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jeudi 22 juin 2023

3. 31. Des Benefices que nous avons dict vacquer en Regale soubs la troisiesme lignee de nos Roys.

Des Benefices que nous avons dict vacquer en Regale soubs la troisiesme lignee de nos Roys. 

CHAPITRE XXXI

Combien que tous les Archevesques & Evesques doibuent le serment de fidelité au Roy avant qu' ils entrent en leurs charges, & qu' à faute de le faire, le Procureur general du Roy de la Chambre des Comptes puisse faire saisir leur temporel, si est-ce que tous les Archeveschez & Eveschez de la France ne sont estimez tomber en Regale, vacation d' iceux advenant: Ores que quelques uns estiment le contraire. Opinion de prime face plausible, pour favoriser les droicts du Roy, mais erronée, bien qu' elle ne soit destituee de bons parrains: Car maistre Jean le Bouteiller en sa Somme Rurale, l' estima ainsi, & de nostre temps Monsieur de Pibrac Advocat du Roy au Parlement, la voulut faire passer par Edict, mais il en fust desdict. Il ne faut riens oster à l' Eglise, pour le donner par une nouveauté à noz Roys, ny leur oster, pour le donner à l' Eglise. La plus seure guide de noz actions, est la longue ancienneté. Or que toutes Eglises Cathedrales ne tombent en Regale, nous avons plusieurs Ordonnances qui le nous enseignent. Celle de Philippes le Bel, de l' an mil trois cens deux, portant entre autres articles, cestuy: 

Item, quantùm ad Regalias, quas nos & prædecessores nostri consuevimus percipere & habere in aliquibus Ecclesiis Regni nostri, quando eas vacare contingit: Et là il enjoint aux Receveurs, qui manient le temporel pendant l' ouverture de la Regale, d' user de la couppe des Bois, & pesche des Estangs, comme bons peres de famille. Et Philippe de Valois par autre ordonnance de l' an mil trois cens trente quatre, declare qu' és Eveschez, esquelles il avoit droict de Regale, il pouvoit conferer les Benefices à simple tonsure vacquans de faict ou de droict. Charles septiesme par une autre, que je transcriray cy-apres parle des Eveschez où il avoit droict de Regale. Et Louys douziesme par Edict de l' an mil quatre cens quatre vingt dix-neuf. Nous defendons à tous noz officiers (dit-il) qu' és Archeveschez, Eveschez, Abbaïes, & autres benefices de nostre Royaume, esquels n' avons droict de Regale, ils ne se mettent dedans ny és fortes places, sinon és Benefices & fortes places qui seroient assizes és païs limitrophes de nostre Royaume. Brief qui soustient l' opinion contraire, est plustost un flateur de Cour, que Jurisconsulte François. Aussi en vain disputeroit-on les Regales au Parlement, si sans exception, tous les Archeveschez & Eveschez vacquoient en Regale. La difference qu' il y a entre l' Evesché qui tombe en Regale, & celuy qui n' y tombe point, est, qu' au premier cas, soudain que l' Evesque est decedé, le temporel du Benefice estant saisi à la requeste du Procureur general en la Chambre des Comptes, les fruicts appartiennent au Roy, & peut conferer les Benefices à simple tonsure, vacquants, jusques à ce, que la Regale soit close: Mais en l' Evesché non tombant en Regale, quelque saisie que l' on face du temporel, c' est pour conserver les fruicts au futur successeur, lesquels ne commencent de tomber en pure perte, sinon apres que l' Evesque estant entré en possession ne rend le serment de fidelité au Roy: Et au surplus, le Roy ne peut en ce cas conferer aucuns Benefices. 

Le plus ancien passage où je trouve être faicte mention de telle espece de Regales, soubz la troisiesme lignée de noz Rois, est la dispense que donna le Roy Louys le Gros à l' Archevesque de Bourdeaux & ses Evesques suffragants, & tout d' une suitte le Roy Louys le Jeune son fils. in nomine sanctae & individuæ Trinitatis: Amen. Ludovicus Dei gratia Francorum Rex tibi dilecte in Domino, Gaufride Burdegalensis Archiepiscope, cum suffraganeis Episcopis, Ramundo Agennensi, Lamberto Angolismensi, Guillelmo Xantonensi, Guillelmo Pictaviensi, Guillelmo Petragoricensi, necnon cum Abbatibus Burdegalensis Provinciae, vestrisque successoribus in perpetuum. Regiae maiestatis est, Ecclesiarum quieti, pia solicitudine providere, & ex officio suscepta à Domino potestatis, earum libertates tueri, & ab hostium seu malignantium incursibus defensare. Sic nimirum Regalis apicem dignitatis, nobis à Domino, à quo omnis potestas est, consecutos esse constabit si iuxta Evangelicam institutionem, & Apostolicae doctrinae traditionem, in sanctae Dei Ecclesiae ministerium accincti, pro eiusdem contuenda libertate, qua Christus eam liberavit, & pacis quieti operam demus. Ea propter petitionibus vestris, communicato priùs Episcoporum, Abbatum & Procerum nostrorum consilio assentiente Ludovico filio nostro, iam in Regem sublimato, duximus annuendum, & in sede Burdegalensi, & in praedictis Episcopalibus sedibus, & Abbatiis eiusdem Provinciæ, quae defuncto illustri Aquitanorum duce, Comite Pictaviensi Guillermo, per filiam ipsius Alienoram, iamdudum filio nostro Ludovico, sorte matrimonij cedit, in Episcoporum & Abbatum suorum Electionibus, canonicam omnino concedimus libertatem, absque hominij, iuramenti, seu fidei per manum datae obligatione. Porrò decedentis Archiepiscopi, & suffraganeorum ipsius Episcoporum, sive Abbatum decedentium res universas successorum usibus, Regia authoritate servari volumus, & concedendo præcipimus, illaesas. Hoc quoque adijcientes, ut omnes Ecclesiae infra denominatam Provinciam constitutae, praedia, possessiones & universa ad ipsas, iure pertinentia, secundum privilegia, iustitias & bonas consuetudines suas, habeant & possideant illibata. Quinimò Ecclesiis ipsis universis & earum ministris, cum possessionibus suis, Canonicam in omnibus concedimus libertatem. Quod ut perpetuæ stabilitatis obtineat munimentum, scripto commendari, & sigilli nostri autoritate, & nominis nostri charactere corroborari præcipimus. Actum Parisiis in Palatio nostro publicè, anno incarnationis Verbi M. CXXXVII. Regni nostri XXVII. Ludovico filio nostro in Regem sublimato, anno IIII. In praesentia Gaufridi venerabilis Carnotensis Episcopi, & Apostolicae sedis Legati, Stephani Parisiensis Episcopi, Augerij Abbatis Beati Dionysij, Girardi Abbatis Iosephati, Algrini à secretis nostris. Astantibus in Palatio nostro, quorum nomina subtitulata sunt & signa. Signum Radulphi Viromanduorum Comitis, & dapiferi nostri, Signum Guillermi Buticularij, S. Hugonis Camerarij, S. Hugonis Constabularij. Data per manum Stephani Cancellarij. 

Remise qui feut confirmee, voire transcripte mot pour mot par le Roy Louys le Jeune, dont le commencement estoit tel.

