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mardi 27 juin 2023

4. 15. Jeux de Paulme, Bonnets ronds.

Jeux de Paulme, Bonnets ronds

CHAPITRE XV.

Au milieu des affaires serieuses il n' est point hors de propos de donner quelque relasche à son esprit. Je veux que ce chapitre soit de cette marque, & par forme de passe temps conjoindre les jeux de Paulme, avec les Bonnets ronds. Car aussi est-ce un deduict qui est ordinairement aimé par les escoliers. Il me plaist doncques icy discourir dont vient que nous appellons jeux de Paulme, les Tripots, où nous prenons nostre esbat avec des Raquettes, & non avecques la paulme de la main, & les Bonnets que portent les gens de robbe longue, Bonnets ronds, combien qu' ils soient quarrez. Cela est estrange maintenant, & sera paravanture plus à l' advenir, & tel se mocquera de telles recherches, comme trop basses, qui peut estre en communs propos ne sera marry d' en faire son profit.

Lors que les Tripots furent introduits par la France, on ne sçavoit que c' estoit de Raquette, & y joüoit-on seulement avec le plat de la main, & de pelotes: chose que je descouvre d' un vieux livre en forme de papier journal, dont je m' aide souvent en ces miennes Recherches. En l' an 1427. (dit-il) vint à Paris une femme nommee Margot aagee de vingt-huict ans, qui estoit du pays de Hainault, laquelle joüoit mieux à la Paulme qu' oncques homme eust veu, & avec ce joüoit de l' avant main, & de l' arriere-main tres-puissamment, tres malicieusement, & tres habillement, comme pouvoit faire homme, & y avoit peu d' hommes qu' elle ne gagnast, si ce n' estoit les plus puissans joüeurs, & estoit le jeu de Paris, où le mieux joüoit en la ruë Garnier sainct Ladre, qui estoit nommé le petit Temple. Passage que vous voyez authorizer en tout & par tout mon opinion, de laquelle je me croy d' avantage, par ce qu' autresfois parlant à un nommé Gastelier, il me fit un discours qui est digne d' estre recité. Cet homme en sa jeunesse avoit esté bon joüeur de Paulme, & depuis fut long temps Huissier de la Cour, & venant sur l' aage, resigna son Estat: mais quelque ancienneté d' aage qu' il eust (car quand il m' aprit ce que je diray, il estoit aagé de 76. ans & plus) si ne pouvoit-il oublier son premier deduict. Et de fait il n' y avoit jour que s' il y avoit quelque belle partie en son quartier, il n' en voulust estre spectateur. C' estoit un plaisir auquel il finit ses jours, & moy jeune homme qui n' y prenois pas moins de plaisir que luy, le gouvernois de fos à autre par occasion. Un jour entre autres il me compta qu' en sa jeunesse il avoit esté des premiers joüeurs de Paulme de son temps, mais que le deduit en estoit tout autre, parce qu' ils joüoient seulement de la main, & poussoient de telle façon la pelote que fort souvent elle estoit portee au dessus des murailles, & lors les uns joüoient à mains descouvertes, & les autres pour se faire moins de mal y apportoient des gands doubles. Quelques uns depuis plus fins, pour se donner quelque advantage sur leurs compagnons y mirent des cordes, & tendons, a fin de jetter mieux & avec moins de peine la balle. Ce qui se pratiqua tout communément. Et finalement de là s' estoit introduite la Raquette telle que nous voyons aujourd'huy, en laissant la sophistiquerie du Gand: Ha! vrayement dis-je lors à par moy, il y a grande apparence d' estimer que le jeu de Paulme vient de là: par ce que l' exercice consistoit principalement au dedans de nostre main ouverte, que nous appellons Paulme, depuis lisant le passage que je vous ay cy-dessus recité, j' en fus du tout confirmé.

Pareille mutation est advenuë aux Bonnets que nous appellons Bonnets ronds, combien qu' ils soient quarrez. Car anciennement les plus grands portans les Chapperons sur leurs testes, l' usage petit à petit s' en estant perdu, cela demeura seulement aux gens de robbe longue, enquoy l' on s' aidoit du Bourlet qui est rond, lequel environnoit le circuit de nos testes, & ce surplus du chaperon pendoit d' un costé, & de l' autre on environnoit son col: Chose qui ne se peut mieux representer que par des petits Marmouzets qui sont encores au commencement des barreaux de la Chambre doree du Parlement de Paris. Cela estoit penible & une grande charge de teste, au moyen dequoy il fut trouvé bon de retrancher tous ces grands apentis du Chaperon, & se reserver seulement ce qui representoit le Bourlet pour couvrir la teste. C' est pourquoy on s' advisa de faire avec grandes aiguilles des Bonnets ronds qui representoient le Bourlet (& paravanture furent-ils appellez Bonnets au lieu de Bourlets par un doux eschangement de l' un à l' autre) ce qui continua longuement. Car encores de ma jeunesse les plus vieux Theologiens prenans à Religion de ne rien changer des vieilles coustumes, en portoient. Et y avoit un petit monde de peuple qui en vivoit en cette grande ruë des Cordelieres, aux fauxbourgs sainct Marceau de Paris, lesquels furent fort long temps en mauvais mesnage avec les Escoliers, jusques à faire une forme de guerre civile les uns contre les autres. A ces Bonnets ronds on commença d' y apporter je ne sçay quelle forme de quadrature grossiere & lourde, qui fut cause que de mes premiers ans j' ay veu qu' on les appelloit Bonnets à quatre brayettes: le premier qui y donna la façon, fut un nommé Patrouillet, lequel se fit fort riche Bonnetier aux despens de cette nouveauté, & en bastit une fort belle maison en la ruë de la Savaterie, qui appartient aujourd'huy à Monsieur du Val Conseiller. Depuis, le Bonnet ayant changé de forme, luy est toutesfois demeuré le nom de Bonnet rond. Coustume toutesfois tres-inepte, mesmes que nous reparions nos testes rondes de Bonnets quarrez. Enquoy l' on peut dire que par une grande bigarrerie nous avons par hazard trouvé la quadrature du cercle, amusoir ancien des Mathematiciens, où ils ne peurent jamais donner attainte.



dimanche 13 août 2023

10. 4. Deportemens dereiglez de la Royne Brunehaud, suivant la commune leçon de nos Histoires.

Deportemens dereiglez de la Royne Brunehaud, suivant la commune leçon de nos Histoires.

CHAPITRE IV.

La Royne Fredegonde ayant gouverné les siens de la façon que je vous ay dit, elle voulut adjouster à son cœur de Lyon beaucoup de celuy du Renard. Renardise toutesfois grandement loüable, ainsi qu' entendrez presentement. En ce temps là les paysans menans paistre leurs bestes à cornes aux champs, leur pendoient une clochete au col: l' ost de la Royne estoit esloigné une grande journee de l' ennemy, lequel par ce moyen se donnoit le loisir de dormir plus à son aise. Mais elle d' une belle prevoyance commanda aux gens de cheval de prendre tous une clochette sur leurs chevaux, & d' une vitesse admirable fit marcher toute une nuict son camp, & passant par un bois voulut que tous ses soldats se saisissent chacun d' une branche: Elle estoit à la teste de son armee avec son fils, & sur la diane approchant de celle de l' ennemy, la sentinelle pensant resuer de voir si proche d' elle un nouveau bois, & neantmoins s' asseurant par les clochettes qu' elle estimoit estre de bestes bovines, à l' instant fut taillee en pieces, & Fredegonde descochant d' une furie sur ses ennemis en fit une grande boucherie, ne donnant le loisir aux uns de se resveiller, & faisant passer au fil de l' espee ceux qui se mettoient en deffenses, & quant aux autres qui se sauverent par la fuite, il ne leur prit plus envie de retrouver ce chemin. Ainsi demeura elle victorieuse: qui ne luy estoit pas un petit advantage, mais elle non assouvie de ses esperances, estimant que par la mort d' un seul ou de deux, elle pouvoit mieux asseurer l' Estat à son fils, que par la decision d' une autre bataille, se mettre au hazard de tout perdre, donna ordre de faire empoisonner le Roy Childebert & sa femme, & telle est l' opinion commune; parce qu' auparavant elle avoit deux & trois fois voulu attenter sur leurs vies: mais en vain. Il ne faut rien oublier de cette histoire, ce bel œuvre estant mis à chef, voyant qu' il n' y avoit plus que deux petits Princes de reste: elle leur livre une bataille, & en obtint le dessus. Mais lors ce luy fut un Hola; car elle fut appellee en l' autre monde, non d' une mort violente, ains naturelle: Qui me semble estre un miracle, en une personne qui s' estoit joüee de la vie de tant de Princes; & en outre fut enterree joignant son mary en l' Eglise de S. Vincent, depuis nommee S. Germain.

Jusques icy l' histoire de Brunehaud semble estre aucunement muette, fors en 2. poincts. L' un quand de nuit elle fit sortir le jeune Roy Childebert son fils de la ville de Paris: L' autre quand elle espousa Meroüee fils aisné du Roy Chilperic: maintenant nous n' en parlerons que trop à son desavantage, si ce que nous recueillons d' elle d' une longue ancienneté est veritable. Childebert mourut delaissez deux enfans, Theodebert son aisné qui fut fait Roy d' Austrasie, & Theodoric Roy de Bourgongne. Avec lesquels Brunehaut du commencement vesquit en fort bon mesnage, & lors les deux freres pendant leur union, poursuivans la querelle hereditaire de leur maison contre le jeune Clotaire, qui avoit perdu sa mere arboutant de toutes ses forces, le reduisirent par une grande bataille en telle extremité, que pour se garentir de la perte du tout, il fut contraint de leur abandonner les deux parts de son Royaume, dont il ne se fust jamais relevé, si Brunehaud qui luy devoit estre sa principale ennemie, n' eust esté le principal instrument de son restablissement, & voicy comment. Elle se tenoit lors pres de Theodebert l' aisné, où ayant fait tuer un Guintrion Seigneur de valeur, le Roy Theodebert indigné de cette mort la chassa de sa Cour. De maniere qu' elle fut contrainte se retirer honteusement devers Theodoric son autre petit fils: où s' estant habituee, elle fut la mesme Brunehaud qu' elle avoit esté avec son aisné. S' amourache d' un Protade Gentil-homme Romain, qui ne manquoit d' entendement, & le veut faire Maire du Palais de Bourgongne, au prejudice de Bertaud Seigneur de singuliere recommandation, tant au fait de guerre que de paix. De le faire desappointer elle ne pouvoit, pour s' estre par ses braves exploits guerriers rendu trop necessaire à son Maistre; D' en avoir le dessus par sa mort, elle n' osoit, pour n' avoir encore assez empieté de credit pres du Roy son petit fils. C' est pourquoy feignant de le favoriser, par le conseil de son Protade, elle donne ordre de le faire employer en commissions ruineuses, lesquelles pour sa reputation il ne pouvoit honnestement refuser, & neantmoins s' en sceut fort bien developer. Il voyoit tous ces artifices qui ne tendoient qu' à sa ruine, & s' asseuroit qu' au long aller l' ayeule obtiendroit de son petit fils ce qu' elle desiroit: qui luy eust esté une grande honte. Au moyen dequoy aimant mieux perdre sa vie & son estat ensemblément, que son estat sans sa vie, fit un trait de grand Capitaine qui ne peut estre assez haut loüé. Landry commandoit à une armee sous Meroüee fils aisné de Clotaire. Bataille est donnee pres d' Estampes, en laquelle Bertaud commandoit sous l' authorité du Roy Theodoric son Maistre, lequel joüant à quite ou à double, entre peslemesle dedans le gros de l' ennemy, suivy de plusieurs braves Cavaliers qui furent tous occis avec luy: Mais vendirent si cherement leurs vies, que mourans, leurs ennemis furent mis en route, Meroüee fils de Clotaire pris, dont depuis il ne fut parlé, Landry se sauve de vitesse, Theodoric vient à Paris le bien receu par le Parisien. Ainsi ce brave Bertaud obtint pour son Roy contre son ennemy une grande victoire: Mais beaucoup plus grande pour son ennemie Brunehaud, laquelle soudain apres sa mort fit pourvoir son Protade de la Mairie du Palais.

