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dimanche 13 août 2023

9. 40. Pays coustumier, & de Droit escrit en la France.

Pays coustumier, & de Droit escrit en la France.

CHAPITRE XL.

Je veux me transformer comme le Polipe, en autant de couleurs, que d' objects, estre maintenant Jurisconsulte, puis Cavalier, puis Practicien. Et qui plus est representer ces trois personnages en choses qui de prime face vous sembleront estre du tout incompatibles; Prouver par le Droict Civil des Romains, l' ancienneté du pays Coustumier du Royaume de la France: Au contraire, comme Cavalier François, verifier dont vient, que nous appellons quelques unes de nos Provinces, pays de Droict escrit, comme ayans emprunté leurs coustumes du Droict escrit des Romains: Et au bout de cela par une estrange metamorphose, me faire Practicien: obres que je n' abhorre rien tant en mon ame que la chicanerie. Ce sont tous les propres discours du present Chapitre, & du subsequent, à la lecture desquels je supplie humblement tous les esprits deliez de ne se vouloir amuser, ou bien s' armer de patience en les lisant, pour voir quel profit ils en avront rapporté.

Bartole est d' avis que les coustumes dont on usoit diversement en unes & autres Provinces, avoient esté anciennement introduictes, ut aliquid Iuri communi adderent, vel substraherent. Dont quelques Bartolistes estiment que toute la conduite judiciaire des Provinces estoit tiree du Droict ordinaire des Romains, sauf quand il y avoit quelque coustume particuliere qui y derogeoit. Quant à moy je ferois conscience de dementir un si grand Docteur. C' est pourquoy je me fais accroire que son opinion estoit, qu' il falloit juger selon les coustumes de chaque pays, & en leur defaut avoir recours au Droict commun des Romains.

La proposition generale du temps des Empereurs estoit pour entretenir leurs Provinces en une obeïssance agreable, de n' y rien innover au prejudice de leurs anciennes coustumes. Pline second Vice-Empereur de la Phrigie (depuis appellee Natolie) desirant estre esclaircy de quelque obscurité qui se presentoit en son gouvernement, l' Empereur Trajan luy respondit: Id semper tutissimum esse sequendam legem cuiusque civitatis. Et de cette ancienneté il n' en faut plus asseuré tesmoignage que du titre; Quae sit longa consuetudo C. par lequel vous trouverez que

ce sont instructions & memoires, adressez aux Presidens des Provinces: leur enjoignans d' observer en leurs jugemens les coustumes de leurs Provinces. Ny ne fut cet ancien reiglement effacé par Justinian; ains au contraire confirmé: car autrement en vain eust il fait inserer les loix portees sous ce titre, sinon pour une continuation de ce qui avoit tousjours esté par le passé observé en ce subject. A quoy semblera aucunement deroger ce que Tribonian disoit, par la plume duquel Justinian fit son Edit. De vetere iure enucleando: où il est dit en termes formels: Quod secundum Saluij Iultiani scripturam, omnes civitates debent consuetudinem Romae sequi, quae caput est orbis terrarum, & non ipsam alias civitates. Il emprunta cette ancienneté du Jurisconsulte Julian, duquel toutesfois nous apprenons une leçon à ce contraire:

quand il nous enseigne qu' il falloit premierement juger selon les uz & coustumes des lieux, & si elles manquoient, avoir recours aux plus prochaines, & en leur defaut au Droict commun de Rome, comme anchre de dernier respit. Ce que dessus ayant esté par moy scholastiquement proposé par forme d' avant-jeu; je veux maintenant recognoistre dont vient en ce Royaume de France la distinction des pays Coustumier, & Droict escrit. Jule Cesar sur le commencement de ses Memoires de la Gaule, nous tesmoigne que de son temps, il y avoit autant de diversité de Coustumes, que de Provinces. Je sçay quel estat ce grand guerrier fit des Gaulois. Car apres les avoir subjuguez, & avoir acquis sur eux le haut point de souveraineté pour sa Republique. Il les laissa viure en leurs anciennes coustumes, comme ceux desquels il tira depuis plusieurs grands services, pour l' advancement de ses opinions, au desadvantage des siens: & comme l' Estat de Rome par succession de temps eut pris divers visages: mesmes que le François se fut impatronisé és Gaules, de la Belgique & Celtique, par l' entremise des Roys Clodion, Meroüée, Childeric & Clovis. La plus grande & solemnelle proposition qu' ils graverent dedans leurs conquestes fut (ainsi que nous apprenons de Procope Secretaire de Justinian) de suivre au plus pres les pas du Romain, & de ne rien innover au prejudice de l' ancienneté. Voire que le Roy Clovis voyant les Gaulois viure en la Religion Catholique; non seulement ne les conjura de l' abjurer, & d' espouser la Payenne, en laquelle il estoit nourry: mais au contraire se fit Chrestien, & suivit toute la mesme Religion que ses propres subjects, non la secte Arrienne, ainsi que les Visigots & Bourguignons. Qui luy bailla depuis de grands advantages sur eux lors qu' il les voulut guerroyer. De mesme façon en la conduite de la Justice, il les laissa viure selon leurs anciennes coustumes, tout ainsi que le Romain leur avoit permis. Usage qui s' est depuis continué de main en main soubs le nom de Bailliages, & Seneschaussees jusques à nous. Au moyen dequoy il ne faut trouver estrange, que par une continuë de temps, nous ayons appellé les pays de la Belgique & Celtique, pays coustumiers: Parce que les coustumes, ores qu' elles ayent selon la diversité des temps changé de divers usages, leur estoit un droict tres-foncier.

Mais quant aux pays que nous appellons de Droict escrit, il y a plus d' obscurité. Car l' Aquitaine faisant la troisiesme partie de la Gaule, & consequemment fondee en Coustumes qui estoient de son ancien estoc; tout ainsi que la Celtique & Belgique, dont vient qu' elle alla mendier le Droict escrit des Romains; mesmes depuis l' advenement des François, qui ne recogneurent jamais sur eux aucune superiorité du Romain, depuis qu' ils se furent emparez de la Gaule? Je vous diray ce qu' il m' en semble. Advint qu' en la desbauche, ou pour mieux dire en la conjuration generale que firent les nations estrangeres contre l' Empire, les Visigots, Bourguignons, & François se lotirent diversement de la Gaule. Les Visigots premierement par la permission de l' Empereur Gratian, puis d' Honoré son fils d' une partie d' Aquitaine, je veux dire de ce que nous avons depuis appellé Guyenne, Languedoc, Provence, Dauphiné, Savoye, Xaintonge, Agenois, Quercy, Auvergne, Roüergue, Perigord, Limosin; jusques au regne d' Alaric second: Qui n' estoit pas une petite domination. Les Bourguignons s' impatronizerent de la Province, qui sous les Empereurs avoit esté nommee Lugdunense: C' estoit deça la Saone, ce que depuis nous avons appellé Lionnois, Forest, Beaujoulois, Masconnois, Bourbonnois, Duché & Comté de Bourgongne, & au delà de quelques villes circonvoisines. Les François tant de la Gaule Belgique que Celtique; C' estoit ce que nous avons depuis appellé les pays Bas, Normandie, Picardie, Champagne, Brie, Gatinois, isle de France, & autres. Vray qu' il restoit encore quelque petit fruict de l' authorité des Romains dedans la ville de Soissons, & és environs, dont Gilles Senateur de la ville de Rome en avoit esté Gouverneur, & apres sa mort Siagré son fils: lesquels toutesfois se faisoient croire de leurs opinions, comme Princes souverains au peu de pays qu' ils possedoient. Le Visigot avoit vescu soubs les coustumes anciennes du pays d' Aquitaine, jusques au vingt & deuxiesme an du regne de Alaric second, lequel par loy generale ordonna que le Code, qui est vulgairement appellé Theodosian, reformé par Aman l' un de ses principaux Conseillers d' Estat fust observé par tous les pays de son obeïssance. C' estoit un sommaire recueil de toutes les Ordonnances depuis Constantin le grand, jusques à Theodose deuxiesme, par le commandement duquel il avoit esté fait. Apres que Clovis fut venu à chef du Romain, il attaqua Gondedaut Roy de Bourgongne, comme je toucheray cy-apres, puis le Visigot. De vous dire icy le pourquoy, & comment, ce ne seroit que perte de temps & de papier. Il me suffira de vous dire qu' en une bataille rangee il desconfit, & occit le Roy Alaric le 23. an de son regne: Qui fut l' annee immediatement apres la publication du Code de Theodosian. Ceux qui d' une plus soigneuse recherche pensent avoir mieux aprofondy cette ancienneté de la nomination de pays de Droict escrit, la rapportent à l' Ordonnance d' Alaric. Ouverture que je trouve belle, non toutesfois sans espines, d' autant que Alaric ayant esté occis l' an subsequent de son Edit, ce peut-il faire qu' apres une si grande route, cette nouvelle Ordonnance du Droict escript eust déraciné tout à fait de la teste du commun peuple, ce qui estoit empraint en luy des anciennes coustumes? Mesmes qu' une partie de l' Aquitaine fust tout à fait affranchie de cette Ordonnance, & l' autre non. Objections qui ne semblent hors de propos, faciles toutesfois à dissoudre. La victoire qu' obtint Clovis, ores qu' il eust mis à mort Alaric, si ne fut elle absoluë. C' est pourquoy Clovis se fit Maistre de quelque pays, comme du Bourdelois, Agenois, Xaintonge, Angoulmoisin, Perigord, Limosin, Berry, d' une partie d' Auvergne: & les autres plus devots envers leur Prince, demeurerent soubs son obeïssance. Comme le Languedoc, Quercy, Dauphiné, Provence, Savoye. Et comme ainsi fust qu' Alaric eust laissé pour son heritier Amalarich son fils, aagé seulement de huit à neuf ans, & que Theodorich Ostrogot Roy d' Italie, son ayeul maternel eust pris en main le gouvernement de sa personne, & pays, luy qui estoit d' un esprit calme & politic, ne voulut rien changer de ce qui avoit esté ordonné par Alaric son gendre. De maniere que quelques esprits gaillards se voulans joüer sur les noms de Theodose, & Theodorich, par l' eschange d' une S, en appellerent ce Code, tantost Theodosian, tantost Theodorian. Et de là est venu que du depuis une partie de l' Aquitaine a esté gouvernee par le Droict escrit des Romains, & l' autre par les coustumes. Ce sont les pays que le Roy Clovis annexa à sa Couronne.

Mais je voy icy un nouvel obstacle qui se presente devant mes yeux. Car

combien que paravanture il y ait subjet de me passer comdemnation pour les Provinces d' Aquitaine, par moy presentement touchees, que dirons nous du Lyonnois, Forest, Beaujoulois, qui ne furent jamais soubs la domination du Visigot, & neantmoins usent du Droict escrit pour coustume? Je vous apporteray pareille response qu' à l' autre. Procope au livre premier des guerres Gottiques, nous raconte que quand Clovis voulut terrasser tout à fait Gondebaut Roy de Bourgongne, qui avoit cruellement fait assassiner le Roy Chilperic son frere, pere de la Royne Clotilde femme du Roy Clovis, pour ne faillir à son entreprise il se ligua avecques le Roy Theodoric, à la charge que l' un & l' autre armeroient, & que venus au dessus de leurs affaires, ils partageroient le gasteau ensemble. Suivant cette capitulation, le Roy Clovis, auquel rien n' estoit impossible au fait des armes; mesmes qu' en cette querelle il y alloit plus du sien, en consideration de sa femme, s' achemine le premier avecques son armee, & se heurte à toute outrance contre Gondebaut. Theodorich au contraire, ayant levé son armee, la faisant marcher à petites journees, y apportant plus de contenance que d' effect, pour ne rien hazarder du sien que bien à propos: mais voyant que cette entreprise estoit en tout & par tout reüssie au souhait de son associé, il fait chausser les esperons aux siens, leur commandant qu' à toute vistesse ils se presentassent à luy, & demandassent part au butin selon le compromis fait entr'eux. Clovis contre cette demande se deffendoit, & soustenoit que sans l' aide de leur Roy, il avoit mis à fin cette entreprise. A quoy les autres repliquoient, que Theodorich leur Roy n' avoit manqué de volonté, & que si les siens n' estoient arrivez à point nommé, il ne luy falloit imputer, ains à la difficulté des chemins. En fin apres quelques altercations reciproques, il fut conclud & arresté qu' à Theodorich seroit baillé quelque part & portion des terres qui avoient esté conquises, en payant certaine somme de ressoulte pour le defroy de l' armee de nostre Clovis, & que tout le demeurant des pays luy appartiendroient. De moy je veux croire, que les pays du Bourbonnois, Masconnois, & ce que nous avons depuis nommé Duché & Comté de Bourgongne demeurerent au lot de Clovis, esquelles les coustumes anciennes de ces Provinces furent continuees tout ainsi qu' és autres qui estoient de sa subjection. Et que le Lyonnois, Forest, Beaujoulois, & quelques villes au delà du Rosne, & de la Saone furent octroyees à Theodorich, esquelles il fit observer pareille reigle du Droict escript, que aux pays du Roy Almarich (Amalric) son petit fils, pour ne les bigarrer. Si ma divination n' est veritable, pour le moins n' est-elle esloignee de la vray-semblance. C' est une histoire tenebreuse, en laquelle on est contrainct de proceder à tastons. Bien vous diray-je qu' avant que les Universitez fondees sur le Droict de l' Empereur Justinian fussent en usage, il y avoit quelque difference en France du pays coustumier, avecques celuy du Droict escrit, comme nous en voyons quelque remarque au Chapitre precedant, quand le Pape Honoré troisiesme du nom dict: Quia tamen in Francia, & nonnullis Provinciis Franci Romanorum Imperatorum legibus non utuntur, &c. 

Il vouloit doncques dire que de son temps il y avoit des Provinces en France, esquelles on observoit le Droict des Romains.

Les choses s' estans de cette façon passees, comme j' ay cy-dessus recité, Amalarich fut depuis tué par le Roy Childebert fils de Clovis, & estant decedé sans hoirs issus & procreez de son corps, les Ostrogots d' Italie successeurs de Theodoric par un droit de bienseance demeurerent en la possession des villes dont il en avoit pris le bail & garde pour son petit fils, ausquelles ils mirent garnisons. Ce qui leur estoit de grand coust. Et depuis estans chaudement envahis par Bellissaire, pour l' Empereur Justinian son Maistre, a fin d' estre mieux assistez de forces, ils retirerent leurs garnisons, & les logerent dedans le pays d' Italie: & tout d' une main firent present au Roy Childebert & ses freres, de toutes les places qu' ils pretendoient leur appartenir; a fin d' estre par eux secourus, ou en tout evenement, que les François ne joignissent leurs forces à l' encontre d' eux à celles de Bellissaire. Et deslors tous les enfans du Roy Clovis furent paisibles possesseurs de la France, n' ayans autres corrivaux de leurs grandeurs que eux mesmes. Et deslors aussi se logea chez nous la distinction des Pays Coustumier, & de Droict escrit. Droict escrit (vous dy-je) qui prit apres plus fortes racines, quand le Droict compilé par l' Ordonnance de Justinian se tourna en estude chez nous.

lundi 7 août 2023

8. 56. Vespres Siciliennes, Sicile

Vespres Siciliennes, Proverbe sur lequel est par occasion discouru de l' Estat ancien de la Sicile, & des traictemens que recevrent ceux qui la possederent.

CHAPITRE LVI.

Les fureurs qui se sont passees en cette France soubs ces mots de Huguenot & Catholic, me font souvenir de celles qui furent autresfois en Italie soubs deux autres mots partiaux de Guelphe & Gibelin, au bout desquelles furent attachees les Vespres Siciliennes, premier but, mais non seul & principal de ce chapitre. Quand par quelques sourdes pratiques advient un inopiné massacre à ceux qui pensoient estre à l' abry du vent, les doctes appellent cela les Vespres Siciliennes. Proverbe vrayement nostre, pour nous avoir esté cher vendu. Au recit duquel je vous feray voir une Sicile, jouët de la ville de Rome, amusoir des Princes estrangers aux despens de leurs ruines, & si ainsi me permettez de le dire, or de Thoulouse fatalement malheureux aux familles, qui le possederent anciennement. Je veux doncques sur le mestier de ce Proverbe tresmer un discours d' assez long fil, & vous representer les tragedies qui feurent jouees sur le Theatre d' Italie l' espace de cent ans ou environ, dans lesquelles vous verrez des jugemens esmerveillables de Dieu, & pour closture une nouvelle face d' affaires, & changement general d' Estat. Que si quelque escollier Latin me juge manquer d' entregent en ce livre, que j' avois seulement dedié à l' ancienneté de nostre Langue, & de quelques mots & proverbes François, il ne m' en chauld, moyennant que puissions nous faire sages par les follies de nos ancestres. Usez de ce chapitre, comme d' une piece hors d' œuvre, dedans laquelle je glasseray en passant ce qui regarde nos Vespres Siciliennes.

