vendredi 2 juin 2023

3. 4. Comme & avec quel progrés les Papes s' impatroniserent de Rome, & d' une partie d' Italie.

Comme & avec quel progrés les Papes s' impatroniserent de Rome, & d' une partie d' Italie.

CHAPITRE IIII.

Aux discours qui se sont cy-dessus passez il n' estoit question de toucher au temporel, ains ceste superiorité si vertueusement soustenuë par l' Evesque de Rome, regardoit seulement le spirituel, & ne pensoit lors ce Prelat à s' impatroniser de la ville de Rome, & des environs, & moins encore de donner loy aux Empereurs, & Roys: mais les occasions selon les changemens des temps, & regnes, le pousserent à ceste grandeur. Je ne sçay comment il advient que humant l' air d' une contree, nous transformons par mesme moyen les effects de nostre Religion aux mœurs du Pays, soubz lequel nous sommes nourris. Jamais n' avoit esté, du temps mesme du Paganisme, que l' Egypte ne fust estimee superstitieuse, la Grece aiguë, & subtile, comme celle qui avoit produict plusieurs sectes de Philosophes, Rome ambitieuse le possible, & qui dés sa premiere enfance sembloit être nee pour commander: Aussi quelques temps apres que la Religion Chrestienne fut establie en l' Egypte, ce pays nous produisit plusieurs esprits sombres, & melancoliques, qui faisoient des voeus esloignez de la commune usance des autres: La Grece plusieurs heresies, qui ont mesme par suitte de temps apporté la division entre l' Eglise Latine, & la Grecque: Et Rome de mesme façon au millieu de ses ruines couuoit de longue main un Estat Monarchique soubz le nom de la Religion. Estat vrayement miraculeux qui a eu ses principaux Conseillers non seulement establis dedans l' enclos d' une seule ville, ains espars par toutes les Provinces, au gré & contentement des Empereurs, Roys & Princes souverains: Estat qui sans être gardé par les armes a faict trembler, & passer souz sa misericorde les plus grands Monarques du monde. Jamais Histoire ne contint plus de Religion & de saincteté, que celle que les Evesques de Rome apporterent premierement pour gaigner ce haut degré, que depuis ils ont tenu en l' Eglise, & jamais Histoire ne fut plaine de tant de prudence, que celle que nous reciterons maintenant pour le temporel: outre ce qu' ils trouverent les temps commodes, & si ainsi le faut dire furent conduicts par la main pour executer leurs desseins. Parquoy le contentement ne sera petit, ce me semble, de sçavoir par quels moyens ces saincts Peres sont parvenus à si grande seigneurie de biens, que mesmes ils ont voulu enjamber avec le temps toute puissance, & auctorité sur les Roys, jusques à faire vacquer les Royaumes. Constantin le Grand ayant donné fin à toutes les guerres civiles, soit qu' il veit plusieurs peuples Orientaux se revolter contre l' Empire, ou qu' il fut d' une nature disposee à nouveautez, delibera de chercher lieu commode sur l' emboucheure de la mer, par lequel il peust donner ordre aux courses, & surprises des Barbares. Ce lieu par bonne & meure deliberation fut trouvé en la ville de Byzance, laquelle, non seulement il fortifia de tout poinct, mais la rebastit tout à neuf, la faisant nommer de son nom Constantinople: & non content de l' avoir embellie de Palais, & superbes bastimens, il y transporta de la ville de Rome plusieurs belles antiquailles, & qui plus est, luy & ses successeurs y firent ordinaire demeure: de sorte que là où les Empereurs magnifioient auparavant, & Rome, & l' Italie, ce pays fut peu apres reduit en la mesme forme que les autres Provinces, & regy par Ducs, & gouverneurs. Car quand mesmes il y avoit deux Empereurs, dont l' un demouroit en l' Orient, & l' autre en l' Occident, si est-ce que je ne sçay par quelle fatalité, ils choisissoient plustost toute autre habitation que la ville de Rome, les uns s' habituans à Milan, les autres en nostre ville de Paris, les aucuns en celle d' Arles, & les autres, comme les Roys des Ostrogots, en la ville de Ravenne. Je ne puis rendre raison de cecy, sinon qu' il sembloit que la fortune de Rome lasse d' être commandee par les armes, vouloit faire preuve à quelle grandeur elle pourroit parvenir estant gouvernee par gens qui feroient seulement profession de la parole de Dieu, & de l' Escriture.

