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mercredi 5 juillet 2023

6. 5. Sommaire du procés de Jeanne la Pucelle.

Sommaire du procés de Jeanne la Pucelle.

CHAPITRE V.

Grande pitié, jamais personne ne secourut la France si à propos, & plus heureusement que cette Pucelle, & jamais memoire de femme ne fut plus deschiree que la sienne. Les Anglois l' estimerent, & sorciere & heretique, & sous cette proposition la firent brusler. Quelques uns des nostres se firent accroire que ce fut une feintise telle, que de Numa Pompilius dans Rome, quand il se vantoit communiquer en secret avecques Egerie la Nymphe, pour s' acquerir plus de creance envers le peuple, & telle est l' opinion du Seigneur de Langey au troisiesme livre de la discipline militaire chapitre 3. A quoy les autres adjoustent & disent que les Seigneurs de la France supposerent cette jeune garce, feignans qu' elle estoit envoyee de Dieu pour secourir le Royaume, mesme quand elle remarqua le Roy Charles à Chinon entre tous les autres, on luy avoit donné un certain signal pour le recognoistre. J' en ay veu de si impudens & eshontez, qui disoient que Baudricour Capitaine de Vaucouleur en avoit abusé, & que l' ayant trouvee d' entendement capable, il luy avoit fait joüer cette fourbe: Quant aux premiers je les excuse, ils avoient esté malmenez par elle, & nul ne sçait combien douce est la vengeance que celuy qui a receu l' injure. Quant aux seconds, bien qu' ils meritent quelque reprimande, si est-ce que je leur pardonne aucunement, parce que le malheur de nostre siecle aujourd'huy est tel, que pour acquerir reputation d' habille homme, il faut Machiavelizer. Mais par le regard des troisiesmes, non seulement, je ne leur pardonne, mais au contraire ils me semblent estre dignes d' une punition exemplaire, pour estre pires que l' Anglois, & faire le procés extraordinaire à la renommee de celle à qui toute la France a tant d' obligation. Ceux là luy osterent la vie, ceux-cy l' honneur, & l' ostent par un mesme moyen à la France, quand nous appuyons le restablissement de nostre Estat sur une fille deshonoree. 

De ma part je repute son histoire un vray miracle de Dieu. La pudicité que je voy l' avoir accompagnee jusques à sa mort, mesme au milieu des troupes, la juste querelle qu' elle prit, la proüesse qu' elle y apporta, les heureux succés de ses affaires, la sage simplicité que je recueille de ses responses aux interrogatoires qui luy furent faits par des juges du tout voüez à sa ruine, ses predictions qui depuis sortirent effect, la mort cruelle qu' elle choisit, dont elle se pouvoit garentir, s' il y eust eu de la feintise en son fait: Tout cela, dis-je me fait croire (joinct les voix du ciel qu' elle oyoit) que toute sa vie & histoire fut un vray mystere de Dieu: Aussi est ce la verité que son pere avoit songé que cette fille deuroit quelquesfois viure au milieu des soldats, comme je remarqueray en son lieu. J' ay veu autresfois la copie de son procez en la Librairie de sainct Victor, puis en celle du grand Roy François à Fontainebleau, & depuis ay eu en ma possession l' espace de quatre ans entiers le procés originaire, auquel tous les actes, lettres patentes du Roy Henry, advis de l' Université de Paris, interrogatoires faits à la Pucelle estoient tout au long copiez, & au bout de chaque fueillet y avoit escrit, Affirmo, ut supra, Bosquille, c' estoit le Greffier, & à la fin du registre estoient les seings, & seaux de l' Evesque de Beauvais, & de l' Inquisiteur de la Foy, ensemble celuy du Greffier. Qui fait que j' en puis parler plus hardiment. Je veux doncques icy raconter comme les choses se passerent, & vous discourant les principaux poincts de son procés, vous pourrez aussi recueillir par ses responses tout ce qui fut de sa maison & de son histoire particuliere.

Apres que le Duc de Bourgongne eut esté creé Lieutenant general de Paris, il mit le siege devant Compieigne, où il trouva à qui parler, car en fin il fut contraint de le lever, vray qu' en une sortie que firent le Capitaine Poton, & la Pucelle, le malheur voulut que l' un & l' autre y furent pris. Quant à Poton il courut la commune fortune des autres gens de guerre, d' en estre quitte pour sa rançon, où d' estre changé pour un autre, mais non cette pauvre Pucelle, la prise de laquelle fut si agreable aux Anglois, qu' ils en firent chanter un Te Deum dans l' Eglise nostre Dame de Paris, & quittans la forme ordinaire que l' on observe aux prisonniers de bonne guerre, luy voulurent faire son procés. Le bastard de Vendosme l' avoit prise, qui la monstra au Duc de Bourgogne lequel la bailla en garde à messire Jean de Luxembourg, auquel il avoit plus de fiance. Deslors elle commença d' avoir deux maistres. Les Anglois desiroient de l' avoir, a fin de la sacrifier au feu. Le Duc n' y donnoit pas grand obstacle, mais bien Luxembourg & le bastard, ne voulans estre defraudez de la rançon, les uns combattans pour la vie, les autres pour la bourse. Messire Pierre Cauchon Evesque de Beauvais, qui lors estoit en grand credit pres des Anglois, faisoit toute instance à ce qu' elle luy fust deliuree, comme heretique, qui avoit esté prise dans son Diocese. Le jeune Roy se met de la partie, pour le moins ceux de son conseil: En fin elle est mise en ses mains, moyennant cinq mille liures, qui furent baillees à Messire Jean de Luxembourg, & trois cens liures de rente au bastard de Vendosme. L' Université de Paris desiroit que cette cause fust renvoyee à Paris: Toutesfois le Roy par ses lettres patentes du 30. Janvier 1430, donne toute charge à l' Evesque de Beauvais, c' estoit celuy qui peu auparavant avoit esté envoyé expres en Angleterre pour l' amener en France. Le 9. ensuivant l' Evesque demande aux Doyen, Chanoines, & Chapitre de Roüen, territoire pour rendre la cause plus exemplaire, le siege Archiepiscopal estant lors vacquant. Ce qui luy fut tres-volontiers accordé. En cecy il est assisté de frere Jean Magistri, de l' Ordre des freres Prescheurs, Vicegerant de frere Jean Graverant Inquisiteur general de la foy: Messire Jean Estinet Evesque de Bayeux est faict Promoteur en cette cause. Or pour garder l' ordre judiciaire, la Pucelle est citee devant l' Evesque au 21. Fevrier, a fin de venir respondre aux faits proposez encontre elle par le Promoteur. Cette pauvre fille avoit tant de crainte de Dieu en son ame, qu' avant que de subir interrogatoire, elle demanda d' ouyr la Messe. Ce qui luy fut refusé, de tant qu' elle portoit l' habit d' homme, qu' elle ne vouloit delaisser. Je reciteray les principaux articles, sur lesquels elle fut interrogee, à la charge que s' il n' y a tant de grace, il y aura paraventure plus de creance pour ceux qui liront ce Chapitre. Les faits du Promoteur furent couchez en Latin, comme est l' ordinaire en Cour d' Eglise, & fut son interrogatoire fait à diverses journees, selon les instructions & memoires, qu' en donnoit le Promoteur, & à dire le vray, jamais une personne accusee ne fut tant chevalee par un juge pour estre surprise, & toutes-fois jamais personne ne respondit plus à propos que cette cy: Monstrant assez par cela qu' elle estoit assistee de Dieu, & de la verité, au milieu de ses ennemis. En la plus part des demandes qu' on luy faisoit s' il y avoit de l' obscurité, elle demandoit jour d' advis pour communiquer aux sainctes, avecques lesquelles elle parloit, comme en cas semblable, si les juges se trouvoient empeschez sur ses responses, ils en escrivoient à l' Université de Paris, a fin d' en avoir son opinion, laquelle s' assembloit tantost aux Bernardins, tantost aux Mathurins, & pour cette cause le procez est plain d' une infinité de ses advis, qu' il n' est besoin d' inserer icy. Je me contenteray seulement de vous representer l' ame de ce procez, au moins mal qu' il me sera possible.

