jeudi 22 juin 2023

3. 32. Chanoinies & Prebendes

De l' institution des Chanoinies & Prebendes, & dont vient que pendant l' ouverture de la Regale nos Roys les peuvent conferer. 

CHAPITRE XXXII. 

Jusques icy je pense avoir assez amplement discouru, comme sans le consentement de nos Roys, nul ne pouvoit être Evesque en France. Reste maintenant à deduire dont vient que non seulement ils perçoivent les fruicts des Eveschez vacquans en Regale: mais aussi ont droict de conferer les prebendes, & autres benefices à simple tonsure, & non les Cures & Benefices, qui ont charges d' ames. En quoy semble qu' il y ait plus d' obscurité non seulement pour la qualité du collateur, qui est homme lay, auquel l' on donne en ce faisant les charges, & fonctions d' une personne Ecclesiastique: mais aussi qu' il semble de prime face que si on luy voulut donner anciennement céte (sic) autorité, il y avoit plus d' aparence qu' il conferast les Cures & s' abstint des Chanoinies & Prebendes, à tout le moins de celles qui sont és Eglises Cathedrales, qui sont destinees pour les Conseillers generaux des Evesques: car ainsi estiment plusieurs, que quand S. Hierosme disoit que l' Eglise avoit un Senat de cent personnes, il entendoit parler des Colleges des Chanoines. Et mesmes que par les regles modernes des Canonistes, celuy qui a Cure, & Prebende, est dispensé de desservir sur sa Cure, moyennant qu' il reside actuellement en la grande Eglise dont il est Chanoine. Toutesfois qui voudra considerer comme les choses de l' Eglise anciennement se passerent, il sera aisé d' y donner bonne & prompte solution.

La dignité des Evesques & Prestres n' estoit qu' une du commencement de nostre Religion Chrestienne, & lors ils avoient autour d' eux les Diacres, Lecteurs, Acolites, Exorcistes, Huissiers, qui tous faisoient part, & portion de l' Eglise. Depuis la necessité requerant que l' on en feist deux charges separées, l' on appropria le mot d' Evesque à celuy qui avoit l' œil & intendance generale sur toute la province, & celuy de Prestre à ceux qui seroient destinez pour administer la parole de Dieu, & saincts Sacremens, en unes & autres Eglises particulieres sous les Evesques. Or se faisoient les Prestres de tous ces Clercs, qui residoient en la maire & principale Eglise, montans par degrez de l' un à l' autre. Les Prestres doncques residoient sur leurs Eglises, fors qu' en cas de necessité, ils se trouvoient avec leur Evesque, pour leur servir de conseil és choses qui estoient d' importance. Et tout le demeurant, je veux dire de ces Diacres, Lecteurs, Acolites, Exorcistes, & Huissiers, residoit en la grande Eglise, pour aider à l' Evesque au service divin, dependans en tout de la volonté, & estoient nourris & alimentez du revenu de l' Evesché, tout ainsi que l' Evesque, & encores soubs un mesme toict, comme estans la vraye famille de l' Evesque: Voire estimoient luy atoucher de si pres pour la necessité de leurs charges, que l' Evesque decedant, ils pensoient être seuls heritiers de tous ses biens meubles. Pour ceste cause tournans tout cecy en une coustume abusive, soudain que l' Evesque estoit mort, ils se donnoient en proye tous les biens de sa maison, par forme de desconfiture. Ce qui leur fut prohibé en un Concil tenu à Aix la Chapelle, sous Louys le Debonnaire, en l' an huict cens seize. Et comme toutes choses se sont changees avecq' le progrez du temps en l' Eglise, aussi advisa l' on de faire de ce commun Clergé, des Colleges, lesquels seroient toutesfois logez en cloüestres, joignant la maison de leur Evesque, tout ainsi comme les Moines pres de leur Abbé. Et ecclipsa l' on avec le temps du revenu, & temporel de chaque Evesché, pour en faire une table separee en faveur de ceux-cy, qui seroit par eux menagee, ainsi qu' ils trouveroient bon de faire. Police certainement qui ne fut establie tout en coup, ny un long temps apres le declin de la primitive Eglise. L' on trouve qu' en l' Eglise de Tours, qui estoit estimee l' une des premieres de la France, tout ce Clergé, que nous appellons maintenant Chanoines, ne fut erigé en cest ordre de corps & College, sinon sous Baudin 16. Archevesque, qui fut du temps du roy Clothaire I. ainsi que Gregoire de Tours nous enseigne au 10. livre de son histoire: & Flodoard en son 2. livre dit, que Rigobert Archevesque de Rheims establit viures, & heritages, & thresor commun aux Chanoines de Rheims, & combien ils devoient avoir de gens pour leur service, estant le passage de ceste teneur. Hic nonnulla in Episcopatu collapsa reparavit, & Canonicam Clericis religionem restituit, & sufficientia Victualia constituit, & prædia quaedam illis contulit, nec non aerarium eorum usibus commune instituit, ad quos has villas delegavit, &c. Et apres avoir denombré plusieurs villages, qu' il leur donna, il adjouste tout de suitte.