Du changement de ce siege Imperial plusieurs nations estrangeres prindrent subject, & argument d' assaillir l' Italie, peut-être par un juste courroux du Ciel pour ioüer la vengeance de plusieurs siecles passez, & faire desgorger le butin de tous autres peuples, dont par tant de centaines d' ans les Italiens estoient enflez. A ceste occasion fut l' Italie trois fois ravagee par les barbares, & autant de fois, Rome prise, & saccagee. Premierement soubz Alaric Roy des Visegots, puis soubz Ataulphe son successeur, & finalement par Gentseric Roy des Vandales, qui se donna le loisir de ruiner ceste ville l' espace de quatorze jours entiers. Cela fut cause que les Empereurs, soit qu' ils fussent lors aneantis, ou que le desastre de l' Empire fust tel, commencerent de tenir la plus part des Provinces de l' Occident comme demy abandonnees. Tellement que les Allains, Bourguignons, François, Pictes, Anglosaxons, & les Vandales, & Visegots prindrent diversement leur chanteau és Gaules, en la grande Bretaigne, & Espaigne: & commença l' Estat des Empereurs de s' esbranler grandement en Italie. Au moyen dequoy, comme si ce pays leur esté totalement arraché des poings par ces trois inondations, & ravages, ils oublierent à la longue d' y commander en personnes. Cependant par occasion, il se leva une vermine de petits tyrans en ce pays là, qui pour n' offencer la Majesté de l' Empire, n' osoient prendre le tiltre d' Empereurs, aussi ne se vouloient-ils donner qualité si basse que de simples Gouverneurs: mais nageans entre les deux par un mot comme moytoyen se firent appeller Patrices: Dignité qui secondoit aucunement l' Imperiale, ainsi que j' ay deduict au livre precedant, & dont Constantin avoit esté le premier autheur. Ceux-cy furent Avite, Majorian, Severian, Antheme, Olibre, & quelques autres jusques à un Orestes, puis Augustule son fils, qui fut tué par Odoacre Roy des Heruliens, lequel entre les estrangers fut le premier qui à descouvert prit tiltre, & qualité du Roy d' Italie, & y regna quatorze ans, & depuis du vouloir & consentement de Zenon Empereur, fut tué *par Theodoric Roy des Ostrogots, qui fut investy du pays d' Italie par le mesme Empereur, où luy, & deux ou trois de ses successeurs regnerent, establissans leur demeure en la ville de Ravenne: jusques à ce que Justinian Empereur premier de ce nom, espiant son apoint, par l' entremise de son grand capitaine Bellissaire, reprit Rome laquelle fut encores depuis reprise par Totilas, l' un des successeurs de Theodoric, & par luy demantelee de murailles par une indignation forcenee: deliberant la rayer rez pieds rez terre, & rendre pastis à bestes, s' il n' en eust esté destourné par les lettres, & honnestes remonstrances de Bellissaire, le priant de ne vouloir ruiner tout à faict la ville, en laquelle il pouvoit à l' advenir commander, si tant estoit que le douteux succez de la guerre le voulust favoriser. Ainsi delaissa-il son premier propos: mais adverty que ce grand guerrier approchoit, duquel, Vitige son devancier Roy avoit à bonnes enseignes esprouvé les forces (Car Bellissaire l' avoit pris en champ de bataille, & depuis mené en triomphe dedans la ville de Constantinople) quitta la place, & enleva quant & soy la plus grande partie des Senateurs de Rome, & les autres, les espandit avecq' leurs femmes, & familles çà & là, laissant la ville toute deserte & inhabitee. Depuis Bellissaire y estant entré sans aucun destourbier, la repara, & rempara au moins mal qu' il luy fut possible, r'alliant petit à petit le pauvre peuple tout esgaré & esperdu.

Apres tant de heurts ainsi repliquez, je ne voy point que les Empereurs du Levant feissent grand estat de la ville de Rome, estant, ce leur sembloit, comme une espaue exposee à la misericorde de celuy qui la pouvoit premier occuper. Et de faict Narses ayant exterminé de tout poinct le nom des Gots de l' Italie, & Longin estant envoyé en son lieu pour y commander, il ne daigna jamais passer par la ville de Rome pour la reparer de ses cheutes. Et qui y apporta le dernier accomplissement de ruine, fut Constant fils de Constantin second, lequel ayant esté mis en route par les Lombards (qui nouvellement s' estoient empietez du pays d' Italie, à la semonce de Narses) repassant par la ville de Rome, comme s' il y eust voulu faire sa derniere main, enleva en cinq jours qu' il y sejourna le peu de bon, & de beau qui y restoit de ces memorables ruynes. Et disent les historiographes qu' en ce peu de temps il fit plus de deluge à la ville, que n' avoient fait tous ces grands desbords barbaresques, que j' ay presentement recitez. 

