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jeudi 25 mai 2023

2.5. De l' ancienneté & progrez de la Chambre des Comptes.

De l' ancienneté & progrez de la Chambre des Comptes. 

CHAPITRE V. 

Apres avoir discouru du Parlement, il faut que je parle à son ordre de la Chambre des Comptes, comme estans deux compagnies qui fraternisent de tout temps ensemble, bien que soubz diverses charges: Soubz la premiere & seconde lignee de noz Roys, & bien avant soubz la troisiesme, il n' y avoit dedans Paris, Chambre des Comptes, non plus que Parlement. Tout cela se manioit à la suitte des Roys. Je ne puis mieux comparer ceste affaire, qu' à ce que nous voyons encores aujourd'huy en la Cour du Roy, où il y a un Conseil de grands Seigneurs que l' on divise en deux. Dont l' un est appellé Conseil de Justice, ou des parties, l' autre des Finances, ou d' Estat. Ainsi soubz le nom du Parlement, qui estoit le Conseil de noz Roys, on exerçoit ces deux charges pres d' eux. Depuis pour la commodité des subjects, ou paravanture pour le nombre excessif des Seigneurs qui y estoient, il fut trouvé bon d' en descharger la Cour du Roy & l' establir en certain lieu. Ce fut dans Paris, ville Metropolitaine de la France, où l' on feit deux compaignies souveraines, l' une pour la distribution de la Justice de partie à partie, telle que j' ay cy-dessus deduicte, l' autre pour l' ordre des finances & autres choses dont je parleray cy-apres. Compaignies qui curent plusieurs rencontres de l' une à l' autre. Toutes deux furent faictes sedentaires soubz le regne de Philippe le Bel. Et tout ainsi qu' elles avoient esté tirees d' un mesme corps, quand elles sejournoient pres de noz Roys, aussi furent-elles logees dedans un mesme pourprix, au Palais Royal de Paris. Ces deux Colleges furent du commencement appellez Chambres: Mot de tres-grande dignité envers noz anciens dans l' Europe, comme nous pouvons recueillir tant de la Chambre consistoriale de Rome, que de la Chambre Imperiale en Allemaigne. Les uns & les autres appellez Maistres: Ceux-là du Parlement, ceux-cy des Comptes. Autre mot qui prit grand pied sur le declin de l' Empire de Rome. Et comme le Parlement fust composé, partie de personnes Ecclesiastiques, partie de Laiz, aussi le fut la Chambre. Les Advocats & Procureurs generaux du Roy estoient communs pour les deux compaignies jusques en l' an 1454. que pour accommoder les affaires, fut de nouvel erigé un Procureur general pour la Chambre. Ce qui s' est continué jusques à huy. j' adjousteray que comme en la Chambre y avoit Rapporteurs des Comptes qui ne jugeoient, ains seulement les Maistres, aussi se faisoit le semblable en la Chambre des Enquestes du Parlement par sa premiere institution: Les uns estans par nos vieilles Ordonnances appellez Jugeurs, les autres Rapporteurs. Les Baillis, Seneschaux, & Procureurs du Roy des sieges inferieurs, venans rendre raison de leurs charges tous les ans, il failloit que cela fust faict par un commun vœu, en la presence de deux Maistres du Parlement, & d' un de la Chambre des Comptes, qui dressoient leurs procez verbaux, pour en faire diversement leurs rapports à leurs compagnies. Pareillement les Baillis & Seneschaux lors de leur reception, faisoient le serment, tant au Parlement qu' en la Chambre. Et pource que l' on pourroit dire que cela se faisoit en la Chambre, d' autant qu' ils estoient lors comptables du domaine du Roy, je le croy, mais aussi est-ce la verité que ceste coustume dura long temps apres qu' ils n' exercerent plus ceste charge, voire jusques au regne de Louys XII. En l' une & l' autre compagnie se sont tousjours verifiez les Edicts, establissements d' Apanages, engagements du Domaine, & autres affaires qui regardent l' Estat general de la France. 

J' adjousteray que comme l' on envoyoit deux fois l' an vers Pasques, & la sainct Michel, des Conseillers du Parlement pour tenir l' Eschiquier de Justice en la Normandie, aussi faisoit on le semblable des Maistres de la Chambre, pour le faict & examen des comptes. Il n' est pas qu' ils n' ayent quelquesfois pretendu avoir un droict d' indult sur les benefices, sinon tel que le Parlement, pour le moins non grandement eslongné d' iceluy. J' ay voulu toucher par expres toutes ces particularitez contre ceux qui se sont acroire qu' auparavant l' establissement de la Chambre de dans Paris, & long temps apres, les comptes estoient examinez par les Maistres d' hostel du Roy, & que venans sur leur vieil aage on les gratifioit de ceste charge. Chose dont ils n' ont aucuns registres, que de leurs vaines imaginations. Car au contraire il ne se trouve que jamais Maistres d' hostel y soient entrez anciennement, fors un qui tenoit grand rang pres du Roy Jean: Cerluy dont je parle fut Messire Nicolas de Brac, fondateur de la chappelle de Brac. D' ailleurs ceux qui sement ceste opinion, pensent que la Chambre ne peut cognoistre que de la ligne de compte: Qui est une heresie en l' histoire. 

Parquoy pour discourir de fonds en comble ce qui est de l' ancienneté & progrez de ceste compagnie, il ne faut point faire de doute que ceux qui du commencement curent ceste charge, estoient à la suitte de noz Roys. Nous eumes soubz le regne de Philippe de Valois un Jean de sainct Just, Maistre des Comptes, personnage de singuliere recommandation, que je voy avoir esté grandement studieux de l' ancienneté, selon la portee de son temps: parce qu' il nous laissa un Memorial aux archifs de la Chambre, que l' on appelle le registre de sainct Just. Cestuy sur quelque obscurité qui se presentoit lors en la Chancellerie entre la Chambre, & le College des Secretaires du Roy, escrivant au Chancelier, entre autres choses luy remonstre qu' il avoit tousjours entendu de ses anciens, que ceux de la Chambre des Comptes n' estoient pas residens dans Paris, si comme ils avoient esté depuis le temps de saint Louys. Il disoit vray: mais il ne cotte point vers quel temps fut faict ce changement. Et il ne faut point douter que ce fust soubz Philippe le Bel, & quelques annees auparavant la resseance du Parlement. 

Or consistoit leur charge en trois subjects, au-menagement des finances, dont est procedé l' ordre que l' on tient aujourd'huy aux Comptes: en celuy du Domaine, autrement appellé par nos anciens Tresor, dont est issuë la police des Tresoriers generaux, & finalement en celuy des Monnoyes, dont depuis a esté tiree la Cour des generaux des Monnoyes. Il n' est pas que les tailles, aides, & subsides ayans esté introduits en ceste France depuis l' advenement de la famille des Valois, les principaux reglemens n' ayent souvent passé par ceste compagnie. Er pour remarque speciale de sa grandeur, je me contenteray de vous en representer trois placards, qui meritent d' être gravez dedans la posterité. Philippe de Valois s' acheminant au voyage de Flandres, par ses lettres patentes du neufiesme Mars, mil trois cens trente neuf, voulut que sans avoir recours au grand seau, la Chambre peut jusques au jour de la Toussainct ensuivant de sa planiere puissance, octroyer plusieurs graces qui despendoient nüement de l' auctorité Royale. La teneur des lettres estoit telle.

Philippe par la grace de Dieu Roy de France, à noz amez & feaux les gens de noz Comptes à Paris, Salut & dilection. Nous sommes au temps present moult occupez pour entendre au fait de noz guerres, & à la defense de nostre peuple. Et pource ne pouvons nous pas bonnement entendre aux requestes, deliurer tant de graces, que de Justice, que plusieurs gens tant d' Eglise, de religion, que autres noz subjects nous ont souvent à requerre. Pour quoy nous qui avons grande & planiere confiance de voz loyautez, vous commettons par ces presentes lettres, planier pouvoir jusques à la feste de la Toussaint prochaine à venir, d' octroyer de par nous à toutes gens, tant d' Eglise, de Religion, comme seculiers, graces sur acquests, tant faicts, que à faire à perpetuité, de octroyer privileges & graces perpetuels, & à temps, à personnes seculieres, Eglises, Communes, & habitans des villes, & impositions & maletoltes pour le profit commun des lieux. De faire graces de r' appel à bannir de nostre Royaume, de recevoir à traicté & à composition quelques personnes & communautez que ce soient, sur causes tant civiles que criminelles, qui encores n' auront esté jugees, & sur quelcomques autres choses que vous verrez que seront à octroyer, de nobiliter bourgeois, & quelques autres personnes non nobles, de legitimer personnes nees hors mariage, quant au temporel, & d' avoir successions du pere & mere, de confermer & renouveller privileges, & donner noz lettres en cire verte sur toutes choses devant dites, & chaque d' icelles à valoir perpetuellement & fermement, sans revocation & sans empeschement. Et avrons ferme & stable tout ce que vous aurez faict és choses dessusdictes, & chacune d' icelles. En tesmoin de laquelle chose nous avons faict mettre nostre seel à ces presentes. Donné au bois de Vincenne, de treiziesme de Mars, mil trois cens trente neuf. 

Auparavant la puissance de la Chambre estoit, comme encores est, de verifier telles graces emanees du Roy, en l' entregect du temps porté par ces letres: c' estoit de les decerner, tout ainsi que le Roy mesmes. Chose non jamais accordee à autre compaignie souveraine. Encores trouvé-je unes autres patentes du mesme Roy, par lesquelles il attribuë à la Chambre des Comptes une authorité toute Royale au faict des Monnoyes.

Philippe par la grace de Dieu Roy de France, à noz amez & feaux les gens de noz Comptes, Salut & dilection. Nous voulons & vous mandons que toutesfois & quantes que vous verrez que bon & profitable sera de croistre le prix en or & en argent, & affoiblir le prix des monnoyes d' or, blanches, & noires, que nous avions n' agueres ordenees à faire en nostre Royaume, vous le faciez faire: toutesfois sans muer ne changer l' aloy, ne le poids d' icelle. 

Escrit à sainct Germain en Laye, le dernier jour de Janvier 1340. Souz nostre seel secret, en l' absence du grand.

Lettres qui furent executees par la Chambre souz diverses commissions decernees aux Maistres des Monnoyes, au mois de Fevrier ensuivant. Et pour venir au dernier passage que je trouve fort singulier, anciennement les Gentils-hommes, Baillis, & Seneschaux, administroient la Justice sans Lieutenans de robbe longue. Advint qu' un messire Godemar de Fay, de Chaulmont & Vitry, se trouvant n' être capable pour exercer ceste charge, il fut ordonné par la Chambre qu' il s' en demettroit, dont les termes se trouvent tels. 

Car comment qu' il soit bon homme d' armes, il n' a pas accoustumé à tenir plaicts ne assise, & que l' en y pourvoye d' aucune bonne personne qui soit Chevalier, & fut dit lors qu' il seroit bon qu' il y eust deux Baillis, comme il souloit. Et porte le Memorial peu apres ces mots. Le trentiesme d' Aoust, mil trois cens trente cinq, Godemar de Fay, Bailly des Baillies de Vitry & Chaulmont, rendit les seaux desdictes baillies, en la Chambre des Comptes, presens Monsieur Hugues de Crusy, Monsieur Guy Cheurier, Jean Billonar, Jean Just, Mille de Figuicour, Monsieur Clarin, Maistres. Lesquels seaux furent baillez ce mesme jour à Jannot Carré, Escuyer de Monsieur Pierre de Terrelier: Lequel Monsieur Pierre est estably de par le Roy Gouverneur desdictes Baillies. 

Toutes lesquelles particularitez ne sont pas petites, pour monstrer de quelle grandeur estoit lors ceste Chambre: aussi est-ce la verité que le plus du temps quand il se presentoit quelque grande affaire qui regardoit le general de la France, le Chancelier avec plusieurs Seigneurs du Conseil d' Estat, (que l' on appelloit Grand Conseil) s' y transportoit pour les decider avecq' les Maistres, & de fois à autres on y appelloit quelques Presidens & Conseillers du Parlement: mais tant y a que la Chambre des Comptes estoit expressemment choisie pour cest effect.

Ceste compagnie est composee de diverses sortes d' Officiers, de Presidents, Maistres, Correcteurs, Auditeurs, Advocat & Procureur generaux, deux Greffiers, Huissiers, gardes des livres: de tous lesquels je parleray selon leur ordre: En tant que touche les Presidents ce fut une regle generale, dez l' institution de la Chambre, qu' il y en avoit deux. Le premier Archevesque ou Evesque, & quelque Seigneur & Chevalier de marque qui le secondoit. Quelquefois y trouvé-je deux Prelats, quelquesfois trois, avec un Seigneur Lay: mais sur tout l' Estat de premier President estoit affecté à la Prelature. 