In nomine sanctae & individuæ Trinitatis: Amen. Ego Ludovicus Iunior, Magni Ludovici filius, Dei gratia Rex Francorum & Dux Aquitanorum, Tibi dilecte in Domino Gaufride &c. Et la fin de ce tiltre. Actum Burdegali, in Palatio nostro publicè, anno incarnati Verbi M.C.XXXVII. Regni nostri IIII. In praesentia Gaufridi Burdegalensis Archiepiscopi, Heliae Aurelianensis Episcopi, Raimundi Agennensis Episcopi, Lamberti Angolismensis, & Guillermi Xantonensis Episcoporum: Augerij Abbatis sancti Dionysij, adstantibus in Palatio nostro quorum nomina subtitulata sunt & signa. 

S. Radulphi Viromanduorum Comitis & dapiferi nostri, Signum Guillermi Buticularij, S. Hugonis Constabularij. Data per manum Stephani Cancellarij.

Octrois que je penserois avoir esté faicts en un mesme jour par le pere & le fils, n' estoit que je voy l' un fait dans Paris, & l' autre dans la ville de Bourdeaux, Siege, comme il est vray semblable, de Louys le Jeune, qui avoit espousé l' heritiere de la maison d' Aquitaine. Joinct qu' il y a plus d' Evesques presents au dernier qu' au premier. Et combien que ce soient les deux tiltres les plus anciens, si recueille-je d' eux une plus longue ancienneté: car je me persuade que les Ducs d' Aquitaine pendant leur souveraineté, iouïssoient des droicts de Regales en & au dedans leurs destroicts, & que ce Duché estant de nouveau reuny à la Couronne par le mariage de Louys le Jeune: ces deux Roys, pour rendre leurs Evesques plus enclins & devots à leur obeyssance, exercerent envers eux ceste nouvelle liberalité. Ce n' est pas ce pays seul où les Ducs feirent le semblable: car par le traicté qui feut faict entre le Roy S. Louys, & Pierre Mauclerc Duc de Bretaigne, les collations des Benefices en Regale feurent reservees à ce Duc dedans son Duché. Et passeray encores plus outre pour la Normandie: Car quand je voy que tout ce pays-là est subject à la Regale sans exception & reserve d' aucun Evesché, il me semble voir les Ducs en iouïr, & que par la reünion du Duché à nostre Couronne, noz Roys continuerent ceste mesme possession.

J' adjousterois volontiers que non seulement quelques Eveschez, mais aussi quelques Abbaïes estoient tenuës en Regale. Parce que le mesme privilege que ces Princes donnent aux Evesques, est pareillement estendu dessus les Abbez. Et depuis Pilippes (Philippes) Auguste fils de Louys le Jeune voulant sortir de la France pour s' acheminer au voyage d' outremer, baillant toute charge & intendance à la Royne sa femme & à l' Archevesque de Rheims son oncle, entre autres prerogatives, leur donna ceste-cy par expres: Si verò contigerit sedem Episcopalem vel Abbatiam in Regalia vacare, &c. Toutesfois la memoire, pour le regard des Abbaïes, s' en est effacee avec le temps.

Entre les tresors des anciennetez de la France, je n' en trouve point de plus riche que les memoriaux de nostre Chambre des Comptes, & specialement pour la matiere des Regales. C' est pourquoy outre les deux passages precedents, je vous veux encores estaler ce que j' en ay peu recueillir, & tenir d' eux en foy & hommage la plus grande partie de ce chapitre. Quel est l' usage de la Regale, comme elle s' ouvre & se ferme, de quelle façon il y faut proceder, vous le trouverez au Memorial cotté C, en ces mots Latins grossement couchez, & toutesfois je les vous representeray tels qu' ils sont: Je desire qu' il y ait moins de mignardise en ce que j' escris au present chapitre, & plus de respect pour vous representer au naïf, en subject de si haute estoffe, la venerable ancieneté. Dum Episcopus alicuius Episcopatus ubi Dominus Rex habet Regaliam, ab humanis decedit, immediatè per obitum ipsius, est Regalia in dicto Episcopatu aperta, & succedit Rex loco boni & legitimi administratoris, in omni temporalitate dicti Episcopatus, confertque beneficia non curata, & hoc durante tempore ipsius Regaliae. Quæ quidem Regalia debet vigere & habere locum in dicto Episcopatu donec & quousque futurus successor Episcopus legitimè intrans, suum debitum fidelitatis iuramentum, dicto Domino nostro Regi, prout tenetur, fecerit, Quodque literae Regiae attestantes dictum iuramentum sic fuisse factum, præsentatae, registratae, & expeditae fuerint in Camera Compotorum (: Computorum: Comptes: -p: Comtes). Et quod Receptor seu Commissus ad ipsius Regaliae receptum receperit mandatum à dicta Camera emanatum, per quod ei mandatur, ut levet manum Regis, & permittat dictum Episcopum, uti & gaudere, ponendo ipsam temporalitatem ad plenam deliberatiam: nec ante receptionem huiusmodi mandati à dicto Receptore seu Commisso reputatur dicta Regalia clausa: Sed usque ad diem ipsius receptionis tenetur reddere compotum & rationem de fructibus huiusmodi temporalitatis, & confert Rex beneficia non curata tanquam in Regalia vacantia. Et hoc de iure & consuetudine Regis & suae Coronae. 

Il parle seulement de l' Eglise vacante par mort, comme estant la plus signalee vacation. Non que pour cela il entende forclorre les autres qui adviennent par resignations, forfaictures, promotions d' un Evesché à autre, dont nous voyons diverses instructions dans les mesmes Registres. Au demourant, par les instructions portees par l' article cy-dessus recité, nous sommes enseignez que le Roy iouyst du temporel, & confere les benefices qui n' ont charges d' ames: & que ceste Regale dure jusques à ce que le futur successeur ait fait le serment de fidelité au Roy. Collation de benefices qui semble être aucunement contraire à nostre droict Canon, & neantmoins tant favorisee en ceste France, que si le Roy faict ceste grace à un Prelat de le recevoir à foy & hommage par Procureur, il entend par ceste reception luy donner pleine mainlevee de son temporel, mais non de la collation des (be-fices) benefices, ainsi que nous apprenons de l' Ordonnance de Charles VII.

Charles par la grace de Dieu Roy de France. A noz amez & feaux Conseillers les gens tenants & qui tiendront nostre Parlement à Paris, les Maistres des Requestes de nostre Hostel, aux Prevost de Paris, Baillis de Vermandois & d' Amiens, & à tous noz autres Officiers & Justiciers, salut & dilection. Il est venu à nostre cognoissance qu' à l' occasion de ce que nous octroyames à feu le Cardinal Evesque de Teroüenne, qu' il nous peut faire le serment de feauté du dict Evesché de Teroüenne par Procureur. Ce qu' il feit, & parce moyen luy deliurasmes les fruicts & revenu de la temporalité d' iceluy Evesché que paravant tenions en nostre main à cause & par le moyen de nostre droict de Regale, le dit feu Cardinal ou ses Vicaires souz couleur & au moyen de la dicte deliurance par nous à luy faicte des dicts fruicts (combien qu' il ne nous eust faict le serment en presence) eust donné & conferé plusieurs prebendes & autres benefices vacants à la collation du dict Evesque depuis la reception du dict serment de feauté par Procureur & la deliurance des dicts fruicts: Et pareillement les avons donnez & conferez à autres par le moyen de nostre dict droict de Regale. Sur quoy se sont meuz & assiz plusieurs procés pardevant vous avec ceux qui ont eu collation du dit Cardinal & de ses Vicaires: Et à ceste occasion sont plusieurs des dictes prebendes & autres benefices contentieux en grande involution de procés, au grand prejudice & detriment de la dicte Eglise & du service divin. Et pource que voulons & desirons pourvoir à la confusion & detriment des dicts benefices, & multiplication des dicts procés, & aussi pourvoir à l' entretenement du dict service divin, & à la conservation de nos dicts droits de Regale, & qu' avons esté advertis & acertenez des droicts de nostre Couronne, & l' usage ancien avoir esté & être, qu' és Eveschez où avous droict de Regale, mesmement quant à la collation des Benefices, la dicte Regale demeure tousjours ouverte, jusques à ce que les nouveaux Evesques nous ayent faict en personnes les serments de feaulté, quelque serment qui nous en soit faict par Procureur, & quelque deliurance que facions des fruicts de la temporalité. Avons declaré & declarons que par la reception du serment de feauté du dict Cardinal par Procureur, & par la deliurance à luy faicte des fruicts du temporel du dict Evesché, nous n' avons entendu ne n' entendons nous être departis ne desistez de la collation des benefices du dit Evesché, comme vacants en Regale, ne la transferer au dict Cardinal: Ainçois estoit & est nostre intention de donner & conferer les dicts benefices conmme vacants en Regale, jusques à ce que le dict Cardinal nous eust faict en personne le serment de feaulté, ainsi qu' il est accoustumé de faire en tel cas. Si vous mandons & expressément enjoignons que nostre presente declaration vous entreteniez & gardiez & faictes entretenir & garder selon sa forme & teneur, sans aucunement venir au contraire: Car ainsi nous plaist-il être faict, nonobstant quelconques lettres subreptices impetrees ou à impetrer à ce contraires. Donné au Montil lez Tours le quatorziesme Fevrier mil quatre cens cinquante & un, & de nostre regne le trentiesme.

