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samedi 24 juin 2023

3. 38. Quelle compatibilité il y a entre la profession des Jesuites,

Quelle compatibilité il y a entre la profession des Jesuites, & les regles tant de nostre Eglise Gallicane, que de nostre Estat.

CHAPITRE (XLIV) XXXVIII. 

Quand je plaiday cette grande cause, en ce boüillon d' action, inspiré d' une plus haute chaleur, il m' advint de dire que les Jesuites ouvriroient quelque jour la porte aux troubles de la France, entre le Catholic Romain, & le Catholic François: Toutesfois depuis refroidy par leurs deportemens exterieurs, par lesquels ils faisoient contenance de n' avoir autre but en leurs ames, qu' une devotion Chrestienne, escrivant au Seigneur Foussomme, l' un de mes premiers compagnons d' escole, comme le tout s' estoit passé au Parlement entre l' Université de Paris, & eux, je fermay ma lettre par ces mots. Quant à moy je n' estime point que les Huguenots ayent de petits adversaires en ceux-cy: Comme ainsi soit qu' entre toutes les Religions, la Chrestienté se doive gagner par prieres envers Dieu, exemples, bonnes mœurs, & sainctes exhortations, envers le peuple & non par le tranchant de l' espee. Paroles qu' expressément j' adjoustay, par ce que le Huguenot defendoit lors sa cause par les armes au milieu de cette France. Depuis voyant que les Jesuites ne m' avoient rendu menteur en mon prognostic, ayans esté les premiers boutefeux de nos troubles de l' an 1585. contre le feu Roy Henry troisiesme, Prince tres Catholic entre tous les Roys Catholics: Mesmes que depuis la reduction de nostre grand Roy Henry quatriesme, sous l' authorité du sainct Siege ils avoient attenté par deux fois contre sa vie: l' une pendant la trefue de l' an 1593. à Melun, par la Barriere, à cela guidé tant par les instructions de Varade, lors Recteur des Jesuites de Paris, que du Pere Jacques Commolé son compagnon: L' autre dedans Paris en pleine paix, par Jean du Chastel rejetton de leur Seminaire sur la fin de 94. je recognoistray franchement que la patience m' eschappa, quand j' augmentay mes Recherches. En l' an 1560. je fis imprimer le premier livre: & en 62. le deuxiesme. En l' an 1596. j' y en adjoustay quatre autres, & glassay sur la fin du troisiesme, les deux chapitres precedans: En cette presente annee 1606. qu' ils sont r'imprimez, j' y adjouste de plus cettuy-cy: Non pour haine que je leur aye voüee, & j' en appelle Dieu à tesmoin, ains pour l' amitié que je porte à ma patrie. Je veux qu' au peu de vie qui me peut rester dedans une longue ancienneté de mon aage, chacun cognoisse que je luy rends le devoir auquel je suis obligé. Nous avons certaines regles par lesquelles nostre estat s' est de tout temps, & fortement, & prudemment, & sainctement entretenu sous l' authorité du sainct Siege: les Jesuites ont les leur, par lesquelles en peu de temps ils se sont infiniment agrandis, sous la mesme authorité, & singulierement dedans Rome. Grandeur que je leur veux envier, moyennant qu' ils ne s' advantagent au desadvantage de nous. Tout bon & fidelle Chrestien doit souhaitter, que nous & eux combatans par commun vœu, la doctrine de Martin Luter, & Jean Calvin, sous la banniere de nostre sainct Pere de Rome, symbolizions au demeurant en toutes choses, & ne soyons bigarrez en propositions, qui engendrent au long aller les Schismes, à la ruine non seulement des Republiques, mais aussi de l' Eglise generale & Universelle. Grandement me plaist la leçon que j' appren d' eux, quand en exhortant leurs confreres, ils disent. Idem sentiamus, idem dicamus omnes, Doctrinae differentes non admittantur, nec verbo, in concionibus, vel lectionibus publicis, vel libris. Je les somme de vouloir pratiquer en cette France avecques nous, ce qu' ils desirent estre observé entr'eux. Je veux mettre sous pieds le maltalent que la souvenance de nos derniers troubles nous peut apporter, dont ils se recognoissent par leurs livres avoir esté les premiers autheurs. Quant à moy je veux imputer ce malheur à nos pechez, quoy que soit à une Ordonnance tres-expresse de Dieu, pour nous admonester de mieux viure.

Si leur profession est telle qu' ils trompettent, si leur congregation est plus approchante que toutes les autres de l' Eglise que Jesus Christ voulut bastir au milieu de ses Apostres, pour laquelle cause ils se donnerent le titre particulier de la compagnie de Jesus. Hé! vrayement je ne me puis assez estonner dont vient qu' à leur advenement en l' an 1554. lors que l' on brusloit sans respit tous ceux qui se desvoyoient de l' Eglise Catholique, Apostolique, & Romaine, ils furent condamnés avec paroles tres-aigres, par la venerable faculté de Theologie de Paris, vraye touche de nostre foy. Je vous ay tout au long representé mon Plaidoyé, sa censure. J' adjouste que nostre Eglise Gallicane estant assemblee à Poissy, où ce sage Cardinal de Tournon presidoit comme Archevesque de Lyon, & Primat de France, secondé par le grand Cardinal de Lorraine Archevesque de Rheims, tous deux ennemis capitaux de l' heresie moderne, toutesfois par leur sentence decretale, donnee par les voix, & suffrages communs de toute l' assemblee des Prelats de France, au rapport de l' Evesque de Paris, le 15. Decembre, 1561. cette compagnie de Jesus receut pareille condamnation, non veritablement avec telles paroles d' aigreur, mais de mesme substance: Par laquelle leur est expressément defendu de prendre cette qualité de la Societé de Jesus, ny de viure comme Religieux, ains comme escoliers qui seroient reglez sur le pied general des Universitez de la France. Decret depuis confirmé par la Cour de Parlement de Paris. Je recognoistray que poursuivans en l' an 1564. d' estre admis au corps de l' Université de Paris, la cause fut appointee au Conseil par le Parlement pour la consequence. Mais tant y a qu' eux mesmes recognoissent que lors par un conflus de mesmes volontez, ils eurent neuf parties, qui leur firent teste: l' Université de Paris en son general, la Faculté de Theologie en son particulier, l' Evesque de Paris, le Gouverneur, tous les Curez, les quatres Ordres des Mendians, les Hospitaux, l' Evesque de Beauvais, & l' Abbé de saincte Geneviefve, tous deux anciens conservateurs des privileges de l' Université. Il n' y avoit pas quinze mois passez, que nous avions bruslé à l' envy, les chaires, & bancs du Patriarche, & Popincourt (maisons ausquelles les Huguenots avoient exercé leur Religion) fait decapiter Gabaston Chevalier du Guet, pour s' estre rendu leur protecteur, & pendre les Cagers pere & fils, gonfanonniers de leurs entreprises. Se peut-il faire qu' en si peu de temps, tant de Compagnies & Seigneurs eussent tourné leurs robbes, & voulu guerroyer à yeux bandez ceux qui se vantoient estre Champions du S. Siege, pour le defendre contre tous ceux qui le voudroient attaquer, & qu' à ce faire ils n' eussent esté induits que pour une apparence insolite d' une nouveauté, sans aprofondir leurs merites, ou demerites? Non vrayement: mais au contraire ayans les yeux plus aigus que nous, ils recogneurent que la grandeur de cette nouvelle compagnie seroit bastie sur la ruine de nostre estat. Et voicy comment. Par les choses qui ont esté par moy cy-dessus discouruës & verifiees, vous avez entendu.

I. Que nous recognoissons en cette France dés le bers de nostre Religion Chrestienne, nostre S. Pere le Pape pour Chef, Primat, & Pere des Peres de l' Eglise Catholique & Universelle.

II. Mais toutesfois sous condition que nos Roys ne peuvent estre par luy excommuniez de sa puissance absoluë.

III. Qu' il ne peut interdire nostre Royaume de France. 

IV. Moins encores le transferer d' un main à autre.

V. Qu' il n' a aucune jurisdiction & authorité sur le temporel de nostre Royaume.

VI. Que quelque grandeur qui reside en luy, il ne peut rien entreprendre au prejudice de nos Ordinaires, qui tiennent la puissance, non de luy, ains de nostre Seigneur Jesus Christ, lors que montant aux Cieux, il commanda à ses Apostres, desquels ils sont successeurs, d' espandre par tout l' Univers la semence de sa saincte doctrine.

VII. Que son Legat, que l' on appelle à Latere, qu' il envoye selon les occasions en France, n' a aucune puissance chez nous, qu' elle ne luy soit auparavant accordee par le Roy, & verifiee par les Cours de Parlement souveraines, chacune, aux destroicts de leur jurisdictions.

VIII. Que si le Pape entreprend quelque chose au prejudice de ce que dessus, il nous est loisible d' appeller comme d' abus, non veritablement de luy, pour l' honneur & reverence que luy portons, mais bien de l' execution de ses Bulles, en quoy nous apportons encores telle soubmission, que ne la qualifions pas execution, ains fulmination, comme procedant d' une main plus haute que de tous les autres Potentats.

IX. Que le Concil general est par dessus luy.

X. Et ores qu' il soit dessus luy, toutesfois nous ne le recevons en France, là & au cas qu' il entreprenne sur les droits ou de nos Roys, ou de nostre Eglise Gallicane.

XI. Et c' est pourquoy nous admettons fort bien en France le Concil de Trente, en ce qui concerne les articles anciens de nostre Foy, mais non la nouvelle discipline que l' on y a voulu apporter: Le tout pour les raisons par moy plus amplement cy-dessus touchees.

Voila la Foy generale que nous gardons de tout temps & ancienneté en cette France, pour laquelle nous ne fusmes jamais estimez heretiques, au contraire nos Rois entre tous les Roys ont esté tenus pour fils aisnez de l' Eglise Romaine: Et vivans en cette façon, avons non seulement maintenu vertueusement en son entier nostre Estat, mais celuy mesme du S. Siege, lors que quelques premiers Prelats voulurent abuser de leurs dignitez.

XII. J' adjousteray une chose dont je n' ay parlé en ce livre pour ne s' en estre l' occasion presentee: Qu' il n' est permis aux communautez Ecclesiastiques posseder biens temporels & les unir à leurs tables, soit par donations entre vifs, ou testamentaires, ny par acquisitions, sans la permission expresse du Roy, lequel peut s' il veut leur enjoindre d' en vuider leurs mains, a fin que ces biens ne tombent point en mainmorte. Que s' il leur veut permettre d' en jouyr, anciennement c' estoit à la charge de luy en laisser le tiers par l' ordonnance de Charles sixiesme de l' an 1402. Charge qui par succession de temps a esté reduite au revenu de trois anees pour le moins: Et c' est ce que nous appellons Amortissement, dont Messire Gille le Maistre premier President au Parlement de Paris, a faict un beau traicté, tiré des Archifs, & Memoriaux de la Chambre des Comptes de Paris.

Toutes ces propositions & maximes ne plaisent à ceux qui sont habituez en la Cour de Rome. Les Papes ont leurs Decretales, par lesquelles ils soustiennent estre non seulement Primats generaux de l' Eglise, ains Princes temporels & spirituels de toute la Chrestienté. Comme de faict par la Bulle du Jubilé de l' an 1600. du feu Pape Clement huictiesme, sainct Pierre, & S. Paul, desquels ils sont successeurs, sont appellez Princes de toute la terre. Nous n' approuvasmes cette clause, & neantmoins embrassames avec une devotion admirable ce grand & sainct Jubilé. Ce fondement de Principauté passé en forme de chose jugee dedans Rome, toute voye leur est ouverte au prejudice de nos anciens droicts. Et ne doutent point qu' ils ne puissent excommunier tous Roys, & tous Empereurs, interdire leurs Royaumes & Empires, & les transferer d' une main à autre, toutes & quantesfois qu' ils le trouvent bon. Qu' ils sont dessus les Concils generaux, que les Patriarches, Archevesques & Evesques despendent d' eux en tout & par tout, comme estans leurs Vicegerents. En consequence dequoy ils peuvent charger leurs dioceses, quand ils veulent. Que le Concil de Trente doit estre receu sans aucun retranchement. Et finalement que c' est directement combatre la liberté ancienne Ecclesiastique, de mettre bride aux acquisitions qui peuvent estre faictes par les Eglises, ou en faveur d' elles. Et c' est ce grand differant qui court aujourd'huy entre l' Estat de Rome & de Venise, & pour lequel nostre sainct Pere le Pape Paul cinquiesme a interdit la Seigneurie de Venise par ses Bulles du dix-septiesme Avril 1606. Ausquelles les Venitiens ont respondu par un manifeste sous le nom d' un Theologien. Et à la mienne volonté que pour eviter un scandale, tout cela fust ensevely dedans le cercueil d' oubliance. Ce qui rend les Jesuites plus recommandez dedans Rome, est l' obeïssance aueuglee qu' ils rendent au sainct Siege, par eux appellee Obedientia caeca, qui m' estoit incogneüë quand je plaiday la cause contr'eux, parole Latine plus fascheuse à digerer que celle dont on use en François. Et pour cette cause leur sage Richeome en son Apologetic l' appelle Obeïssance aueuglée, comme celle qui n' eut jamais lumiere en ce subject pour voir si ce qui leur estoit commandé estoit, ou bien ou mal faict: Et leur bon Ignace l' appelloit une sage folie. Obeïssance qu' ils promettent rendre à sa Saincteté entrans en cette compagnie, à un seul clin d' œil sans parole, tout ainsi comme en nostre Seigneur Jesus Christ, voire à ce commandement de ne se donner le loisir de parachever une lettre encommencee, mais d' y obeïr tout œuvre cessant, despoüiller son propre jugement pour espouser celuy de nostre sainct Pere le Pape, & se laisser emporter à cette obeïssance, tout ainsi que le corps mort ou le baston par celuy qui le manie. Je ne dy rien qui ne soit par leurs constitutions Latines plus estroittement ordonné. Et est l' un des premiers vœux ausquels ils s' obligent entrans en leur Religion. Regle que Ignace de Loyola leur autheur leur soustenoit devoir estre si stable, comme j' ay dict en mon plaidoyé, que si au milieu d' un orage le Pape luy eust commandé d' entrer en un petit esquif sans gouverneur, il se fust tres-volontiers exposé, & que le semblable devoit estre fait par les siens. Bref leur principale ambition est d' estre recogneus pour les premiers & fidelles vassaux de la Papauté. Et pour cette cause à chaque mutation de Pape, leur General renouvelle entre ses mains nouveau serment de fidelité. Il ne faut doncques point faire de doute qu' ils approuvent tout ce que les Decretales attribuent à la Papauté, ores qu' elles tendent à l' eversion generale des propositions par lesquelles nous avons soustenu nostre Estat.