Interrogee sur le premier article de dire verité, respondit que ses pere, & mere elle les diroit, mais des revelations, que non, & qu' elle les avoit dictes à son Roy Charles, & que dans huictaine elle sçavroit bien si elle les deuroit reveler. Interrogee de son nom, elle dist qu' en son pays on l' appelloit Jannette, & depuis qu' elle vint en France fut appellee Jeanne Darc, du village de Dompré: Que son pere s' appelloit Jacques Darc, & sa mere Isabelle: Que l' un de ses parrains estoit appellé Jean Lingue, l' autre Jean Berrey. De ses marraines, l' une Jeanne, l' autre Agnes, l' autre Sibille, & qu' elle en avoit eu encores quelques autres, comme elle avoit ouy dire à sa mere: Qu' elle estoit lors de l' aage de vingt & neuf ans ou environ, Lingere & Fillandiere de son mestier, & non bergere, alloit tous les ans à confesse, oyoit souvent une voix du Ciel, & que la part où elle l' oyoit y avoit une grande clarté, & estimoit que ce fust la voix d' un Ange. Que cette voix l' admonestoit maintesfois d' aller en France, & qu' elle feroit lever le siege d' Orleans, luy dist qu' elle allast à Robert de Baudricourt, Capitaine de Vaucouleur, lequel luy donneroit escorte pour la mener, ce qu' elle fit, & le cogneut par cette voix. Item dixit quod bene scit quòd Deus diligit ducem Aurelianensem, ac etiam quòd plures revelationes de ipso habuerat, quàm de alio homine vivente, excepto illo, quem dicit Regem suum. Qui est à dire, item elle dit qu' elle sçavoit bien que Dieu aimoit le Duc d' Orleans, & qu' elle avoit eu plus de revelations de luy, que de nul autre vivant, fors & excepté de celuy qu' elle appelle son Roy. Recognoist avoir fait donner une escarmouche à jour de feste devant Paris: Interrogee si c' estoit bien fait, elle dist, passez outre: Interrogee quand elle avoit ouy la voix, elle respond, hier trois fois, la premiere au matin, la seconde sur le vespre, & la troisiesme, quum pulsaretur pro Ave Maria de sero. On l' interroge si elle a veu des Fees, dit que non, qu' elle sçache: mais bien qu' une sienne marraine femme du Maire d' Aulbery se vantoit les avoir quelquesfois veuës vers l' arbre des Fees, joignant leur village de Dompré. Qui estoient ceux ou celles qui parloient à elle, dit que c' estoit saincte Catherine, & saincte Marguerite, lesquelles elle avoit veuës souvent, & touchees depuis qu' elle estoit en prison, & baisé la terre par où elles estoient passees, & que de toutes ses responses elle prenoit conseil d' elles: Qu' elle avoit pris la robbe d' homme par expres commandement de Dieu: Qu' elle fut blecee au col devant la ville d' Orleans: Item dicit quòd antequam sint septem anni, Anglici, dimittent maius vadium quàm fecerunt coram Aurelianis, & quòd totum perdent in Francia: Dicit etiam quòd praefati Anglici habebunt maiorem perditionem, quàm unquam habuerunt in Francia, & hoc erit per magnam victoriam, quam Deus mittet Gallis. Qui est à dire, Item elle dit que devant qu' il soit sept ans, les Anglois delairront un plus grand gage que celuy qu' ils firent devant Orleans, & qu' ils perdront tout ce qu' ils ont dans la France. Dit en outre qu' ils feront une perte plus grande en France qu' ils n' avoient fait auparavant: & que cela adviendra par une grande victoire que les François avront sur eux. Interrogee si elle portoit quelques armoiries, dist que non, ains seulement son estendart. Mais que le Roy en avoit donné à ses freres c' est à sçavoir un escu en champ d' azur, auquel il y avoit deux fleurs de Lys d' or, au milieu une couronne. Je diray cecy en passant, que le Roy d' Angleterre escrivant une lettre aux Prelats, concernant la presomption de cette Pucelle. Elle avoit esté (dit-il) si audacieuse de charger les fleurs de Lys en ses armes, qui est un escu à champ d' azur, avec des fleurs de Lys d' or, & une espee la pointe en haut feruë en une couronne. Au demeurant elle dit à l' Evesque que son pere un jour entre les autres songea qu' elle iroit avec des gensdarmes: Ce que craignant il la tenoit ordinairement de court, & disoit souvent à ses fils que s' il pensoit que cela deust avenir, il avroit beaucoup plus cher qu' on la noyast. On luy impute qu' estant prisonniere à Beaurevoir, elle avoit sauté du haut en bas de la tour pour se tuer, elle confesse le fait, mais que c' estoit en esperance de se sauver: Elle demande d' oüir la Messe, & puis de recevoir Dieu à la feste de Pasques, ce qu' on luy accorde, en reprenant l' habit de femme, mais elle n' y veut entendre. Sur le fait de l' adoration, dit que si quelques uns avoient baisé ses mains, ou sa robbe, ce n' avoit point esté de son consentement. Dit qu' à l' arbre des Fees, & à la fontaine pres de Dompré elle parla à sainctes Catherine, & Marguerite, mais non aux Fees: Et y commença de parler dés l' aage de treize ans. Que quelquesfois on luy avoit bien imputé d' avoir parlé aux Fees, mais qu' il n' en estoit rien, & ainsi l' avoit dit à un de ses freres. Qu' au 20. an de son âge elle alla à Neuf-chastel en Lorraine, où elle demeura chez une hostesse nommee la Rousse, & là menoit les bestes aux champs, mesmes les chevaux paistre, & abreuver: Et ainsi apprit de se tenir à cheval: Que pendant qu' elle estoit à Neuf-chastel, elle fut citee pardevant l' Official de Toul pour un mariage, mais qu' elle gaigna sa cause. Qu' apres y avoir servy cinq ans, elle retourna chez son pere, puis malgré luy s' en alla à Vaucouleur, où Robert de Baudricourt ne tint compte d' elle pour la premiere, ny seconde fois, mais à la troisiesme, il la receut & l' habilla en homme, puis luy bailla vingt Chevaliers, un Escuyer, & quatre varlets qui la menerent au Roy estant à Chinon. Sollicitee par ses Juges de reprendre l' habit de femme, elle respond qu' elle ne requeroit d' avoir de cet habit qu' une chemise apres sa mort. De rechef solicitee de laisser l' habit d' homme, & qu' en ce faisant on la recevroit au S. Sacrement de Communion. Noluit huic praecepto obsequi, in quo apparet peruicacia eius, & obduratio ad malum, & contemptus Sacramentorum. A la fin elle accorde de reprendre une robbe de femme pour ouyr la Messe, mais à la charge que l' ayant ouye elle reprendroit celle d' homme. Ad hoc fuit et dictum quod ipsa caperet habitum muliebrem simpliciter, & absolutè. Ad quod ipsa respondit, Tradatis mihi habitum ad modum unius filiae Burgensis, scilicet unam Houpelandam longam, & similiter Capitium muliebre, & ipsa accipiam pro audiendo missam. Dicebat se malle mori, quàm revocare id quod Dominus fecit sibi fieri, hoc est ut ferret habitum virilem. Dit qu' elle avoit promis au Roy lors qu' elle le salüa la premiere fois de faire lever le siege d' Orleans, de le faire sacrer Roy, & qu' elle le vengeroit de ses ennemis. Luy fut improperé que tousjours elle avoit empesché la paix avec l' Anglois. Ce qu' elle accorda, disant que la paix ne se pouvoit faire qu' ils ne vuidassent du tout de la France. Le Promoteur luy reproche qu' elle avoit faict cacher derriere l' Autel de saincte Catherine de Fierbois une espee qu' elle envoya querir depuis qu' elle eut parlé au Roy pour le tromper: Quod ipsa negat, scilicet se fecisse hoc dolosè: Bien confesse-elle qu' avant qu' aller à Chinon, elle avoit ouy trois Messes en ce lieu de saincte Catherine: Luy reproche d' avantage qu' elle se disoit avoir esté envoyee de Dieu pour faire la guerre. Chose du tout contrevenante à sa volonté pour n' avoir rien tant en horreur, que l' effusion de sang. Respond que par les lettres qu' elle avoit escrites au Roy d' Angleterre, & Princes de son sang, elle avoit premierement demandé la paix, & depuis faict la guerre. La teneur de la lettre est transcrite au procez: Qu' elle avoit faict mourir un Franquet, dict que c' estoit un volleur: que pour tel recogneu, il fut defaict par sentence du Bailly de Senlis: Qu' elle avoit plusieurs fois receu le Corpus Domini en habit d' homme, & aussi qu' elle avoit flechy le genoüil devant les dictes voix, ce qu' elle recogneut, & confessa. Le Promoteur. Item quod ipsa Ioanna in tantum suis adinventionibus Catholicos seduxit, quod multi in praesentia eius eam adoraverunt ut sanctam, & adhuc adorant in absentia, ordinando in reverentiam eius Missas & Collectas in Ecclesiis: imò dicunt eam maiorem esse omnibus sanctis Dei post beatam Virginem, elevant imagines, & repraesentationis eius in basilicis sanctorum, ac etiam in  plumbo, & alio metallo repraesentationes eius super se ferunt. A quoy elle respondit qu' elle s' en rapportoit à Dieu. Contra praceptum Dei  assumpsit dominationem supra viros, constituendo se caput exercitus. Elle dit que si elle avoit esté chef de guerre, c' avoit esté pour battre les Anglois: Dict en outre que son estendart estoit de toille, ou boucassin bordé de veloux, avecques un champ semé de fleurs de Lys, au milieu d' iceluy y avoit un Dieu figuré, tenant un monde costoyé de deux Anges revestus de blanc, & au dessous estoit escrit; Iesus Maria. Il n' y avoit en cette responce aucun mal, toutesfois les Juges tournans tout ce qui avoit esté par elle fait ou dit en venin, luy remonstrerent que Voluerat attribuere tales vanitates Deo, & Angelis, quod est contra reverentiam Dei & Sanctorum: Et si sa fiance estoit en son estendart: A quoy elle respondit sagement, que toute sa fiance estoit en celuy dont elle portoit l' image. Pourquoy elle tint seule cet estendart sur l' Autel, quand le Roy fut couronné, Illud fuerat (dit-elle) in poena, & ideo rationabile erat quod esset in honore. Qu' ayant esté blecee devant Paris, elle offrit depuis, & fit appendre dans l' Eglise sainct Denis son harnois par gloire, dit que par devotion elle l' offrit à S. Denis, comme font tous ceux qui sont blecez en guerre, aussi que S. Denis est le commun cry de la France, S. Denis Mont-joye. On luy demande si elle se vouloit rapporter au jugement de l' Eglise militante: Elle dit que ouy, pourveu qu' elle ne luy commandast rien impossible, Scilicet declarata per eam de visionibus, & revelationibus, quas dixit se fecisse ex parte Dei, quas nollet revocare pro quocunque, & si Ecclesia diceret istas visiones esse illusiones, nollet tunc se referre ad hominem, sed ad Deum.

Les articles tirez des confessions de la Pucelle estoient, qu' elle aagee de treize ans, disoit avoir veu sainct Michel, saincte Catherine, & saincte Marguerite, mesme une grande troupe d' Anges. Que ces sainctes luy conseillerent depuis d' aller trouver Charles VII. pour le secourir, & de changer l' habit d' homme, lequel elle avoit mieux aimé porter que d' oüyr la Messe, ou recevoir le precieux Corps de nostre Seigneur, & avoit refusé en cela de se soubmettre au jugement de l' Eglise militante, ains s' en estoit rapportee au seul Dieu. Item quod dicit quod ipsa est certa de quibusdam mere contingentibus, & occultis, & quod cognovit per voces, quas nunquam ante viderat. Ulterius dicit quod ex quo habeat de mandato Dei deferre habitum viri, oportebat eam accipere tunicam brevem, Caputium, Gipponem, brachas, & caligas cum aiguilletis, capillis suis super aurium summitates scißis in rotundum. D' avantage qu' elle s' estoit precipitee du haut en bas de certaine tour, aymant mieux mourir que de tomber és mains des ennemis: Et quod non tantum audivit, & vidit, sed etiam tetigit corporaliter & sensibiliter Catharinam, & Margaretam, & osculata erat terram, super quam gradiebantur.

En fin apres que le Promoteur eut pris telles conclusions qu' il luy pleut par sentence de l' Evesque, & du Vicegerent de l' Inquisiteur, il est dit que tout ce qui avoit esté fait par la Pucelle, n' estoit que factions, & tromperie, pour seduire le pauvre peuple, ou bien invention du Diable, & qu' en tout cecy elle avoit commis blaspheme contre l' honneur de Dieu, impieté contre ses pere, & mere, idolatrie contre l' honneur de nostre mere saincte Eglise. Autre blaspheme d' avoir mieux aimé ne recevoir le Corps de Dieu, & communier au S. Sacrement de l' Autel, que de quitter l' habillement d' homme. A ce jugement opinerent les Evesques de Constance, & Lizieux, le Chapitre de l' Eglise Cathedrale de Roüen, seize Docteurs, & six tant Licentiez, que Bacheliers en Theologie, & unze Advocats de Roüen. Cette sentence envoyee à l' Université de Paris, pour donner advis sur icelle, elle s' assembla au College de sainct Bernard, sous l' authorité de Maistre Pierre de Gonda Recteur, & apres avoir le tout veu, la Faculté de Theologie fut d' advis par l' organe de Maistre Jean de Troyes, celle de Decret par celuy de Maistre Guerraut Boissel leurs Doyens, que la Pucelle estoit vrayement heretique & schismatique, & sur cette resolution l' Université depescha deux lettres du quatorziesme jour de May, mil quatre cens trente & un. L' une au Roy Henry, l' autre à l' Evesque de Beauvais, a fin de la faire mourir: Toutes-fois cet advis ne fut suivy pour ce coup, mais ayant esté la Pucelle admonestee de se soubmettre au jugement de l' Eglise, elle fait responce qu' elle entendoit se soubmettre à toute raison, ainsi qu' elle avoit tousjours protesté par son procez: On l' exposa sur un escharfaut public, où apres avoir esté preschee, elle dit lors qu' elle se soubmettoit au jugement de Dieu, & de nostre sainct Pere le Pape. Puis voyant que l' on vouloit passer outre, elle protesta de tenir tout ce que l' Eglise ordonneroit, disant plusieurs fois que puis que tant de gens sages soustenoient que les apparitions n' estoient de Dieu, elle le vouloit aussi croire, & fit une abjuration publique inseree tout au long au procez. Sur quoy intervint autre sentence, par laquelle elle est absoulte du lien d' excommunication, & condamnee à perpetuelle prison, Ut cum pane doloris ibi commissa defleret. Et deslors elle reprit l' habit de femme, & l' envoya-l'on en une prison les fers aux pieds: Ce neantmoins furent mis ses habillemens d' homme pres d' elle, pour voir quels seroient ses deportemens. Elle ne fut pas si tost seule, & revenuë à son second penser, qu' elle fit penitence de son abjuration, & reprit ses premiers habits d' homme. Le lendemain au matin visitee, estant trouvee en son ancien appareil, & interrogee sur ce changement, elle respond l' avoir faict par le commandement expres des sainctes, & qu' elle aimoit mieux obeïr aux commandemens de Dieu, que des hommes. A ce mot on la declare heretique relapse, & tout d' une suitte elle est renvoyee au bras seculier, où elle fut condamnee d' estre bruslee toute vifve par sentence du trentiesme May 1431. depuis envoyee au Parlement de Paris, pour y estre enregistree. Les Normans non contens de l' avoir condamnee à mort, la voulurent mitrer lors qu' ils l' envoyerent au gibet, & estoient ces mots escrits sur la mitre, Heretique, Relapse, Apostate, Idolatre, & au devant d' elle un Tableau plain d' injures & contumelies, ne se pouvans assouvir de sa seule mort, ores qu' elle fust tres-cruelle.