Ordonnance qu' il m' a semblé devoir icy être tout au long inseree pour être unique en son espece, que j' ay tirez du Memorial cotté L, En la marge duquel, Budé garde des Chartes du Roy, meit ces mots, Habui originale pro ponendo in thesauro Chartarum Regis. Ainsi signé, Budé. Chose que j' ay voulu remarquer pour vous monstrer combien ceste Ordonnance feut recommandee. Je vous diray maintenant en gros, quels sont les Archeveschez & Eveschez qui tombent entre nous en Regale. Dans le livre Croix, sont ces mots. Dominus Rex, prout constat per antiqua scriptae Camerae, consuevit capere Regalia cùm vacabunt in Provincijs & Diocesibus quæ sequuntur. In tota Provincia Senonensi & eius suffraganeis, excepta Diocesi Altissiodorensi in qua Decanus & Capitulum dicuntur fecisse permutationem cum Rege. In tota Provincia Rhemensi, excepta Diocesi Cameracensi. In tota Provincia Bituricensi, excepta Lemovicensi, Carnutensi, Rutenensi, Albiensi, Mimatensi.

In tota Provincia Turonensi, excepta Macloviensi, Trecorensi, Corisopisensi, Burcensi, Venetensi, Rhedonensi, Dolensi. 

In Provincia Burdigalensi solùm. Verùm de Pictaviensi computatum fuit anno 1306. sed Rex per literas totum istud præcepit restitui Episcopo. 

In tota Normania habet Regale.

In Provincia Auxitana & Arelatensi, & per consequens in tota lingua Occitana nihil habet. 

Ecclesiae cadentes in Regaliam.

Senonensis

Parisiensis

Carnotensis

Aurelianensis

Aeldensis

Trecensis

Rhemensis

Morinensis

Catalaunensis

Tornacensis

Suessionensis

Belluacensis (Bellvacensis).

Laudunensis

Ambianensis.

Noniomensis

Silvanectensis

Bituricensis

Claramontensis

Turonensis.  

Cenomanensis

Eduensis (Edvensis).

Cabilonensis.

Rhotomagensis.

Abricensis

Constantiensis

Lexoviensis

Bajocensis

Saginensis.

Ebroïcensis.

In Provincia Auxitana & Arelatensi, & per consequens in tota lingua Occitana nihil habet.



La preface de ce present placard monstre qu' il avoit esté extraict de quelques autres vieux registres de la Chambre, & à tant, qu' on y doibt adjouster plus de foy.

Par le quatriesme Article il est porté que le Roy a droict de Regale, In tota Provincia Turonensi, excepté Maclovensi, Trecorensi, Corisopitensi, Burcensi, Venetensi, Rhedonensi, Dolensi. Qui sont sept Eveschez assises au pays de Bretaigne, dependants de l' Archevesché de Tours: Et ne faut trouver estrange cela, parce que lors que cest article feut fait, noz Rois n' estoient Ducs de Bretaigne. Et neantmoins la verité est que par le traicté & accord qui feut fait entre nostre Roy S. Louys, & Pierre Maulclerc Duc de Bretagne, le droict de Regale feut par expres reservé au Duc sur les Eveschez qui estoient en & au dedans sa Province. C' est pourquoy ce Duché estant aujourd'huy uny & incorporé à la Couronne de France, ceux qui soustiennent que toutes ces Eveschez peuvent vacquer en Regale, ne sont pas destituez de raison. Tant y a que depuis quelques annees les Thresoriers & Chantres de la saincte Chappelle de Paris (selon le privilege à eux octroyé (dont je parleray en son lieu) ayants faict saisir souz le nom & authorité du Procureur general de la Chambre des Comptes de Paris, le temporel de l' Evesché de Nantes, comme estant l' Evesché tombé en Regale, Messire Louys du Bec Evesque, avroit obtenu mainlevee des gens des Comptes de Bretaigne: dont le Procureur general du Roy du Parlement de Paris avroit appellé, la cause plaidee, & appointee au Conseil, depuis par Arrest du 23. Decembre 1598. donné au rapport de Monsieur le Voix Conseiller, il fut dit qu' en faisant droict sur l' appel, il avoit esté mal, nullement, & incompetemment procedé & ordonné, bien appellé par le Procureur general, la saisie faicte de l' Ordonnance de la Chambre des Comptes de Paris, le 18. Decembre 1594. declaree bonne & valable: Ordonné que les fruicts & revenu temporel de l' Evesché de Nantes saisis seroient baillez & deliurez aux Thresorier & Chanoines de la saincte Chapelle, depuis l' ouverture de la Regale jusques à la closture deuëment faicte, ou la juste valeur & estimation d' iceux.

Cecy soit par moy remarqué en passant, mais pour reprendre les brisees de ce vieux Memorial que je vous ay voulu icy patronner, je ne veux pas dire que ce soit une leçon en tout & par tout asseuree: Car depuis la Cour de Parlement par ses Arrests y a adjousté ou diminué, selon les occurrences des procés dont elle a peu informer sa Religion. Si puis-je dire que ce memoire est comme un fanal qui apporte grande lumiere à l' obscurité qui se trouve en noz Regales. Et de faict Monsieur le President le Maistre en a faict banniere en son traicté des Regales. Or en tous les precedents Articles je n' y trouve difficulté qu' en celuy où il parle de la Province de Bourdeaux, auquel il semble n' y avoir point de sens parfaict, pour l' obscurité qui resulte de ce mot (Solùm.) Celuy qui nous redigea ce placard par escrit, voulut dire que toute la Province de Bourdeaux estoit franche de la Regale, toutesfois que l' on avoit compté pour l' Evesché de Poictiers, mais que puis apres le Roy fit rendre les deniers. Qui estoit en bon language declarer que tant l' Archevesque de Bourdeaux que ses suffragants en estoient exempts.

