lundi 29 mai 2023

2. 11. Des Maires du Palais, Connestables, Chanceliers, & autres Estats

Des Maires du Palais, Connestables, Chanceliers, & autres Estats de telle marque, estans joignans la personne de nostre Prince.

CHAPITRE XI. 

Noz François, comme j' ay deduict en quelque partie de cet œuvre, s' estans emparez de ceste contree, n' eschangerent que de bien peu les Offices & Magistrats qui lors estoient en credit és Gaules: Voire en emprunterent plusieurs de la maison de l' Empereur de Constantinople. Induicts à mon jugement à ce faire, tant par un brave discours pour n' estonner point par un remuement de mesnage ceux sur lesquels ils avoient à commander de nouveau, que aussi qu' il semble que lors qu' ils se rendirent paisibles de ce pays, combien qu' auparavant ils eussent sollicité les Romains par plusieurs guerres, si sembloient-ils adonc avoir grande alliance avecques eux. De là vint que Merovee troisiesme Roy de noz François, le ligua avec Etius, en la bataille contre Atile Roy des Huns, & semblablement qu' apres la mort de Merovee, au lieu de Childeric, les François creerent sur eux un Gentil homme Romain, nommé Gillon, qui tenoit en ce temps-là le peu de puissance qui restoit és Gaules, à l' Empire. A laquelle union, les Romains (selon mon advis) furent forcez bon gré mal-gré de condescendre. Car se voyans pressez de toutes parts: d' un costé par le Got, de l' autre par le Vandale & Alain, d' ailleurs par le Bourguignon, & en dernier lieu du François, qui les avoit exterminez des environs du Rhin: je croy qu' ils furent contraincts de venir à toute honneste composition avec nous, faisans semblant de laisser de gré, ce qui leur estoit ieu forcé, & mesme pour ces occasions, Procope est autheur, que les legions Romaines se meirent soubz la protection & sauvegarde des François: cognoissans que toute voye de seurté leur estoit clause & interdicte pour retourner en leurs maisons. Parquoy foit que d' une prudence militaire, ou que par la commune familiarité que les nostres avoient avec les Romains, ils fussent semonds à ce faire, la verité est que noz François laisserent la plus grand partie des choses en leur entier, non seulement concernans les affaires publiques, mais aussi rapporterent en leur Cour & suitte les estats des domestiques qui se trouvoient au Palais de l' Empereur Grec, & à leur exemple introduisirent les Maistres du Palais, Comtes d' Estables, Patrices, Ducs & autres telles sortes d' offices. Toutesfois du commencement ny les Maistres du Palais, ny les Comtes d' Estables n' estoient estats de telle grandeur, comme depuis chacun d' eux se fit par succession de temps, mais n' y avoit grand Prince qui n' eust en sa maison telle maniere d' Officiers, tout ainsi que maintenant Maistres d' hostel & Escuyers de leur Escurie: Vray que le temps, qui change avecques soy toutes choses, augmenta depuis ces estats selon l' opinion de noz Roys. Aussi d' estimer que les Maistres du Palais & Comtes d' Estables fussent tiltres de dignitez conformes, comme quelques uns de nostre temps veulent donner à entendre pour applaudir aux grands seigneurs, c' est une chose mal songee: car nous voyons dans noz anciens être fait estat d' un Maistre du Palais à part, & d' un autre qui estoit Comte d' Estable: lequel n' estoit autre chose que superintendant tous les domestiques qui avoient charge de l' Escurie de nostre Prince. Souz Theodoric Roy de Mets, se trouvent dans Aimoïn au troisiesme livre de ses histoires, deux personnages nommez Roccon, & Ebroin, Comtes de son Estable: & au quatriesme livre ensuivant, Garnier estoit maistre de son Palais. Du temps de l' Empereur Charlemaigne le mesme autheur nous raconte au mesme livre, que cest Empereur envoya, contre les Esclavons, Adalgise son grand Chambellan, Geilon Comte de son Estable, & Gorat Comte de son Palais. Accitis ad se tribus ministris, Adalgiso Camerario, Geilone Comite stabuli, & Uvorodo ( : Worodo) Comite palatij præcepit ut sumptis orientalibus Francis & Saxonibus, orientalium Sclavorum audaciam quanta possent celeritate compescerent. Il appella (dit-il) à soy trois de ses Officiers, Adalgise Chambellan, Geilon Comte d' Estable & Gorat Comte du Palais, leur enjoignant de lever quelques forces de François Orientaux & Saxons, pour avec leur aide appaiser au plustost qu' il leur seroit possible l' audace des Esclavons Orientaux. Soubz Louys le Debonnaire, dans ce mesme autheur nous trouvons Atalarde Comte du Palais, & apres son decés Bertric, & tout de ce mesme temps, Guillaume estoit Comte d' Estable. Et à peu dire, au troisiesme livre, cest autheur nous a donné assez à entendre quel fut sur l' advenement de noz François un Comte d' Estable, parlant de Lendegisile qui estoit Comte d' Estable de Gontran, Roy d' Orleans, frere du Roy Chilperic. Lendegisilius regalium præpositus equorum, quem vulgo Constabulem vocant. Lendegisile (dit-il) superintendant de l' Escuyrie Royale, lequel on appelle en commun langage Connestable. Au contraire Maistre du Palais (que depuis nous appellasmes Maire par obmission des deux lettres) estoit celuy qui avoit generale superintendance sur toute la famille du Roy. A cause dequoy n' estoient commis à l' exercice de cest estat que les plus favoris. Qui leur donna occasion à la longue, d' entreprendre dessus la Majesté de leur Prince.