L' Université de Paris voulant aussi joüer son rolle, fit une procession generale le jour de sainct Martin d' Esté à sainct Martin des Champs, où un frere Dominicain fit une declamation encontre cette pauvre fille, pour monstrer que tout ce qu' elle avoit faict c' estoient œuvres du Diable, non de Dieu.

Au milieu de tous ces fleaux toutes-fois, pendant qu' on luy faisoit son procez, vint à Paris une femme nommee Peronne, qui estoit du pays de Bretagne, laquelle soustint publiquement que la Pucelle avoit esté envoyee de Dieu, & que de ce elle avoit plusieurs revelations par l' Ange, qu' elle voyoit souvent habillé de robbe blanche: Et parce qu' elle ne voulut jamais desmordre cette creance, elle fut escharfaudee, & preschee le troisiesme de Septembre, mil quatre cens trente, & le jour mesme bruslee. C' estoit six ou sept mois auparavant la condamnation de la Pucelle. Depuis les affaires de la France estans devenuës plus calmes par l' extermination des Anglois, Maistre Robert Cibole Docteur en Theologie, Chancelier de l' Université, par Livre exprez escrivit en l' an mil quatre cens cinquante six, contre tous ceux qui l' avoient declaree heretique, j' en ay veu autres fois le Livre és mains du Feron, ce grand rechercheur d' armoiries.

Mais puis qu' un Theologien, & Chancelier de l' Université n' a douté d' accuser tous ces Messieurs là d' impieté, pourquoy ne suivray-je ses traces? S' il vous plaist recueillir ce que j' ay discouru cy-dessus, tout le motif de sa condamnation fut pour deux causes: L' une pour s' estre contre les commandemens de S. Paul habillee en homme, l' autre pour avoir adjousté foy aux voix, qui se presentoient à elle de nuict. Or pour le regard de ces voix, on ne peut dire que ce fust artifice, cela pouvoit estre dit, quand elle se presenta au Roy, a fin d' exciter les Capitaines, & soldats, à se plonger de meilleur cœur dans la querelle de leur Prince: Mais estant és mains de la Justice, se pouvant garantir de la mort, comme elle avoit fait en quittant les habillemens d' homme, & neantmoins le lendemain les ayant repris, qui luy estoit une asseurance de mort tres-cruelle, il ne faut point faire de doute, qu' elle r'entra sur ses alteres par l' advis qu' elle en eut la nuict, comme elle confessa à ses Juges. Quel jugement doncques pouvons nous en cecy faire d' elle, je dy pour en parler sans passion? Non autre certes, sinon qu' elle estimoit que toutes ces voix venoient de Dieu, qui luy avoit du commencement commandé de prendre l' habit d' homme pour sauver le Roy, & puis ne le laisser quelque crainte de mort que l' on luy mist devant les yeux: Et c' est pourquoy elle dist tant de fois, que combien qu' elle se soubmist au jugement de l' Eglise militante, toutes-fois elle vouloit embrasser premierement celuy de Dieu. Mais cette voix estoit-elle de Dieu, ou du Diable? Je sçay bien que le Diable se transforme assez souvent en l' Ange de Dieu pour nous piper. C' est ce que l' Evangile nous enseigne: puis qu' il joüe de fois à autre ce personnage, il faut doncques croire que Dieu envoye aussi quand il veut ses bons Anges sous telles images qu' il luy plaist, pour nous induire à bonnes choses. La Bible est toute pleine de tels exemples. Le mesme Dieu qui estoit lors, est celuy qui gouverne cet Univers, pourquoy douterons nous que sa puissance ne soit telle, & par consequent ses effects? En tout ce procez par moy discouru, vous ne remarquez autre chose qu' une ame toute Catholique, qui ne demande que confession, oüir la Messe, recevoir Dieu, moyennant que ce soit en l' habit qui luy est commandé par les voix: Parce qu' elle estime que ce soit un commandement expres, & particulier de Dieu qui luy est fait. Mais pourquoy prit-elle l' habit d' homme? Estoit-ce pour un meschant œuvre? Pour porter confort & aide à son Roy, contre l' indeuë usurpation des Anglois. Davantage voyez comme illuminee des rayons du sainct Esprit par ces voix, elle predit des choses qui advindrent: Car je vous laisse à part, qu' elle recogneut premierement Baudricourt, puis le Roy, que elle n' avoit jamais veu, cela pouvoit estre sujet à caution, & pourra quelque sage-mondain dire que c' estoit une partie joüee par l' entremise de quelques uns, qui luy avoient servy sous main de protecoles: Quant à moy, je veux croire que ce fut par inspiration de Dieu, puis qu' en tout ce que je diray cy-apres, je n' y voy nulle hypocrisie. Elle dit au Roy qu' elle estoit envoyee de Dieu pour degager Orleans du siege, puis pour faire Sacrer, & Couronner le Roy à Rheims, ne le fit-elle? Par les lettres que sur son advenement elle escrivit au Roy d' Angleterre, elle luy manda que s' il n' entendoit à la paix, il verroit le Roy Charles entrer en tout honneur dans Paris, & qu' ainsi luy avoit esté revelé, cela n' advint-il puis apres? Par une de ses responces elle dit à ses Juges que le Duc d' Orleans estoit bien aimé de Dieu, comment pouvoit-elle juger cela que par l' inspiration divine? Elle dit encores à ses Juges qu' avant le terme de sept ans, l' Anglois seroit exterminé de la France. S' il ne le fut de la France, ne le fut-il de Paris en l' an mil quatre cens trente six ville capitale de la France, par le moyen dequoy le Roy Charles gaigna quarante cinq dessus la partie? Mais sur tout me plaist quand cette guerriere pour braver ses Juges par une belle saillie, leur dit que le Duc d' Orleans qui estoit leur prisonnier il y avoit quinze ans passez, estoit le bien aymé de Dieu. Voyons si cette parolle fut menteuse. Il sortit de prison l' an mil quatre cens quarante, & à son retour espousa en la ville de sainct Aumer, Catherine de Cleues, niepce de Philippes Duc de Bourgongne, dont il eut un seul fils du nom de Louys. Auparavant sa prison il avoit eu un enfant naturel Jean Comte de Dunois, appellé communément par nos Historiographes, le Bastard d' Orleans, qui depuis és annees mil quatre cens cinquante & deux, reduisit sous la puissance du Roy Charles les pays de Normandie & Guyenne. Et quant au legitime ce fut nostre bon Roy Louys douziesme de ce nom, qui pour ses bons & doux deportemens fut apres son decez honoré du bel Eloge de Pere du Peuple, qu' un Claude de Seissel Evesque de Marseille ne douta par livre exprez de parangonner à tous les autres Roys de France. Un Prince pouvoit-il estre mieux aimé de Dieu, que de luy envoyer deux enfans, ausquels nostre France fut depuis tant redeuable? Et puis au bout de cela apres tant de bons actes, apres tant de predictions veritables, en une querelle si juste, apres tant d' heureux succez, nous dirons que c' estoient illusions du Diable? Certes il ne faut point avoir de pieté en la teste qui le soustiendra. Adjoustez, & cestuy est un traict d' Histoire fort memorable: si les anciennes Histoires sont vrayes on trouve unes Semiramis & Jeanne, qui sous habillemens d' hommes exercerent, celle là une Royauté, cette-cy la Papauté: Toutesfois avant que la partie fust parachevee, elles nous servirent d' un plat de leur mestier: Parce que chacune fit un enfant, chose qui leva leur masque. Mais nostre Jeanne, encores que l' Anglois recherchast tous moyens de la calomnier, si ne luy impropera-il impudicité par tout le discours de son procez, jaçoit qu' elle eust vescu au milieu de plusieurs grandes armees, où telle desbauche est plus que souvent en usage. Et c' est pourquoy la posterité non sans grande raison luy donna le tiltre de Pucelle, qui luy est demeuré jusques à huy. Ce neantmoins il y a aujourd'huy quelques plumes si eshontees qui ne doutent de la pleuvir pour garce de Baudricourt. Au demeurant je ne veux oublier que sa memoire fut de si grande recommandation entre nous apres sa mort, qu' en l' an 1440. le commun peuple se fit accroire que la Pucelle vivoit encores, & qu' elle estoit eschappee des mains des Anglois, qui en avoient fait brusler une autre en son lieu: Et pource qu' il en fut trouvee une en la gendarmerie en habillement desguisé, le Parlement fut contraint la faire venir, la representer sur la pierre de Marbre du Palais, au peuple, pour monstrer que c' estoit une imposture.

Je serois ingrat envers la memoire du Roy Charles premierement, puis de cette miraculeuse guerriere, si pour closture de ce Chapitre, je n' y enchassois cet Eloge, qui me semble d' une singuliere recommandation. Elle avoit trois freres, Jaquemin, Jean, & Pierre dit Pierrelot, dont les deux derniers s' embarquerent à pareille fortune que leur sœur, faisans profession des armes. Le Roy en consideration des grands & signalez services qu' il avoit receuz de la Pucelle, tant à la levee du siege d' Orleans, que son Sacre, dont elle avoit esté la principale porte-banniere, l' annoblit, ensemble ses pere, mere, freres, & leur posterité, tant masculine que feminine, par ses Patentes en forme de Chartre, donnees à Mehun sur Yeure, au mois de Decembre mil quatre cens vingt-neuf, verifiees le seiziesme de Janvier ensuivant, en la Chambre des Comptes de Paris, lors transferee à Bourges. La teneur des lettres est telle. Considerantes laudabilia grataque servitia nobis ac regno nostro iam per dictam Ioannam puellam multimode impensa, & quae in futurum impendi speramus, certisque alijs causis ad hoc animum nostrum inducentibus, praefatam puellam, Iacobum Darc patrem, lsabellam eius uxorem, matrem, Iacqueminum, Ioannem & Petrum Perrelo, fratres ipsius puellae, & totam suam parentelam, & lignagium, & ion favorem & pro contemplatione eiusdem & eorum, posteritatem masculinam, & foemineam in legitimo matrimonio natam & nascituram nobilitavimus, & peu apres. Concedentes eisdem & eorum posteritati, tam masculinae, quam femineae, in legitimo matrimonio procreatae, & procreandae, ut ipsi feoda & retrofeoda, & res nobiles à nobilibus, & alijs quibuscumque personis acquirere, & tam acquisitas, quàm acquirendas retinere ac possidere perpetuo valeant. Privilege admirable, & non jamais octroyé à autre famille. Bien trouvons nous un Eude le Maire natif du village de Challo sainct Mas pres d' Estampes, & ses successeurs tant en ligne feminine que masculine avoir esté dispensez de toutes daces: mais non pour cela reputez Nobles, ny joüy du Privilege de Noblesse. 