Le peu d' oeil que les Empereurs eurent de là en avant sur ceste ville, & les grandes secousses qu' elle avoit souffertes tant de fois, furent cause que les Papes, qui y avoient voüé perpetuelle demeure (joinct le credit qu' ils avoient gaigné sur les Eglises) y prindrent de grandes puissances, mesmes sur le fait de la police. Car encores que l' on n' appellast aux Archeveschez & Eveschez que ceux qui estoient en reputation de preud' hommes, si est-ce que comme j' ay dit ailleurs, les anciens estoient tres aises de choisir gens habilles, & disposez pour manier les affaires du monde, & c' est dont se plaignoit saint Hierosme en son livre premier contre Jovinian, qu' és elections des Prelats on s' amusoit quelquesfois plus à choisir des sage-mondains, que des gens de bien. Cela se faisoit pour autant qu' aux affaires qui se presentoient en une ville, on avoit accoustumé de les envoyer en ambassade par devers le Prince. Et disoit à ce propos Sidonius escrivant à Evagrius, parlant de l' election de l' Evesque de Bourges, qui avoit esté remise à son arbitrage, que s' il eust esleu quelque Moine on luy eust imputé à vice. D' autant que cestuy eust esté plus propre de jouër le personnage d' un Abbé, que d' un Evesque, & qu' il luy eust esté plus seant d' interceder pour nos ames envers le Juge celeste, que de harenguer pour nos corps envers le Prince terrien. Estans doncques tous personnages de marque ceux qui estoient appellez au Pontificat de Rome, il ne leur fut pas trop mal aisé à la longue de s' agrandir aux despens de la Couronne Imperiale. Mesmes depuis la venue des Lombards, contre lesquels les Papes estoient contrains, avec l' Eglise, de se defendre, pour le moins de racheter d' eux la paix au prix de leurs bourses. Il y a tantost vingt & septans (disoit sainct Gregoire, escrivant à Constance Emperiere, femme de Maurice) qu' en ceste ville de Rome nous sommes environnez des armes des Lombards, en quoy je ne vous veux point dire combien l' Eglise fournit d' argent chaque jour, a fin de viure seurement au milieu d' eux. Et escrivant depuis à l' Empereur Phocas, il contoit trente cinq ans. Et tout ainsi que les Empereurs pour les raisons cy dessus desduites, s' accoustumerent de faire peu d' estat de Rome, pareillement ce mesme contentement enseigna au Pape de ne respecter les Empereurs de la façon qu' il avoit fait, lors qu' ils estoient paisibles de l' Italie. Aussi adoncques commencez vous de voir, & un Pelage second, & un Gregoire premier, entrer en l' exercice de leurs charges, apres leurs elections, auparavant qu' ils eussent esté confirmez par l' Empereur. Ce qu' ils n' eussent pas osé entreprendre auparavant, les choses estans quoyes & tranquiles en ce pays là. Et pour toute reparation en sont quittes par une excuse pretextee de la crainte qu' ils avoient des Lombards. Et Constantin troisiesme voyant combien son authorité estoit diminuée à l' endroict des Papes, quasi par un jeu forcé, mais couvert du manteau d' une volonté liberale, accorda que l' election des Papes fust bonne & vallable, sans attendre son consentement, ou de son Lieutenant. Et diminua encores ceste Majesté Imperiale envers les Romains de tant que sous Justinian second, fils de Constantin, l' Exarquat, qui avoit duré 64 ans, cessa & fut reduit par les Lombards sous leur puissance. C' estoient les villes de Ravenne, Cezenne, Creme, Forin, Imole, Bolongne, Modenne, & quelques autres. Qui plus est les Empereurs Grecs non seulement ne tenoient rien de la vieille Majesté de l' Empire, mais sembloient être un rebut, ou mocquerie de fortune. Car le mesme Justinian, dont j' ay presentement parlé, fust chassé par Leonce Patrice lequel (luy ayant faict couper le nez, & les aureilles) l' envoya en exil. Le mesme Leonce chastié de pareille peine, dont il avoit usé contre son seigneur souverain fut emprisonné par Tibere, qui occupa sur luy l' Empire. Toutesfois, & Leonce, & Tibere pris par Justinian, il les fit tous deux mourir, & luy tout essaurillé, & enazé qu' il estoit, & reintegré en sa Couronne. Apres luy philipique ayant imperé un an, & quelques mois, on luy creue les yeux, & le reduit-on à son premier rang. Anastaise son successeur est contrainct de se tondre, & faire vœu de Religion. Comme faict le semblable Theodose qui luy succeda, pendant toutes lesquelles desbauches, & que fortune prenoit plaisir au desplaifir de ces pauvres Princes, il ne faut trouver estrange si le Pape s' establit en grandeur dedans la ville de Rome. Et ce qui le fit plus hardiment contemner leur authorité, c' est que l' Empire en fin tomba és mains de Leon, qui fist guerre juree aux images: en vengeance de quoy le Pape luy fist autre guerre par fulminations & censures Ecclesiastiques. 

Adoncques prenoit grand pied dans la France la famille des Martels. Car tout ainsi qu' entre toutes les nations du Ponant, les François s' estoient rendus redoutables, aussi entre tous les François florissoit Charles Martel, lequel pour la necessité de noz Roys, avoit soubs le nom de Maire du Palais introduit par devers soy la Majesté de la Couronne, tellement qu' il ne luy manquoit que le nom de Roy seulement. Gregoire le tiers voyant que d' un costé il avoit pour ennemy mortel l' Empereur de Grece, duquel il ne redoutoit pas tant les forces, pour être plus eslongné de luy: d' un autre costé que Luitprand Roy de Lombardie, avoit denoncé la guerre aux Romains: mesmes avoit mis le siege devant Rome, il pensa qu' il luy failloit chosir nouveau party. Pour ceste cause se meit soubs la protection de Martel, à la persuasion duquel, Luitprand se desista de son entreprise, & tout le reste de sa vie traitta debonnairement les Romains. Ceste premiere ouverture apporta depuis de grands biens à la Papauté, voire que je vous puis presque dire que l' asseurance de leur grandeur temporelle vient de là: Tellement que tout ainsi qu' à Gregoire premier l' on doit l' asseurance de la superiorité de l' Eglise, aussi à Gregoire le tiers est deu l' un des plus grands traicts, qui ait oncques esté entrepris par les Papes pour la temporalité, d' autant ou qu' il faut être du tout menteur en l' histoire, ou recognoistre que la premiere grandeur des Papes en leur temporel, procede tant de la protection, que liberalité des François. 

Or ne pouvoit estre confederation plus à propos que celle qui fut lors traittee entre les Papes & les Martels: par ce que les uns & les autres aspiroient chacun endroict soy à mesme but. Les uns d' être les premiers en Italie, & les autres en ceste France. Ceux-là avoient assez de pretexte, mais non de force: & ceux-cy plus de force qu' il ne leur failloit, mais avoient besoin de pretexte. Ces deux defauts feurent suppleez l' un par l' autre, par ceste nouvelle alliance. 