Doresnavant vous ne verrez que tragedies funestes en la Cour de ce jeune Roy, dont Brunehaud fut la fatiste. Un Protade son favory s' enrichir par nouvelles exactions de la ruine du pauvre peuple, feignant de favorises les affaires du Roy son Maistre. Inimitiez publiques contre luy conceües. Brunehaud esclorre la vengeance qu' elle avoit quelque temps couvee contre le Roy Theodebert qui l' avoit honteusement chassee de sa Cour. Et maintenant elle le veut chasser de son Royaume, faisant entendre qu' il estoit fils d' un jardinier, & non du Roy Childebert. Partant que Theodoric se devoit armer, pour luy faire rendre les païs que sous faux titre il occupoit. Protade la seconde en cecy, & par ce moyen s' accueillit de plus en plus la haine contre luy: car la Noblesse ne pouvoit gouster cette nouvelle division entre les 2. freres; & sur cette querelle fut occis par plusieurs Gentils-hommes, qui depuis en perdirent la vie. Pour cela la forcenee Brunehaud ne se desiste de sa furieuse poursuite, & besongne de sorte que les 2. freres en viennent aux mains, & fut mis Theodebert pour la premiere fois en route, & encore pour une seconde, jusques à ce qu' ayant fait sa retraite dans la ville de Coulongne, il fut traistreusement occis par l' un des siens, lequel luy ayant levé la teste de dessus les espaules en fit present à Theodoric. Et ses enfans à luy presentez les fit mener en la ville de Mets, où Brunehaud qui lors y estoit les fit cruellement massacrer. Mesme battant une muraille de la teste du plus petit luy fit sortir la cervelle. Entre tous ces enfans y avoit une jeune fille accomplie de plusieurs singulieres beautez de corps & d' esprit, que par pitié cette cruelle tygresse conserva pour estre cy-apres motif de sa ruine & de toute sa famille. Theodoric auparavant cette guerre avoit eu quatre bastards de quatre garses, & concubines, Sigebert, Childebert, Corbe, & Meroüee. Un bon Religieux nommé Colombain, qui du païs d' Hybernie ou Escosse estoit venu dresser en Bourgongne une escole de vie solitaire à plusieurs personnes devotes, ne pouvant supporter les ordures de ce jeune Roy, le vint aboucher, & luy remonstra rudement quel tort il se faisoit tant envers Dieu, que le monde par la continuë de ses paillardises, & ordes amours. Et que pour se reconcilier à Dieu, il luy falloit necessairement trouver une espouse. A quoy il acquiesça & espousa Hermemberge fille du Roy d' Espagne. Mais Brunehaud craignant de trouver en cette nouvelle femme, une nouvelle corrivale de sa grandeur, par charmes & sorcelleries (nous avons depuis appellé cela noüer l' aiguillette) besongna de sorte que le Roy ne la peut aucunement cognoistre par attouchement marital, & la renvoya à son pere l' annee à peine estant expiree. Le bon homme Colombain opiniastrement retourne, & luy predit que s' il persistoit en ses furieux deportemens, Dieu luy osteroit avant la revolution de 3. ans, & la vie, & le Royaume: Et Brunehaud opiniastrement luy faisant teste, le fait bannir & exterminer du pays, qui mourut quelque temps apres, & mis au rang & kalendrier de nos SS. Mais comme il avoit predit il avint: car ce jeune Roy se voyant estre deux fois Roy, de Bourgongne, & d' Austrasie, apres avoir envisagé la jeune Princesse fille du Roy Theodebert, il en devint amoureux, & la voulut espouser, mais Brunehaud s' y opposa fort & ferme: disant qu' il ne luy estoit loisible de ce faire par les constitutions Canoniques, d' autant qu' elle estoit sa niepce. Adonc la patience eschappant au Roy: Comment meschante (luy dit-il) tu m' as cy-devant soustenu que Theodebert n' estoit mon frere, & soubs ton donner à entendre je l' ay poursuivy jusques à la mort, & maintenant tu me chantes tout autre note. A cette parole il mit tout forcené la main aux armes pour la tüer, mais il en fut empesché par quelques Seigneurs qui arresterent le coup, & par les autres qui firent voye à la Royne Brunehaud pour se sauver, laquelle craignant que le Roy n' executast son maltalent encontr'elle, le fit empoisonner voulant prendre son vin, ainsi qu' il sortoit d' un bain.

Brunehaud par ce beau chef-d'œuvre estimoit avoir attaint à l' accomplissement de ses desirs, n' ayant plus que 4. petits Princes, ausquels elle commanderoit ce luy sembloit à la baguette: Mais voicy comment elle sans y penser se trouva grandement descheüe & deceüe de son opinion. Parce que Pepin & Arnoul deux des principaux Seigneurs d' Austrasie, commencerent de negocier sous main avec le Roy Clotaire sur l' obeïssance qu' ils entendoient luy voüer. D' un autre costé Brunehaud depesche Garnier Maire du Palais, & Aubain (ausquels elle avoit toute confiance) pour voyager par toutes les provinces de son obeïssance avec le Roy Sigebert aisné des 4. enfans, & y prendre le serment de fidelité. Mais comme elle estoit d' une ame double, escrivit lettres à Aubain à ce qu' il ne faillist de faire tuer Garnier: Ces lettres leües & deschirees par Aubain, les pieces furent recueillies par un Gentil homme amy de Garnier, qui les abute avec de la cire, & y ayant trouvé la mort conjuree contre luy, tout aussi tost les luy apporte: Et adonc par un changement d' opinion, il tourne sa robbe, capitule d' un costé avec Clotaire sous certaines conditions, & d' un autre, sollicite le peuple à revolte. Cependant sur cette confiance Clotaire se met aux champs au pays de Champagne, où il trouve Garnier avec ses troupes: Mais quand se vint au joindre il baisse les mains, se rend avec sa suite à Clotaire, & par mesme moyen luy presente les 3. bastards du feu Theodoric, qui estoient Sigebert, Corben, & Meroüee. Car quant au 4. nommé Childebert, il s' estoit sauvé de vistesse, & neantmoins depuis n' en fut oüy vent ny voix: & pour le regard des trois autres, Sigebert & Corben sont tuez par le commandement de Clotaire, & Meroüee sauvé, & baillé en garde à l' un de ses domestiques: parce qu' il estoit son fillol: Mais ne voyant qu' il en soit depuis faite aucune mention dedans nos Historiens, je veux croire qu' il courut soubs le rideau mesme disgrace que ses freres. Brunehaud prise par les siens, amenee au Roy, il luy fait faire son procez par les plus grands Seigneurs de sa suite, & en vertu d' un Arrest contr'elle donné, elle fut mise sur un chameau, & ainsi portee honteusement à la veüe de toute l' armee, en fin liee par les cheveux & les bras à la queuë d' un jeune cheval non dompté, qui à la premiere ruade l' ecervela, & d' une mesme course la trainant par buissons, broussailles, monts & vaux fut son corps dissipé en pieces. Elle s' appelloit de son premier nom Brune, & depuis Brunechilde, & Brunehaud; & la Sibylle avoit predit d' elle (ainsi que nous apprenons d' Aimoïn & Sigebert Moines) ce que depuis luy advint. Veniet Bruma de partibus Hispaniae, ante cuius conspectum gentes vel gentium Reges peribunt. Ipsa vero calcibus equorum peribit. Ainsi prit la Roine Brunehaud fin de sa vie, & de sa famille: Clotaire II. demeurant seul Roy de France, tant deça, que delà le Rhin, dont il joüit paisible 14. ans par provision, c' est à dire le reste de sa vie, en attendant la diffinitive du Ciel.

lundi 10 juillet 2023

6. 22. Quelles courtoisies receut le Capitaine Bayard non seulement des François, mais aussi de ses ennemys, avecques un sommaire discours de sa mort.

Quelles courtoisies receut le Capitaine Bayard non seulement des François, mais aussi de ses ennemys, avecques un sommaire discours de sa mort.

CHAPITRE XXII.

Comme Dieu avoit produit Bayard pour estre un parangon de Chevalerie, accompagné de toutes sortes de vertus, qui le fit aimer successivement de trois Roys qu' il servit, Charles VIII. Louys XII. & François I. & honorer de toute la gendarmerie Françoise, par dessus tous les autres grands Capitaines & guerriers, aussi eut il cette particuliere benediction de Dieu, d' estre non seulement craint & redouté de ses ennemis, mais aussi aimé tant durant sa vie, qu' apres sa mort: Chose dont je vous raconteray deux traits qui ne meritent de mourir avecques luy.

Ludovic Sforce ayant esté chassé du Milannois, par nostre Roy Louys XII. & fait sa retraicte en Allemagne, il trouva moyen tant par amis, qu' argent, de mettre nouvelle armee en avant: & y besongna si bien qu' en peu de temps il fut restably. Comme le Roy se preparoit pour passer les monts, la fortune avoit voulu que Bayard fust dés long temps au paravant demeuré en garnison, avec quelques braves cavaliers François en la Lombardie. Lequel ayant eu advis que dedans Bivas y avoit trois cens chevaux qui seroient aisez à deffaire, pria ses compagnons de vouloir battre les chemins avec luy: ce dont il ne fut esconduit: Et se mirent cinquante ou soixante de compagnie, tous gens lestes, bien deliberez de mettre quelque belle entreprise à chef. Messire Jean Bernardin Carache brave Capitaine, commandoit à la ville de Bivas, lequel ayant eu advis par ses espions de cette saillie, se mit aux champs, en bonne deliberation de leur donner la muse. A l' aborder y eut d' une part & d' autre une tres-perilleuse charge: & dura cet estour quelque temps sans que l' on eust sceu juger vers qui balançoit la victoire. Qui occasionna le Capitaine Bayard d' exhorter les siens à y coucher de leurs restes, lesquels donnerent de telle furie, que les Lombards, ou par ruse, ou crainte, feignans de parer aux coups, se retiroient peu à peu pres de la ville de Milan, de laquelle se voyans non grandement esloignez, tournerent tout à coup visage, & à toute bride entrerent dedans la ville, suivis de nos trouppes Françoises jusques bien pres des murailles: & lors fut crié par l' un des plus anciens des nostres. Tournez hommes d' armes, tournez. A quoy chacun obeït, fors Bayard, qui comme un Lyon entra peslemesle au milieu d' eux, les chassant, jusques devant le Palais du seigneur Ludovic. Là environné de l' ennemy, & sagement abandonné par les siens, il fut pris par Jean Bernardin, & mené en son logis, où il le fit desarmer, qui le trouva fort jeune Gentil-homme, comme de vingt & deux à vingt & trois ans, dont il s' esmerveilla, mesmement comme il estoit possible que tel aage portast tant de proüesse qu' il avoit recognuë en luy. Ludovic ayant entendu comme le tout s' estoit passé, & specialement luy ayant esté fait grand estat de la vaillance & magnanimité de ce jeune Gentilhomme prisonnier, commanda qu' il luy fust amené le lendemain: ce qui fut fait par Bernardin non moins courtois que bon guerrier, l' ayant revestu de l' une de ses robbes, & mis en ordre de Gentilhomme, le vint luy mesme presenter au seigneur, lequel s' en esbahit infiniment, & adressant vers luy sa parole: Venez ça (luy dit-il) mon Gentilhomme, qui vous amene en cette ville? Par ma foy monseigneur (respondit Bayard) je n' y pensois pas entrer tout seul, & estimois estre suivy de mes compagnons, mais ils ont mieux entendu la guerre que moy: Parce que s' ils eussent fait ainsi que j' ay fait, ils fussent comme moy prisonniers. Toutesfois je me louë de mon infortune qui m' a fait tomber entre les mains d' un si bon maistre, que celuy qui me tient. Car c' est un tres-vaillant & avisé Chevalier: Ainsi tombans de l' un à l' autre propos, Ludovic s' informa de luy quelle estoit l' armee Françoise, & de combien d' hommes composee. A quoy le Chevalier luy respondit, qu' il y avoit quatorze ou quinze cens hommes d' armes, & dix-huict mille hommes de pied, tous gens d' eslite, qui se promettoient d' asseurer à cette fois l' Estat de Milan au Roy leur maistre. Et me semble monseigneur, que seriez bien en aussi grande seurté en Allemagne au large, que d' estre icy à l' estroit, vos gens n' estans pas suffisans de nous faire teste. Parlant le Chevalier d' une telle asseurance, que le Seigneur prenoit plaisir á l' ouyr, ores qu' il y eust suject en son dire de l' estonner: mais pour faire paroistre qu' il ne s' en soucioit, luy repliqua: Sur ma foy mon Gentilhomme je souhaite que nos armees se joignent: A fin que par la decision d' une bataille on puisse cognoistre à qui de droit appartient cet heritage: car je n' y voy point d' autre moyen. Par mon serment (repartit le Bayard) je voudrois monseigneur que ce fust dés demain: pourveu que je fusse hors de prison. Vrayement à cela (repliqua le Seigneur Ludovic) ne tiendra-il, car je vous en mets dehors presentement, & cheviray avec vostre maistre: Demandez moy ce que voudrez & je le vous donneray. Bayard le genoüil en terre l' en remercia, luy disant monseigneur, je ne vous demande autre chose sinon que si vostre courtoisie se vouloit tant estendre, que de me faire rendre mon cheval, & mes armes, & me renvoyer ainsi devers ma garnison qui est à vingt mille de cette ville, m' obligeriez tant à vous, que horsmis le service de mon Roy, & mon honneur sauf, j' exposerois ma vie pour vous, quand il vous plairoit me le commander. En bonne foy (dist le Seigneur) vous avrez presentement ce que demandez. Et commanda à Bernardin que promptement on luy rendist son cheval, armes, & tout son fait: A quoy ayant obeï Bayard s' arma, monta sur son cheval sans mettre le pied à l' estrié, puis demanda une lance, qui luy fut baillee. Et levant sa veuë dist à Ludovic. Monseigneur je vous remercie humblement de la courtoisie qu' il vous a pleu me faire: Dieu vous la vueille rendre. Il estoit en une grande cour, & lors commença de donner l' esperon au cheval, lequel fit quatre ou cinq sauts, tant gaillardement, qu' impossible seroit de mieux, & puis luy donna une petite course, en laquelle il rompit sa lance contre terre en cinq ou six pieces. Dont Ludovic ne s' esjouït pas trop, & dit tout haut. Si tous les hommes d' armes de France estoient pareils à cettuy, ce me seroit un mauvais party: Puis luy fit bailler un Trompette, pour le conduire en sa garnison. Voila comment une hardiesse imprudente au fait des armes fit prendre Bayard prisonnier, & comme une sage hardiesse de parler luy moyenna sa liberté. Mais je vous prie dictes moy quelle fut plus grande la hardiesse du Chevalier, ou la courtoisie du Seigneur Ludovic.