Depuis que l' Empire des Romains fut divisé en deux, l' un prenant le nom & tiltre du Levant dedans Constantinople, & l' autre du Ponant dessoubs Charlemagne, combien que ce grand guerrier eust esté faict Seigneur de l' Italie, toutesfois les affaires se passerent de telle façon, que les pays de Sicile, Poüille, & Calabre demeurerent à l' Empereur de Constantinople, & depuis pour sa neantize hereditaire, qui se transmit de l' un à l' autre, feurent une bute, tantost des Hongres, tantost des Sarrazins, chacun d' eux jouants au boutehors selon la faveur ou desfaveur de leurs armes: Les Gregeois y retenans telle part & portion qu' ils pouvoient. Apres plusieurs secousses, advient que quelques braves guerriers Normands habituez en cette France, ne voulans forligner de leurs devanciers, se resolurent par une belle saillie, de faire nouvelles conquestes. A cette fin levent troupes, voguent en pleine mer, viennent surgir à la Sicile, où par leurs proüesses ils planterent leur siege, & ayants esté longuement gouvernez par Ducs, en fin establirent une Royauté feudatrice du Sainct Siege, non tant par devotion que sagesse, pour estre leur grandeur assistee d' un grand parrein. Conseil toutesfois qui ne leur succeda pas ainsi comme ils s' estoient promis. Car les Papes se lassans par traite de temps de leur voisiné, n' eurent autre plus fort pretexte pour les supplanter que cette infeodation, dont ils firent aussi banniere, tant à l' endroit des Allemands, que François, depuis qu' ils s' engagerent dedans leurs querelles. Mais pour n' enjamber sur l' ordre des temps, Guillaume troisiesme de ce nom Roy de Sicile, estant decedé sans enfans, Tancrede Prince du sang se voulant impatroniser du Royaume, il en fut empesché par le Pape Celestin troisiesme. Lequel attire à sa cordelle Henry fils aisné de l' Empereur Federic premier. Or y avoit-il une Princesse du sang nommee Constance niepce du deffunct Roy plus proche habile à succeder, mais il y avoit un obstacle qui l' en empeschoit: estant religieuse Professe, & Abesse de Saincte Marie de Palerme. Le Pape la relaxe du vœu pleinement & absolument, & lors en faict un mariage avecques Henry, & tout d' une main les investit du Royaume, à la charge de la foy & hommage lige, & de certain tribut annuel envers le sainct Siege. Grand tiltre, mais de peu d' effect sans l' exequution de l' espee, comme aussi ne leur avoit il esté baillé que sous ce gage. Sur ces entrefaictes meurt Federic premier, & apres son decés Henry est esleu Empereur. Adoncques luy & Tancrede commencent de joüer des cousteaux, & à beau jeu, beau retour. Tancrede meurt, & par sa mort, Henry sans grand destourbier se faict Maistre & Seigneur de tout le pays. Mesmes Sibille veufve du deffunct, ses trois filles, & un sien fils se rendent à luy soubs le serment qu' il leur fist de les traiter selon leur rang & dignité. Promesse toutesfois qu' il ne leur tint: Parce que soudain qu' ils furent en sa possession, il les confine dedans une perpetuelle prison, & leur fit creuer les yeux, & par une abondance de pitié fit chastrer le masle, affin de luy oster toute esperance de regrés à la Couronne. Premier trait de tragedie qui se trouve en cette histoire, indigne non seulement d' un Chrestien, mais de toute ame felonne de quelque Religion qu' elle fust.

Constance aagee de 51. ou de 52. ans accoucha d' un fils, auquel fut donné le nom de l' Empereur Federic son ayeul. L' enfant estant encore à la mammelle, il fut declaré Roy des Romains par les Princes de l' Empire, & comme tel luy rendirent le serment de fidelité, l' an 1197. Le tout à la solicitation, priere & requeste du Pere, qui deceda quelques mois apres, laissant son fils au gouvernement de la mere, laquelle le fist couronner Roy de Sicile en l' aage de trois ans seulement.

Elle quitte ce monde l' an 1199. mais avant que de le quitter, supplia par son testament le Pape Innocent III. d' en vouloir prendre la tutelle, ce qu' il fit. Sagesse admirable d' une mere, mettant son enfant en la protection de celuy, qui à la conduite de sa Papauté monstra que ses predecesseurs avoient esté escoliers, au regard de luy.

Jamais Prince ne receut tant d' heurs dés son enfance, dy tant de heurts de fortune sur son moyen aage, jusques à la mort, que cestuy. Proclamé Roy des Romains dés le bers, couronné Roy de Sicile à trois ans, estre demeuré Orphelin de pere & de mere sur les quatre: Adjoustez que sa nativité pouvoit estre revoquee en doute, comme d' une part supposé, la mere estant accouchee au cinquante deuxiesme an de son aage, temps incapable aux femmes pour tel effect, selon la regle commune des Medecins. D' ailleurs une Royauté nouvelle bastie sur une dispence extraordinaire. Et neantmoins sa couronne luy fut conservee en ce bas aage, non vrayement sans quelques traverses. Car Gautier Comte de Brienne, mary de l' une des Princesses aveuglees, esbrecha son Estat pour quelques annees, & l' Empereur Othon cinquiesme prist quelques villes de la Poüille sur luy: Mais tous ces desseins s' esvanoüirent finalement en fumee: Ceux du premier par Dielpod ancien serviteur de Henry, & du second soubs l' authorité du Pape Innocent. J' adjousteray que non seulement elle luy fut conservee, mais l' an 1210. en son absence, luy ne le sçachant, ny poursuyvant, n' ayant atteint que l' aage de seize ans pour le plus, fut au prejudice de l' Empereur, esleu par les eslecteurs se remettans devant les yeux l' ancien serment de fidelité qu' ils luy avoient faict. Et depuis reduisit Othon à telle extremité, qu' il le contraignit de sonner une retraicte à sa fortune, & d' espouser une vie privee. Chasse tout à faict ce qui restoit des Sarrazins dedans la Sicile: nettoye son Royaume des mutins, d' un Thomas & Matthieu, freres Comtes d' Anagni, qui avoient pendant son absence voulu remuer son Estat, & annexe à sa couronne tous leurs biens, pour le crime de leze Majesté par eux commis. Fut il jamais une chesne de plus belles fortunes que celle là? qui dura dés & depuis sa nativité, jusques en l' an 1221.

Toutesfois lors qu' il estoit au comble de ses souhaits, & pensoit avoir cloüé sa bonne fortune à clouz de diamant, elle luy tourne tout à coup visage, & voicy comment. Les deux freres Comtes d' Anagny proches parens du Pape Innocent, ont recours vers le Pape Honoré IV. qui lors siegeoit, & combien que auparavant il eust fait profession d' amitié avec Federic, toutesfois il prit l' affliction de ces deux Seigneurs au point d' honneur, & avec une impatience admirable, fit de leur querelle la sienne, a recours aux remedes ordinaires des siens, qui sont les fulminations: Nouveaux troubles, nouveau mesnage entre eux. Federic en ce boüillon de jeunesse, auquel il estoit, au lieu de reblandir le Pape par honnestes soubmissions, ainsi qu' il devoit, donne ordre de rappeller les Sarrazins par luy chassez, & les logea en la ville de Lucerie, depuis nommee Nocere la Sarrazine, pour luy servir de blocus contre les avenues de Rome: faute du tout inexcusable, & pour laquelle je veux croire que Dieu le permist depuis estre comblé d' une infinité d' afflictions, dont les Papes furent les outils. Car Honoré estant decedé, Gregoire IX. son successeur se fit son ennemy sans respit, & dés son avenement proceda par autres censures & excommunications irreconciliables contre luy. 

L' Empereur pour se mettre en sa grace entreprit sur son commandement, le voyage d' outremer, où les affaires luy succederent si à propos qu' à la barbe du Soudan d' Egypte, il remist soubs l' obeyssance des Chrestiens, toute la Palestine, & fut Couronné Roy de Hierusalem. Il pensoit par ce bon succez se reconcilier avec le Pape, & obtenir de luy sentence d' absolution. Il despesche Ambassades pour cet effect: mais en vain, voire que le Pape excommunie tous ceux, qui le vouloient suivre, donnant ordre que les havres leur fussent fermez. Medecine paraventure plus dure & fascheuse que la maladie, d' autant que le deny de cette absolution estoit fondé seulement sur ce que l' Empereur à son partement n' avoit receu sa benediction, faute qui avoit peu estre compensee par les heureux succés de l' Empereur au profit de la Chrestienté: qui eussent bien poussé plus outre, mais voyant de quelle façon il estoir (estoit) traitté, & craignant que ses affaires n' allassent de mal en pis de deçà, il fut contrainct de rebrousser chemin, & laissa imparfaict le bel ouvrage qu' il avoit encommencé. Voila comment les affaires des Infidelles commencerent à se restablir, & celles des Chrestiens à s' affoiblir tant au Levant, que Ponant, pour mesler je ne sçay quoy de l' homme dedans nostre Religion. L' Empereur à son retour trouve ses affaires embarrassees dedans un chaos, tant en Allemagne qu' Italie: dedans l' Allemagne prou de Princes & grands Seigneurs le guerroyer: dedans l' Italie prou de villes se dispenser de leurs consciences contre luy: Le tout fondé sur les excommunications & censures. Et pour consommation de ces procedures, Gregoire estant decedé, eut pour successeur Innocent IV. auparavant fort familier de l' Empereur, dont ses principaux favoris s' esjoüirent, estimant que cette nouvelle promotion mettroit fin à leurs differents, mais luy plein d' entendement leur dist. Vous vous abusez, Cardinal il m' estoit amy, Pape il me sera ennemy. Monstrant par cela qu' il estoit un grand homme d' estat, car tout ainsi qu' il l' avoit predit, il advint: Dautant que ce nouveau Pape r'enviant sur les opinions de son devancier, non seulement excommunia l' Empereur, mais fit assembler un Concil general dans Lyon, par lequel en confirmant toutes les fulminations precedantes, il fut privé, & de son Empire, & de ses Royaumes, & declaré incapable d' en tenir. Qui ne fut pas un petit coup pour sa ruine: Parce que combien que dextrement il parast aux coups, n' estant aprenty à ce mestier, toutesfois estant ores dedans, ores dehors, il estoit plus souvent dehors que dedans. Si de toutes ces querelles vous parlez à l' Abbé d' Urspergence qui en vit une partie, il donne le tort à Gregoire IX. Si à tous les autres autheurs, ils le donnent à Federic, & le nomment Persecuteur de l' Eglise Romaine. Si j' en fuis creu Federic ne se peut excuser du remplacement qu' il fit des Sarrazins dedans la Sicile, ny Gregoire de luy avoir denié l' absolution lors qu' il besongnoit si heureusement au Levant. Et si vous me permettez de passer outre je diray qu' avec tout ce que dessus, l' Empereur n' avoit un plus grand ennemy, que sa grandeur, ne voulant ny Gregoire, ny Innocent IV. un si grand voisin que luy pres d' eux. Leçon qui lors estoit ordinaire à Rome, & que la domination Espagnole luy a fait depuis oublier par la longueur du temps.

Federic second en fin mourut de sa belle mort l' an 1150 (1250). n' ayant trouvé aucun repos que lors depuis l' an 1121 (1221). Il laissa plusieurs enfans legitimes de 3. licts, & plusieurs bastards: Mais tous aboutirent en deux, l' un legitime, qui fut Conrad, l' autre bastard qui fust Mainfroy. Conrad est empoisonné par Mainfroy, d' un poison lent & mesuré: Et ne sçachant ce pauvre Prince de quelle main luy estoit procuree cette mort, il l' institua tuteur, & curateur de Conradin fils unique de Henry fils aisné de Federic qui estoit mort du vivant du pere. Mais Mainfroy ne suyvant la voye du grand Innocent, au lieu de conserver l' Estat à son pupille, l' empiete sur luy, & prend le titre de Roy. Et pour estayer cette induë usurpation donne en mariage une sienne fille unique Constance à Pierre fils de Jacques Roy d' Arragon. Ses deportemens desplaisoient, non sans cause, au Pape Urbain IV. successeur d' Innocent, il l' excommunie, & affranchit tous ses subjects de l' obeyssance qu' ils luy avoient vouée. Et pour faire sortir effect actuel au plomb, semond Charles Comte d' Anjou, & de Provence, frere de nostre S. Louys, à cette entreprise: Lequel s' y achemine d' un franc pied, avec une puissante armee. Escarmouches diverses, il estoit sur l' offensive, l' ennemy sur la deffensive, clos & couvert dedans ses villes & forteresses: La guerre prend quelque trait, toutesfois apres avoir marchandé longuement d' une part & d' autre chacun estimant avoit (avoir) le vent à propos, la bataille se donne. Charles obtient pleine victoire, Mainfroy occis, son armee mise en route, les villes ouvertes aux victorieux, & luy couronné Roy de Sicile par le Pape. Et pour surcroist de grandeur le fait Vicaire general de l' Empire dedans l' Italie.

