mardi 6 juin 2023

3. 9. Du deschet, & desbauche de nos privileges, soubs la seconde lignee de noz Roys.

Du deschet, & desbauche de nos privileges, soubs la seconde lignee de noz Roys. 

CHAPITRE IX.

L' ignorance de nos Prelats envelopee des guerres civiles (qui ne produisent ordinairement autre chose que la desolation de l' Estat Ecclesiastic) ceste ignorance, di-je, commençant de tomber au temps de ce grand Nicolas, il ne faut pas trouver estrange s' il ne fut adoncques mal-aisé de nous faire descheoir d' un degré ou deux de nos anciens privileges. Aussi certainement est-ce luy dessous ceste seconde lignee qui y donna la premiere atteinte, & pour une tres-juste cause que l' on ne doit passer soubs silence, a fin que ce nous soit une leçon pour nous apprendre de n' abuser des benefices, qui nous sont accordez de Dieu. Je vous ay n' agueres recité un abus qui fut fait au Concil de Lion, ou bien de Soissons, tenu contre Louys le Debonnaire, je vous en raconteray maintenant un autre qui fut commis en la ville d' Aix, pour gratifier à la passion d' un Roy, qui n' estoit pas veritablement Roy de France, mais estoit l' un des successeurs de Charlemaigne, & si tenoit son Royaume dedans l' enclos de noz Gaules. Il prit opinion au Roy Lothaire second, petit fils du Debonnaire, de repudier la Roine Tutbergue sa femme, voulant espouser Uvaldrade (Waldrade) sa concubine, de l' amour de laquelle il estoit infiniement esperdu. Ce qu' il ne pouvoit faire sans scandale: car la Royne estoit apparentee de plusieurs grands Princes. Cela fust cause qu' il y voulut employer un faux pretexte de l'  Eglise, & abuser du remede *commun de la France, je veux dire de l' auctorité d' un Concil. Waldrade estoit niepce de Gontier Archevesque de Cologne, & grand Aumosnier du Roy, qui prend ceste affaire en main, & pour parvenir à son dessein, attire à sa cordelle Tutgrand, Archevesque de Treues. Le Concil est encommencé premierement dans Cologne, puis parachevé à Aix la Chapelle (siege du Royaume de Lothaire) ou par commune resolution de toute l' assemblee ce divorce fut approuvé, & le Mariage trouvé bon d' entre le Roy & Waldrade. Les parens de la pauvre Royne ne s' en peurent taire: Ils vont au recours des affligez en la ville de Rome: où ils trouverent le Pape Nicolas tres-disposé à embrasser leur complainte, lequel dés l' instant mesmes delegua Hagayer, & Rodoal Evesques, Legats en ceste France pour s' informer comme le tout s' estoit passé. C' estoit à parler François entreprendre à huys ouvert sur nos anciens privileges. Car auparavant vous ne trouverez point que jamais le semblable eust esté pratiqué en la France. Lothaire craignant la fulmination Apostolique s' excuse sur les Evesques de son Royaume, dit qu' il n' a rien fait que par leur adveu & authorité. Ces deux Legats luy conseillent d' envoyer par devers le Pape les deux Archevesques qui avoient presidé en ce Concil, a fin (comme il est à croire) que la punition qui seroit exercee sur eux, servit de bride non seulement aux autres Prelats, mais aux Roys. Le Roy les croit & de fait envoye Gontier, & Tutgrand à Rome pour prendre raison de leur fait. C' estoit un second deschet de nos privileges. Ils avoient affaire à un tres-advisé Prelat, lequel, bien qu' il estimast ses sentences n' être sujettes à controle que de luy seul, comme il avoit escrit à l' Empereur de Constantinople, si ne voulut-il franchir le pas pour le premier coup contre nous: Mais pour n' être veu deroger de plain faut à nos privileges, ne voulut employer sa puissance absoluë, ains nous combattant de nos mesmes armes, fit faire un Concil, par l' advis duquel il anathematiza ces deux Prelats, les priva de leurs Archeveschez, degrada de l' ordre de Prestrise, & reduisit pour tout soulas à la communion des Laiz. Et combien que ce jugement ne feust pas agreable à tous, comme nouveau, & non jamais au precedent veu dans la France, & que ces deux Prelats s' en plaignissent à l' Empereur Loys, frere de Lothaire. Disans que jamais Metropolitain n' avoit esté destitué de son siege entre nous, sans le vouloir du Prince, accompaigné de la sentence des autres Metropolitains. Ce nonobstant, ce decret sortit son plain effect, & ne peurent jamais ces deux Evesques obtenir restitution du Pape, encores