Bien vous diray-je que depuis la proüesse faisant son perpetuel sejour en ce guerrier, il aprist avec le temps d' apporter de la temperance, & sagesse, dont il acquist telle reputation qu' apres sa mort encores fut-il honoré par nos ennemis: Nul n' avoit rendu plus de devoir contre l' Espagnol que luy, fust en particulier ou en general: Tesmoing le combat qu' il eut en camp clos contre Alonce de Sotto Maiore, brave Capitaine au Royaume de Naples, qu' il mist à mort, ores qu' il fust lors affligé d' une fievre quarte, tesmoing le combat de treize Espagnols, contre treize François, où il fit tant d' armes qu' unze des siens ayans perdu leurs chevaux, luy second d' un autre Cavalier mist en route les Espagnols. Tesmoing la garde du pont faicte par luy seul avec sa picque, contre deux cens Espagnols, en attendant le secours de ses compagnons. Tesmoing la ville de Maiziere qu' il reserva au Roy François premier, contre toutes les forces de l' Empereur Charles V. par une sagesse admirable, & autres infinis, braves & sages exploicts d' armes, qui le rendirent craint, aimé, & honoré, voire par les mesmes Espagnols, qui de leur naturel sont sobres admirateurs d' autruy. Il avoit accoustumé, comme j' ay dit ailleurs, d' estre tousjours à la pointe quand il falloit entrer au combat, & ce pour donner courage aux siens, & en cas de retraicte, estoit derriere, comme le berger apres son troupeau, pour soustenir les efforts de l' ennemy qui se pouvoient presenter. Ainsi qu' il fit lors que l' Admiral de Bonivet, Lieutenant general du Roy en la Lombardie, y faisant mal ses affaires, fit estat de retourner à la France avec son Ost. Où le Chevalier asseuré comme s' il eust esté enclos de murailles, faisant marcher ses gendarmes, & tournant tantost le visage vers l' ennemy, tantost suivant à petit pas nostre armee, il fut salvé d' un coup d' harquebuze à croc, qui luy rompit le gros os de l' eschine. On dit en commun proverbe que telle vie, telle mort, ce qui se trouva lors en ce brave guerrier: car aussi tost il s' escria. Helas mon Dieu: je suis mort, & prenant son espee par la poignee, baisa la croisee en signe de la Croix, avec cette humble Oraison à Dieu. Miserere mei Deus secundum magnam misericordiam tuam: Sentant les forces de son corps defaillir en luy, toutesfois d' un esprit fort qui ne l' avoit abandonné, il commanda à un sien maistre d' hostel de le descendre de son cheval, & le coucher au pied d' un arbre le visage devers l' ennemy.

Les nouvelles de sa blesseure s' espandirent tout aussi tost en l' armee Espagnole: Au moyen dequoy le Marquis de Marignan, qui secondoit en cette escarmouche le Seigneur de Laulnoy, Lieutenant general de l' Empereur, le vint voir, & avec une larme à l' œil luy dist, qu' encores qu' en sa mort l' Empereur son maistre fist un gain inestimable, toutesfois qu' il voudroit avoir racheté sa vie d' une grande partie de son bien, voire de son propre sang. Et est chose qui merite d' estre racontee: Car tout ainsi que l' emploite de sa vie luy estoit heureusement reüssie pour le service de trois Roys ses maistres, aussi luy advint-il le semblable à sa mort. D' autant que les Espagnols ayans eu advis de son infortune, soit qu' ils fussent desireux de l' envisager avant son decez, ou qu' ils pensassent avoir obtenu pleine victoire par sa disgrace, ou bien tous les deux ensemble, laisserent la poursuite qu' ils faisoient contre les nostres, leurs permettans de retrouver leurs anciennes brisees de France sans destourbier: Et lors le visiterent à la foule, comme en une procession, disant en leur langage, Mouches, Grisonnes, & paucos Bayardos. Son maistre d' hostel qui ne l' abandonna, le voulut faire transporter de dessous l' arbre en quelque cassine prochaine, mais il ne le voulut permettre pour les douleurs qu' il sentoit estant remué. Qui fut cause que les Espagnols luy firent tendre en ce lieu un riche pavillon, & un lict de camp, sur lequel il fut couché, & apres avoir esté confessé par un homme d' Eglise & visité par le commun de l' armee, regretté & consolé par les plus grands, il rendit l' ame à Dieu. Son corps fut porté avec tout honneur en l' Eglise, où luy furent faites ses obseques l' espace de deux jours, & depuis rendu à ses gens, qui le firent transporter en Dauphiné, où il avoit pris sa naissance, & dont il estoit lors gouverneur, & y fut inhumé par le Parlement, avec telle ceremonie, que meritoient sa valeur, & sa dignité. Et à la mienne volonté que luy voulant icy redonner la vie à demy ensevelie par l' ingratitude des ans, il la donne pareillement à ce mien œuvre, par le plaisir que le Lecteur pourra recevoir en voyant quelques marqueterie de son histoire.

lundi 22 mai 2023

CHAPITRE XI. Des Bretons Gaulois, que quelques-uns estiment avoir emprunté leur nom de ceux de la grande Bretaigne.

Des Bretons Gaulois, que quelques-uns estiment avoir emprunté leur nom de ceux de la grande Bretaigne

CHAPITRE XI. 

L' opinion de plusieurs François est (ne sçayen quel endroict peschee) que ceux de la grande Bretaigne, estans vers le temps de Theodose & Valentinian, grandement offensez des Pictes & Escossois, & non secourus des Romains, apres avoir plusieurs fois imploré en vain leur aide, furent contrains de creer un Roy de leur nation nommé Voltiger: par l' advis duquel ils appellerent à leur secours les Anglois & Saxons, peuples de la Germanie, adoncques fort redoutez. Lesquels ayans faict voile vers la grande Bretaigne, *ent la protection du pays sur leurs bras, avecques plusieurs heureux exploicts d' armes, qu' il executerent contre les Escossois. En façon que pour leurs victoires, favorisez du Roy Breton il leur feit assigner pour certain temps quelque territoire, dans lequel, allechez de la fertilité du pays, ils commencerent soubs-main à se fortifier contre les advenues des Bretons mesmes. Laquelle chose leur succeda si à poinct, que les pauvres Bretons furent finalement contraincts leur quitter le jeu & la place: demeurant le Royaume és mains des Anglois. Au moyen dequoy quelques uns, qui se sont meslez d' escrire entre nous, ont imaginé que les vrays habitans, bannis de leurs propres demeures, forcez en tout desespoir de se pourchasser nouveaux sieges, singlerent vers ceste coste des Gaules, que noz ancestres appelloient Armorique: laquelle estant par eux prise d' emblee, la nommerent de leur nom Bretaigne. Ceste histoire tient en tout lieu de verité, fors vers la fin. Car d' estimer que les Bretons d' outremer occupassent, depuis leur desconvenüe, aucune partie de la Gaule, au moins avec telle puissance, qu' ils y eussent peu fonder leur nom, c' est une opinion qui a esté controuvee pour la conformité des deux noms. Et est certes la verité, recogneuë mesmement par les histoires Anglesches, qu' apres que les Anglois & Saxons eurent entierement reduit soubs leur devotion la grand Bretaigne, ils confinerent les vrais Bretons en un arrriere-coing de la contree, nommé Galles. Qui fut cause que les Bretons se ressentans tousjours du tort que leur tenoient les Anglois, eurent plus de quatre ou cinq cens ans un Royaume de Galles separé d' avec celuy d' Angleterre. Et depuis estans unis par force soubs leur obeissance, tousjours furent les premiers, qui tindrent promptement la main aux seditions & revoltes. Parquoy si oncques les Bretons eurent occasion de baptiser l' Armorique du nom de Bretaigne, ce qui ne leur avint jamais, ce fut lors, que soubs l' aueu de Maxime, qui s' estoit faict proclamer Empereur de Rome en la grand Bretaigne, un sien Lieutenant nommé Conan s' en empara d' une partie avec une infinité de Bretons, soubs ferme propos d' y continuer sa demeure. A raison dequoy mesmement pour faire nouvelle peuplee de gens de sa nation, manda querir jusques à unze mille, que femmes, que filles: lesquelles par fortune de mer perirent toutes. Non pourtant que pour cela Conan depuis, ny les Gentils-hommes de sa suitte fussent demeuz de leur entreprise, ains s' habituerent en la Gaule, où ils donnerent commencement au Royaume de nostre Bretaigne, laquelle auparavant avoit tousjours esté gouvernee sous la generalité de ceste Province Gauloise. Qui est le temps, à mon jugemet, qui donna le premier cours à la langue que nous appellons Bretonne * Bretonnant, & feit separation entre le Breton Galois, & le Breton Bretonnant, par un redoublement de mesme parole, comme si noz anciens eussent voulu dire, qu' une partie des Bretons qui habitoient és Gaules avoient a pris à Bretonner en la maniere du Breton d' outremer. Car quant au mot de Bretaigne, il est certain que la nostre estoit ainsi appellee de toute ancienneté, & du temps mesmes des premiers Empereurs, comme nous pouvons apprendre de Pline en la description des Gaules, qui est long temps auparavant la venüe de Conam ( : Conan), ny des Anglois. Au contraire je diray cecy pour recommandation de noz Bretons, si nous croyons Bede homme natif d' Angleterre, & qui florist vers le temps de nostre Pepin, ceste isle de la grand Bretaigne, auparavant appellee Albion, fut depuis ainsi nommee Bretagne par les Bretons Gaulois, qui s' en estoient faicts maistres long temps devant la venüe de Jules Cesar. Et à dire le vray, noz Bretons ont esté tousjours gens de guerre, & qui par privilege special seuls entre tous les autres peuples de la Gaule se sont dispensez de la domination des François. Bien est vray, que comme dict Gregoire de Tours, ils furent vaincus par Clovis: & encores soubs Chilperic ils estoient gouvernez par Comtes qui obeissoient aux François, toutesfois dés le mesme temps ils commencerent à se revolter, & ne vouloient de là en avant dependre que de leur seule authorité & puissance, jusques au temps de Dagobert, qui les rendit tributaires : Toutesfois depuis ce temps ils eurent tousjours ou Roys ou Ducs extraicts de leur ancien estoc, & n' ont noz Roys estably gouverneurs en leurs pays, comme aux autres Provinces. Qui est la cause, pour laquelle en ceste generale division, & Aristocratie des Pairs leur Duc n' y fut ennombré, comme celuy qui faisoit ses besongnes à part, & qui ne dependoit de l' ancienne police de noz Ducs, lesquels d' un office viagere & temporelle, en feirent une perpetuelle, comme j' entends deduire au second Livre de ce mien œuvre. D' autant que le Duc de Bretaigne pour s' entretenir en grandeur, temporisa tousjours selon les occasions, tantost ne voulant tenir son authorité que de Dieu & de l' espee, comme l' on vit du temps de Louys le Debonnaire, & de Charles le Chauve, qui pour ceste cause, le guerroyerent longuement avec diverses fortunes, tantost s' il se sentoit plus foible, nous recognoissant pour souverains: une autrefois, si la necessité le forçoit pour quelque desastre qui nous fust survenu, recognoissant tenir ses biens de la couronne d' Angleterre. Comme de la memoire de nos ancestres, nous en veismes un exemple notable, afin que je ne m' amuse aux autres qui sont de trop longue recherche, du temps de Philippes de Valois, entre la maison de Blois, & celle de Mont-fort, qui querellerent longuement pour la succession du Duché, advenuë par la mort de Jean Duc de Bretaigne. Philippe de Valois ayant pris en main la cause du Blesien lequel luy en avoit faict foy, & hommage: & Edoüard Roy d' Angleterre, le party de Jean de Mont-fort, qui d' un autre costé aduoüoit tenir sa terre de l' Anglois: jusques à ce que ceste querelle ayant pris fin par la mort de Charles de Blois en la journee d' Aulroy, & le Duché demeurant au Comte de Montfort du consentement du Roy Philippe, il nous en feit lors pour luy & ses successeurs recognoissance & hommage, qui s' est depuis continuee jusques à la mort de Madame Anne de Bretaigne fille unique du Duc François: laquelle conjoincte en premieres nopces avec Charles huictiesme, & depuis avec Louys douziesme, annexa à la couronne de France le Duché par Madame Claude sa fille aisnee, mariee avec François premier de ce nom, duquel mariage nasquit le Roy Henry deuxiesme, à bien dire premier entre tous noz Roys, qui fut Roy de France, & Duc de Bretaigne

lundi 7 août 2023

8. 58. Rompre la Paille ou le Festu avec quelqu'un.