Estat nouveau, & non auparavant cognu, partant il ne sera hors de propos d' en discourir le subject. Auparavant tous ces troubles, l' Italie ne recognoissoit toutes ces principautez particulieres, que nous y avons depuis veuës, l' Empereur en estoit general possesseur, fors de la ville de Rome, & du Patrimoine de S. Pierre, & de ce dont la Seigneurie de Venise jouyssoit, & s' il y avoit quelque Seigneur souverain particulier, il estoit fort rare: l' Empereur envoyoit par les villes ses Juges & Podestats, pour juger les procez comme celles qu' il possedoit en plein Domaine. Puissance qui esclairoit de bien pres, non la spirituelle de Rome, ains la temporelle, dont les Papes s' estoient faits Maistres par une longue & sage opiniastreté. Et pour cette cause le principal but où ils visoient, estoit de bannir & esloigner cette puissance Imperiale, le plus loing qu' ils pourroient d' Italie. Les grandes & longues guerres qui furent entre le Pape Alexandre troisiesme, & l' Empereur Federic premier enseignerent à plusieurs villes de mescognoistre leur Empereur. Comme de fait vous lisez que pour s' y estre la ville de Milan aheurtee, il la ruina rez pied, rez terre, & lors plusieurs autres villes balancerent entre l' obeïssance & rebellion. L' excommunication faicte par le Pape contre Federic portoit quant & soy absolution du serment de fidelité aux subjets, & en cas de ne s' en dispenser, suspension de l' administration du service divin dedans les villes & plat pays. Que pouvoit moins faire une ville pour se garentir de ce haut mal, que de quitter l' obeïssance de son Prince, qu' il n' appelloit rebellion, ains reduction au droict commun, obeïssant à l' authorité & mandement du sainct Siege? En fin se voyant Federic premier tant pressé par la force spirituelle que temporelle du Pape, qui estoit assisté de Guillaume troisiesme Roy du nom de Sicile, il fut contraint de condescendre à la paix, que le Pape & luy jurerent dans Venise, ville neutre, & non subjecte aux dominations temporelles de l' un ny de l' autre Seigneur. Et lors fut l' accomplissement du malheur. Parce que la commune des Historiographes demeure d' accord que Federic s' estant mis à genoux pour baiser les pieds du S. Pere, il le petilla avec cette outrageuse parole, Super aspidem & basiliscum ambulabis, & conculcabis Leonem & Draconem: Particularité sagement passee sous silence par Platine Italien, & l' Abbé d' Urspergense Alleman dedans leurs Histoires pour couvrir la pudeur tant de celuy qui fit le coup, que de l' autre qui le receut. Mais tant y a que cet acte en paix faisant porta plus grand coup contre l' Empire, que toutes les guerres passees, auquel ce grand Empereur Federic para seulement de ces quatre mots, Non tibi, sed Petro: De maniere qu' il fut de là en avant fort aisé aux villes d' Italie de secoüer d' elles le joug de l' Empire. Comme de fait les affaires s' y acheminerent depuis en flotte: Car apres le decez de Henry sixiesme fils aisné de Federic, Philippes son puisné ayant esté appellé à l' Empire par les Princes Electeurs, & empesché par Innocent troisiesme, qui luy opposa un Othon avec ses fulminations, ce fut un nouveau seminaire des guerres civiles entre le Pape & l' Empereur, pendant lesquelles les villes d' Italie mettoient fort aisément en nonchaloir l' obeïssance qu' elles devoient rendre à l' Empire. Et pour accomplissement de ce malheur advindrent les grandes guerres de la Papauté, & l' Empire du temps de Federic second, pendant lesquelles se logerent les partialitez des Guelphes & Gibelins, les unes se faisans toutes Guelphes, les autres toutes Gibelins: Et quelquesfois dedans une mesme ville se trouvant confusion de l' un & de l' autre party. Les Guelphes favorisans le party des Papes Gregoire, & Innocent, & les Gibelins celuy de l' Empereur Federic. Et comme l' Italie estoit en ces alteres, apres la mort de Federic, & de Conrad son fils, il y eut une forme d' interregne d' Empire l' espace de vingt ans dedans l' Allemagne, qui fut par eschantillons possedee, & trois divers portans le titre, mais non l' effect d' Empereurs. Et de ce grand chaos s' escloït la diversité des Ducs, Marquis & Comtes, & par mesme moyen des Republiques souveraines d' Italie, chacun prenant son lopin non seulement au prejudice de l' Empire, ains des Papes mesmes, selon que la necessité de leurs affaires le portoit. Chacun d' eux s' approprians souverainement du domaine des villes, & neantmoins avec une recognoissance de foy & hommage, qui envers l' Empire, qui envers la Papauté. Et depuis ce temps on ne recogneut plus dedans l' Italie cette grande puissance & authorité qui estoit de tout temps & ancienneté deuë aux Empereurs. Et par ce moyen obtindrent les Papes ce qu' ils avoient si long temps desiré. Or tout ainsi que la ruine des affaires y avoit produit ce nouvel ordre particulierement sur unes & autres villes, aussi les Papes pour le fait general de l' Italie, introduisirent un Vicaire de l' Empire qui n' estoit pas un Empereur, car il faisoit son sejour dedans l' Allemagne, mais un Procureur absolu, qui pouvoit disposer des biens qui restoient de l' Empire. Et c' est l' Estat dont Charles d' Anjou fut gratifié par Urbain quatriesme apres qu' il eut occis Mainfroy & toute sa suite en bataille rangee. Restoit encores Conradin de la posterité de Federic deuxiesme, lequel croissant d' aage, creut par mesme moyen de cœur, & voulut entrer en l' heritage qu' il estimoit loyaument luy appartenir, trouve argent, leve gens, prend pour compagnon Federic d' Austriche sien parent. La decision de ce grand procez despendoit d' une bataille. Pour le faire court: la victoire demeure par devers Charles, & quant aux deux Princes ils se garentissent par la fuitte, & desguisez se rendent en la maison d' un meusnier, où ils furent nourris 8. jours durans à petit bruit, tant qu' ils eurent argent en bourse, mais leur defaillant ils furent contraints mettre une bague de cinq cens escus entre les mains de leur hoste, pour la vendre, lequel recogneut par cela que ce n' estoient simples soldats, & en donne advis au Roy Charles, qui se saisit de leurs personnes. Selon le droit commun de la guerre ils en devoient estre quites par leurs rançons. Et de faict telle estoit l' opinion de sa Noblesse Françoise: toutesfois le Roy en voulut estre esclaircy par le Pape, qui en peu de mots luy manda que la vie de Conradin estoit la mort de Charles. Le Roy gouste fort aisément cet advis, & neantmoins pour y apporter quelque fueille, fit juger cette cause par neuf ou dix Jurisconsultes Italiens, lesquels sçachans où enclinoit le Roy, firent aussi passer la loy par son opinion: ces deux pauvres Princes sont exposez au supplice en pleine place sur un eschaffaut, où ils eurent les testes tranchees, & à l' instant mesme, on en fait autant au bourreau, a fin qu' à l' advenir il ne se glorifiast de les avoir executez. O que la Justice eust esté plus belle si on y eust aussi compris tous ces Jurisconsultes flateurs! Car quant à celle du Roy elle fust reservee à un plus grand Roy. L' Histoire porte que Conradin avant que de s' agenoüiller, jetta un de ses gands au milieu du peuple, comme un gage de bataille contre le Roy Charles, priant la compagnie de le relever, & porter à l' un des siens, pour vanger l' injure ignominieuse qui luy estoit faite & à son cousin. Gand qui fut relevé par l' un de sa troupe, & porté au Roy d' Arragon, avec la sommation du jeune Prince.

Le sacrifice ainsi fait de ces deux ames innocentes, Charles d' une sanglante main poursuit sa route, faisant passer la plus grande part des Seigneurs Siciliens, & Napolitains au fil de l' espee, & bannissant les autres qui avoient favorisé le party de Conradin, & demolissant leurs Chasteaux. En recognoissance dequoy le Pape Urbain luy fait donner l' Estat de Senateur de Rome par la voix du peuple. C' estoit un Estat que les Citoyens avoient mis sus pour reigler toute la Police seculiere au prejudice du Pape, de l' authorité duquel ils pretendoient estre exempts en cet affaire ainsi que j' ay touché ailleurs. Ce Senateur representoit ceux qui sur le declin de l' Empire occuperent dedans Rome sous le nom de Patrices, sur la dignité Imperiale qui estoit à Constantinople. Et combien que ces dignitez de Senateur dedans Rome, & de Vicaire de l' Empire dedans l' Italie, tombans en une main commune fussent seulement images des vrayes, toutesfois estans tombees entre les mains de celuy, qui sous le titre de Roy de Sicile, commandoit à la Sicile, la Poüille, & la Calabre, mesmes qui avoit obtenu deux grandes victoires contre Mainfroy & Conradin, croyez qu' elles luy apporterent grande puissance & authorité par tout le pays: Car lors il s' en voulut faire accroire absolument, mesmes dedans la ville de Rome. Auparavant la grandeur de Federic estoit suspecte aux Papes pour estre trop proche de leur ville, & lors il y avoit plus de subject de redouter celle de Charles qui estoit nourrie dedans le sein de la ville: Baudoüin son beau pere avoit esté chassé de Constantinople par Michel Paleologue usurpateur de son Estat. Le gendre veut armer en faveur du beau pere, estimant qu' en restablissant il s' establiroit. Toutes choses luy avoient ry jusques en ce temps, mais lors la fortune commença de se mocquer, & rire de luy.

Jean Prochite grand Seigneur Sicilien avoit couru mesme traictement que les autres Seigneurs, en son bien, mais s' estoit garanty de la vie par une bonne & prompte fuite: ne respirant en son ame qu' une vangeance, par le moyen de laquelle il se promettoit d' estre reintegré en ses biens. Il visite Pierre Roy d' Arragon gendre de Mainfroy, luy met devant les yeux, & sa femme, & le gand à luy envoyé, cartel de defy, luy promet tous bons & fideles services. Pour le faire court on entreprend contre Charles une tragedie qui fut joüee à trois personnages, dont Prochite estoit sous la custode, le Protecole, uns Pierre Roy d' Arragon, Michel Paleologue Empereur de Constantinople, le Pape Nicolas troisiesme. Pierre leve une grande armee, faisant contenance de vouloir s' acheminer au Levant pour secourir les Chrestiens, Paleologue fournit aux frais: Il n' est pas que Philippes troisiesme de ce nom Roy de France, nepueu de Charles ne contribuast au defroy de cette guerre, estimant que ce fust pour guerroyer les Infideles. (Voyez comme quand Dieu nous delaisse nous sommes traictez.) Le Pape Innocent se voyant ainsi appuyé ne doute de luy rongner les aisles à l' ouvert, le debusquant & de l' Estat de Senateur, & du Vicariat de l' Empire. Qui n' estoit pas un petit coup d' Estat, & ne fust-ce que pour ravaller sa reputation, par laquelle ordinairement les Grands maintiennent leurs grandeurs: Et depuis ce temps Charles alla tousjours au deschet. D' un costé l' Arragonnois fait voile avecques ses trouppes, d' un autre Prochite sous l' habit de Cordelier practique la rebellion de ville en ville par toute la Sicile. Quoy plus? cette tresme est ourdie de telle façon, qu' à point nommé le jour de Pasques selon le rapport de quelques Historiens, ou de l' Annonciade, ainsi que disent les autres, le premier son des Cloches de Vespres, par toutes les villes, bours & bourgades, servit de toxin general, sur lequel tout le peuple Sicilien se desbanda d' une telle furie contre les François qu' ils les massacrerent tous, sans acception, & exception de personnes, de sexe, ny d' aage, ne pardonnans pas mesmes aux femmes Italiennes qu' ils estimoient estre enceintes du fait des François. L' Arragonnois estoit anchré sur mer & aux escoutes, pour sonder quelle issuë avroit la practique de Prochite, & adverty de ce qui s' estoit passé, y accourt à toute voile, le bien venu & embrassé de tout le peuple. Cela fut fait l' an mil deux cens quatre-vingts deux en la Sicile qui eut de là en avant nouveau Roy & non à la Poüiile, où la ville de Naple est assise, ny pareillement en la Calabre, qui demeurerent és mains de Charles: Pour cette cause on commença d' un Royaume en faire deux. Et au lieu que auparavant on appelloit Roy de Sicile seulement celuy qui commandoit à ces trois païs: L' Arragonnois fut appellé Roy de Sicile, & Charles & ses successeurs Rois de Naples. Et en effect, voila quand, comment, & dont est venu ce brutal, & cruel Proverbe de Vespres Siciliennes, dans le discours duquel j' ay voulu comprendre tous les autres exploits tragiques de je ne sçay de combien d' annees.

Les Historiographes sont grandement empeschez de rendre raison de ce malheur. Les Italiens pour excuser cette cruauté Barbaresque l' imputent aux insolences des François qui n' espargnoient pas mesmement la pudicité des femmes de bien, és lieux où ils avoient plein commandement, & les nostres au contraire, à une trop grande bonté, disans que si nous les eussions tenus en bride, comme depuis les Espagnols ont fait, jamais nous ne fussions tombez en un si piteux desarroy. Discours toutesfois qui me semble grandement oiseux. Parce que s' il vous plaist rechercher la cause de tout ce que je vous ay cy-dessus deduit, ce furent coups du Ciel. Je vous ay dit que Henry contre son serment avoit fait creuer les yeux à la mere, aux filles, & à un jeune enfant, lequel il avoit d' abondant fait chastrer, leur faisant espouser tout d' une suite une prison clause en Allemagne. Esperant perpetuer par ces moyens inhumains, en sa famille la Couronne de Sicile. Dieu veut que Federic son fils en joüisse, mais avec tant de revers & algarades de fortune depuis l' an 1221. jusques en l' an 1250. qu' il est mal aisé de juger s' il regnoit, ou si en regnant il mouroit. Et pour closture finale de ce jeu, Dieu veut que la famille de Henry soit affligee par elle mesme, & qu' apres la mort de Federic, Mainfroy son bastard empoisonne Conrad son fils legitime, & vray heritier, que non assouvy de cette meschanceté, il empiete la Royauté sur Conradin son pupille, fils de Conrad: En fin que Conradin & Federic d' Austriche son cousin meurent sur un eschaffaut. Ne voyez vous en cecy une Justice tres-expresse de Dieu pour expier l' inhumanité de Henry, Justice, dis-je, executee par les injustices des hommes? Qu' il y eust du Machiaveliste és morts des deux Princes Allemans, & de tout le demeurant des pauvres Seigneurs du Royaume, 

qui furent occis de sang froid, je n' en fais aucune doute, pour cuider par Charles asseurer à luy & à sa posterité le Royaume de Sicile. Henry avoit commencé par les veuës, & cestuy-cy achevé par les vies, tous deux à mesme progrez. Le sang innocent des deux Princes, & de toute la suitte des Seigneurs assassinez, cria vangeance devant Dieu, qui exauça leurs prieres, & permist cette cruelle Vespree, non contre la personne du Roy, ains contre ses sujets, qui est en quoy il exerce ordinairement les punitions quand les Princes ont faict quelque faute signalee. Et je veux croire que si l' Arragonnois eust consenty à ce detestable carnage, luy ou sa posterité eussent esté chastiez de Dieu. Bien trouvé-je qu' il avoit mis en besongne Prochite pour faire revolter le peuple, mais non qu' il eust consenty à cette execrable boucherie. Belles leçons pour enseigner à tous Princes Chrestiens de ne maintenir leurs estats par ces malheureux preceptes que depuis Machiavel a voulu recueillir de l' ordure, honte & pudeur de quelques anciennetez en son chapitre de la Sceleratesse, au traicté du Prince.

Voila le premier fruict que je desire estre cueilly de ce chapitre: Il y en a encore un autre, qui est, qu' au faict de la Religion nous devons tous viure en l' union de l' Eglise sous l' authorité du sainct Siege de Rome, comme celuy qui fut basty sur la pierre de sainct Pierre, & cette-cy assise sur celle de Jesus-Christ: mais quand avec la Religion on y mesle l' Estat, & que par belles sollicitations, & promesses on nous semond de passer les monts, c' est tout un autre discours, & en une asseurance de tout il faut tout craindre, je ne dis pas que quelquesfois les affaires ne soient pas reüssies à souhait, comme à uns Pepin & Charlemagne, qui furent deux torrens de fortune, mais pour ces deux il y en a peu d' autres qui ne s' y soient eschaudez. La papauté est une dignité viagere, qui produit ordinairement successeur non heritier des volontez du predecedé. Tellement que la chance du jeu se tournant, celuy en fin de jeu se trouve lourche, qui pensoit estre maistre du tablier, comme vous voyez qu' il advint aux trois familles des Normans, Allemans & François dont je vous ay cy-dessus discouru. Adjoustez, que les volontez mesmes de ceux qui nous employent sont passageres selon la commodité ou incommodité de leurs affaires, & faillent souvent au besoin.

Federic II Sicile
(Federic II)


dimanche 23 juillet 2023

6. 36. Preuve miraculeuse advenuë tant au Parlement de Rouen, que de Paris, pour deux crimes dont la preuve estoit incogneuë aux Juges.

Preuve miraculeuse advenuë tant au Parlement de Rouen, que de Paris, pour deux crimes dont la preuve estoit incogneuë aux Juges.

CHAPITRE XXXVI.