A Childeric Prince de peu d' effect &va leur, estoit escheuë la Couronne de France, & soubs l' authorité de Pepin fils de Martel se manioit tout l' Estat de France, toutesfois d' ozer remuer quelque nouveau mesnage contre le Roy, il estoit fort malaisé. Car la reverence du seul nom de Clovis qui avoit chassé le Romain des Gaules, supplanté le Bourguignon, Visegoth: & encores vaincu l' Alemant, auparavant indomptable, estoit tellement emprainte au cœur des François, que combien que sa posterité forlignant, ne servit lors presque que d' image, si est-ce que la seule memoire de ce grand guerrier, & la devotion que le commun peuple avoit envers ses successeurs pour le respect de luy, faisoit tenir les Princes & grands Seigneurs en cervelle. D' un autre costé le Pape, qui avoit toute voix & authorité dedans Rome, pour l' insuffisance des Empereurs de la Grece, & neantmoins n' avoit la force pour faire teste aux Lombards, qui vindrent de rechef luy faire la guerre apres la mort de Luitprand, soubs la conduitte d' Astolfe leur Roy, ne pouvoit bonnement parvenir à ses desseins, s' il n' avoit secours estranger. Pour ceste cause Pepin desja allié avec les Papes, par la confederation d' entre Gregoire le tiers & son pere, desirant approprier à soy & aux siens, non seulement l' effect, mais le nom de la Royauté, depescha deux hommes d' Eglise par devers Zacharie Pape, pour le rang & authorité qu' il tenoit entre les Prelats a fin d' interposer son decret, & donner advis auquel des deux appartenoit mieux le sceptre, ou à celuy, qui sans aucun soin laissoit fluctuer les affaires de son Royaume à la mercy de tous vents, & qui en toutes les actions, outre la recommandation de ses ancestres, n' avoit rien que la parade exterieure d' un Roy, ou bien à l' autre, qui avec moindre faveur de parentelle, portoit le faix & charge de tout le Royaume. Zacharie qui estoit sur le poinct d' appeller Pepin à son aide contre les Lombards, ne voulut mesprendre de parole à celuy qu' il esperoit luy devoir assister d' effect. Parquoy il sententia pour & en faveur du second, & que c' estoit celuy-là auquel la Couronne devoit loyaument appartenir. Grande est certes l' auctorité d' un Prelat de quelque Religion qu' il soit, pour lier la conscience d' un peuple, qui a l' œil fiché dessus luy. Ceste sentence estoit donnee par forme d' advis seulement, toutesfois Pepin en sçeut bien faire son profit: & les Papes mesmes depuis la sceurent fort bien tirer en consequence, pour monstrer qu' ils avoient puissance de conferer les Royaumes, selon que les occasions de ce faire se presentoient. Ceste mesme sentence requeroit plus ample execution pour la ceremonie: ceste execution se rencontre à poinct nommé. 

Astolfe Roy des Lombards pressoit journellement la ville de Rome. Au moyen dequoy Estienne succeur de Zacharie est contrainct de venir en France, pour implorer l' aide de Pepin. Et vrayement il falloit pour authoriser l' establissement de ce nouveau Roy, que celuy par l' authorité duquel il s' estoit mis en possession du nom, & des armes de France, fut grand. Parquoy Pepin pour n' oublier rien de son devoir, va à pied au devant du S. Pere, entrant dans Paris, & non content de ceste honneste submission, meine son cheval par les resnes, jusques au Palais. Pepin à ceste nouvelle entree est sacré & Couronné Roy par le Pape, en l' Eglise de sainct Denis, & le Royaume à luy confirmé, & à sa posterité. En contre-eschange dequoy il s' achemine avec Estienne en Italie contre les Lombards, où il sçeut si bien faire ses besongnes, qu' il reprit sur eux l' Exarquat, & reduisit leurs affaires en plus grande modestie que jamais auparavant, asseurant par ce moyen en l' Estat des Papes encontre eux. L' Empereur qui lors commandoit à la Grece prevoyant ce qui advint puis apres, depesche Ambassadeurs par devers le Roy, pour le prier de ne favoriser point tant la cause de l' Eglise, qu' il frustre l' Empire de l' Exarquat, ensemble de la ville de Rome. Toutesfois Pepin sçachant que la grandeur du Pape estoit la sienne (car plus seroit de Pape estably en puissance & authorité, plus seroit asseurée la Couronne à sa famille) presta l' aureille sourde à ces remonstrances, donnant avant que departir toutes les terres de l' Exarquat au Pape. Et deslors Paule Epiatre chambellan de l' Empereur, commença de saigner du nez, n' osant plus prendre le nom de Duc, ou gouverneur dans la ville de Rome, ny mesmes manier en aucune façon les affaires sous le nom, & authorité de son maistre. Voila la premiere & plus signalee donation, qui ait jamais esté faicte aux Papes, & qui lors commença de les advantager à huis ouvert, en auctorité temporelle. Ny pour cela toutesfois ne furent ils rendus proprietaires de Rome: mais leur ayant esté donné l' Exarquat en plaine proprieté, tout ainsi qu' apres l' expulsion des Gots, ceux qui tenoient le premier lieu dans Italie, estoient les Exarques, aussi le Pape estant fait Exarque par ceste donation, tenoit certainement grand rang entre les puissances temporelles. 