que par deux & trois fois ils s' allassent jetter à ses pieds. Jugement certes tres-sainct, & tres-juste. Car si Dieu oste les Royaumes, & les transmet d' une main à autre, pour le peché des Roys, comme nous en voyons plusieurs exemples dans la Bible, hé vrayement quand il eust permis que tout à fait nous fussions decheuz de nos privileges anciens, nous n' eussions esté chastiez que selon noz demerites. L' exemple que je vous viens de reciter servit puis apres de grande planche. Car à la suitte de ce jugement, Nicolas voyant que Lothaire perseveroit en son peché, depescha Arsenius autre Legat, lequel passant plus outre que les deux autres, assembla de l' authorité Apostolique un Concil encontre Lothaire, l' exhorte d' abandonner sa concubine, & de retourner à sa vraye espouse, sur peine d' encourir les censures Ecclesiastiques. Ce que Lothaire fut contraint de faire. Et en ce mesme Concil le Legat excommunia Eugiltrude femme de Bosson, lequel elle avoit quitté pour adherer à Uvanger (Wanger), l' un de ses vassaux: Adjurant tous les Prelats des Gaules, Germanie, & Neustrie, par l' authorité de Dieu tout puissant, de S. Paul, & de Nicolas Pape universel, de ne recevoir ceste Princesse en leurs Eglises. 

Voila comment nostre Eglise Gallicane descheoit de ses anciennes libertez: Et combien que le sainct Siege eust lors attaint à tout ce que l' on pouvoit souhaitter de grandeur, comme mesmes l' on peut remarquer par le huictiesme Concil general de Constantinople tenu soubs Adrian second, toutesfois nostre Eglise ne pouvoit aisement souffrir que le Pape entreprist sur noz Ordinaires: & de ce s' en trouve un exemple fort notable soubs le mesme Adrian deuxiesme, du temps de Charles le Chauve, n' estant encores Empereur. Il s' estoit fait donner quelques biens de l' Eglise de Laon par Hincmare, lors Evesque de ce lieu. Don qui avoit esté bien & deuëment emologué. Depuis il redonna ces mesmes terres à un Gentil-homme, duquel, l' Evesque induit d' une repentance, les vouloit repeter: mais luy n' en voulant passer condemnation, fut soudain excommunié par l' Evesque. C' estoit un baston, dont lors & apres escrimerent trop librement les Superieurs de l' Eglise, & qui fit venir par succession de temps ces excommunications en nonchaloir, pour en user indifferemment, & les mettre en œuvre sans discretion. Le Gentil-homme en appelle, & releve son appel par devant Hincmare Archevesque de Rheims, lequel fut un tres-grand personnage de son temps. Apres que l' Archevesque eust cogneu du merite de ceste cause, & comme les choses s' estoient passees à l' endroict du Roy, il annulla la sentence, & renvoya le Gentil-homme absous des censures Ecclesiastiques. Dont l' Evesque de Laon indigné, appella en Cour de Rome. Ceste appellation trouvee insolente, & nouvelle, Charles le Chauve s' en remuë, & fait assembler les Prelats de la Province à Rheims, où par l' advis du Concil cest appel fut declaré non recevable, ny vallable. D' autant que par les anciens decrets de l' Eglise Gallicane, les causes ne devoient outre-passer les limites du Royaume, où elles avoient esté encommencees. Chose dont le Pape Adrian indigné, blasma grandement Hincmare Archevesque, & en escrivit mesmement lettres au Roy, pleines de courroux, & contumelie. Parquoy enjoignir à l' un & à l' autre par puissance, & autorité Apostolique, qu' ils deferassent à cest appel, & que les parties eussent à se trouver à Rome, pour y être la cause jugee. A quoy Charles aidé, comme il est vray-semblable, des instructions de l' Archevesque, respondit assez brusquement que c' estoit contre tout l' ordre ancien de Rome, & de la France, que le Roy ordonné de Dieu pour reformer toutes les fautes de ses subjets, permit que celuy eust recours à Rome, qui avoit esté condamné par un Synode Provincial en presence de son Metropolitain, & que jamais ses predecesseurs Roys de France, n' estoient tombez en cest accessoire: que les saincts decrets anciens, mesmes de Rome, resistoient à ceste nouvelle entreprise. Parquoy desiroit faire, non ce que le Pape, mais bien l' Eglise ancienne de Rome, ordonnoit. L' exhortant pour conclusion qu' il eust à l' advenir à se deporter de lettres de telle substance envers luy, & ses Prelats, a fin qu' ils n' eussent occasion de l' esconduire.