Jamais service fait à la France ne vint au parangon de celuy de la Pucelle. Aussi jamais lettres d' annoblissement ne furent de tel poids & mesure que celles-cy. Annoblissement tellement embrassé, que comme ainsi soit qu' en la Normandie, il y ait quelques hommes issus des filles de cette lignee, ils joüissent de ce privilege. Et ainsi voy-je, uns Robert Fournier, Lucas de Chemin, oncle & nepueu, apres ample cognoissance de cause, & examen de leur genealogie, avoir fait enregistrer ces lettres d' annoblissement pour eux & les leur en la Cour des Aydes de Normandie, le 13. Decembre 1608. depuis que le Privilege d' Eude le Maire a esté supprimé.

Or pour plus signalee remarque de cette gratification, le Roy Charles voulut que les freres de la Pucelle portassent en leurs armoiries un escu en champ d' azur, auquel y avroit deux fleurs de Lys d' or, & au milieu une Couronne: & en outre, qu' au lieu du surnom Darc qu' ils avoient apporté du ventre de leur mere, ils fussent de là en avant surnommez du Lys. Comme si la Couronne de France, & le Lys eussent par les paradoxes exploicts & chef d' œuvres de la Pucelle repris leur ancienne force, dignité & vertu. Chose que je descouvre par un extraict tres-notable dont je vous veux faire part. Dés l' an mil quatre cens vingt cinq, on avoit baillé à six liures de rente fonciere par chacun an, le marc d' argent revenant à sept liures, une Isle assise sur la riviere de Loire, contenant deux cens arpens, vulgairement appellee l' Isle aux Boeufs, dont les Receveurs du Domaine d' Orleans, faisoient estat par leurs comptes: Advient que les detempteurs s' en departent le vingt & sixiesme Juillet, mil quatre cens quarante trois, & la remettent és mains de Charles Duc d' Orleans pere de Louys, qui fut depuis Roy de France douziesme du nom, lequel deux jours apres en fit don à Pierre frere de la Pucelle, verifié le vingtneufiesme par Maistre Jean le Fuzelier General de ses finances, pour en joüïr par luy & Jean son fils leurs vies durant, en consideration dequoy cette partie depuis mise en recepte fut couchee à neant, tant & si longuement qu' ils vesquirent. Comme de faict vous trouvez tout cela amplement narré par le compte de l' an mil quatre cens quarante quatre, rendu en la Chambre des Comptes, par Maistre Robin Gaffard, portant entr'autres choses l' article de recepte ces mots qui servent à mon intention. Laquelle Isle mon dict Seigneur le Duc a donné à Messire Pierre du Lys Chevalier; Oüye la supplication du dit Messire Pierre, contenant que pour acquiter la loyauté envers le Roy nostre dit Seigneur, & Monsieur le Duc d' Orleans, il se partit de son pays pour  venir au service du Roy nostre dit Seigneur, & de Monsieur le Duc en la compagnie de Jeanne la Pucelle sa sœur, avec laquelle jusques à son absentement, & depuis jusques à present il a exposé son corps & ses biens ou dit service, & au fait des guerres du Roy, tant à la resistance des anciens ennemis du Royaume, qui tindrent le siege devant la ville d' Orleans, comme à plusieurs voyages faicts & entrepris par le Roy nostre dit Seigneur, & ses chefs de guerre, & autrement en plusieurs & divers lieux. Je vous laisse le demeurant de l' article, auquel est pareillement fait mention de Jean du Lys fils de Pierre: Me contentant qu' on voye que ce Pierre surnommé du Lys estoit frere de la Pucelle. Surnom que je voy luy avoir esté baillé, & à son fils en tous les comptes subsequens faisans mention d' eux.

Je ne me puis faire accroire que cestuy ayant affaire à un grand Prince du Sang eust osé changer son surnom Darc en celuy du Lys: sans que luy & ses freres eussent permission expresse de ce faire, par le benefice du Roy. Mais sortout me plaist qu' on trouve par quelques anciens tiltres que plusieurs des leur qui les survesquirent, apres avoir mis le surnom du Lys, adjoustoient tout suivamment ces mots Dits la Pucelle, pour monstrer qu' ils estoient de sa lignee. Au demeurant comme par succession de temps cette famille fut casuellement espanduë en diverses branches par la France, tant en lignee masculine que feminine: Aussi Maistre Charles du Lys, Conseiller du Roy, & son Advocat general en la Cour des Aydes de Paris, a pardevers soy plusieurs enseignemens, par lesquels il se treuve & preuve en estre un des rejettons.

6. 5. Sommaire du procés de Jeanne la Pucelle.

dimanche 6 août 2023

8. 40. Plus malheureux que le bois dont on fait le Gibet.

Plus malheureux que le bois dont on fait le Gibet.

CHAPITRE XL.

Quiconque fut le premier du peuple qui mist en avant ce commun dire, il avoit tres-mal digeré l' entretenement & police de toute Republique bien ordonnee. Car tant s' en faut que j' estime le bois du Gibet mal-heureux, qu' au contraire je le pense nous rapporter un grand fruict, & merveilleusement heureux, pour estre l' un des principaux moyens, par lequel toute Republique demeure calme, & sans trouble. Parquoy je n' eusse passé facilement condemnation à Monsieur Riant Advocat du Roy en la Cour de Parlement, lequel prenant en l' audiance ses conclusions de mot contre un pauvre coupebourse, qui en plein plaidoyer avoit esté surpris au meffaict, dist pour le commencement de sa harangue, que son office estoit un mal necessaire: A mon jugement il luy eust esté trop plus seant de l' appeller Bien necessaire. Car tout ainsi que la Medecine de laquelle tout le sujet gist à entretenir en bonne santé le corps humain, ou bien de la luy restituer lors qu' elle se trouve esgaree, ne se pratique seulement par potions, quand le corps se trouve ou trop replet ou trop vuide: mais aussi à la coupe des membres mutilez, a fin qu' ils n' offencent les autres, & toutesfois pour cela nous avons en aussi grande recommandation le Chirurgien en son endroit, que le Medecin au sien. Aussi en une Republique outre les remedes civils & ordinaires qui s' observent, en sont requis d' autres, lesquels servent d' esmonder les mauvaises branches, qui par leur croissance pourroyent nuire au principal tige, c' est à dire, à toute la communauté du peuple: Au moyen dequoy pour le regard du bois qui est dedié à tel office, les bons devroient presque souhaiter qu' il y eust en chaque ville un Jardin de telles plantes, pour la suppression des meschans, tout ainsi que ja dis quelque personnage d' esprit estant mal mené de sa femme, & entendant qu' à un Figuier quelques femmes s' estoient penduës: Donne moy (dit-il à son voisin) de ce Greffe, a fin que je l' ente en mon Jardin, pour me rapporter de ce fruit. Et toutesfois si à un Gibet nous voulons avec le commun peuple trouver quelque desastre, ou malheur: Bien malheureux fut le Gibet que nous lisons dans la Bible avoir esté par Aman dressé, pour pendre le pauvre Mardochee, auquel le mesme Aman fut pendu au moins de vingt & quatre heures apres. Et le Taureau de Phalaris, duquel l' inventeur fit la premiere espreuve aux despens de sa propre vie. Et sans aller chercher exemples plus loing, nous trouverons le semblable peut estre en celuy de nostre ville de Paris, que nous appellons Montfocon (Montfaucon), qui a apporté tel malheur à ceux qui s' en sont meslez, que le premier qui le fit bastir (qui fut Enguerrant de Marigny) y fut pendu: & depuis ayant esté refaict par le commandement d' un nommé Pierre Remy, luy mesme y fut semblablement pendu, comme Jean Bouchet a observé dans ses Annales d' Aquitaine, en la vie de Philippes de Valois. Et de nostre temps Maistre Jean Moulnier Lieutenant Civil de Paris y ayant faict mettre la main pour le refaire, la fortune courut sur luy, sinon de la penderie, comme aux deux autres, pour le moins d' amende honorable, à laquelle il fut depuis condamné, estant la rencontre de ce Gibet aussi malheureuse, que l' or Tholozan tant celebré par les Historiographes.

Phalaris condamnant le sculpteur Perillus, Baldassarre Peruzzi.


Taureau de Phalaris, Taureau d'airain

samedi 5 août 2023

8. 20. Assassin, Assassinat, Apannage, mots empruntez des Voyages d' Outre-mer.

Assassin, Assassinat, Apannage, mots empruntez des Voyages d' Outre-mer.

CHAPITRE XX.