Rompre la Paille ou le Festu avec quelqu'un.

CHAPITRE LVIII.

Nous disons communément Rompre la Paille, ou le Festu avec quelqu'un, quand nous nous disposons de rompre l' amitié que nous avions contractee avecques luy: Mais dont vient cette façon de parler? Car je vous prie, quelle communauté a la rupture du Festu, ou de la Paille, avec l' amitié? Paille dis-je, qui se consomme au feu à un clin d' œil: Amitié au contraire qui doit estre bastie sur un fondement stable, & permanent? Paravanture feray-je icy d' une mouche un Elephant, mais advienne ce qu' advenir en pourra, puisque la pierre est jettee, je diray franchement ce que j' en pense, & prendray mon vol de si haut que de prime face quelqu'un pensera que je mets mon jugement à l' essor. Ce n' est point chose nouvelle, ains tres-ancienne, voire és matieres d' estoffe, que pour contracter alliance de l' un à l' autre, on usoit de quelques actes exterieurs. Les Empereurs és investitures qu' ils faisoient des Archeveschez, & Eveschez, investissoient les Archevesques & Evesques, en leur presentant un Anneau & une Verge, qui estoit un petit baston. Au droict ancien des Romains les demissions de la possession des choses venduës se faisoient per aes & libram, & depuis s' il estoit question de la vente d' une maison, nous en acquerions la possession par la tradition des clefs. Coustume qui s' est perpetuee jusques à nous: à l' imitation dequoy il y eut plusieurs Coustumes en Picardie, esquelles pour mettre un homme en possession de la chose par luy acquise, il prenoit tantost un petit baston, tantost un rameau, & en userent diversement: Car és Coustumes d' Amiens, Laon, Reims, & Arthois, cette possession & saisine qu' ils appelloient autrement Vest, se faisoit par la tradition d' un baston, que le vendeur mettoit entre les mains de l' Achepteur. En la Coustume de Chaulny il faut recevoir le baston par les mains du Juge. Par celle de l' Isle tout homme qui veut avoir quelque heritage par retraict lignager, se doit retirer pardevers le Prevost du lieu, & quatre Eschevins pour le moins, & là faire sa protestation, offrant or & argent à descouvert tant pour le sort principal, que loyaux coustemens. Quoy fait le Prevost ou son Lieutenant le doit mettre en possession de la chose par luy requise par raims & baston, sauf tous autres droicts, à condition que l' offre soit signifiee par un Sergent à l' acheteur dedans sept jours, a fin qu' il vienne consentir, ou dissentir le retraict. Voila des ceremonies qui en leur ancienneté peuvent estre trouvees estranges: & neantmoins je croy que cela advint a fin que tout ainsi que par la tradition des clefs le vendeur estoit estimé s' estre demis de la maison par luy venduë, aussi estant mal-aisé qu' és champs il n' y eust quelques arbres plantez, on pensoit qu' en tirant un baston, rameau ou buchette, qui faisoient part & portion d' heritage, c' estoit faire tradition reelle & actuelle d' iceluy. Et depuis comme avec le temps on saute fort aisément d' un penser à l' autre, ce qui avoit esté introduit pour les terres des champs, fut appliqué à toutes autres sortes d' heritages & possessions.

Or que le Vest se fist par la tradition d' un baston, toutes ces Coustumes y sont formelles: Mais que De vest se fist par la rupture d' iceluy, je n' en voy aucune qui en parle. Et toutesfois ne pensez pas que cela n' ait esté observé en quelques endroits. Car nous trouvons en Frinsingense, Exfusticare, pource que l' on dit autrement se demettre de sa possession, mot qui vient du Latin festuca, qui signifie le brin d' un jeune rameau. Nous avons du Latin festuca fait le mot François festu, que nous approprions aux brins de paille, de là si je ne m' abuse, est venu, que nous dismes premierement rompre le festu ou la paille, quand nous nous voulions departir d' une ancienne amitié. Et en cas non du tout semblable, mais aussi non du tout dissemblable, nous voyons qu' aux obseques de nos Roys, lors que l' on a fourny & satisfait à toutes les ceremonies, le Grand Maistre rompt son baston sur la fosse du deffunct Roy: Et apres avoir crié par trois fois: Le Roy est mort, on commence de crier: Vive le Roy, comme si la rupture de ce baston estoit le dernier Adieu que l' on prenoit du deffunct.

samedi 5 août 2023

8. 27. De ce que nous appellons nos creanciers, Anglois.

De ce que nous appellons nos creanciers, Anglois.

CHAPITRE XXVII.

Guillaume Cretin remerciant le Roy François premier de ce nom, de quelque argent qu' il luy avoit ordonné, par le moyen duquel il avoit acquité toutes ses debtes, entre autres choses, dict ainsi:

Marchans, taquins, usuriers, incredules,

Pour recognoistre, ou nier mes sedules,

Me firent hier adjourner, & citer,

Et aujourd'huy je fais solliciter

Tous mes Anglois pour mes debtes parfaire,

Et le payement entier leur satisfaire, 

Clement Marot dans l' un de les Rondeaux qu' il adresse à un sien fascheux creancier.

Un bien petit de prés me venez prendre

Pour vous payer, & si devez entendre

Que ne vey oncques Anglois de vostre taille,

Car à tous coups vous criez, baille, baille,

Et n' ay dequoy contre vous me deffendre

Un bien petit.

Vous voyez par ces vers que l' un & l' autre appelle ses creanciers Anglois: Et à vray dire ce mesme mot en cette signification, tombe en la bouche ordinaire du peuple, sans sçavoir dont procede cela: Toutesfois il est aisé d' en rendre compte, qui considerera les traictez qui ont esté faicts entre nous & eux. On les appelloit autresfois anciens ennemis de la France, & certainement non sans cause: Car depuis que Louys le Jeune eust esté si jeune, & mal conseillé de repudier Leonor fille unique & heritiere du Duc d' Aquitaine, & qu' elle se fust mariee avec Richard Roy d' Angleterre, il seroit impossible de dire combien se trouverent grands les Anglois au milieu de nous: Par ce que de leur chef, & ancien estoc, la Normandie leur appartenoit: Et cette Princesse avoit annexé de nouvel à leur Estat tout la Guyenne, Poitou, Anjou, Touraine & le Maine, qui n' estoit pas un petit martel en la teste de nos Roys, dont Philippes Auguste premierement nous garentit. L' alliance qui depuis fut faicte avec eux par le mariage d' Isabelle fille de Philippes le Bel, avec Edoüart, introduisit une pepiniere de guerres, contre Philippes de Valois, & ses successeurs. Et finalement la conqueste que fit sur nous Henry cinquiesme, & le mariage de luy avec Catherine fille de Charles sixiesme apporta presque la ruyne finale de l' Estat. Or comme ces entresuites de guerres desirassent de fois à autres quelques relasches, aussi furent faits divers traitez, tantost de paix, tantost de surseances d' armes à longues annees, esquelles nous n' espargnions les belles promesses, soit d' argent, soit de restitution de pays, tesmoin le traicté de Bretigny pour racheter nostre Roy Jean de prison. Toutesfois les Anglois se sont faict accroire que nous ne nous acquitasmes pas, ainsi que nos capitulations le portoient. Si cecy est veritable ou non, je m' en rapporte à la verité de l' Histoire: Tant y a que Froissard, qui ne favorise pas grandement les François, est de cette opinion. Et de là est venu à mon jugement que nous appellons Anglois ceux qui pensoient que nous leur deussions. Et à ce propos me semble digne de recit, une Histoire qui s' est passee de nostre temps: Vous sçavez les pourparlers qui furent pour le mariage de la Royne Elizabeth d' Angleterre avecques François Duc d' Alençon frere du feu Roy Henry troisiesme. Qui ne se faisoient à vray dire que par mines, & beaux semblans. Car il y avoit trop grande disproportion d' aages, & peu d' esperance d' enfans: Mais ayant l' un à conquester la Flandre, l' autre à conserver les terres qu' elle avoit conquises sur le Roy Philippes d' Espagne, ils estoient contents que l' on estimast ce mariage devoir estre fait entre eux. Or comme ce jeune Prince s' eschappoit souvent à soy-mesme, aussi voulut il faire cette belle saillie. Qui fut d' aller trouver la Royne d' Angleterre, accompagné seulement de cinq ou six de ses plus confidents serviteurs. Et comme il fut arrivé apres l' avoir salüee, cette Dame qui parle assez bien François, luy dist qu' il estoit venu fort à propos pour payer les debtes qui luy estoient deuës par nous, deliberant de le tenir ce pendant en ostage. Ce Prince du commencement estonné, ne sçachant si à bon escient, ou petit semblant cette parole estoit proferee, fut aucunement à se repentir de ce voyage si hardy. Mais la Royne ayant accompagné cette parole d' un doux sous-ris, le Duc luy respondit qu' il estoit venu non seulement pour ostage, mais pour tenir prison clause, comme celuy qui estoit vrayement son prisonnier: Et ainsi estant le mieux que bien venu, fut par plusieurs jours festoyé avec toutes les allegresses que l' on pourroit souhaiter.

dimanche 2 juillet 2023

6. 3. Des furieux Troubles qui advindrent en France sous le Regne de Charles sixiesme.

Des furieux Troubles qui advindrent en France sous le Regne de Charles sixiesme.

CHAPITRE III.

Ce que j' ay deduit au Chapitre precedent n' estoit que roze, au regard de ce que je deduiray maintenant. Mais parce que je veux donner toutes les façons que je pourray à sujet de si haute estoffe, je reprendray les choses de leur premier estre, & Dieu vueille que cecy puisse servir de leçons aux nostres, & qu' au milieu de nos Troubles, nous nous puissions faire sages aux despens de nos ancestres.