Je veux sauter de la ville de Tholose, à celle de Rouen, & de Rouen à Paris. Maistre Emery Bigot Advocat du Roy au Parlement de Rouen, personnage de singuliere recommandation, qui exerça dignement l' espace de cinquante ans cest estat, me raconta autresfois une histoire de mesme subject. Il me dist les noms & surnoms des personnes, que j' ay oubliez, me souvenant seulement de la substance du fait. Il y avoit un marchand Luquois, qui s' estoit habitué dés long temps dans l' Angleterre, auquel ayant pris envie d' aller mourir avec ses parens, il les pria par lettres de luy apprester une maison, se deliberant de les aller voir dedans six mois pour le plus tard, & finir avec eux ses jours. Vers ce mesme temps il part d' Angleterre, suivy d' un sien serviteur François, avec tous ses papiers, & obligations, & descend en la ville de Rouen, où apres avoir fait quelque sejour, il prend la route de Paris: mais comme il est sur la montagne pres d' Argentueil, il est tué par son valet, favorisé de la pluye, & du mauvais temps qui lors estoit, & lors jette le corps dans les vignes. Comme cela se faisoit, passe par là un aveugle, conduit de son chien, lequel ayant entendu une voix qui se dueilloit, il demanda que c' estoit: à quoy le meurdrier respond que c' estoit un malade qui alloit à ses affaires. L' aveugle passe outre, & le Valet chargé des deniers, & papiers de son maistre se fit payer dans Paris comme porteur des obligations, & scedules. On attendit dans Luques un an entier ce marchand, & voyant qu' il ne venoit, on despesche homme expres pour en avoir des nouvelles, lequel entendit dedans Londres le temps de son partement, & qu' il avoit fait voile à Rouen: Où pareillement luy fut dit en l' une des hostelleries, qu' il y avoit environ six mois qu' un marchand Luquois y avoit logé, & estoit allé à Paris. Depuis quelque perquisition qu' il fist il se trouva en defaut, & ne peut avoir vent ny voye de ce qu' il cherchoit. Il en fait sa plainte à la Cour de Parlement de Rouen, laquelle commence d' embrasser cette affaire, commandant au Lieutenant Criminel d' en faire diligente recherche par la ville, & à Monsieur Bigot au dehors. La premiere chose que fit le Lieutenant, fut de commander à l' un de ses Sergens de s' informer par toute la ville s' il y avoit point quelque homme, qui depuis sept ou huit mois en là eust levé une nouvelle boutique. Le mouchard ne faut au commandement, & rapporte au Juge qu' il en avoit trouvé un, duquel ayant sceu le nom, le Lieutenant fait supposer une obligation, par laquelle ce nouveau marchand s' obligeoit corps & biens de payer la somme de deux cens escus dans certain temps, & en vertu d' icelle commandement luy estant fait de payer, il respond que l' obligation devoit estre fausse, & qu' il ne sçavoit que c' estoit. Le Sergent prenant cette response pour refus, le constituë prisonnier: & comme ils alloient de compagnie, il advint au marchand de luy dire qu' il se sçavroit bien deffendre contre cette procedure. Mais n' y a il point autre chose? adjousta il: Le Sergent dresse son exploict, & rapporta au Lieutenant Criminel comme le tout s' estoit passé, lequel s' attachant à ces paroles, s' il n' y avoit point autre chose: dés lors commanda qu' on luy amenast le prisonnier, & arrivé devant luy, il fait retirer un chacun, & d' une douce parole luy dist qu' il avoit fait retirer tous les autres, voulant traiter doucement cette affaire avecques luy: Qu' à la verité il l' avoit fait mettre en prison sous une obligation supposee, mais qu' il y avoit bien autre anguille sous roche: Car il sçavoit pour certain que le meurdre du Luquois avoit esté par luy commis: Que de cela il n' en avoit certaine preuve: Toutesfois desiroit manier cette affaire avec toute douceur. Que le deffunct estoit estranger, despourveu de tout support: Partant il estoit fort aisé de faire passer toutes choses par oubliance, moyennant que le prisonnier voulust de son costé s' aider. Cela se disoit de telle façon, comme si le Juge l' eust voulu sonder pour tirer argent de luy, à quoy il n' avoit veine qui tendist. A cette parole le prisonnier sollicité d' un costé d' un remords de sa conscience, d' un autre estimant que l' argent luy serviroit en cecy de garend, respondit au Juge qu' il voyoit bien qu' il y avoit en cecy de l' œuvre de Dieu: puis que où il n' y avoit autre tesmoin que luy, cela estoit venu à cognoissance, & que sur la promesse qui luy estoit faite, il recognoistroit franchement ce qui estoit de la verité. A cette parole le Juge estimant estre arrivé à chef de son intention, mande querir le Greffier: mais le prisonnier ce pendant voyant qu' il avoit fait un pas de sot, apres que le Juge luy eut fait lever la main pour dire la verité, commence de joüer autre roolle, & de soustenir que toute cette procedure estoit pleine de calomnie & fausseté. Le Juge se voyant aucunement frustré de son opinion, renvoya le marchand aux prisons, en attendant plus ample preuve. Mais luy apres avoir pris langue des autres prisonniers (qui sont maistres en telles affaires) appelle de son emprisonnement, & prend à parties tant le Sergent que le Lieutenant Criminel. Je vous laisse à penser si la cause estoit sans apparence de raison. Il s' inscrit en faux contre l' obligation. Il n' y falloit pas grande preuve, parce que les parties en estoient d' accord: Et de fait le Lieutenant vint par expres au Parlement, où il discourut tout au long comme les choses s' estoient passees. La Cour qui cognoissoit la preud' hommie de cest honneste homme, suspendit le cours de cette poursuitte jusques à quelque temps. Pendant lequel, elle donna charge à Monsieur Bigot de s' informer sur tout le chemin de Rouen à Paris s' il en pourroit sçavoir nouvelles. Ce qu' il fit avec toutes les diligences à ce requises. En fin passant par Argentueil, le Bailly luy dist que depuis quelques mois on avoit trouvé un cadaver dans les vignes my-mangé des chiens, & corbeaux, dont il avoit fait son procés verbal, duquel le sieur Bigot prit la copie. Sur ces entrefaites survint l' aveugle demandant l' aumosne en l' hostellerie où il estoit logé, lequel entendant la perplexité en laquelle ils estoient, leur discourut amplement ce qu' il avoit vers le mesme temps entendu sur la montagne: Bigot luy demande s' il recognoistroit bien la voix, l' autre respond qu' il estimoit qu' ouy. Sur cela il le fait mettre en trousse sur un cheval, & l' ameine en la ville de Rouen. Jamais trait n' avoit esté plus hardy en Justice que celuy du Lieutenant Criminel, toutesfois grandement subject à calomnie. Celuy que je reciteray maintenant ne sera de moindre effect. Le sieur Bigot estant de retour, apres avoir rendu raison de sa commission, on se delibere d' ouyr cest aveugle, & en apres le confronter au prisonnier: Luy doncques ayant tout au long discouru ce qu' il avoit entendu sur la montagne, & ce qu' on luy avoit respondu, interrogé s' il recognoistroit bien la voix, respond qu' ouy. On le confronte de loing au prisonnier sans le faire parler. Et apres que l' aveugle se fut retiré, on demande à l' autre s' il avoit moyens de proposer reproches contre luy. Dieu sçait s' il fut lors en beau champ. Car il remonstra que jamais on n' avoit practiqué tant d' artifices pour calomnier l' innocence d' un homme de bien, comme l' on avoit fait contre luy: Que premierement le Lieutenant Criminel en vertu d' une fausse obligation l' avoit fait constituer prisonnier, puis luy avoit voulu faire accroire avoir fait teste à teste une cognoissance particuliere de ce qui n' estoit point: & au bout de cela, de luy representer maintenant un aveugle pour tesmoin, c' estoit outrepasser toutes les regles de sens commun. Nonobstant cela, la Cour voyant qu' il ne disoit autre chose, on fait parler une vingtaine d' hommes les uns apres les autres, & à mesure qu' ils se teurent, on demanda à l' aveugle s' il recognoissoit leurs voix. A quoy il fit response que ce n' estoit aucun d' eux. En fin le prisonnier ayant parlé, l' aveugle dit que c' estoit la voix de celuy qui luy avoit respondu sur la montagne pres d' Argentueil. Ce mesme broüillement de voix ayant esté deux & trois fois reïteré, l' aveugle tomba tousjours sur un mesme poinct sans varier. Prenez separément toutes les rencontres de ce procés, vous y en trouverez beaucoup qui font pour l' absolution: Mais quand vous avrez meurement consideré le contraire, il y a une infinité de circonstances qui vont à la mort: Un nouveau citoyen qui avoit dressé nouvelle boutique quelque temps apres la disparition du Luquois, la preud'hommie du Lieutenant Criminel cogneuë de tous, la deposition par luy faite, assistee de celle du Sergent: Mais sur tout la miraculeuse rencontre de l' aveugle, qui se trouva tant à la mort du Luquois, que depuis en l' hostellerie où estoit Bigot: & finalement que sans artifice il avoit recogneu la voix du meurtrier au milieu de plusieurs autres. Toutes ces considerations mises en la balance, firent condamner ce pauvre malheureux à estre roüé, & auparavant estant mis sur le mestier, il confessa le tout à la descharge de la conscience de ses Juges, & fut le jour mesme executé à mort. 

Je vous en raconteray un autre non moins miraculeux que cestuy. En l' an 1551. la nuict de Noël un homme nommé Moustier du village de Sainct Leup pres de Montmorency assomma d' un marteau pres de l' Eglise de saincte Oportune dans Paris, une jeune femme allant à la Messe de minuict, & luy osta ses bagues. Ce marteau avoit esté desrobé le mesme soir à un pauvre Mareschal voisin qui se nommoit Adrian Douë, lequel pour cette cause soupçonné d' avoir fait ce meurdre, fut tres-rudement traité par la Justice: Car pour en tirer quelque preuve, on l' exposa à une torture extraordinaire pour les presomptions violentes qui couroient encontre luy. De maniere qu' on le rendit estropié, luy ostant le moyen de gagner sa vie: & mourut ainsi miserable, apres avoir esté reduit en une grande pauvreté. On demeure pres de vingt ans sans recognoistre le malfaicteur: & sembloit que la memoire de cest assassin eust esté ensevelie dans la fosse de cette pauvre femme. Or entendez comme cela vint en fin à cognoissance, mais à vray dire, bien tard.

Jean le Flameng, Sergent des tailles de Paris, qui depuis fut premier Huissier en la Cour des Generaux des Aides, estant au village de Sainct Leup, pour executer une commission des Esleuz, un jour d' Esté pendant son souper, en presence de quelques habitans du lieu racontoit en quel estat il avoit laissé sa maison: Que sa femme y estoit malade, assistee seulement d' un jeune garçon: il y avoit lors ce vieillard, & un sien gendre, lesquels sur cette parole, partent la nuict, portans chacun d' eux un coffin plein de cerises, & un oison, & arrivent sur les dix heures du matin à la maison du Flameng: là ils buquent: La femme se met aux fenestres pour sçavoir qui c' estoit, ils luy respondent qu' ils avoient charge de son mary de luy apporter cet oison, & des cerises. A cette parole la porte leur estant ouverte, par le jeune gars, ils la referment sur luy, & à l' instant mesme luy coupent la gorge: Ce pauvre enfant se debatant, la femme oyant ce debat, se met en une gallerie, qui respondoit sur sa chambre, pour voir que c' estoit, elle apperceut un flux de sang dans sa cour, l' un d' eux luy dist que c' estoit du sang de l' oison: Ce pendant l' autre montoit de vistesse pour penser la surprendre: Elle se doutant de la verité du fait regagne promptement sa chambre: ferme sa porte au verroüil, & commence de s' escrier par la fenestre qu' on la vint secourir, & qu' il y avoit des voleurs dedans la maison. Ces deux malheureux voyans qu' ils avoient failly à leur entreprise, veulent sortir avant que la rumeur fust plus grande. La porte s' ouvroit & fermoit à clef par dedans. Dieu veut que la voulant ouvrir, la clef se rompt dedans la serrure. Se voyans pris, comme le rat dedans la ratiere, toute leur esperance fut d' avoir recours aux cachettes. Le plus jeune se musse au sommet d' une cheminee, le vieillard au profond d' une cave, & se descend dans le puis par un souspirail qui y regardoit: Le tumulte se fait grand par tout le voisinage. Plusieurs y accourent avecques armes, la porte enfoncee dedans, on trouve le corps du jeune garçon estendu sur la place. On court par toute la maison: Celuy qui estoit dans la cheminee fut le premier pris, & apres une longue recherche, l' autre qui ne monstroit que la teste au profond du puis. Ils sont menez au Chastelet, le procés leur est fait & parfait du jour au lendemain, condamnez à estre roüez, & en trois cens liures de reparation envers le Flameng: Appel: la sentence confirmee par arrest: ils sont menez aux Halles pour estre executez. Comme ils estoient sur l'  escharfaut, le vieillard requiert qu' on luy amenast la veufve du Mareschal, dont j' ay n' agueres parlé. Venuë qu' elle est, il luy demande pardon, dit qu' il ne veut mourir sa conscience chargee de cest autre meurdre. Que c' estoit luy qui avoit tué la jeune femme pres saincte Oportune. Le Greffier redige tout au long par escrit sa confession. Ce fait, ils sont roüez. Je vous ay jusques icy discouru comme ces miserables furent pris par un exprés miracle de Dieu, & qu' en fin ce meschant vieillard s' accusa du malheureux meurdre par luy commis, il y avoit vingt ans passez. Ce que je diray maintenant paravanture merite bien de vous estre representé. La veufve du Mareschal demande pardevant le Prevost de Paris, reparation sur les biens du vieillard. Qui luy est par sentence adjugee, jusques à la somme de quatre cens liures. De là sourd une autre question, d' autant que cette veufve soustenoit devoir estre payee devant les trois cens liures du Flameng, & ainsi fut jugé pour elle, dont le Fiameng ayant appellé, sa cause fut par moy plaidee contre Maistre Jean Chipart, Advocat de la veufve, pour laquelle il disoit que le delict avoit esté commis vingt ans passez, & puis que son mary innocent en avoit porté la tare, la raison vouloit bien aussi que l' amende de quatre cens liures fust la premiere payee, embellissant de plusieurs autres belles raisons sa cause: Au contraire je soustenois qu' il ne falloit aisément adjouster foy à la deposition du vieillard, au prejudice du Flameng: Car lors il estoit une personne morte civilement, joinct que mourant sur la poursuitre qu' en avoit fait le Flameng, ce meschant homme pouvoit avoir esté induit à faire cette deposition pour se venger de luy. Qu' en matiere de delicts, il n' y avoit point d' hypotheque: & finalement que sans la poursuitte faite par le Flameng, jamais le vieillard ne fust venu à recognoissance. Que tout ainsi que celuy qui fait des impenses necessaires pour la conservation d' une maison, est payé auparavant tous autres creanciers hypothequaires, ores qu' il leur soit subsequent de date: Aussi devoit-il estre le semblable au cas present en faveur du Flameng. Sur cela les parties appoinctees au Conseil, en fin s' ensuivit arrest, par lequel il fut ordonné qu' elles seroient payees par desconfiture, c' est à dire aux souls la liure sur les biens de ce vieillard.

lundi 17 juillet 2023

6. 28. Fin de la seconde famille d' Anjou; Comté de Provence

Fin de la seconde famille d' Anjou, avec un Sommaire discours tant sur le Comté de Provence escheu à noz Rois, que des voyages de Naples par eux entrepris.

CHAPITRE XXVIII.

Par cette Princesse Yoland, la seconde famille d' Anjou fondit en celle de Lorraine, & voicy comment.

Jean dix & neufiesme Duc de Lorraine, eut deux enfans, Charles son fils aisné qui luy succeda apres son decés, & Ferry Comte de Vaudemont, puisné.

De Charles nasquit Isabeau de Lorraine qui fut conjointe par mariage avec René Duc d' Anjou, qui se donnoit qualité de Roy de Sicile.

De ce mariage nasquirent Jean & Yoland. Car quant à une Marguerite femme d' un Roy d' Angleterre, je n' en fay mise, ny recepte, comme estant une piece hors œuvre.

Jean d' Anjou mourut auparavant René son pere, & eut un fils nommé Nicolas, qui mourut pareillement auparavant son ayeul. De maniere que toute la maison de René estoit aboutie en une seule Princesse Yoland d' Anjou.

De Ferry Comte de Vaudemont premier de ce nom, nasquit Anthoine, & de luy Ferry second.

Isabeau de Lorraine femme de René pretendoit apres le decés de Charles son pere, que le Duché de Lorraine luy appartenoit, comme seule fille & heritiere du Duc.

Anthoine au contraire soustenoit que ce Duché estoit un fief affecté aux masles qui ne pouvoit tomber en quenoüille. Partant qu' ores qu' il fust seulement issu du puisné, toutesfois estant masle il forcluoit cette Princesse. Nouveau subject de guerre entre luy & René. Auquel en fin René se trouva avoir du pire. Et ayant esté faict prisonnier d' Antoine, pour moyenner sa deliurance, il accorda le mariage d' Yoland sa fille avec Ferry fils d' Antoine. Quoy faisant on unit les deux branches de l' aisné & puisné de Lorraine ensemble. Sage conseil pour faire cesser les differents qui estoient entre eux. Mariage toutesfois que jamais René ne peut bonnement gouster pour avoir esté extorqué de luy. Tellement que tous ses projets ne tendoient qu' à coupper les aisles à son gendre. Et de faict Philippes de Commines nous tesmoigne, que s' il n' eust esté prevenu par le desastre qui advint à Charles Duc de Bourgongne contre les Souisses, il se fust donné à luy. Qui eust esté un mauvais party pour la France.