Chose qu' ils ne dissimulent nullement par leurs livres. Par ce que Montaigne soustient que le Pape peut transferer tout Royaume à qui luy plaist, quand il le trouve le devoir faire. Qui dit tout n' en excepte pas un, ny par consequent le nostre. Mais un nouveau gladiateur & escrimeur à toute outrance, des leur, a voulu renvoyer dessus luy, descochant particulierement ses flesches contre nostre Roy à present vivant, & contre nostre Royaume. Celuy dont je parle est un Carolus Scribanus Recteur des Jesuites d' Anvers, lequel sous le nom de Clarus Bonarsius, (qui est l' anagramme du sien) a faict trois livres Latins qu' il intitule Amphitheatrum honoris, & moy je l' appelle l' Amphitreatre d' horreur: par ce que dés le titre mesme il le recognoist estre un couppe-gorge de tous ceux qui n' adherent à leur saincte Societé, lesquels il soustient estre Calvinistes. Quoy faisant il reduit grandement au petit pied l' estenduë du sainct Siege de Rome. Par ce qu' il y a une infinité de gens de bien & d' honneur, tres-Catholiques, qui abhorrent sur toutes choses les Jesuites. Or cette sage teste sur le chapitre 12. de son premier livre met ce tiltre.

Calvinista. Societas evertit Galliae Regnum, cum docet Pontificiam excommunicationem in Galliae Reges validam.

Societas. Magnorum impetigini nescit adulari, non dignitati decrescere, frontem expandit, ut calamum, nulli subjecta, quare nec quicquam adscribit Pontifici non testatum omni memoria.

Et sur se pied continuë d' une longue enfilure son theme, faisant le procez a nostre ancienneté immemoriale, à cette grande Cour de Parlement de Paris, aux traictez, par nous faits avec les Princes estrangers, & par especial à nostre grand Roy Henry IV. du nom. Mais comme il advient ordinairement que les Jesuites meslans les affaires d' Estat avec leur Religion, se trouvent toutesfois de vrais escoliers nourris en la poussiere de leurs Colleges, aussi s' est trouvé le semblable en cestuy, lequel en deffendant la grandeur du Pape contre nos Roys, luy fait toutesfois en cet endroit son procez, plus qu' à nous. Car estimant que sous la proposition par nous mise en avant, que nos Roys ne peuvent estre excommuniez par le Pape, nous leur laschions toute bride à mal faire, pour desmentir nostre proposition. Voicy le premier mets dont ce Jesuite nous sert.

Neque ego hic alijs verbis utar, quam primi Galliae melioris vitae parentis (il entend parler de sainct Remy Archevesque de Rheims) ille nos doceat quid possit Episcopus in Galliae Regem. Si Regium genus quod ad honorem sanctae Ecclesiae & defensionem pauperum, una cum fratribus meis, & Coepiscopis omnibus Germaniae, Galliae, atque Neustriae, in Regiae Maiestatis culmen, perpetuo regnaturum elegi, baptizavi, à fonte suscepi; donoque sepriformis spiritus consignavi, & per eiusdem sacri Chrismatis ordinavi in Regem. Si inquam aliquando genus illud Regium, per benedictionem meam toties consecratum, mala pro bonis reddens, Ecclesiarum Dei perversor, destructor, depopulator, gravis aut contrarius existere voluerit, convocatis Rhemorum Episcopis, primum moveatur, & deinde Ecclesia Rhemensis, adiuncta sibi sorore Ecclesia Trevirensi, iterum conveniat: tertio vero Archiepiscopis tribus, aut quatuor convocatis, princeps ille quicumque fuerit admoneatur. Quod si deinceps incorrigibilis contumaciae spiritum non deposuerit, & se per omnia Deo subdens benedictionibus Ecclesiae participare noluerit, elogium segregationis à Christi corpore ei ab omnibus porrigatur, totumque quod in persona Iudae traditoris Domini nostri Iesu Christi cantare solet Ecclesia, per singulas et decantetur Ecclesias, fiantque dies eius pauci, & principatum eius accipiat alter. Beau passage certainement que ce Jesuite nous met en main, par lequel j' apprends que nos Roys peuvent estre excommuniez, non par le Pape (car il n' en faict aucune mention) ains par nostre Eglise Gallicane seulement, & non encores en toutes occurrences de fautes, mais quand ils se voüent à la ruine des Eglises de Dieu. Voila comment nos nouveaux Jesuites faisans semblant d' honorer le sainct Siege, pour s' aggrandir, le ruinent de fonds en comble. Mais quant à nous autres François qui sommes les vrais, legitimes, naturels & anciens enfans de l' Eglise Catholique, Apostolique, Romaine, & non nouvellement adoptez, nous en usons tout autrement. D' autant que nous ne denions pas que nos Roys ne puissent estre censurez, ny pareillement que le Pape ne puisse estre de la partie en telles censures (comme toutesfois le Jesuite l' en forclost par ce passage) mais bien qu' ils ne le peuvent estre de la main absoluë du seul Pape. Et comment doncques? C' est qu' avec son authorité, on y interpose celle de nostre Eglise Gallicane: tout de la mesme façon qu' il fut fait contre Lothaire Roy d' Austrasie, sous Nicolas premier du temps de la seconde lignee de nos Roys, & contre le Roy Philippes premier de ce nom sous Urbain II. En la troisiesme lignee, ainsi que j' ay touché cy-dessus plus amplement.

Or comme les Jesuites sont sans frein, & se laissent emporter à la mercy de leurs plumes, aussi ce grand gladiateur, pour ne laisser son Amphiteatre oiseux & en friche, apres sa premiere demarche, entre en une seconde, qui est que les Roys de France peuvent estre non seulement privez de leur Royaume, mais de leurs vies par leurs subjets, selon la diversité des occasions & circonstances. Leçon certes brutale, monstrueuse, & digne d' un esprit Jesuite, qui a pris sa nourriture entre les sauvages des Indes: mais non d' un cœur Noble & genereux du François; que les estrangers ont honoré de cet Eloge particulier. Francis id proprium ac peculiare, nullos unquam externos pati Principes, suos autem usque adeo amare & colere, ut pro eorum dignitate ac Maiestate tuenda, non opes tantum, sed vitam ipsam profundere possint. Je vous laisse à part, que tout ainsi que le Diable ne manque jamais de passages de la saincte Escriture, mal pris pour surprendre la conscience d' une ame foible, aussi ce grand Atheologien pour revestir sa detestable opinion de quelque pretexte, s' aide de quelques exemples du vieux Testament. Se donnant bien garde d' avoir recours au nouveau, qui doit estre le guide & fanal de nos deportemens: Au demeurant ne pensez pas que ce Jesuite d' Anvers, qui a l' esprit à l' envers, soit seul entre les Jesuites de cet advis. C' est une cabale dont ils font trophee. L' un des plus signalez Peres de leur Societé est Emanuel Sa Docteur en Theologie, lequel se vante en ses Aphorismes de Confession, avoir esté quarante ans entiers, à nous fabriquer ce Sainct œuvre, qu' il estime indubitable en ses propositions, puis qu' il les appelle Aphorismes. Voyons doncques quelle est la leçon qu' il nous enseigne sur ce propos.

13. Rex potest, per Rempublicam privari ob tyrannidem, & si non facit officium suum cum est aliqua caussa iusta, eligi potest alius à maiori parte populi. Quidam tamen solam tyrannidem putant.

14. Tyrannicè gubernans lata sententia potest deponi à populo, etiam qui iuravit ei perpetuam obedientiam, si monitus non vult corrigi.

De ces maximes ils font gloire: car l' un de leurs plus favoris, Petrus Mathaeus leur donne pour premiere loüange ces deux mots. Tyrannos aggrediuntur. Passage amplement commenté par Montaigne, en sa Verité defendue, où pour donner air à cette proposition, il faict les distinctions d' entre les vrais Rois, & Tyrans. O pauvres Roys qui de toute ancienneté, par privilege exprez de Dieu, donnez la Loy à vos sujets! Combien est aujourd'huy vostre condition miserable, puis que sur les instructions & memoires de ces nouveaux Sires, vos peuples ont non seulement jurisdiction ordinaire, mais extraordinaire sur vous. Et feront desormais une anatomie de vos actions, pour sçavoir si estes dignes, & de regner, & de viure. Comme ils estiment cette proposition indubitable, & vray Aphorisme d' Estat, aussi luy ont-ils plusieurs fois voulu faire sortir effect contre la deffuncte Royne Elizabeth d' Angleterre, uns Campian, Parry, Squirre, & de fraische memoire contre leur Roy à present regnant par Garnet, & sans sortir des limites de nostre Royaume, deux fois encontre nostre grand Roy Henry. La Theologie Gallicane n' est point carnaciere: Elle nous enseigne d' obeyr à nos Roys, soient bons ou mauvais (encores que graces a Dieu, nous n' en ayons jamais euz, que de bons.) Leçon qu' elle a apprise du Sage dedans ses Proverbes, de sainct Pierre en sa premiere Epistre, de sainct Paul aux Rom. à Titus, à Timothee: du Prophete Baruth parlant à Nabuchodonozor, que Dieu avoit faict tomber en sens reprouvé * du bel exemple de David persecuté à tort par son Roy Saül. Nous estimons que tels que Dieu donne les Princes Souverains, tels les faut-il recevoir par les sujets, sans entrer en cet examen, s' ils sont Roys ou Tyrans. Que celle-là est la vraye doctrine de Jesus-Christ, lequel interrogé par Pilate, s' il ne cognoissoit pas avoir toute puissance sur luy, respondit: Tu ne l' avrois pas, si elle ne t' estoit donnee d' en haut: Pilate meschant entre les meschans, besongnoit soubs l' authorité d' un Tibere Empereur Payen, qui ioüyssoit de l' Estat de Rome, au prejudice du peuple Romain. Toutes-fois sans entrer en cognoissance de cause, ny de la qualité Payenne de l' Empereur, ny de son induë  usurpation, il fit joug: parce que cette puissance luy estoit octroyee de Dieu. Aussi fut par le Concil de Constance, à l' instigation de nostre grand Gerson, Chancelier de l' Université de Paris, celuy-là declaré heretique qui soustenoit estre permis au sujet de tuer son Roy exerçant tyrannie, quelque serment de fidelité qu' il luy eust fait. La Compagnie des Jesuites remua nostre Estat en l' an mil cinq cens quatre-vingt cinq, par ses pratiques, & quelque temps apres ces mal-heureux Livres d' Emanuel Sa, & Petrus Mathaeus furent exposez en lumiere, pour enseigner sous faux tiltre leur detestable leçon aux François. Et à tant vous voyez par cecy la Prophetie de nostre venerable Faculté de Theologie de Paris accomplie, quand par sa censure elle predit, que cette nouvelle Secte priveroit injustement les Seigneurs, tant spirituels que temporels de leurs droicts, & exciteroit plusieurs troubles, partialitez & divisions parmy les peuples.

Mais recognoissons, s' il vous plaist quelle est la suitte de ce beau livre d' Emanuel: Nous ne feismes jamais de doute en cette France, que le peuple François, de quelque qualité qu' il fust, je veux dire, ou Seculier ou Ecclesiastique, estoit naturel subject de nos Roys: verité est, que l' Ecclesiastique commettant quelque delict, que nous appellons Commun en practique, on luy faict quelques passe-droicts en faveur de l' Eglise: Mais aux crimes, & specialement à ceux qui touchent le haut poinct, comme quand ils machinent contre le Roy ou son Estat, nous ne doutasmes jamais, qu' ils ne fussent reputez crimineux de leze Majesté, & comme tels ne peussent estre exemplairement chastiez, tout ainsi que les gens Laiz, tant par nos Juges Royaux, que Cours souveraines. Chose entre nous tant privilegee, que combien que le Confesseur ne doive en aucune façon reveler ce qui luy a esté dict en Confession, toutesfois il est tenu de venir à revelation de cestuy, autrement il encourroit le mesme crime de leze Majesté. Salus populi suprema lex esto. Du salut de nostre Prince depend le salut general de nous tous. Faisons doncques derechef entrer sur l' eschaffaut ce grand Theologien Jesuite, qui a basty ses Aphorismes par l' ordre Alphabetic.