En matiere d' Estat c' est une chose fort familiere, quand on se trouve le plus foible, de hazarder l' un de ses sujects contre le chef des ennemis pour le faire mourir, a fin de se garentir du danger où l' on estoit. Le Roy Porsenna au siege de Rome en eust peu dire quelque chose, quand Scevola, pour sauver sa ville, le pensa tuer, prit son Secretaire au lieu de luy. Ainsi fut meurdry le Roy Sigisbert à l' instigation de Fredegonde, lors que Chilperic son mary estoit par luy estroitement assiegé en la ville de Soissons, ou Cambray. Ainsi Amurath Roy des Turcs, dans sa chambre par un soldat qui faisoit semblant de luy vouloir baiser les mains: qui fut cause (dit Theodore Spadugin) que depuis il fut ordonné que les Gardes tiendroient les mains de tout homme qui viendroit salüer le grand Turc, pour obvier de là en avant à tel inconvenient. Et à peu dire, de nostre temps en cette façon fut occis François Duc de Guyse en l' an mil cinq cens soixante & un, par Poltrot devant Orleans: la mort duquel fit lever le siege, & tout d' une suite apporta la Paix par tout le Royaume. Cela s' est fait par des particuliers. Mais que tout un peuple par Loy ancienne du pays fust voüé à faire de tels meurdres, quand il en recevoit commandement par son Prince ou Superieur, je n' en trouve que deux manieres de gens, ceux qui de nostre jeune aage suivirent la secte des Anabaptistes soubs Jean Leïdan, & anciennement au Levant les Assaßins, subject de ce present chapitre. Celuy qui premier en introduisit l' usage fut un Seigneur, lequel lors de nos voyages d' outremer s' estant fortifié dans un Chasteau de tres-difficile accés, attiroit à sa suite plusieurs gens ramassez, ausquels il donnoit des brevuages pour les endormir d' un profond somme, & à leur resveil ils se trouvoient en une maison de plaisance, où ils estoient accueillis de toutes sortes de voluptez par personnes à ce atiltrees: Et apres avoir passé en cette façon quelques jours, finalement estans endormis par cette potion, puis resveillez on les presentoit à leur Prince, lequel s' informant d' eux de tout ce qu' ils avoient faict en dormant (car à vray dire ils estimoient que ce fust un Songe) il leur faisoit promesse d' un tel Paradis, là & au cas que pour la deffense de leur Religion ils voulussent entreprendre de tuer ceux des Chrestiens qui leur seroient par luy commandez: ce qu' ils sceurent fort bien exploicter, & depuis tels commandemens s' estendirent non seulement encontre les Chrestiens, mais aussi contre tous autres, ores qu' ils fussent Mahumetistes, ainsi qu' il sembloit bon à leur Roy. Chose à quoy ils se voüoyent d' un cœur si franc, & gay, que leur commun mauldisson estoit, Mauldy sois tu comme celuy qui s' arme de peur de mouri. Nicetas Senateur de Constantinople dit qu' ils portoient tel respect aux commandemens de leur Seigneur, que si seulement ils eussent descouvert à un clin d' œil, que sa volonté estoit qu' ils mourussent, ils se fussent precipitez du haut en bas d' une maison, & exposez au meillieu de cent espees, ou jectez au feu, ou dans l' eau, plustost qu' ils ne luy eussent obey: & qu' estans par luy deleguez pour tuer quelques Princes, ils se transportoient vers eux, comme leurs serviteurs, ou comme ayans à leur dire quelque chose à l' aureille pour  leur profit, & trouvans leur apoint, ils ne doutoient de les tuer, à la charge d' estre puis apres tuez. Vray que le passage est corrompu, les appellans Chaßins, au lieu d' Assaßins, tout ainsi qu' en un autre endroict vous trouverez Blachiens ceux qu' on disoit Valachiens. Guillaume de Nangy acquiesçant à cette opinion, dit que ce Roy des Assassins estoit non seulement redouté des Chrestiens, mais aussi des Sarrazins: Et parce que son passage fait grandement à mon intention, il me plaist de le vous transplanter icy tout au long. Ce tres-mauvais, & mal-veillant Seigneur de Assassins habitoit en la confinité & contree d' Antioche & de Damas en Chasteaux tresbien garnis sur montagnes: Celuy Roy estoit moult redouté & craint des Chrestiens, & des Sarrazins, Princes prochains, & lointains: pource que moult de fois eux par ses messagers indifferemment faisoit occire: car aucuns enfans commandoit de sa terre estre emmenez en ses Palais, & illec apprenoient toutes manieres de langue, & estoient enseignez d' aimer leurs Seigneurs sur toutes autres choses, & à luy jusques à la mort obeyr, qu' ainsi pourroient aux joyes de Paradis parvenir, & quiconque mouroit en obedience, estoit honoré au gré de la terre des Assassins: & ainsi à leur Roy obeyssans, moult de Princes occirent, comme ceux qui de leur mort avoient peu de crainte. 

Il dit vray: car par eux fut proditoirement mis à mort le Comte de Tripoly, & quelque temps apres Edoüart d' Angleterre, plus Thierry Prince de Tir. Philippe Auguste estant de retour de son voyage de Hierusalem, eut advis que le mesme Richard Anglois, avoit attitré quelques uns de ce peuple pour le meurdrir, qui le fit tenir sur ses gardes plus ententivement que de coustume. Sainct Louys en l' un de ses Voyages d' Outremer fut adverty qu' on luy vouloit dresser pareille embusche. Le tout de la mesme façon, que sur nos jeunes ans nous vismes un Jean Leïdan Prince des Anabaptistes, dont j' ay cy-dessus parlé, qui depescha douze de ses supposts pour tuer tous les Princes d' Allemagne, a fin de maintenir contr'eux sa Religion.

Tout de cette mesme façon les Jesuites ont introduit en leur Republique,  un nouveau formulaire d' Estat, non seulement contre ceux qui pretendent guerroyer leurs Roys, Comme contre le feu Prince d' Orenge, qu' ils firent assassiner dedans Anvers l' an mil cinq cens quatre vingts quatre par un Baltasard Girard, & encores contre le Prince Maurice son fils, l' an mil cinq cens quatre vingts dix-neuf, par Jean Parme: mais contre les Roys, & Roynes mesmes en & au dedans leurs Royaumes: Ainsi l' attenterent-ils par quatre fois contre la defuncte Royne Elisabeth d' Angleterre, par leur Jesuite Campian ou Campiense, l' an mil cinq cens septante huict. Par Guillaume Parry l' an mil cinq cens octante quatre à ce poussé & induict par Benedetto Palmio dedans la ville de Venise, & depuis confirmé dedans Paris, par Hannibal Coldreto: Par Patrice Culan 1588. persuadé par un meschant Jesuite nommé Holt. Et par Edoüard Squirre l' an mil cinq cens nonante sept par les inductions de leur Pere Richard Walpod. Ainsi deux fois contre nostre grand Roy Henry IIII. reduict sous l' obeyssance du sainct Siege de Rome, l' une en l' an mil cinq cens nonante trois par Pierre Barriere dit la Barre, dedans la ville de Melun, au beau milieu de la trefue, l' autre en celle de Paris l' an mil cinq cens nonante quatre par Jean Chastel dedans la Paix: celuy la mené à la main par les instructions & memoires de Varade & Commole Jesuites, & cestuy-cy nourry en leur escole dedans Paris: Ainsi l' ont-ils voulu de fraische memoire pratiquer, en l' an mil six cens cinq par leur Garnet contre Jacques Roy d' Angleterre, Escosse & Hibernie, c' est à dire la grande Bretagne. Et qui est une chose pleine de pitié & d' horreur tout ensemble: C' est que tout ainsi que le Prince des Assassins du Levant promettoit un Paradis asseuré à ceux qu' il mettoit en œuvre, là & au cas qu' ils mourussent sur cette querele, aussi font le semblable nos Jesuites à leurs champions, ausquels ils administrent premierement le Sainct Sacrement de penitence, puis celuy de communion, & armez de cette devotion leur laschent franchement la bride pour executer leurs detestables parricides. Institution impie, abhominable, & abhorrente de nostre Religion Chrestienne, mais grand artifice du Diable, pour les faire redouter, & consequemment quelquesfois embrasser par les Princes & grands Seigneurs, a fin de ne tomber en leurs aguets. Et qui est un malheur admirable, ce venin s' est espandu dedans quelques autres membres de nostre Eglise. Comme nous vismes par le malheureux parricide commis le deuxiesme jour d' Aoust mil cinq cens octante neuf en la personne de nostre bon Roy Henry troisiesme, à Sainct Cloud, par frere Jacques Clement Jacobin. Que Jean Mariana Jesuite a solemnizé comme chose tres-saincte au premier livre de son institution du Prince, chapitre sixiesme. Mais pour ne m' esloigner de mon but, combien que du commencement ces Assassins demeurassent en certaine contree, toutesfois ils furent depuis espandus en forme de secte par tout le Levant, ainsi que nous tesmoigne Jean Sire de Joinville, que les appelle Beduins: Mais il est certain que leur vray nom estoit d' Assassins, comme nous apprenons de Raphael Volaterran en sa Geographie, de Paule Aemile en ses Croniques de France, & de Guillaume Nangy par moy cy dessus allegué. Nicolas Gilles en ses Annales les appelle Arsacides d' un mot corrompu. Or d' eux est venu que la posterité tant en France, qu' en Italie: (car & François & Italiens entreprenoient d' ordinaire ensemblement tels voyages de Levant) appella Assassins ceux qui de sens froid, & guet apens faisoient des meurdres, & Assaßinats le mal qui en advenoit.

Au regard de l' Apanage, qui a exercité plusieurs esprits de la France, pour sçavoir dont il prenoit son origine: il est certain que tant sous la premiere que seconde lignee de nos Rois, mesmes bien avant sous la troisiesme, les Apannages estoient incogneus entre les enfans puisnez de la Couronne, tels que nous les observons aujourd'huy. Paul Aemile, autheur duquel je fais grand compte entre tous nos Historiographes, dit que Baudoüin Comte de Flandres, & Louys Comte de Blois s' estans croisez avec le Venitien, Baudoüin s' estant emparé de l' Empire de Constantinople, departit entre ses principaux Capitaines quelques Provinces, par forme de Panage. Nous y avons adjousté quelques formalitez tirees de nostre vieille Loy Salique.

vendredi 28 juillet 2023

7. 14. Des vers Latins retournez, & comme les François de nostre temps ont emporté en cecy le devant des anciens.

Des vers Latins retournez, & comme les François de nostre temps ont emporté en cecy le devant des anciens.

CHAPITRE XIV.

Je veux sur ce sujet discourir plus que nul autre n' a fait par le passé: Quoy faisant, paravanture la façon passera l' estoffe, & me feray-je tort à moy-mesme espinochant sur ces pointilles. Diomede au 3. Livre de sa Grammaire, appelle cette engeance de vers Reciprocos, Sidonius Apollinaris, Evesque de Clairmont en Auvergne, au 9. de ses Epistres, Recurrentes, nostre Estienne Tabourot, Retrogrades, dedans ses Bigarrures: Et moy je les veux nommer Retournez. Desquels il y a deux especes, les uns qui se tournent lettre pour lettre, & les autres mot pour mot. De la premiere Sidonius nous en a representez trois. 

Roma tibi subito, motibus ibit amor, 

Si bene te tua laus taxat, sua laute tenebis 

Sole medere pede, ede perede melos. 

Il y en a encore un autre ancien qui court par nos mains.

Signa te signa temere me tangis & angis. 

Esquels 4. vers se trouvent mesmes paroles par l' envers, comme à l' endroict, mais non aucun sens: hors-mis que pour y en trouver au dernier, quelques gausseurs font parler le diable, lequel portant en l' air sur son eschine un Chrestien, luy conseille de faire le signe de la Croix, a fin que ce luy fust sujet de le precipiter du haut en bas.

Et neantmoins ne pensez pas que la langue Latine ne soit capable de recevoir sens en telle maniere de vers: ainsi le verrez vous par cestuy, dont Messire Honoré d' Urfé Comte de Chasteau-neuf m' a fait part, Seigneur qui par un bel entrelas, sçait mester les bonnes lettres avec les armes.

Robur aue tenet, & te tenet Eua rubor. 

Qui est à dire que Eva avoit esté la premiere honte de nostre malheur, & Ave la premiere force de nostre restablissement. Symbolizant en cecy avec ce bel hymne de nostre Eglise, chantant que la Salutation Angelique pour nous sauver, changea ce fascheux nom d' Eva, en celuy d' Ave. Ce vers est une meditation spirituelle pour le salut de nos ames: Celuy que je vous reciteray cy-apres, sera une meditation temporelle pour la guerison de nos corps; auquel un sage medecin promet tout doux traitement à son malade, moyennant que pendant sa fievre il se vueille abstenir de trop boire.

Mitis ero, retine leniter ore sitim. 