Cest Estat commença grandement à croistre souz le Roy Clotaire second, lequel ayant esté en l' aage de deux ans appellé à la Couronne, & depuis par traitte de temps tout le Royaume tant d' Austrasie, que de Bourgongne, tombé soubz la puissance de luy seul, commença de faire une generale distribution de ses Provinces à ses courtizans: reservant toutesfois au Maire du Palais qui estoit joignant sa personne, toute prerogative & honneur. Bien est bray (vray - vrai), que soubz son regne, les Maires n' estoient en telle extremité d' honneur comme depuis il furent, mais en luy ils prindrent premierement leur grandeur. Car au lieu qu' au precedant les Maires du Palais estoient ceux qui avoient commandement sur les domestiques de l' hostel du Roy (comme maintenant un grand Maistre) Clotaire fut le premier qui en fit noms de gouvernement: & dit Aimoïn qu' il crea un Garnier Maire du Palais d' Austrasie, pour autant que par la faction de luy, ce Royaume estoit tombé entre ses mains: & Rhadon Maire du Palais de Bourgongne. Tellement qu' en ces deux païs, lesquels peu auparavant estoient appellez Royaumes, y furent envoyez deux personnages pour les gouverner, pour cest effect n' estoient appellez ny Ducs ny Patrices, ains par un tiltre particulier, Maires du Palais de l' un & l' autre pays. Ceste dignité depuis le trespas de Clotaire prit encores plus grandes racines soubz Dagobert: duquel noz ancestres firent plusieurs fables pour ses lubricitez & paillardises. Et encores creut d' avantage soubz le regne de Clovis fils de Dagobert, lequel fut assez tendre & debile de son cerveau: Pendant lequel temps les Maires trouverent assez d' occasion & de loisir d' enjamber dessus la dignité Royale. Tout de la mesme sorte qu' il en prit puis apres à noz Roys dessouz le regne de Charles le Simple. Car encores qu' apres son decés, & Louys, & Lothaire ses successeurs, missent toute diligence de remettre les affaires de France en bon train, lesquelles avoient esté detraquees par l' ambition d' Eude, qui s' estoit faict contre tout droict proclamer Roy de France du temps du Simple, si ne peurent-ils si bien besongner, qu' en fin le Royaume ne tombast en la famille de cest Eude. Aussi depuis la nonchalance de Dagobert, & imbecillité d' esprit de Clovis, ceux qui leur succederent, ne peurent de là en avant si bien faire, que toutes leurs affaires d' importance ne passassent soubz le bon plaisir de leurs Maires: Demourant par devers eux petit à petit le vray effect de toute la principauté: administrans mesmement & controlans la despense de noz Roys, ainsi que bon leur sembloit. En sa chaire seoit le Roy (dit une ancienne histoire) la barbe sur son pis, & les cheveux espars sur ses espaules: Les messagers qui de diverses parts venoient à la Cour, oyoit, & leur donnoit telle responce comme le Maire luy enseignoit, & commandoit ainsi comme si ce fut de son authorité. Par lequel passage l' on peut veoir que noz Roys n' estoient de ce temps-là que comme images & pourtraictures : & toutes fois pourtraictures lesquelles estans mises, comme en un tableau devant les yeux de nos Princes pour exemple, leurs deussent apprendre de ne se laisser aller tellement à la mercy de leurs plaisirs, qu' ils n' eussent en grande recommandation les negoces de leur Royaume, & semblablement de ne se donner de sorte en proye à la discretion de leurs Gouverneurs, qu' ils ne se reservent le dernier ressort de la cognoissance des choses. Car tout ainsi qu' en un mesnage l' on dit, que la presence du Maistre sert beaucoup pour l' amendement de son champ: aussi l' œil que le sage Roy a sur ses Conseillers & ministres, faict que les choses preignent bon traict, & que chacun se tient en son endroict sur pieds. Au contraire, quand il est mené & manié totalement par autruy, estant plus ententif à ses voluptez particulieres, que au profit de son Royaume, il eschet ordinairement que ceux qui ont charge souz luy, rapportent toutes les affaires du public à leur profit & utilité privee, par faute d' être controlez. Dont il advient finalement que le Roy & ses subjects s' estans infiniment appauvris, se trouve qu' il n' y a que ces seuls Ministres qui se soient enrichis de la ruine du peuple: prenans bien souvent argument d' arracher le sceptre du poing de celuy qui avoit sans aucune reserve, attaché sa confiance sur eux: lesquels pendant que leurs Maistres demeurent endormis au milieu de leurs voluptez, ne veillent à autre chose qu' à joüer au Roy despouillé. Tout ainsi que l' on veit advenir à noz premiers Roys, quand apres une trainee de temps, s' estans gouvernez par mines & beaux semblans envers le peuple, ils furent en fin finale supplantez de leur Couronne, par les factions de Pepin Maire du Palais: lequel ayant uny ceste Maistrise, avec la Majesté Royale, ny plus ny moins que les ruisseaux perdent leur nom par la rencontre & confluant d' une grand' riviere, aussi fut deslors en euant (avant) non veritablement supprimee ceste dignité de Maire, ains reduite au petit pied: Nous l' appellons maintenant grand Maistre, sans autre suite de paroles. De quelle façon estoient aussi appellez les Maistres du Palais en la Cour de l' Empereur de Constantinople, comme nous aprenons de Procope au premier livre de la guerre des Perses, où il dit que l' Empereur Anastaise estant adverty que Cabades Roy de Perse, tenoit assiegee la ville d' Amidas, il y envoya un grand ost sur lequel commandoient quatre Capitaines, dont l' un estoit Celer, ordinum in palatio præfectus, quem Romae Magistrum vocant. C' est à dire, Celer superintendant des ordres & Estats du Palais, lequel dans Romme on appelle Maistre. Comme s' il eut voulu dire qu' en Constantinople l' on appelloit le Maistre du Palais, Maistre, sans autre suitte. 