15. Clerici rebellio in Regnum non est crimen laesae Maiestatis: quia non est subditus Regi.

16. Cognito magno Reipub. periculo per confessionem, sufficit generaliter monere ut caveatur. Potest & is cui paratum est malum moneri, ut caveat tali loco, & tempore, modo non sit periculum ut perdatur poenitens.

Considerez je vous prie en quel piteux desarroy nous mettent ces nouveaux Religieux d' Estat, qu' ils ayment mieux que le Roy & son Estat se perdent, que celuy qui se dispose de les perdre. Et introduisent entre nous une espece de gens qui ne peuvent estre declarez crimineux de leze Majesté, conspirans contre sa Majesté dedans son Royaume. Ces quatre dernieres propositions frappent ouvertement, tant contre le Chef, que le gros de nostre Estat. Ce que je representeray cy-apres, ruine la police commune de la France. Repassons encores sur ces Aphorismes.

17. Clerici familia eiusdem est cum ipso fori. 

18. Clerici bona possunt per iudicem Ecclesiasticum confiscari, in casibus in quibus Laici, sic per leges puniuntur. 

19. Clericus ob falsum testimonium coram iudice saeculari non potest per eum puniri.

20. Clericus percussus à Laico, potest agere coram iudice Ecclesiastico.

21. Clericus potest uti consuetudine & Statuto Laicorum ad suam utilitatem. Voulant dire que la coustume ne le lie s' il ne luy plaist.

22. Episcopus potest sub poena excommunicationis cogere sibi exhiberi testamenta defunctorum, eamque exequenda curare.

23. Episcopus potest imponere Beneficio quod confert pensionem ad alendum pauperem Clericum.

24. Foemina non solet succedere in feudo.

25. Intestato Clerico non habenti cognatos, succedere debet Ecclesia cui serviebat, sed fortè iam succedit Camera Apostolica.

26. Ad supplicium ductus Reus non tenetur fateri quod male negavit, nisi alioqui grave damnum sequeretur. 

27. Reus non est cogendus à Confessore fateri crimen.

Le Cardinal Bellarmin en son traicté de l' Exemption des Ecclesiastics, cha. I. Propositions 3. & 4.

28. Non possunt Clerici à Iudice saeculari iudicari, etiam si leges civiles non servent.

29. Bona tam Ecclesiastica, quàm secularia Clericorum libera sunt à tributis Principum saecularium.

Toutes propositions qui derogent formellement au droict commun de nostre France: & leur donnant cours c' est bouleverser nostre Estat. Mais sur tout je vous prie de considerer de quelle consequence est l' impieté des vingt sixiesme & vingt septiesme articles. De soustenir que celuy qui est prest de rendre son ame en l' autre monde, ne soit tenu à sa mort de recognoistre pardevant le Magistrat, la verité qu' il avoit faussement deniee: & que son Confesseur le doive adstraindre de le recognoistre.

C' est à dire qu' il donne absolution à celuy qu' il voit emporter avecques soy un peché mortel & criminel devant Dieu. Les Jesuites preschent aux Eglises, instituent toutes sortes de personnes dedans leurs Colleges, peuvent faire imprimer leurs livres sous l' adveu de leur General, & sur tout sont Maistres passez en matiere de Confessions. Bon Dieu! quelles poisons peuvent-ils semer en public parmy le peuple, par leurs presches, leçons, & livres: & beaucoup plus en particulier par leurs Confessions à l' endroit d' une pauvre conscience timoree, qu' ils meneront à baguette par leurs foudroyantes menaces? Je sçay bien que quelque flagourneur Jesuite, qui aura l' oreille de son Maistre, desadvoüera les livres par moy cy-dessus touchez, comme discours d' uns & autres particuliers des leurs, qui ne peuvent prejudicier à toute leur Compagnie. Car pour bien dire, le desadveu leur est autant familier, que de publier à face eshontee leurs conceptions. Mais à cecy je responds, que nous devons tenir pour chose tres-asseuree, que jamais livre ne vient de leur part, qu' il n' ait esté approuvé par leur General. Libri edi non poterunt (disent leurs Constitutions) sine Approbatione, & consensu praepositi Generalis, qui eorum examinationem tribus committet. Et combien que leurs Ordonnances soient telles, toutesfois il ne faut trouver estrange leurs desadveuz en telles affaires pour trois causes. La premiere d' autant que hors-mis leurs vœux, ils peuvent pecher sans pecher, quand cela se tourne au profit & utilité de leur Societé. Cela s' appelle en leur Caballe, un peché fait en l' honneur de Dieu: Nimirum (porte le pretexte) ut loco timoris offensae succedat amor & desiderium omnis perfectionis, & ut maior gloria, & laus Christi creatoris, ac Dominl nostri consequatur.

La seconde, que par leurs vœux, ils sont tenus d' obeïr à leur General, d' une obeïssance autant aueugle & absoluë, comme à nostre sainct Pere le Pape. De maniere que le General n' ayant autre but en sa teste, que l' advancement de son Ordre, il ne faut point faire de doute, qu' envoyant ses supposts par unes & autres Provinces, pour provigner leur Societé, il ne les charge de desadvoüer toutes choses, qu' ils verront prejudicier à leur faict, encores que la verité soit contraire, à quoy ils sont obligez d' obeïr. Parce qu' en la rencontre & concurrence de ces deux, le merite de l' obeïssance de l' inferieur au Superieur, efface le demerite de la menterie. Et finalement pour se garentir d' un mensonge, ils ont trouvé un nouveau formulaire, de dire d' un, & penser d' autre, qu' ils appellent equivoquer. Venin dont ils ont tellement empoisonné les pauvres Catholiques Anglois, sous la conduite de Garnet leur Archi-prestre, que la plus part d' eux ne contractent aujourd'huy ensemble qu' avecques cette protestation expresse: qu' ils entendent besongner sans aucune equivocation. Tel est le terme de leur pays. C' est en bon langage ce que disoient les meschantes ames des Payens: Iuravi lingua, mentem iniuratam habeo: Parolle deslors detestee par tous les gens de bien, ores qu' ils ne fussent Chrestiens.

Ce que j' ay cy-dessus discouru, regarde le salut de nos Roys, & de leur Estat: Car quant aux autres incompatibilitez qui sont entre les Jesuites, & nous, je vous renvoye à mon Catechisme, auquel trois des leur faisans contenance de vouloir respondre (non à tout, ains à une quatriesme partie pour le plus) le premier a dedans son livre de la Chasse, representé un chien enragé, qu' ils ont tout aussi tost estouffé, l' autre dedans son Apologetic, une pie babillarde empannee des plumes d' un oyseau qu' on appelle Duc, & le dernier dedans son Amphiteatre, une beste sauvage allouvie, revestuë de la peau de l' Asne d' Apulee. Seulement prié-je le Lecteur, que despoüillant toute passion, il lise leurs livres, & le mien, & les compare piece à piece, a fin qu' il puisse juger sainement, qui est celuy de nous sur lequel doit demeurer le dementir. Et cependant sçachant combien ils ont faict pour moy par leurs escrits, ores que j' aye esté contre leurs intentions, toutesfois pour n' en estre ingrat, je leur fay present de ce quatrain qu' ils insereront s' ils me croyent sur le commencement de leurs livres.

Peres, Chasseur, Charlatan, Escrimeur,

Qui deffendez fort mal le Jesuisme, 

O combien peu vous doit vostre Imprimeur, 

O combien plus vous doit mon Catechisme!

En la derniere impression de ces miennes Recherches, qui fut en l' an 1607. je finy ce troisiesme Livre, & le present Chapitre de la façon que dessus. Je supplie maintenant les Jesuites, & les adjure au nom de ce grand Jesus, qu' ils portent pour leur enseigne, de mettre la main sur leurs consciences, & d' entrer en une conference Chrestienne & amiable avecques moy. Deslors commença de courre un livre d' un je ne sçay quel Marane, Jean Mariane Espagnol, de la Societé de Jesus, sous le tiltre de l' Institution du Prince; Livre escrit en termes Latins non inelegans, qui donnent assez d' envie au Lecteur de jetter l' œil dessus. Ce meschant homme non content des trois ou quatre Aphorismes d' Emanuel Sa Jesuite, que je vous ay cy-dessus representez, les voulut r' envier de deux longs commentaires, je veux dire de deux chapitres en son premier Livre, par le premier desquels il recite par tenans & aboutissans la mort de nostre bon Roy Henry troisiesme, execrablement commise par un Frere Jacques Clement Jacobin, qu' il canonise, & colloque entre les ames bien-heurees. De là continuant le fil de son discours, il deduit le pour & le contre de la mort des Roys, & en fin ferme sa question sur l' affirmative, & soustient qu' il est permis au sujet de tuer son Roy, regnant d' autre façon que celle qu' il propose. Vous sçavez l' execrable parricide inopinément advenu au milieu des joyes publiques dedans la ville de Paris en la personne de nostre Grand Roy Henry, depuis trois ou quatre mois en ça: Cuius animus meminisse horret, luctúque refugit. De moy je veux croire, & tenir pour proposition tres-certaine, que nul des Jesuites habituez dedans la France n' y a presté aucun consentement, veu les obligations qu' ils avoient tous, tant en general que particulier à ce grand Prince. Mais tant y a que nul, voire de ceux qui plus ont favorisé leur party, ne revoque aucunement en doute, que ce meschant monstre, qui a commis ce detestable parricide, ne l' ayt faict sur les instructions de ce Marane, par lesquelles les deux interlocutoires de Barriere, & de Chastel se sont mal heureusement tournez en une diffinitive. Je voy que le Pere Coton Jesuite, pour destourner ce coup des siens, a depuis exposé en lumiere un certain petit manifeste, par lequel il entend prouver de divers passages, que l' opinion commune de leur Societé est toute autre. S' il est ainsi il faut faire le procez au Pere Claude Aquevive leur General, sans l' authorité duquel, ou de ceux par luy commis, il n' est permis aux Jesuites de faire imprimer aucun livre sur les peines portees par leurs Constitutions. Comme de faict vous le voyez estre icy practiqué par ce placard, mis au frontispice du livre de ce Marane, dont la teneur est telle. Stephanus Hojeda Visitator Societatis Iesu in Provincia Toletana, potestate speciali facta à nostro Patre General Claudio Aquaviva, do facultatem ut imprimantur libri tres quos de Rege, & Regis institutione composuit P. Ioannes Mariana eiusdem Societatis, quippe approbatos prius à viris doctos & gravibus ex eodem nostro ordine. In cuius rei fidem has litteras dedi meo nomine subscriptas, & mei officij sigillo munitas. Madriti in Collegio nostro, quarto Nonas Decembris M.D.LXXXXVIII. Et d' autant que j' ay voulu que cecy fust notoire à tout le monde, je l' ay ainsi traduit de mot à mot. Je Estienne Hojeda Visiteur de la Societé de Jesus en la Province de Tolede, par le pouvoir special de nostre Pere General Claude Aquevive, permets de faire imprimer les trois livres que Jean Mariana Pere de la mesme Societé a composé, du Roy & de son Institution; Et ce pour autant que ils ont esté approuvez par cy-devant, par des gens doctes & graves de nostre mesme Societé. En tesmoignage dequoy j' ay donné ces lettres soubs-signees de mon nom, & seellees de mon Seau à ce requis. De nostre College de Madrit le 5. Decembre 1598. Signé Estienne Hojeda Visiteur. Outre laquelle permission vous verrez leur Provincial Pierre de Onna l' avoir entant que besoin estoit de plus en plus approuvé, par le tesmoignage qu' il en donne, & qu' on a mis au commencement du Livre. 

Le Pere Coton par les Constitutions de leur Ordre, doit une obeïssance aueugle aux ordonnances de son General, sans qu' il luy soit loisible d' entrer en cognoissance de cause, si bien ou mal il a ordonné. C' est pourquoy je remets au jugement du Lecteur d' examiner s' il est en sa puissance par un petit manifeste de desadvoüer ce qui a esté trouvé bon, non tant par celuy qui a esté commis par Aquevive, que par le Provincial de Tolede, & encores par les plus doctes de leur Compagnie, comme vous voyez estre attesté par le placart cy-dessus collationné; singulierement eu esgard que cela mesme qui a esté observé en ce livre dans l' Espagne, se garde par toutes les autres nations, esquelles Aquevive commet examinateur des Livres que l' on veut faire imprimer, parce que les quatre Assistans qui sont pres de luy dedans Rome pour cet effect n' y pourroient fournir, & neantmoins ja à Dieu ne plaise, les affaires de France estans en l' estat que je les voy aujourd'huy, qu' il soit rien innové au prejudice de leur famille.