Car pour le regard du second, encores que par les vieux Registres de la Chambre il fust destiné ordinairement pour les Seigneurs Chevaliers, si est-ce qu' avecques le temps il se forma une opinion de l' affecter au grand Bouteiller de France. Les premieres dignitez de la Couronne, comme je discourray en son lieu, estoient celles du Chancellier, Connestable, grand Maistre, Bouteiller, & grand Chambellan. Je trouve que le vingt septiesme Juillet 1397 Messire Jacques de Bourbon, cousin du Roy Charles VI. estant pourveu de l' estat de grand Bouteiller, vint faire le serment à la Chambre. Et decima sexta die Augusti (porte le Memorial) praestitit in camera computorum Parisiensi solitum iuramentum primi præsidentis Laici in camera praedicta. Quod officium spectare dicebatur magno Buticulario Franciae quicumque sit, licet in litteris Regis praedictis de hoc nulla fiat mentio. Je rendray ce passage Latin en François, afin que ceste ancienneté soit entenduë de tous. 

Et le 16. jour d' Aoust ensuyvant, il fit le serment accoustumé en la Chambre des Comptes de Paris, pour l' Estat de premier President, Lay en icelle. Estat que l' on disoit être affecté au grand Bouteiller de France quel qu' il feust, ores que ses lettres de provision n' en fissent aucune mention. Je vous puis asseurer comme de chose tres-vraye, que de tous les Presidens Laiz auparavant luy, je n' en trouve un tout seul qualifié grand Bouteiller. Le premier des Seigneurs Laiz que je voy avoir tenu lieu de President en la Chambre soubs un Prelat, fut le Sire de Sully l' an 1316. & le sire de Coussi 1344. Un Pastourel, un Messire Oudart de Colombs. Ce neantmoins les affaires de la France estans infiniment broüillees soubs le regne de Charles VI. la Chambre voulut gratifier un Prince du sang de cest Estat de President, encores qu' il ne fut fondé en tiltre ny en possession, par ce que lors de sa reception on n' en parloit qu' à perte de veuë, comme l' on peut recueillir de la lecture du passage. Et s' il y eut quelque subject de besongner de ceste façon, c' est qu' en un vieux boucquin de la Chambre intitulé Pater, en recitant divers droicts qui appartenoient au grand Bouteiller on adjouste qu' il estoit Souverain des Comptes. Tant y a que vous pouvez recueillir quelle estoit la grandeur de la Chambre, puis qu' un Prince du sang grand Bouteiller, s' estimoit être honoré de porter tiltre & qualité de President de céte compagnie. Or depuis que le pas fut ouvert en la maniere que dessus, ceste opinion ne tomba pas puis apres aisément en terre: Car comme toutes choses nouvelles plaisent, aussi fut depuis cela authorisé par deux Edicts, dont le premier qui fut publié le 29. Octobre 1408. portoit cest article. Item que le nombre ancien de noz Officiers de la Chambre des Comptes y demeure aux gages accoustumez. C' est à sçavoir le president prelat, & le grand Bouteiller de France, qui ordonné y a esté & y doit être. Et par le second 21. Juillet 1410. on passe plus outre: d' autant que le prelat est mis hors du compte, & est ordonné qu' il n' y avroit plus que deux Presidens, dont le grand Bouteiller seroit l' un, ainsi que du temps passé avoit accoustumé, & l' autre maistre Eustace de Laistre. Lors estoit grand Bouteiller messire Guillaume de Melun Comte de Tancarville, successeur immediat du Seigneur de Bourbon, lequel assez souvent vint tenir son siege en la Chambre. Et apres luy successivement, messire Pierre des Essars, Jean de Crouy, Charles d' Albert, Valeran de Luxembourg, Robert de Bar, tous grands Bouteillers de France, firent le serment de president: vray qu' ils en iouyssoient plus par honneur que d' effect. Et le dernier auquel je trouve le pas avoir esté clos, est messire Robert de Bar, vers l' an 1417. auquel tout ainsi que le nom, la dignité de grand Bouteiller commença de s' afoiblir, aussi ne voy-je plus qu' il soit parlé que tel Estat fust affecté au president Lay. Quoy que soit le XV. de Novembre 1424. Un Jean de Neuf-chastel, Seigneur de Montiguy neufiesme en son Estat de grand Bouteiller de France fit le serment en la Chambre, mais nulle mention de l' Estat de president. 

La venuë des Anglois dans Paris apporta nouvelle face d' affaires par la France, par ce que Charles Dauphin ayant esté contraint desemparer la ville, erigea une Chambre des Comptes dans Bourges, en laquelle y eut deux Presidens, l' un Prelat, l' autre Lay. Et d' autant que la meslange des affaires avoit aussi apporté un desordre en ces Estats, quelque temps apres qu' il fut restably dans Paris, par son ordonnance du dixhuictiesme Mars, 1437. il remeit l' ancienne coustume de Presidens, Prelat & Lay. Laquelle fut inviolablement observee jusques soubs Louys XI. qui non seulement pourveur de l' Estat de premier president, Messire Bertrand de Beauvau sieur de Precigny son grand Chambellan, mais pareillement du second. Et non content de ce y adjousta un supernumeraire soubs le nom de Vipresident qui iouïsfoit de mesmes droicts & prerogatives que les presidents. Depuis le regne de Louys XI. je ne voy que dispenses contre l' ancienne police, par ce que tout ainsi que ce Roy confera à Beauvau l' Estat de president Clerc, aussi Charles VIII. son fils par une contraire dispence donna l' Estat de president Lay à l' Evesque de Laudeve. Et à peu dire, l' on voit plus de premiers presidents mariez, que d' autres: Mesmes soubs Louys XII. Messire Jean Nicolaï, maistre des Requestes de son hostel, fut pourveu de cest office en l' an 1506. personnage qui avoit esté employé par le Roy Charles VIII. en plusieurs grandes charges de là les monts, & nommément en celle de Chancellier au Royaume de Naples. Et est chose grandement memorable que cét Estat de premier president ait esté transmis & continué en quatre successivres generations de bisayeul, ayeul, pere, & fils, Messires Jean Aimard, Antoine & Jean Nicolaï. Ce qui n' advint jamais à autre famille de la France.

Icy je me fermeray, pour le fait des presidents de la Chambre, à la charge d' en dire encores paradventure cy apres quelquemot, selon que l' occasion se presentera. Maintenant je viendray aux Maistres des Comptes, lesquels lors de leur premier establissement estoient comme le parlement my-partis de Clercs & de Laiz. Distinction religieusement observee par une longue suitte d' annees, n' estant permis au maistre Clerc de se marier: Et le premier qui faulsa ceste loy fut maistre Antoine le Gresle en la Chambre de Bourges, par lettres de Charles VII. du. 22. Juillet 1430. La police estoit telle, qu' en l' absence des Presidens, le Doyen des maistres Clercs presidoit, & en l' absence de luy le Doyen des Laiz: Ainsi fut ordonné par Charles VII. en l' an 1436. Les Clercs avoient leur seance du costé droict plus proche du premier president. Nous trouvons que Messire Jean d' Orgemont, fils du Chancellier, & Conseiller au grand Conseil (c' est à dire au Conseil d' Estat) & Maistre des Requestes, ayant obtenu lettres de provision de Conseiller, & maistres de Comptes avecques dispence de preceder tous les autres Maistres, pour le grand rang qu' il tenoit, ceste affaire longuement mise en deliberation, tout ce qu' il peut en fin obtenir, fut qu' il siegeroit comme premier au dessus des Maistres Laiz, & non Clercs.

Le nombre des Maistres de leur premiere institution fut de cinq, trois Clercs & deux Laiz. Philippes le Long y adjousta un quatriesme Clerc, qui fut Maistre Jean Mignon, fondateur du College qui porte son surnom en l' Université de Paris. Quelque temps apres on y adjousta deux autres Laiz, estans par ce moyen huict Maistres d' ordinaire: Vray que les favoris de noz Roys desirans ambitieusement être de ceste compagnie, on y adjoustoit plusieurs extraordinaires. Qui fut cause qu' avec le temps ceux qui stoient pourveus des vrays & anciens offices s' appellerent Conseillers & Maistres ordinaires de la Chambre des Comptes, à la difference des extraordinaires: Mot que l' on ne peut encores pour le present oublier, combien que ce soit sans propos, car il n' y a plus de Maistres extraordinaires.

Pour oster ces confusions le Roy Louys XII. par son Edict donné à Blois en l' an 1511. voulut que les deux Presidens, & dix Maistres des Comptes, qui lors estoient (dont les deux extraordinaires seroient à l' advenir censez & reputez ordinaires) demoureroient, & deux Correcteurs, seize Clercs & Auditeurs, son Advocat & son Procureur, deux Greffiers, le Receveur, & l' Huissier. Cest Edict sembloit avoir fermé le pas au desordre: car mesmes il avoit suprimé l' Estat de Vipresident: toutesfois soudain que le Roy François premier de ce nom, fut arrivé à la Couronne il s' en fit croire, par ce que bon gré mal gré il enfraignit ceste regle: Car il fit un Harlin Maistre, & un Refuge Correcteur: l' un & l' autre extraordinaires, & fit reviure l' Estat de Vipresident en la personne de maistre Helie du Tillet. En l' an 1520. outre tous ceux-là, il crea de nouveau un tiers President, un Maistre Clerc & Conseiller, un Correcteur, & quatre Clercs & Auditeurs: Et pour donner quelque fueille à ceste nouvelle augmentation, il voulut que l' on tint deux Bureaux, le Grand & le Petit. Sur le reply des lettres il fut mis qu' elles estoient verifiees: De expressis mandatis dicti Domini nostri Regis, tam verbo quam scripto, saepius iteratis, usque ad eius beneplacitum, laquelle verification fut depuis reformee par autre commandement tres-expres du Roy en la presence de Messire René, Bastard de Savoye & grand Maistre de France, & furent ces mots rayez usque ad eius beneplacitum. Cela vous fait paroistre avecques quel creue-cœur cest Edict fut verifié. Depuis que ce Roy eut franchy le pas, non seulement en rendant les Officiers de la Chambre extraordinaires ordinaires, mais aussi en creant d' autres nouveaux, il ne fut plus question de ceste distinction ancienne, qui causoit une combust ou intestine. Un traict de plume assopit tous ces differens, mais en les supprimant, il introduisit un plus grand Chaos que celuy qui estoit auparavant: Car en l' an mil cinq cents quarate quatre, il transforma l' estat de Vipresident en celuy de quart President: Et le Roy Henry second son fils en l' an mil cinq cens cinquante un, multiplia les Estats au double par l' introduction du Semestre. La posterité jugera si en cela, & tout ce qui depuis a esté faict, n' y a point eu beaucoup plus d' extraordinaire, que lors que ce mot estoit en essence soubs les autres Roys qui furent devant le regne de Louys XII. Il me suffit de toucher ceste occasion en passant, pour le peu de plaisir que je prens en la deduction d' icelle.