Dont Nicolas Borbonius, que j' estime l' un des premiers Poëtes Latins de nostre temps, & de nostre France, m' a fait present. L' un & l' autre vers, quelques jours apres par moy monstrez à Pierre Reignol jeune Advocat plein de doctrine, & digne d' une grande fortune, me promist d' en faire non un, ains deux, ausquels y avroit accomplissement de sens. Et comme je m' en fusse mocqué, estimant que ce fust une rodomontade d' esprit, ou un Parturient montes d' Horace, toutes-fois quelque temps apres il me vint saluër de ce distique, que je trouvay admirable, apres l' avoir digeré, sur l' explication qu' il m' en fit.

Nemo *grec tetigit: tax attigit, & *grec, omen,

Ore feris animos, omina si refero.

Vous me trouverez d' un grand loisir, voulant deschifrer ce Distique, toutes-fois parce qu' en cette petite piece il y va de l' honneur de nostre France, pour monstrer ce que le François peut, és choses esquelles il tourne son entendement, je vous prie m' excuser, & n' estimer que je pedentise, si je fais un petit commentaire sur ces deux vers. Omen (en Latin) est augurium, & futurae rei enunciatio, ore hominis, quasi divino furore perciti. Tax est sonitus quem facit percußio. Et en cette signification, Plaute en sa Comedie de Persa en usa. Mot qui nous est autant naturel qu' au Romain, quand faisant joüer le marteau de nos portes, nous disons pour la rencontre du son, qu' il fait Tactac. Ces deux paroles de cette façon expliquees, ce jeune homme par forme d' un court Dialogue, introduit deux entreparleurs, dont le premier en ces mots, Nemo *grec tetigit omen, dit que le sage homme n' avoit jamais touché aux fantasques predictions des choses futures, comme estans une vraye folie: Et l' autre de contraire advis, respond brusquement, voire par une hyperbole, en ces mots, Tax attigit & *grec omen: voulant dire que non seulement le sage y avoit atouché, par la voix de l' homme inspiré d' une fureur, mais aussi le son d' un Tactac le luy pouvoit donner à entendre, & tout suivamment adjouste ce Pentametre.

Ore feris animos, omina si refero.

Tu me guerroyes de paroles, quand je soustien cette opinion de prediction. Et combien que je ne face grand estat de cette denree, toutes-fois comme je ne laisse aisément passer les occasions, lors qu' elles se presentent aussi depuis quelques jours en ça, me trouvant en une compagnie, où un personnage d' honneur portoit le surnom de Souriz, où sur la rencontre de ce mot ayant esté attaqué par quelque gausseur, je pris pour le mocqué sa defense, remonstrant que si en Latin il portoit le nom d' une bestiole, Sum Mus, on en pouvoit faire un Summus: Qui estoit d' un petit, faire un bien grand personnage. Et comme cette parole me fut à l' impourveu tombee de la bouche, aussi tost que je fus retourné en ma maison, sans grandement marchander avec ma plume je fis ce vers.

Sum Mus ore, sed is Sum Mus, si des ero Summus.

Vers paravanture champignon d' esprit, qui doit prendre fin du jour de sa naissance, dedans lequel toutes-fois vous trouverez non seulement un sens accomply, ains un contre-sens du petit au grand, sans aucun changement en la suitte des lettres, quand de ces deux mots Sum Mus, sur le commencement du vers, vous en faites un Summus en un mot vers la fin, & derechef voulant retourner le vers de ce Summus vous faites Sum Mus: & semblablement de Sum Mus premier mot un Summus. Et pour vous monstrer que le François est inimitable en matiere d' imitation, voire qu' il fait à ceux la leçon qu' il veut imiter, je vous diray que le 14. de Mars l' an 1574. un jeune Advocat Provençal, nommé André Mestrail, m' estant venu visiter, me dit qu' ayant leu mes Recherches, & signamment l' un des Chapitres du 6. Livre, cela avroit en luy excité un nouveau desir de braver toute l' ancienneté. Et de fait me fit present d' un petit Poëme de 54. vers Latins, tous retrogrades, qu' il avoit fait nouvellement imprimer, le tout comme un Roma tibi subitò, & au dessous un sien commentaire, pour monstrer qu' ils estoient intelligibles. Oeuvre peut estre aucunement ingrat d' un costé, mais grandement miraculeux d' un autre: Et je serois plus ingrat envers sa memoire, puis qu' il avoit esté induit à ce faire par ce qu' il avoit veu de moy, si je n' en faisois icy une honneste commemoration. 

Il s' estudia par un commentaire qui est au dessous, de monstrer qu' en toute cette suite de vers, il y a quelque sens. Chose dont je ne veux estre garend. Mais soit qu' il y en ait ou non, tant y a que ce sont 54. vers retrogrades, qui contrecarrent à bon escient les 4. de l' ancienneté. Toutes-fois comme ce Poëme est plein d' uns & autres Epigrammes, aussi y trouverez vous l' Epitaphe de nostre Roy Henry le Grand, que l' Autheur introduit parlant. Duquel je me contenteray de vous faire part du premier distique, que j' employe pour tout le tombeau, comme portant un sens bel & accomply.

Arca serenum me gere Regem (munere sacra)

Solem, aulas, animos, omnia salva, melos.

Discours que j' ay pris plaisir de vous mettre en son jour, non seulement en faveur de nostre France, mais aussi pour vous monstrer que s' il y a eu faute de sens aux quatre premiers vers Latins anciens, elle proceda des ouvriers, & non de la langue qu' ils mirent en œuvre, je veux dire de la langue Latine. Et suis cependant tres-glorieux, que non seulement nos François ayent de nostre temps fait sur ce sujet, honte à l' ancienneté, mais aussi que par hazard j' en aye esté aucunement le premier promoteur. Bien sçay-je qu' en cecy il y a plus de curiosité, que d' estude: mais si les anciens, voire un Evesque de marque, ne desdaignerent d' en faire estat par leurs livres, pourquoy ne le renvierons nous sur eux? Voila ce qui concerne les vers Latins, qui se retournent lettre pour lettre. Car quant à ceux qui se tournent mot pour mot, Diomede nous tesmoigne que l' usage en fut introduit de son temps, & remarque ces deux-cy, qui furent comme je croy de sa forge.

Veliuolis mare pes, fidentes tramite tranant, 

Caerula verrentes sic freta Nereïdes.

Et Sidonius Apollinaris ces deux autres.

Praecipiti modo quod decurrit tramite flumen

Tempore consumptum iam cito deficiet. 

Et estoit tombé en ce mesme accessoire Virgile long temps auparavant sans y penser au premier de son Aeneide.

Musa mihi caussas memora quo numine laesus, 

Laesus numine quo, memora caussas mihi musa. 

Et combien que Diomede, & Sidonius eussent mis leurs deux distiques sur la monstre, les estimans dignes d' estre veus, toutes-fois je n' y trouve pas grande grace. Ceux qui par une longue trainee des ans leur succederent, y apporterent bien plus de façon, & plus belle. Parce que faisans parler le courant du vers d' un sens, ils firent parler le revers d' un contre-sens. Et le premier qui joüa ce personnage fut François Philelphe, dedans ses Epistres, voulant depeindre de ses couleurs, un grand Prelat qui luy desplaisoit. 

Laus tua, non tua fraus, virtus, non copia rerum,

Scandere te fecit, hoc decus eximium. 

Tournez ce distique vous y trouverez le contraire. 

Eximium decus hoc fecit te scandere rerum 

Copia, non virtus, fraus tua, non tua laus. 

Jeu qui a grandement depuis provigné: Et nommément de nostre aage, nostre Joachim du Bellay, dedans ses Epigrammes Latins, y rencontra tres-heureusement. Nous avions lors deux grands ennemis, le Pape Jules le tiers, & l' Empereur Charles cinquiesme: & à la suite de luy Ferdinand son frere Roy des Romains, lesquels il voulut diversement gratifier de ces trois distiques.

Ad Iulium tertium, Pontificem Maximum. 

Pontifici sua sint divino numine tuta

Culmina, nec montes hos petat omnipotens. 

Ad Carolum quintum Caesarem.

Caesareum tibi sit foelici sydere nomen,

Carole, nec fatum sit tibi Caesareum.

Ad Ferdinandum Romanorum Regem.

Romulidum, bone Rex, magno sis Caesare Maior

Nomine, nec fatis aut minor Imperio.

Plus hardy est celuy que j' ay mis au sixiesme livre de mes Epigrammes, en un vers qui en fait deux, l' un Exametre, l' autre Pentametre. Car je fais parler le Catholique par cet Exametre.

Patrum dicta probo, nec sacris belligerabo.

Et le Huguenot par le Pentametre retourne, & retrouve dedans l' Exametre.

Belligerabo sacris, nec probo dicta Patrum.

Encore n' ay-je esté content de cestuy. Car au 2. Livre, je fis cet Epigramme en haine d' une paix fourree qui avoit esté par nous faite.

Mens bona, non nova fraus, pietas, non aulica fecit

Curia, id edictum Rex bone, pacificum; 

Plebs pia, non fera lex poterit, nunc vivere tecum,

Crescere, non labi, vis puto, sordidulè. 

Imperium, Deus, hoc servas, non perdis, amore

Fervida fit, nec pax haec tegit insidias. 

Magnifice, tibi Rex, succedant omnia, nunquam

Praelia sint, imo pax tibi perpetuo.

Retournez cette Epigramme de la fin au commencement, vous y trouverez une suite continuelle de contrarietez de sens. Tout ce que j' ay cy dessus discouru est pour le regard des vers Latins retournez.

lundi 17 juillet 2023

6. 28. Fin de la seconde famille d' Anjou; Comté de Provence

Fin de la seconde famille d' Anjou, avec un Sommaire discours tant sur le Comté de Provence escheu à noz Rois, que des voyages de Naples par eux entrepris.

CHAPITRE XXVIII.

Par cette Princesse Yoland, la seconde famille d' Anjou fondit en celle de Lorraine, & voicy comment.

Jean dix & neufiesme Duc de Lorraine, eut deux enfans, Charles son fils aisné qui luy succeda apres son decés, & Ferry Comte de Vaudemont, puisné.

De Charles nasquit Isabeau de Lorraine qui fut conjointe par mariage avec René Duc d' Anjou, qui se donnoit qualité de Roy de Sicile.

De ce mariage nasquirent Jean & Yoland. Car quant à une Marguerite femme d' un Roy d' Angleterre, je n' en fay mise, ny recepte, comme estant une piece hors œuvre.

Jean d' Anjou mourut auparavant René son pere, & eut un fils nommé Nicolas, qui mourut pareillement auparavant son ayeul. De maniere que toute la maison de René estoit aboutie en une seule Princesse Yoland d' Anjou.

De Ferry Comte de Vaudemont premier de ce nom, nasquit Anthoine, & de luy Ferry second.

Isabeau de Lorraine femme de René pretendoit apres le decés de Charles son pere, que le Duché de Lorraine luy appartenoit, comme seule fille & heritiere du Duc.