Telle fut doncq' la responce de Charles, beaucoup plus forte & vertueuse que celle qu' il fist puis apres, estant Empereur. L' ambition extraordinaire meurdriere de tous les Estats, n' hebergeoit lors en son cerveau, ny le temps, & l' occasion ne luy avoient encores suggeré les memoires, qu' il pratiqua depuis la mort de Louys Empereur d' Italie son nepueu. Cest Empereur decedant, avoit delaissé trois enfans, Carloman, Louys, & Charles le Gras, ausquels par droict successif devoit appartenir cest Empire, toutesfois Charles le Chauve par brigues & moyens sinistres, les supplanta, & se fit couronner Empereur de Rome par le Pape Jean huictiesme, avec lequel ayant lié sa fortune, il la voulut estayer par nouvel advis, & rendre grand à son possible celuy qui l' avoit gratifié de ce beau tiltre d' Empereur. 

Ce Prince d' un esprit remuant, fantasque, & bisarre, homme de peu d' effect, auquel la famille des Martels doit principalement sa ruine, voulut pour se magnifier en qualité d' Empereur, faire tenir un Concil general en un lieu nommé Pontigon, où il se trouva lors en personne, habillé à la Françoise, non à la Grecque, & avec luy Jean Evesque de la Toscane, Legat du Pape Jean huictiesme: lequel dés la premiere seance fit faire lecture des bulles Apostoliques, par lesquelles le Pape leur permettoit l' ouverture du Concil: & aussi deleguoit Ansegise Evesque de Sienne pour son Legat, tant sur les Gaules, que Germanie, approuvoit, & avoit pour agerable tout ce qui seroit par luy faict, luy permettant d' y faire celebrer les Concils, comme si le Pape y eust esté en personne. Les Evesques grandement estonnez de ceste nouvelle commission, demanderent avant que de passer plus outre, d' en avoir copie. Ce que le Roy, qui s' entendoit avecq' le Pape, refusa, & ordonna que puis que sa Sainteté l' avoit ainsi ordonné, Ansegise tint la primace de toutes les Gaules, & en ceste qualité luy fit bailler siege par dessus tous les autres Prelats, baillant à l' Evesque de la Toscane le costé droit. Hincmare Archevesque de Rheims se leve sur pieds, & s' oppose fortement à ceste entreprise, soustenant hautement que c' estoit directement contrevenir aux decrets anciens de l' Eglise Gallicane. Bref les choses se passererent lors au contentement des Prelats, nonobstant l' intervention manifeste du Roy. Dont luy irrité retournant à ceste assemblee, lors habillé à la Gregeoise (comme Prince plain de vanité qu' il estoit) somma de rechef ces Prelats de satisfaire au vouloir du Pape en faveur d' Ansegise. A quoy ils respondirent que jamais ils n' avoient desobey aux commandemens reguliers du Pape, ny de ses predecesseurs. Et comme il les pressast d' avantage de franchir le pas, il ne peut obtenir d' eux non plus en la derniere session, qu' il avoit faict en la premiere. Qui monstroit qu' en eux n' estoit encor du tout esteinte ceste ancienne vertu, & liberté de nostre Eglise Gallicane. Et comme Jean huictiesme ne s' en fust voulu taire, ains eust escrit lettres plaines de commination aux Eglises, & Clergé de France, pour n' avoir voulu endurer son Legat, Hincmare fit une responce concernant les Privileges de nostre Eglise, & c' est ce que veut dire Flodoard, parlant de luy, quand il dict. Respondit etiam ad capitula quædam Episcopis Regni Francorum à Joanne Papa transmissa, de privilegiis sedium, per capitula septem: quoniam idem Papa nisus fuerat Ansegisum Senensem Episcopum, primatem constituere, ut Apostolica vice per Gallias, & Germanias frueretur, cui conatui venerabilis hic praesul Hincmarus obstitit. Il respondit, (fait-il) quelques articles envoyez aux Evesques de France par le Pape