Apres avoir parlé des Maistres, il sembleroit que je deusse maintenant

parler des Correcteurs qui les secondent en dignité, toutesfois par ce que cet Estat ne fut formé que sur le moyen aage de la Chambre, je parleray des Auditeurs qui dés le premier establissement eftoient avecques les Maistres. En quoy si j' ay quelque sentiment en ceste ancienneté, mon opinion est que les maistres Clercs estans à la suitte de noz Roys, estoient du commencement & Rapporteurs & Juges des Comptes tout ensemble. Je dy maistres Clercs par expres, comme ceux ausquels on avoit plus de creance pour leurs suffisances & capacitez. C' est pourquoy Philippes le Bel par son Ordonnance de l' an mil trois cens trois, voulut que nul compte ne fut examiné que les trois maistres Clercs n' y assistassent. Or comme ainsi fut que ceste charge de r' apporter leur fut onereuse ils s' en deschargerent sur leurs Secretaires que l' on appelloit anciennement Clercs: Car le mot de Clerc à noz anciens signifioit tantost l' Ecclesiastic, tantost se donnoit à celuy que l' on estimoit sçavant, tantost à celuy que nous appellons aujourd'huy Secretaire. Cela fut cause, si je ne m' abuse, que les Auditeurs furent du commencement appellez, petits Clers, à la difference des maistres Clercs & Ecclesiastiques: Et fort souvent Clercs d' embas ou d' aval: Par ce que les Maistres faisoient leur seance au Bureau d' enhaut, & les autres en ceux d' embas. Or de mon opinion j' ay quelques conjectures qui ne sont point hors de propos: car combien que sur l' advenement de la Chambre il y eust cinq Maistres, trois Clercs & deux Laiz, si n' avoit-il que trois petits Clercs: Qui estoit pour revenir au nombre ancien des maistres Clercs qui les commirent premierement. A ce propos je trouve que maistre Robert de Loriz Secretaire du grand Conseil, ayant esté pourveu par le Roy Philippes de Valois d' un Estat de maistre Clerc, il voulut ramener ceste ancienneté en usage. Car par ses lettres de provision il estoit mandé aux gens des Comptes qu' apres avoir pris le serment de luy à ce requis & accoustumé, ils le laissassent instituer & mettre soubs luy un Clerc en icelle Chambre. Si comme (porte le texte) les maistres Clercs de nostredite Chambre les y mettent. Par l' ordonnance de Philppes le Long, il fut defendu aux Maistres de tenir aucun petit Clerc avecq' soy. Et par un reglement de l' an 1378. il est porté, que s' il y avoit aucun Clerc d' aval qui eust esté faict par l' un des Maistres, que les Comptes qui seroient rapportez par luy, ne seroient visitez ny cloz par le Maistre, si les autres n' y estoient presens. Il n' est pas que par certaine Ordonnance du Roy Jean, de l' an mil trois cens cinquante cinq, ils ne soient appellez Clercs & Compagnons d' aval. Que les Compagnons & Clercs d' aval ne soient chargez d' autre chose que de leur ordinaire avant disner, & besongnent jusques à' midy. Toutes lesquelles particularitez me font croire, ou que tous les Maistres ensemble, ou pour le moins les Ecclesiastics se deschargerent du raport des comptes sur leurs Clers. Tellement qu' à la longue la nomination venant d' eux, ceux-cy recevrent confirmation du Roy: Et en fin furent erigez en tiltres d' offices formez ainsi que les autres, sans avoir plus recours aux Maistres. Or comme peu à peu on appellast puis apres les Maistres simplement, sans suitte de ce mot de Clerc: Aussi appella-l'on ceux de ce second ordre Clercs seulement, & sans adjection d' autre parole, & depuis nommez Auditeurs. Mot que je treuve avoir esté pour la premiere fois en usage par l' ordonnance de l' an 1454. Dans laquelle combien qu' il soit faite frequente mention de Clercs, si est-ce qu' au dixneufiesme article, vous y trouverez par exprez le mot d' Auditeur. Desorte que petit à petit on commença de les appeller Clercs & Auditeurs. Ce que je voy avoir esté fort frequent sous les regnes de Louys XII. & François premier, jusques à ce que la Chambre ayant esté soubs Henry II. faicte Semestre en l' an mil cinq cens cinquante & un il fut ordonné qu' au lieu de Clerc, on les appelleroit Conseillers du Roy & Auditeurs: Et en l' an ensuyvant leur fut permis d' opiner sur les difficultez qu' ils trouvoient aux comptes dont ils estoient Raporteurs: Ce qui ne leur estoit auparavant permis. Je ne veux pas oublier qu' à l' advenement de la Chambre dans Paris, ils estoient seulement trois en nombre, & quelque temps apres, Philippes le Long y en adjousta huict, & depuis y en eut douze ordinaires & six Chambres en bas où ils besongnoient. Vray que l' on y en introduisoit d' extraordinaires tout ainsi que les Maistres, jusques à ce que Louys XII. suprimant le mot d' extraordinaire en l' an mil cinq cens unze, voulut qu' il y en eust seize, & depuis son regne les choses sont arrivees en telle confusion qu' il y en a aujourd'huy soixante.

L' ordre de la dignité (comme j' ay dict) vouloit que je parlasse des Correcteurs, premier que des Auditeurs, mais j' ay suivy celuy des ans, pour avoir esté l' estat d' Auditeur en essence, long temps auparavant celuy de Correcteur: Office toutesfois lequel bien mis en œuvre est le vray nerf par lequel les comptables sont plus retenus en leur devoir. Et encores qu' il ne fut du commencement erigé en titre, si est-ce qu' il s' exerçoit par commission non d' ordinaire, ains comme la necessité le requeroit, tantost par les maistres, tantost par les Auditeurs. Par l' Ordonnance de Philippes le Long de l' an 1319. y avoit un article expres, portant que pour la multitude des comptes qu' il y avoit à corriger, ce que l' on ne pouvoit faire sans plus grand nombre de Maistres Clercs, outre les trois anciens, il en creoit un nouveau, dont il pourveut Maistre Jean le Mignon: & ordonne que des quatre, les deux seroient continuellement en la Chambre, pour ouir les comptes, & les autres en bas pour les corriger. Ordonnant que tous les Samedis, ils vinsent rendre raison de leur correction en plain Bureau. Depuis on y employa quelques-uns des Clercs d' embas: Et à ce propos le Roy Jean par une lettre de provision du dix-huictiesme Novembre mil trois cens trente deux, declare que pour advancer la correction des Estats de la Chambre des Comptes, il avoit pourveu Maistre Jean de Ver de l' office de petit Clerc, & veut que l' on preigne de luy le serment. Auquel lieu je fais aucunement doute, sçauoir si ce mot de Correction se rapportoit à ce que nous disons aujourd'huy, corriger les comptes, ou bien s' il entendoit que ce fust pour les voir & examiner: Et ainsi le voy-je usurpé en plusieurs autres endroicts: Mais ce que je reciteray presentement, vous le trouverez en sa propre signification: D' autant que l' unziesme Janvier 1395. par reglement de la Chambre, il fut ordonné que Maistres Jean Moulnier, & Jacques de Bussy Clercs, vacqueroient par quelques jours à faire les corrections: Et au surplus, pour la multitude des comptes qui estoient à rendre, afin de soulager les dix autres Clers, elle commit Maistres Nicolas du Pré, & Jean Boüillon. En fin par Edict du quatorziesme Juillet 1410. on en feit un Estat formé. Et par ce qu' il est de necessité (porte le texte) pourvoir au fait des corrections des comptes, qui de long temps sont demourees à faire, pour la multitude des besongnes, Avons ordonné & ordonnons par ces presentes, qu' en nostre Chambre aura d' oresnavant deux notables personnes, expers & bien cognoissans au fait de nosdits comptes, qui continuellement entendront au faict de nosdites corrections: Et pour icelles corrections faire, nous avons commis & commettons nos amez, feaux Maistres Estienne le Bray & Nicolas des prez. Il avoit seulement usé du mot de commis. Qui apportoit quelque obscurité en leurs provisions. Au moyen dequoy, par autres lettres du vingtdeuxiesme Aoust ensuyvant, le Roy Charles VI. declara qu' il avoit tiré ces deux-cy du corps des Clercs d' embas, les ayans faicts Correcteurs pour la necessité des comptes, & surrogé en leur lieu Maistres Antoine Gresle, & Jean Bussy sans gages, lesquels il faict dés lors Clercs en chef. Et par ce que de Bray & des Prez craignoient que leurs corrections estans faites & finies, ils demourassent du tout sans Estats, ne leurs ayans esté reservez certains droicts qui appartiennentaux Maistres, ny le nom de Conseiller, le Roy pour ces causes voulut qu' ils iouyssent de ces droits & prerogatives, ensemble du nom de Conseiller: Et au surplus qu' advenant suppression de ce nouvel Estat de Correcteur, il leur fust loisible de retourner en leurs anciennes charges de Clercs, souz condition que s' ils vacquoient puis apres quelques places de Clercs par mort, Bussy & le Gresle en seroient remplis. Je ne voy point que depuis cest Estat ait esté suprimé: Et n' estoit leur dignité petite, par ce qu' ils avoient continuelle seance au grand Bureau avecques les Maistres: Et qui est un poinct digne d' être remarqué, ils seoient au dessus des Thresoriers de France, comme vous trouverez en certain registre du douziesme Janvier mil quatre cens douze. Et aussi devant les Generaux des Finances & de la Justice, quand selon les occasions ils venoient à la Chambre. Le Vendredy vingtiesme Avril mil quatre cens quatorze, apres Pasques presents au Burel, dont les noms s' ensuyvent, trois Maistres des Comptes clercs, quatre maistres Laiz, (& y sont les noms apposez) Maistres Estienne de Bray, & Nicolas des Prez Correcteurs, G. Toreau & G. du Menil Generaux des Finances, H. de Savoysy & F. Brumel Generaux de la Justice, sur un apoinctement touchant la ville de Paris, pour le tiers des aydes de la dite ville, à eux octroyé par le Roy, il fut dit que tant qu' ils en iouyroient, les Prevost des  Marchans & Eschevins payeroient la somme de quinze cens liures: Et en une autre seance solemnelle au mesme an le vingt quatriesme Janvier où presidoit le Chancellier, ces deux Correcteurs sont mis devant G. de Morroy, J. de la Cloche, & A. Giffart Thresoriers de France. La coustume des Greffiers estoit lors d' inserer l' un apres l' autre les noms de ceux qui se trouvoient au Bureau selon leurs rangs & dignitez. Ainsi continuerent les Correcteurs leur seance, au dessous des Maistres jusques en l' an 1447. que par Edict du 2. Juin, Charles VII. voyant que pendant qu' ils affectionnoient de seoir journellement au grand Bureau, ils oublioient ce qui estoit de leur charge, leur en ferma la porte, & voulut qu' ils vacquassent sans discontinuation au faict de leurs corrections. A la charge toutesfois, que venans faire leurs raports en la grand Chambre, ils y avroient seulement seance, ce qui s' est continué jusques à huy. Ils ne furent du commencement que deux. La Chambre qui fut transferee à Bourges soubs Charles VII. fut longuement sans en avoir. Toutesfois en fin & en l' an mil quatre cens trente deux, Maistre André le Roy y fut fait Correcteur: Et depuis les choses establies dans Paris, encores n' y en eut-il qu' un jusques en l' an mil quatre cens cinquante quatre, que l' on y en adjousta un deuxiesme suyvant la premiere institution. Maintenant les affaires sont arrivees en tel desordre qu' il n' y en a que trop.

Quant à l' Advocat & Procureur Generaux, il n' y en avoit point du commencement qui fussent particulierement pourveus pour le service de la Chambre. Bien trouvé-je que quelques uns voulurent de fois à autres crocheter telles charges. On lit qu' un Maistre Robert Carlier en l' an mil trois cens nonante trois, s' intituloit Procureur du Roy en ses Chambres des Comptes, Thresor & Monnoyes, au lieu d' un Maistre Pierre du Bourget. Et en l' an 1413. il est faict mention d' un Maistre Jean de Bailly Advocat du Roy en la Chambre: mais ce feurent oyseaux passagers qui dans leurs tombeaux enseuelirent aussi leurs tiltres. La verité est, que le Procureur General de la Cour de Parlement l' estoit aussi de la Chambre des Comptes, en laquelle il se trouvoit souvent avec ses compaignons pour y prendre les conclusions, és causes qui le requeroient. Et tout ainsi comme il a des substituts au Parlement pour le foulager, aussi trouvé-je que l' an mil quatre cens dixhuict, Maistre Jean Aigueuin Procureur general substitua pour luy en la Chambre Maistre Estienne de Nouian, lequel y fut receu le quinziesme Septembre. En fin par Edict du vingt troisiesme Decembre mil quatre cens cinquante quatre, portant un reglement general des affaires de la Chambre, fut creé un Procureur du Roy en icelle, & le premier qui porta ce tiltre fut Nouian duquel j' ay parlé presentement: Et apres luy Maistre Jean Aigret Secretaire du Roy en l' an mil quatre cens cinquante neuf, auquel succeda Maistre Guillaume du Moulinet son gendre. A luy Maistre Gervais, & finalement мaistre Gervais second, se trouvans trois de la famille des Moulinets avoir exercé ceste charge de pere en fils & petit fils: Et par la mort du dernier en fut pourveu Maistre Jacques Mangot, pour lors Maistre des Requestes du Roy, & apres luy Maistre Jean Dreux auparavant Conseiller de la Cour des Generaux des Aydes, qui exerce aujourd'huy l' Estat. Quant à l' Advocat, il n' eust lieu en la Chambre que vingt ans apres ou environ, soubs le regne de Louys unziesme. Le premier fut Maistre Pierre Frelet, & apres luy par une longue succession de l' un à l' autre, Maistres Jean Bauliard, Louys Seguier, Jean Berzeau, Jean de Harlin, François le Feure, Antoine Minart, Estienne Bouchard, Guy d' Ausseurre, Jean Prevost, Jean Bertrand, & Estienne Pasquier Autheur des presentes Recherches, qui depuis a mis cest Estat és mains de Maistre Theodore Pasquier son fils aisné.