Fin du troisiesme Livre des Recherches.

Fin du troisiesme Livre des Recherches.


mercredi 5 juillet 2023

6. 5. Sommaire du procés de Jeanne la Pucelle.

Sommaire du procés de Jeanne la Pucelle.

CHAPITRE V.

Grande pitié, jamais personne ne secourut la France si à propos, & plus heureusement que cette Pucelle, & jamais memoire de femme ne fut plus deschiree que la sienne. Les Anglois l' estimerent, & sorciere & heretique, & sous cette proposition la firent brusler. Quelques uns des nostres se firent accroire que ce fut une feintise telle, que de Numa Pompilius dans Rome, quand il se vantoit communiquer en secret avecques Egerie la Nymphe, pour s' acquerir plus de creance envers le peuple, & telle est l' opinion du Seigneur de Langey au troisiesme livre de la discipline militaire chapitre 3. A quoy les autres adjoustent & disent que les Seigneurs de la France supposerent cette jeune garce, feignans qu' elle estoit envoyee de Dieu pour secourir le Royaume, mesme quand elle remarqua le Roy Charles à Chinon entre tous les autres, on luy avoit donné un certain signal pour le recognoistre. J' en ay veu de si impudens & eshontez, qui disoient que Baudricour Capitaine de Vaucouleur en avoit abusé, & que l' ayant trouvee d' entendement capable, il luy avoit fait joüer cette fourbe: Quant aux premiers je les excuse, ils avoient esté malmenez par elle, & nul ne sçait combien douce est la vengeance que celuy qui a receu l' injure. Quant aux seconds, bien qu' ils meritent quelque reprimande, si est-ce que je leur pardonne aucunement, parce que le malheur de nostre siecle aujourd'huy est tel, que pour acquerir reputation d' habille homme, il faut Machiavelizer. Mais par le regard des troisiesmes, non seulement, je ne leur pardonne, mais au contraire ils me semblent estre dignes d' une punition exemplaire, pour estre pires que l' Anglois, & faire le procés extraordinaire à la renommee de celle à qui toute la France a tant d' obligation. Ceux là luy osterent la vie, ceux-cy l' honneur, & l' ostent par un mesme moyen à la France, quand nous appuyons le restablissement de nostre Estat sur une fille deshonoree. 

De ma part je repute son histoire un vray miracle de Dieu. La pudicité que je voy l' avoir accompagnee jusques à sa mort, mesme au milieu des troupes, la juste querelle qu' elle prit, la proüesse qu' elle y apporta, les heureux succés de ses affaires, la sage simplicité que je recueille de ses responses aux interrogatoires qui luy furent faits par des juges du tout voüez à sa ruine, ses predictions qui depuis sortirent effect, la mort cruelle qu' elle choisit, dont elle se pouvoit garentir, s' il y eust eu de la feintise en son fait: Tout cela, dis-je me fait croire (joinct les voix du ciel qu' elle oyoit) que toute sa vie & histoire fut un vray mystere de Dieu: Aussi est ce la verité que son pere avoit songé que cette fille deuroit quelquesfois viure au milieu des soldats, comme je remarqueray en son lieu. J' ay veu autresfois la copie de son procez en la Librairie de sainct Victor, puis en celle du grand Roy François à Fontainebleau, & depuis ay eu en ma possession l' espace de quatre ans entiers le procés originaire, auquel tous les actes, lettres patentes du Roy Henry, advis de l' Université de Paris, interrogatoires faits à la Pucelle estoient tout au long copiez, & au bout de chaque fueillet y avoit escrit, Affirmo, ut supra, Bosquille, c' estoit le Greffier, & à la fin du registre estoient les seings, & seaux de l' Evesque de Beauvais, & de l' Inquisiteur de la Foy, ensemble celuy du Greffier. Qui fait que j' en puis parler plus hardiment. Je veux doncques icy raconter comme les choses se passerent, & vous discourant les principaux poincts de son procés, vous pourrez aussi recueillir par ses responses tout ce qui fut de sa maison & de son histoire particuliere.

Apres que le Duc de Bourgongne eut esté creé Lieutenant general de Paris, il mit le siege devant Compieigne, où il trouva à qui parler, car en fin il fut contraint de le lever, vray qu' en une sortie que firent le Capitaine Poton, & la Pucelle, le malheur voulut que l' un & l' autre y furent pris. Quant à Poton il courut la commune fortune des autres gens de guerre, d' en estre quitte pour sa rançon, où d' estre changé pour un autre, mais non cette pauvre Pucelle, la prise de laquelle fut si agreable aux Anglois, qu' ils en firent chanter un Te Deum dans l' Eglise nostre Dame de Paris, & quittans la forme ordinaire que l' on observe aux prisonniers de bonne guerre, luy voulurent faire son procés. Le bastard de Vendosme l' avoit prise, qui la monstra au Duc de Bourgogne lequel la bailla en garde à messire Jean de Luxembourg, auquel il avoit plus de fiance. Deslors elle commença d' avoir deux maistres. Les Anglois desiroient de l' avoir, a fin de la sacrifier au feu. Le Duc n' y donnoit pas grand obstacle, mais bien Luxembourg & le bastard, ne voulans estre defraudez de la rançon, les uns combattans pour la vie, les autres pour la bourse. Messire Pierre Cauchon Evesque de Beauvais, qui lors estoit en grand credit pres des Anglois, faisoit toute instance à ce qu' elle luy fust deliuree, comme heretique, qui avoit esté prise dans son Diocese. Le jeune Roy se met de la partie, pour le moins ceux de son conseil: En fin elle est mise en ses mains, moyennant cinq mille liures, qui furent baillees à Messire Jean de Luxembourg, & trois cens liures de rente au bastard de Vendosme. L' Université de Paris desiroit que cette cause fust renvoyee à Paris: Toutesfois le Roy par ses lettres patentes du 30. Janvier 1430, donne toute charge à l' Evesque de Beauvais, c' estoit celuy qui peu auparavant avoit esté envoyé expres en Angleterre pour l' amener en France. Le 9. ensuivant l' Evesque demande aux Doyen, Chanoines, & Chapitre de Roüen, territoire pour rendre la cause plus exemplaire, le siege Archiepiscopal estant lors vacquant. Ce qui luy fut tres-volontiers accordé. En cecy il est assisté de frere Jean Magistri, de l' Ordre des freres Prescheurs, Vicegerant de frere Jean Graverant Inquisiteur general de la foy: Messire Jean Estinet Evesque de Bayeux est faict Promoteur en cette cause. Or pour garder l' ordre judiciaire, la Pucelle est citee devant l' Evesque au 21. Fevrier, a fin de venir respondre aux faits proposez encontre elle par le Promoteur. Cette pauvre fille avoit tant de crainte de Dieu en son ame, qu' avant que de subir interrogatoire, elle demanda d' ouyr la Messe. Ce qui luy fut refusé, de tant qu' elle portoit l' habit d' homme, qu' elle ne vouloit delaisser. Je reciteray les principaux articles, sur lesquels elle fut interrogee, à la charge que s' il n' y a tant de grace, il y aura paraventure plus de creance pour ceux qui liront ce Chapitre. Les faits du Promoteur furent couchez en Latin, comme est l' ordinaire en Cour d' Eglise, & fut son interrogatoire fait à diverses journees, selon les instructions & memoires, qu' en donnoit le Promoteur, & à dire le vray, jamais une personne accusee ne fut tant chevalee par un juge pour estre surprise, & toutes-fois jamais personne ne respondit plus à propos que cette cy: Monstrant assez par cela qu' elle estoit assistee de Dieu, & de la verité, au milieu de ses ennemis. En la plus part des demandes qu' on luy faisoit s' il y avoit de l' obscurité, elle demandoit jour d' advis pour communiquer aux sainctes, avecques lesquelles elle parloit, comme en cas semblable, si les juges se trouvoient empeschez sur ses responses, ils en escrivoient à l' Université de Paris, a fin d' en avoir son opinion, laquelle s' assembloit tantost aux Bernardins, tantost aux Mathurins, & pour cette cause le procez est plain d' une infinité de ses advis, qu' il n' est besoin d' inserer icy. Je me contenteray seulement de vous representer l' ame de ce procez, au moins mal qu' il me sera possible.