Cecy doncques nous enseignera que les Maires du Palais & Comtes d' Estables (ils me seront desormais Connestables) n' avoient rien de commun les uns avec les autres: mais estoient les Maires du Palais comme ceux que nous appellons aujourd'huy grands Maistres. Or se continuerent ces Estats de main en main depuis la venuë de Pepin, jusques à Hugues Capet, souz lequel les affaires de France commencerent de se composer en meilleur ordre qu' elles n' avoient faict depuis le regne de Charles le Simple, jusques à luy. Et vrayement je treuve en ceste troisiesme lignee, qu' à mesure que les Gentils-hommes ou grands Seigneurs attouchoient par la necessité de leurs Offices de plus pres à la personne du Roy, de tant plus estoient ils requis & honorez. Parquoy estoient dessus tous, cinq Estats plus estimez, le Chancelier, grand Chambellan, grand Maistre, grand Eschançon que noz anciens appelloient grand Bouteiller, & Connestable. Nous estant par cecy monstree une grande oeconomie: car aussi n' y a-il maison qui vueille tant soit peu paroistre, en laquelle ces cinq estats ne se trouvent être necessaires, encores que ce ne soit avec tiltres de telle splendeur. Entant que touche le Chancelier, il semble que du commencement il fut appellé grand Referendaire: comme nous apprenons d' un passage expres d' Aimoïn, au quatriesme livre. Addoenus Referendarius fuerat Regis Dagoberti: qui Referendarius ideo dictus est, quod ad eum universa publica conferrentur conscriptiones: ipseque eas annulo regis sive sigillo sibi ab eo commisso, muniret seu firmaret. Audoen (dit-il) avoit esté Referendaire du Roy Dagobert: lequel Referendaire estoit ainsi appellé, parce que l' on luy apportoit toutes les lettres publiques, lesquelles il corroboroit & confortoit du cachet du Roy, ou bien du seel qui luy estoit commis. Et de ce mesme estat est faicte mencion dans Gregoire de Tours, au dixiesme livre de ses histoires, chapitre dixiesme, la part où il deduict l' accusation & poursuitte qui fut faicte encontre Gilles Evesque de Rheims, auquel entre autres crimes on imp* qu' il iouyssoit à faulses enseignes de quelques terres appartenans au Roy: Luy au contraire soustenant qu' il avoit belles lettres du don qui luy en avoit esté fait. Parquoy dit l' autheur, Proferens Aegidius in publicum chartas, negat Rex Childebertus se largitum fuisse, requisitusque Otho qui tunc Referendarius fuerat (cuius suscriptio meditata tenebatur) affuit, negat se subscripsisse: Conficta enim ibi erat manus in huius præceptionis scripto. Gille representant (dit-il) ses lettres, le Roy Childebert nia qu' il luy eust faict aucun don: Au moyen dequoy fut envoyé querir Othon qui estoit adoncques Referendaire, duquel on doubtoit s' il avoit soubz-signé ceste lettre. Il compare, & denie l' avoir souscripte: car aussi avoit en falsifié son seing en icelle. Desquels deux passages nous pouvons tirer, & que le Referendaire signoit, & pareillement seelloit les lettres, n' y ayant pour lors tel abandon de Secretaires comme nous voyons aujourd'huy. Depuis, cest estat est creu en toute authorité & grandeur. De maniere que tout ainsi que le Connestable entre les estats militaires, obtient le premier rang & degré, aussi nostre