Les affaires doncques d' Italie estoient telles. Au Pape appartenoit l' Exarquat en proprieté, dont Pepin estoit demouré souverain. Les Lombards possedoient une bonne partie du pays où ils avoient planté leur premiere & ancienne demeure: La Pouïlle & la Sicile estoient és mains de l' Empereur: Et quant à la ville de Rome, elle balançoit, ne desauouant tout à fait l' Empereur de Grece à seigneur, mais aussi le recognoissant avec si peu de remarques, qu' il estoit mal-aisé de juger s' il en estoit seigneur, ou non. Ce pendant la fortune du temps, qui sembloit s' être du tout vouëe à l' advancement de la Papauté, ne peut permettre que Didier Roy des Lombards demourast quoyement dans ses bornes, ains voulut reprendre de plus beau les anciennes querelles des siens contre les Romains. Adrian qui lors estoit Pape appella à son secours les François, sur lesquels commandoit Charles fils de Pepin, qui depuis pour sa generosité, & hautes chevaleries, merita le surnom de Grand. Ce Prince prend la charge de ceste affaire, & delibere de coucher de sa reste. Pour le faire court, les choses luy succederent si à propos qu' il extermina de tout point Didier, & sa race. Reduisant soubs l' obeyssance des François tout le pays d' Italie, fors la Poüille, & la Sicile. Ce coup apporta nouvelle face aux affaires de tout l' Occident, pour autant que la maison des Martels, & la famille des Papes fraternisoient tellement ensemble, que leurs grandeurs temporelles despendoient reciproquement l' une de l' autre. Cela fut cause qu' Adrian Pape pour oster à l' Empereur de Grece toute opinion de retour en Italie, se delibera par la voix du peuple faire tomber és mains de Charles (nous le nommons Charlemaigne d' un mot corrompu du Latin) la ville de Rome, qui depuis quelques annees en là n' obeissoit que par contenance aux Gregeois: Toutesfois de luy octroyer le tiltre d' Empereur du premier coup, c' estoit une entreprise trop hardie, & ne pouvoit faire cela sans s' exposer à l' envie de plusieurs nations. 

Au moyen dequoy il le fait eslire Patrice de Rome, faisant reprendre vigueur à la ville par où mesme elle avoit failly. Car s' il vous en souvient j' ay dit cy-dessus qu' apres les premieres courses des Barbares, il y eut quelques moyens Seigneurs, comme Avite, Autheme, Majorian, & autres qui s' impatroniserent de la ville, & de l' Italie, lesquels pour n' oser prendre la qualité d' Empereurs, se firent appeller Patrices, sur lesquels Odoacre envahit l' Estat d' Italie. Et tout ainsi que par eux il faillit, aussi pour restablir les choses en leur ancienne dignité, Adrian pourchassa ce tiltre de Patritiat à Charlemagne (ne luy donnant du commencement le tiltre d' Empereur, pour n' irriter l' Empereur de Grece:) Mais avec toutes prerogatives de grandeur: Tellement qu' au lieu, où anciennement l' Empereur pretendoit la confirmation tant du Pape, qu' autres Evesques luy appartenir, cela fut accordé à Charlemaigne, & ses successeurs: mesmes que nul ne pourroit être sacré Archevesque, ou Evesque en quelque Province de son obeissance, qu' il n' eust esté par luy investy. En ce voyage, pour recompense, Charlemaigne confirme au S. Pere, l' advantage qui luy avoit esté fait par Pepin. Ainsi fut entre eux partagé le gasteau, aux despens de l' Empire, à l' un estant confirmé l' Exarquat, comme de son propre, à l' autre le Patritiat: pour iouïr du reste de l' Italie: & neantmoins qu' il commanderoit sur toute l' Italie, sans exception en toute souveraineté, fors sur le pays de la Poüille. 