Et parce que au premier Article il dict que toute l' Archevesché de Sens y estoit subjecte fors & excepté l' Evesché d' Auxerre, & que le Roy en avoit faict un eschange avec le Chapitre, il s' abuse. Le Roy Philippe Auguste luy remit la Regale de sa pleine liberalité comme nous apprenons du mesme livre Croix, par moy cy-dessus allegué.

In nomine sanctae & individuae Trinitatis, Amen. Philippus Dei gratia Francorum Rex: Noverint universi præsentes, pariter & futuri, quod nos intuitu pietatis & ob remedium animæ nostræ & parentum nostrorum, damus & concedimus in perpetuum Ecclesiae Altissiodorensi quicquid iuris habebamus in Regalibus Altissioderensibus, vacante sede. Itaque Decanus & Capitulum, eidem Ecclesiae custodient Regalia, sede vacante, & omnes proventus qui ex inde procedent, & Præbendas, si quas interim vacare contigerit, ad opus futuri Episcopi. Salvo Servitio nostro Equitationis exercitus & subventionis, sicut Episcopi Alissiodorenses nobis fecerunt. Quod ut perpetuum robur obtineat, sigilli nostri auctoritate, & Regij nominis Charactere inferius annotato, præsentem paginam confirmamus. Actum Parisiis, Anno Domini M.CC.VI. Regni verò nostri anno XXVII. adstantibus in Palatio quorum nomina subscripta sunt & signa, Dapifero nullo, signum Guidonis Buticularij, Signum Matthaei Camerarij, Signum Droconis Constabularij, Data vacante Cancellaria. 

Et au dessoubz est la signature du Roy Philippe par une abbreviation de son nom, telle que noz Roys souloient faire diversement, à Arras. Le mesme Roy exerça pareille liberalité envers l' Eglise de Nevers, ainsi qu' il apparoist par la Chartre portee au Memorial, cotté D.

In nomine sanctae & individuæ Trinitatis, Amen. Philippus Dei gratia Francorum Rex. Noverint universi, præsentes pariter & futuri, quod nos dilecto & fideli nostro Guillermo Niuernensi (Nivernensi) Episcopo, totum ius illud quod habebamus in Regalibus Niverrsensibus concedimus & quittamus in perpetuum ipsi & successoribus suis, & donationes etiam Praebendarum. Ita quod vacante sede nihil de mobilibus vel immobilibus per nos vel per alium capiemus in domibus Episcopi, nec in castellis & villis eiusdem, neque in hominibus Regalium, nec in rebus eorundem, neque in prædictis Regalibus aliquid prorsus retinemus, præter exercitus & procurationes, sicut nos & prædecessores nostri ea solent & debent habere. Concedimus etiam ut vacante sede eadem Regalia sint in manu Decani & Capituli Nivernensis, ut tam ea quam Praebendae & dignitates, si qua interim vaacuerint, ad opus futuri Episcopi, salvae & integrae reserventur. Quod ut perpetuae stabilitatis robur obtineat, sigilli nostri auctoritate, & Regij nostri characteris inferius annotati praesentem paginam confirmamus, Actum apud Fontem Belliaudi, Anno incarnationis Dominicae, M.CC.VIII. Adstantibus in Palatio quorum nomina supposita sunt & signa. Signum Guidonis Buticularij, Signum Matthaei Camerarij, Signum Droconis Constabularij. Data regni nostri anno XXX. vacante Cancellaria, per manus fratris Guarini. Et au dessouz est un pareil seing qu' à l' autre.

Pour le regard du second Article portant que toute l' Archevesché de Rheims estoit subjecte à la Regale fors & excepté l' Evesché de Cambray, il s' abuse. Car encores trouvons nous la remise qu' en feit le mesme Roy Philippe aux Evesques d' Arras dont la teneur estoit telle.

In nomine sanctae & individuæ Trinitatis, Amen. Philippus Dei gratia Francorum Rex. Noverint universi præsentes pariter & futuri, quod vacante quocumque modo sede Atrebatensi, medio tempore, Capitulum Atrebatense reservabit penes se ad opus Episcopi qui substituetur ibidem, omnia Regalia & omnes reditus & proventus Regalienses, & quicquid ad Episcopatum noscetur pertinere: Ita quod nec in homines Episcopi, nec in eorum res, pro aliquo quod pertineat ad Regalia, manum mittemus. Et si medio tempore aliquam Praebendam vel plures Praebendas vacare contigerit, similiter reservabuntur substituendo Episcopo conferenda postmodum cum ad electionem fuerit perventum, & Canonici praedictae Ecclesiae libere poterunt eligere non requisita à nobis, vel à successoribus nostris, licentia eligendi: sed electum suum confirmatum nobis praesentabunt, ut nobis fidelitatem faciat, sicut alij Episcopi nostri nobis facere consueverunt. Quia verò Radulphus ipsius Ecclesiae Electus, & Canonici Atrebatenses, nos humiliter rogaverunt, ut intuitu Dei expeditionem & exercitum nostrum ipsi Electo & suis successoribus quitaremus: Nos amore Dei, & ob remedium animae nostrae, ipsi Electo & suis successoribus, illud in perpetuum quitavimus & quitamus. Has autem prædictas libertates Episcopo & Ecclesiae Atrebatensi: Retenta tamen nobis procuratione nostra, quam Episcopus Atrebatensis nobis debet singulis annis, si ad illum accesserimus. Quod ut perpetuum robur obtineat, sigilli nostri munimine, Regij nominis charactere inferius annotato, praesentem paginam praecepimus roborari. Actum Parisiis, anno incarnati Verbi, millesimo ducentesimo tertio, Regni vero nostri vigesimo quinto. Adstantibus in Palatio nostro, quorum nomina supposita sunt & signa. Dapifero nullo, Signum Guidonis Buticularij, Signum Matthaei Camerarij, S. Droconis Constabularij nostri. Data vacante Cancellaria.

De vous particulariser icy tous les Arrests qui ont esté donnez en matiere de Regale, je ne me le suis proposé non plus que toutes les regles que l' on y observe. Je vous renvoye pour cest effect aux traictez de Maistre Arnoul Ruzé ja dis Conseiller en la Cour de Parlement de Paris, Philippe Probus Docteur Regent en l' Université de Bourges, Messire Gilles le Maistre, premier President, & Maistre René Chopin Advocat au mesme Parlement en son livre, De sacrâ Politiâ, & encores Maistre Loys Charondas en ses Pandectes Françoises. Je me contenteray seulement de vous inserer icy tout au long l' ordonnance de Philippes de Valois, (fondement de la maxime generale que l' on pratique en ceste matiere,) tiree du Memorial de la Chambre des Comtes, quoté B.