Jean, sur les Privileges des Eglises Cathedrales, & ce par sept Chapitres. D' autant que ce Pape s' estoit efforcé d' establir Ansegise Evesque de Sienne Primat, & son vicegerant par toutes les Gaules & Germanies. Auquel dessein ce venerable Prelat Hincmare resista: & neantmoins par ce que l' on luy improperoit calomnieusement que defendant nos privileges si fortement, il avoit en cela mespris contre le S. siege de Rome. Qui est une opinion qui peut aisément entrer en un cerveau morfondu. Voicy qu' en dit le mesme Flodoard. Scripsit & Apologeticum contra obtrectatores suos, qui calumniabantur eum diversis obtrectationum apetitionibus, scilicet apud Joannem Papam, quod nollet autoritatem recipere, & decreta Pontificum sedis Romanae, atque & tunc in Synodo Tricassina, & postea in hoc Apologetico respondit, refellens *convitiatores suos, & se decretalia Pontificum Romanorum à sanctis Conciliis recepta, & approbata recipere, & sequi discretè pro ut sunt sequenda depromens. Il escrivit (dit-il) un Apologetic contre ses mesdisans, qui le calomnioient diversement envers le Pape Jean, comme s' il n' eust voulu recevoir les decrets du Siege Apostolic de Rome. Chose dont il se purgea tant au Concil tenu à Troye, que par cest Apologetic, declarant qu' il adheroit aux decrets des Papes receus & approuvez par les saincts Concils, enseignant comment il y falloit distinctement obeyr. Qui sont passages dignes d' être notez pour l' ancienneté de nos privileges. Et à la mienne volonté que ce livre fust en essence. Et certes on ne peut oster à Hincmare qu' il ne fust un tres-grand personnage, & l' un des plus grands protecteurs en ce temps là de nos privileges: mais si vous tournez le fueillet, vous le trouverez aussi avoir esté sur son advenement, & selon les occasions, l' un des plus grands perturbateurs d' iceux. Et par ce que parlant de luy avec personnages de ce temps, studieux de l' antiquité, je ne leur pouvois faire accroire cela, je le vous veux representer par un exemple digne aussi du present subjet. Ebon Archevesque de Rheims avoit esté l' un des principaux entremetteurs de la conspiration qui fut dressee contre le Debonnaire par ses enfans, qui fut cause que cest Empereur estant depuis restably en ses Estats, s' en voulut ressentir contre luy, & le fit priver de son Archevesché par le Pape Sergius deuxiesme, & en son lieu fut mis Hincmare. Encores que ce personnage fust infiniement bien duict, & nourry aux privileges anciens de nostre Eglise Gallicane, & qu' il ne fust pas d' advis de les changer aisement, comme vous avez peu entendre par les choses que je vous ay presentement discourues: si est-ce que prevoyant ce qui advint depuis, & desirant se rendre asseuré de tout point, non seulement ne se contenta des voix & suffrages du Clergé, assistez de l' authorité de l' Empereur, mais voulut recevoir confirmation par le Pape, auquel l' Empereur adressa lettres patentes pour cest effect, si ne peut il toutesfois de telle façon obvier aux inconveniens que le Debonnaire estant mort, Lothaire son fils Empereur ne fist restituer Ebon en son ancien siege, avec le consentement de quelques Evesques, lequel aussi non content de ce, alla à Rome, où il fut receu par le Pape en sa communion, & de là retourna à l' exercice de sa charge, en laquelle il promeut quelques uns aux ordres, & aux autres il confera divers benefices selon que l' occasion s' estoit presentee. Mais aussi tost qu' Ebon fut decedé, & Hincmare de retour en son Archevesché, il les priva de tous les biens, degrez, & honneurs qu' ils avoient receuz du deffunct, comme ayans esté conferez par celuy qui n' avoit eu pouvoir de