Estant Adrian allé de vie à trespas, & à luy succedé Leon, soudain qu' il eut esté esleu, il envoya les clefs de l' Eglise de S. Pierre à Charlemagne, & la banniere, tant pour le prier de vouloir confirmer son eslection, qu' aussi qu' il luy pleust envoyer à Rome quelque seigneur, pour recevoir le serment de fidelité des Romains. Sur ces entrefaites le peuple courroucé le voulut destituer de son siege, luy imputant plusieurs choses mal convenables à sa dignité. La cognoissance de ce different est sursise jusques à la venue de Charles, que l' on attendoit de jour à autre dans Rome, avec une merveilleuse devotion & attente de plusieurs peuples, qui accouroient de toutes parts en ceste ville, pour voir son entree magnifique, & sembloit par ce seul spectacle que Rome eust esté restablie en son ancienne splendeur. En ce mesme temps Irene Imperatrice de Constantinople avoit cruellement fait creuer les yeux à l' Empereur Constantin son fils, & par ce moyen jouissoit à tort, sous le nom de luy, du droict de l' Empire. Chose qui luy avoit apporté une haine publique de tous. La presence d' une femme commandant à un tel Empire contre l' ordre ancien, la cruauté barbaresque d' une mere contre son fils, & haine publique de tous encontre elle, donnerent occasion au Pape, & au Roy de passer outre, & de Patrice prendre le tiltre d' Empereur: Mais auparavant il failloit que Leon satisfist au peuple, & se purgeast devant le Roy. Il importoit certes à la grandeur future des Papes que ceste accusation advint pour en avoir si brave yssue. Estant doncques Charles arrivé à Rome, & receu avec telle pompe & magnificence que sa Majeté requeroit, quelques jours apres les preparatifs de l' accusation dressez, il s' assiet en un haut throsne, oit les parties d' une part & d' autre, mais quand ce vint à la prononciation de son arrest, luy qui n' aspiroit à choses basses, sçachant que plus il exalteroit de Pape, plus il se faciliteroit une voye à la grandeur qu' il projettoit, declara que ce n' estoit à luy de juger de celuy qui avoit les clefs des cieux en main, lequel ne devoit recevoir autre juge que de sa seule conscience. Partant remettoit la decision de ceste accusation au serment du S. Pere. Ce jugement estant loué d' un chacun, Leon se leva sur pieds, & monté sur une haute chaire, afferma que tout ce qu' on luy avoit improperé, estoit une pure calomnie: & sur ceste sienne declaration fut absous à pur & à plain. L' on se souvenoit encore des jugemens de Constantin, & Valentinian qui en avoient usé tout de la mesme façon. Car ç' a esté une regle fort familiere aux Ecclesiastics de tirer à necessité ce que du commencement on leur avoit accordé par devotion. Leon estant declaré par privilege special juge, tesmoin & partie en son propre fait, & ne pouvans ses jugemens être controulez par autre que de luy seul, l' on ne fist pas lors grande doute d' executer ce qui restoit. Ainsi receut Charlemaigne la Couronne de l' Empire, & fut sacré Empereur par les mains du grand Pontife de Rome avecques un applaudissement general de toute l' Europe. Et pour autant qu' Irene voyoit que ce luy estoit jeu forcé, elle luy accorda liberalement ce tiltre avec la iouyssance de Rome, & de l' Italie, hormis de la Poüille & de la Sicile. Pratiquant sous main le mariage de luy, & d' elle. A quoy il ne voulut entendre, & en ceste façon le Pape, & le Roy se donnans l' esteuf l' un à l' autre, s' enrichirent des despouilles de l' Empire, & de là en avant commença nouvelle face d' Estat à l' Empire, se trouvant party en deux principautez, qui n' avoient nulle correspondance de l' une à l' autre, comme on avoit veu autrefois, y ayant lors deux Empereurs continuellement divers, l' un du Levant, & l' autre de l' Occident. 

Cest exemple depuis servit aux Papes. Car tout ainsi que Pepin, & Charlemaigne avoient emprunté leurs pretextes pour se faire maistres & seigneurs souverains, premierement de la France, puis de l' Italie, aussi Robert Guischard Normand s' estant emparé du Royaume de Naples, au prejudice du vray heritier, pour asseurer son estat à sa posterité, eut recours à l' authorité du S. Siege, & se fit vassal de la Papauté. Ce qui s' est perpetué jusques à huy.

La famille de Charlemaigne estoit creuë en trois Princes consecutifs, Charles Martel, Pepin & Charlemaigne, soubs lequel elle avoit attaint au comble de sa grandeur: elle decreut par mesmes degrez en trois autres Princes, Louys le Debonnaire, Charles le Chauve, & Louys le Begue. Car le demeurant de ceste lignee ne fut qu' un rebut de fortune, & à mesure qu' elle declina, aussi de mesme proportion se dispenserent les Papes des confederations, & promesses, qui avoient esté par eux jurees avec Pepin & Charlemaigne. A Leon succeda Estienne quatriesme, puis Paschal premier, & tout ainsi que lors du declin des Empereurs de Grece, Pelage second s' estoit le premier des Papes ingeré en l' exercice de sa charge, sans attendre la confirmation de l' Empereur de l' Orient: aussi cestuy Paschal prit le premier la hardiesse de iouyr de la Papauté, sans attendre le consentement du Debonnaire, lequel en fit plainté par ses Ambassades: Mais le Pape cognoissant le Prince, avec lequel il avoit à demesler ce fuseau, leur fit response, qu' il ne falloit point tirer en perpetuelle consequence les loix qui avoient esté introduites pour la necessité du temps, & sçeut bien pallier ses excuses (joint que le cœur

genereux des autres Roys manquoit grandement en cestuy) que non seulement le Debonnaire prit en payement ces paroles, mais qui plus est, quelques uns disent que par une liberalité inepte il renonça au droict de confirmation des Papes. Et ce qui authorisa encores d' avantage la puissance des Papes dans Rome, apres le decez de Louys le Debonnaire, fut que pendant que Lothaire, Louys, & Charles le Chauve ses enfans combattoient les uns encontre les autres pour leur partage: du temps de Leon quatriesme, les Sarrazins qui lors rodoient presque tout le monde, vindrent donner jusques à Rome, qu' ils pillerent, & meirent à sac, sans que celuy qui tenoit lors tiltre d' Empereur entre nous, fit contenance de la secourir. Qui fut cause que le Pape la fit reparer és Eglises, & fortifier de boulevers; mesmes bastit un chasteau en forme de roquette, que nous appellons le chasteau S. Ange, & luy mesmes alla en personne à la guerre. Sigisbert Croniqueur dit qu' il fit une nouvelle Rome, qui est celle que l' on a depuis habitee, laquelle il fit appeller de son nom Leonine.