Comme le Roy faisoit un magnifique tournoy en son Hostel des Tournelles, qui commença l' apresdinee un jour de Feste-Dieu, le festin s' estant continué en banquets, & dances, jusques à une ou deux heures apres minuict, Messire Pierre de Craon, qui estoit aux aguets il y avoit quatre jours en une sienne maison pres le Cimetiere sainct Jean, se jette sur le Connestable de Clisson, son ennemy, retournant avec peu de compagnie en sa maison, lequel il blessa griefvement, & le pensant avoir tué, s' enfuit avec ses complices en la Bretagne. Soudain apres son partement, son procez luy est fait, & parfait, & par sentence de Folle-ville Prevost de Paris, du vingt-sixiesme Aoust, mil trois cens quatre-vingts douze, luy & tous ses adherans furent bannis de la France: Mais le Roy non satisfaict de cette condamnation, voulut en poursuivre la vangeance par voye de fait, deliberant d' assaillir la Bretagne, que Craon avoit choisie pour sa franchise: Mais comme il s' acheminoit à cette entreprise, avecques une puissante, & forte armee, Dieu permist que son esprit se troublast. Trouble qui apporta depuis de merveilleux Troubles en la France. Car deslors les Princes du Sang commencerent de vouloir donner voye à leur ambition, comme la bonde leur estant plainement ouverte. Clisson estoit l' un des principaux favoris du Roy, & de ce mesme party estoient le sire de la riviere, le Begue de Villenne, Jean le Mercier, sire de Montant, Jannet de Toute-ville, & Jean de Montagu. Le premier mets dont ils sont servis, fut par des lettres du vingt-cinquiesme Septembre mil cinq cens nonante deux, és presences des Ducs de Berry, Bourgongne, Orleans & Bourbon, par lesquelles le Roy leur oste tous les gages & pensions qu' ils avoient de luy. Et quelque peu apres firent emprisonner dans la Bastille les sieurs de la Riviere & Montant, puis eslargir en l' an ensuyvant, à la charge qu' ils seroient tenus de vuider le Royaume. Ayans les Princes nettoyé la Cour de tous les Mignons du Roy, ils commencerent de tramer une plus grande entreprise. Car pour bien dire ils n' avoient plus contre qui buter, que contr'eux mesmes. Chacun d' eux desiroit de manier les affaires à l' envy l' un de l' autre. Celuy qui attouchoit de plus pres de proximité de lignage le Roy, estoit Louys Duc d' Orleans son frere, le Roy ayant quelque relasche de son mal, le fit superintendant general de toutes les Finances de la France. De telle sorte qu' il n' estoit loisible d' en disposer sans son Ordonnance. Certainement c' estoit mettre par un furieux (si ainsi m' estoit permis de le dire) un glaive és mains d' un autre furieux. Parce que ce jeune Duc estoit un Seigneur volontaire, qui croyoit plus ses opinions qu' il ne devoit. Il n' y eut Prince du Sang qui ne fust grandement jaloux de cette grandeur extraordinaire. Mais sur tous, Philippes Duc de Bourgongne son oncle, & comme ce jeune Prince pensast estre au dessus du vent, aussi dés sa premiere desmarche il fit plusieurs pas de clerc: Car ne considerant qu' il estoit abbayé des autres, il voulut sous main affoiblir les monnoyes, & meit dés son arrivee une taille extraordinaire sur le peuple: Non content de ce, il voulut s' allier avecques Pierre de la Lune, qui siegeoit en Avignon, sous le nom de Benoist treiziesme, contre lequel quelques ans auparavant le Parlement, par l' advis de l' Université de Paris, avoit jugé la substraction de l' Eglise Gallicane. Et de faict il l' alla voir de propos deliberé jusques en Avignon, luy promettant tout confort & aide encontre l' Université. Cette puissance extraordinaire d' un costé avoit excité l' envie des grands encontre luy: Cette imposition nouvelle de taille, l' inimitié du commun peuple, & la conference avecques Benoist, la haine de l' Université de Paris. Le Duc de Bourgongne s' opposa à la taille que l' on avoit imposee dessus ses pays, & d' une mesme main trouvant le Roy à son appoinct en l' an mil quatre cens trois, se fit donner pareil pouvoir sur les Finances, que celuy du Duc d' Orleans. Deslors l' on veit deux partis formez par la France: Tellement que le Connestable & le Chancelier craignans que les choses s' acheminassent à pis, vindrent lors en la Cour de Parlement, puis en la Chambre des Comptes prendre le serment de fidelité de tous les officiers: Grande querelle entre ces deux Princes pour le gouvernement, prests d' en venir aux mains, grande assemblee de gens d' une part & d' autre: Toutesfois sur ce que Louys promist que le Royaume seroit gouverné par la Royne, & tous les Princes du Sang, les choses se pacifierent entr'eux pour quelque temps. Sur ces entrefaites meurt Philippes Duc de Bourgongne, qui delaisse Jean son fils, successeur tant de ses estats que de cette querelle intestine. Tout ce qui s' estoit passé estoit adoucir le mal & non le guerir. La Royne Isabelle de Baviere, & le Duc d' Orleans estans à Melun, envoyent querir le Dauphin à Paris. Le Duc de Bourgongne l' empesche, disant qu' on le vouloit enlever de la France, pour le transporter en Allemagne. En fin accord par l' entremise des autres grands Seigneurs, & specialement du sieur de Mont-agu Grand Maistre: Et pour penser les divertir de ces opinions, il fut advisé que ces deux Princes iroient guerroyer l' Anglois, l' un en Angleterre, l' autre à Calais, ce qu' ils firent: mais aussi tost reprindrent le chemin de Paris, où advint l' accomplissement de mal-heur: Parce qu' en mil quatre cens sept, deuxiesme de Novembre, le Duc d' Orleans estant party de son Hostel, prés sainct Paul sur les huict heures du soir, pour aller voir la Royne qui estoit en couche, à son retour il est meurdry pres la porte Barbette en la vieille ruë du Temple par dix assassins, conduits par Raoullet d' Orqueton-ville. Ils avoient esté seize jours cachez en une maison, lesquels à l' instant se retirerent en l' Hostel d' Artois, pour leur servir de franchise. Le Duc d' Orleans assassiné, ce meurtre produisit une grande rumeur parmy le peuple, d' autant que l' on sceut à l' instant mesme qu' il avoit esté procuré par le Duc Jean, lequel se trouvant estonné partit tout aussi tost de la ville, & prit la route de ses pays. Peu apres la Doüairiere d' Orleans demanda justice au Roy, lequel s' y disposa avec tout son Conseil. Quelques Princes parens & amis du Duc Jean luy conseilloient, ou de nier tout à plat qu' il eust esté participant du delict, ou s' il le vouloit recognoistre, pour le moins qu' il y procedast par humbles supplications, comme estant le vray moyen de pacifier toutes choses. Du commencement il fut en balance, mais apres avoir donné lieu à son second penser, il se resolut de soustenir devant le Roy, que non seulement il en avoit esté l' autheur & promoteur, mais qui plus est, que justement il l' avoit faict: Parce que le Duc d' Orleans avoit conspiré la mort du Roy par plusieurs voyes sinistres. Et sur cette resolution vint à Paris, pour ne donner occasion à ses ennemis de s' advantager prés du Roy par son absence, amenant avec luy Maistre Jean Petit Theologien, grand Prescheur, qui soustint cette proposition tant en la presence du Roy, que depuis au Parvy nostre Dame, devant tout le peuple. Cette cause plaidee devant le Roy en l' an mil quatre cens huict, la Doüairiere d' Orleans eut pour son Advocat Maistre Guillaume Cousinot. L' assassin commis en la personne du Duc d' Orleans estoit abominable devant Dieu & devant les hommes. Toutesfois la haine publique que la ville de Paris avoit acueillie contre luy, pour les raisons cy dessus touchees, fut de tel effect, que le Duc de Bourgongne non seulement fut excusé, mais qui plus est grandement loüé: Les Prescheurs de Paris se rendans protecteurs dans leurs chaires de ce cruel meurdre. Qui fut cause que la Duchesse d' Orleans voyant ses affaires ne luy succeder comme elle s' estoit promis, quitta la Cour du Roy, retournant en sa maison où elle mourut de dueil quelque temps apres, laissant trois enfans masles mineurs, Charles Duc d' Orleans, Philippes Comte de Vertus, & Jean Comte d' Angoulesme. Et par sa mort fut la cause grandement affoiblie. On commence d' adoucir les choses, plus par crainte que par Justice, dedans la ville de Chartres, où fut concluë une paix entr'eux, moyennant laquelle Louys Dauphin de France, & Duc de Guyenne espousoit la fille du Duc Jean, & Charles Duc d' Orleans, Isabelle fille de Charles VI. Le Cardinal de Bar apporta un Messel ouvert, sur lequel ils jurerent l' entretenement de cet accord: mais un bouffon qui là estoit present, fit un plaisant traict: Car à l' instant mesme il leur presenta une paix bordee de fourrure, & la leur fit baiser, disant, que c' estoit une paix fourree.

Dés lors le Bourguignon estimant estre au dessus du vent, commence d' empieter le gouvernement de toutes les affaires au prejudice de tous les autres Princes du Sang. Qui les occasionna de se joindre avec les Orleannois, lesquels couvuoient tousjours une vangeance dedans leurs poictrines. On faict une seconde paix au Chasteau de Vincestre en l' an mil quatre cens dix. Paix toutesfois qui fut si courte, que l' on ne la remarque point bonnement pour telle: parce que nonobstant icelle le Duc Jean fait decerner mandement sous le nom du Roy à tous Seneschaux & Baillifs de lever gens contre ces Princes: Eux d' un autre costé se voyans ainsi mal-menez, font entreprise sur Paris, laquelle n' ayant reüssy se retirerent au pays de Berry, & de Bourbon, les Comtes d' Alençon, d' Armignac, & d' Albret, Messire Jean de Bar frere du Duc de Bar, tous lesquels portoient la Bande pour remarque de leur association, & manderent à leur secours les Anglois contre le Duc Jean qui masquoit toutes ses actions de l' authorité du Roy, qu' il possedoit, assisté des Ducs de Guyenne, Lorraine, Baviere, de Bar, & Comte de S. Paul.

Dés lors on commença d' appeller les Orleannois, tantost Bandez à cause de la Bande qu' ils portoient, tantost Armignacs, d' autant que comme il est à croire le Comte d' Armignac estoit l' un de ceux qui se faisoit plus craindre aux Bourguignons. Le Duc Jean ne se voulut point seulement armer du pretexte du Roy, mais aussi fit estat des Bourgeois de Paris, & entr'eux des Bouchers, dont les plus signalez furent les Gois, les Saintions, les Tiberts, lesquels prindrent l' enseigne du Bourguignon, qui estoit la Croix sainct André, & sous la conduitte du Gois, ruinerent le Chasteau de Vincestre, appartenant au Duc de Berry, de la façon comme nous en voyons encores pour le jourd'huy les ruines. Le Duc de Bourgongne qui prenoit tous les advantages pour soy, faict courir un bruict, que tous ces Princes s' estoient assemblez au pays de Berry pour y creer un nouveau Roy. Le Roy le croyant, en escrit à l' Université, luy commandant de prescher pour luy, & d' une autre main on les declare en plain Parlement crimineux de leze Majesté, & tous leurs biens acquis & confisquez au Roy. Pour executer cet arrest plusieurs Capitaines sont depeschez pour lever gens, mesmes l' on charge l' Oriflambe, que l' on ne portoit à la guerre qu' aux extremes necessitez. Le siege est mis devant la ville de Bourges, qui prit long traict: pendant que les affaires se manioient de telle façon, jamais ne fut plus grande fureur dans Paris, où l' on excommunioit les Dimanches aux Prosnes les Armignacs, & en quelques lieux ils furent excommuniez à clochettes sonnans, & chandelles allumees que l' on esteignoit. On mettoit aux ornemens des Images la Croix sainct André, de laquelle plusieurs Prestres usoient en faisant les ceremonies de la Messe, ou baptizans, tant ils estoient acharnez à ce party: à peine osoit-on donner Baptesme aux enfans de ceux que l' on soupçonnoit estre des amis des Armignacs. Si un homme riche avoit un ennemy, il ne falloit que crier apres luy, voila un Armignac, & aussi tost estoit sa maison saccagee: Voila comme la ville de Paris se gouvernoit pendant le siege de Bourges, lequel se tirant à long traict, finalement Louys Dauphin Duc de Guyenne, ayant entendu que les Anglois venoient pour secourir leurs ennemis, fait parler de paix, qui est concluë & juree dans la ville de Bourges, & depuis confirmee dedans celle d' Auxerre par les Princes d' Orleans, qui estoient absens lors du traicté. Jamais paix ne fut plus solemnelle que cette-cy, parce que l' on y manda plusieurs Seigneurs du Parlement, de la Chambre des Comptes, de l' Université de Paris, le Prevost de Paris, le Prevost des Marchands, & Eschevins, & plusieurs deputez des autres villes, tous les Princes jurerent sur les Evangiles de l' entretenir, ils s' entrevoyoient & joüoyent ensemble, mesmes les Ducs d' Orleans & de Bourgongne furent veus se promener ensemblement sur leurs chevaux par la ville, qui sembloit promettre une asseurance de reconciliation entre eux, & par mesme moyen de repos general par toute la France: Mais le Diable qui s' estoit mis en possession de leurs cœurs, l' empescha. Par cette paix chacun devoit r'entrer dans tous ses biens, Offices, & Benefices. Cela demeura pour la plus grande partie inexecuté. Le Roy retourne dans Paris, suivy des Ducs de Berry, Bourgongne, Bourbon, & Comte de Vertus. Quant au Duc d' Orleans, il reprit le chemin de sa maison.