Car quant est des Greffiers il y en a eu tousjours deux dés le premier establissement. Sous Charles V. en l' an 1368. nous y en trouvons un troisiesme, maistre Jean de Mouton, mais depuis son decés la regle des deux n' a point failly jusques à huy. Entre autres est celebré maistre Jean le Begue qui exercea ceste charge dignement l' espace de 50. ans: Et pour la longue ancienneté obtint lettres de Charles VIII. en l' an 1454. portans permission à maistre Jean Aigret Secretaire du Roy d' exercer au lieu de luy son Estat, lesquelles furent enterinees, à la charge que le Begue mort, il ne prejudicieroit aux deux Greffiers. Toutesfois estant decedé aagé de 89. ans, Aigret fut continué en cette comission par la Chambre, jusques à ce qu' autrement en eust esté ordoné. C' est luy qui quelque temps apres fut pourveu de l' Estat de Procureur general en la Chambre. Nul ne pouvoit être Greffier qu' il ne fust par mesme moyen Notaire & Secretaire du Roy: Le premier qui enfraignit cette regle fut Maistre Louys le Blanc, lequel par lettres de Louys XII. du 16. Avril 1499. obtint permission de se defaire de son Estat de Secretaire avec dispense de pouvoir exercer celuy de Greffier: & ce en consideration des longs services qu' il avoit faits à la Chambre, en laquelle il avoit exercé le Greffe l' espace de 32. ans. Le College des Secretaires s' y opposa: disant les Greffes des Cours souveraines ne pouvoir être exercez que par ceux qui estoient de leurs corps: En fin les Secretaires s' estans par importunitez & prieres departy de leur opposition, la Chambre enterina à iceluy le Blanc ses lettres, ne cognoissant pas que cette verification se faisoit plus de prejudice pour sa dignité, que non pas aux Secretaires. Et comme apres une premiere ouverture on franchit de là en avant aisément le sault: aussi cettuy mourant resigna son Estat à мaistre Estienne le Blanc son fils qui fut receu en l' an 1508. sans être qualifié Secretaire. Chose dont' quelques autres se sont aussi avec le temps dispensez, non sans notable interest de la Chambre: car comme ainsi soit que les arrests des Cours souveraines ne soient jamais seellez au seau qu' ils ne soient signez d' un Greffier Secretaire du Roy, cela a esté cause qu' avecq' le temps on deliura les Arrests sous la simple qualité des Maistres des Comptes, contre l' ancienne coustume, qui estoit de deliurer les Arrests de marque sous le nom & authorité de nos Roys, & les communs sous le nom des Maistres. Chose dont je rafrachy la memoire à Messieurs de la Chambre 1589. le premier an de ma reception, estimant que cela importoit à leur dignité.

Tout ce que j' ay deduit jusques icy est pour les grands Estats de la Chambre, ce que je deduiray cy apres ne sera pas de telle estofe. Je viens maintenant aux Huissiers qui executent les arrests & commissions de la Cambre. La derivaison du mot d' Huissier nous enseigne que ce n' estoit autre chose qu' un portier. Aussi quand aux anciens registres il est parlé de l' Huissier, on entend parler de celuy auquel estoit baillé la garde de la porte de la chambre. On annexa avecq' le temps à cest Estat par forme de commission la charge de payer Messieurs de leurs gages, & le premier qui en ceste charge eut quelque nom, ce fut Nicolas Malingre par lettres de Charles septiesme, du dernier Janvier 1446. lequel depuis, 8. ans apres & en l' an 1454. 10. Decembre par composition faite avecq' Messieurs, se chargea de faire venir les assignations de leurs gages, moyennant la somme de 300. liures par chacun an, & depuis par longue succession de temps on l' appelloit l' Huyssier & Receveur de la Chambre. Voire qu' en l' an mil cinq cens sept, Pierre Daniel fut receu en l' office d' Huyssier & Receveur du payement des gages des Officiers de la Chambre & menuës necessitez: Et par ce que cest Huissier estoit vrayement concierge de la Chambre, on luy assigna une maison pour demeure: Et ainsi le remarquons nous dés l' an 1468. que Simon Malingre estant pourveu de cest Estat par la resignation de Nicolas Malingre son pere, on adjouste nommément à sa reception sa maison & demeure avecques l' Estat.

Or estoit-il anciennement appellé seulement Huissier, non premier, comme nous faisons maintenant, parce qu' il estoit lors seul, ayant la garde de la porte. Homme toutesfois qui non seulement n' avoit permission d' exploicter, mais qui plus estoit on n' y en admettoit aucun qui sceut lire & escrire. Les Memoriaux de la Chambre portent: Que Colinet Malingre Huissier de La Chambre, obtint dispense en l' an 1435. par laquelle il luy fut permis exercer comme devant son estat, parce qu' il estoit Clerc, & que quelques uns disoient que selon la coustume & ordonnance ancienne de la Chambre, l' Huissier ne devoit être Clerc, & se doutoit que pource qu' il estoit assez cognoissant en l' escriture, aucun luy voulsit mettre empeschement en son dit office pour le temps advenir. Il n' y avoit aussi lors Huissier ou Sergent en la Chambre pour executer ses contraintes & mandemens, ains estoient pris des Jurisdictions ordinaires, ausquels elle faisoit taxes. Le 8. jour d' Aoust 1344. il fut ordonné par le Bureau que les Sergens ou autres qui de là en avant exploicteroient en vertu des ordonnances des sieurs des Comptes ou tresoriers, avroient chacun huit sols Parisis par jour, pour la despense d' eux & de leurs chevaux, jusques à ce que les viures fussent amendez, & que s' ils faisoient quelque mise necessaire, elle leur seroit allouee avecq' icelle despense, & que tels despens leur passeroient par le compte de la messagerie au Thresor. Ce Registre porte en termes exprés compte de la Messagerie, d' autant que si la Chambre ne commettoit les Sergens, il y avoit des hommes que l' on envoyoit diversement par les Provinces porter les commissions, pour les faire executer sur les lieux par les Sergens des Bailliages & Seneschaussees. Ceux-cy estoient appellez Messagers à pied: Et dés l' an 1455. il y en avoit dixhuict qui se donnoient comme offices & prestoient le serment à la Chambre. Louys XII. par ses lettres du vingt-deuxiesme Janvier 1511. confirmant leur charges, ordonna que tous les Roolles, Mandemens, & Commissions emanez de la Chambre des Comptes, pour adjourner & faire tous exploicts contre les officiers comptables, seroient portez par ces dixhuict Messagers és lieux des charges & Receptes desdits comptables, ou de leurs domiciles, & illeq' seroient faire les adjournemens, ou autres exploicts à l' encontre desdits comptables par les Huissiers & Sergens ordinaires, lesquels seroient payez par lesdits Messagers de leurs salaires & vacations, és mains desquels ils seroient tenus rendre les exploicts, & taxe pour chacun exploit un sol, qui seroient rendus ausdits Messagers, qu' à faute d' Huissiers ou Sergent ces Messagers pourroient exploicter en presence de deux tesmoins: Et ce seulement és adjournemens simples, & non pour les executions.

Par un autre Edict du 12. de Mars 1514. leur pouvoir est augmenté, leur estant permis de faire tous exploicts en vertu des Roolles & Mandemens de la Chambre, à l' encontre des comptables, mesmes au pays de Normandie, & de pouvoir faire des executions & autres exploicts necessaires, soit pour le Domaine, Regale ou autrement. Voulant le Roy qu' ils fussent de tel effect comme les Huissiers de Parlement: Et neantmoins par cest Edict, le mot de Messager ne leur tomba, car jusques en l' an 1514, faisant le serment à la Chambre on les appelloit seulement Messagers: Et vers l' an 1526. Huissers & Messagers de la Chambre, & furent ainsi qualifiez jusques en l' an 1540. que l' on commença de les appeller seulement Huissiers, qui fut cause que l' Huissier ancien de la Chambre, fut de là en avant appellé premier Huissier, à la difference des autres. Je ne veux pas oublier une chose qui m' estoit tombee de la plume par mesgarde, que ces xviij. Messagers, auparavant qu' ils peussent faire aucuns exploicts, obtindrent lettres en Avril 1508. par lesquelles ils furent declarez francs, & exempts de tous subsides & imposts mis & à mettre, tout ainsi que les autres officiers de la Chambre. Aujourd'huy le nombre de ces Huissiers se trouve creu de la moitié.

Encores ne veux-je oublier les autres petits Estats: Par l' ancienne police il y a tousjours eu en la Chambre un relieur des livres & comptes. Le 14. Septembre 1425. Guillaume d' Ingouville, est receu par la Chambre, porte le registre, en l' estat de relieur des livres & comptes, & qu' il n' y seroit rien de mal, ny ne permettroit être fait. En l' an 1492. on y apporta une particularité plus precise: Parce qu' en la reception de Guillaume Oger en cest Estat, on le fit jurer qu' il ne sçavoit escrire ny lire, afin qu' il ne descouvrit les secrets des comptes. Qui estoit la mesme consideration pour laquelle on avoit desiré le semblable à l' Huissier. Chose que je vous voux representer, afin que l' on sçache quelle estoit anciennement la discipline de ceste compaignie. Il restoit d' avoir quelque homme, à la fidelité duquel on commit la garde des livres. Le Roy François premier y donna ordre, & en erigea un nouveau en l' an 1520. Le premier qui eut ceste charge, fut Jean le Comte, auparavant Messager de la Chambre, lequel depuis avec le temps nous veismes tenir grand lieu en la Cour du Roy, & avoir porté tiltre d' Intendant de ses finances. Au regard des Estats de Procureurs, ce sont charges esquelles il n' est requis d' employer l' auhorité du Roy, pour leur promotion, ains celle de la Chambre seulement. Par une ordonnance du Roy Jean il estoit deffendu aux Clercs des Clercs d' embas de dresser les comptes des comptables. Il y eut depuis gens à ce par expres destinez: Ce furent les Procureurs dont je voy être faite mention, par l' ordonnance de l' an 1454. comme de gens qui faisoient bonne part & portion de la Chambre. 

A tant je pense avoir amplement discouru, & paravanture plus que ne *porze la patience du François, ce qui regarde ceste Chambre, ne vous faisant nul recit de la police qui y a esté diversement observee selon la diversité des temps, remettant cela paravanture à un autre mien plus grand loisir. Une chose vous puis-je dire (& c' est sur quoy je veux clorre ce chapitre) que lisant leurs anciens Registres & Memoriaux, esquels on trouve une infinité d' affaires d' Estat, il faut que les Seigneurs des Comptes ayent eu des premieres dignitez de la France, ou bien qu' ils ayent eu sur tous les autres Officiers du Roy ua soin particulier de rediger soigneusement par escrit dans leurs archifs tous les negoces de poids qui se passoient par la France. 

dimanche 13 août 2023

9. 42. Fiertre de sainct Romain de Rouen & de son ancien Privilege. // Fin du Neufiesme Livre des Recherches.

Fiertre de sainct Romain de Rouen & de son ancien Privilege.

CHAPITRE XLII.

La rencontre qu' il y a entre la Religion & les lettres, ayans l' une & l' autre pour leurs instrumens, la langue, & la plume pour les enseigner, fait qu' apres avoir discouru sur le fait des Universitez par ce livre, je vueille maintenant voüer ce dernier Chapitre à la fiertre sainct Romain de Rouen, & à son Privilege. Histoire vrayement admirable & unique en son espece, & qui pour cette cause merite d' estre recognuë de tous, mesmement en cette France.

Mandez moy je vous prie (disois-je escrivant au sieur de Tibermeuil President au Parlement de Rouen) dont procede le Privilege de vostre fiertre sainct Romain: & quelle en a esté l' ancienneté & continuation, ne me pouvant bonnement resoudre comme il se peut faire qu' un si homme de bien que luy produise un effect contraire à sa saincteté, je veux dire que sa saincteté soit comme une franchise des meurtres les plus detestables. S' il vous plaist me mander comme cela est arrivé en vostre ville, & l' ordre que vous y tenez, j' en feray un embleme en quelque endroict de mes Recherches. Mon mal-heur voulut que ce mien amy prevenu de mort ne me fit response. Mais maintenant j' en suis esclaircy. Qui fait que je vous en veux faire part.