Scilicet ut in sua transitus die sufficiens eis inde refectio pararetur. Quæ superessent ipsis communiter dividenda cederent: famulos quoque, & eorum colonias, ad necessaria Canonicorum servitia deputavit. Auquel lieu vous voyez presque une nouvelle police, qui fut instituee par Rigobert en ceste grande Eglise de France, & la separation qu' il feit d' entre l' Evesque & tout ce commun peuple, que du commencement il appelle Clercs, puis Chanoines: Clercs, pour autant qu' en ces Colleges nul d' eux n' estoit Prestre, non pas que sous le mot de Clerc ne soit copris le nom de Prestre, comme une espece sous son genre: mais quand il est question à l' ancienneté de parler de ceux qui estoient Prestres, on leur faict tousjours cest honneur, à cause de leur dignité d' en faire remarque speciale. Et les appelle encores Chanoines, non point pour la pension que l' on appelle autrement Canon, qui leur estoit attribuee, mais par un mot digne de l' Eglise. Par ce qu' en les erigeant en College, on leur donna plusieurs belles reigles, & institutions Canoniques. Comme de fait nous voyons dans plusieurs Concils tenus, tant sous Charlemaigne, que soubs Louys le Debonnaire son fils: Par celuy de Maience, tenu en l' an 813. soubs Charlemaigne, portant le *50. article. In omnibus igitur, quantum humana permittit fragilitas decernimus, ut Canonici Clerici canonice vivant, observantes divinae scripturae doctrinam, & documenta sanctorum Patrum, & nihil sine licentia Episcopi sui, vel magistri eorum compositi agere praesumant in uno quoque Episcopatu, & ut simul manducent, & dormiant, ubi facultas id faciendi suppetit, vel qua de rebus Ecclesiasticis stipendia accipiunt, & singulis diebus mane primo ad electionem veniant, & audiant quid eis imperetur. En toutes choses doncques (dit-il) entant que l' humaine fragilité le peut permettre, nous ordonnons que les Chanoines Clercs vivent canoniquement, observans la doctrine de l' escriture saincte, & les enseignemens des bons Peres, & qu' ils ne soient si osez de rien entreprendre sans le congé de leur Evesque, ou de celuy qui leur est donné pour superieur, & maistre en chaque Evesché, & qu' ils mangent & dorment ensemble, s' ils ont moyen de ce faire, ou qu' ils ayent assez de biens de l' Eglise pour l' effectuer, & qu' ils aillent tous les jours du matin à la leçon, & prestent l' aureille à ce qui leur sera commandé. Passage qui monstre presque au doigt, & à l' œil l' occasion pour laquelle on les appella Chanoines: & d' avantage que sous ces mots de Clercs Chanoines, l' on ne parloit point des Prestres, lesquels, pour le rang qu' ils tenoient lors en l' Eglise, on n' asubjettissoit ny d' aller tous les jours aux leçons, pour avoir ja passé ces destroicts, ny d' obeyr à autres maistres, qu' à leurs Evesques. Ce que l' on recueille encores mieux du 58. article du Concil de Mets, tenu sous Charles le Chauve, l' an 845. estant de telle substance. Canonicorum, qui in Parochiis tonsurantur, & erudiuntur, interdum etiam & ordinantur sine authoritate, dignitas Regalis in suum periculum non dignetur recipere. Que des Chanoines (dit-il) qui sont tonsurez, & instruicts aux parroisses, & mesmes par fois appellez aux ordres de Prestrise sans authorité, qu' il plaise à la Majesté Royale de n' en prendre la protection.

Tous lesquels articles, & plusieurs autres, que l' on tint au Concil celebré souz le Debonnaire à Aix la Chappelle, nous rendent certain tesmoignage que ce grand College des Eglises Cathedrales n' estoit composé de Prestres: partant n' estoit le conseil general de l' Evesque, comme quelques-uns ont mal estimé, ains une pepiniere de Clercs nourris en la grande Eglise, que l' on distribuoit puis apres par les Eglises parochiales, lors qu' ils avoient esté faits Prestres. Et de ceste ancienne coustume vient qu' encores aujourd'huy nous disons qu' une Chanoinie est un Benefice à simple tonsure.