Philippe par la grace de Dieu, Roy de France, Sçavoir faisons à tous presens & à venir, que comme il ait esté mis en doute par aucuns, se nous avons droict, & à nous apartenit de donner les Provendes, dignitez & benefices quand ils avoient esté ou estoient trouvez non occupez, vacants, & unis de fait tant seulement ou temps de nostre Regale, és Eglises de nostre Royaume, esquelles nous avons droict de Regale, & ce ceux à qui noz predecesseurs ou nous les avons donnez, en devoient iouyr. Nous nous tenons & sommes suffisamment & deuëment informez que noz devanciers Rois de France pour cause de la Regale & de la noblesse de la Couronne de France, ont usé & accoustumé, & ont esté en possession & saisine de donner les Provendes, dignitez & benefices, quand ils ont esté trouvez en temps de Regale, vacquans de droict & de fait, ou de droit tant seulement, ou trouvez non occupez, unis & vaquants tant seulement & que nous aussi en avons usé, usons & entendons à user, comme de nostre droit Royal, toutesfois que aucun cas semblable ou quelconque cas dessusdict escherra: & donnons toute audience de plaict à tous ceux, qui à nosdits usages accoustumez par nos devanciers Rois de France, & par nous continuez, & aux droicts Royaux, qui en tel cas nous appartiennent pour cause de nostre Couronne, & aux collations par nous, noz devanciers ou successeurs faictes ou à faire és cas dessusdits ou aucuns d' iceux. Et se voudroient opposer, & que plaict au procez sur aucun des cas dessusdits quelconques soient pendants au Parlement ou devant quelconques nos Comissaires, nous les appellons & mettons du tout au nient, & defendons à nos amez & feaux les gens qui tiendront d' ores en avant noz Parlemens à Paris & aux dessusdits Commissaires, que ils de ces cas ne semblables ne teignent Cour, ne cognoissance ores ne autresfois. Et voulons & ordonnons que d' ores en avant nul pourveus des cas dessusdits, se ce n' est par vertu de provision & collation Royale qu' il ait de nos devanciers ou de nous, ou de nos successeurs Rois de France, ne soit receus à plaict, on ouys en opposition, contre ceux qui és cas dessusdits ou en aucun d' iceux sont pourveus par nos devanciers ou par nous, ou seront pourveus au temps à venir par nous ou nos successeurs Roys de France, pour quelconques lettres ou octroy, qu' il ait ou empetre de nous, se expresse mention n' est faite de mot à mot de ces presentes. Et voulons que d' ores en avant tous ceux qui en semblable cas, dessusdits & chacun d' iceux ont collation de nos devanciers ou de nous ou de nos successeurs Rois de France, soient tenus & gardez en possession & saisie, paisible des benefices à eux donnez nonobstant opposition d' autre, qui par vertu d' autre collation s' y sont opposez ou opposent à present, ou vueillent opposer au temps à venir, & ce avons nous ordonné & ordonnons de certaine science enformez de nos droicts & usage dessusdits, & mandons par la teneur de ces presentes à nos amez & feaux les gens qui tiendront nostre prochain Parlement, & les Gens de nos Comptes, que à perpetuelle memoire facent ces presentes enregistrer en nos Chambres de Parlement & des Comptes, & mettre & garder pour original au thresor de nos Chartes & de nos lettres. Et à ce que ce soit ferme & stable à tousjoursmais, nous avons fait mettre nostre seel en ces presentes lettres. Donné à Vincennes, au mois d' Octobre l' an de grace, mil trois cens trente quatre.

En suitte de (laqulle) laquelle ordonnance, le Roy Philippe donna son Arrest au bois de Vincennes le septiesme Octobre 1334. entre Maistre Loys de Melun Regaliste, le Procureur du Roy joinct avec luy, & Maistre Philippes Nicolas, pourveu par le Pape, de la Chantrie de Chartres, par lequel le benefice est adjugé au Regaliste, & veut le Roy, que son Arrest soit enregistré au Parlement, Chambre des Comptes & Thresor de ses Chartes, pour servir de guidon à la posterité. Pour conclusion de ce Chapitre, s' il vous plaist considerer tout ce qui a esté par moy cy dessus deduict, vous trouverez que trois de nos Roys du nom de Philippe, donnerent grande vogue & avancement à la Regale, Philippes second, quatriesme & sixiesme.

samedi 8 juillet 2023

6. 17. Sommaire de la vie de Pierre Abelard, & des amours de luy, & d' Heloïse.

Sommaire de la vie de Pierre Abelard, & des amours de luy, & d' Heloïse.

CHAPITRE XVII.

L' Université de Paris n' estoit encores formee, mais bien commençoit de poindre sous le regne de Louys le Jeune qui regna quarante trois ans depuis le decez du Roy Louys le Gros son pere. Ce temps là produisit plusieurs grands maistres qui en jetterent les premiers fondemens, & entre autres le Pierre Abelar (Abelard) auquel j' ay voüé ce chapitre. Jamais homme de sa qualité ne fut d' un esprit plus aigu & plus remuant aussi n' y eut-il jamais homme de sa qualité d' une fortune plus traversee, que luy. Jean de Mehun en fit un placard dedans son Roman de la Roze. Il est tombé entre mes mains un livre de ses Epistres manuscrit, & entre icelles y en a une, par laquelle il fait un discours general de sa vie à un sien amy, dont je vous veux faire part. Car il me semble que cette piece merite d' estre mise en œuvre, non seulement en consideration de luy, mais aussi parce que l' on peut recueillir en quel estat estoient lors les escoles de Paris.

Pierre Abelard nasquit au pays de Bretagne au village de Palais distant de Nantes de quatre lieuës, fils aisné de Beranger & Luce ses pere & mere, dont celuy-là apres avoir fait profession des armes se rendit Moine, & sa femme Nonnain voilee. Quelque temps apres leur fils par une autre devotion quitta à ses freres son droict d' ainesse pour s' adonner du tout aux lettres. Et sur ce propos vint à Paris, qui commençoit d' estre en credit pour les sciences. Il y avoit lors deux grands personnages qui enseignoient en la maison de l' Evesque, maistre Anseaume en la Theologie, & maistre Guillaume de Champenu, autrement Campelense en la Philosophie, qui avoit esté disciple de l'  autre. Je dis nommément en la maison de l' Evesque: Parce que comme j' ay deduit ailleurs elle fut l' un des premiers fondemens de nostre Université. Abelard arrivé à Paris voüa toutes ses pensees à Campelense: mais il ne l' eut pas long temps suivy, qu' il commença de le contredire en la pluspart de ses propositions. Acquerant par ce moyen grande reputation parmy les jeunes escoliers, mais mauvais nom en la bouche des anciens, qui blasonnoient en tous lieux son impudence. Au moyen dequoy il fut contraint de quitter la ville, & se venir camper à Corbeil, où il exerça quelque temps ses lectures, suivy d' une bonne troupe de jeunes garçons. Ce pendant Campelense se fait moine. Qui fut cause que Abelard retourne à Paris, où reprenant son ancienne route, il fait de rechef teste à son premier Maistre. Enquoy il gaigna tant de pied, que celuy auquel Campelense avoit resigné sa chaire, la luy ceda, & devint son auditeur. Chose qui appresta à ses ennemis nouveau sujet de l' affliger. De façon qu' il abandonna de rechef la ville, & se retira à Melun avecques une grande suitte de ses partissans. Campelense est esleu Evesque de Chaalons où il alla demeurer: retraitte qui donna occasion de retour à Abelard, mais ayant trouvé sa place prise par un autre, il se retira aux fauxbourgs, où il leut publiquement: & pour vous monstrer en quel estat la ville de Paris estoit lors. Extra civitatem (dit-il) in monte Sanctae Genovesae, Scholarum nostrarum castra posui, quasi eum obsessurus, qui nostrum occupaverat locum. Campelense adverty, rebrousse chemin, pour luy faire lever le siege. Nouvelles escarmouches d' une part & d' autre, l' un combattant d' authorité & ancienneté de son aage, & l' autre de subtilité, & d' une gaye jeunesse. Toutesfois il fut en fin contraint de quitter la partie, & de choisir autre party. Il se fait escolier d' Anseaume qui lisoit en Theologie, mais avec un vœu & ferme propos de le controoller comme l' autre. Tout ainsi qu' il ne pouvoit estre oiseux, aussi estoit-il naturellement noiseux: apres l' avoir quelque temps ouy, il s' instale en la chaire de Theologie, en laquelle il n' espargna aucunement son precepteur, estimé en cela de plusieurs, mais aussi s' exposant à la mesdisance des autres. Luy qui flattoit ses opinions, les appelloit calomniateurs. Anseaume eut deux grands escoliers, Alberic né de la ville de Rheims, & Lutulfe de Lombardie, qui se vangerent puis apres à poinct nommé d' Abelard, ainsi que je discourray en son lieu. Or voyez je vous supplie comme Dieu se voulut mocquer de ce grand Philosophe, & Theologien. Il enseignoit la Theologie avecques un grand theatre, & applaudissement d' escoliers, dont il s' orgueillit de façon, qu' il ne pensoit avoir son pareil au monde: Ce que luy mesme recognoist franchement parlant de soy. Comme il lisoit en l' Evesché, un Chanoine nommé Foulbert, qui avoit chez soy une sienne niepce fort bien nourrie en la langue Latine, le prie de luy vouloir donner tous les jours une heure de leçon. Ce qu' il accepta volontiers: apres avoir quelque temps continué ce mestier, amour se mit de la partie entre eux. En quoy les choses arriverent à tel poinct qu' il engrossa Heloïse (tel estoit son nom) & l' ayant nuitamment enlevee de la maison de son oncle, il l' envoya en Bretagne chez une sienne sœur, où elle accoucha d' un fils qui fut nommé Astralabre. Abelard voyant l' oncle infiniment courroucé se presente, le suppliant de luy vouloir pardonner cette faute, laquelle il repareroit par un futur mariage, à la charge toutesfois qu' il ne viendroit a la cognoissance du peuple. Ce que le Chanoine prit en payement, luy promettant le mesme silence qu' il desiroit de luy. Suivant cet arresté fait entr'eux, Abelard va trouver la mieux aimee, en deliberation expresse de la ramener à Paris pour l' espouser, mais elle d' un esprit plus solide que luy, n' y vouloit aucunement entendre, pour une infinité de raisons fondees sur le danger qu' elle prevoyoit nonobstant quelque promesse de son oncle. Joinct que le mariage estant descouvert, ce seroit la closture, & de ses leçons, & de sa fortune. Je ne vous representeray toutes les raisons dont elle le voulut gaigner, bien vous diray-je que je ne leu jamais en Orateur tant de belles paroles & sentences persuasives pour parvenir à son intention que celles qu' elle y apporta: Nonobstant lesquelles Abelard se fit croire, & estant de retour à Paris l' espousa en la presence de l' oncle, & de quelques siens amis, sous la promesse qu' ils ne divulgueroient le mariage. Toutesfois il ne fut si tost consommé en face de saincte Eglise, qu' ils le trompeterent par la ville, pour couvrir