Anthoine au contraire soustenoit que ce Duché estoit un fief affecté aux masles qui ne pouvoit tomber en quenoüille. Partant qu' ores qu' il fust seulement issu du puisné, toutesfois estant masle il forcluoit cette Princesse. Nouveau subject de guerre entre luy & René. Auquel en fin René se trouva avoir du pire. Et ayant esté faict prisonnier d' Antoine, pour moyenner sa deliurance, il accorda le mariage d' Yoland sa fille avec Ferry fils d' Antoine. Quoy faisant on unit les deux branches de l' aisné & puisné de Lorraine ensemble. Sage conseil pour faire cesser les differents qui estoient entre eux. Mariage toutesfois que jamais René ne peut bonnement gouster pour avoir esté extorqué de luy. Tellement que tous ses projets ne tendoient qu' à coupper les aisles à son gendre. Et de faict Philippes de Commines nous tesmoigne, que s' il n' eust esté prevenu par le desastre qui advint à Charles Duc de Bourgongne contre les Souisses, il se fust donné à luy. Qui eust esté un mauvais party pour la France.

Or avoit il un frere puisné nommé Charles, auquel entre autre biens il laissa pour son partage le Comté du Maine, la Baronnie de Mayenne la Iouais, la Ferté Bernard, Sablé, & autres grandes terres & seigneuries. Ce Seigneur eut un fils portant le nom de Charles comme luy, que René par son testament de l' an mil quatre cens septante huict, institua son heritier universel: lequel choisit pour son domicile la Provence, dont il estoit Seigneur souverain, & y mourut quatre ans apres, & par son testament à l' instigation de Palamedes Forbin Seigneur de Soliers, qui avoit grande part en ses bonnes graces, institua son heritier particulier au Comté de Provence, le Roy Louys unziesme & ses successeurs Roys de France.

En ce Prince Charles dernier masle, prit fin, & le nom, & la familie d' Anjou, & fondit en celle de Lorraine par le mariage d' Yoland avecques Ferry de Lorraine, dont sont issus ces grands Princes Lorrains, que nous voyons aujourd'huy. Famille d' Anjou, (vous dis-je) enflee, tant en pretensions, que d' effect de trois Royaumes, Sicile, Poüille, & Hierusalem (& encore de celuy d' Arragon, si on eust faict droict à Yoland d' Arragon femme de Louys deuxiesme) de trois Duchez, Anjou, Lorraine, & Calabre, de trois Comtez, Provence, le Maine, & Bar; dont le dernier fut depuis erigé en Duché. Et furent les pieces esmorcillees à divers Princes: l' Arragonnois se lotit de la Sicile, Poüille & Calabre: Le Lorrain de la Lorraine & du Barrois, & encores de plusieurs autres seigneuries esparses, tant au pays du Maine, Provence, que plusieurs autres endroicts de la France. Le Roy Louys unziesme de la Provence, par le moyen du testament de Charles, & des Duché, d' Anjou, & Comté du Mayne par nostre droict de reversion à la Couronne, comme estans de l' ancien Domaine de France, qui ne tomboient en quenoüille. Car quant au Royaume de Hierusalem, ce fut un titre de parade, dont ny la premiere, ny seconde lignee d' Anjou, ne jouyt actuellement. Et comme le Roy Louys XI. estoit Prince qui ne laissoit perdre les occasions de s' advantager quand elles se presentoient, aussi se voulut-il faire accroire, que les quatre Baronnies du Duché de Bar luy appartenoient en proprieté, la force estoit pardevers luy: car quant au bon droit je m' en remets à ce en qui estoit. Tant y a que par accord faict entre luy, & René Duc de Lorraine, le seigneur de la Jaille le 14. de Mars 1479. pour le Roy de Sicile meit entre les mains de Louys pour six ans, la ville de Bar, pour en jouyr pendant ce temps, & y mettre telle garde qu' il luy plairoit. Et le lendemian (lendemain) les manans & habitans feirent le serment de fidelité au Roy, conformément au traité fait & passé entre les deux Princes. Et tant & si longuement que Louys vesquit le Prince Lorrain ne s' en oza plaindre.

Quelque temps apres son decez Charles huictiesme son fils, luy ayant succedé à la Couronne en l' aage seulement de quinze ans, René Duc de Lorraine vint en Cour, & en plein Conseil du Roy (auquel estoit Philippes de Commines, comme Conseiller d' Estat, duquel j' ay emprunté ce Placard) feit instance, tant pour le Duché de Barrois, qu' il soustenoit luy avoir esté induëment occupé par le feu Roy, que pour le Comté de Provence qu' il disoit luy devoir appartenir du chef de la Royne Yoland d' Anjou sa mere, qui avoit est plus proche habille à succeder à Charles d' Anjou son cousin germain. Et ce nonobstant le testament par luy faict en faveur du Roy Louys unziesme, comme n' en ayant peu disposer par les anciens statuts de Provence.

Particularité que je vous touche icy par expres contre l' opinion de ceux qui se font accroire que le Roy s' en estoit emparé par un droict de bienseance seulement & sans tiltre. Car si cela eust esté vray, le Duc de Lorraine ne l' ust oublié, non plus que du pays de Barrois. Mais au cas qui lors se presentoit, il demoura d' accord le testament avoir esté faict, & revoqua seulement en doubte, sçavoir s' il avoit peu estre faict au prejudice de la plus proche lignagere. De moy je vous puis dire l' avoir eu, veu, & leu en bonne forme & authentique, en la cause du Vicomte de Martygues, que par trois diverses matinees d' uns Lundy, Mardy, & Jeudy, nous plaidasmes au parlement de Paris, l' an mil cinq cens septante trois à huis ouvert, en la presence de tous les Princes & Princesses Lorrains & Lorraines residents en cette France, moy plaidant pour Messire Henry de Lorraine Duc de Guyse, & Maistre Claude Mangot grand & excellant Advocat, pour la fille unique de Messire Sebastien de Luxembourg. Testament qui servoit à la decision de nostre cause, lequel fut fait par Charles, le dixiesme Decembre mil quatre cens octante & un, dedans lequel il institua le Roy Louys unziesme son heritier particulier au Comté de Provence, & apres luy, tous ses successeurs Roys de France. Tellement qu' il ne faut point revoquer en doute, si ce testament a esté fait, puisque René en demouroit d' accord, mais bien si Charles en avoit peu gratifier nos Roys par son Ordonnance testamentaire. En quoy il n' y avoit aucune obscurité, d' autant que la Provence est un pays de droict escrit, auquel il est loisible à chacun de disposer de tous & chacuns ses biens, par son testament. Et mesmement avoit esté cette cause prejugee en cas individu par deux diverses dispositions: La premiere du Comte Beranger au profit de Beatrix femme de Charles d' Anjou frere de S. Louys, au desadvantage de ses trois sœurs qui la precedoyent d' aage: La seconde par la Royne Jeanne premiere Comtesse de Provence en faveur de Louys Duc d' Anjou premier de ce nom. Lequel en jouyt apres le decés d' elle, & le transmeit à ses successeurs. Qui estoit du tout clorre la bouche du Prince Lorrain. Comme aussi sagement & justement le conseil du Roy fut d' advis de luy rendre le Duché de Bar, mais non le Comté de Provence. Vray que pour luy oster toute opinion de remuëment de mesnage, Pierre Duc de Bourbon beau-frere du Roy Charles huictiesme, qui lors avoit tout le gouvernement des affaires de France en main, luy feit bailler une compagnie de cent gendarmes, & pension de soixante mille liures pour quatre ans. Leçon qui luy avoit esté expres enseignee par le Roy Louys son beau-pere, avant que de mourir, luy enjoignant que sur toutes choses il empeschast qu' on ouvrist la porte aux armes dedans son Royaume, tant & si longuement que son fils seroit en bas aage. Comme aussi n' y a-il riens qu' il faille tant craindre, que la guerre, pendant la minorité d' un Roy.

Nostre Roy & le Duc de Lorraine diversement assortis des biens, terres, & seigneuries de la maison d' Anjou, restoit à partager entre eux l' esperance des trois Royaumes & du Duché de Calabre, chacun d' eux pretendants y avoir la meilleure part: car combien que les François se l' adjugeassent en consequence du testament de Charles d' Anjou, toutesfois les Princes Lorrains n' en voulurent lors quitter le tiltre. Ainsi Yoland s' intitula Royne de Sicile, jusques au jour de son decés, qui fut l' an mil quatre cens quatre vingts neuf, & apres elle René son fils: Le tout au veu & sceu de nos Roys sans aucune contradiction. Et d' un autre costé combien que Charles huictiesme cornast la guerre contre l' Arragonnois pour la recousse du Royaume de Naple, toutesfois jamais René ne feit protestation contraire. Voire en plus forts termes, sommé & interpellé par les Napolitains qui s' estoient revoltez contre leur Roy Ferdinand, de s' armer & joindre ses forces avecques les leur, comme celuy qui y avoit le principal interest, il saigna du nez, soit qu' il estimast cette querelle estre la nostre, ou qu' il se fust faict sage par les folastres voyages des Princes d' Anjou ses predecesseurs.

Tellement que ce fut une chasse morte aux Lorrains: mais non à nous autres François, & le premier de nos Roys qui s' engagea à cette querelle fut Charles huictiesme (contre l' advis des plus sages) poussé d' un boüillon de sa grande jeunesse, & de je ne sçay quels mignons apprentis au fait de la guerre. Voyage qui eut une entree heureusement courte, & une retraicte plus heureuse que ne se promettoit la sagesse de tous les Potentats d' Italie. Toutesfois je ne voy point que nostre France raportast de ce voyage autre fruict, que la perte du corps & des biens. Car c' est celuy auquel on doit l' origine de cette malheureuse maladie, que quelques uns nommerent depuis mal de Naples, pour y avoir premierement mis son siege, & les autres mal des François, parce qu' ils en porterent les premieres marques. Et pour le regard des biens, nous devons au mesme voyage le premier engagement du Domaine de la Couronne pour subvenir aux affaires de la guerre. Car le Roy Charles estant sorty du Royaume à la vanuole, sans auparavant recognoistre quel estoit le fonds de ses finances, se trouvant en la ville de Plaisance court d' argent, decerna ses lettres patentes en Octobre mil quatre cens quatre vingts quatorze, pour engager de son Domaine jusques à la somme de six vingts mil escus. Et parce que c' estoit un chemin non encores frayé par la France, il voulut authoriser ses lettres de l' advis de treize seigneurs ses principaux Conseillers. Ces lettres envoyees au Parlement furent du commencement trouvees de tres-fascheuse digestion, toutesfois la necessité n' ayant point de loy, il fut trouvé bon pour desgager nostre Roy de ce perilleux voyage de tolerer cest engagement, pour ce coup tant seulement, & sans le tirer en consequence, portoit la verification du vingtiesme Novembre au mesme an. Belle protestation sans effect. Et de moy toutes & quantes fois que je lis cette sage clause portant un, Sans le tirer en consequence, pour faire passer & donner cours à une ouverture nouvelle, je m' en ris: comme estant une clause contrevenante au naturel de ce Royaume, qui est un Royaume de consequence. Ce que nous avons depuis esprouvé en ce mesme subject: car combien que le Domaine de la Couronne soit une chose sacrosaincte, & que l' alienation n' en soit faicte qu' à faculté de rachapt perpetuel, sans aucune limitation de temps: toutesfois ce mesnage par succession de temps est arrive à tel desbord & desarroy entre nous, que horsmis les tiltres generaux du Domaine, pour le regard des terres particulieres, à peine en trouverez vous aujourd'huy aucunes, esquelles nos Roys se puissent heberger.