ce faire. Ce pauvre peuple ne s' en peut taire, & fut la matiere de telle façon ventilee, que l' on en vint jusques à un Concil qui fut tenu à Soissons, auquel lieu, par ce que la cause se traictoit contre le Metropolitain, il fut dit que les parties conviendroient de 2. ou 3. Juges, sous l' arbitrage desquels seroit la question terminee en la presence du Concil. C' estoit la forme qui estoit prescrite tant par un Concil Africain, que par les loix Synodales de Charlemaigne. Chose à quoy Hincmare condescendit liberalement, mais avec une protestation telle que l' on lit dans les actes de ce Concil, qui fut telle. Ego Hincmarus sanctae Metropolitanae Ecclesiæ Rhemorum Episcopus in hac dumtaxat caussa, quae ventilatur de his, qui se à Domino Ebone depositionem suam asserunt ordinatos, eligo mihi iudices, quos Canones Electos appellant, Uveinlonem (Weinlonem) Senonensem Archiepiscopum, Pardulsum dioceseos nostra Laudunensem coepiscopum servantem locum nostrum in hoc iudicio, nostræ authoritatis salvo in omnibus primatii Metropolis Rhemorum Ecclesia iure, & manente in suo statu, quod quidem ius cum aliis Metropolitanis mihi à sacris canonibus est collatum: salva etiam reverentia Apostolica sedis, quae in omnibus caussis debet reverenda adhiberi, sicut Innocentius Papa ad Victricum Rhotomagensem scribit Episcopum, & sancti etiam Canones præfigere dignoscuntur. C' estoit en bon langage un huis de derriere qu' il se reservoit & un recours au siege Apostolic, s' il luy fust mesadvenu de sa cause, contre l' ancienne usance de France. Là furent deduictes plusieurs choses sur la destitution, & restitution d' Ebon, & à vray dire, toutes les fleiches que l' on descochoit d' une part & d' autre, ne concernoient que la grandeur, & authorité du Siege Apostolic. Par ce que Hincmare remonstroit que Sergius Pape avoit reduit Ebon en une communion laicale, & privé de son Archevesché, mesmes sur ce que la congregation des Evesques de France luy en avoit escrit. Au contraire qu' il avoit esté receu, & instalé en ce siege par election du Clergé, & lettres patentes du Roy, ensemble par confirmation du mesme Sergius. Que suivant cela il avoit receu l' honneur du Pallium du sainct Siege: Que tout ce que ses adversaires alleguoient de la restitution faire par Lothaire, & quelques Evesques, estoit en partie supposé, & en partie contre les Canons Ecclesiastics. Surquoy, apres avoir ouy meurement les parties, il fut sententié pour Hincmare, & ordonné que les destitutions tiendroient. Toutesfois Hincmare non content de cela, en advertit encores le sainct Siege, & fit confirmer par Benoist Pape tout ce qui avoit esté arresté en ce Concil. Et non content de cela, Benoist donna d' abondant ce privilege à Hincmare, que nul de ses diocesains apres avoir souffert sentence de condemnation de luy, n' en peust appeller. Quoy faisant, il derogeoit grandement à nos privileges en ostant la voye ancienne d' appel du Metropolitain au Concil provincial. Hincmare pensoit s' être de ceste façon asseuré pour avoir d' un costé suivy la vieille discipline de France, j' entends d' avoir fait confirmer par Concils ses sentences: & encores la nouvelle forme, ayant fait par une abondance de seurté ratifier par le Pape, tout ce qui s' estoit passé à Soissons. Toutesfois ses parties adverses ayant fait consultation pour eux sur la protestation du mesme Hincmare vont à Rome, discourent leur fait avecq' humble supplication au Pape Nicolas premier successeur de Benoist, lequel casse & annulle ceste sentence Synodale contre eux donnee, & les restitue en entier. Par ce qu' il ne falloit imputer à ces pauvres gens à vice, si suivans