Jusques icy les affaires s' estoient menees de cette façon par l' ambition detestable du Duc de Bourgongne, qui pour empieter le gouvernement des affaires, avoit premierement fait tuer Louys Duc d' Orleans frere du Roy: Surquoy fut faite la premiere paix entre les Princes dedans Chartres: Depuis voulant enjamber sur l' authorité des Ducs de Berry, Bourbon, & autres Princes du Sang, il leur avoit fait quitter la place, lesquels s' estoient retirez avec le jeune Duc d' Orleans & ses freres. Qui causa puis apres la seconde paix de Bourges confirmee en la ville d' Auxerre. Restoit de s' attacher encores au haut point, c' estoit au Dauphin de France son gendre. Ce jeune Prince commençoit de croistre d' aage, & estant ordinairement assisté de tous les Princes du Sang, le Duc de Bar, le Duc Louys de Baviere, & Philippes Comte de Vertus luy conseillerent de prendre la charge des affaires, que son rang, son aage, sa suffisance luy commandoient de ce faire. A quoy il presta volontiers l' oreille, comme aussi y avoit il ja quelque temps que les deportemens du Duc de Bourgongne son beau-pere commençoient de luy desplaire. Tellement qu' il desapointa Maistre Jean de Nesle Seigneur de Olain son Chancelier, pour quelques paroles aigres qu' il avoit euës avec Messire Arnaut de Corbie Chancelier de France. Le Duc de Bourgongne voyoit que tous ces preparatifs se faisoient pour le desarçonner du credit qu' il avoit occupé pres du Roy, au moyen dequoy voyant une taisible ligue qui se faisoit contre luy par tous les princes du sang, mesmes par le fils aisné de France, il attacha toute sa fortune au peuple de Paris, je dy à ceux qu' il cognoissoit estre les plus seditieux de la ville: En cette nouvelle faction Lionnet de Jacqueville creature du Duc de Bourgongne prit tiltre de Lieutenant general de la ville, cestuy secondé d' un Jean Caboche escorcheur de Boeufs, de Maistre Jean de Troyes Chirurgien de Paris, Concierge du Palais, & Denys Chaumont, suivis d' une grande troupe de populace, viennent en la maison du Dauphin, là le somment pour le bien du Roy, de luy & du Royaume, qu' il eust à leur deliurer plusieurs traistres qui estoient chez luy. Et apres plusieurs contrastes, en fin fut contrainct de mettre en leurs mains, Messire Jean de Vailly son nouveau Chancelier, Edoüard Duc de Bar, cousin germain du Roy, Messire Jacques de la Riviere frere du Comte de Dampmartin, & plusieurs autres de ses favoris. A cette execution estoit present le Duc de Bourgongne, auquel le Dauphin se plaignit fort aigrement, luy imputant toute cette conjuration. Ces Seigneurs leur estant baillez, ils meirent gardes au logis du Dauphin, à ce qu' il ne peust deguerpir la ville, & en conduisans ces prisonniers firent trois ou quatre meurtres signalez de quelques uns qui se presenterent devant eux, comme estans du party contraire. Cela ne fut qu' un premier coup d' essay, car en apres fortifians leur dessein de plus en plus sous l' authorité du Duc Jean qui les instiguoit à ce faire, ils demanderent audience au Roy, suivis de dix ou douze mille Bourgeois, & presenterent un rolle au Dauphin, contenant les noms, & surnoms de ceux qu' ils vouloient leur estre liurez, entre lesquels estoit Louys de Baviere frere de la Royne Isabelle. Qui tous leur furent baillez & constituez prisonniers, tellement que la Bastille & le Louvre regorgeoient de la multitude des Seigneurs qui y estoient: On leur baille douze Commissaires pour faire & parfaire leurs procez, entre lesquels fut Messire Pierre des Essars, auquel je veux particulierement bailler un placart, pour servir de fidele exemple à tous ceux qui se rendent induëment ministres des passions des Princes. Cestuy avoit esté Gentil-homme de la maison du Duc de Bourgongne, qui le fit Prevost de Paris, par la destitution de Folle-ville, a fin d' avoir un Seigneur à sa devotion dans Paris, comme à la verité il l' eut, car l' espace de trois ou quatre ans les commandemens du Duc Jean son Maistre estoient la seule justice qu' il exerçoit: & de faict pour luy gratifier, il fit decapiter injustement, le grand Maistre de Montagu sans ordre judiciaire, apres l' avoir plusieurs fois exposé à la gesne, luy qui avoit auparavant tenu l' un des premiers rangs pres du Roy, & la principale faute dont on l' accusoit, estoit qu' il avoit abusé des Finances de France l' espace de dix ou douze ans. Or voyez je vous supplie, comme Dieu vengea puis apres cette injustice, mais avec une grande usure. Des Essars estoit arrivé aux grands honneurs, car il fut fait grand Bouteiller de France, Grand Maistre des Eaux & Forests, Superintendant general des Finances: Bref, toutes choses passoient par son entremise: Le Duc de Bourgongne eut opinion qu' au pourparler de paix de Bourges il avoit tourné sa robe, & donné advis aux Princes qu' il les vouloit faire mourir s' ils n' y prenoient garde: soit que cela fust veritable, ou non, ou bien qu' il fust las de son amitié, tant y a qu' il commença de l' esloigner de ses bonnes graces. Qui fut cause que des Essars se retira au Chasteau de Chierbourg, toutesfois depuis il revint dans Paris, sous l' asseurance que luy bailla le Dauphin, & se logea dans la Bastille, dont il estoit Capitaine: Si ne peut-il si bien faire, qu' en fin il n' en sortist par doux allechemens & belles promesses: A peine en estoit-il sorty, qu' il fut constitué prisonnier en la Conciergerie du Palais. Il y avoit douze Commissaires du tout voüez aux passions du Duc de Bourgongne, pour faire & parfaire le procez à tous ces nouveaux prisonniers, & specialement à Pierre des Essars, pour avoir mal manié les Finances du Roy: Cestuy recommandé par dessus les autres, fut aussi condamné des premiers, mais avec un Arrest fort estrange: Car les autres en furent quittes pour leurs testes sur un eschaffaut (qui n' est pas un petit gage de nos vies) mais à cestuy, on y adjousta quelques traits d' ignominie, avant que de le faire mourir, desquels Monstrelet n' a fait aucune mention: Mais dans les memoriaux de Maistre Nicole Baye Greffier au Parlement de Paris, je trouve qu' il fut trainé sur une claye, la teste raze depuis la Conciergerie du Palais, jusques aux Halles, où il fut decapité. Voyez combien les jugemens de Dieu sont grands. Cestuy pour gratifier au Duc de Bourgongne son Maistre, avoit fait mourir le sieur de Montagu, & maintenant à l' instigation du mesme Prince il meurt: l' autre fut condamné à mort sous un pretexte d' avoir mal mesnagé les Finances du Roy, & cestuy pour mesme raison, & finalement la verité est que Montagu fut mis en chemise lors qu' il fut decapité: icy la male fortune de des Essars r'envie sur cette honte, estant trainé sur une claye & razé devant sa maison, auparavant que d' arriver au lieu du dernier supplice. Quelques autres furent aussi executez. Messire Arnaut de Corbie, qui avoit avec toute integrité exercé l' Estat de Chancelier l' espace de vingt deux ans, fut desapointé, & en son lieu surrogé Maistre Eustache de Laistre President des Comptes, creature du Duc de Bourgongne. Tout cela se faisoit à la barbe des Ducs de Guyenne, Berry, & autres Princes, sans qu' ils osassent les contredire. L' Université estoit lors en grand credit, laquelle desauoüa tout ce qui avoit esté faict. Chose qui commença de leur faire reprendre leurs esprits, & de faict ils avoient adverty sous main les Ducs d' Orleans, Bretagne, & Bourbon, de s' armer pour secourir le Dauphin, que l' on tenoit en telle serre, qu' il estoit comme prisonnier en sa maison, & encores les sieurs de Baviere & de Bar, qui estoient en une tres-estroite prison. Ces Princes recommencent de lever gens à Vernueil, & depuis s' acheminent à Pontoise. Je vous supplie jetter vos yeux sur les mysteres de Dieu, & comme quand il veut il fait esvanoüir en fumee tous les conseils que nous pensions avoir bastis à chaux & à sable. Jamais Prince n' avoit gaigné tant d' authorité sur le peuple au prejudice du Roy, & des siens, comme le Duc de Bourgongne. La plus part des autres Princes s' estoient pour les deportemens extraordinaires de luy, bannis volontairement de la Cour & presence du Roy: & quant aux autres, les uns estoient prisonniers, qui avoient Juges pour leur faire leur procez, les autres bien qu' ils ne fussent proprement gardez, si estoient-ils tellement regardez par uns Jacqueville, Caboche, de Troyes, & autres seditieux de la populace, qu' il n' y avoit point grande difference entre les gardez & les regardez. Les Princes de Baviere & de Bar destinez à la mort, plusieurs autres pauvres Seigneurs se trouvoient de mesme party. Tout cecy se voyoit, les gens de bien lamentoient dans leurs ames, mais nul n' osoit lever seulement les *yeux pour faire contenance de le trouver mauvais. Comme les Juges estoient sur le point d' interposer leurs jugemens à l' apetit de leur Maistre: un seul homme de robe longue osa prendre la querelle du repos public en main: Histoire certes memorable.

Maistre Juvenal des Ursins Advocat du Roy au Parlement, personnage de singuliere recommandation avoit esté autresfois Prevost des Marchands de Paris, je dy lors que la Prevosté fut restablie: Car comme vous pouvez sçavoir, elle avoit esté supprimee pour la journee des Maillotins, advenuë contre les Daciers du Roy. Suppression qui dura plusieurs ans, estant cette authorité unie en la personne du garde de la Prevosté de Paris, & apres quelques annees remise pour l' exercice d' icelle fut choisi Maistre Juvenal, pour les singulieres vertus qui reluisoient en luy, Estat qu' il exerça plusieurs annees, pendant lesquelles il se rendit infiniment agreable au peuple, je luy ay voüé un chapitre à part, a fin de n' embarrasser cestuy-cy de conte sur conte. Il fut depuis appellé à l' Estat d' Advocat du Roy, & pour la necessité de sa charge avoit souvent l' oreille du Roy, lequel lors qu' il estoit en son bon sens portoit fort impatiemment tous les deportemens du Duc Jean: Mais les affaires estoient arrivees en tel desarroy qu' il n' en eust osé parler qu' à ses confidens, entre lesquels estoit le Seigneur des Ursins. Celuy estant en perpetuel pensement de remettre les affaires de sa ville sus, se presenta souventesfois au Duc Jean, le priant tres-instamment qu' il luy pleust assopir toutes ces seditions, & comme une fois entr'autres le Duc luy eust faict response qu' il ne tenoit pas à luy, & ne demandoit autre chose, Juvenal des Ursins avec une hardiesse inestimable, luy remonstra que pour y parvenir il falloit deux choses, l' une qu' il recogneust avoir mal fait, faisant mourir le Duc d' Orleans, & ne fust-ce que pour les maux qui en estoient depuis survenus, l' autre qu' il esloignast de soy cette vermine de Bouchers, & le faisant qu' il trouveroit cinq cens notables Bourgeois qui luy assisteroient en toutes ses affaires. A quoy le Duc respondit, que pour le regard du premier, il ne le vouloit, & quant au second il ne le pouvoit, ny ne devoit faire: Pour cela ce preud'homme ne se rend, mais ayant toute sa fiance en Dieu, advint une nuict entr'autres que comme il dormoit, il eut perpetuellement en sa bouche ce verset de David, quand il exhorte ceux qui mangent du pain de douleur & tristesse de se lever. Et à son resveil sa femme luy dit qu' il n' avoit fait toute la nuict que resuer & ravasser à ce Pseaume. Ce sage Seigneur prenant cela pour un bon & certain augure de ce qu' il devoit faire, s' advise de pratiquer quelques Quarteniers gens de bien, & les voyant disposez à son opinion, il s' achemine droict vers le Roy qui lors joüyssoit de quelques heures de son bon sens, luy remonstre que le Duc d' Orleans & ses partissans estoient au Pont de l' Arche, & que ce seroit une chose fort necessaire pour son service & conservation de son Estat, de pacifier toutes choses. Il ne falloit grandement hocher la bride aux autres Princes, parce qu' ils avoient esté cause que les Orleannois s' estoient remis sur les champs: C' est pourquoy le Roy commanda que l' on dressast des articles de paix: Ce que le Duc Jean voulant empescher, faict par les Cabochiens, qui soustiennent qu' il n' y falloit nullement entendre, sinon que l' on envoyast premierement aux autres une liste de tout ce qu' ils avoient meffait, a fin qu' ils entendissent la grace qu' ils recevroient du Roy en paix faisant. Qui estoit en bon langage une traverse pour rompre toute pacification. Des Ursins qui voyoit cela, ne fit pas grande instance au contraire, mais dist que le meilleur seroit de s' assembler pour cet effect en l' Hostel de ville. Cette proposition populaire ne peut estre par eux contredite. L' assemblee se fait, où le rolle est representé par les Cabochiens contenant un ample discours de tout ce qu' ils vouloient imputer aux Armignacs, ou Orleannois: Mais quelques uns suscitez par des Ursins, furent d' advis qu' il falloit communiquer cela par chaque quartier, où se feroit autre assemblee particuliere des dizaines, pour puis le tout rapporté au Bureau general de la ville, en estre ordonné ce que l' on trouveroit le meilleur. Chose qui estoit empeschee par les Gois, & Sanctions, & Tiberts Bouchers, avecques paroles de brauade. Les choses en arriverent à tel poinct, qu' un Guillaume Cicasse Charpentier, Quartenier, demeurant au Cimetiere sainct Jean leur respondit brusquement, Que s' ils pensoient d' une puissance absoluë maistriser la ville, il y avoit autant de frappeurs de Congnee, que d' assommeurs de Boeufs & Vaches dans la ville: Et sur cette parole, pour eviter plus grande noise, fut arresté que l' on en parleroit par les quartiers. Ce cartel depuis envoyé à tous les Quarteniers, voicy ce qui advint. Au quartier de la Cité estoit Jean de Troyes, cestuy estoit lors Eschevin & Quartenier en la Cité, Concierge du Palais, & à peu dire l' un des chefs de tous les Cabochiens, il assemble tous les principaux Bourgeois de son Quartier, toutesfois se donna bien garde d' y faire appeller le Seigneur des Ursins, qui y avoit sa demeure, sçachant que ce luy eust esté un destourbier à ce qu' il projettoit de faire. Pour cela des Ursins ne laisse de poursuivre sa premiere pointe & de s' y trouver. Chose que l' on ne pouvoit trouver mauvaise pour le rang qu' il tenoit. En cette assemblee Jean de Troyes s' advise de proposer un nouvel advis, non du tout sans apparence. Qui estoit qu' il seroit tresbon de presenter au Conseil du Roy ce cartel: s' asseurant que nul des Seigneurs n' eust osé desdire le Duc Jean: mais Juvenal des Ursins qui descouvrit cette embusche, soustint que pour parvenir à une bonne paix il falloit oublier tous les maltalens d' une part & d' autre, & fut passé par cette opinion qui courut depuis de bouche en bouche par tous les autres quartiers où la conclusion fut de mesme, nonobstant l' effort des Bouchers. C' estoit par un sage conseil combatre le peuple par le peuple, qui n' est pas un petit secret en matiere de seditions. Les choses luy estans de cette façon succedees à son desir, il s' achemine vers le Roy avec trente notables Bourgeois, & luy raconte comme le tout s' estoit passé, & qu' il ne restoit plus que d' y interposer son authorité, mais que le meilleur seroit qu' il s' en voulust reposer sur le Dauphin. Ce que le Roy trouva bon, & non le Duc de Bourgongne, auquel cet affaire pesoit, qui dist au sieur des Ursins que ce n' estoit pas la voye qu' il y falloit tenir, lequel avec une honneste hardiesse, luy respondit: Excusez moy mon Seigneur, vous en verrez bien tost l' issuë, & de ce pas, suyvant le commandement du Roy il va trouver le Dauphin, auquel apres avoir le tout discouru, il l' exhorte de se charger de cette affaire, & que s' il le faisoit, toutes choses s' achemineroient à une paix. L' ayant disposé à ce conseil, il luy donne advis de se saisir des clefs de la Bastille & du Louvre, qui estoient és mains du Duc Jean. Ce qu' il fit, & le lendemain il se promene par la ville, suivy du Duc de Berry, du Recteur, des supposts de l' Université, & de plusieurs autres Seigneurs, mesmes du Sieur des Ursins, qui tenoit le gouvernail de cette entreprise. La presence de ce Prince estonna tellement ces desesperez Bouchers, que le cœur leur faillit en un instant, & les portes tant de la Bastille, que du Louvre, furent, si ainsi le faut dire, ouvertes d' elles mesmes aux pauvres prisonniers, entre lesquels estoient les sieurs de Bar, & de Bavieres, le lendemain reservez à la mort, si Dieu ne les eust regardez d' un œil de pitié. A la suitte du Dauphin estoit Gervaisot Dionnois Tapissier, qui rencontra Jean de Troyes accompagné de plusieurs de sa faction, contre lequel il desgaina son espee, & luy dit: Paillard, à ce coup me vangeray-je de toy, & des tiens: A laquelle parole les Cabochiens furent si confus qu' en un tour de main ils se disparurent, sans plus oser lever la teste. Quelques uns estoient d' advis de les poursuivre, & de fermer les portes de la ville pour en faire un piteux massacre: mais le Seigneur des Ursins l' empescha, disant qu' il leur seroit mal-seant d' acquerir une paix par le sang de leurs concitoyens. De là ils s' en vont en l' Hostel de ville, où par le commandement du Dauphin, cet homme de bien fit un long discours des seditions qui s' estoient passees, & qu' il les falloit oublier. Pour conclusion il fut ordonné que André de Parnom Prevost des Marchands, & deux des Eschevins demeureroient. Mais quant à Jean de Troyes, & du Belloy, ils seroient ostez, & en leur lieu mis Guillaume Cicace, & Gervaisot Dionnois Quarteniers. Sur cela la paix est faite, & concluë   avec les Ducs d' Orleans, Bourbon, & autres Seigneurs, qui lors estoient dans Pontoise, c' est pourquoy on l' appella la paix de Pontoise. Le Duc de Bourgongne s' en fuit, le semblable firent Jacqueville de Laistre, de Troyes, Caboche, & les Bouchers, & aussi tous ces Juges qui avoient esté commis pour faire le procez aux Seigneurs de Baviere, & de Bar, & autres prisonniers, & commença l' on devoir une nouvelle face d' affaires: Parce qu' au lieu du Bourguignon, les Ducs d' Orleans, Berry, Bourbon, Alençon, Comtes de la Marche, Richemont, Armignac, & Vendosme commencerent de gouverner. Et quant aux offices de marque, il n' y eut que le Chancelier de Laistre desapointé, suppost du Duc de Bourgongne, & fut pourveu de son estat Messire Henry de Merle premier President, & du sien, Maistre Robert Mauger, qui aussi estoit President: De Celuy de Mauger, Maistre Jean Vailly Chancelier du Dauphin, en la place duquel fut mis Maistre Juvenal des Ursins: & là où auparavant dans Paris on avoit chargé la Croix sainct André en faveur du Duc de Bourgongne, on commença lors de porter la Bande, qui estoit le signal, & remarque des Orleannois.