Interrogee sur le premier article de dire verité, respondit que ses pere, & mere elle les diroit, mais des revelations, que non, & qu' elle les avoit dictes à son Roy Charles, & que dans huictaine elle sçavroit bien si elle les deuroit reveler. Interrogee de son nom, elle dist qu' en son pays on l' appelloit Jannette, & depuis qu' elle vint en France fut appellee Jeanne Darc, du village de Dompré: Que son pere s' appelloit Jacques Darc, & sa mere Isabelle: Que l' un de ses parrains estoit appellé Jean Lingue, l' autre Jean Berrey. De ses marraines, l' une Jeanne, l' autre Agnes, l' autre Sibille, & qu' elle en avoit eu encores quelques autres, comme elle avoit ouy dire à sa mere: Qu' elle estoit lors de l' aage de vingt & neuf ans ou environ, Lingere & Fillandiere de son mestier, & non bergere, alloit tous les ans à confesse, oyoit souvent une voix du Ciel, & que la part où elle l' oyoit y avoit une grande clarté, & estimoit que ce fust la voix d' un Ange. Que cette voix l' admonestoit maintesfois d' aller en France, & qu' elle feroit lever le siege d' Orleans, luy dist qu' elle allast à Robert de Baudricourt, Capitaine de Vaucouleur, lequel luy donneroit escorte pour la mener, ce qu' elle fit, & le cogneut par cette voix. Item dixit quod bene scit quòd Deus diligit ducem Aurelianensem, ac etiam quòd plures revelationes de ipso habuerat, quàm de alio homine vivente, excepto illo, quem dicit Regem suum. Qui est à dire, item elle dit qu' elle sçavoit bien que Dieu aimoit le Duc d' Orleans, & qu' elle avoit eu plus de revelations de luy, que de nul autre vivant, fors & excepté de celuy qu' elle appelle son Roy. Recognoist avoir fait donner une escarmouche à jour de feste devant Paris: Interrogee si c' estoit bien fait, elle dist, passez outre: Interrogee quand elle avoit ouy la voix, elle respond, hier trois fois, la premiere au matin, la seconde sur le vespre, & la troisiesme, quum pulsaretur pro Ave Maria de sero. On l' interroge si elle a veu des Fees, dit que non, qu' elle sçache: mais bien qu' une sienne marraine femme du Maire d' Aulbery se vantoit les avoir quelquesfois veuës vers l' arbre des Fees, joignant leur village de Dompré. Qui estoient ceux ou celles qui parloient à elle, dit que c' estoit saincte Catherine, & saincte Marguerite, lesquelles elle avoit veuës souvent, & touchees depuis qu' elle estoit en prison, & baisé la terre par où elles estoient passees, & que de toutes ses responses elle prenoit conseil d' elles: Qu' elle avoit pris la robbe d' homme par expres commandement de Dieu: Qu' elle fut blecee au col devant la ville d' Orleans: Item dicit quòd antequam sint septem anni, Anglici, dimittent maius vadium quàm fecerunt coram Aurelianis, & quòd totum perdent in Francia: Dicit etiam quòd praefati Anglici habebunt maiorem perditionem, quàm unquam habuerunt in Francia, & hoc erit per magnam victoriam, quam Deus mittet Gallis. Qui est à dire, Item elle dit que devant qu' il soit sept ans, les Anglois delairront un plus grand gage que celuy qu' ils firent devant Orleans, & qu' ils perdront tout ce qu' ils ont dans la France. Dit en outre qu' ils feront une perte plus grande en France qu' ils n' avoient fait auparavant: & que cela adviendra par une grande victoire que les François avront sur eux. Interrogee si elle portoit quelques armoiries, dist que non, ains seulement son estendart. Mais que le Roy en avoit donné à ses freres c' est à sçavoir un escu en champ d' azur, auquel il y avoit deux fleurs de Lys d' or, au milieu une couronne. Je diray cecy en passant, que le Roy d' Angleterre escrivant une lettre aux Prelats, concernant la presomption de cette Pucelle. Elle avoit esté (dit-il) si audacieuse de charger les fleurs de Lys en ses armes, qui est un escu à champ d' azur, avec des fleurs de Lys d' or, & une espee la pointe en haut feruë en une couronne. Au demeurant elle dit à l' Evesque que son pere un jour entre les autres songea qu' elle iroit avec des gensdarmes: Ce que craignant il la tenoit ordinairement de court, & disoit souvent à ses fils que s' il pensoit que cela deust avenir, il avroit beaucoup plus cher qu' on la noyast. On luy impute qu' estant prisonniere à Beaurevoir, elle avoit sauté du haut en bas de la tour pour se tuer, elle confesse le fait, mais que c' estoit en esperance de se sauver: Elle demande d' oüir la Messe, & puis de recevoir Dieu à la feste de Pasques, ce qu' on luy accorde, en reprenant l' habit de femme, mais elle n' y veut entendre. Sur le fait de l' adoration, dit que si quelques uns avoient baisé ses mains, ou sa robbe, ce n' avoit point esté de son consentement. Dit qu' à l' arbre des Fees, & à la fontaine pres de Dompré elle parla à sainctes Catherine, & Marguerite, mais non aux Fees: Et y commença de parler dés l' aage de treize ans. Que quelquesfois on luy avoit bien imputé d' avoir parlé aux Fees, mais qu' il n' en estoit rien, & ainsi l' avoit dit à un de ses freres. Qu' au 20. an de son âge elle alla à Neuf-chastel en Lorraine, où elle demeura chez une hostesse nommee la Rousse, & là menoit les bestes aux champs, mesmes les chevaux paistre, & abreuver: Et ainsi apprit de se tenir à cheval: Que pendant qu' elle estoit à Neuf-chastel, elle fut citee pardevant l' Official de Toul pour un mariage, mais qu' elle gaigna sa cause. Qu' apres y avoir servy cinq ans, elle retourna chez son pere, puis malgré luy s' en alla à Vaucouleur, où Robert de Baudricourt ne tint compte d' elle pour la premiere, ny seconde fois, mais à la troisiesme, il la receut & l' habilla en homme, puis luy bailla vingt Chevaliers, un Escuyer, & quatre varlets qui la menerent au Roy estant à Chinon. Sollicitee par ses Juges de reprendre l' habit de femme, elle respond qu' elle ne requeroit d' avoir de cet habit qu' une chemise apres sa mort. De rechef solicitee de laisser l' habit d' homme, & qu' en ce faisant on la recevroit au S. Sacrement de Communion. Noluit huic praecepto obsequi, in quo apparet peruicacia eius, & obduratio ad malum, & contemptus Sacramentorum. A la fin elle accorde de reprendre une robbe de femme pour ouyr la Messe, mais à la charge que l' ayant ouye elle reprendroit celle d' homme. Ad hoc fuit et dictum quod ipsa caperet habitum muliebrem simpliciter, & absolutè. Ad quod ipsa respondit, Tradatis mihi habitum ad modum unius filiae Burgensis, scilicet unam Houpelandam longam, & similiter Capitium muliebre, & ipsa accipiam pro audiendo missam. Dicebat se malle mori, quàm revocare id quod Dominus fecit sibi fieri, hoc est ut ferret habitum virilem. Dit qu' elle avoit promis au Roy lors qu' elle le salüa la premiere fois de faire lever le siege d' Orleans, de le faire sacrer Roy, & qu' elle le vengeroit de ses ennemis. Luy fut improperé que tousjours elle avoit empesché la paix avec l' Anglois. Ce qu' elle accorda, disant que la paix ne se pouvoit faire qu' ils ne vuidassent du tout de la France. Le Promoteur luy reproche qu' elle avoit faict cacher derriere l' Autel de saincte Catherine de Fierbois une espee qu' elle envoya querir depuis qu' elle eut parlé au Roy pour le tromper: Quod ipsa negat, scilicet se fecisse hoc dolosè: Bien confesse-elle qu' avant qu' aller à Chinon, elle avoit ouy trois Messes en ce lieu de saincte Catherine: Luy reproche d' avantage qu' elle se disoit avoir esté envoyee de Dieu pour faire la guerre. Chose du tout contrevenante à sa volonté pour n' avoir rien tant en horreur, que l' effusion de sang. Respond que par les lettres qu' elle avoit escrites au Roy d' Angleterre, & Princes de son sang, elle avoit premierement demandé la paix, & depuis faict la guerre. La teneur de la lettre est transcrite au procez: Qu' elle avoit faict mourir un Franquet, dict que c' estoit un volleur: que pour tel recogneu, il fut defaict par sentence du Bailly de Senlis: Qu' elle avoit plusieurs fois receu le Corpus Domini en habit d' homme, & aussi qu' elle avoit flechy le genoüil devant les dictes voix, ce qu' elle recogneut, & confessa. Le Promoteur. Item quod ipsa Ioanna in tantum suis adinventionibus Catholicos seduxit, quod multi in praesentia eius eam adoraverunt ut sanctam, & adhuc adorant in absentia, ordinando in reverentiam eius Missas & Collectas in Ecclesiis: imò dicunt eam maiorem esse omnibus sanctis Dei post beatam Virginem, elevant imagines, & repraesentationis eius in basilicis sanctorum, ac etiam in  plumbo, & alio metallo repraesentationes eius super se ferunt. A quoy elle respondit qu' elle s' en rapportoit à Dieu. Contra praceptum Dei  assumpsit dominationem supra viros, constituendo se caput exercitus. Elle dit que si elle avoit esté chef de guerre, c' avoit esté pour battre les Anglois: Dict en outre que son estendart estoit de toille, ou boucassin bordé de veloux, avecques un champ semé de fleurs de Lys, au milieu d' iceluy y avoit un Dieu figuré, tenant un monde costoyé de deux Anges revestus de blanc, & au dessous estoit escrit; Iesus Maria. Il n' y avoit en cette responce aucun mal, toutesfois les Juges tournans tout ce qui avoit esté par elle fait ou dit en venin, luy remonstrerent que Voluerat attribuere tales vanitates Deo, & Angelis, quod est contra reverentiam Dei & Sanctorum: Et si sa fiance estoit en son estendart: A quoy elle respondit sagement, que toute sa fiance estoit en celuy dont elle portoit l' image. Pourquoy elle tint seule cet estendart sur l' Autel, quand le Roy fut couronné, Illud fuerat (dit-elle) in poena, & ideo rationabile erat quod esset in honore. Qu' ayant esté blecee devant Paris, elle offrit depuis, & fit appendre dans l' Eglise sainct Denis son harnois par gloire, dit que par devotion elle l' offrit à S. Denis, comme font tous ceux qui sont blecez en guerre, aussi que S. Denis est le commun cry de la France, S. Denis Mont-joye. On luy demande si elle se vouloit rapporter au jugement de l' Eglise militante: Elle dit que ouy, pourveu qu' elle ne luy commandast rien impossible, Scilicet declarata per eam de visionibus, & revelationibus, quas dixit se fecisse ex parte Dei, quas nollet revocare pro quocunque, & si Ecclesia diceret istas visiones esse illusiones, nollet tunc se referre ad hominem, sed ad Deum.

Les articles tirez des confessions de la Pucelle estoient, qu' elle aagee de treize ans, disoit avoir veu sainct Michel, saincte Catherine, & saincte Marguerite, mesme une grande troupe d' Anges. Que ces sainctes luy conseillerent depuis d' aller trouver Charles VII. pour le secourir, & de changer l' habit d' homme, lequel elle avoit mieux aimé porter que d' oüyr la Messe, ou recevoir le precieux Corps de nostre Seigneur, & avoit refusé en cela de se soubmettre au jugement de l' Eglise militante, ains s' en estoit rapportee au seul Dieu. Item quod dicit quod ipsa est certa de quibusdam mere contingentibus, & occultis, & quod cognovit per voces, quas nunquam ante viderat. Ulterius dicit quod ex quo habeat de mandato Dei deferre habitum viri, oportebat eam accipere tunicam brevem, Caputium, Gipponem, brachas, & caligas cum aiguilletis, capillis suis super aurium summitates scißis in rotundum. D' avantage qu' elle s' estoit precipitee du haut en bas de certaine tour, aymant mieux mourir que de tomber és mains des ennemis: Et quod non tantum audivit, & vidit, sed etiam tetigit corporaliter & sensibiliter Catharinam, & Margaretam, & osculata erat terram, super quam gradiebantur.

En fin apres que le Promoteur eut pris telles conclusions qu' il luy pleut par sentence de l' Evesque, & du Vicegerent de l' Inquisiteur, il est dit que tout ce qui avoit esté fait par la Pucelle, n' estoit que factions, & tromperie, pour seduire le pauvre peuple, ou bien invention du Diable, & qu' en tout cecy elle avoit commis blaspheme contre l' honneur de Dieu, impieté contre ses pere, & mere, idolatrie contre l' honneur de nostre mere saincte Eglise. Autre blaspheme d' avoir mieux aimé ne recevoir le Corps de Dieu, & communier au S. Sacrement de l' Autel, que de quitter l' habillement d' homme. A ce jugement opinerent les Evesques de Constance, & Lizieux, le Chapitre de l' Eglise Cathedrale de Roüen, seize Docteurs, & six tant Licentiez, que Bacheliers en Theologie, & unze Advocats de Roüen. Cette sentence envoyee à l' Université de Paris, pour donner advis sur icelle, elle s' assembla au College de sainct Bernard, sous l' authorité de Maistre Pierre de Gonda Recteur, & apres avoir le tout veu, la Faculté de Theologie fut d' advis par l' organe de Maistre Jean de Troyes, celle de Decret par celuy de Maistre Guerraut Boissel leurs Doyens, que la Pucelle estoit vrayement heretique & schismatique, & sur cette resolution l' Université depescha deux lettres du quatorziesme jour de May, mil quatre cens trente & un. L' une au Roy Henry, l' autre à l' Evesque de Beauvais, a fin de la faire mourir: Toutes-fois cet advis ne fut suivy pour ce coup, mais ayant esté la Pucelle admonestee de se soubmettre au jugement de l' Eglise, elle fait responce qu' elle entendoit se soubmettre à toute raison, ainsi qu' elle avoit tousjours protesté par son procez: On l' exposa sur un escharfaut public, où apres avoir esté preschee, elle dit lors qu' elle se soubmettoit au jugement de Dieu, & de nostre sainct Pere le Pape. Puis voyant que l' on vouloit passer outre, elle protesta de tenir tout ce que l' Eglise ordonneroit, disant plusieurs fois que puis que tant de gens sages soustenoient que les apparitions n' estoient de Dieu, elle le vouloit aussi croire, & fit une abjuration publique inseree tout au long au procez. Sur quoy intervint autre sentence, par laquelle elle est absoulte du lien d' excommunication, & condamnee à perpetuelle prison, Ut cum pane doloris ibi commissa defleret. Et deslors elle reprit l' habit de femme, & l' envoya-l'on en une prison les fers aux pieds: Ce neantmoins furent mis ses habillemens d' homme pres d' elle, pour voir quels seroient ses deportemens. Elle ne fut pas si tost seule, & revenuë à son second penser, qu' elle fit penitence de son abjuration, & reprit ses premiers habits d' homme. Le lendemain au matin visitee, estant trouvee en son ancien appareil, & interrogee sur ce changement, elle respond l' avoir faict par le commandement expres des sainctes, & qu' elle aimoit mieux obeïr aux commandemens de Dieu, que des hommes. A ce mot on la declare heretique relapse, & tout d' une suitte elle est renvoyee au bras seculier, où elle fut condamnee d' estre bruslee toute vifve par sentence du trentiesme May 1431. depuis envoyee au Parlement de Paris, pour y estre enregistree. Les Normans non contens de l' avoir condamnee à mort, la voulurent mitrer lors qu' ils l' envoyerent au gibet, & estoient ces mots escrits sur la mitre, Heretique, Relapse, Apostate, Idolatre, & au devant d' elle un Tableau plain d' injures & contumelies, ne se pouvans assouvir de sa seule mort, ores qu' elle fust tres-cruelle.

L' Université de Paris voulant aussi joüer son rolle, fit une procession generale le jour de sainct Martin d' Esté à sainct Martin des Champs, où un frere Dominicain fit une declamation encontre cette pauvre fille, pour monstrer que tout ce qu' elle avoit faict c' estoient œuvres du Diable, non de Dieu.

Au milieu de tous ces fleaux toutes-fois, pendant qu' on luy faisoit son procez, vint à Paris une femme nommee Peronne, qui estoit du pays de Bretagne, laquelle soustint publiquement que la Pucelle avoit esté envoyee de Dieu, & que de ce elle avoit plusieurs revelations par l' Ange, qu' elle voyoit souvent habillé de robbe blanche: Et parce qu' elle ne voulut jamais desmordre cette creance, elle fut escharfaudee, & preschee le troisiesme de Septembre, mil quatre cens trente, & le jour mesme bruslee. C' estoit six ou sept mois auparavant la condamnation de la Pucelle. Depuis les affaires de la France estans devenuës plus calmes par l' extermination des Anglois, Maistre Robert Cibole Docteur en Theologie, Chancelier de l' Université, par Livre exprez escrivit en l' an mil quatre cens cinquante six, contre tous ceux qui l' avoient declaree heretique, j' en ay veu autres fois le Livre és mains du Feron, ce grand rechercheur d' armoiries.