Or avoit il un frere puisné nommé Charles, auquel entre autre biens il laissa pour son partage le Comté du Maine, la Baronnie de Mayenne la Iouais, la Ferté Bernard, Sablé, & autres grandes terres & seigneuries. Ce Seigneur eut un fils portant le nom de Charles comme luy, que René par son testament de l' an mil quatre cens septante huict, institua son heritier universel: lequel choisit pour son domicile la Provence, dont il estoit Seigneur souverain, & y mourut quatre ans apres, & par son testament à l' instigation de Palamedes Forbin Seigneur de Soliers, qui avoit grande part en ses bonnes graces, institua son heritier particulier au Comté de Provence, le Roy Louys unziesme & ses successeurs Roys de France.

En ce Prince Charles dernier masle, prit fin, & le nom, & la familie d' Anjou, & fondit en celle de Lorraine par le mariage d' Yoland avecques Ferry de Lorraine, dont sont issus ces grands Princes Lorrains, que nous voyons aujourd'huy. Famille d' Anjou, (vous dis-je) enflee, tant en pretensions, que d' effect de trois Royaumes, Sicile, Poüille, & Hierusalem (& encore de celuy d' Arragon, si on eust faict droict à Yoland d' Arragon femme de Louys deuxiesme) de trois Duchez, Anjou, Lorraine, & Calabre, de trois Comtez, Provence, le Maine, & Bar; dont le dernier fut depuis erigé en Duché. Et furent les pieces esmorcillees à divers Princes: l' Arragonnois se lotit de la Sicile, Poüille & Calabre: Le Lorrain de la Lorraine & du Barrois, & encores de plusieurs autres seigneuries esparses, tant au pays du Maine, Provence, que plusieurs autres endroicts de la France. Le Roy Louys unziesme de la Provence, par le moyen du testament de Charles, & des Duché, d' Anjou, & Comté du Mayne par nostre droict de reversion à la Couronne, comme estans de l' ancien Domaine de France, qui ne tomboient en quenoüille. Car quant au Royaume de Hierusalem, ce fut un titre de parade, dont ny la premiere, ny seconde lignee d' Anjou, ne jouyt actuellement. Et comme le Roy Louys XI. estoit Prince qui ne laissoit perdre les occasions de s' advantager quand elles se presentoient, aussi se voulut-il faire accroire, que les quatre Baronnies du Duché de Bar luy appartenoient en proprieté, la force estoit pardevers luy: car quant au bon droit je m' en remets à ce en qui estoit. Tant y a que par accord faict entre luy, & René Duc de Lorraine, le seigneur de la Jaille le 14. de Mars 1479. pour le Roy de Sicile meit entre les mains de Louys pour six ans, la ville de Bar, pour en jouyr pendant ce temps, & y mettre telle garde qu' il luy plairoit. Et le lendemian (lendemain) les manans & habitans feirent le serment de fidelité au Roy, conformément au traité fait & passé entre les deux Princes. Et tant & si longuement que Louys vesquit le Prince Lorrain ne s' en oza plaindre.

Quelque temps apres son decez Charles huictiesme son fils, luy ayant succedé à la Couronne en l' aage seulement de quinze ans, René Duc de Lorraine vint en Cour, & en plein Conseil du Roy (auquel estoit Philippes de Commines, comme Conseiller d' Estat, duquel j' ay emprunté ce Placard) feit instance, tant pour le Duché de Barrois, qu' il soustenoit luy avoir esté induëment occupé par le feu Roy, que pour le Comté de Provence qu' il disoit luy devoir appartenir du chef de la Royne Yoland d' Anjou sa mere, qui avoit est plus proche habille à succeder à Charles d' Anjou son cousin germain. Et ce nonobstant le testament par luy faict en faveur du Roy Louys unziesme, comme n' en ayant peu disposer par les anciens statuts de Provence.

Particularité que je vous touche icy par expres contre l' opinion de ceux qui se font accroire que le Roy s' en estoit emparé par un droict de bienseance seulement & sans tiltre. Car si cela eust esté vray, le Duc de Lorraine ne l' ust oublié, non plus que du pays de Barrois. Mais au cas qui lors se presentoit, il demoura d' accord le testament avoir esté faict, & revoqua seulement en doubte, sçavoir s' il avoit peu estre faict au prejudice de la plus proche lignagere. De moy je vous puis dire l' avoir eu, veu, & leu en bonne forme & authentique, en la cause du Vicomte de Martygues, que par trois diverses matinees d' uns Lundy, Mardy, & Jeudy, nous plaidasmes au parlement de Paris, l' an mil cinq cens septante trois à huis ouvert, en la presence de tous les Princes & Princesses Lorrains & Lorraines residents en cette France, moy plaidant pour Messire Henry de Lorraine Duc de Guyse, & Maistre Claude Mangot grand & excellant Advocat, pour la fille unique de Messire Sebastien de Luxembourg. Testament qui servoit à la decision de nostre cause, lequel fut fait par Charles, le dixiesme Decembre mil quatre cens octante & un, dedans lequel il institua le Roy Louys unziesme son heritier particulier au Comté de Provence, & apres luy, tous ses successeurs Roys de France. Tellement qu' il ne faut point revoquer en doute, si ce testament a esté fait, puisque René en demouroit d' accord, mais bien si Charles en avoit peu gratifier nos Roys par son Ordonnance testamentaire. En quoy il n' y avoit aucune obscurité, d' autant que la Provence est un pays de droict escrit, auquel il est loisible à chacun de disposer de tous & chacuns ses biens, par son testament. Et mesmement avoit esté cette cause prejugee en cas individu par deux diverses dispositions: La premiere du Comte Beranger au profit de Beatrix femme de Charles d' Anjou frere de S. Louys, au desadvantage de ses trois sœurs qui la precedoyent d' aage: La seconde par la Royne Jeanne premiere Comtesse de Provence en faveur de Louys Duc d' Anjou premier de ce nom. Lequel en jouyt apres le decés d' elle, & le transmeit à ses successeurs. Qui estoit du tout clorre la bouche du Prince Lorrain. Comme aussi sagement & justement le conseil du Roy fut d' advis de luy rendre le Duché de Bar, mais non le Comté de Provence. Vray que pour luy oster toute opinion de remuëment de mesnage, Pierre Duc de Bourbon beau-frere du Roy Charles huictiesme, qui lors avoit tout le gouvernement des affaires de France en main, luy feit bailler une compagnie de cent gendarmes, & pension de soixante mille liures pour quatre ans. Leçon qui luy avoit esté expres enseignee par le Roy Louys son beau-pere, avant que de mourir, luy enjoignant que sur toutes choses il empeschast qu' on ouvrist la porte aux armes dedans son Royaume, tant & si longuement que son fils seroit en bas aage. Comme aussi n' y a-il riens qu' il faille tant craindre, que la guerre, pendant la minorité d' un Roy.

Nostre Roy & le Duc de Lorraine diversement assortis des biens, terres, & seigneuries de la maison d' Anjou, restoit à partager entre eux l' esperance des trois Royaumes & du Duché de Calabre, chacun d' eux pretendants y avoir la meilleure part: car combien que les François se l' adjugeassent en consequence du testament de Charles d' Anjou, toutesfois les Princes Lorrains n' en voulurent lors quitter le tiltre. Ainsi Yoland s' intitula Royne de Sicile, jusques au jour de son decés, qui fut l' an mil quatre cens quatre vingts neuf, & apres elle René son fils: Le tout au veu & sceu de nos Roys sans aucune contradiction. Et d' un autre costé combien que Charles huictiesme cornast la guerre contre l' Arragonnois pour la recousse du Royaume de Naple, toutesfois jamais René ne feit protestation contraire. Voire en plus forts termes, sommé & interpellé par les Napolitains qui s' estoient revoltez contre leur Roy Ferdinand, de s' armer & joindre ses forces avecques les leur, comme celuy qui y avoit le principal interest, il saigna du nez, soit qu' il estimast cette querelle estre la nostre, ou qu' il se fust faict sage par les folastres voyages des Princes d' Anjou ses predecesseurs.

Tellement que ce fut une chasse morte aux Lorrains: mais non à nous autres François, & le premier de nos Roys qui s' engagea à cette querelle fut Charles huictiesme (contre l' advis des plus sages) poussé d' un boüillon de sa grande jeunesse, & de je ne sçay quels mignons apprentis au fait de la guerre. Voyage qui eut une entree heureusement courte, & une retraicte plus heureuse que ne se promettoit la sagesse de tous les Potentats d' Italie. Toutesfois je ne voy point que nostre France raportast de ce voyage autre fruict, que la perte du corps & des biens. Car c' est celuy auquel on doit l' origine de cette malheureuse maladie, que quelques uns nommerent depuis mal de Naples, pour y avoir premierement mis son siege, & les autres mal des François, parce qu' ils en porterent les premieres marques. Et pour le regard des biens, nous devons au mesme voyage le premier engagement du Domaine de la Couronne pour subvenir aux affaires de la guerre. Car le Roy Charles estant sorty du Royaume à la vanuole, sans auparavant recognoistre quel estoit le fonds de ses finances, se trouvant en la ville de Plaisance court d' argent, decerna ses lettres patentes en Octobre mil quatre cens quatre vingts quatorze, pour engager de son Domaine jusques à la somme de six vingts mil escus. Et parce que c' estoit un chemin non encores frayé par la France, il voulut authoriser ses lettres de l' advis de treize seigneurs ses principaux Conseillers. Ces lettres envoyees au Parlement furent du commencement trouvees de tres-fascheuse digestion, toutesfois la necessité n' ayant point de loy, il fut trouvé bon pour desgager nostre Roy de ce perilleux voyage de tolerer cest engagement, pour ce coup tant seulement, & sans le tirer en consequence, portoit la verification du vingtiesme Novembre au mesme an. Belle protestation sans effect. Et de moy toutes & quantes fois que je lis cette sage clause portant un, Sans le tirer en consequence, pour faire passer & donner cours à une ouverture nouvelle, je m' en ris: comme estant une clause contrevenante au naturel de ce Royaume, qui est un Royaume de consequence. Ce que nous avons depuis esprouvé en ce mesme subject: car combien que le Domaine de la Couronne soit une chose sacrosaincte, & que l' alienation n' en soit faicte qu' à faculté de rachapt perpetuel, sans aucune limitation de temps: toutesfois ce mesnage par succession de temps est arrive à tel desbord & desarroy entre nous, que horsmis les tiltres generaux du Domaine, pour le regard des terres particulieres, à peine en trouverez vous aujourd'huy aucunes, esquelles nos Roys se puissent heberger.

Discours qui n' est pas du present subject: mais pour reprendre mes brizees, l' observation que je fais en tous ces voyages de Naples, est une belle promesse de fortune sur nos arrivees, mais fascheuses fins pour closture de nos entreprises. Apres le decés du Roy Charles, trois Roys successivement & l' un apres l' autre s' y voüerent, uns Roys Louys douziesme par l' entremise du Seigneurd' Aubigny, François premier par le Mareschal de l' Autrec, & Henry deuxiesme par le Duc de Guyse, tous grands Capitaines & guerriers. Et ces trois Roys se trouverent successivement, & l' un apres l' autre deceuz de leurs esperances, apres avoir faict une despense infinie, & perte d' une infinité de Seigneurs & Capitaines de marque: J' excepte le dernier voyage, par ce qu' il fut interrompu par un changement de volonté du Pape Carrafe qui nous y avoit appellez. Que si nous eussions employé, quand les occasions s' y sont presentees, au recouvrement des pays qui nous attouchent, & sont de nostre ancien estoc, tout l' argent qu' avons despendu en la recherche de ce Royaume de nous separé, & de mœurs, & d' un long entrejet de chemins, il nous en fust beaucoup mieux pris. Lisant les Historiographes qui en ont escrit, vous trouverez de grandes fautes advenuës de la part de ceux qui prés de nos Roys estoient estimez les plus sages. Et quant à moy je les impute à nostre malheur, y ayant eu quelque Ange qui par le vouloir expres de Dieu, s' opposa aux desseins qu' entreprismes de là les Monts, & tint en bride ceux que pouvions selon les rencontres, aisément executer à nos portes aux pays bas.

mercredi 12 juillet 2023

6. 25. Du Royaume de Hierusalem, & pourquoy les Rois de Naples, & Sicile, se pretendent Rois de Hierusalem.

Du Royaume de Hierusalem, & pourquoy les Rois de Naples, & Sicile, se pretendent Rois de Hierusalem.

CHAPITRE XXIV. (XXV)

Le fault est grand de France en Angleterre tel qu' au precedant chapitre, & maintenant d' Angleterre en Hierusalem, & de Hierusalem en Sicile, pour en fin revenir en France: Toutesfois tout cela regarde la grandeur de nostre France, à laquelle sont principalement deubs les voyages que l' on fit pour conquerir la terre Saincte: Joint que nos Normands, qui commanderent premierement à la Sicile, puis successivement les deux familles d' Anjou, je veux dire celle de Charles frere de sainct Louys, puis celle de Louys frere de Charles cinquiesme, tout cela est de nostre estoc.

Au premier voyage que nous fismes en la Palestine, les affaires nous succederent si à propos, qu' eusmes moyen d' y establir un nouveau Royaume sous le tiltre de Hierusalem. L' on presenta premierement la Couronne à Robert, fils de Guillaume le Bastard, qui la refusa, & à son refus, Godefroy de Boüillon fut faict Roy, & neantmoins ne voulut jamais charger la Couronne sur sa teste, disant, que ja à Dieu ne pleust qu' il se vist couronner Roy en un lieu, où l' on avoit faict porter une Couronne d' espines à nostre grand Roy Jesus-Christ. A luy succeda son frere Baudoüin, puis Baudoüin deuxiesme son cousin. A luy Foulques Comte d' Anjou son gendre, auquel succeda Almeric son frere, qui eut trois enfans, Baudoüin le Lepreux, qui fut apres troisiesme Roy de ce nom, Sibille, & Isabelle. Sibille fut mariee deux fois, en premieres nopces avecques Guillame de Montferrand, dont ell' eut Baudoüin quatriesme. Puis à Guy de Lusignen. Baudoüin le Lepreux decedant recommanda son nepueu Baudoüin au peuple, le laisse pour son heritier, & le met en la garde de Raimond Prince de Tripoly. Il n' y a rien qui soit tant à craindre, que quand un Royaume tombe entre les mains d' un enfant: chacun en son particulier veut joüer au Roy despoüillé. Cela advint soubz ce jeune Prince, qui regna seulement un an, non sans grande suspicion qu' il avoit esté empoisonné par Guy de Lusignen son beau-pere, lequel lors s' empara de l' Estat: mais Raimond tuteur luy fit teste: Guerre civile entre ces deux Princes, Raimond plus foible appelle à son secours Saladin Souldan d' Egypte. Cestuy faisant contenance de favoriser son party, s' impatronise de la plus grande partie de nos anciennes conquestes, mesmes de la ville de Hierusalem, aux despens de l' ambition de ces deux Princes mal conseillez. Cela s' appelle 88. ans apres que nous en estions rendus maistres. Ce temps pendant meurt Sibille, par la mort de laquelle Guy son mary perdit le tiltre de Roy, reprenant pour cette cause la route de France: mais à son retour il trouva par bon heur le Roy Richard d' Angleterre, qui luy fit present du Royaume de Chipre, qu' il avoit nouvellement conquis: Adoncques Henry Comte de Champagne avoit espousé Isabelle, sœur puisnee de Sibille, lequel se fit proclamer Roy de Hierusalem en ce peu de païs qui nous restoit: Mais mourant, Almeric frere de Guy espouse sa veufve, & par mesme moyen le Royaume, chose toutesfois qu' il negligea: Parce que quelque peu apres il se demist de la couronne entre les mains de Jean de Braine, mary d' Yoland fille aisnee d' Isabelle. mais luy ne pouvant supporter les indignitez & secousses que l' on fassoit aux Chrestiens, s' en retourna de deça, où il maria sa fille unique avecques Federic Empereur second de ce nom, Roy de Naples, & de Sicile, lequel par le moyen de ce mariage fut aussi intitulé Roy de Hierusalem. Le Royaume de Sicile tombant depuis és mains de Charles d' Anjou, il prit aussi le titre de Roy de Hierusalem: Et voicy pourquoy, par ce que Marie seconde fille d' Isabelle du premier lit, pretendoit la couronne luy appartenir, à laquelle le Pape ordonna une pension sur le Royaume de Sicile, moyennant laquelle elle renonça à tous droicts qui luy pouvoient appartenir au Royaume de Hierusalem, lesquels pour bien dire estoient lors plus imaginaires, que par effect. Voila comment depuis ce temps là, les Roys de Naples & Sicile, se sont qualifiez Roys de Hierusalem.

vendredi 7 juillet 2023

6. 12. Histoire tragique de Charles, aisné de la maison de Bourbon, Connestable de France.