Grande pitié, qu' il est plus mal-aisé de supporter sa bonne, que mauvaise fortune, jusques là tout s' estoit passé par une modestie admirable: Depuis le peuple commença petit à petit d' y vouloir apporter du sien, & par mesme moyen de l' insolence, qui gasta tout. Il n' y a animal plus farouche, & fort en bride qu' une populace enflammee, qui pense ne pouvoir estre controllee par le Magistrat. En l' an 1414. l' on fait une confrairie de S. Laurent dans les Blancs Manteaux, où se trouverent le 3. d' Aoust quatre cens hommes tous bandez: Car aussi portoit elle le nom des bandez. Le 4. Septembre il advint qu' un jeune homme ayant osté une bande qui avoit esté mise à l' image S. Eustache, & l' ayant mise en pieces, en despit de ceux qui la luy avoient baillee, fut aussi tost pris, & par sentence du Prevost de Paris, eut le poing couppé sur le Pont Alais devant l' Eglise S. Eustache. Le Roy leve l' Oriflambe, qu' il met és mains de Messire Guillaume Martel Seigneur de Baqueville, en deliberation de guerroyer le Duc de Bourgongne: Et comme les affaires se manioient en cette façon, Louys Dauphin, avec les Princes & Seigneurs, esloigne du Conseil la Royne Isabelle de Baviere sa mere, & luy amoindrissant son Estat, la confine en la ville de Tours. Le Duc Jean qui n' avoit autre chose en teste que de r'entrer par quelque moyen que ce fust, prenant cette disgrace à son advantage, s' empare des villes d' Amiens, Abbeville, Senlis, Montdidier, Montlehery, Corbeil, Pontoise, Chartres, Tours, Mante, Meulan, & Beauvais: Et en toutes ces villes deffendoit de payer aides, & subsides, fors du sel, qui estoit un moyen asseuré pour gaigner du commencement le peuple, & luy causer puis apres sa ruine. Et establit en la ville d' Amiens un Parlement, dont les Arrests se deliureroient sous le nom de la Royne Isabelle, prenant tiltre & qualité de Regente en France, & y establit pour premier President, Messire Philippe de Morvilliers.

Pendant cette grande desbauche l' Anglois, qui n' esperoit autre chose que de s' aggrandir par nostre ruine, vint descendre au pays de Normandie avecques une puissante armee, la premiere ville qu' il prit fut Harfleu. Toutesfois apres quelque sejour estant assiegé de la faim, il vouloit reprendre les brisees de son pays, moyennant que ce fust bagues sauves. Les jeunes Princes de France n' en furent d' advis, ils combattent pres d' Azincourt le vingtdeuxiesme jour d' Octobre 1415. & sont vaincus, & là demeurerent sur la place quatre mille des nostres: & entr' autres furent tuez les Ducs d' Alençon, de Bar, & Brabant, le Connestable d' Albret, les Comtes de Vendosme, de Merles, de Nevers, & une infinité de grands Seigneurs pris, mesmes les Ducs d' Orleans, & de Bourbon: apres cette victoire l' Anglois se rendit maistre de plusieurs villes de la Normandie. Jamais la France ne s' estoit veuë en un plus piteux desarroy. Le Dauphin s' estoit ligué contre sa mere, elle encontre son mary, plusieurs Princes qui tuez, qui pris, la fleur de nostre Noblesse perduë, & une bonne partie de la Normandie. A la suite de cela, Louys Dauphin meurt, & quelque peu apres, Jean son frere qui le secondoit d' aage, comme pareillement Jean Duc de Berry aagé de 90. ans. Le Roy mal disposé de son esprit, abandonné presque de tous les siens, fors de Charles Dauphin, qui luy restoit seul de ses enfans masles. Adoncques le Duc Jean conduit de son ambition ancienne, estimant qu' il avoit plus beau jeu que jamais, commence d' ourdir cette tresme. Il y avoit deux de ses freres tuez en la bataille d' Azincourt, il leve gens, disant qu' il vouloit vanger leur mort contre l' Anglois: mais les Seigneurs qui estoient prés du Roy voyans que c' estoit contr'eux qu' il vouloit descocher les flesches, firent decerner lettres Patentes, par lesquelles le Roy deffendoit à tous Princes de son Sang l' entree de Paris. Sur cela on ferme les portes de Meaux au Duc Jean, y voulant entrer. Le Roy depesche Maistre Simon de Nanterre, & Jean de Vailly Presidens, pour luy faire entendre sa volonté, qui estoit qu' il ne passast outre: Mais il leur respondit brusquement qu' il n' y obeyroit, sinon de tant, & entant que l' honneur, & profit du Roy le permettoit.

Ceux qui gouvernoient lors le Roy estoient en tres-mauvais mesnage avecques les Parisiens, tant pour l' amitié ancienne qu' ils avoient porté au Duc de Bourgongne, dont ils se voyoient frustrez, que pour le mauvais succez des affaires qui estoit advenu à Azincourt pendant leur gouvernement. On commence de brasser une conjuration encontr'eux, qui estoit telle. Il y avoit gens apostez qui devoient à certain jour courir par la ville, & crier, A l' aide au Roy, & au Dauphin. Et en cette esmeute tuer tous ceux qui estoient soupçonnez de porter le party des Bandez. Cecy estant descouvert, le Parlement y met ordre le 5. Decembre 1415. & l' unziesme ensuyvant l' on reçoit advis que Jean venoit à main armee, & fut pris un Paticier qui luy avoit mandé de se haster: Parce qu' il y avoit cinq cens hommes à sa devotion dans Paris. Maistre Almery d' Orgemont Conseiller au grand Conseil, & President des Comptes, fils du Chancelier, & frere du feu Evesque de Paris, se trouve des premiers de cette conjuration. Son procez luy est fait & parfait au Parlement. Et par Arrest du dernier jour d' Avril ensuivant 1416. il fut amené de la Bastille en l' Auditoire du Chapitre de Paris, & de là conduit en un Tumbereau aux Halles avec Robin le Geay, & Renaut Millet, lesquels en sa presence furent decapitez, & luy rendu à son Evesque pour le faire raire, & declaré attaint & convaincu du crime de leze Majesté, privé de tous Offices, & Benefices, & en outre condamné à perpetuelle prison, au pain & à l' eau, & en quatre mil escus d' amande envers le Roy. En haine de cette conjuration, les chaisnes des ruës sont ostees, & la grande Boucherie de la porte de Paris abbatuë, parce que les Bouchers se trouverent avoir esté des premiers complices. On met dans Paris quatre cens hommes d' armes en garnison, dont Tanneguy du Chastel Prevost de Paris estoit le Capitaine, & pour obvier à pareils inconveniens, fut deffendu à son de trompe, & cry public, de faire assemblee de nopces, sans l' authorité du Prevost de Paris, comme aussi d' avoir aux fenestres, jardins, pots, ny bouteilles de vinaigre: Et depuis par Arrest du Parlement, sur les remonstrances faites par l' Université de Paris, il est deffendu le seiziesme jour de Septembre 1416. de tuer, ny publier qu' il fust loisible de tuer sans authorité de Justice. Au mesme mois fut arresté que ceux de la Cour de Parlement iroient à la Couture sainct Martin des Champs, pour voir combien ils pouvoient estre de gens armez. Le 24. May ensuivant lettres du Duc de Bourgongne furent interceptees plaines de sedition. Le 21. Juillet il est dit par Arrest qu' elles seroient lacerees comme seditieuses, & scandaleuses contre le Roy: Commandement à tous les Baillifs & Seneschaux qui en avoient receu quelques unes, de les brusler, & deffenses à tous n' en retenir la coppie sur peine de la hard, & de non jamais les reciter. On renouvelle le serment des Officiers du Roy, & les fait-on jurer de demeurer feaux: & le seiziesme du mesme mois furent par Arrest du grand Conseil plusieurs Conseillers du Parlement envoyez hors la ville comme soupçonnez d' estre partissans du Duc Jean: combien que le Parlement asseurast le Roy de leur innocence, & le suppliast de ne les licencier: Chose qu' on ne peut obtenir de luy, ains fut advisé qu' ils avroient sauf-conduit, par lequel le Roy mandoit qu' il les envoyoit en autres lieux pour ses affaires. Entre lesquels fut le Procureur General nommé Aiguevin, au lieu duquel fut commis en l' exercice de son Estat Maistre Guillaume le Turc. Bref on y observa tout ce que l' on pouvoit de conseil humain pour contenir le peuple de Paris en obeïssance, & luy oster toute facilité de mesfaire.