Mais puis qu' un Theologien, & Chancelier de l' Université n' a douté d' accuser tous ces Messieurs là d' impieté, pourquoy ne suivray-je ses traces? S' il vous plaist recueillir ce que j' ay discouru cy-dessus, tout le motif de sa condamnation fut pour deux causes: L' une pour s' estre contre les commandemens de S. Paul habillee en homme, l' autre pour avoir adjousté foy aux voix, qui se presentoient à elle de nuict. Or pour le regard de ces voix, on ne peut dire que ce fust artifice, cela pouvoit estre dit, quand elle se presenta au Roy, a fin d' exciter les Capitaines, & soldats, à se plonger de meilleur cœur dans la querelle de leur Prince: Mais estant és mains de la Justice, se pouvant garantir de la mort, comme elle avoit fait en quittant les habillemens d' homme, & neantmoins le lendemain les ayant repris, qui luy estoit une asseurance de mort tres-cruelle, il ne faut point faire de doute, qu' elle r'entra sur ses alteres par l' advis qu' elle en eut la nuict, comme elle confessa à ses Juges. Quel jugement doncques pouvons nous en cecy faire d' elle, je dy pour en parler sans passion? Non autre certes, sinon qu' elle estimoit que toutes ces voix venoient de Dieu, qui luy avoit du commencement commandé de prendre l' habit d' homme pour sauver le Roy, & puis ne le laisser quelque crainte de mort que l' on luy mist devant les yeux: Et c' est pourquoy elle dist tant de fois, que combien qu' elle se soubmist au jugement de l' Eglise militante, toutes-fois elle vouloit embrasser premierement celuy de Dieu. Mais cette voix estoit-elle de Dieu, ou du Diable? Je sçay bien que le Diable se transforme assez souvent en l' Ange de Dieu pour nous piper. C' est ce que l' Evangile nous enseigne: puis qu' il joüe de fois à autre ce personnage, il faut doncques croire que Dieu envoye aussi quand il veut ses bons Anges sous telles images qu' il luy plaist, pour nous induire à bonnes choses. La Bible est toute pleine de tels exemples. Le mesme Dieu qui estoit lors, est celuy qui gouverne cet Univers, pourquoy douterons nous que sa puissance ne soit telle, & par consequent ses effects? En tout ce procez par moy discouru, vous ne remarquez autre chose qu' une ame toute Catholique, qui ne demande que confession, oüir la Messe, recevoir Dieu, moyennant que ce soit en l' habit qui luy est commandé par les voix: Parce qu' elle estime que ce soit un commandement expres, & particulier de Dieu qui luy est fait. Mais pourquoy prit-elle l' habit d' homme? Estoit-ce pour un meschant œuvre? Pour porter confort & aide à son Roy, contre l' indeuë usurpation des Anglois. Davantage voyez comme illuminee des rayons du sainct Esprit par ces voix, elle predit des choses qui advindrent: Car je vous laisse à part, qu' elle recogneut premierement Baudricourt, puis le Roy, que elle n' avoit jamais veu, cela pouvoit estre sujet à caution, & pourra quelque sage-mondain dire que c' estoit une partie joüee par l' entremise de quelques uns, qui luy avoient servy sous main de protecoles: Quant à moy, je veux croire que ce fut par inspiration de Dieu, puis qu' en tout ce que je diray cy-apres, je n' y voy nulle hypocrisie. Elle dit au Roy qu' elle estoit envoyee de Dieu pour degager Orleans du siege, puis pour faire Sacrer, & Couronner le Roy à Rheims, ne le fit-elle? Par les lettres que sur son advenement elle escrivit au Roy d' Angleterre, elle luy manda que s' il n' entendoit à la paix, il verroit le Roy Charles entrer en tout honneur dans Paris, & qu' ainsi luy avoit esté revelé, cela n' advint-il puis apres? Par une de ses responces elle dit à ses Juges que le Duc d' Orleans estoit bien aimé de Dieu, comment pouvoit-elle juger cela que par l' inspiration divine? Elle dit encores à ses Juges qu' avant le terme de sept ans, l' Anglois seroit exterminé de la France. S' il ne le fut de la France, ne le fut-il de Paris en l' an mil quatre cens trente six ville capitale de la France, par le moyen dequoy le Roy Charles gaigna quarante cinq dessus la partie? Mais sur tout me plaist quand cette guerriere pour braver ses Juges par une belle saillie, leur dit que le Duc d' Orleans qui estoit leur prisonnier il y avoit quinze ans passez, estoit le bien aymé de Dieu. Voyons si cette parolle fut menteuse. Il sortit de prison l' an mil quatre cens quarante, & à son retour espousa en la ville de sainct Aumer, Catherine de Cleues, niepce de Philippes Duc de Bourgongne, dont il eut un seul fils du nom de Louys. Auparavant sa prison il avoit eu un enfant naturel Jean Comte de Dunois, appellé communément par nos Historiographes, le Bastard d' Orleans, qui depuis és annees mil quatre cens cinquante & deux, reduisit sous la puissance du Roy Charles les pays de Normandie & Guyenne. Et quant au legitime ce fut nostre bon Roy Louys douziesme de ce nom, qui pour ses bons & doux deportemens fut apres son decez honoré du bel Eloge de Pere du Peuple, qu' un Claude de Seissel Evesque de Marseille ne douta par livre exprez de parangonner à tous les autres Roys de France. Un Prince pouvoit-il estre mieux aimé de Dieu, que de luy envoyer deux enfans, ausquels nostre France fut depuis tant redeuable? Et puis au bout de cela apres tant de bons actes, apres tant de predictions veritables, en une querelle si juste, apres tant d' heureux succez, nous dirons que c' estoient illusions du Diable? Certes il ne faut point avoir de pieté en la teste qui le soustiendra. Adjoustez, & cestuy est un traict d' Histoire fort memorable: si les anciennes Histoires sont vrayes on trouve unes Semiramis & Jeanne, qui sous habillemens d' hommes exercerent, celle là une Royauté, cette-cy la Papauté: Toutesfois avant que la partie fust parachevee, elles nous servirent d' un plat de leur mestier: Parce que chacune fit un enfant, chose qui leva leur masque. Mais nostre Jeanne, encores que l' Anglois recherchast tous moyens de la calomnier, si ne luy impropera-il impudicité par tout le discours de son procez, jaçoit qu' elle eust vescu au milieu de plusieurs grandes armees, où telle desbauche est plus que souvent en usage. Et c' est pourquoy la posterité non sans grande raison luy donna le tiltre de Pucelle, qui luy est demeuré jusques à huy. Ce neantmoins il y a aujourd'huy quelques plumes si eshontees qui ne doutent de la pleuvir pour garce de Baudricourt. Au demeurant je ne veux oublier que sa memoire fut de si grande recommandation entre nous apres sa mort, qu' en l' an 1440. le commun peuple se fit accroire que la Pucelle vivoit encores, & qu' elle estoit eschappee des mains des Anglois, qui en avoient fait brusler une autre en son lieu: Et pource qu' il en fut trouvee une en la gendarmerie en habillement desguisé, le Parlement fut contraint la faire venir, la representer sur la pierre de Marbre du Palais, au peuple, pour monstrer que c' estoit une imposture.

Je serois ingrat envers la memoire du Roy Charles premierement, puis de cette miraculeuse guerriere, si pour closture de ce Chapitre, je n' y enchassois cet Eloge, qui me semble d' une singuliere recommandation. Elle avoit trois freres, Jaquemin, Jean, & Pierre dit Pierrelot, dont les deux derniers s' embarquerent à pareille fortune que leur sœur, faisans profession des armes. Le Roy en consideration des grands & signalez services qu' il avoit receuz de la Pucelle, tant à la levee du siege d' Orleans, que son Sacre, dont elle avoit esté la principale porte-banniere, l' annoblit, ensemble ses pere, mere, freres, & leur posterité, tant masculine que feminine, par ses Patentes en forme de Chartre, donnees à Mehun sur Yeure, au mois de Decembre mil quatre cens vingt-neuf, verifiees le seiziesme de Janvier ensuivant, en la Chambre des Comptes de Paris, lors transferee à Bourges. La teneur des lettres est telle. Considerantes laudabilia grataque servitia nobis ac regno nostro iam per dictam Ioannam puellam multimode impensa, & quae in futurum impendi speramus, certisque alijs causis ad hoc animum nostrum inducentibus, praefatam puellam, Iacobum Darc patrem, lsabellam eius uxorem, matrem, Iacqueminum, Ioannem & Petrum Perrelo, fratres ipsius puellae, & totam suam parentelam, & lignagium, & ion favorem & pro contemplatione eiusdem & eorum, posteritatem masculinam, & foemineam in legitimo matrimonio natam & nascituram nobilitavimus, & peu apres. Concedentes eisdem & eorum posteritati, tam masculinae, quam femineae, in legitimo matrimonio procreatae, & procreandae, ut ipsi feoda & retrofeoda, & res nobiles à nobilibus, & alijs quibuscumque personis acquirere, & tam acquisitas, quàm acquirendas retinere ac possidere perpetuo valeant. Privilege admirable, & non jamais octroyé à autre famille. Bien trouvons nous un Eude le Maire natif du village de Challo sainct Mas pres d' Estampes, & ses successeurs tant en ligne feminine que masculine avoir esté dispensez de toutes daces: mais non pour cela reputez Nobles, ny joüy du Privilege de Noblesse. 

Jamais service fait à la France ne vint au parangon de celuy de la Pucelle. Aussi jamais lettres d' annoblissement ne furent de tel poids & mesure que celles-cy. Annoblissement tellement embrassé, que comme ainsi soit qu' en la Normandie, il y ait quelques hommes issus des filles de cette lignee, ils joüissent de ce privilege. Et ainsi voy-je, uns Robert Fournier, Lucas de Chemin, oncle & nepueu, apres ample cognoissance de cause, & examen de leur genealogie, avoir fait enregistrer ces lettres d' annoblissement pour eux & les leur en la Cour des Aydes de Normandie, le 13. Decembre 1608. depuis que le Privilege d' Eude le Maire a esté supprimé.

Or pour plus signalee remarque de cette gratification, le Roy Charles voulut que les freres de la Pucelle portassent en leurs armoiries un escu en champ d' azur, auquel y avroit deux fleurs de Lys d' or, & au milieu une Couronne: & en outre, qu' au lieu du surnom Darc qu' ils avoient apporté du ventre de leur mere, ils fussent de là en avant surnommez du Lys. Comme si la Couronne de France, & le Lys eussent par les paradoxes exploicts & chef d' œuvres de la Pucelle repris leur ancienne force, dignité & vertu. Chose que je descouvre par un extraict tres-notable dont je vous veux faire part. Dés l' an mil quatre cens vingt cinq, on avoit baillé à six liures de rente fonciere par chacun an, le marc d' argent revenant à sept liures, une Isle assise sur la riviere de Loire, contenant deux cens arpens, vulgairement appellee l' Isle aux Boeufs, dont les Receveurs du Domaine d' Orleans, faisoient estat par leurs comptes: Advient que les detempteurs s' en departent le vingt & sixiesme Juillet, mil quatre cens quarante trois, & la remettent és mains de Charles Duc d' Orleans pere de Louys, qui fut depuis Roy de France douziesme du nom, lequel deux jours apres en fit don à Pierre frere de la Pucelle, verifié le vingtneufiesme par Maistre Jean le Fuzelier General de ses finances, pour en joüïr par luy & Jean son fils leurs vies durant, en consideration dequoy cette partie depuis mise en recepte fut couchee à neant, tant & si longuement qu' ils vesquirent. Comme de faict vous trouvez tout cela amplement narré par le compte de l' an mil quatre cens quarante quatre, rendu en la Chambre des Comptes, par Maistre Robin Gaffard, portant entr'autres choses l' article de recepte ces mots qui servent à mon intention. Laquelle Isle mon dict Seigneur le Duc a donné à Messire Pierre du Lys Chevalier; Oüye la supplication du dit Messire Pierre, contenant que pour acquiter la loyauté envers le Roy nostre dit Seigneur, & Monsieur le Duc d' Orleans, il se partit de son pays pour  venir au service du Roy nostre dit Seigneur, & de Monsieur le Duc en la compagnie de Jeanne la Pucelle sa sœur, avec laquelle jusques à son absentement, & depuis jusques à present il a exposé son corps & ses biens ou dit service, & au fait des guerres du Roy, tant à la resistance des anciens ennemis du Royaume, qui tindrent le siege devant la ville d' Orleans, comme à plusieurs voyages faicts & entrepris par le Roy nostre dit Seigneur, & ses chefs de guerre, & autrement en plusieurs & divers lieux. Je vous laisse le demeurant de l' article, auquel est pareillement fait mention de Jean du Lys fils de Pierre: Me contentant qu' on voye que ce Pierre surnommé du Lys estoit frere de la Pucelle. Surnom que je voy luy avoir esté baillé, & à son fils en tous les comptes subsequens faisans mention d' eux.

Je ne me puis faire accroire que cestuy ayant affaire à un grand Prince du Sang eust osé changer son surnom Darc en celuy du Lys: sans que luy & ses freres eussent permission expresse de ce faire, par le benefice du Roy. Mais sortout me plaist qu' on trouve par quelques anciens tiltres que plusieurs des leur qui les survesquirent, apres avoir mis le surnom du Lys, adjoustoient tout suivamment ces mots Dits la Pucelle, pour monstrer qu' ils estoient de sa lignee. Au demeurant comme par succession de temps cette famille fut casuellement espanduë en diverses branches par la France, tant en lignee masculine que feminine: Aussi Maistre Charles du Lys, Conseiller du Roy, & son Advocat general en la Cour des Aydes de Paris, a pardevers soy plusieurs enseignemens, par lesquels il se treuve & preuve en estre un des rejettons.

6. 5. Sommaire du procés de Jeanne la Pucelle.

mardi 25 juillet 2023

7. 3. De l' ancienneté, & progrez de nostre Poësie Françoise.

De l' ancienneté, & progrez de nostre Poësie Françoise.

CHAPITRE III.