Chancelier est reputé le chef de tous les Estats de la Justice. Au regard des autres trois Estats (je veux dire grand Maistre, grand Chambellan, & grand Eschançon) combien qu' il ne leur soit pas succedé de ceste façon, si est ce que depuis la venuë de Capet, jusques bien avant dedans sa lignee ils ne furent pas de petit credit. Car aussi est-ce la verité que l' on ne passoit aucunes lettres patentes, ausquelles ne fut requise la presence de ces trois Estats, avecques celle du Connestable, & au dessouz estoit apposé le seing du Chancelier. Telles sont successivement toutes les lettres que l' on voit des Roys Robert, Henry, Philippe, Louys le Gros, Louys le Jeune, Philippe Auguste: Et puis dire, que combien que lors fust grande l' auctorité du Connestable, si est-ce que parce qu' il ne touchoit de si pres à la personne du Roy, que les trois autres (car l' un estoit destiné pour être le chef de la chambre, l' autre du manger, & l' autre du boire, & l' autre de son Escuyrie) encores que j' aye leu plusieurs lettres, faisans mention de la presence des seigneurs qui estoient appellez à telles dignitez & Estats, ce neantmoins je n' en ay gueres veu, esquelles le nom du Connestable fut inseré le premier, combien que les autres indifferemment soient tantost premiers, tantost seconds, selon que l' occasion se presente. Depuis ce temps là, les Connestables commencerent de s' accroistre & amplifier en grandeur. Aussi en ces premiers Estats, il ne faut que trois personnages favorisez successivement de leurs Maistres, pour acquerir une infinité d' avantages & passedroits dessus les autres. Partant ou lavaill átise, ou bien la faveur que obtindrent par leur prudence noz Connestables, les fit monter à ce grand credit qu' ils tiennent aujourd'huy parmy la France. Et pour autant que l' Escuyrie du Roy semble estre en partie destinee pour les hazards & necessitez de la guerre, ils gaignerent au long aller, qu' au lieu où auparavant ils estoient seulement surperintendans de ceste Escuyrie, ils commencerent d' être estimez pour Lieutenans generaux de toute la gendarmerie de la France: qui n' est pas Estat de petite consequence en un Royaume. Et commença ceste grandeur, ainsi que j' ay peu recueillir des Histoires, vers le temps du pere de S. Louys, soubz lequel on fait un singulier Estat de Mathieu de Montmorency, au faict de la guerre: Cestuy, comme nous enseignent les Annales des Flamens, espousa une fille du Comte de Henaut, nommee Laurence: & souz le Roy Philippes Auguste fut en grande estime & reputation pour le regard des armes, & se trouva en la journee de Bouines contre Othon Empereur d' Allemagne, en laquelle il donna maintes espreuves de sa provesse: au moyen dequoy il gaigna depuis grande authorité envers son maistre: tant que finalement soubz Louys fils de Philippe, la premiere annee de son regne, il fut creé Connestable de France. Depuis ce regne, je ne ly point les Connestables, qu' avec tiltre de superiorité & superintendance des armes, & pour dire le vray, Lieutenans generaux du Roy. Pour laquelle cause Jean de Mehun, introduisant Nature parlant à l' Archiprestre Genius, du Seigneur qui l' avoit commise pour son Vicegerant sur toutes creatures, dict ainsi:

Cestuy grand Sire tant me prise

Qu' il m' a pour sa chambriere prise, 

Pour sa chambriere, certes voire, 

Pour Connestable ou pour Vicaire. 

Je trouve que Bertrand, appellé par quelques uns, du Kesclin, & par les autres du Clasquin, feit le serment de Connestable és mains du Roy Charles cinquiesme, le 2. Octobre 1370. Et le meit le Roy en possession de ceste charge & dignité, luy baillant une espee entre ses mains, laquelle Kesclin dégaina, en presence du grand Conseil. Protestant qu' il l' employeroit pour le service du Roy, & de sa Couronne. J' ay la copie des lettres d' office de Connestable qui feut donné par le Roy Charles septiesme, à Artus de Bretaigne Comte de Richemont, par le narré desquelles on peut recueillir, que le Connestable estoit le chef principal apres le Roy pour la conduicte des guerres, & que selon l' usage ancien, luy estoit commise la garde de l' espee du Roy, dont il luy faisoit homage Lige. Or par ces lettres, qui sont du 7. de Mars 1424. estoit mandé aux Mareschaux de France, Maistres des Arbalestiers, Admiral, & tous autres Seigneurs faisans profession des armes de luy obeïr, pour le faict des guerres.

Or tout ainsi que l' on prenoit anciennement le nom de Connestable pour un chef general d' une armee, aussi ceux qui commanderent quelquefois sur quelques bandes, voulurent aussi s' appeller Connestables à l' imitation de leur chef. La vieille Histoire sainct Denis, en la vie de Louys le Gros: Il ordonna ses batailles, & meit en chacunes Connestables, & Chevetains. Le Roy Jean par ses patentes du dernier Apuril (Avril) 1351. faisant un reglement general pour sa gendarmerie, ordonna que tous pietons feussent mis par Connestablies & compaignies de vingt & cinq, & de trente hommes: Et que chaque Connestable eust & prist doubles gages. Et entre autres prerogatives que le Roy Charles sixiesme donna à Jean Duc de Berry son oncle, feut qu' és pays De Berry, Poictou & Auvergne, où il l' avoit constitué son Lieutenant general, il peust instituer & destituer tels Capitaines & Connestables qu' il voudroit.

Maistre Alain Chartier en son histoire de Charles septiesme, ayant deduit comme Jean Bureau nouveau Maire de la ville de Bordeaux, apres la prise d' icelle, vint faire le serment au Roy entre les mains du Chancelier. Et aussi fit pareillement (dit-il) Joachin Roault, le serment, comme Connestable de la dite ville & cité de Bordeaux. Qui est à dire, qu' il vint faire le serment comme Capitaine. Voire prindrent nos ancestres le mot de Connestablie pour escadron ou bataillon: Froissard au premier Tome de son histoire, chapitre quarante quatriesme. Le lendemain les Hannuyers vindrent devant la ville d' Aubeton en trois Connestablies, leurs bannieres devant bien ordonnees. Et au mesme livre, chapitre quinziesme, recitant le discours qui s' esmeut entre les Archers d' Angleterre, & les Hannuyers à la venuë de Messire Jean de Henaut. Si firent les dits Hannuyers plusieurs belles grandes ordonnances, & leur convenoit aucunesfois gesir tous armez, & par jour tenir en leurs hostels, & avoir leurs harnois appareillez, & aussi leur convenoit continuellement gnetter par Connestablies les champs & les chemins d' entour la ville. 

Voila comment ces estats de domestiques du Roy ont pris diverses revolutions: & comme selon l' entresuitte des temps, les Maires du Palais ont eu premierement la vogue, puis les Connestables à leur rang. Et si puis dire que combien que les Connestables n' ayent jamais atteint au poinct de grandeur que gaignerent jadis les Maires, si semble-il que cest estat ait esté pour quelque temps suspect & odieux à noz Roys, & mesmes qu' ils ayent eu en opinion de le supprimer: Par ce que depuis la mort du Connestable de Luxembourg, qui fut du temps du Roy Louys onziesme, le nom & tiltre de Connestable fut ensevely jusques au regne du grand François, lequel sur son advenement à la Couronne, voulut gratifier de cest Estat Messire Charles de Bourbon, & depuis Messire Anne de Montmorency, Chevalier sage & advisé, la vie & presence duquel me commande d' en penser plus & moins dire.