Pendant les troubles derniers nous eusmes le Seigneur de Hallot de la maison de Montmorency, brave Cavalier le possible, & singulierement du tout voué au service du Roy, qui conserva plusieurs villes de la Normandie soubs son obeïssance. Et pour cette cause obtint de luy la qualité de Lieutenant general en ce pays, non par forme de gratification & faveur, ains pour son merite. Nous eusmes aussi lors le seigneur d' Alegre extraict d' une tres-noble & ancienne famille, qui possedoit plusieurs grands biens & seigneuries en la Normandie, & ne s' estoit distrait de l' obeissance du Roy. La fortune de guerre voulut que Hallot ayant esté grandement blecé au siege de Rouen, se retire en la ville de Vernon pour y estre pensé de ses playes, en laquelle il commandoit. D' Alegre accompagné de treize chevaux entre en la ville, & le lendemain matin faisant contenance de le vouloir visiter demande s' il luy permettoit de monter à sa Chambre. Hallot tres-malaisé de sa personne, ne le veut permettre, ains soustenu de ses potences, avecques une courtoisie admirable, descend au moins mal qu' il peut de sa Chambre, & comme il le pensoit accueillir il est salüé par d' Alegre & les siens de plusieurs coups de poignards & d' espée, dont il rendit l' ame sur le champ à Dieu. De vous dire que ce coup fut fait pour inimitié particuliere qui estoit conceuë entre eux, si ainsi eust esté, Hallot sage seigneur & accort n' eust fait si bon marché de sa personne. D' estimer aussi que ce fut en intention de s' emparer de la place, l' evenement monstra le contraire. Ceux qui pensent mieux approfondir ce fait, disent que c' estoit une jalouzie que l' autre couvroit dedans sa poitrine. Et moy je l' impute au mal heur que l' un & l' autre ne pouvoient eviter; l' un par sa mort inopinee, l' autre par sa miserable ruine, dedans laquelle il a esté depuis plongé menant une vie beaucoup plus penible que dix mille morts. Dés l' instant mesme du meurtre, d' Alegre sort de la ville & se retire en l' une de ses maisons. Mais quelques jours apres voyant que ce ne luy estoit lieu d' asseurance, il se retire vers la Ligue, où il trouva quelque respit de sa peur. Toutesfois combatu d' un remords de sa conscience, qui jour & nuit luy faisoit son procez, il s' advise d' employer à son affaire le Privilege de la fiertre de sainct Romain, mais encores avecques un conseil plain de crainte. Car il se donna bien garde d' entrer en la prison, ains fit joüer ce rollet à un jeune Gentil-homme nommé Pehu seigneur de la Mote, qui luy avoit esté Page. Cettuy leve & porte la fiertre le jour de l' Ascension 1593 par le choix que le Chapitre fait de luy entre tous les prisonniers pour l' enormitié du delit. Et par mesme moyen luy d' Alegre, & tous les complices sont par Arrest du Parlement absous de cest execrable assassinat. Deslors la Dame de Hallot & sa fille ont recours au Roy, qui par Arrest donné en son Conseil declare l' assassinat commis en la personne du sieur de Hallot, estre crime de leze Majesté, & ne pouvoir estre compris sous le Privilege de la fiertre. Arrest suivy d' un autre rendu au Parlement de Rouen seant à Caen, portant pareille declaration le dixneufiesme Janvier 1594. & le sieur d' Alegre condamné en si grandes reparations, que tous ses biens n' estoient suffisans d' y fournir, si vous en croyez la commune renommée.

Nos troubles estans depuis rappaisez, advient que les deux Dames, mere & fille, ayans eu advis que Pehu estoit en la ville de Paris (ores qu' il se pensast targer de quelques grands seigneurs) donnent si bon ordre à leur fait qu' ils le firent coffrer és prisons du grand Chastelet. La cognoissance de leur different est renvoyée par le Roy à son grand Conseil. Adoncques Pehu obtient lettres d' abolition. Et combien que devant le Chapitre de Rouen, il se fust rendu infiniment coulpable, pour se rendre plus capable du Privilege de la fiertre, toutesfois par ses nouvelles lettres, il change de note, articule faits nouveaux, & couche de minima. Ces lettres par luy presentées au Conseil, pour n' obmettre rien en sa cause qui peust servir à la conservation de sa vie, les seigneurs qui luy servoient de parreins moyennerent, que Monsieur le Cardinal de Joyeuse Archevesque de Rouen, & les Doyen, Chanoines, & Chapitre presenterent leur Requeste, affin d' estre receus parties, pour la defense de leur Privilege. Grande cause certes, qui fut diversement bien soustenuë par quatre braves Advocats. Un Cerisay pour Pehu, Monstrueil pour le Chapitre, Boutillier pour les deux Dames, & Monsieur Foulé Advocat du Roy, pour Monsieur le Procureur general. Et Dieu sçait si ce fut à beau jeu, beau retour. Cerizay pallia son faict avec plusieurs belles dexteritez d' esprit & d' exemples. Monstrueil monstra que S. Romain Archevesque de Rouen sous le regne de Clotaire second; suivy d' un prisonnier condamné à mort, ayant avecques son estole dompté un Dragon, (qui depuis fut appellé Gargoüille) sainct Ouin son successeur en commemoration de ce grand ouvrage obtint du Roy Dagobert fils de Clotaire, que les Doyen, Chanoines, & Chapitre de l' Eglise de Rouen, pourroient tous les ans elargir des prisons de la ville le plus sceleré & meschant qu' il s' y trouveroit, & apres avoir discouru tout au long l' une & l' autre ancienneté, s' armant d' une grande hardiesse: Nostre Privilege (dit-il) a pour son fondement la saincteté, pour son establissement l' Antiquité, pour son entretenement la possession tesmoignée par les arrests du Parlement de Rouen, & outre ce n' est sans exemple & sans raison. Et en un autre endroit ensuivant parlant du fait dont il s' agissoit. Je demeure d' accord que c' est un meschant acte, un assassinat, un guet à pens qu' on ne sçavroit assez blasmer. Mais aussi nostre Privilege n' est pour les fautes legeres, pour les cas remissibles, pour les delits communs; c' est un remede extraordinaire, une grace du Ciel, dont la grandeur n' esclate, sinon par l' opposition de l' enormité des crimes qui sont esteints & abolis par icelle. En somme vous apprenez par son plaidoyé, que plus le delit est damnable & irremissible, plus il trouve de recommandation & merite dedans le Privilege. Apres Monstrueil parla, Boutillier pour les deux Dames, faisant paroistre qu' il n' estoit apprenty, ains grand Maistre en sa profession d' Advocat, & avec une singuliere doctrine s' estendit en discours, pour monstrer, non que le miracle du Dragon Gargoüille, attribué à sainct Romain, n' eust peu estre fait, ny le Privilege octroyé par le Roy Dagobert: mais bien que du tout ils n' avoient esté faits, ny octroyez. En fin Monsieur l' Advocat Foulé se joignant avec luy, il seroit impossible de dire, combien en peu de paroles il dit beaucoup de belles choses. Les Advocats s' estans tous acquitez des leurs devoirs, il fut dit par arrest du vingt-deuxiesme Decembre 1607. qu' avant que faire droict sur les Requestes presentées par Pehu, & par le Chapitre, les tesmoins ouys, & examinez à la Requeste des deux Dames, seroient recolez & confrontez à Pehu, & à elles permis d' en produire d' autres dedans certain temps prefix. Le procez ayant eu toutes ses façons, s' ensuit Arrest du 16. Mars 1608. par lequel le Conseil ayant aucunement esgard aux lettres d' abolition pour les cas resultans du procez, bannit Pehu de la suite de la Cour dix lieuës à la ronde, pays de Normandie & Picardie, pour le temps & espace de neuf ans, luy enjoint de garder son ban à peine de la vie, pendant lequel temps il serviroit le Roy à ses despens en tel lieu qu' il luy plairoit. Et en outre le condamne en quinze cens liures de reparation envers les deux Dames, & quinze cens envers les pauvres, & encores en pareille somme appliquable à la discretion du Conseil, & aux despens.

Cest arrest ainsi prononcé, comme s' il eust fait quelque breche au Privilege de la fiertre, on fait sous le nom du Chapitre un livre portant sur le frontispice: Defense du Privilege de la fiertre de sainct Romain dans lequel l' autheur sans nom ne pardonne en aucune façon à la reputation de Boutillier, lequel voyant que ce n' estoit plus la cause des Dames de Hallot & de la Veronne, ains la sienne propre, aiguise sa plume & son esprit, & fait une ample & docte response. A la suite de laquelle Rigaut Advocat au Parlement de Paris, grandement nourry en l' ancienneté, expose en lumiere la vie de sainct Romain, extraite d' un vieux manuscrit Latin trouvé en la Bretagne, pour monstrer que le pretendu miracle estoit faux & supposé. Contre ces assaux d' honneur le Chapitre ne demeure muet. Car le sieur Behot grand Archidiacre escrit en langage Latin une Apologie contre Rigaut. Et un autre fait un livre contre la response de Boutillier sous le titre de refutation. N' ayant chacun d' eux en leur endroit rien laissé de reserve dedans leurs estudes, pour faire paroistre de leurs suffisances. Grande pitié certes que du miracle fait contre la Gargoüille, soit issu une nouvelle gargoüille; je veux dire un fascheux different & mauvais mesnage entre ces personnages d' honneur. Car ainsi voy-je souvent estre mis en usage ce mot de gargoüille. Je me donneray bien garde de vouloir juger de leurs coups. Et vitula tu dignus, & hic. Bien vous diray-je que si le mot de miracle en Latin est dit pour une chose qui engendre en nos ames des merveilles extraordinaires; je ne puis certes ne m' esmerveiller dont vient que Messieurs du Chapitre pretendans estre fondez en plusieurs grandes marques, pour tesmoigner l' ancienneté, tant du miracle que de leur privilege; toutesfois que ny Greg. de Tours, ny Beda, ny Isuard, ny Aimoïn, ny Adon de Vienne, ny Sigebert, ny Vincent l' Historial, ny Mathieu d' Westmonstier, ny Molanus, ny Demochares, ny le grand Cardinal Baronius, bref nul des Autheurs tant anciens que modernes, n' en ayent parlé par leurs livres, ores que les aucuns ayent fait une digne commemoration de sainct Romain, & que nul d' eux en leur general, n' ait esté avaricieux au recit des miracles des Saincts.

J' adjousteray que les Rituels mesmes de l' Eglise de Rouen, ny leur Breviaire n' en font aucune mention, dedans lequel toutesfois est fait un sommaire denombrement des miracles de S. Romain, & singulierement d' un auquel avant que de le faire luy apparut un dragon: mais nulle mention du dragon Gargoüille. Chose qui a esté le motif du different de Gargoüille qui est entre ces beaux esprits. Auquel si j' en suis creu, je dirois volontiers qu' il y a double regard: l' un du miracle, l' autre du privilege. Miracle qui a esté fait par la grace expresse de Dieu, prieres & intercession de S. Romain: privilege par l' octroy d' un Prince, par entremise de S. Oüin. Entant que touche le miracle, je seray tousjours d' avis qu' on ne doit sourciller contre la venerable ancienneté. Nous sommes enseignez par plusieurs doctes personnages Catholiques, qu' il y a beaucoup de miracles faux & supposez, ausquels il ne faut adjouster foy (ja à Dieu ne plaise que j' estime cestuy estre tel) & neantmoins pour les croire on ne l' impute à impieté, mais pour excuser ceste faute provenant de la simplicité d' une ame timoree, nos sages Theologiens disent que sans s' en informer d' avantage, il les faut pie credere; & nous autres rendans cette sentence Latine en nostre vulgaire François, avons dit, non croire piement ou pieusement; ains croire piteusement, comme si en cette creance il y avoit plus de pitié que de pieté. Mais quant au privilege qu' on dit avoir esté octroyé par nostre Roy Dagobert de le croire ou mescroire, il n' y va rien de nos consciences; sinon de tant que ne le croyant, le Chapitre de Rouen estime luy estre fait grand tort, qui a basty plusieurs ceremonies dedans son Eglise pour authoriser la foy de cette pretenduë histoire.

Or comme je suis grandement desireux de me rendre capable des anciennetez de nostre France, & recognoistre dedans mes Recherches ceux dont je les tiens en foy & hommage; aussi vous puis-je dire que de toutes ces doctes plumes j' ay recueilly l' antiquité du privilege de la Fiertre S. Romain, dont je vous veux faire part, pour m' acquiter de la promesse que j' avois faite au Seigneur de Tibermeuil, laquelle vous trouverez au 8. livre de mes lettres.

Vous entendrez doncques s' il vous plaist que les Doyen, Chanoines & Chapitre de l' Eglise de Rouen tiennent pour histoire tres-veritable, qu' ils ont apprise de main en main, de tout temps immemorial, que sous le regne de Clotaire II. il y eut un Dragon du depuis appellé Gargoüille, qui faisoit une infinité de maux és environs de la ville, aux hommes, femmes, petits enfans, ne pardonnant pas mesmes aux vaisseaux & navires qui estoient sur la riviere de Seine, lesquels il bouleversoit: Que S. Romain lors Archevesque de Rouen meu d' une charité tres-ardente, se meit en prieres & oraisons, & armé d' un surplis & estole, mais beaucoup plus de la foy & asseurance qu' il avoit en Dieu, ne doubta de s' acheminer en la caverne où cette hideuse beste faisoit son repaire: Qu' en ce grand & mysterieux exploit, avant que partir, il se fit deliurer par la Justice, un prisonnier condamné à mort, comme il estoit sur le poinct d' estre envoyé au gibet: Que là il dompta cette beste indomtable, luy meit son estole au col, & la baille à mener au prisonnier. A quoy elle devenuë douce, comme un agneau, obeït, jusques à ce que menee en laisse dedans la ville, elle fut arse & bruslee devant tout le peuple. Victoire dont Sainct Romain ne voulut rapporter autre trophee, que la pleine deliurance du prisonnier qui estoit condamné à mort, qui luy fut liberalement accordee. Mais Sainct Oüin son successeur (les Nonnains l' appellent S. Oüan) le voulant r'envier sur luy, pour immortalizer ce miracle, obtint du Roy Dagobert fils de Clotaire second, que de là en avant les Doyen, Chanoines & Chapitre pourroient tous les ans, au jour & Feste de l' Ascension faire congedier des prisons, celuy qui se trouveroit avoir commis le plus execrable crime, à la charge de lever, & porter la Fiertre & Chasse sainct Romain, en une procession solemnelle qui se feroit tous les ans. Auquel cas il obtiendroit une abolition generale, tant pour luy, que pour tous ses complices (voire pour le plus sceleré de la troupe) ores qu' ils ne fussent entrez aux prisons. Que ce privilege avoit esté continué de temps en temps jusques au regne du Roy Philippes Auguste, lequel ayant reüny à sa Couronne toute la Normandie, dont auparavant l' Anglois joüissoit, pour l' esclaircir de tout ce que dessus, decerna sa commission à Robert Archevesque de Rouen, & Guillaume de la Chappelle, Chastelain de l' Arche (c' est ce que depuis nous avons nommé Pont de l' Arche) qui firent appeller devant eux, le jour & Feste sainct Pierre & sainct Paul, en l' Eglise de sainct Oüan trois Ecclesiastiques, Henry Chantre, Raoul Archidiacre, Guillaume de Castenoy Chanoine, trois Gentils-hommes, Jean des Prez, Luc son fils, Robert de Fleches: trois Citoyens de la ville de Rouen, Jean Froissart, Laurent Turrelieu, & Jean Luce: Tous lesquels apres serment par eux fait, declarerent sur l' obscurité qui lors se presentoit, que du temps de Henry & Richard Roys d' Angleterre, & Ducs de Normandie, ils n' avoient jamais veu ce privilege revoqué en doubte: mesme que pendant l' an de la prison de Richard en Allemagne, n' ayant esté aucun prisonnier deliuré, soudain apres qu' il eut mainlevee de sa personne, on en deliura deux au Chapitre pour suppleer le defaut de la precedante annee.