la foy du public, & l' erreur commun de tous, qui vient au supplement du droict, ils avoient pris provision de celuy qui estoit par la commune voix du peuple en opinion d' être leur vray superieur. Nicolas estoit un grand Pape, mais il s' atachoit aussi à un bien grand Archevesque, lequel revenant comme d' un profond sommeil, & cognoissant la faute qu' il avoit commise en soy departant de nos anciens privileges, pour avoir recherché de là les monts ce qui naissoit dans nostre France, escrivit une lettre bien ample à Nicolas (avec tel honneur toutesfois que requeroit la dignité qu' il soustenoit, car il l' appelle son unique Seigneur, Pere des Peres) par laquelle lettre il luy remonstre modestement sans riens toutesfois obmettre qu' il ne devoit retracter ce qui avoit esté passé & conclud en un Concil National, le tout ainsi que nous aprenons plus amplement de Flodoard.

A quel propos tout cecy? non à autre, sinon pour monstrer comme les affaires de nostre Eglise Gallicane se trouverent adoncques vagues & fluctuantes pour l' injure du temps, & que pour vray dire, il n' y avoit riens si certain que l' incertain. Par ce que ceux qui en tenoient la plus forte clef, embrouilloient à leur appetit la serrure, faisans sur un mesme subject le faict & defaict. Car vous voyez ce grand Prelat avoir du commencement sa retraicte à Rome, pour la manutention & asseurance de sa dignité, craingnant quelque algarade de Lothaire lors qu' il seroit Empereur: & d' avantage, qu' il proteste avoir recours vers le Pape en ce Concil de Soissons, sa cause se trouvant en balance. Toutesfois depuis s' estant avecq' le temps asseuré de la volonté de l' Empereur, il en ferma du tout la porte de Rome à l' Evesque de Laon: comme au contraire Charles le Chauve du commencement ne portant que tiltre de Roy, souz Adrian deuxiesme favorisa noz privileges, contre lesquels depuis il s' arma en faveur du Siege de Rome souz Jean huictiesme, par lequel il avoit esté sacré Empereur. Et qui approfondira ceste Histoire, trouvera qu' il n' y eut que l' ambition en l' un & l' autre, qui leur fit oublier l' ancienneté de nostre Eglise. Car a fin que l' on ne pense point que ce soit une charité que je leur preste soubz faux gages, Rheginon parlant du sacre & Couronnement de Charles le Chauve, dit qu' il l' achepta à beaux deniers contens, pour defrauder de l' Empire les vrays & legitimes heritiers. Carolus senior (dit-il) Romam secundò profectus, ubi iampridem Imperatoris nomen à præsule sedis Apostolicae ingenti pretio emit. Charles l' aisné vint à Rome pour la seconde fois, où dés pieça il avoit achepté du Pape le tiltre d' Empereur grande somme d' argent. Auquel lieu il appelle Charles l' aisné, à la diference de Charles le Gras l' un de ses nepueux fils de l' Empereur. En cas semblable Leon quatriesme pour attirer de toutes les façons qu' il peut Hincmare à sa devotion, luy envoya le Pallium avec une prerogative extraordinaire qu' il n' avoit jamais octroyee, comme Flodoard, faisant grande commemoration de luy, nous enseigne en ces paroles, quand il dit que, Pro sua sanctitatis, & sapientiae reverentia per interventionem Lotharii Imperatoris, Pallium ad quotidianum suscepit usum à quarto Leone Papa à quo iam aliud perceperat, ut designatis sibi solemnitatibus servandum: quem quotidianum Pallii usum nulli unquam Archiepiscopo se concessisse, vel deinceps concessurum esse, idem Papa in Epistola ad eum directa testatur. C' est à dire, Que pour la reverence de la saincteté & sagesse qui estoit en luy, Leon quatriesme luy avoit envoyé le Pallium par l' entremise de l' Empereur Lothaire, pour en user tous les