Tout cecy estoit un avant-jeu de la tragedie qui depuis fut joüee dans la ville, & pouvez recognoistre par les choses cy-dessus discouruës, que combien que l' on voulust contenir les Parisiens en leur devoir par toutes voyes politiques, eu esgard à cette inesperee conspiration qui avoit esté descouverte, toutesfois le cœur du peuple n' y estoit aucunement disposé, & pour vray dire, il n' attendoit de jour à autre que l' occasion de pouvoir secoüer le joug, estant dés pieça voüé à un autre sainct. Cette occasion se trouva par le moyen que je vous diray: L' argent faillit pour souldoyer les gendarmes de Tanneguy du Chastel, on fait assemblee de ville, a fin de lever un emprunt pour la solde seulement d' un mois: A quoy nul ne voulut entendre. Qui fut cause qu' on fut contrainct de les envoyer en la Brie, pour viure sur le bon homme. En mesme temps quelques Officiers de la maison du Roy avoient offensé Perrinet le Clerc, fils de Pierre le Clerc, Marchand Ferronnier, & Quartenier de Paris, demeurant sur le petit Pont. Le Prevost de Paris n' en voulut faire justice. Messire Jean de Villiers, seigneur de l' Isle-Adam Capitaine de Pontoise, l' un des supposts du Duc de Bourgongne, estoit lors à Vaugirard avecques ses troupes, le Duc au village de Vanves: Pierre le Clerc, comme Quartenier avoit les clefs de la porte de Bussi en garde: Son fils donne le mot à l' Isle-Adam, & desrobe les clefs à son pere, comme il dormoit, & à l' instant vient ouvrir la porte à l' Isle-Adam, qui y entra la nuict du 19. May 1417. suivy de trois cens hommes: Qui estoit peu pour prendre une si grande ville, mais elle estoit ja prise d' elle mesme: Ceux-cy commencerent de crier, La paix mes amis, la paix, Vive Bourgongne. Ils entrerent sur les dix heures de nuict: & les conduisit Perrinet jusques au petit Chastelet, où ils furent accueillis de quatre cens hommes Bourgeois armez, tous lesquels portoient la Croix S. André, blanche, & s' acheminerent à l' Hostel de S. Paul, dont ils rompirent les portes, se saisirent du Roy, qu' ils firent monter sur un cheval, luy faisant faire une piteuse monstre par la ville: & comme ils estoient ententifs apres luy, Tanneguy du Chastel enleva Charles Dauphin en chemise, & le sauva dans la Bastille, & de là en la ville de Melun avec ses principaux serviteurs, où il fit depuis long sejour.

Ce temps pendant l' Isle-Adam, & les siens joüent leurs jeux. Dés leur arrivee ils meinent prisonniers Bernard Comte d' Armignac, Connestable, Henry de Merle Chancelier, & l' Evesque de Constance son fils, Jean Gaulde Maistre de l' Artillerie, Maistre Robert de Tuilliers, Oudart Baillet Maistre des Comptes, les Evesques de Clermont, & Senlis, l' Abbé sainct Denis: Bref une infinité de Seigneurs & Prelats. Il seroit impossible de dire combien de meurdres & larcins furent faits en cette esmeute. Quelques uns disent que l' on tua huict cens personnes, les autres quinze cens, & les autres seize cens, c' est à dire en cette diversité d' opinions qu' il en fut tué si grand nombre qu' il y avoit sujet d' erreur. Le bruit court dans Paris que le Dauphin qui estoit à Melun envoyoit forces pour recourre tous les Seigneurs prisonniers. A ce bruit chacun court aux portes, & mesmes les Parisiens creent sur eux Capitaine un Potier d' estain, homme audacieux, nommé Lambert, lequel avecques ses complices, vient aux prisons, & tire tous ces Seigneurs & Prelats des prisons, mesmes les Connestable, & Chancelier, qu' ils font tous passer par le trenchant de l' espee. De là ils se transporterent au petit Chastelet où ils meutrirent les Evesques de Constance, Clermont, & Senlis. Somme il ne fut pardonné à aucun.

Apres ce tragique exploict, pour remercier Dieu de la victoire qu' il leur avoit envoyee contre leurs ennemis, ils firent une confrairie en la paroisse sainct Eustache le neufiesme Juin ensuivant. Voyez comme ils transformoient leurs passions furieuses en une folle devotion. Celuy qui avoit esté puny par les Bandez, ce fut par ce qu' il avoit osté la bande qui estoit sur l' image de S. Eustache, & mesme eut le poing coupé en la paroisse S. Eustache. Maintenant pour se venger les Bourguignons font une confrairie dans la paroisse de S. Eustache, chacun qui estoit de cette confrairie avoit un chapeau de rozes vermeilles: Et tant s' y mit de gens (dit l' histoire) que les maistres de la confrairie disoient avoir fait faire plus de soixante douzaines de chappeaux, c' estoient sept cens tant de personnes: qui estoit renvié contre la confrairie des Bandez, où il n' y en avoit que 400.

Le Duc Jean arrivé dans Paris, remet Eustache de Laistre en son estat de Chancelier, fait deux Mareschaux de France, l' Isle-Adam & Charluz, met un Admiral, & un grand Veneur, à sa poste. En ceste extraordinaire esmeute le Parlement cessa depuis le 29. de May, jusques au 25. de Juin, qu' il commença de reprendre ses esprits, & presida à l' ouverture de Laistre Chancelier, secondé par Messire Philippes de Morviliers premier President. Le vingtiesme d' Aoust autre esmeute de populace mal gré le Duc Jean, sur ce que l' on ne faisoit justice de ceux qui avoient favorisé le party Armignac, & que l' on avoit eslargy quelques uns. De cette emotion nouvelle se fait chef Capeluche, bourreau de la ville: autresfois Caboche escorcheur de bœufs, avoit esté le Gonfanonnier, & maintenant voicy un bourreau. Ils vont aux prisons le 20. Aoust 1418. tuent & massacrent tout ce pauvre peuple qui y estoit sans acception, ou exception de personnes. Le Parlement s' en fit pour ce coup croire plus qu' il n' avoit faict contre Caboche: par ce que Capeluche estant pris, & quelques autres, ils sont condamnez à mort, & fut decapité le vingt-sixiesme du mesme mois, & le trentiesme tous les bouchers de Paris font le serment de fidelité au Duc de Bourgongne, s' excusans les uns envers les autres de ce qui estoit advenu.

Jusques là toutes les affaires avoient ry au Duc de Bourgongne, á la ruine & confusion de l' Estat. Il y avoit doncques lors trois partis dedans la France, celuy du Duc de Bourgongne fortifié de la presence du Roy, & de la devotion des Parisiens, & par special de la Royne, qui avoit juré une haine mortelle encontre son fils: celuy du Dauphin à Melun (assisté de plusieurs seigneurs, tant de l' espee que de robbe longue) qui avoit fait un tres-grand amas de gensdarmes, & le dernier de l' Anglois, lequel faisoit fort bien ses affaires, pendant que les deux autres estoient acharnez à se deffaire l' un l' autre: & de fait, sous ces arrhemens en l' an 1418. le 18. Janvier il prit la ville de Roüen. Deslors le Dauphin commença de s' intituler Regent de la France. Titre que le Parlement ne luy voulut accorder. Le Duc Jean n' ayant plus pour object son ancien ennemy le Duc d' Orleans, qui estoit prisonnier en Angleterre, & tous les principaux partissans de luy ayans esté mis à mort, ne desiroit autre chose qu' une paix avec le jeune Dauphin, se promettant qu' estant reconcilié avec luy, il gouverneroit autant & plus que jamais. Il jette plusieurs pourparlers de paix en avant. Le Dauphin n' y pouvoit bonnement condescendre pour l' injure qui luy avoit esté faicte par l' Isle-Adam. Ces deux Princes se voyent à Poully le fort pres Melun, où le Duc luy fit toutes les humbles soubmissions que l' on pouvoit desirer d' un suject: Et se departirent l' un de l' autre avec une asseurance de paix qui fut concluë entr'eux, dont fut chanté un Te Deum en l' Eglise de Paris, le douziesme de Juillet, & le dernier la ville de Pontoise prise par les Anglois, qui de là en avant venoient courir jusques aux portes de Paris sans destourbier: d' un autre costé le Dauphin se saisit vers le mesme temps de la ville de Tours. J' ay recueilly d' un registre du  Parlement du 9. Aoust 1419. ces paroles: Course des Anglois devant Paris, qui estoit une grande honte aux Princes: par ce que par leurs partialitez les inconveniens estoient si grands au Royaume, qu' oncques auparavant n' en avoient esté de pareils, & qui plus est l' un d' entr'eux avoit puissance assez suffisante pour resister à la force des Anglois: Mais ils aymoient mieux la ruine de l' un d' eux, que celle des Anglois, avec lesquels le Duc de Bourgongne avoit puis n' agueres de grandes intelligences, & promesses de donner l' une de ses filles en mariage à Henry V. de ce nom Roy d' Angleterre, lesquels unis ensemble devoient à moitié de profit conquerir le Royaume, & en priver le Dauphin: Toutesfois Henry n' avoit grande envie de rien traicter avec luy au cas que le Roy luy voulsist donner sa fille Catherine de France avec les Duchez de Normandie, & Guyenne à les tenir sans souveraineté. Ce que jamais le Roy ne voulut accorder, combien que pour cecy il y eust de grandes allees, & venuës. Passage que j' ay voulu transcrire tout du long, pour monstrer qu' encores au milieu de telles tempestes il y a tousjours quelque noble cœur, auquel il faut que la patience eschappe. Ce placart estoit tres dangereux au milieu de ces coupe gorges, & neantmoins je le voy enchassé au registre du Parlement par le Greffier de son propre instinct pour un juste creue-coeur du mal public qui l' affligeoit. Jean qui se cognoissoit trop foible pour faire un troisiesme party seul, balançoit de sçavoir s' il mettroit le Roy & la Royne en la puissance de l' Anglois, ou bien du Dauphin, & luy rendroit par un mesme moyen toutes les villes qu' il occupoit. La dame du Grat sa mignongne luy conseilla de parlementer avec le Dauphin à Montereau Faut-Yonne. Il depesche Ambassades pardevers luy le 8. Septembre, & le 10. ils s' abouchent sur le pont avec certaines barrieres qui estoient entr'eux a fin de ne se méfaire. Or estoit le Dauphin suivy de plusieurs Seigneurs, & Gentils-hommes anciens serviteurs du feu Duc d' Orleans: qui tous avoient juré la vengeance de sa mort. Comme de fait ils avoient failly à cette execution au Chasteau de Pouilly, mais ce ne fut qu' une surseance. En cette derniere entreveuë se trouverent Tanneguy du Chastel, Guillaume Batillier, François Granault, Amboise de Loré, Jean Louvet President de Provence, le Vicomte de Narbonne, tous compagnons de mesme escrime sous le feu Duc d' Orleans. Comme le Duc Jean se presente, Tanneguy du Chastel luy dresse une querelle d' Allemant, disant qu' il ne rendoit au Dauphin l' honneur qu' il luy devoit, & avec une hache luy donna tel horion sur la teste, qu' il en mourut. Cela fut le 10. du mois. J' ay leu que tout son conseil n' estoit d' advis qu' il y allast, mesme qu' un Juif, qui se mesloit d' Astrologie judiciaire, l' en voulut destourner, luy disant que s' il y alloit, il y mourroit: Toutesfois son heure estant lors venuë, le conseil de la Dame du Grat sa maistresse emporta le dessus de tous les autres, & luy advint ce que le Juif luy avoit predit.

Cette mort fut la consommation de nostre malheur, car le Duc Philippes son fils se faisant heritier de la vengeance qu' il devoit à la memoire de son pere, à face ouverte se fit Anglois. Dés la premiere nouvelle qui en arriva dans Paris, les Parisiens firent le serment au Comte de S. Paul, Lieutenant general de la ville. Le Duc Philippes commence de traicter une paix entre les deux Roys, & pour premiere desmarche sont faictes trefues entr'eux le 29. Fevrier. Et le 30. d' Avril traité de paix, lequel fut juré és mains de messire Philippes de Morvillier premier President, & le 20. de May, par tous les Officiers du Parlement en presence des Ambassadeurs d' Angleterre, & publié par les carrefours à son de trompe, & cry public, & le 21. du mois contract de mariage entre Henry d' Angleterre, & Catherine de France. Qui causa puis apres une meslange, & confusion generale par toute la France, dont je parleray au chapitre suivant.