L' Autheur de la refutation cotte depuis ce temps là plusieurs actes qu' il dit estre aux Archifs du Chapitre, dont il a fait estat confusement, que je vous representeray selon l' ordre des ans: Et neantmoins je tiens de luy ce que je diray. Une Chartre de l' an 1214. portant que l' an 1210. un Richard Gendarme recogneut qu' estant prisonnier és prisons de Rouen, pour un meurtre par luy commis, il en avoit esté deschargé par le Chapitre, suivant le privilege à luy octroyé de tout temps & ancienneté. Qu' en l' an 1299. le Chapitre ayant fait deffence à Maistre Pierre Simel Baillif de Rouen, & Maistre Geoffroy Avice Vicomte, de n' enlever aucun des prisonniers des prisons, ny condamner à mort aucun, auparavant l' Ascension, suivant la coustume; ce nonobstant le Baillif ne laissa de condamner à mort un nommé Robert d' Auberbo Gendarme, ensemble d' estre trainé avant que de mourir à la queuë d' un cheval. Qui donna occasion au Chapitre de se plaindre à Messieurs de l' Eschiquier, de la contravention faite à leur privilege par le Baillif: Et pour cet effect deputerent Maistres Rigaud Doyen, Philippes de Flavacour Thresorier, & plusieurs autres Chanoines. Apres la remonstrance desquels fut ordonné que le criminel seroit ramené aux prisons, qui lors estoit ja proche du gibet. Que comme l' an 1302. le mesme Simel Baillif de Rouen eut enlevé des prisons un criminel nommé Nicolas le Tonnelier, detenu pour un meurtre par luy commis, nonobstant les remonstrances à luy faites, & l' eut fait transporter aux prisons du Pont de l' Arche, & quelques prieres qu' on luy eust faites, ne le voulut restablir aux prisons de Rouen. Nonobstant ce refus le Chapitre ne laissa d' aller en procession à la vieille Tour, avec resolution de la laisser, jusques à ce que le Baillif eust ramené le prisonnier à Rouen. Tellement que la Chasse demeura là jusques au Samedy ensuivant, auquel le prisonnier fut representé. Et fut esleu ce mesme jour un nommé Guillaume de Montguerra. Actes que j' ay voulu copier, comme tres signalez. Le I. ayant sorty son effect, le prisonnier estant au gibet sur le point d' estre exposé au supplice. Le 2. pour monstrer que dés ce temps-là, soudain apres la sommation faite par le Chapitre aux Juges, il leur fermoit les mains. Comme vous voyez que le Baillif de Rouen fut contraint de reintegrer en ses prisons Nicolas Tonnelier criminel, qui ne fut toutesfois depuis esleu pour estre deliuré, ains Montguerra. Et n' est pas moindre cestuy de l' an 1327. que un nommé Pierre Dantueil apres le retour de son bannissement, ayant fait un meurtre, pour lequel il fut emprisonné au chasteau de Rouen, supposant qu' il s' appelloit Guillaume de Valles, arriva qu' interrogé par les deputez du Chapitre, il se nomma selon son vray nom: Et comme apres son eslection, les Chappelains le voulussent enlever du chasteau selon la ceremonie du jour, on leur eust fait response, qu' il n' y avoit aucun prisonnier portant le nom de Piere Dantueil. Nonobstant ce refus les Doyen, Chanoines & Chapitre ne laisserent de marcher en Procession, soustenans qu' ils n' en demandoient autre que celuy qu' ils avoient esleu, lequel leur fut en fin deliuré; auquel y avoit trois qualitez de delits concurrantes ensemble, infraction de bannissement, meurtre, & falsification de son nom: mais sur tous autres actes est cestuy tres-remarquable, par lequel on presuppose que sur la requeste presentee par le Chapitre, au Roy Charles huictiesme seant en son Eschiquier de Rouen apres Pasques, sur la manutention & entretenement de ce privilege. Apres que son Procureur general eut esté oüy, & declaré qu' il n' entendoit l' empescher, fut dit par la Cour qu' elle n' entendoit aussi le contredire, & de ce leur fut donné acte le 27. Avril 1485. pour leur servir ce que de raison. A la suite de cela le Roy Louys XII. par ses lettres patentes du mois de Novemb. 1512. narration faite de l' acte du Roy Charles VIII. cy-dessus mentionnee (non toutesfois de celuy du regne de Philippes Auguste) confirme ce privilege en tout & par tout selon sa forme & teneur. Et depuis sur les obstacles qui leur estoient faits de fois à autres par le Parlement de Rouen, encore obtindrent-ils autres lettres de confirmation de Henry II. en l' an 1537. & de Charles IX. l' an 1561. Que si j' ay quelque sentiment en cette Histoire; mon avis est que tout ainsi qu' on attribuë l' origine de ce privilege à deux grands Archevesques de Rouen, S. Romain, & S. Oüen, aussi veux-je croire que deux autres grands Archevesques luy donnerent depuis la plus grande vogue: George Cardinal d' Amboise, qui gouvernoit paisiblement le cœur & oreille de Louys XII. son Maistre, & Charles Prince du Sang, Cardinal de Bourbon, qui pendant la minorité de Charles IX. & de Henry III. son successeur, fit depuis son propre faict de ce privilege envers & contre tous. Non toutesfois sans murmure: car le docte Bodin sur le commencement du 10. livre de sa Republique ne s' en peut taire. Ce n' est pas à nous de juger des coups. Je veux avec toute humilité croire le miracle pour tres-veritable; tout ainsi que le Clergé de Rouen. Mais estant tel; le miracle n' est pas moindre que nul des anciens Autheurs ou modernes n' en ait fait aucune mention, ores que quelques uns ayent avec tout honneur solemnizé la memoire de ce grand sainct. J' adjousteray que non seulement ces Autheurs, mais qui plus est leur Rituel, & leur Breviaire, bien qu' ils discourent plusieurs miracles de luy; toutesfois ne parlent aucunement de cestuy. Chose vrayement merveilleuse: mais encore plus miraculeuse que nul n' en ayant parlé ou escrit, ce neantmoins leurs nonchalances, negligences, inadvertances, bref l' ingratitude des ans n' ayent peu ensevelir la memoire, ny du miracle, ny du privilege par luy produit, exhorbitant neantmoins du sens commun de la Justice: Parce que je puis dire, & en petille qui voudra, qu' en toute l' ancienneté vous n' en trouverez un semblable. Dispute toutesfois qui est maintenant vaine & frustratoire: D' autant que deffunct nostre grand Roy Henry IV. l' outrepasse de ses devanciers, tant au fait de guerre que de la paix, y a mis fin par son Edit fait en l' assemblee des trois Estats de Normandie l' an 1607. confirma ce privilege pour avoir lieu à perpetuité, fors toutesfois és crimes de leze Majesté divine & humaine, assassinat & guet-apen, rapt & violement de filles. Adjoustant que nul n' en peust joüyr sinon qu' il se rendist prisonnier. Et vrayment plus belle closture ne pouvoit advenir à ce grand privilege que celle de ce grand Roy. Qui me fait dire que tous les discours qui ont esté depuis faits pour & contre, sont non seulement oiseux; ains noiseux. Jamais plus belle loy ne fut que celle de l' Empereur Constantin: Consuetudinis ususve longaevi non vilis est authoritas, verum non eo valitura momento, ut legem vincat, vel rationem.

A la suite de cet Edit a esté donné un Arrest au Conseil d' Estat en l' annee 1612. au rapport du Seigneur de Chanlay Feudriac, Conseiller & Maistre des Requestes ordinaire du Roy. Il estoit advenu que le Seigneur de l' Archie assisté de quelques siens parens & amis avoit de guet-apen assassiné Messire Jacques de Vandosmois Seigneur de Valleray. Du depuis Anne de Voye Seigneur de l' Espiciere, oncle de l' Archie entre aux prisons de Rouen, & se presente devant les deputez du Chapitre, confessant avoir esté de la partie lors que l' assassinat fut commis. 

Il est esleu par le Chapitre pour lever & porter la Fiertre, & par mesme moyen est donné Arrest le douziesme de May mil six cens unze, par le Parlement, vray qu' il portoit cette particularité, pour joüyr par luy seul du privilege. Les prisons luy estant ouvertes, & la ceremonie accomplie le jour & Feste de l' Ascension, Dame Marguerite de Marescot veufve du deffunt presente sa requeste au Roy en son Conseil d' Estat contre Voye; a fin de faire casser l' Arrest, comme donné contre, & au prejudice de l' Edit du Roy Henry le Grand. A mesme instant le Chapitre pareillement presente une autre requeste le premier jour du mois d' Aoust mil six cens unze contre la veufve, aux fins de la mesme cassation, en ce que par l' Arrest on n' y avoit compris tous les complices du delict, selon leur ancien privilege. Les parties ayans produit d' une part & d' autre; en fin par Arrest la requeste de la veufve fut entherinee, & en ce faisant l' Arrest cassé, & annullé; & pour le regard de la requeste des Doyen, Chanoines, & Chapitre de Rouen, les parties mises hors de Cour & de procez sans despens. Le premier chef de l' Arrest fondé sur ce que c' estoit un guet-apen, duquel consequemment ny le meurtrier, ny ceux qui l' avoient assisté ne pouvoient estre affranchis par le benefice de la Fiertre: Et le second d' autant que les complices n' en pouvoient estre absous, sinon se rendans prisonniers. Tres-belle execution & d' un fort bel edit, qui enseignera la leçon à tous les meurtriers, de ce qu' ils ont desormais à faire.