jours, lequel il avoit une autrefois receu pour en user aux solemnitez à ce dediees, & protesta lors le Pape par lettres à Hincmare qu' il n' avoit jamais octroyé, ny n' octroyeroit à l' advenir ceste prerogative à nul autre. Il ne falloit point dire que Leon ne l' eust jamais octroyé. Car la verité est qu' au paravant nul n' en avoit usé de ceste façon. Et de faict sainct Gregoire en osta l' usage à l' Archevesque de Ravenne, qui maintenoit luy être permis par ancien privilege d' en user tous les jours. Que s' il vous plaist raporter chaque chose à son temps, il sera fort aisé de cognoistre d' où proceda l' entreprise qui fut faite par l' un & l' autre au prejudice de nostre Eglise. Car lors que Charles fit tenir ce deuxiesme Concil, dont j' ay parlé cy-dessus, ce fut soubz Jean, dont il avoit achepté la Couronne de l' Empire, & le Concil de Soissons fut celebré soubz Benoist successeur de Leon, lors, que la memoire n' estoit encores effacce en l' esprit de Jean, du bien fait qu' il avoit receu de son predecesseur, voulans chacun endroit soy favoriser ceux ausquels ils se sentoient obligez, aux despens de nostre liberté ancienne: & l' un des plus grands instrumens qui se trouva & lors, & depuis pour asservir noz Prelats, fut le Pallium, dont chacun se rendoit par une ambition particuliere esclave, a fin d' être comme Vicegerans du sainct Siege en ceste France: mesmes que les Papes se dispensoient fort aisément de l' envoyer non seulement aux Metropolitains, mais aussi aux simples Evesques. Quoy faisans, c' estoit apporter prejudice à ces Metropolitains, ausquels les Evesques chargez de cest honneur, se vouloient parangonner par le moyen de ceste gratification. Chose dont Foulques Archevesque de Rheims se plaignit envers Formose Pape, disant que cela apportoit deux maux, c' est à sçavoir, la confusion & desordre en l' Eglise Gallicane, & l' avilissement de cest honneur en la Romaine, pour être conferé sans acception de personnes autant aux indignes, comme à ceux qui le meritoient, & aux Evesques, comme aux Archevesques. 

Les affaires de la France n' estoient lors arrivees à tel periode, où elles tomberent puis apres: mais toutes ces choses n' estoient qu' un fondement de la mutation qui devoit puis apres advenir tant en l' Estat Ecclesiastic, que seculier, dont le Chauve fut l' un des premiers Autheurs: aussi ne me peut-on denier que le lot qui luy escheut en partage, n' ait esté presque celuy dont noz Roys furent assortis, & que nous appelames depuis Royaume de France. Or depuis l' Empire du Chauve, jusques à la venuë de Capet, ne recherchez une vraye & asseuree face d' Estat, ny en la France, ny en Allemaigne, ains seulement un preparatif general de changement. Ce ne fut qu' un Chaos & meslange qui dura plusieurs longues annees. En tout cest entreject de temps, vous voyez un Bosson faict Roy de Provence, un Bauldouin se faire Comte de Flandre, un Raoul le Normant occuper l' Estat du pays, que nous appellons Normandie, un autre de mesme nom, celuy de Bourgongne, Guy, & Berenger, le Royaume d' Italie, Eude, & apres son frere Robert celuy de France, & apres luy Raoul son gendre: Arnoul Bastard, chasser Charles le Gras son oncle vray Empereur d' Allemaigne, pour s' en impatroniser. Pendant les quelles confusions, tout ainsi que la Majesté Royalle estoit tellement rabaissee, qu' à peine recognoissoit on le vray Roy de France, aussi s' evanouist la dignité de l' Eglise & des Prelats. Car combien que l' on fit contenance de proceder par election aux Eveschez, si estoient elles briguees, non par menees sourdes, pour couvrir la honte & pudeur, ains par la force & violence