Ceux-cy doncques estans du commencement simples Clercs: d' ailleurs les biens qui leurs estoient assignez pour leurs viures, que l' on appella en vieux François Provendes, & en Latin Prebendes, ayans esté premierement tirez du fonds & ancien temporel des Eveschez, dont le revenu appartenoit à nos Roys, tant & si longuement que les Eveschez estoient sans Pasteur, on estima qu' à eux aussi appartenoit la collation de ces Benefices, & de tous autres qui estoient à simple tonsure. Et combien que selon les Ordonnances du droict Canon, la collation de tous Benefices soit estimee faire part & portion des fruicts, si ne voulurent nos Roys toucher aux Cures, & autres Benefices qui avoient charge d' ames, par une modestie qui leur a fait perpetuelle compagnie, sinon lors que par importunité de leurs favoris ils s' en sont quelquesfois detraquez. Et fut à ceste occasion faite l' Ordonnance de Philippes de Valois que l' on appelle la Philippine par moy couchee tout de son long au precedent chapitre.

Et ne faut pas trouver estrange que telles Collations soient tombees en la main d' un Roy, que l' on estime personne laye. Car qui voudra repasser sur l' ancienneté il trouvera que ce fut une coustume fort familiere à tous Roys, & qui se tourna en nature, d' adjoindre à leur Royauté l' entremise des choses sacrees & spirituelles, pour se rendre plus reverez de leurs sujects. Car a fin que j' escoule sous silence plusieurs exemples de ce suject, & m' attache seulement aux plus notables, ores que les Romains eussent dechassé leurs Roys de leur Republique, avecq' un vœu, & serment solemnel de ne retomber jamais sous la puissance d' un seul, si eurent-ils ceste proposition en telle recommandation, & l' estimerent tant, que nul sacrifice ne pouvoit être fait sans l' authorité d' un Roy, & lors mesmes que plus ils avoient en horreur le nom de Roy, ils introduisirent pour leurs ceremonies un Roy qu' ils appellerent le Sacrificateur. Et long temps apres, Jules Cesar ayant envahy la liberté populaire, & transmis la tyrannie à sa posterité, ses successeurs Empereurs estimerent qu' ils seroient courts de puissance s' ils n' unissoient à leur Majesté, la puissance Pontificale. Mais tout cela se faisoit sous une autre banniere que la nostre. Car nous estans nez sous la vraye Religion il faut que nous l' entretenions par zele & devotion Chrestienne, non par discours politics, si nous ne voulons gaster tout. Et certes, s' il vous plaist considerer les graces & privileges qu' il pleust à Dieu distribuer particulierement à nos Roys, il n' y a riens d' extraordinaire, en toute ceste discipline, que nous observons en la Regale. Parce que par un mystere caché jamais ne fut que nous ne les ayons eus en opinion de personnes, qui ont grande participation avecq' l' Eglise, par le sceptre qu' ils portent en la main. Pour ceste cause sont-ils oincts de la saincte Ampoulle à leurs sacres, guerissent des Escroüelles par leurs attouchemens, en plusieurs Eglises sont reputez Chanoines, par le seul tiltre de leur Couronne, comme en celles d' Angers, & du Mans, & és Eglises de S. Martin de Tours, & S. Hilaire *de Poictiers: Voire qu' en la distribution de leur justice souveraine, qui represente leur Majesté, leur Parlement est un corps mixte, & composé part de Juges Ecclesiastics, part de Laiz, pour nous enseigner qu' autant s' estend la puissance bien reglee de nos Roys sur les Ecclesiastics, comme sur les Laiz. Toutes lesquelles considerations nous appreignent que combien que de prime-face ceste police de Regale semble être du tout Françoise, comme vrayement elle est: toutesfois ce n' est pas sans grande raison, qu' elle est nostre. Et c' est la cause pour laquelle les Papes sçachans que nos Roys iouyssent de la Regale, non par Benefice du S. Siege, ains par un droict qui est né dedans, & avecq' la Couronne, jamais ils ne nous la querellerent, ains seulement aux Empereurs d' Allemaigne. Et n' y eut qu' un Boniface VIII. qui nous le voulut mal à propos revoquer en doute, dont il en fit le premier la penitence.