Depuis ce temps je ne voy point que les Papes ayent tenu grand conte de la lignee de Charlemaigne, en quelques contrees qu' elle fust esparce. Et les divisions mesmes qui peu apres coururent par la France, entre Charles le Gras, Eude, & Raoul, chacun d' eux prenant diversement le tiltre de Roy de France, abastardirent presque toute la reputation que nos Empereurs avoient acquise par leur vaillance & sagesse dedans l' Italie. Tellement que vous voyez que l' on commence de là en avant à les mater par loix, & ordonnances Decretales. Par ce que Nicolas premier ordonna que les Empereurs & Princes seculiers n' eussent aucun lieu aux Concils, sinon qu' il fust question de la foy. Que les seculiers ne jugeroient de la vie des Clercs: que le Pape ne pouvoit estre lié, ou delié par puissance humaine. Et Adrian second son successeur, que nulle puissance seculiere ne se devoit immiscer en l' election des Patriarches, Metropolitains, ou Evesques, comme estant chose contre Dieu. Ne parlant de la Papauté: car puis qu' il donnoit la loy aux Roys, & Empereurs, il ne faisoit point de doute qu' ils n' avoient aucune jurisdiction, ou cognoissance de cause sur luy, ny sur ses successeurs. Et lors se reigloient toutes choses fort aigrement contre les Princes par anathemes & censures Ecclesiastiques. 

Toutesfois encores n' estoient les Papes du tout affranchis de la crainte de ceste grande lignee. Pour s' en asseurer de tout poinct, la fortune du temps suscita dedans l' Italie, une racaille de tyrans, uns Guy, Lambert, Berenger premier, un Louys, puis un Hugues seigneurs de la Provence, un Raoul de Bourgongne, un Beranger (Berenger, Berenguer) second, tous lesquels remuerent ce païs là, avec une infinité de maux. Au moyen dequoy le Pape a recours aux Othons d' Alemaigne, qui lors commençoient de poindre, comme nouveaux rejettons de fortune. Car pendant que les Berengers avoient d' un costé remué l' Estat d' Italie, les Allemans esleurent Empereur sur eux, Conrad lequel en mourant designa pour son successeur Henry Duc de Saxe, auquel succeda Othon premier grand guerrier. Cestuy appellé par les Romains chassa tout à fait les Berengers, & leurs corrivaux, d' Italie. La ruine de tous ces seigneurs, & le peu de sejour qu' Othon faisoit en Italie, rendit les Papes beaucoup plus asseurez que devant, encores que ce ne fust sans coups ferir. Mais vous ne les voyez gueres de là en avant passer par la mercy des autres Princes. En ces Othons vous commencerez de trouver nouvelle face d' affaires. Car ayant l' Empire continué de pere en fils par droict successif du premier au second, & du second au troisiesme Othon, Gregoire cinquiesme s' avisa de rendre l' Empire electif. Il semble que ce nom de Gregoire ait esté fatal pour l' accroissement de la Papauté en six ou sept Gregoires, premier, troisiesme, cinquiesme, septiesme, neufiesme, unziesme, & de nostre temps en Gregoire treziesme. Parquoy fut celebré un Concil du consentement de tous les Princes de la Germanie, par lequel il fut arresté, & conclud qu' advenant la mort de l' Empereur, on y pourvoyroit par la voye d' election qui seroit commise à six Princes d' Allemagne, dont les trois seroient Ecclesiastics, les Archevesques de Majence, Treues, & Cologne, & les trois seculiers c' estoient les Marquis de Brantbourg, Duc de Saxe, & Comte Palatin. Et s' ils estoiet partis en voix, on y adjouteroit pour septiesme le Duc de Boesme pour les departir. A la charge qu' apres que l' Empereur seroit esleu, il recevroit confirmation, puis couronnement par le Pape. Ainsi par succession de temps voila la chance tournee. Car au lieu, où auparavant les Empereurs s' estoient donnez la loy d' élire, ou de confirmer les Papes esleus, maintenant par ce Decret conciliaire, ils ont ceste mesme confirmation à l' endroit des Empereurs, & ne faict-on plus de doute qu' en l' election du Pape n' y soit plus requise l' authorité Imperiale. Depuis ceste constitution ainsi faite l' on n' a point veu que les Papes n' ayent eu tres-grande puissance temporelle dans Rome, dessus les Empereurs: & encores que les aucuns leurs voulussent envier cette grandeur, si est-ce que les Papes s' en sont fait croire, quelque resistance que l' on leur ait faite. 