Histoire tragique de Charles, aisné de la maison de Bourbon, Connestable de France.

CHAPITRE XII.

Pendant toutes ces procedures qui durerent au Parlement l' espace de unze mois & plus, à divers jours & audiences, Charles cinquiesme nouvel Empereur, (qui dés sa premiere jeunesse nourrissoit dedans son ame un cœur de Renard) estoit aux escoutes pour voir quel evenement avroit cette cause. Il voyoit un jeune Roy de France magnanime n' avoir autre dessein que le recouvrement du Duché de Milan, suivant la leçon qu' il avoit aprise du Roy Louys son beau-pere, & que si en l' execution de ce Conseil, la fortune luy venoit à point, il avoit à craindre qu' il voulust passer plus outre, & donner sur les Royaumes de Naples & Sicile, anciennes pretentions du Comté de Provence, dont il estoit possesseur. Partant pour obvier à ces entreprises, il estima qu' il les falloit prevenir, & ne laisser perdre l' occasion qu' il avoit en main. C' estoit en troublant le Royaume de France dedans ses entrailles, ou du tout oster l' envie au Roy d' enjamber dessus l' Italie, ou s' il estoit si mal advisé de sortir de ses pays, qu' il seroit tres-aisé de troubler son Estat pendant son absence. C' est pourquoy il s' allia avecques Henry VIII. Roy d' Angleterre, & estima qu' il falloit associer en tierpied avecques eux, le Connestable, pour la grande creance que la Noblesse de France avoit en luy. Il envoye à cet effect le seigneur de Beaurein son premier Chambellan, qui entre travesty en France, avecques lettres de sa part, & amples instructions de ce qu' il avoit à negotier, dont le suject principal estoit que l' Empereur le voyant indignement traicté par le Roy desiroit l' attraire à soy, & luy donner en mariage, Madame Leonor sa sœur, Royne Doüairiere de Portugal, avecques tous les advantages qu' on pouvoit souhaiter d' un beau-frere d' Empereur. Sur cette offre, joint la passion dont le Connestable estoit enyuré, il ne falloit pas grand prescheur pour persuader celuy, qui ne l' estoit que trop de soy mesme. Les articles sont signez & à luy baillez par Beaurein, lequel luy discourt les moyens qu' ils devoient tenir, pour effectuer leurs desseins, qui estoient que l' Empereur envahiroit la France par le Languedoc, le Roy d' Angleterre par la Picardie, & pour le regard du Connestable, qu' il remuëroit dedans le Royaume tous ceux qui estoient à sa devotion, & qu' à cette fin luy seroient envoyez deniers par les deux Princes. Au demeurant que le mariage s' accompliroit en la ville de Perpignan. Ainsi s' en va le Sieur de Beaurein bien content, accompagné de Sainct-Bonnet l' un des Gentils-hommes de la maison du Connestable, portant lettres de tres-humbles remercimens à l' Empereur, & acceptation des belles offres qui luy avoient esté faictes.

La capitulation ainsi arrestee, le Connestable depesche gens de toutes parts, pour attirer à sa cordelle uns & autres Gentils-hommes, & nommément envoya Leurcy, l' un de ses principaux Secretaires, en Normandie avecques lettres de creance. Lequel visita plusieurs maisons, & entre autres vit les sieurs de Matignon, & Dargouges, les priant de la part de son maistre, de se vouloir trouver à certain jour dedans la ville de Vendosme, en une hostellerie qu' il leur nomma, auquel lieu ils recevroient l' advis de ce qu' ils avroient à faire.

Les deux Gentils-hommes estimans que ce fust pour suivre le Duc au voyage de Milan, se meirent en bon equipage, & vindrent ensemble de compagnie en la ville de Vendosme, au jour & maison qui leur avoient esté prefix, où ils trouverent Leurcy, qui les adjura sur les sainctes Evangiles de ne reveler ce qu' il avoit à leur descouvrir de la part de monsieur le Connestable. Et comme ils le luy eussent promis leur declara par le menu toute l' affaire qui se presentoit, les priant de vouloir assister son maistre en la Normandie, & que l' entreprise reüssissant, ils ne pouvoient faillir d' estre grands seigneurs à l' advenir. Plusieurs autres propos eurent-ils ensemble, qu' il n' est besoin de reciter: Seulement vous diray-je que le lendemain ces deux Gentils-hommes rebrousserent chemin vers leurs maisons, bien estonnez de cette nouvelle pratique.

Il n' y a feu si petit soit-il, sans fumee: aussi ne se peut cette conjuration du Connestable cacher qu' il n' en vint quelques sourds bruits aux aureilles du Roy, qui ne s' en estonna, mais faisant ses apprests du voyage d' Italie, promettoit de s' en esclaircir quand il passeroit par Moulins: où le Connestable contrefaisoit le malade, a fin de n' estre du voyage, & que pendant iceluy il eust moyen de troubler la France au profit de celuy qu' il trouva depuis estre son beau frere par imagination seulement. Il est visité par le Roy passant par Moulins, lequel, en cet abouchement, luy recita les bruicts qui couroient de luy, ausquels toutesfois il ne vouloit adjouster foy, comme estant trop asseuré de sa loyauté. Luy remonstrant que l' Arrest du Parlement ne le devoit effaroucher, & que pour l' amitié, qu' il luy portoit, quelque suitte qu' eust le procez, il estoit resolu de le restablir en tous & chacuns les biens par luy auparavant possedez. A quoy le Connestable, apres l' avoir tres-humblement remercié de cette bonne volonté, luy dist que c' estoit une nouvelle calomnie de ses ennemis, lesquels non assouvis de l' avoir induëment despoüillé de la plus grande partie de ses biens, le vouloient priver des meilleurs, qui estoient la bonne grace de son Roy, & son honneur. Choses qu' il avoit plus cheres que sa propre vie. Que luy mesme à son grand regret en avoit eu quelque advis, dont il eust esté le porteur au Roy, si la disposition de sa personne le luy eust permis. Mais qu' ayant recouvré sa santé, il le suivroit delà les monts, pour faire mentir tous ceux qui luy avoient presté cette charité. Ainsi se despartirent les deux Princes, estimans chacun l' un de l' autre ce qui leur pleut. Nonobstant cette response, quelques Seigneurs qui avoyent bon nez, furent d' advis que le Roy se devoit saisir de luy. Ce qu' il ne voulut, porté, ou d' une clemence qui luy estoit familiere, ou par ce qu' il estimoit cette opinion n' estre fondee, que sur un simple vaude-ville: Mais au lieu de ce luy laissa le Seigneur de Warty pour luy faire compagnie, lors qu' il le viendroit trouver à Lyon. C' estoit à bien dire non pour le garder, ains pour regarder ses deportemens dedans la ville de Moulins. Ce que le Connestable recognoissant, usa d' une contre- ruze. Car feignant de ne desirer rien tant que d' aller trouver le Roy, ores bien qu' il ne fust guery, entra dedans sa littiere, & se feit porter jusques à la Palisse, où estant il trouva son mal luy estre rengregé, de maniere qu' il luy estoit impossible de passer outre: Au moyen dequoy il escrivit lettres au Roy, portans le desir qu' il avoit eu de le venir joindre, mais que le rengregement de sa maladie l' avoit arresté tout court: & pria Warty d' en estre le porteur. Qui fut une espine qu' il osta de sa teste par cet artifice. A vray dire il avoit jusques là assez sagement conduit son affaire: horsmis les fumees qui s' estoient en quelques lieux de la France espanduës du feu qu' il vouloit allumer. Et craignant que peu à peu elles ne s' accreussent davantage, & estimant Moulins ne luy estre ville de seurté, en cas que sur un nouveau bruict le Roy voulust s' asseurer de sa personne, prit nouveau conseil de se retirer à Chantelle, sur les limites d' Auvergne, Chasteau à luy appartenant qu' il pensoit estre un seul boulevert, contre toutes les avenuës dont on le voudroit saluër. Et y estant arrivé, adoncques par une impatience Françoise, esloignee de toute dissimulation, il envoya Hurault Evesque d' Autun l' un des principaux Conseillers de son Conseil, & Faciendaires, avecques lettres, par lesquelles il supplioit humblement le Roy se vouloir asseurer de sa feauté, moyennant qu' il fust reintegré dedans les biens. Le Roy fut aussi tost adverty de ce nouveau logis, & aussi tost commença de croire ce dont il avoit auparavant douté. Partant envoya gens de toutes parts pour se saisir des ponts, ports & passages. Tellement que l' Evesque d' Autun estant arrivé à la Pascaudiere fut pris avecques son bagage, & envoyé au Roy, lequel apres avoir veu les lettres, & memoires dont l' Evesque estoit chargé, cogneut que ce n' estoient pas simples lettres, ains un taisible cartel de deffy, au cas que le Connestable n' obtint ce qu' il desiroit: pour cette cause depescha quelques compagnies de gens de guerre pour l' investir dedans Chantelle: Mais voicy l' accomplissement de son malheur.

Je vous ay dit cy dessus que Matignon & Dargouge retournerent tout court de Vendosme en leurs maisons, bien estonnez de ce qui leur avoit esté descouvert par Leurcy: lesquels se voyans en leurs consciences reduits en deux extremittez contraires: ou de reveler, suivant l' obligation qu' ils avoient de droict divin & humain à leur Prince, chose qui tant importoit à son Estat, ou bien de la taire suivant le serment par eux faict sur les Evangiles, en cet estrif ils estimerent qu' ils se devoient presenter à un homme d' Eglise, comme ils firent, & par leurs confessions luy declarerent ce qui estoit du faict de ce Prince sans le nommer, ensemble des entreprises brassees avecques luy par l' Empereur, & le Roy d' Angleterre: Le prians pour le salut du Roy & de la France, d' en donner advis à Messire Louys de Breze, Lieutenant general du Roy en Normandie sous le Duc d' Alençon gouverneur. Ce qu' il feit, sans dire les noms des deux Gentils-hommes, ny pareillement du Prince, mais le figurant avecques ses remarques qu' on luy avoit touchees par les deux confessions. Le sieur de Breze depesche soudain un courrier en Cour, avecques lettres par lesquelles il donnoit advis au Roy de tout ce que dessus, & entre autres choses, que le Prestre l' avoit asseuré que les deux Gentils-hommes estoient tres zelateurs du repos de la France, mais que d' une conscience timoree, ils n' avoient ozé reveler cela qu' entre les mains de leur confesseur. Le Roy estoit party quand le courrier arriva, qui presenta son pacquet en la ville de Clery, à madame la Regente mere du Roy. Les lettres ouvertes & veuës, elle mande tout aussi tost par le courrier à Breze, de s' informer qui estoient les deux Gentils-hommes, & de les luy envoyer promptement, avecques promesse d' elle qu' ils ne recevroient aucun mal: lequel s' en estant informé par le Prestre, les envoye, & se presenterent à la Regente en la ville de Blois, où ils furent examinez par le Chancelier, & leurs depositions receuës par maistre Estienne Robertet, Secretaire des Finances. Cette nouvelle arresta tout court le Roy, & une partie de ses desseins dedans la ville de Lyon: car quant au Connestable qui estoit dedans Chantelle, se voyant assiegé, & son entreprise eventee, il estima qu' il n' estoit plus temps de gaigner gens pour perdre la France: mais bien de gaigner les champs, pour se garentir par la fuite. Il sort une belle nuict, deguisé, avecques le sieur de Pomperant, qui faisoit le maistre, & luy le vallet, laissant son Chasteau; & une infinité de meubles precieux impreciables à la mercy des Seigneurs qui l' avoient assiegé, lesquels ils firent depuis tenir au Roy. 

Et au regard du Connestable qui trouva tous les passages clos, il fut contrainct d' aller connillant çà & là, non la part où il desiroit, ains où il peut, jusques à ce qu' en fin il arriva à Mantoüe, où le Marquis son cousin germain le remonta d' armes, chevaux & train. D' un autre costé le Roy tourna visage devers Paris: Auquel lieu fut faict le procés extraordinaire par defaux & contumaces au Connestable en la Cour de Parlement, & par Arrest du seiziesme Janvier mil cinq cens vingt trois, le Roy seant en son lict de Justice, au milieu des Princes, & ses Pairs, fut donné un Arrest dont apres avoir narré les procedures extraordinaires qui avoient esté faictes contre luy, le dispositif estoit tel. Dict a esté que les dits defaux ont esté deuëment obtenus, & par vertu & au nom d' iceux le Roy seant en sa dite Cour, a adjugé au dit Procureur general tel profit. C' est à sçavoir qu' il prive & deboute le dit de Bourbon de toutes exceptions & defenses, qu' il eust peu dire, alleguer, & proposer en cette matiere, & l' a tenu & reputé pour atteint & convaincu des dits cas & l' a declaré & declare crimineux de leze Majesté, rebellion, & felonnie: & a ordonné & ordonne que les armes & enseignes appropriees particulierement à la personne du dict de Bourbon, affichees és lieux publics en son honneur en ce Royaume, seront rayees, & effacees, & l' a privé & prive de la recognomination de ce nom de Bourbon. Comme ayant notoirement degeneré des mœurs & fidelitez des antecesseurs de la dite Maison de Bourbon, & abolissant sa memoire & renommee à perpetuité, comme crimineux du crime de leze Majesté: Et au surplus a declaré & declare tous & chacuns ses biens feodaux qui appartiennent au dict de Bourbon, tenus de la Couronne de France, mediatement, ou  immediatement, estre retournez à icelle, & tous les autres biens meubles confisquez. Et au dessous de l' Arrest estoient ces mots: Prononcé par Messire Anthoine du Prat Chevalier, Chancelier de France le dict jour, & depuis par le Greffier criminel suyvant l' Ordonnance du Roy. Je vous ay voulu icy representer mot pour mot la teneur de cet Arrest, pour l' importance de cette matiere.

Or avant que de passer plus outre je feray icy une pause, & vous prieray de considerer comme Dieu se mocque de nous, & renverse le conseil de ceux qui pensent estre les plus sages, quand il les veut affliger. Il me souvient avoir leu que quand la Republique de Rome, estant sur le poinct de tomber, se meit entre les bras du grand Pompee, Seigneur qui auparavant par sa magnanimité & prudence avoit accreu l' Estat de moitié, en grandes Provinces, toutes-fois lors de cette derniere emploicte jamais Capitaine ne feit tant de pas de Clerc que luy, jusques au dernier souspir de sa vie, qui fut aussi la fin & dernier souspir de la liberté ancienne de Rome. Par l' Histoire dont il est maintenant question, qui contient la ruine particuliere de ce grand Prince, & affliction generale de nostre France, vous y trouverez autant de fautes que d' exploicts.

Je commenceray par le Connestable, que je voy grandement ulceré & par advanture non sans cause, pour avoir esté depossedé de la plus grande & meilleure partie de ses biens: Si ne falloit-il pour cela jetter le manche apres la congnee, & se soustraire de l' obeïssance de son Roy, quelque disgrace qu' il eust receuë. Disgrace non advenuë par la volonté absoluë  du Roy, ains par Arrest de son Parlement, qui est un instrument mitoyen entre le Roy & ses sujets. Mais comme hommes, qui avons nos ames composees de diverses pieces, les unes sages, les autres folles, laschons la bride à la douleur qui luy commandoit, & le dispensons (si toutes-fois il nous est permis de ce faire) de la reigle qui nous est commandee de Dieu envers nos Roys, ne manquoit-il de sens commun de croire qu' un grand Empereur d' Allemagne, Roy, Duc, & Comte de plusieurs Royaumes, Duchez, & Comtez souveraines, non reduit en aucune angustie d' affaires, eust voulu bailler en mariage sa sœur veufve de Roy à un Prince, nouveau rebut de fortune, & en faire l' un des plus grands Seigneurs de sa Cour? He! vrayement celuy a faute de jugement, qui ne voit que c' estoit un leurre dont il le repaissoit vainement. Davantage quel estoit le subject de cette tragedie? Une conjuration pour ruiner de fonds en comble l' Estat general de la France. Cela ne pouvoit estre mis à execution par luy seul, ains requeroit une infinité de complices & adherans, par lesquels bon gré, mal gré, la mine estant esventee, il estoit tres-mal-aisé, voire impossible qu' elle joüast, comme aussi l' evenement le monstra: Car au lieu de representer un grand Prince, beau-frere futur d' un Empereur, s' en estant fuy, il se veit en un instant sans femme, sans biens, & si j' ose dire, sans honneur, & sans honneurs, ayant pour toute recousse espousé un espoir & desir de vangeance. Chose douce de premiere rencontre à celuy qui a receu l' injure, mais qui apres une prompte execution, attire quant & soy une longue repentance, lors que l' on se donne le loisir d' en venir à son second & meilleur penser. Voyons si tout cecy se trouvera en nostre Connestable, pour puis parler de nostre grand Roy François. Quant à moy je me fais accroire, veu le piteux estat auquel je le voy sortir nuictamment de son Chasteau de Chantelle, en qualité de valet, que deslors mesmes il en estoit au repentir, mais trop tard. Et quant au lieu de Perpignan, où estoit son rendez-vous, je le voy fondre en la ville de Mantoüe, pour estre remis en equippage de Prince, je ne fais aucune doubte que en soy-mesme il n' eust pitié de sa miserable Principauté & grandeur, mais plus je vois en avant avecques luy, plus je me trouve engagé en cette mienne creance.