Voila ce que je pense appartenir à l' ancienneté du privilege de la Fiertre, jusques à huy; maintenant je vous veux discourir l' ordre que l' on y practique. Le treiziesme jour avant l' Ascension, quatre Chanoines suivis de quatre Chappelains, revestus de leurs surplis & aumusses, ayans le Bedeau de leur Chapitre devant eux, vont sommer les Officiers du Roy en la grand Chambre du Parlement, puis au Bailliage, & en la Cour des Aydes, de surseoir toutes procedures extraordinaires contre les criminels qui sont detenus en leurs prisons, jusques à ce que leur privilege ait sorty effect. Sommation qui produict la surseance par eux requise. Les Lundy, Mardy, & Mercredy des Rogations, l' Archevesque & les Chanoines ont accoustumé d' envoyer deux Chanoines, accompagnez de deux Chappelains, en l' habit de l' Eglise, avecques le Notaire & Tabellion du Chapitre, tous Prestres, en toutes les prisons de Rouen, où ils examinent les prisonniers, & redigent par escrit les confessions, qui doivent estre par eux tenuës secrettes, comme si elles estoient faites Sacramentellement (portent les lettres du Roy Louys XII.) Le jour de l' Ascension sur les sept heures du matin, tous les Chanoines Prestres capitulairement assemblez, invoquans la grace du S. Esprit, par l' Hymne de Veni Creator Spiritus, & autres suffrages de devotion, font serment sous le seel de Confession de ne reveler les depositions faites par les prisonniers. Oyent les deux de leurs confreres par eux commis, lisent leurs procez verbaux, puis le tout meurement calculé & consideré, ils choisissent celuy qu' ils trouvent chargé du crime le plus detestable, pour luy estre les prisons ouvertes. Ainsi estoient ils tenus de le faire auparavant l' Edit du Roy Henry le Grand, s' ils ne vouloient contrevenir à leur privilege; qui leur eust esté un grand forfait, voire une forme d' assassinat contre leur ancien institut. Cette eslection ainsi faite, le nom du prisonnier est escrit dedans un cartel bien cacheté du seel du Chapitre, & tout d' une main envoyé par un Prestre Chappelain avec son surplis & aumusse, à Messieurs du Parlement, qui l' attendent en la grand Chambre du Palais, revestus de leurs robbes d' escarlate. Le cartel par eux ouvert, adoncques sur la nomination qui a esté faite du prisonnier, ils ordonnent à l' instant, par leur Arrest, que les prisons luy seront ouvertes, & tous ses complices deschargez. Clause derniere ainsi apposee, auparavant le mesme Edit. Au retour du Chappelain, le Chapitre brusle sur l' Autel toutes les confessions des criminels, pour en ensevelir la memoire. Environ les deux ou trois heures apres midy, le prisonnier sort des prisons, passe par les ruës pleines de monde, la teste nuë, les fers aux pieds, jusques au mesme lieu où est la Chasse qu' il leve, apres avoir faict une confession auriculaire de ses fautes, & lors luy sont les fers ostez. Soudain apres la Procession commence à marcher, le prisonnier porte le bout da premier branquart de la Chasse, accompagné de sept autres, qui depuis les derniers sept ans ont joüy du mesme benefice, tenans tous en leurs mains des torches ardantes; & en cette procession la Gargoüille est levee au bout d' une perche sous les pieds de S. Romain, representation & image du grand miracle par luy fait contre le Dragon. La Procession arrivee en la grande Eglise, la Messe y est chantee, quelquesfois à cinq heures du soir. Pendant laquelle le prisonnier va à chacun des Chanoines demander pardon à genoux. Le service divin celebré, il est conduit en la maison du maistre de la Confrairie S. Romain, ou de quelque qualité & condition qu' il soit, voire tresbasse, il est treshonorablement traicté jusques au lendemain matin, qu' il se presente au Chapitre, où estant agenoüillé, l' un des Chanoines à ce delegué, luy fait une ample remonstrance sur la faute par luy commise, l' admonnestant d' amender sa vie, & de n' y recidiver plus. Entr'autres choses il jure pour conclusion qu' il ne sera jamais larron ny meurtrier.

En ce dernier acte gist la catastrophe & accomplissement de cette ceremonie: en laquelle (sans entrer au fonds de la conscience d' autruy) je ne voy rien que choses sainctes, & pleines de pieté, depuis le commencement jusques à la fin; non toutes-fois exemptes de calomnie. D' autant que les malignes langues & venimeuses, disent que cecy est un jeu couvert, revestu du masque de devotion, & que de tous ceux qui estoient annuellement esleus par le Chapitre, il n' y avoit celuy qui n' eust un Prince ou grand Seigneur pour parrein, & en ce deffaut qu' on mettoit de l' argent au jeu. Tellement que cette abolition s' octroyoit à l' enquant, au plus offrant & dernier encherisseur, & à peu dire, que c' estoit le S. Esprit qui operoit en cette ceremonie. Ce que les mesdisans veulent prouver par une demonstration qu' ils estiment infaillible: parce que nul n' entra jamais aux prisons pour cet effect, qu' il ne fust asseuré d' en sortir avant l' invocation du S. Esprit. Quant à moy je veux croire que cette mesdisance est une vraye imposture, & calomnie: mais parce que tout personnage d' honneur a non seulement interest d' estre franc & exempt de la coulpe, ains pareillement du soupçon, pour en estancher le venin, je souhaite en cette affaire deux choses. L' une, que ce privilege ne s' estende qu' en faveur des delits, qui de leur nature sont remissibles: L' autre, qu' il n' ait lieu que pour les crimes commis dedans la province de Normandie, & pour les prisonniers justiciables, soit en premiere ou seconde instance du Parlement de Rouen, qui se trouveront, ou casuellement, ou par dessein, és prisons de la ville de Rouen. J' estime qu' en ce faisant ce sera fermer la bouche à tous ceux qui en mesdisent, & par mesme moyen que Messieurs du Chapitre gens d' honneur, ne prendront de mauvaise part mon souhait.


Fin du Neufiesme Livre des Recherches.

dimanche 9 juillet 2023

6. 18. Traict memorable de Chevalerie, courtoisie, & liberalité du Chevalier Bayard.

Traict memorable de Chevalerie, courtoisie, & liberalité du Chevalier Bayard.

CHAPITRE XVIII.

Apres avoir mis quelques discours des bonnes lettres sur le mestier, il ne sera hors de propos si pour contr'eschange, je donne icy lieu aux armes. J' ay au Chapitre precedent discouru sur la vie de Pierre Abelard, extraict d' une noble famille de Bretagne: Je vous representeray maintenant un Pierre de Bayard Gentil-homme du Dauphiné: Tous deux parangons, celuy-là aux bonnes lettres, cestuy-cy au faict des armes. Le premier sçavant & superlatif dessus les sçavans, d' un esprit bizarre, irrequiet, & presomptueux: Qui luy fit encourir plusieurs censures & reprimendes de ses superieurs. Le second vaillant dessus les vaillans, mais d' un esprit modeste, calme, & bien reiglé: Qui le feit aymer des grands, & honorer des petits: & par mesme moyen rapporter le tiltre de Bon Chevalier sans peur & sans reproche. Son trisayeul mourut aux pieds du Roy Jean à la journee de Poictiers, son bisayeul en celle d' Azincour sous Charles VI. son ayeul en la bataille de Mohtlehery, & son pere griefvement blessé en celle de Guinegaste. Belle production certes d' une Genealogie, pour rendre recommandable le Gentil-homme dont je parle, & neantmoins peu de chose, si la recommandation principale ne provenoit de son propre fonds. Toutes les loüanges que nous mandions de nos ancestres sont pauvres, quand nous manquons a nous mesmes. Jamais ne fut guerrier en son tout, accomply de tant de bonnes parties que luy. Les uns se trouvent accompagnez de proüesse, mais en eux quelques-fois defaut, ou le lignage, ou la prudence. Et ores que les deux s' y rencontrent, toutes-fois le mestier de la guerre engendre souvent le mespris de Dieu, & des hommes, en ceux qui pensent estre quelque outrepasse sur leurs compagnons. J' adjouste que pour se mettre plus aisément sur la monstre, ils logent avecques l' ambition d' honneur, souventes-fois l' avarice, aux despens du pauvre peuple, & tout d' une suitte, tantost la cruauté, tantost la paillardise selon les occasions. Tous vices esloignez de nostre bon Chevalier, qui n' avoit autre impression en son ame, premierement que l' honneur de Dieu, puis le service de son Roy, pour la deffence de sa Couronne. Liberal & courtois le possible, rendant aux Dames tel devoir que l' on peut desirer d' un preux Chevalier, & jeu sans vilenie. En toutes les escarmouches se trouvant tousjours à la pointe, pour faire teste à l' ennemy, & aux retraites le dernier, pour servir d' espaule aux siens: N' oubliant un seul point de bien obeïr à ceux qui avoient puissance de commandement sur luy, ny de bien commander, aux gendarmes qui estoient sous sa charge: Sage en ses advis aux deliberations de la guerre: Magnanime & prompt à la main aux executions: Magnanimité ordinairement suivie d' un heureux succez. Aimé non seulement des nostres, mais aussi de nos ennemis qui le redoutoient. Il poussa pied à pied sa fortune, premierement gendarme de la compagnie du Comte de Ligny, puis guidon, en apres chef d' une compagnie de gendarmes: & finalement Lieutenant de Roy. Servit trois Roys, Charles VIII. Louys XII. François I. Et singulierement ce dernier pour les paradoxes vertus qu' il recogneut en luy, le choisit pour recevoir l' Ordre de Chevalerie par ses mains. Plus belle closture ne pouvoit estre de son histoire que celle-là. Je n' ay pas icy entrepris de vous pourtraire tout au long sa vie, qui fut escrite d' une plume hardie en l' an 1527. par homme qui ne se voulut nommer, ains me contenteray de vous en refraischir par ce chapitre, la memoire, que je voy presque ensevelie par l' ingratitude des ans.