la honte & pudeur de la fille. Mais elle par une amitié extreme qu' elle portoit à son espoux, voyant combien le titre de mariage desarroyeroit les affaires, le denyoit fort & ferme. Qui aigrit tellement son oncle, qu' il exerça plusieurs grandes rigueurs & indignitez contr'elle. Au moyen dequoy pour l' en garentir de tout point fut entr'eux pris un nouveau conseil. Il y avoit un Monastere de Nonnains au Bourg d' Argentueil, auquel Heloïse avoit pris sa premiere nourriture, il fut advisé qu' elle y retourneroit, & prendroit tous les habits de Religieuse, horsmis le voile. Quoy faisans ils se promettoient bannir d' eux toutes les opinions qui couroient de leur mariage, sous esperance toutesfois d' en reprendre les premiers arrhemens quand les occasions se presenteroient. Ainsi qu' ils le projetterent, fut-il executé. Mais le Chanoine estimant recevoir par ce nouveau conseil, nouvelle escorne delibera de s' en venger à outrance. Et pour y parvenir corrompt un valet d' Abelard, qui luy ouvre de nuict la porte de sa chambre, comme il dormoit, estant de cette façon entré luy fait couper la partie par laquelle il avoit peché. Cela fait il s' enfuit. Mais la justice non endormie en fit prompte punition, car le serviteur d' Abelard & celuy du Chanoine perdirent, & les yeux, & les genitoires. Abelard est vislté par une grande procession de gens, & par special de ses escoliers qui en firent les hauts cris. Mais luy plus combatu dedans son ame de la honte, que de sa playe exterieure, s' avisa d' un nouveau conseil. Il avoit auparavant fait prendre l' habit de Nonnain à sa femme, sans faire le vœu, en attendant, comme j' ay dit, que la commodité de ses affaires portast pleine ouverture de leur mariage: mais se voyant frustré de cette esperance, il estima qu' il falloit tout à fait franchir le pas. Et pour cette cause se rendit Moine profez en l' Abbaye de S. Denis, & Heloïse Religieuse voilee au Prioré d' Argentueil: où pour sa suffisance elle fut quelques ans apres esleuë Prieure. Mais sur tout la confusion de ce grand personnage merite d' estre icy inseree. In tam misera contritione positum confusio (fateor) pudoris potius, quàm devotio conversionis, ad monasticorum latibula claustrorum compulit. Ainsi en prend-il à plusieurs qui se rendent Moines, ou par despit, ou par desespoir. Nonobstant ce nouveau changement de vie il fut prié par quelques uns de ses disciples de vouloir continuer ses leçons. A quoy il condescendit, & se retirant en un arrierecoin du Monastere, lisoit tantost en Philosophie, tantost en Theologie, ayant un grand auditoire. Toutesfois par ce que de sa vie on peut recueillir des anciens instituts de nostre Université de Paris, voicy, qu' il dit sur cet article. Cum autem in divina scriptura non minorem mihi gratiam, quam in seculari, Dominus contulisse videretur, coeperunt admodum ex utraque lectione Scolae nostrae multiplicari, & caeterae omnes vehementer attenuari. Unde maxime Magistrorum invidiam atque odium mihi concitavi. Qui in omnibus quae poterant mihi derogantes, duo praecipue absenti mihi semper obijciebant. Quod scilicet proposito monachi valde sit contrarium, secularium librorum studio detineri. Et quod sine magistro ad magisterium divinae lectionis accedere praesumpsißem: ut sic inde omne mihi doctrinae scholaris exercitium interdiceretur. Passage dont vous pouvez voir que desja on commençoit à mettre distinction entre les lectures qui se faisoient par les Seculiers, & les Reguliers, & que pareillement avant que d' estre receu à lire en Theologie, il falloit avoir esté receu par un Superieur, & passé par quelque degré. Qui sont deux particularitez, que j' objectay aux Jesuites au plaidoyé que je fis contr' eux pour l' Université de Paris: de vouloir lire les lettres humaines, & la Philosophie à tous venans: & encores d' enseigner la Theologie, sans en avoir suby l' examen ainsi qu' on avoit accoustumé de faire. Que si j' eusse eu lors ce passage en main, il m' eust grandement servy. Je vous cotte icy ce passage encores que j' en face cy apres mon profit au premier chapitre du sixiesme livre.