Sortant de Mantoüe, il fut accueilly par Charles de l' Aulnoy, Vice-Roy de Naples (nouveau Gouverneur du Milanois par la mort de Prospere Colonne) avecques telle ceremonie exterieure de l' honneur que pouvoit desirer un Prince: Toutes-fois en cette heureuse victoire que l' Empereur obtint contre l' Admiral de Bonivet, & les nostres, où fut occis le grand Capitaine Bayard, le Connestable s' y trouva comme simple Seigneur volontaire, sans charge sous les estendars de l' Aulnoy, qui ne portoit tiltre de Prince, ains de Gentil-homme, mais honoré de la qualité de Lieutenant general de l' Empereur. Apres la retraicte de l' Admiral que nos ennemis appellerent fuitte, je remarque au jeune Empereur un traict de renardise admirable, lequel desirant s' esclaircir des intelligences, que le Connestable se vantoit avoir dans la France, luy donna gens, argent, & qualité de Lieutenant general pour envahir la Provence. Il y vient en bonne deliberation de faire paroistre combien il avoit encores de suffragans de sa grandeur au Royaume, mais tous luy saignerent du nez. De maniere qu' il fut contrainct de trousser bagage avecques sa grande honte. Il ne se souvenoit pas que sa fuitte, & son absence leur avoit faict oublier la memoire de sa grandeur: Joinct l' Arrest de nouveau donné contre luy, qui les faisoit contenir dans les bornes de leur devoir. Si vous parlez à Messire Martin du Bellay, qui a escrit nostre Histoire, il vous dira que le Connestable fut Lieutenant general de l' Empereur en ce voyage. Si à Guicchardin (qui a seulement efleuré cette Histoire au regard de l' autre) que luy ayant esté faict Lieutenant general le Marquis de Pescaire declara qu' il ne vouloit marcher sous son estendart, au moyen dequoy luy fut cette puissance tolluë & transmise au Marquis, que l' Empereur ne vouloit mescontenter. Soit l' une ou l' autre des deux opinions veritable, ce ne fut pas peu de honte à leur nouveau refugié. Depuis ce temps je ne voy point que l' Empereur fist conte de luy, que par mines & beaux semblans. Et de faict en la bataille de Pavie donnee le jour sainct Mathias, l' an mil cinq cens vingt & quatre (jour fatalement heureux à l' Empereur) le Connestable s' y trouva, ne tenant autre rang que de combattant volontaire, sous le mesme l' Aulnoy, tout ainsi qu' en l' escarmouche contre l' Admiral. Ressentiment honteux de vangeance, de voir un grand Prince combattre contre son Roy, & sa patrie en cette simple qualité, & non General de l' armee. Nostre Roy François premier de ce nom fut pris en cette mal-heureuse bataille, & mené au Chasteau de Pisse-queton sur la riviere d' Adde. L' Empereur enflé de cette victoire auparavant inesperee, envoya incontinent en poste le Comte de Reu, l' un de ses principaux favoris, avecques une grande liste de demandes extraordinaires, entre lesquelles il demandoit que le Roy donnast à Charles de Bourbon, & à sa posterité, la Provence & le Dauphiné, desquels, annexez avecques le Bourbonnois, Auvergne, Forest, Beaujoulois, la haute & basse Marche, & autres Domaines qu' il possedoit auparavant, seroient erigez un Royaume, auquel il ne recognoistroit autre souverain que Dieu & l' espee. Coup que le Roy prisonnier de corps r'abatit avecques un floret par une grande franchise d' esprit, luy disant qu' il s' en pouvoit retourner en poste tout ainsi qu' il estoit venu, & que son Maistre estoit un mocqueur. Aussi est-ce la verité que depuis l' Empereur n' en fit instance. Quelque temps apres le Roy fut mené par l' Aulnoy en Espagne, & mis au Chasteau de Madric. Pendant lequel temps le Connestable vint baiser les mains à l' Empereur, où il eut loisir de voir qu' entre les principaux articles du Traicté des deux Princes, fut conclud le mariage de la Royne Leonor, avecques nostre Roy, & mesme que les fiançailles en furent faictes avant son retour en la France, lors qu' il bailla ses deux premiers enfans pour ostages.

Une chose trouvay-je pleine de pitié en l' infortune de nostre Connestable, dont toutes-fois Guicchardin fait banniere pour remarquer le grand rang que ce prince tenoit pres de l' Empereur. Comme la nature de toute victoire est d' estre ordinairement orgueilleuse & insolente, aussi se trouva cette particuliere rencontre en l' Empereur, lequel se mocqua des articles qui avoient esté passez entre luy & le Roy d' Angleterre lors de leur confederation: Et quant à nostre Roy son prisonnier, il extorqua de luy tout ce qu' il voulut. Qui fut cause que pour rabattre cet orgueil, & barrer aucunement ce grand torrent de fortune, le Roy estant retourné, & ses deux enfans baillez en ostage, luy, le Pape Clement septiesme, le Roy d' Angleterre, le Venitien, le Souisse, & le Florentin feirent une ligue entre eux, qui fut appellee Saincte Ligue: Non pour restablir le Duché de Milan à nostre Roy qui en avoit esté chassé, ains pour le conserver à Sforce, fils de Ludovic, qui estoit dedans la roque de Milan, tenu à l' estroict par les Imperiaux. Lesquels s' estans faicts Maistres de la ville abusoient licencieusement de leur puissance contre les pauvres Citoyens. L' Aulnoy Lieutenant general du Milanois pour l' Empereur, s' estoit retiré de ceste presse, lors que sagement il entreprit la conduicte du Roy son prisonnier en Espagne, & avoit laissé en son lieu le Marquis de Pesquaire, qui mourut de sa mort naturelle quelque temps apres, laissant cette charge au Marquis du Gouast son cousin, & au Seigneur Anthoine de Leve, lesquels ne manquoient, ny d' experience, ny de valeur au faict de la guerre, ny de bons & braves soldats, ains seulement d' argent pour les soudoyer. Et à vray dire il sembloit que l' Estat de Lieutenant general du Milanois fust lors une espave qui tomboit, non és mains du premier occupant, ains de celuy qui s' en rendoit le plus digne. Les soldats, & les Citoyens estans sous divers regards, logez à l' enseigne du desespoir, restoit seulement de leur envoyer un Lieutenant general de mesme calibre. Cestuy fut trouvé en la personne du Seigneur de Bourbon, auquel l' Empereur donna cette charge, non sous autre opinion, sinon qu' il le pensoit d' une inimitié irreconciliable envers le Roy, qui estoit l' un des premiers Directeurs de la Saincte Ligue. Soudain qu' il fut arrivé à Milan, au grand contentement des deux autres, qui ne sçavoient de quel bois faire flesches, & souhaittoient sur toute chose, que quelqu'un leur levast le siege, il se trouve soudain assiegé des soldats qui vouloient estre soudoyez: d' un autre costé, du pauvre peuple, qui crioit à la faim, & se plaignoit des extorsions tyranniques dont les soldats sans discipline usoient contre luy. Au milieu de ces hurlemens, Bourbon voyant que sans les armes son pouvoir n' estoit rien, ny les armes sans argent, faict une assemblee de ville, en laquelle avecques toutes submissions & curialitez, il prie les Citoyens de le vouloir secourir de trois cens mil escus, en la necessité qui se presentoit pour l' Empereur son Maistre, avecques cette protestation, que c' estoit une fois pour toutes, & qu' il prioit Dieu luy envoyer la male mort au premier siege de ville, ou bataille en laquelle il se trouveroit s' il leur manquoit de parole. Les Citoyens vaincus de cette promesse, se resouvenans du bon traitement qu' ils avoient receu de luy, lors qu' il avoit esté employé à pareille charge sous le Roy François, ouvrirent liberalement leurs bourses, & luy baillent les trois cens mil escus qu' il demandoit, lesquels il fit distribuer aux soldats, estanchant pour quelque temps leur soif. Mais ils ne demeurerent pas longuement en cette bonace. Car s' estans depuis passez six mois entiers sans recevoir paye, ils retournerent à leurs premiers cris, bien deliberez (disoient-ils) de piller la ville, & puis roder la campagne pour viure. Le Prince de cette façon mal mené, s' attache à une extremité inexcusable. Car au milieu d' une nuict, il se saisit des principaux & plus riches Bourgeois de la ville, qu' il applique à la question pour extorquer d' eux des deniers, mais ils avoient esté tellement espuisez, qu' il en tira des pleurs, cris & larmes, & non de l' argent. Se voyant ce pauvre Prince escorné par les beaux, mais faux semblans de l' Empereur, il commença de corner une autre guerre, qui fut de battre la quesce par le plat pays, se rendre soldat de fortune, piller les villes esquelles il entreroit, & en faire curées à ses soldats pour les contenter. Qui estoit vrayement joüer à la desesperade, entreprise toutes-fois par luy pretextee, sur ce qu' il se vantoit attaquer les villes de la Saincte Ligue. Comme de faict il s' y essaya, mais en vain, contre la ville de Plaisance (lors Papale) & celle de Florence. En fin voulant joüer à quite ou à double, il donne jusques à la ville de Rome, où le Pape Clement partisan avecques les Cardinaux, s' estoit bloty dedans le Chasteau Sainct Ange. La verité est qu' il avoit auparavant faict trefues avecques le Vice-Roy de Naples. Ce que le Connestable meit sous pieds: Car de là en avant toutes villes luy estoient de bonne prise. Mesme si cette entreprise de Rome luy eust reüssi, le bruict commun est, que son intention estoit de donner jusques au Royaume de Naples, & s' en investir s' il eust peu pour se vanger de l' Empereur. Dieu arresta tout court ses desseins, & exaussa la priere qu' il avoit faite en l' assemblee de ville de Milan. Car eschelant les murs de Rome il receut un coup de balle qui luy transperça l' une de ses cuisses dont il cheut à terre, & mourut sur le champ. Il estoit secondé par Philebert de Chalon Prince d' Aurange, qui conduisoit les Allemans, lesquels à la chaude cole prindrent, pillerent, & saccagerent la ville, & se rendit le Pape leur prisonier. Un siege si malheureux & damnable ne pouvoit estre expié que par cette mort. Et la prison de ce Pape doit servir de leçon à ses successeurs, que ce n' est à eux d' endosser le corselet pour faire la guerre, ains seulement la chasuble Pontificale, pour moyenner la paix entre les Princes Chrestiens. Voila quelle fut la fin de ce Prince, pippé par les appas de sa passion, estayee des belles promesses d' un cauteleux Empereur, qui en fit un joüet de fortune.

Encores ne me puis-je estancher pour les singularitez que je trouve en cette Histoire: Je remarque en ce Prince une jeunesse merveilleusement favorisee de fortune, & son moyen aage estrangement disgracié, jusques au dernier periode de sa vie. En son bas aage eslevé par le Duc Pierre, qui tenoit le dessus de germain sur luy, & depuis par Anne de France sa veufve, qui le cherissoit comme son propre enfant, pour les bonnes parties qui estoient en luy, de puisné estre faict aisné de sa Maison par la mort de Louys son frere, en l' aage de quinze ans, marié avecques la Duchesse Suzanne, fille unique du Duc, aagée seulement de treize ans, & ce par l' advis du Roy, & des Seigneurs de son Conseil, & consentement de la mere, voire du Duc d' Alençon, auquel elle avoit esté fiancée dés le vivant du pere, chery & aymé par le Roy Louys douziesme, qui pour ses proüesses & valeurs le destinoit à l' Estat de Connestable, toutes-fois prevenu de mort ne le peut faire: Mais au lieu de cela le Roy François premier son successeur l' en pourveut soudain qu' il fut arrivé à la Couronne, en son absence, & avant qu' il luy eust baisé les mains, aagé lors de vingt & quatre ans seulement. Sage en capitulations & conseils, vaillant, prompt à la main, & heureux aux executions militaires, esquelles il eut bonne part, en toutes les rencontres qui se presenterent sous l' un & l' autre Roy, & specialement en la bataille donnee l' an mil cinq cens neuf, par le Roy Louys contre les Venitiens, en laquelle il avoit fait ce jeune Prince Capitaine de deux mille Seigneurs, pensionnaires de sa Majesté, qui par sa sage conduitte & proüesse, remit le cœur à nostre avant-garde esbranlee, & preste de tourner visage: de sorte qu' en fin la victoire nous demeura, avecques le recouvrement des villes que les Venitiens occupoient induëment. Ce jeune Prince estant lors seulement aagé de dix-neuf ans, mais qui avoit de braves guerriers avecques luy, par le conseil desquels il acheminoit toutes ses actions & deportemens.

J' adjousteray les deux journees de Marignan contre les Suisses en l' annee mil cinq cens & quinze, soubs l' estendart du Roy François premier de ce nom, où il monstra sur tous les autres Princes & Seigneurs de la France, ce qu' il pouvoit en ce beau mestier. Chose que le Roy recognoissant, apres avoir obtenu la victoire, & d' une mesme suitte recous le Duché de Milan, luy meit entre les mains, avant que partir d' Italie, le gouvernement du Duché: Où ce Prince apporta tant de diligence & sagesse à la police generale de l' Estat, & aux fortifications des villes, que l' Empereur Maximilian estant de propos deliberé entré avecques une tres-puissante armee dedans la Lombardie pour assieger la ville de Milan, & reduire tout le Milanois soubs sa puissance, apres avoir recogneu soigneusement l' ordre que le Prince avoit mis en son Gouvernement contre toutes les advenuës ennemies, estima luy estre plus expedient de retourner sans coup ferir, vers le pays d' Allemagne dont il estoit sorty, que d' engager d' avantage, & son armee, & son honneur. Tellement que pour se garentir d' une honte, il se sauva par une autre honte.

Fut il jamais une liaison de plus heureuse fortune en un Prince non souverain, que celle-cy, mesme en cette derniere contre l' Empereur Maximilian, n' estant lors nostre Connestable aagé que de vingt-six ans? Et neantmoins cette-cy qui devoit estre son accroissement fut le premier acheminement de ses defaveurs. Il advertit le Roy comme le tout s' estoit passé à son advantage. Ce n' est pas le plus grand heur qui puisse arriver aux Princes du sang, quand employez aux grandes charges, toutes choses leur succedent à point nommé. Les Roys dont ils ont cet honneur d' estre parens, craignans d' avoir des collateraux de leurs gloires, souventes-fois en sont jaloux, ores que nul de leurs sujets ne puisse entrer en comparaison avecques eux. Cecy se trouva averé en ce grand Duc. Il avoit affaire à un jeune Roy, plein d' une noble ambition, desireux que les affaires signalées de son Royaume se passassent non par Procureurs, ains d' y estre en propre personne, pour en rapporter le premier honneur. C' est pourquoy ayant receu les nouvelles de ce grand & heureux succez, ores qu' il en fust tres-joyeux, toutes-fois voyant tant de flux de bonnes fortunes en ce Prince, il voulut luy rongner les aisles, a fin de ravaler son vol. Et soudain apres le revoqua de sa charge, surrogeant en son lieu Messire Odet de Foix Seigneur de Lautrec, Mareschal de France, grand guerrier, sur lequel toutes-fois l' Empereur Charles cinquiesme conquit l' Estat de Milan. Mal-heur qui fut un heur au Connestable en sa defaveur, d' estre sorty à son honneur de ce pays sans y avoir receu aucune algarade.

