa mort ils en demeurerent seigneurs. Pour laquelle chose entendre plus parfaictement, il faut sçavoir que les Gots, qui apres la deffaicte de Valens estoient demourez en la Thrace, curent plusieurs grandes traverses. Toutesfois soubz leur Roy Theodemir, ils feurent en tresgrande vogue, au grand desadvantage de l' Empire, & mesme pour quelque mal-talent qu' ils conceurent contre l' Empereur Martian, fourragerent tout l' Illiric. En fin par traicté de paix Theodoric fils de Teodemir feut baillé pour ostage à Martian, & depuis estant renvoyé, les guerres se * r' allumerent entr' eux plus chaudement qu' au paravant, jusques à ce qu' une autre paix estant de rechef concluë & juree avecq' l' Empereur Zenon: Et Theodemir allé de vie à trepas, Theodoric son fils & unique heritier feut grandement chery par l' Empereur, pour la longue habitude qu' il avoit euë avecques luy durant son ostage, mesmes suivit ordinairement la Cour de cet Empereur. Pendant lesquelles choses Odoacre Roy des Eruliens de simple soldat ayant occupé l' Italie, Theodoric, du consentement de l' Empereur, laissant la Thrace, donna jusques à Odoacre: lequel estant, pour l' abreger, par luy meurtry, il se feit couronner (par l' adueu de Zenon) Roy de toute l' Italie: Prince certainement grand & debonnaire en toutes choses, fors que sur le declin de son aage, pour quelque jalousie de regner, il souilla ses mains au sang de Boece & Symmaque. C' est celuy qu' en l' autre chapitre je disois avoir usurpé soubz le nom de son arriere fils Amalaric (car Alaric pere de luy avoit espousé une sienne fille) une partie du Languedoc & de la Provence. Apres luy regnerent Alaric fils d' Amalassonte sa fille, Theodat, contre lequel Justinian Empereur soubz les estandars de son grand Capitaine Belissaire entreprit de reduire l' Italie soubz l' ancienne obeïssance de l' Empire. Lequel Theodat se voyant assiegé d' affaires de tous costez, feit accord avec les François (qui ne sortit toutesfois pour lors effect, estant prevenu de mort) par lequel fut capitulé qu' il mettroit entre leurs mains le demeurant de la Gaule, qui estoit des appartenances des Gots. A luy succeda Vitige le mal-heureux, lequel & aussi tout son Royaume, apres quelques revolutions d' annees tomba en la puissance de Belissaire. Ce neantmoins les Ostrogots reprenans depuis cœur creérent Theudibault pour leur Roy, & redoublans leurs forces soubz Totille son successeur, coururent toute l' Italie, & reprindrent la ville de Rome. Apres lequel regna Teie, qui par une rencontre qu' il eut contre Narses Lieutenant de l' Empereur, fut tué avec telle defaite des siens, que deslors fut le nom, & la crainte des Gots desracinee de l' Italie. Depuis le partement de Belissaire, & la nouvelle venuë de Narses, les Gots voulant encor iouër des cousteaux pour le recouvrement d' Italie, les Histoires disent que adonc craignans que les François feissent quelques troubles ou empeschemens à leur entreprise, ils les investirent du reste des terres qu' ils tenoient en la Provence & Languedoc. A quoy mesmement de son gré condescendit l' Empereur, combien que ces pays feussent de son ancien domaine. Ainsi la fin & ruïne des Visegots & Ostrogots, feut l' avancement des François, qui demourerent par ce moyen paisibles de toutes les Gaules, perpetuans leur nom & seigneurie jusques à ce jourd'huy sans tomber en main estrangere.