Mais pour reprendre le fil de cette presente histoire, Abelard se voyant suivy de plusieurs escoliers, commença de semer une opinion tres-meschante & tres-erronee. Car il composa un livre de la Trinité, laquelle il vouloit prouver par raisons humaines, soustenant qu' on ne devoit croire une chose, dont on ne pouvoit rendre raison. Qui estoit en bon langage destruire le fondement general de nostre foy. Nihil posse credi, disoit il, nisi primitus intellectum, & ridiculosum esse aliquem praedicare alijs, quod nec ipse, nec illi quos doceret intellectu capere possent. Domino ipso arguente quod caeci eßent ductores caecorum. Comme ordinairement toutes nouveautez plaisent, aussi ne despleut ce livre aux ames foibles. Toutesfois il fut condamné par un Concil tenu en la ville de Soissons. Le tout à la poursuitte d' Alberic & Lutulfe disciples d' Anseaulme, & mesmes fut ordonné que le livre seroit publiquement jetté dans le feu par Abelard, & luy confiné en l' Abbaye de sainct Medard, comme en prison clause. Auquel luy nonobstant cette condamnation il fut receu d' un bon accueil, tant il avoit de grandes parties qui attrayoient à soy uns & autres. Il n' est pas que quelques Cardinaux & Evesques de Rome ne l' excusassent, dont nostre grand S. Bernard se plaignoit fort aigrement en ses 190. 191. & 194. Epistres. Les choses toutesfois se passerent de telle sorte qu' apres avoir faict quelque sejour à S. Medard, l' Evesque de Preneste Legat en France le renvoya en son monastere: où il ne fut pas si tost arrivé qu' il appresta sujet de nouvelle querelle, qui merite d' estre tout au long recitee, comme appartenant aucunement à l' ancienneté de nostre France. Nous tenons de main en main que le chef de S. Denis est le chef de Denis l' Areopagite. Et de fait de Luc dedans son recueil des arrests recite, que comme les Doyen, Chanoines, & Chapitre de Paris pretendissent que chez eux reposoit le chef de l' Areopagite, soustenu le contraire par les Religieux, Abbé, & convent, de S. Denis: Pour les accorder il fut dit par arrest du Parlement de Paris, que le chef de l' Areopagite reposoit en l' Eglise de S. Denis: & celuy du Corinthien, en l' Eglise de Paris. Advint qu' Abelard expliquant un passage de Beda sur les Actes des Apostres, où il soustient que S. Denis fut plustost Evesque de Corinthe que d' Athenes, les Religieux commencerent de luy en faire la guerre, comme introduisant une nouvelle heresie en leur Eglise: & que Beda soustenant cette opinion estoit un vray imposteur. Aimans mieux croire Huldouïn leur Abbé, qui de propos deliberé avoit voyagé jusques en la Grece, pour s' en esclaircir, & ayant trouvé le contraire en avoit fait un livre expres. Surquoy Abelard interrogé auquel des deux il vouloit adjouster plus de foy, respondit que c' estoit au venerable Beda, tant honoré par nostre Eglise. Adoncques les Religieux d' une commune voix s' escrient, qu' il estoit un heretique qui perdoit non seulement l' honneur de leur Abbaye, ains de toute la France, revoquant en doute que le chef de S. Denis l' Areopagite fust en leur Eglise. Abelard leur ayant repliqué que celuy estoit chose indifferente que ce fust l' Areopagite, ou le Corinthien, moyennant que S. Denis eust esté exposé au martyre pour le nom de nostre Sauveur Jesus Christ, les Religieux en firent plainte à leur Abbé. Lequel le fait appeller en plain Chapitre, où il le bafouë avec plusieurs paroles d' aigreur, & luy denonce qu' il en advertiroit le Roy, a fin qu' il fust chastié, non comme estoit l' ordinaire des autres Religieux malgisans, ains d' une punition exemplaire, comme perturbateur de l' honneur general de la France. Sur cette menace, Abelard craignant l' indignation du Roy, & de son Abbé tout ensemble, se retire vers Thibault Comte de Champagne, se mettant sous sa protection en un Prioré de Troyes. Et quelque peu apres fait prier son Abbé de luy vouloir pardonner sa faute, & permettre de se retirer en tout Monastere, autre que celuy de S. Denis, pour les rancunes & inimitiez que les Religieux avoient contre luy conceuës. Ce qu' il ne peut obtenir, au contraire luy commanda de retourner promptement sur peine d' excommunication. Sur ces entre-faites l' Abbé meurt, & apres son decez, l' Evesque de Meaux fait pareille requeste pour Abelard envers le nouveau successeur, mais il le trouva plus roide que l' autre. Au moyen dequoy il fut contraint d' avoir recours au Roy, qui luy permit de demeurer en tel lieu solitaire qu' il voudroit, à la charge de se recognoistre tousjours Religieux de S. Denis. 

De cette permission vint la premiere fondation de l' Abbaye du Paraclit de Nogent sur Seine. Car luy ayans esté pres de ce lieu quelques terres aumosnees, il y bastit du commencement un petit Oratoire (si ainsi voulez que je le die) de bouë & crachard: en deliberation d' y mener une vie solitaire, avec un petit clergeau, qui l' aidoit à faire le service divin: pour s' affranchir par ce moyen des rancunes & inimitiez que les anciens luy portoient. Toutesfois ses escoliers advertis de sa nouvelle demeure, quitterent les leur, pour se venir habituer pres de luy, & deslors sur le modelle de son Oratoire, s' accommoderent de petites cellules, & à son imitation, pro delicatis cibis (porte le texte de l' Epistre dont j' ay extraict ceste histoire) herbis agrestibus, & pane cibario victitare, & pro mollibus stratis, culmum & stramen comparare, & pro mensis glebas erigere coeperunt, ut vere priores Philosophos imitari crederes. Admirable devotion de jeunesse envers son Maistre & precepteur. Vray que le nombre croissant peu à peu, aussi commencerent-ils d' accroistre, & l' Oratoire, & leurs Cellules, & le bastir de meilleurs estoffes, & par mesme moyen de changer l' austerité de leur vie en une plus douce. Administrant viures & vestemens à celuy qui leur faisoit leçon tous les jours. En tout cela il n' y alloit rien que de la pieté de sa part. Mais comme il ne pouvoit desmordre ses opinions, aussi se ressouvenant de son livre de la Trinité, qui avoit esté condamné à Soissons, il en voulut renouveller la memoire par son Oratoire, qu' il fit appeler Trinité, paraventure non tant par devotion, que vengeance contre ses Juges. Mais depuis recognoissant que ce lieu avoit esté le premier respit de sa consolation il le fit nommer Paraclet: c' est ce qu' il dit dans sa lettre. Quia ibi profugus, ac iam desperatus, divinae gratia consolationis aliquantulum respirassem, in memoriam huius beneficij, ipsum Paracletum nominavi. Nom particulierement attribué en nostre Eglise au benoist S. Esprit. L' ignorance du commun peuple le nomma Paraclit. Comme aussi ay-je veu qu' en mes jeunes ans dedans les Eglises, on appelloit le S. Esprit, Spiritum Paraclytum, non Paracletum, deux mots du tout contraires, car l' un signifie flateur, & l' autre consolateur. Mesmes peu apres que je vins au Palais, un Maistre Jean Sabelat Chanoine de Chartre, homme nourry aux bonnes lettres, prononçant en la celebration de sa Messe, le Paraclet, & non Paraclit, il en fut suspendu à divinis, par l' Evesque, dont il en appella comme d' abus, & pour le soustenement de sa cause fit un tres-docte manifeste, que j' eus en ma possession quelque temps: & depuis fut la cause accordee entr'eux par quelques amis de l' Evesque, a fin qu' il ne servist de risee au peuple. Je dy cecy en passant pour monstrer quelle tyrannie exerce sur nous le commun usage.