Mais pour n' entrevescher cette Histoire, & n' enjamber sur le temps, le Duc estant retourné en France vers le mois de May mil cinq cens seize, non seulement n' est accueilly du visage, ny recompense de sa grande despense, ainsi qu' il se promettoit, mais tout au rebours il trouve que l' on avoit rayé dessus l' Estat dés le mois de Janvier pour toute l' annee ses gages de Connestable de vingt & quatre mil liures par an, & de Gouverneur de Languedoc de quatorze mil escus, & pension de pareille somme. Retranchement qui fut continué pour les annees subsequentes, & qu' il ne peut jamais faire restablir quelques importunitez & prieres qu' il apportast envers le Roy, qui le payoit de belles paroles seulement. Et qui fut le comble de ses mescontentemens, le Roy ayant baillé en mariage Madame Marguerite sa sœur à Charles de Valois Duc d' Alençon, fit de là en avant tomber és mains de son beau frere, toutes les charges de la Connestablie à la guerre, quand les occasions se presentoient. Nouvelle metamorphose, d' un Charles de Bourbon en un Charles de Valois: Celuy-là estant Connestable en tiltre sans effect: & cestuy-cy l' estant par effect, sans tiltre. Qui n' estoit pas un petit creue-coeur au Prince qui avoit faict tant de recommandables services à la France. Le Ciel sembla vouloir estre de la partie pour se formaliser contre luy. Parce que sa femme estant accouchee d' un enfant masle l' an mil cinq cens dix-sept, qu' il pensoit devoir estre la ressource de ses desconvenuës, pour la manutention de sa Maison, il mourut l' annee d' apres: Et en 1519. cette Princesse avorta de deux enfans: jusques à ce qu' en fin affligée de corps & d' esprit, elle alla de vie à trespas en l' an 1521. Nouveau rengregement de douleur en ce Prince. Mescontentemens toutes-fois qu' il supportoit avec une grande sagesse: Car combien qu' il ne fust dressé de ses appointemens, & qu' il se veist fappé par le pied de l' exercice de son Estat de Connestable, si ne laissa-il pour cela de rendre tous les bons services au Roy qu' il pouvoit desirer de luy, comme Connestable, en toutes les ceremonies exterieures. Qui ne luy estoit pas petite despense. Et pour le regard de la perte de sa femme, la grande amitié que sa belle mere luy portoit, estancha aucunement sa douleur. Mais quand avec ce grand flot d' afflictions, il eut perdu sa belle mere, & qu' il se veit despoüillé presque de toutes ses grandes terres & Seigneuries; mesmes sous un pretexte exquis & affecté de Justice, pour contenter l' opinion d' une mere de Roy (car ainsi le croyoit il; encore qu' il n' en fust rien) adoncques la patience luy eschappa, & se lascha toute bride pour en avoir la vengeance, dont il fut deceu d' outre moitié de juste prix, sans toutes-fois en pouvoir estre relevé: S' il eust eu pour agreable le mariage de la mere du Roy, cette Princesse pouvoit reparer toutes les bresches de ses mescontentemens, & le faire dresser non seulement de ses appointemens, mais aussi de l' exercice de son Estat de Connestable, comme celle qui commandoit aux opinions du Roy son fils. D' ailleurs n' eust remué cette grande querelle fondee principalement sur une vengeance. Et en outre eust apporté à la table de luy les Duchez d' Angoulesme & d' Anjou, & le Comté du Maine à elle baillez pour ses deniers dotaux & son doüaire. Quoy faisant il eust esté le plus grand Seigneur terrien de la France apres le Roy: Son mal-heur ne permit pas qu' il entendist à ce mariage, & depuis allerent tousjours ses affaires de mal en pis. Conclusion, je trouve que deux mariages & un Gouvernement de Milan, sous divers regards le perdirent. Le mariage d' une mere de Roy mal à propos refusé, celuy d' une sœur d' Empereur apprehendé sans propos. Et quant au gouvernement, ayant esté premierement commis à cette charge, par le Roy François, toutes choses luy estans heureusement reüssies, ce fut sa premiere disgrace, & en apres commis à la mesme charge par l' Empereur, toute chose luy estant mal-heureusement succedee, pour le desordre qu' il y trouva, ce fut la consommation de ses infortunes, jusques à ce qu' en fin il mourut devant la ville de Rome de la façon que j' ay dit.

Depuis qu' il se fut desvoyé du bon chemin, je trouve quatre grands Arrests donnez contre luy. Le premier par le Roy François seant en son lict de Justice: Le second par le grand Capitaine Bayard, lequel en la retraicte de l' Admiral Bonivet, ayant eu les reins fracassez d' une balle, couché au pied d' un arbre, le visage vers l' ennemy, le Connestable passant par là, cuidant le consoler: Capitaine Bayard (dit-il) j' ay grande pitié de vous voir reduit en ce piteux estat, apres tant de braves exploits d' armes par vous mis à fin: A quoy le preux Chevalier reprenant ses esprits, luy repartit d' une forte haleine. Ce n' est de moy que devez avoir pitié, ains de vous. Car graces à Dieu, je meurs pour le service du Roy mon Maistre, au lict d' honneur, pour acquerir une vie immortelle en la bouche des gens de bien. Et vous Prince faisant le contraire, menez une vie honteuse, dont les ans, à mon grand regret, ne pourroit amortir la memoire. Le troisiesme est qu' apres la journee de Pavie, ayant fait voile en Espagne, & esté favorablement recueilly par l' Empereur, mesme par son commandement logé au plus beau Palais de Seville: combien que l' inclination naturelle du courtisan soit de complaire aux opinions de son Prince, voire à un seul clin de ses yeux, toutes-fois tous les Seigneurs qui estoient à la suitte de l' Empereur ne peurent trouver bon ce bel accueil, ny caresser nostre Connestable, l' appellans en leurs communs propos infame, desloyal, & traistre à son Roy. Et son hoste mesme disoit, qu' ores que ce luy eust esté jeu forcé de le loger, ce neantmoins il n' estoit en la puissance de l' Empereur d' empescher qu' il ne bruslast sa maison; ne voulant luy estre reproché ny aux siens d' avoir logé un traistre chez soy. Cela estoit par luy dit aux gens du Connestable, & par eux raporté à leur Maistre: Vous jugerez quelle consolation ce luy devoit estre. Et le dernier Arrest est celuy de Dieu, quand representant par effect la fable des anciens Geants, eschelant les murs de la ville de Rome (sejour du chef de nostre Eglise) feru d' un coup de harquebuze, tresbucha du haut en bas. Closture mal-heureuse, & de sa penible vie, & de ses espoirs sans espoir.

Apres avoir amplement discouru l' histoire de ce pauvre Prince, mal content, mal traicté, & plus mal conseillé, il est meshuy temps que je vienne à nostre Roy François I. que j' ay cy-dessus laissé seant en son lict de Justice dedans son Parlement de Paris, assisté de ses Princes & Pairs, bien content d' avoir chastié à la Royale, son sujet, qui deserteur de sa patrie, s' estoit jetté entre les bras de son ennemy: Une mere de Roy plus contente de se voir joüir, & du bien, & de l' absence de celuy auquel elle avoit voüé une inimitié immortelle. Et un Chancelier tres-content d' avoir esté leur protecole aux deux theatres representez: en l' un desquels estoit intervenu l' Arrest de sequestre, en l' autre celuy de reünion & confiscation. Je ne parleray du second; car il estoit necessaire pour l' exemple, le Connestable s' estant de cette façon oublié: Je jette seulement les yeux sur le premier pour vous en dire ce qu' il m' en semble. Plus beau mesnage ne pouvoit-on faire pour la France, si vous en parlez à ceux qui sont seulement nourris en la pratique du Palais, que de reünir à la Couronne l' ancien appanage de la maison de Bourbon, & faire tomber le demeurant des autres biens és mains d' une Princesse dont le Roy seroit heritier apres son decez. Ces deux points gisoient, l' un en droict, l' autre en fait: & sans entrer au merite ou demerite de la cause, il y avoit prou de textes communs pour exercer les esprits, langues, & plumes des Advocats, qui ne furent mis en l' Espargne. Mais il y en avoit une secrette, non à eux peut estre cognuë, ny à celuy qui les feit mettre en besongne: Que sur toutes choses il se faut garder de reduire un Prince en desespoir, singulierement un Prince du sang, dont les François sont naturellement idolatres. Et qui contre cette leçon pense faire le mieux, fait le moins. J' estime que l' arrest de sequestre estoit juste. Encores qu' un espinocheur pourroit paravanture dire, qu' il n' y avoit nul lieu de sequestre és biens despendans de l' ancien appanage, estant Charles de Bourbon notoirement issu par diverses successions de la branche des enfans aisnez du Duc Robert, fils de S. Louys: Et que le contract de mariage de l' an 1400. de Jean de Bourbon premier, & Marie de Berry, & la declaration faite au mesme instant en faveur de la Couronne par Louys II. pere de Jean, apportoient tres-grande lumiere aux obscuritez que l' on proposoit contre Charles. Adjoustez le contract de mariage fait entre luy & Suzanne sa future espouse en l' an 1504. par l' advis du Roy, des Prelats, Princes & grands Seigneurs, portant donation mutuelle de tous & chacuns leurs biens au survivant l' un de l' autre. Testament de la femme de l' an 1519. en faveur de son mary, par lequel elle l' institua son heritier universel, & confirma leurs conventions matrimoniales. Succession ab-intestat de la mere apres la mort de sa fille au pays du droit escrit dont elle avoit fait present à son gendre avant que de mourir: Quelque pointilleur (dis-je) pourra dire que toutes ces particularitez concurrans ensemble, il n' y avoit pas grand lieu de sequestre, ny de deposseder par provision ce Prince de ses Duchez, Comtez, Vicomtez, & peut-estre adjoustera-il, que Dieu pour vanger cette injure, permeit que nous receusmes depuis, le desastre de la journee de Pavie, dont je parleray cy-apres. Ja à Dieu ne plaise que je sois de cette opinion: car quand un arrest est passé, je seray des disciples de Pythagoras: Il l' a dit, doncques il y faut adjouster foy.

Bien vous rapporteray-je icy un exemple qui ne sera hors de propos, qu' autres fois du temps du Roy Philippe de Valois fut donné à Conflans un arrest luy seant en son lict de Justice, au profit de Charles de Chastillon, Comte de Blois son nepueu, & Jeanne la Boiteuse sa femme de la Maison de Pontieure, contre Jean de Mont-fort 1341. Par lequel le Duché de Bretagne, fut adjugé au Comte de Blois, & sa femme. Arrest que Polidore Virgile en son Histoire d' Angleterre soustient par plusieurs belles raisons, avoir esté un arrest du temps pour complaire au Roy Philippe: En l' execution duquel, Dieu permit que le Comte de Blois fut tué en une bataille rangee, & que la femme de Jean de Mont-fort se maintint pendant la prison de son mary contre les forces du Roy. Je n' entreray point icy pour le fait qui se presente en cette consideration: Bien diray-je que je seray tousjours de l' advis du sage Salomon, qu' il y a certaines choses esquelles il ne faut estre trop juste, & autres selon l' opinion de S. Paul, qui sont permises, & n' est toutes-fois expediant d' en user: nous voulans enseigner l' un & l' autre, que la prudence doit estre guide de nos actions, comme elle fut vrayement lors que sous le Roy Louys XII. on conjoignit les deux branches de la famille des aisnez de Bourbon, sans entrer en l' examen, & discussion à qui appartenoient les biens, en un Prince & Princesse non disproportionnez d' aages, mesmes selon le commun cours de nature en esperance d' avoir lignee. Considerons je vous prie, quel fruit on rapporta de ce grand mesnage tant souhaité par la mere du Roy; Un desespoir d' un grand Prince, qui fut premierement sa ruine, & successivement une playe qui saigne encores en la France. Desespoir fondé sur un sequestre, & le sequestre paraventure sur les importunitez d' une Dame qui ne respiroit qu' une vangeance en son ame, & ne vouloit estre vaincuë. J' adjousteray qu' à la suite de l' Arrest de sequestre, le Roy feit une grande faute. Car estant aucunement asseuré du mescontentement du Prince, & ayant eu advis par les bruits de l' entreprise qu' il brassoit, il se devoit asseurer de sa personne à Moulins, comme on luy conseilloit. D' autant qu' és affaires de telle consequence il faut tout, pour se garentir du rien, & ne besongner à demy: Dieu ne le permit pas, voulant affliger, & le Roy, & son Royaume, la seule capture de ce Prince pouvoit faire esvanoüir en fumee tous les desseins de l' Empereur.

Desvelopons s' il vous plaist ce fuzeau. L' Empereur pour asseurer son Estat d' Italie, n' osoit pas seul nous assaillir dedans la France. Il luy falloit un second. C' est pourquoy il eut recours au Roy d' Angleterre, lequel n' y vouloit du commencement entendre: mais comme le jeune Empereur par un instinct naturel nourrissoit dedans sa poictrine un sommaire de dissimulation, pour parvenir à ses intentions, aussi trouva-il un moyen pour engager l' Anglois, qui fut que le Duc de Bourbon mal content seroit de la partie, lequel par ses intelligences broüilleroit les affaires du François dedans son Royaume, pendant que les deux Princes donneroient sur les flancs, l' un du costé de Languedoc, & l' autre de la Picardie, lors que le Roy seroit sorty de la France, pour guerroyer le Milanois. Proposition belle sur laquelle l' Anglois se laissa emporter, & leva gens tout ainsi que l' Empereur, pour effectuer leurs desseins. Sur ces entrefaites la conspiration du Connestable fut descouverte: chose dont l' Empereur ne se donna pas grande peine, se contentant d' avoir esbranlé l' Anglois qui ne se pouvoit aisément retirer du jeu, ayant fait une grande levee de gens. Or quant au fait du Connestable, il luy suffisoit qu' il servist d' espouventail à la France. En quoy il ne fut nullement deceu de son opinion. Parce que le Roy voyant les preparatifs que ces deux Princes faisoient contre luy, d' ailleurs la fuitte du Connestable, il se trouva grandement estonné, ne sçachant quelles reliques de sa grandeur son nouvel ennemy avoit laissé dedans la France. Cela fut cause qu' il fit halte dedans la ville de Lyon, avecques son armee sans la joindre à celle de l' Admiral qui estoit de là les monts, espandant diversement ses forces par les Provinces, pour faire teste à ses ennemis. Par ainsi nous veismes la France grandement affligee, la Picardie pillee, & ravagee par l' Anglois, le Languedoc, & la Provence par les Imperiaux, secondez par les Adventuriers François. Car en tels accessoires, le soldat qui deffend ne fait pas moins de degast que l' assaillant, hors-mis qu' il vaut mieux un pays gasté que perdu. Et pour le regard de l' Italie, l' Admiral non secouru (pour les raisons par moy presentement touchees) fut contrainct de faire une honteuse retraicte, avecques grande perte de nos Capitaines de marque. Retraicte qui asseura grandement l' Estat Milanois à l' ennemy. Nostre jeune Roy François, Prince tres-magnanime, pour reparer toutes ces breches, se voulut trouver en personne, contre l' advis des plus sages guerriers, à la journee de Pavie, où l' Empereur se donna bien garde d' y estre (qui estoit joüer du tout à la moitié) & là fut pris. Je ne vous discourray icy, ny les morts, ny les prisons des Princes, grands Seigneurs & Capitaines, vous en trouverez le denombrement dedans les memoires de Messire Martin du Bellay: Suffise vous que c' est la journee en laquelle le Roy François fut fait prisonnier de l' Espagnol, accomplissement general de nos mal-heurs par le traité fait à Madrid. Somme sur le mesnage pratiqué dedans le Palais, au contentement d' une Princesse ulceree, nous bastismes la desbauche generale de nostre Estat, que je ne veux appeler ruine. Tant y a que la playe saigne encores aujourd'huy. Car l' Espagnol se fait acroire que nous perdismes par le traicté, la souveraineté de Flandre, ancien fleuron de la Couronne: Et se veit mesme la mere du Roy lors Regente sur le point de perdre la Regence, pour la haine qu' on luy portoit, si le Duc de Vendosme semonds à ce faire, eust voulu croire la plus part des principaux Bourgeois de Paris.