Il seroit impossible de dire combien ce temps là produisit de divisions & discordes aux principaux Estats de l' Europe. Car d' un costé nostre France estoit infiniement embrouillee par les factions d' Eude, & ses successeurs, qui ouvrirent la porte au Royaume à Hugues Capet. D' ailleurs chacun dans l' Italie sembloit jouer à boute-hors, d' autant que tantost un Guy, & Lambert occupent l' Estat, tantost apres eux Berenger premier, puis Louys, qui en est encores chassé par le mesme Berenger, luy d' une mesme fortune par Raoul Bourguignon, & Raoul par Hugues Comte d' Arles, & cestuy-cy par Berenger second petit fils du premier. En cas semblable l' Estat de Rome estoit en mesme conbustion. Car apres que la femme Anglesche soubs l' habit d' homme eust esté si impudente d' imposer aux yeux de toute la Chrestienté, Formose ayant esté quelques annees apres creé Pape avecq' le mescontentement de plusieurs seigneurs de la ville, Estienne sixiesme son successeur annulla tous les Decrets par luy faits, & non assouvy de ceste vengeance, par une inhumanité estrange fit tirer le corps du tombeau, & revestir d' ornemens Pontificaux: puis en forme de degradation le fit despouiller publiquement piece apres piece, & reduire en habillement laical, soubs lequel il luy fit recevoir sepulture, apres luy avoir fait couper deux doigts, & jetter dans le Tibre. Au contraire Romain successeur d' Etienne, restablit tout ce qui avoit esté annullé par son predecesseur. Et ainsi par trois ou quatre successions de Papes, chacun defaisoit ce que son predecesseur avoit fait & ordonné en ce grand theatre de Rome, à la veuë de tous les Chrestiens. 

Au bout de ces longs troubles, & divorces, comme ainsi soit que des corruptions viennent les generations, & des grands desordres, les grands ordres: aussi se planterent nouvelles polices en l' Occident. Car tout ainsi qu' en la Germanie furent establis six Magistrats pour Electeurs de l' Empire, qui ont grande auctorité pour la conservation de cest Estat: aussi quelque temps apres la venuë de Hugues Capet, qui fut presque vers le mesme temps, s' insinua entre nous en ceste France le departement de noz douze Pairs, six Ecclesiastics, & six Laiz, pour être comme Conseillers, & intendans generaux des affaires de nostre France: & de mesme façon les Papes, qui de toute ancienneté s' estoient habituez dans Rome, voyans que par devers eux demouroient les prerogatives, & anciennes remarques de l' Empire, voulurent avoir autour d' eux un conseil, de la façon que les Empereurs. Pour ceste cause commença d' être grandement elevé en authorité, & grandeur,  vers le temps de Jean dix & neufiesme, pour toutes les affaires du sainct Siege, le consistoire des Cardinaux. Toutesfois par ce que ceste compaignie pour le rang qu' elle tient entre nous, merite bien d' avoir sa remarque à part, j' en discourray en un autre chapitre ce que j' en pense devoir estre dit. 

Or combien que depuis que l' Empire fut electif, le Pape donnast presque la Loy aux Empereurs, & que par ce moyen nul Prince Chrestien ne s' ozast parangonner en authorité avecq' luy, si avoit-il une bride en sa maison qui l' empeschoit: c' estoit le peuple Romain, lequel licentieusement se dispensoit de fois à autre encontre luy. Car estant perpetuellement en luy emprainte la memoire de son ancienne liberté, il pensoit que par nul laps de temps elle ne pouvoit être prescrite. Parquoy pour aucunement contenter ses opinions desbordees, fut erigé un nouvel estat dans Rome, qui fut appellé Senateur, dont encores aujourd'huy en voit-on quelques remarques. C' estoit une image du Patritiat, qui avoit esté autrefois deferé à Charlemaigne. Et combien qu' en cestuy l' on ne veit pour dire le vray que le masque d' un Magistrat, toutesfois encores ne pouvoient avoir les Papes tel controleur à leur porte. A ceste cause Lucius second, voulant par force bannir cest office de Rome, fut à coups de pierres outragé par la commune, de telle façon qu' il en mourut. Et Eugene troisiesme son successeur, ayant excommunié le peuple, avec Jourdain leur Senateur, fut contraint d' abandonner la ville, & s' en venir en ceste France, ressource ancienne des Papes lors de leurs afflictions: Nous en voyons encores une Epistre expresse de sainct Bernard qu' il escrivit au peuple de Rome le blasmant tres-aigrement de ce qu' il s' estoit ainsi indiscrettement bandé contre son chef. Et en fut mesmement Adrian quatriesme en grande altercation avecq' les Romains. Toutesfois ayans les Papes puis apres recueilly en ce fait leurs esprits, & pourpensé que ceste dignité n' estoit qu' un amusoir de peuple, mesmes que la voulant suprimer tout d' un coup c' estoit se heurter contre une folle populace, qui est comme un torrent, lequel plus reçoit d' obstacles & barrieres, plus fait de violens efforts. Pour ceste cause ils estimerent qu' ils viendroient à la longue mieux à chef de leur intention par une sage tolerance. Ce qu' ils firent, & leur succeda ce conseil si à propos, que non seulement ce Senateur passa puis apres en toutes choses par où ils voulurent, mais en sceurent fort bien faire leur profit quand les occasions le requirent, estant un nom de Magistrat sans effect, qu' ils presentoient toutesfois aux Princes estrangers, quand ils les vouloient allecher de venir en Italie, pour prendre leur querelle en main encontre leurs ennemis. Car ainsi en userent-ils à l' endroit de Charles Comte d' Anjou, pour exterminer de Naples la posterité de Federic second: & encores depuis envers Pierre d' Arragon, pour chasser celle de Charles quand ils en furent las. En fin ceste belle qualité de Senateur, s' estant par traicte de temps changee en simple tiltre (parce que la colere du peuple s' estoit matee petit à petit) demoura par devers les Papes tout l' Estat de Rome & des environs sans aucune contradiction: Et en effect voila les procedures par lesquelles ils s' impatronizerent par le menu de ceste grande ville.