Abelard ayant donné à son Oratoire tiltre & qualité du Paraclet, aussi tost encourut-il la mal-veillance de nos Evesques & Prelats, lesquels luy improperoient que c' estoit une nouveauté qu' il introduisoit en nostre Religion. Car combien disoient-ils que toutes Eglises sous les noms d' uns & autres Saincts & Sainctes, fussent generalement basties en l' honneur de Dieu, toutes-fois on n' en voyoit une seule qui portast particulierement le nom de Dieu le pere, Dieu le Fils, & S. Esprit: On le presche, on le deschire en toutes les chaires, de telle façon qu' il desplaisoit à tous Seigneurs tant Ecclesiastics que Seculiers. Chose qui le fit entrer en telle desplaisance de soy, qu' il luy prit envie d' aller demeurer en Turquie, où il se promettoit qu' en payant tribut, il luy seroit loisible d' exercer sa Religion en liberté de conscience. Quos tanto magis (dit-il) propitios me habituros credebam, quanto me minus Christianum ex imposito mihi crimine suspicarentur, & ob hoc facilius me ad Sectam suam inclinari crederent. C' estoit une mal-heureuse ressource d' une ame desesperee.

Estant en ces termes de desespoir, une Abbaye de la basse Bretagne sous le nom de S. Gildaise vient à vacquer, où il fut du consentement du Comte de Bretagne (ainsi le qualifie-il) esleu Abbé. Voila le commencement d' une autre fortune qui sembloit luy vouloir rire. Mais comme il estoit né sous une planette traversiere, encores en sentit-il lors les effects. Car comme il trouva les Moines fort desbordez en mœurs, & le revenu occupé par un Gentil-homme voisin: ce nouvel Abbé voulant remettre les choses en leur ancien train, ne voyoit que cousteaux pancher sur sa teste de tous les costez: & commença de regretter son ancienne vie.

Comme ces choses se manioient de cette façon en la Bretagne, Sugger Abbé de sainct Denis chasse toutes les Nonnains d' Argentueil pour leur desbauche, & y transporte une nouvelle peuplade de Moines de son Abbaye. Heloïse en estoit Prieure, ce mal-heur luy fut cause d' un tres-grand heur. Car Abelard de ce adverty (qui nourrissoit tousjours en son ame l' amitié qu' il luy avoit voüée) retourne à son Oratoire du Paraclit, (ainsi sera-il par moy appellé selon la commune parole du peuple, ores qu' il le convint nommer Paraclet) duquel il luy fait present, & aux Religieuses qui estoient à sa suite. Donation qu' il fit emologuer par l' Evesque de Troyes, & encores en Cour de Rome par le Pape Innocent. Et deslors par son opiniastreté il gaigna le dessus de tous. D' autant que le nom du Paraclit demeura à cette Eglise, qui s' est perpetué sans scandale jusques à huy, & y fut establie une Abbaye de Nonnains, dont Heloïse fut la premiere Abbesse, laquelle y vesquit avec telle austerité, que les Evesques la tenoient pour leur fille, les Abbez pour leur sœur, & les hommes laiz pour leur mere. N' estant veuë ny visitee d' aucuns, qui la rendit tant recommandee qu' en moins de cinq ou six ans ce Monastere creut en grands biens, par les aumosnes qui luy furent faites par les gens de bien. Abelard mourant, par son testament ordonna d' estre inhumé dans ce Monastere dont il estoit fondateur, où pareillement les cendres d' Heloïse reposent, & lors il s' estoit faict par un nouveau privilege Religieux de Clugny. Son Epitaphe est de dix vers, duquel je vous feray part seulement de deux.

Ille sciens quicquid fuit ulli scibile, vicit

Artifices, artes, absque docente, docens.

L' Autheur de cet Epitaphe vouloit dire qu' Abelard avoit le rond & accomplissement de toutes sciences, mesmes qu' en tout ce où il reluisoit, il avoit esté son precepteur & disciple ensemble. Mais luy qui n' avoit que trop bonne opinion de soy, se vantoit qu' il n' y avoit passage si obscur, qu' il ne peust fort aisément deschifrer. Dont Accurse se mocquant en la Loy Quinque. Finium regund. C. disoit. Petrus Abellardus qui se iactavit quod ex qualibet, quantumcunque difficili littera traheret aliquem intellectum, hic dixit, Nescio. Remarque qu' il m' a semblé ne devoir estre oubliee.

Or tout ainsi que la fortune de ce personnage se rendit admirable pour les diverses secousses qu' il receut se trouvant tantost au dessus du vent, tantost au dessous, aussi suis-je bien empesché de sçavoir quel jugement de bien ou de mal je dois faire sur son Heloïse. Car combien qu' elle se fust grandement oubliee de son honneur avecques luy, toutes-fois je me fais presque accroire que ce ne fut point tant par une passion desreiglee, que pour les bonnes & signalees parties d' esprit qui estoient en Abelard. Et qui me fait entrer en ce jugement, c' est quand elle quitta son espoux, pour espouser une autre vie, aux yeux de toute la France, auparavant l' infortune de luy. J' ay veu une lettre qu' elle luy escrivit en Latin, apres qu' il se fut fait Moine, c' est à dire lors qu' elle se voyoit du tout forbannie de l' esperance de leurs attouchemens mutuels, & neantmoins vous la verrez autant passionnee comme au plus chaud de leurs amours. Le dessus de la lettre est tel. Domino suo, imò patri, coniugi suo, imo fratri, ancilla sua, imò filia, ipsius uxor, imò soror, Abelardo, Heloysa. Là elle dit avoir leu tout au long la lettre par luy escrite à un sien amy, dans laquelle il faisoit un ample discours de toute sa vie & de ses malheurs. Pour à quoy respondre, elle proteste que tout ce qu' elle avoit fait avecques luy n' estoit pour contenter sa volonté, ou volupté, ains celle seulement d' Abelard: Et que combien que le nom d' espouse fust sans comparaison plus digne, toutes-fois pour ne faire bresche à la dignité de luy: Cultius mihi fuit amicae vocabulum, aut, si non indignere, concubinae, vel scorti: A fin que plus je m' humiliois devant toy, plus je te fusse agreable. Et finalement elle adjouste que quand l' Empereur Auguste reviendroit au monde pour la vouloir espouser, elle aimeroit mieux estre reputee la garce de ce grand Abelard, qu' Imperatrice de ce grand Univers: & conclud en ces mots, qui me semblent tres-beaux: Non rei effectus, sed efficientis affectus in crimine est: nec quae fiunt, sed quo animo fiunt, aequitas pensat. Voila une resolution d' amour paradoxe. Car lors qu' elle escrivit cette lettre, les Monasteres où l' un & l' autre s' estoient voüez, & l' infortune d' Abelard cognuë à tous, la garantissoient de toute opinion d' impudicité, toutes-fois passant par dessus toutes les hypocrisies que les femmes ont accoustumé d' apporter en telles affaires, elle recognoist franchement n' avoir autre Idee en soy, que celle qui despendoit de celuy qu' elle avoit tant aimé, & honoré.

Pour conclusion philosophant sur les deportemens de l' un & de l' autre, je cognois Abelard avoir esté d' un esprit fort universel, & pour cette cause l' un des premiers de son siecle en toutes sortes de bonnes lettres: Mais au milieu de son sçavoir, je le trouve avoir fait un traict de folie admirable, quand il suborna d' amour Heloïse son escoliere, abisme de la fortune en laquelle il estoit esleué: Et au contraire Heloïse dedans sa folie avoit esté extremement sage, quand mettant sous pied le nom de mariage (voile de sa lubricité) elle se rangea avecques les Religieues voilees avecques le froc, sans le vœu, premiere ressource de son honneur, dont à la longue sourdit le comble de son bon-heur: Ayant esté non seulement premiere Abbesse du Paraclit, mais Abbesse d' une saincte & religieuse vie.