L' usage de la Poësie rimee est d' une treslongue ancienneté entre nous. Je vous ay dit au premier livre que nos vieux François habitoient originairement la Germanie, dont quelques braves guerriers premierement se desbanderent avecques suite de soldats pour servir uns & autres Empereurs, & depuis avecques le temps se dispenserent de leurs services, les guerroyans par diverses courses, jusques à ce qu' en fin ils se firent maistres & Seigneurs des Gaules: & non contens de cela advint qu' en une grande bataille que l' on appella la journee de Tolbiac, nostre grand Clovis obtint une generalle victoire, contre les Germains: De maniere qu' il reduisit toute la Germanie souz sa domination: A quoy jamais les Romains n' avoient peu attaindre: Ce fut lors qu' il promit à Dieu de se faire Chrestien, en cas qu' il vint à chef de ses ennemis. Promesse qu' il executa & depuis ayant esté baptizé, il est grandement vraysemblable, qu' il voulut reduire au mesme point sinon toutes, pour le moins quelques nations par luy subjugées, & entre autres celle dont ses ancestres estoient extraits: Je ne vous fais ces discours sans propos. Parce que Beatus Rhenanus, en son traicté Rerum Gemanicarum, Livre second, voulant monstrer que la vieille langue des François symbolizoit avecques celle des Germains, dit ainsi. Germanica Francos usos fuisse lingua cum innumera alia argumenta probant, tum verò manifestè convincit Liber ille insignis Evangeliorum Francicè, hoc est Germanicè versus, quem nos nuper dum comitia Romani imperij Carolus Caesar celebraret apud Augustam Rhetiae superioris, Fruxini in Vindelicis, quam hodie Frinsingam appellant, in bibliotheca Divi Corbiniani obiter reperimus. Nam Livianarum Decadum gratia fueramus illic profecti. Eius codicis hic est titulus. Liber Evangeliorum in Theodiscam linguam versus. Constat autem ex rithmis totus. Atque ut antiquitatem eius tralationis non ignores, deprehendi librum exscriptum ab hinc annos fere sexcentos, ut tum compositum credam cum Christo primum Franci nomen dedere. In fine enim ascriptum erat: (Vvaldo) Waldo (: Uvaldo) me fieri iussit: Sigefridus presbyter scripsi. Numeratur autem inter Frisingenses Episcopos Waldo, ni fallor, decimus. Habet *ipsum opus elegantißimam praefationem cuius hoc initium est, nulla littera mutata. 

Nvvvilich scriban vnser heil 

Euangeliono deil 

So vuit nu hiar bigunnon 

In Frenkisga zungun

Qui Germanicè callet satis intelligit ista verba, nisi quod hodie aliter scribimus & B proferimus, non addentes alicubi tot vocales, alicubi plures adiicientes. Item paulo post.

Hiar hores io zi guate 

Vvas got imo gebiete 

Tas vvir imo hiar sungun

In Ferenkisga zungun. 

Nu fruves si hes alle 

So Vverso Vvola Vvole. 

Ioth Vver si hold in muate

Francono thute. 

Item paulò post comparantur Franci Romanis animositate, nunquam hoc negaturis Graecis.

Sie sint so fama kuani 

Selpso thio Romani. 

Nu darfmun thaz ouch redinon 

Tas Kriachi nith es Vvidaron, 

Item alio loco praedicantur ad arma prompti, & viri fortes omnes. Nam hoc significat Thegan Francis. Unde Deganberti sive Dagoberti nomen & Degenhardi. 

Zi vvafane snelle

So sint hic thegan alle. 

Nec libet plura addere. Nam ista satis evincunt quod fortaßis apud nonullos controversum esse poterat. Hoc omittere nequeo volumen istud egregium esse antiquitatis thesaurum.


Vers dont le sens est tel mot pour mot.


Ores veux-je escrire nostre salut

De l' Evangile partie

Que nous icy commençons 

En Françoise langue.

Icy escoutez en bonne part, 

Ce que Dieu vous commande,

Qu' icy nous vous chantons

En Françoise langue. 

Or se resjouïsse tout homme 

Qui au vers bien voudra, 

Et qui le retient en un courage franc.

Ils sont aussi preuz ou braves

Comme les mesmes Romains: 

On oze bien aussi en dire cela

Que les Grecs ne contrediront.

Aux armes prompts, & habiles:

Ainsi sont ils vaillans tous.

Beatus Rhenanus tira tous ces vers de la preface, que le traducteur avoit faicte sur les Evangiles par luy traduites en rime Françoise, toute telle que cette preface, pour monstrer que la langue des François, lors de cette traduction, n' estoit autre que celle des Germains que nous appellons Allemans: & quant à moy, je recueille d' eux que deslors les vers rimez estoient en usage. Rime qui s' est continuee de main en main jusques à nous en nostre vulgaire François, qui fut composé de trois langues, Walonne, Latine, & Françoise. Yve Evesque de Chartres, qui vivoit sous le regne du Roy Philippe premier, escrivant au Pape Urbain en sa soixante & huictiesme lettre, & parlant d un jeune gars malgisant, dit que l' on avoit faict des Vaudevilles de luy qui se chantoient par tous les carrefours. Quidam enum appellantes eum Floram, multas Rithmicas cantilenas cantilenas de eo composuerunt, quae à foedis adolescentibus, per urbes Franciae in plateis & compitis cantitantur.

Encores que la rime fust lors en usage, comme vous voyez par ce passage, toutesfois je ne trouve point Poëtes de nom en ce temps là, ny assez long temps apres. Les arts & sciences ont leurs revolutions & entresuites ainsi comme toutes autres choses, & voyagent de pays à autres. L' ignorance avoit croupy longuement chez nous, quand sous Louys septiesme du nom, & sous Phiippe Auguste son fils, les bonnes lettres commencerent de se resveiller, & signamment en la Poësie Latine nous eusmes, un Leoninus, comme aussi un Galterus qui fit l' Alexandreide Latine: & tout ainsi qu' en Latin, aussi commença grandement de poindre la Poësie Françoise. Il n' est pas que ce grand Pierre Abelard, auquel j' ay au livre precedant donné son chapitre, ne voulust estre de la partie. Il se joüoit de son esprit comme il vouloit, & pour attremper ses plus serieuses estudes faisoit des vers d' amour en rime Françoise, que l' on mettoit en musique, & se chantoient par uns & autres. C' est ce que j' aprens de Heloïse, laquelle s' excusant d' avoir abandonné ses volontez à celles d' Abelard, apres avoir fait un long recit des perfections d' esprit qui estoient en luy, par lesquelles il pouvoit attirer à soy les plus grandes Dames & princesses, en fin elle adjouste ces mots. Duo autem fateor specialiter tibi inerant, quibus foeminarum quarumlibet animos statim allicere poteras: dictandi videlicet & cantandi gratia, quam caeteros Philosophos minime assequutos novimus. Quibus quidem quasi ludo quodam laborem recreans exercitij Philosophici, pleraque amatoria metro & rithmo composita reliquisti carmina, quae prae nimia suavitate tam dictaminis, quàm cantus saepe frequentata, tuum in ore omnium nomen incessanter tenebant, ut illiteratos etiam melodiae tuae dulcedo tui non sineret immemores esse. Atque hinc maxime in amorem tuum foeminae suspirabant, & cum horum pars maxima nostros decantaret amores, mulcis me regionibus brevi tempore nunciavit, & multarum in me foeminarum accendit invidiam. 

C' estoient les Amours de luy & d' Heloïse qu' il avoit composees en rimes Françoises mises en musique, qui estoient chantees & passoient par les mains tant des doctes, que du commun peuple, & des femmes mesmes.

Sous Philippe Auguste nous eusmes Helinan natif de Beauvoisin Religieux de l' Abbaïe de Fremont, ordre de Citeaux (Cisteaux): duquel Vincent de Beauvois fait ce tesmoignage en son Mirouër historial, parlant de l' an 1209. qui est sous le regne de nostre Philippe Auguste. His temporibus in territorio Belvacensi fuit Helinandus Monachus Frigidi montis, vir religiosus & facundia disertus, qui & illos versus de Morte, in vulgari nostro (qui publicè leguntur) tam eleganter & utiliter, ut luce clarius pater, composuit. Vous voyez le beau jugement qu' il en faict. Le malheur avoit voulu que son Poëme de la mort fust mort par la negligence, ou longueur des ans, toutesfois Maistre Anthoine Loisel, grand Advocat au Parlement de Paris, l' un de mes plus singuliers amis, luy a redonné la vie, par une diligence qui luy est propre & peculiere en matiere d' anciennetez. Ayant faict imprimer ce livre au mesme langage ancien qu' il avoit esté composé: Dans lequel vous verrez une infinité de beaux traicts, non toutesfois agreables à tous pour n' estre habillez à la moderne Françoise. Qui fait que je souhaitterois qu' on les mist d' un costé en leur jour naturel, & d' un autre vis à vis on les fit parler comme nous parlons maintenant, en la mesme maniere que voyons avoir esté practiqué par Blaise Viginel quand il voulut ressusciter l' ancienne histoire du Mareschal Villardouïn. Or ce qu' Helinan tint un grand lieu entre les Poëtes François nous le pouvons recueillir de ces vers tirez d' un vieux Roman. Chose fort bien remarquée par Loisel. 

Quant li Roy ot mangié, s' appella Helinand

Pour ly esbanoyer commanda que il chant,

Cil commence à noter ainsi com ly iayant

Monter voldrent au Ciel, comme gent mescreant.

Entre les Diex y ot une bataille grand,

Si ne fust Jupiter à sa foudre bruyant

Qui tous les desrocha, ia ne eussent garent.

Je vous cotte ces sept vers pour deux causes. L' une a fin que l' on sçache en quelle recommandation estoit Helinan, veu qu' entre tous les Poëtes François on le nomme particulierement pour chanter quelque belle chanson devant le Roy. Lautre pour nous monstrer quelle estoit la texture de vers aux œuvres de l' histoire des Grands que vous voyez estre faits d' une longue suite de mesmes rimes. Comme aussi l' ay-je trouvé ainsi dans les Romans d' Oger le Danois, Datis, & Profelias, & par especial en celuy de Pepin & Berte, où j' en ay cotté cinquante trois finissans en hier, & soixante un en ée, qui seroit chose ennuyeuse de vous transcrire en ce lieu: Toutesfois par ce qu' il n' est pas malseant de representer l' ancienneté en sa naïfve simplicité, je me contenteray de vous en bailler seulement un chapitre, où l' autheur de ce Roman s' estudia de pourtraire au naïf les affections brusques d' un paisant. Car comme ainsi fust qu' avant le mariage de Pepin & Berte, il face que cette pauvre Princesse venant de Hongrie en France, se rende fuitive pour se garentir des aguets de sa Gouvernante, laquelle puis apres fit marier sa fille au Roy Pepin, au lieu de la vraye Berte, cette Royne supposee commença de tyrannizer le peuple, & advenant que quelque temps apres, Blanchefleur mere de Berte vint en France pour visiter sa fille, elle receut plusieurs plaintes des pauvres subjects: estimans que celle qui les molestoit fust sa propre fille: Au moyen dequoy l' autheur suit sa route de cette façon.

Or s' en va Blancheflor qui ot le cuer certain,

Mult forment luy ennuye de sa fille Bertain,

Dequoy la gent se plaint de toutes parts à plain.

Emmy la voye encontre un paisaut vilain,

Ou qu' il voit Blancheflor, si la prend par le frain: 

Dame mercy per Diex, de vo fille me plain,

N' avoye qu' un cheval dont gaignoye mon pain,

Dont ie me nourrissoye & ma femme Margain,

Et mes petits enfans qui or' mourront de faim,

A Paris apportoye chaulme, buche & estrain,

Sessante sous cousta un an a per certain,

Or' me la faict tollir, Diex luy doint mal demain,

A meschef l' ay nourry cest hyver de mon grain:

Mais par cest Sainct Seignor qui d' Adam fit Evain, 

Ie la maudiray tant & au soir & au main (Matin), 

Que vengeance en aray du Seignor Souverain. 

Pitié en ot la Dame, & de duelle cuer vain,

Cent soz ly fait donner tous errans en sa main,

Cil en baise de ioyé l' estrier & le lorain:

Dame Diex vos benie, qu' or ay cuer lie & sain, 

Mais ne maudiray Berte par le corps Sainct Germain.

Je vous baille cest exemple pour tous, auquel vous voyez vingt & un vers d' une tire, tombans sous une mesme rime. Et faut noter que cela s' observoit principalement aux vers de douze à treize syllables, que nous appellons Alexandrins, lesquels ne se mettoient lors gueres en usage d' autre façon, encores que par succession de temps nous ne nous y astraignons maintenant. Le chemin de ces longues rimes telles que dessus leur avoit esté enseigné par le Poëte Leonin en ses vers Latins dediez au Pape Alexandre le tiers.

Au demeurant nos anciens eurent encores une autre maniere de faire, qui merite de n' estre teuë: Car si quelqu'un avoit encommencé un œuvre de merite, & qu' il fust prevenu de mort avant que de le parachever, il se trouvoit quelque bel esprit qui y mettoit la main, pour ne laisser l' ouvrage imparfaict. En cette façon se trouva la vie d' Alexandre translatee de Latin en François premierement par Lambert Licors, & parachevee par Alexandre de Paris: & ses faits & gestes composez par Pierre de S. Cloct & Jean li Nevelois: comme aussi le Roman de la Roze encommencé par Guillaume de Lorry, parachevé 40. ans apres par Jean Clopinet de Mehun.