Discours qui n' est pas du present subject: mais pour reprendre mes brizees, l' observation que je fais en tous ces voyages de Naples, est une belle promesse de fortune sur nos arrivees, mais fascheuses fins pour closture de nos entreprises. Apres le decés du Roy Charles, trois Roys successivement & l' un apres l' autre s' y voüerent, uns Roys Louys douziesme par l' entremise du Seigneurd' Aubigny, François premier par le Mareschal de l' Autrec, & Henry deuxiesme par le Duc de Guyse, tous grands Capitaines & guerriers. Et ces trois Roys se trouverent successivement, & l' un apres l' autre deceuz de leurs esperances, apres avoir faict une despense infinie, & perte d' une infinité de Seigneurs & Capitaines de marque: J' excepte le dernier voyage, par ce qu' il fut interrompu par un changement de volonté du Pape Carrafe qui nous y avoit appellez. Que si nous eussions employé, quand les occasions s' y sont presentees, au recouvrement des pays qui nous attouchent, & sont de nostre ancien estoc, tout l' argent qu' avons despendu en la recherche de ce Royaume de nous separé, & de mœurs, & d' un long entrejet de chemins, il nous en fust beaucoup mieux pris. Lisant les Historiographes qui en ont escrit, vous trouverez de grandes fautes advenuës de la part de ceux qui prés de nos Roys estoient estimez les plus sages. Et quant à moy je les impute à nostre malheur, y ayant eu quelque Ange qui par le vouloir expres de Dieu, s' opposa aux desseins qu' entreprismes de là les Monts, & tint en bride ceux que pouvions selon les rencontres, aisément executer à nos portes aux pays bas.

mercredi 16 août 2023

10. 25. Cheute de la seconde famille nos Roys. / Fin du Dixiesme Livre des Recherches.

Cheute de la seconde famille nos Roys.

CHAPITRE XXV.

Je laisse à nos autres Historiographes les conquestes, glorieuses victoires, & superbes arrois de cette seconde famille: car quant à moy j' ay maintenant pris pour mon partage ses ruines: Quoy faisant je ne pense rapporter peu de profit à nos Princes, & grands Seigneurs, quand de bon heur ils se feront sages par la folie d' autruy. Nous sommes les gettons des Roys, qu' ils font valoir plus ou moins, comme il leur plaist, & les Roys sont les gettons de Dieu: Jamais famille ne receut plus de faveur, & benediction du ciel, que celle des Martels en trois Princes consecutifs, Charles Martel, Pepin, & Charlemagne & jamais elle ne fut tant terrassee qu' en trois autres, qui les survesquirent, Louys le Debonnaire, Charles le Chauve, & Louys le Begue. Je nomme entre ces six Charles Martel, ores qu' il ne portast jamais titre de Roy entre les siens, mais ce fut luy qui par sa proüesse & sage conduite, fit voye aux siens à la Royauté. Joint qu' apres son decez, sa statuë fut honoree d' une Couronne Royale, en son tombeau, comme l' on peut voir en l' Eglise, & Abbaïe de S. Denis. Les trois premiers furent torrens de fortune, qui l' augmenterent: les trois derniers precipices qui la ravalerent: car quant aux autres qui leur succederent, ce ne furent que des avortons qui ne firent que contenance de regner sans regner. Et combien qu' en Charlemagne fust l' accomplissement de la grandeur de cette famille; toutesfois je dirois volontiers s' il m' estoit loisible, qu' il jetta les premiers fondemens de la ruine. Vous entendrez les raisons pourquoy.

Le Roy Pepin mourant laissa deux enfans, Charles & Carloman: Ausquels par partage fait entr'eux escheut tout ce qui estoit compris és Gaules dedans l' enceinte du Rhin, monts Pyrenees & Apennin: & à Carloman tout ce qui nous appartenoit au delà du Rhin. Cestuy-cy mourut trois ans apres le decez de son pere, delaissez de la Royne Berthe sa femme, deux enfans. Et adonc Charles, par un droict de bienseance s' empara de tous & chacuns leurs pays. Chose dont la veufve voulant avoir premierement sa raison, se retira avec ses enfans vers Tassilon Duc de Baviere, mais l' ayant trouvé trop foible, pour venir à chef de cette vengeance, elle prit sa route vers Didier Roy des Lombards, qu' elle pensoit avoir juste cause d' indignation contre luy. D' autant qu' ayant espousé en premieres nopces Theodore sa fille, il la luy avoit renvoyee dedans le premier an de leur mariage. Toutesfois le malheur voulut, que Didier ayant esté desconfit à la semonce du Pape Adrian par Charles, & despoüillé de son Royaume, fut avec sa Royauté enseveli le tort que Charles tenoit à ses nepueux. Cette histoire est aucunement touchee par nos Annalistes, & toutesfois mise au rang des pechez oubliez, comme si ce ne fust qu' une peccadille d' avoir mis à nud ses nepueux en la succession de leur pere. Peché neantmoins qui fut rudement vangé sur les siens par un juste jugement de Dieu.

Apres avoir repudié la fille du Roy Didier, il espousa consecutivement trois femmes, dont de la premiere il eut six enfans, Charles, Pepin, Louys, Bertrude, Berthe, & Gillette: de la seconde, Tetrude, & Hildude: & de la troisiesme, nuls. Charles mourut du vivant du pere, sans hoirs procreez de soy, Pepin son second fils Roy d' Italie mourut pareillement le pere vivant, delaissé son fils Bernard pour son successeur: De maniere qu' à Charles (depuis dit Charlemagne, pour la magnanimité de ses faits) ne restoit plus de masle que Louys pour son fils, & Bernard pour arriere-fils. Or est-ce la verité qu' apres le decez de sa quatriesme femme il se ferma en matiere de mariage. Mais comme il est mal aisé de tenir une bonne fortune en bride, aussi ce grand Prince ayant attaint au dessus de tous ses desirs, par les grandes victoires qu' il avoit rapportees de ses ennemis, commença de n' avoir dedans sa maison, autre plus grand ennemy que soy mesme. Se donnant à la veüe de tous diverses garces, desquelles il eut trois bastards, Dreux, Hugues, & Theodoric, sans faire estat des bastardes. Et à l' exemple de luy, ses propres filles ne manquerent de serviteurs, non plus que la plus part des autres Dames. De maniere que la Cour de ce grand Empereur, n' estoit qu' une banque de toute honte & pudeur. Qui le fit tomber en telle nonchalance de son devoir, que combien qu' en luy fut l' accomplissement de cette famille: toutes-fois la fin de sa vie fut le commencement de sa ruine.

François Petrarque fort renommé entre les Poëtes Italiens, discourant en une Epistre Latine son voyage de la France, & de l' Allemagne, nous raconte que passant par la ville d' Aix la Chappelle, il apprit de quelques Prestres une histoire prodigieuse, qu' ils tenoient de main en main pour tres-veritable. Qui estoit que Charles le Grand, apres avoir conquesté plusieurs païs, s' esperdit de telle façon en l' amour d' une simple femme, que mettant tout honneur & reputation sous pieds, il oublia non seulement les affaires de son Empire, mais aussi le soing de sa propre personne, au grand desplaisir de chacun. Estant seulement ententif à courtizer ceste Dame, laquelle par bon heur commença de s' alliter d' une fort grosse maladie qui luy apporta la mort. Dont les Princes & grands Seigneurs furent grandement resjoüis. Esperans que par cette mort Charles reprendroit comme devant, & ses esprits, & ses affaires en main. Toutesfois il se trouva tellement infatué de cet amour, qu' encores cherissoit il ce cadaver, l' embrassant, baisant, & accolant de la mesme façon que devant, & au lieu de prester l' aureille aux legations qui luy survenoient il l' entretenoit de mille bayes, comme s' il eust esté plein de vie. Ce corps commençoit desja, non seulement de mal sentir, mais aussi se tournoit en putrefaction, & neantmoins n' y avoit aucun de ses favoris qui luy en ozast parler; Dont advint que l' Archevesque Turpin mieux advisé que les autres, pourpensa que telle chose ne pouvoit estre advenuë, que par quelque sorcelerie. Au moyen dequoy espiant un jour l' heure, que l' Empereur s' estoit absenté de la chambre, commença de foüiller le corps de toutes parts: Finalement trouva dedans sa bouche au dessous de sa langue un anneau, qu' il luy osta le jour mesme. Charlemagne retournant sur ses premieres brisees, se trouva fort estonné de voir une carcasse ainsi puante. Parquoy, comme s' il se fust reveillé d' un profond somme, commanda que l' on l' ensevelit promptement. Ce qui fut fait, mais en contr'eschange de cette folie, il tourna tous ses pensemens vers l' Archevesque porteur de cet anneau, ne pouvant estre de là en avant sans luy, & le suivant en tous les endroits. Quoy voyant ce sage Prelat, & craignant que cet anneau ne tombast és mains de quelque autre, le jetta dedans un lac prochain de la ville. Depuis lequel temps l' on tenoit que l' Empereur s' estoit trouvé si espris de l' amitié du lieu, qu' il ne desempara la ville d' Aix, où il bastit un Palais, & un Monastere, en l' un desquels il parfit le reste de ses jours, & en l' autre voulut y estre ensevely: ordonnant par son testament que tous les Empereurs de Rome eussent à se faire sacrer premierement en ce lieu.

Que cela soit vray ou non je m' en rapporte, tout ainsi que le mesme Petrarque, à ce qui en est: si estoit-ce un commun bruit, qui lors couroit en la ville d' Aix, lieu ou reposerent les os de Charlemagne. De laquelle histoire ou fable Germantian a fort bien sceu faire son profit, pour averer & donner quelque authorité à l' opinion de ceux qui soustiennent les malins esprits se pouvoir enclorre dedans des anneaux. Or que Charlemagne fust grandement adonné aux Dames sur la fin de son aage, mesme que ses filles qui estoient à la suite fussent quelque peu entachees d' amourettes, Aimoïn le Moine, vivant du temps du Debonnaire, nous en est tesmoin authentique: qui dit qu' à l' advenement de ce Prince à la Couronne, la premiere chose qu' il eut en recommandation, fut de bannir de la Cour les grands troupeaux des filles de joye qui y estoient demeurez depuis le decez de Charlemagne son pere, & aussi de confiner en certains lieux ses sœurs, qui ne s' estoient peu garentir des mauvais bruits, pour la dissoluë frequentation qu' elles avoient euës avec plusieurs hommes. Quelque grandeur de souveraineté qui soit en un Roy, ores que comme homme, de fois à autres il s' eschape, si doit-il tousjours rapporter ses pensees à Dieu, & croire qu' il est le vray juge de nos actions, pour les punir quelquesfois en nous de nostre vivant, ou bien à nos enfans apres nos decez. Chose que trouverez averee en ce que je discourray cy-apres. N' attendez doncques de moy au recit de ce present suject, que des injustices, partialitez & divisions entre les peres & les enfans, guerres civiles de freres à freres, oncles qui malmenerent leurs nepueus, tromperies entremeslees de cruautez, le tout basty par juste jugement de Dieu. Et parce que des trois enfans masles de Charlemagne il ne restoit que Louys le Debonnaire son fils, & Bernard son petit fils, c' est en cestuy auquel je commenceray les discours de cette histoire tragique.


Fin du Dixiesme Livre des Recherches.

tombeau, Charlemagne, Carlomagno, Carolus Magnus, Carles Magne, Carolo Magno