Pendant les guerres que nous eusmes sous le Roy Louys XII. en Italie contre les Venitiens, c' estoit un vray jeu de barres: tantost les villes prises par les uns, puis par les autres reprises. Entr'autres, la ville de Bresse estant retombée és mains des Venitiens, le Duc de Nemours Lieutenant general du Roy en la Lombardie, mit toute son entente à la remettre és mains de son Maistre, & y ayant mis le siege, comme il fallut aller à l' assaut, il avoit esté advisé par le conseil des Capitaines, que le Seigneur de Molart avecques ses gens de pied conduiroit la premiere pointe: Mais ayant chacun opiné, Bayard prit la parole, & dit au Duc de Nemours. Monseigneur sauf vostre reverence, & de tous Messeigneurs, il me semble qu' il faut faire une chose dont nous ne parlons. Interrogé par le Seigneur de Nemours que c' estoit. C' est, dit-il, que vous envoyez Monsieur de Molart faire la premiere pointe. De luy je suis asseuré qu' il ne rebouchera pas, ny beaucoup de gens de bien qu' il a avecques luy. Mais si les ennemis ont gens bien aguerris avecques eux, sçachez qu' ils les mettront à la pointe, & pareillement leurs harquebuziers: Or en telles affaires il ne faut jamais reculer: & si d' aventure ils repoussoient les nostres, & qu' ils ne fussent soustenus par la gendarmerie, il en pourroit sourdre un grand desordre. Parquoy je suis d' advis qu' avecques Monsieur de Molart on mette cent, ou cent cinquante hommes d' armes, lesquels seront pour beaucoup mieux soustenir le faix, que les gens de pied qui sont armez à la legere. Lors dit le Duc de Nemours. Vous dites vray, Monsieur de Bayard, mais qui est le Capitaine qui se voudra hazarder à la mercy de leurs haquebuttes? Ce sera moy s' il vous plaist (respondit Bayard) & croyez que la Compagnie dont j' ay la charge, sera aujourd'huy tel service au Roy & à vous, qu' aurez sujet & matiere de vous en contenter. Quand il eut ainsi parlé, tous les Capitaines se regarderent l' un l' autre grandement estonnez de cette offre si perilleuse. Toutes-fois ayant demandé la charge, elle luy demeura: Le Capitaine de Molart & ses gens vont à l' assaut, & sur les aisles estoit Bayard avecques les siens à pied tous gens de choix & eslite: car la plus part de ses gendarmes avoient esté, ou Capitaines en chef, ou des principaux membres des Compagnies: mais ils aimerent mieux apres, estre de sa compagnie que de commander, tant ils honoroient ses vertus. A bien assailly, bien deffendu: Et se jetta Bayard d' une telle furie, qu' il entra le premier, & passa le rampart, & apres luy plus de mille soldats. De sorte qu' ils gaignerent le premier fort. Mais cette hardiesse luy fut cher venduë. Car il receut un coup de picque dedans le haut de la cuisse, qui entra si avant que le bout rompit, & demeura le fer, & un bout du fust dedans. Bien pensoit-il estre blessé à mort: Au moyen dequoy il dit à Molart. Compagnon faites marcher vos gens, la ville est gaignee, de moy, je ne sçavrois tirer outre, car je suis mort. Le sang luy ruisseloit en grande abondance, lequel luy fut estanché par deux de ses archers, avecques leurs chemises qu' ils deschirerent, & en la premiere maison qu' ils trouverent desmonterent un huis, sur lequel ils le chargerent, & le plus doucement qu' ils peurent, avecques l' aide de quelques autres le porterent en une maison plus apparente qu' ils virent là à l' entour. C' estoit le logis d' un fort riche Gentil-homme, qui s' en estoit fuy en un Monastere: & sa femme estoit demeurée au logis, avecques deux belles filles qu' elle avoit, lesquelles s' estoient cachées en un grenier sous du foin. Quand on vint heurter à la porte, la Damoiselle resoluë d' attendre la misericorde de Dieu: voyant ce Chevalier que l' on portoit ainsi blecé luy ouvrit elle mesme la porte, laquelle il fit aussi tost refermer, & y mit les deux archers, leur disant: Gardez sur vostre vie, que personne n' entre ceans, si ce ne sont de mes gens. Je suis asseuré que quand on sçavra que c' est mon logis, nul ne s' efforcera d' y entrer. Et d' autant que pour me secourir, je suis cause que faillez à gaigner quelque chose, ne vous souciez, vous n' y perdrez rien, & je vous recompenseray d' ailleurs. Les Archers firent son commandement: Et il fut porté en une fort belle chambre où la Damoiselle le conduisit. Puis se jettant à genoux devant luy, parla en cette maniere, rapportant son langage au François. Noble Seigneur je vous presente cette maison, & tout ce qui est dedans: Car je sçay bien qu' elle est vostre, par le devoir de la guerre: mais je supplie tres-humblement vostre Seigneurie, qu' il vous plaise me sauver l' honneur & la vie, & de deux jeunes filles que mon mary & moy avons, qui sont prestes à marier. Bayard que je vous ay figuré pour miroüer de Chevalerie & d' honneur, luy respondit. Madamoiselle je ne sçay, si je pourray eschapper de ma playe. Mais tant que l' ame me battra au corps, à vous, ny à vos filles ne sera faict desplaisir, non plus qu' à moy: gardez les seulement en vos chambres, & donnez ordre qu' elles ne soient veuës: Il n' y a homme en ma maison qui s' ingere d' entrer en lieu, que ne vueillez, vous asseurant au demeurant qu' avez en moy un Gentil-homme qui non seulement ne vous pillera, mais vous fera toute la courtoisie qu' il pourra. Quand la bonne Damoiselle l' ouyt en cette façon parler, elle fut toute asseurée. Je vous laisse à part avecques quelle fureur fut prise la ville de Bresse, non seulement sous l' esperance du pillage, mais aussi pour le regret de la perte de nostre grand Achilles, chacun estimant que le bon Chevalier Bayard fust mort: Cela n' est point de mon suject. Je me contenteray de vous dire, que la Damoiselle fit venir un bon Chirurgien sien voisin qui visita la playe de Bayard grande & profonde, toutes-fois l' asseura qu' il estoit hors du danger de mort. Au second appareil le vint trouver le Chirurgien du Duc de Nemours qui le pensa, & en fit tres-bien son devoir: & quelques jours apres fit retourner en sa maison son hoste: Auquel il dit qu' il ne se donnast point de melancholie, n' ayant chez luy logé que de ses amis. Le Duc le venoit souvent visiter pour le consoler: & sur la rencontre de divers propos, luy raconta entr'autres choses, le desir que le Roy Louys douziesme son oncle avoit que pour l' asseurer du Milanois, on exterminast tout à fait l' Espagnol de la Lombardie. Et que la conclusion de ses lettres estoit d' une bataille: A laquelle le Duc s' estoit resolu par l' avis general de tous ses Capitaines, & souvent disoit à Bayard. Monsieur de Bayard mon amy, pensez de vous guerir: car je sçay bien qu' il faudra que donnions une bataille aux Espagnols entre cy & un mois, & si ainsi estoit, j' aymerois mieux avoir perdu tout mon bien que n' y fussiez, tant j' ay grande fiance en vous. Bayard respondit: Croyez Monseigneur que s' il est ainsi qu' il y ait bataille, tant pour le service du Roy mon Maistre, que pour l' amour de vous, & pour mon honneur qui va devant, je m' y ferois plustost porter en littiere que je n' y fusse. Le Duc luy fit plusieurs presens, selon sa puissance, & pour un jour luy envoya cinq cens escus, que Bayard donna aux deux Archers, qui estoient demeurez avecques luy quand il fut blecé, & apres avoir donné ordre aux affaires de la ville s' en partit en bonne deliberation d' accomplir le commandement du Roy qui luy estoit faict pour mettre fin à la guerre. Cette resolution fit une autre playe en l' esprit de Bayard, non moindre que celle du corps, craignant que pour l' incommodité de sa personne il ne peust estre de la partie. Luy venant chacun jour nouvelles du camp des François comment ils approchoient les Espagnols. Il avoit gardé cinq semaines le lit sans en partir: Mais sur ces nouvelles, il se fit lever pour sonder ses forces, & se promena quelque peu par la chambre. Et combien qu' il se trouvast foible, toutes-fois le grand cœur qu' il avoit ne luy donnoit le loisir d' y songer. Il envoya querir le Chirurgien qui le pensoit, & luy dit. Mon amy je vous prie me dire, s' il y a point de danger de me mettre en chemin, il me semble que je suis guery, ou peu s' en faut, & vous promets ma foy qu' à mon jugement, le demeurer d' oresnavant me pourra plus nuire qu' amander: Car je me fasche merveilleusement. Ses serviteurs avoient ja dict au Chirurgien le grand desir dont il brusloit d' estre à la bataille, & que tous les jours il ne regrettoit autre chose que de ne s' y trouver: Parquoy pour contenter aucunement son opinion, joinct l' estat de son mal, luy dit en son langage. Monsieur vostre playe n' est pas encores clause, toutes-fois par dedans elle est toute guerie. Vostre barbier vous verra habiller encore ceste fois, & mais que tous les jours au matin & au soir, il y mette une petite tente & une emplastre dont je luy bailleray l' oignement, il ne vous empirera point, & si n' y a nul danger: Car le grand mal de la playe est au dessus, & ne touchera à la selle de vostre cheval. Qui eust donné un Royaume à Bayard il n' eust pas esté plus content. Son Chirurgien fut plus que bien contenté, & se delibera de partir dans deux jours, commandant à ses gens que pendant ce temps ils meissent en ordre tout son cas.

La beauté de ce conte est, que son hostesse qui se tenoit tousjours sa prisonniere, comme aussi son mary & ses enfans, & que leurs biens meubles estoient siens (car ainsi en avoient faict les François aux autres maisons, comme elle sçavoit bien) eut plusieurs imaginations, estimant que si son hoste les vouloit traiter à la rigueur il tireroit d' eux à son partement plus de dix ou douze mille escus, eu esgard à la grandeur de leur bien & revenu, se delibera de luy faire quelque honneste present, se promettant, veu ses honnestes deportemens, & la gentillesse de son cœur, qu' il s' en contenteroit. Le matin dont le Chevalier devoit desloger l' apresdiner, la Damoiselle avecques un sien serviteur portant une petite boëtte d' acier, entra en sa chambre, où elle trouva qu' il se reposoit en une chaire, apres s' estre fort proumené, pour tousjours peu à peu essayer sa jambe, elle se jetta à deux genoux, mais incontinent il la releva, & ne voulut jamais souffrir qu' elle dit une parole, que premier ne fust assise aupres de luy, & puis commença son propos en cette maniere. Monseigneur, la grace que Dieu me fit à la prise de cette ville, de vous adresser en cette vostre maison, ne me fut pas moindre, que d' avoir sauvé la vie à mon mary, la mienne, & de mes deux filles, avecques ce qu' elles doivent avoir plus cher, qui est leur honneur. Davantage depuis qu' y arrivastes ne m' a esté fait, ny au moindre de mes gens une seule injure, mais toute courtoisie, & n' ont pris vos gens, des biens qu' ils y ont trouvez, la valeur d' un seul denier sans payer. Monseigneur, je suis assez advertie, que mon mary, moy, mes enfans, & tous ceux de la maison sommes vos prisonniers, pour en faire & disposer à vostre bon plaisir, ensemble des biens qui sont ceans. Mais cognoissant la noblesse de vostre cœur, à qui nul autre ne pourroit attaindre, suis venuë pour vous supplier tres-humblement qu' il vous plaise avoir pitié de nous, en eslargissant vostre accoustumee liberalité. Voicy un petit present que nous vous faisons: il vous plaira le prendre à gré. Alors prit la boëtte que ce serviteur portoit, & l' ouvrit devant le Chevalier qui la veit peline de beaux ducats. Mais luy qui d' un cœur genereux n' avoit jamais fait conte d' argent, se prit à rire, puis luy dit: Madamoiselle, combien y a-il de ducats en cette boëtte? La pauvre femme ayant peur qu' il fust courroucé d' en voir si peu, luy dit. Monseigneur, il n' y en a que deux mille cinq cens: mais si vous n' estes content, nous en trouverons plus largement. Alors il dit. Par ma foy, Madamoiselle, quand me donneriez cent mille escus, vous ne m' auriez pas tant faict de bien, que de la bonne chere que j' ay euë-ceans, & de la bonne visitation que m' avez faicte. Vous asseurant qu' en quelque lieu que je me trouve, aurez tant que Dieu me donnera vie, un Gentil-homme à vostre commandement. De vos ducats je n' en veux point, & vous remercie, reprenez-les. J' ay toute ma vie plus aimé les personnes que les escus, & ne pensez que je ne m' en aille aussi content de vous, que si cette ville estoit en vostre disposition, & me l' eussiez donnee. La bonne Damoiselle fut bien estonnee de se voir esconduite: Si se remit encores à genoux, mais gueres ne l' y laissa le bon Chevalier: & relevee qu' elle fut, luy dit. Monseigneur, je me sentirois à jamais la plus mal-heureuse femme du monde, si n' emportiez le peu de present que je vous fais, qui n' est rien au prix de la courtoisie que m' avez cy-devant faicte, & faictes encores de present par vostre grande bonté. Quand le Chevalier la vit ainsi ferme, & opiniastre en sa liberalité luy dit. Bien doncques Madamoiselle, je le prends pour l' amour de vous, mais allez moy querir vos deux filles: car je leur veux dire adieu. La pauvre femme qui cuidoit estre en Paradis de ce que son present avoit esté en fin accepté, alla querir ses filles, lesquelles estoient belles, bonnes, & bien enseignees, & avoient beaucoup donné de passe-temps au Chevalier durant sa maladie:

Parce qu' elles sçavoient fort bien chanter, joüer du lut, & de l' espinette. Si furent amenees devant luy, lequel pendant qu' elles s' accoustroient avoit faict mettre les ducats en trois parties, és deux, à chacune mil ducats, & à l' autre cinq cens. Elles arrivées se jettent à genoux, mais incontinent furent relevées: Puis la plus aisnée des deux commença de dire. Monseigneur, ces deux pauvres filles, ausquelles avez tant faict d' honneur que de les garder de toute injure, viennent prendre congé de vous, en remerciant tres-humblement vostre Seigneurie, de la grace qu' elles ont receuë, dont à jamais (pour n' avoir autre puissance) seront tenuës de prier Dieu pour vous. Le Chevalier quasi larmoyant, en voyant tant de douceur & d' humilité en ces deux belles filles, respondit: Mes Damoiselles vous faictes ce que je deurois faire, c' est de vous remercier de la bonne compagnie que m' avez faicte, dont je me sens fort vostre obligé. Vous sçavez que gens de guerre ne sont pas volontiers chargez de belles besongnes pour presenter aux Dames. De ma part il me desplaist grandement, que je n' en suis bien garny, pour vous en faire present. Madamoiselle vostre mere m' a donné deux mille cinq cens ducats, que voyez sur cette table. Je vous en donne à chacune mille pour ayder à vous marier: & pour ma recompense, vous prierez s' il vous piaist Dieu pour moy, autre chose je ne vous demande. Si leur meit les ducats en leurs tabliers voulussent ou non, puis s' addressa à la mere à laquelle il dict. Madamoiselle je prendray ces cinq cens ducats à mon profit, pour les departir aux pauvres Religions des Dames qui ont esté pillées, & vous en donne la charge: car mieux entendez où sera la necessité que toute autre, & sur cela je prends congé de vous, & leur toucha en la main à la mode d' Italie, lesquelles se meirent à genoux, plorans si tres-fort qu' il sembloit qu' on les voulust mener à la mort. Lors dit la mere, fleur de Chevalerie, à qui nul ne se doit comparer, le benoist Sauveur & Redempteur Jesus-Christ qui souffrit mort & passion pour tous les pecheurs, le vous vueille remunerer en ce monde, & en l' autre. Apres se retirerent en leurs chambres. Il fut temps de disner. Le Chevalier feit appeller son Maistre d' hostel, auquel il commanda que tout fust prest pour monter à cheval sur le midy. Le Gentil-homme du logis qui ja avoit entendu par sa femme la grande courtoisie de son hoste vint en sa chambre, & le genoüil en terre le remercia cent mille fois, en luy offrant sa personne & tous ses biens, desquels il pourroit disposer comme siens. Chose dont le Chevalier le remercia, & le feit disner avecques luy. Et apres ne demeura gueres qu' il ne demandast ses chevaux, tant luy tardoit qu' il n' estoit avecques sa compagnie par luy tant desiree, ayant belle peur que la bataille se donnast avant qu' il y fust. Ainsi qu' il sortoit de la chambre pour monter, les deux belles filles descendirent, & luy feirent chacune un present qu' elles avoient ouvré pendant sa maladie. L' un estoit de deux bracelets faicts de cheveux, d' or & d' argent tant proprement que merveilles: L' autre estoit une bourse sur satin cramoisy ouvrée subtilement. Grandement les remercia, & leur dit que les deux presens venoient de si bonnes mains, qu' il les estimoit hors de prix: & pour plus les honorer se feit mettre les bracelets aux bras, & meit la bourse en sa manche, avecques promesse que tant qu' ils dureroient il les porteroit pour l' amour d' elles. Sur ces paroles monta à cheval & vint trouver le Duc de Nemours qui l' attendoit avecques bonne devotion, & certes je ne pense point que l' on puisse representer Histoire diversifiée de tant de belles fleurs, comme cette-cy: & pour dire en un mot, de ce seul exemple vous pouvez recueillir quel fut le demeurant de sa vie.