Dés & depuis le regne de Philippe Auguste jusques à celuy de Philippe le Bel, nous eusmes une infinité de Poëtes, entre lesquels je trouve que Pierre de S. Cloct & Jean li Nevelois eurent grande reputation sur les autres. Je n' ay pas eu cest heur de les lire, mais voicy le jugement qu' en fait Geoffroy Tory, en son livre du Champ flori qui fut imprimé en l' an 1526. livre plein d' erudition & doctrine au suject qui y est traicté. Ces deux autheurs (dit-il) ont en leur style une grande majesté de langage ancien, & croy que s' ils eussent eu le temps en fleur de bonnes lettres, comme il est aujourd'huy, qu' ils eussent excedé tous autheurs Grecs & Latins. Ils ont, dy-je, en leurs compositions don accomply de toute grace en fleurs de Rhetorique & Poësie ancienne. Jaçoit que Jean le Maire ne face aucune mention d' iceux, toutesfois si a-il pris & emprunté d' eux la plus grande part de son bon langage: comme on pourroit bien voir en la lecture qu' on feroit attentivement és œuvres des uns & des autres. Jugement qui n' est pas petit. Parce qu' en Jean le Maire, nous trouvons une infinité de beaux traits dont il a illustré nostre langue dedans ses Illustrations de la Gaule. Que s' il les emprunta des deux autres, comme Tory recueilloit par leurs correspondances, croyez qu' ils n' estoient par petits maistres & ouvriers en l' art de bien dire. Et qui me faict luy adjouster plus de creance, c' est que leur Poësie fut trouvée si agreable, qu' ayant esté inventeurs des vers de douze syllables par lesquels ils avoient escrit la vie d' Alexandre, la posterité les nomma vers Alexandrins, mot qui est demeuré jusques à huy en usage.

Dedans l' entrejet de ces regnes des deux Philippes, nous eusmes un Hugues de Bercy Religieux de Clugny qui fit la Bible Guiot, Satyre d' une longue haleine, dedans laquelle il descrit d' une plume merveilleusement hardie les vices qui regnoient de son temps en tous les estats, comme vous le pourrez recognoistre par la premiere demarche qu' il fait sur le commencement de son livre.

Dou siecle puant & horrible

M' estuet commencer une Bible,

Per poindre & per aiguillonner, 

Et per bons exemples donner:

Ce n' ert pas Bible losengere,

Mais fine, & voire, & droituriere:

Mirouer ert à toutes gens.


Et apres avoir fait le procez à tous, il se le fait sur la fin du livre à soy mesmes, par une gentillesse d' esprit.

Hugues de Bercy qui tant a 

Cherché le secle çà & là,

Qu' il a veu que tout ne vaut rien,

Presche ore de faire bien:

Et si sçay bien que li plusour 

Tenront mes sermons à folour: 

Car il ont veu que je amoye 

Plus que nuz biau soulas & joye, 

Et que j' ay aussi grand mestier 

Comme 9. nuz de moy preschier.


En ces mots gaillards il finit son livre: & du commencement & de cette

conclusion vous pouvez juger quel fut le milieu de l' ouvrage. Ce livre s' appelle la Bible Guiot, par erreur des premiers copistes au lieu de Bible Huguiot. Il eut pour son contemporain Huion de Mery, Religieux de S. Germain des prez de Paris, qui en son Tournoyement de l' Antechrist fit combatre les vertus souz l' enseigne de Jesus Christ, contre les vices sous celle de l' Antechrist, & en fin les vertus en raporterent la victoire. De ce mesme temps (je veux dire souz le regne de S. Louys) nous eusmes Guillaume de Lorry, & sous Philippe le Bel Jean de Mehun, lesquels quelques uns des nostres ont voulu comparer à Dante Poëte Italien: Et moy je les opposerois volontiers à tous les Poëtes d' Italie, soit que nous considerions, ou leurs mouëlleuses sentences, ou leurs belles loquutions, encores que l' oeconomie generale ne se rapporte à ce que nous pratiquons aujourd'huy: Recherchez vous la philosophie Naturelle ou Morale? elle ne leur defaut au besoin: Voulez vous quelques sages traits, les voulez vous de follie? vous y en trouverez à suffisance, traits de follie toutesfois dont pourrez vous faire sages. Il n' est pas que quand il faut repasser sur la Theologie, ils se monstrent n' y estre aprentis. Et tel depuis eux a esté en grande vogue, lequel s' est enrichy de leurs plumes, sans en faire semblant. Aussi ont ils conservé, & leur œuvre, & leur memoire jusques à huy, au milieu d' une infinité d' autres, qui ont esté ensevelis avec les ans dedans le cercueil des tenebres. Clement Marot les voulut faire parler le langage de nostre temps, affin d' inviter les esprits flouëts à la lecture de ce Roman. Qui n' est autre chose qu' un songe dont le principal subject est l' Amour: En quoy on ne sçavroit assez loüer cette invention. Car pour bien dire les effects de l' amour ne sont entre nous que vrais songes. C' est pourquoy Guillaume de Lorry, presuppose que ce fut en la primevere, saison expressement dediée à cest exercice. Cestuy n' eut le loisir d' advancer grandement son livre: mais en ce peu qu' il nous a baillez, il est, si ainsi je l' ose dire, inimitable en descriptions. Lisez celle du Printemps, puis du Temps, je deffie tous les anciens, & ceux qui viendront apres nous d' en faire plus à propos. Jean de Mehun est plus sçavant que Lorry, aussi eut il plus de loisir & de subject que son devancier. Mais parce que ce chapitre n' est pas voüé seulement à la commemoration de ces deux Poëtes, je vous diray que nostre Poësie Françoise ne se logea pas seulement aux esprits du commun peuple, ains en ceux mesmes des Princes & grands Seigneurs de nostre France. Parce qu' un Thibaut Comte de Champagne, Raoul Comte de Soissons, Pierre Mauclerc Comte de Bretagne, voulurent estre de cette brigade: quelques uns y adjoustent Charles Comte d' Anjou, frere de S. Louys. Et sur tous, nous devons faire grand estat du Comte de Champagne. Lequel s' estant donné pour Maistresse la Roine Blanche mere de sainct Louys, fit une infinité de chansons amoureuses en faveur d' elle, dont les aucunes furent transcrites en la grande Sale du Palais de Provins, comme nous apprenons des grandes Croniques de France dediées au Roy Charles huictiesme. Et qui est une chose grandement remarquable, c' est qu' au commencement du premier couplet de plusieurs Chansons, il y a les notes de Musique telles que portoit ce temps là pour les chanter.

Et ores que je m' asseure qu' en cest amour, il n' y eust qu' honneur entre eux (car cette grande Princesse estoit tres-sage) si est ce que pour ne rendre sa plume oiseuse, il en fait fort le passionné. Sa premiere chanson est telle.

Au rinouviau de la doulsour d' esté

Que reclarcit li doiz à la fontaine, 

Et que sont vert bois & verger & pré 

Et li Roziers en May florit & graine, 

Lors chanteray que trop m' ara greué 

Ire & esmay qui m' est au cuer prochaine, 

Et fins amis à tort atoisonnez 

Et mult souvent de leger effreez.

C' estoit que ses fideles amis le conseilloient de ne mettre son cœur en une si grande Dame, pour les inconveniens qui en pouvoient survenir. 

Le second couplet. 

Doulce Dame, car m' octroyez pour Dé 

Un doux regard de vous en la semaine, 

Lors attendray en bonne seureté

Ioye d' amours, car bons eurs me y maine;

Membrer vous doit 9 laide cruauté 

Fait, qui occit son lige homme demaine.

Douce Dame d' Orgueil vous defendez, 

Ne trahissez vos biens ne vos beautez. 

Ainsi va le demeurant de la chanson que je vous ay voulu icy remarquer. Parce que Arioste, & le Tasso par les huictains de leurs Poësies ont representé la mesme suite, & ordonnance de rimes de nostre Comte de Champagne. Encores vous reciteray-je ce premier couplet de sa seconde chanson. 

Cil qui d' amour me conseille 

Que de luy doye partir 

Ne sçait pas qui me resveille 

Ne quel sont mi grief souspir, 

Petit à sens & voidie

Cil qui me voult chastier

N' oncques n' ama en sa vie, 

Si fait trop nice follie 

Qui s' entremet du mestier 

Dont il ne se sçait aidier.

Dedans le premier livre de mes lettres il y en a une que j' escris au seigneur de Ronsard, par laquelle j' ay amplement discouru quelle estoit l' oeconomie du livre, mesmes les questions & responses que Thibault & Raoul Comte de Soissons se faisoient en vers: & y ay transcrit des chansons de luy toutes entieres, & encores un amas de belles paroles d' amour que j' avois, comme des fleurs, recueillies de son beau jardin, lesquelles je ne douteray point de transplanter icy, parce que tel lira mes Recherches qui paraventure n' aura communication de mes lettres. Comme quand il appelle en son vieux langage, sa Dame sa douce amie ennemie, qu' il dit qu' Amour l' a toullu à soy mesme, & neantmoins ne fait compte de le retenir en son service, ains que la beauté de sa Dame pour exalter sa loy, veut retenir ses amis sans en avoir mercy, laquelle mercy toutesfois il penseroit trouver en elle, s' il y en avoit aucune en ce monde: que Dieu mist si grande plante de graces en elle, qu' il luy convint oublier les autres: qu' il a les beautez d' elle escrites en son cœur, que de mil souspirs qu' il luy doit de rente, elle ne luy en veut remettre & quitter un tout seul: que sa beauté le rend si confuz & esbahi, que lors qu' il pense venir le mieux apris devant elle, pour luy descouvrir son torment, toutesfois il ne luy peut tenir aucun langage: que du premier jour qu' il la vit, il luy laissa son cœur en ostage: que les faveurs ou defaveurs d' elle luy apprennent à chanter: qu' il veut eslire dans Amour le meilleur cœur qu' il ait, pour loyaument servir sa Dame:

Et une infinité d' autres gentillesses d' Amour dont son livre est plein. Qui monstre que les belles fleurs ne se cueillent point seulement des livres, mais que d' elles mesmes elles naissent dans les beaux esprits. Ce que je vous ay icy discouru monstre que ce grand Seigneur n' estoit pas un petit Poete. Je trouve que cest entre temps produisit aussi un grand homme en ce subject. Celuy dont je parle fut Chrestien de Troye, tel tesmoigné par Huon de Mery sur le commencement de son Tournoyement de l' Antechrist.

Car tel matiere ay apensée

Qu' oncques mais n' ot en la pensée

Ne Sarrazins, ne Chrestiens.

Parce que mort ert Chrestiens

De Troye qui tant ost de pris. 

En un autre endroit.

Lesdits Raoul & Chrestiens

Qu' oncques bouche de Chrestiens 

Ne dit si bien comme ils faisoient,

Car quand ils dirent, ils prenoient

Li bon François trestout à plain

Si com il leur venoit en main, 

Si qu' ils n' ont rien de bien guerpy.

Si j' ay trouvé aucun espy

Apres la main aux Hennuyers

Je l' ay glané mult volentiers.

Ce Raoult n' est pas le Comte Raoul de Soissons dont j' ay icy dessus parlé, ains un autre qu' on appelloit Raoul de Houdan qui fit le Roman des Esles: Et Chrestien, le Chevalier à l' espee & le Roman de Parceval, qu' il dedia au Comte Philippe de Flandres ainsi que j' apprend de Geoffroy de Tore, car je n' ay jamais veu ces deux livres. Plusieurs autres en eusmes nous dont Maistre Claude Fauchet premier President aux monnoyes, par un livre particulier fit un recueil, auquel le calcul se monte à cent vingt & sept, vray qu' il mist plusieurs au rang des Poetes, qui ne firent jamais plus de vingt ou trente lignes. Et estoient ordinairement appellez Joingleurs, specialement ceux qui frequentoient la cour des Comtes de Flandre. Ainsi le trouve-je au Roman d' Oger le Danois, parlant combien les Poetes de ce temps là estoient redeuables à Guy Comte de Flandre.

Li Iongleour de veront bien plorer 

Quand il mourra: car mult pourront aller

Ains que tel pere puissent mais recouvrer.

Et neantmoins deslors ils commençoient de perdre leur credit, comme je ly dedans le mesme Roman.

Cil Iongleour qui ne sorent rimer, 

L' istoire firent en plusiour lieux changer.

Et en celuy d' Atis & Profelias, l' Autheur se vantant qu' il mettoit en avant une histoire qui avoit esté traitée par autres Poetes, mais mal à propos. 

Cil Iongleour vous en ont dit partie,

Mais ils n' en sçavent valissant une allie.

Mot qui depuis arriva en tel mespris, qu' il fut seulement approprié aux basteleurs. Cette grande troupe d' escrivains qui indifferemment mettoient la main à la plume fut cause, que petit à petit nostre Poesie perdit son credit, & fut negligée assez long temps par la France.