publique des plus grands: esquelles toutesfois pour apporter quelque asseurance, ils eurent recours à la voye qu' avoit suivy Hincmare. C' estoit de les faire confirmer & ratifier par le Pape, l' authorité duquel estoit lors arrivee en tel credit, que soudain qu' elle y estoit passee, on estimoit que toutes les fautes precedantes estoient couvertes. Et là où auparavant nous recherchions Rome ordinairement par devotion pour voir les saincts lieux, nous la recherchames de là en avant, pour couvrir & faire sortir effect à nostre ambition. Chose que je vous veux monstrer par un seul exemple pour tous; parce qu' en toute mon Histoire je ne me suis proposé que de cotter les plus signalez exemples d' entre plusieurs, & mesmement tirez des Autheurs qui furent ou du temps, ou fort proches des choses que je raconte. Seulphe (quatriesme en ordre en l' Archevesché de Rheims apres Hincmare) estant allé de vie à trespas, le Comte Hubert qui lors tenoit grand lieu en France, moyenna par les trafiques d' Abbon, & Bonon Evesques de Soissons, & Chaalons, que Hugues son fils, qui n' avoit encores attaint l' aage de cinq ans, fust éleu Archevesque de Reims: & pendant le soubz-aage de cest enfant, Raoul Roy, bailla à son pere par forme d' œconomat, le gouvernement du revenu de l' Archevesché: mais par ce que ceste election estoit indubitablement vitieuse, Heribert depesche messagers par devers Jean Pape, acompagnez d' Abbon, lesquels avec tres-humbles supplications, le requirent qu' il luy pleust par un privilege special confirmer ceste election. Ce qu' il fait: mais veut par mesme moyen qu' Abbon fut Vicegerant, & fist tous actes d' Archevesque en ce lieu au spirituel, jusques à ce que Hugues eust attainct aage complet pour être sacré. C' estoit mettre en œuvre à bonnes enseignes la proposition de Nicolas premier, lors qu' il disoit que tout ce qui estoit ordonné par le Pape, ne pouvoit être cassé, & qu' il donnoit dispense, ainsi qu' il trouvoit bon de faire, selon la qualité des personnes qui se retiroient devers luy. Cela estant ainsi depesché, Heribert commença de ravager en ceste Eglise, comme un loup affamé au meillieu d' un troupeau de brebis, & destituë Flodoard Chanoine de l' Eglise de Rheims, (duquel j' ay emprunté ceste Histoire) & autres siens compagnons, pour n' avoir voulu assister à ceste election. Et depuis Oldaric Evesque d' Aix s' en estant fuy de son Diocese, pour la persecution des Sarrazins, le mesme Heribert le fit commettre au lieu d' Abbon à l' administration du spirituel, luy laissant pour ses aliments le simple revenu d' une prebende & d' une petite Abbaye. L' indignité de ceste procedure fut cause que Louys d' Outremer arrivé à la Couronne voulut faire proceder à nouvelle election, par laquelle Artolde fut éleu & mis au lieu de Hugues, & peut estre n' y avoit-il pas plus de devotion en ceste-cy, qu' en la premiere. Car Heribert estoit celuy qui avoit fait mourir en prison Charles le Simple pere de Louys: toutesfois il y avoit plus de pretexte en ceste-cy qu' en l' autre, pour la qualité des mœurs & de l' aage. Artolde donc estant entré en la iouyssance de cest Archevesché il en est jecté dehors par Heribert, & Hugues le Grand son beau-frere, & à l' instant mesme pour oster tout obstacle, Hugues est remis en fort bas aage & sacré Prestre, puis Archevesque. Et vrayement & l' election, & la confirmation de Hugues, & tout ce qui avoit esté fait à la suitte de cecy par les superieurs de l' Eglise, estoit tant éloigné de droict divin & humain, qu' en ceste concurrence de deux Prelats, il n' y avoit que tenir pour luy: toutesfois encore n' osa l' on rompre ce qui avoit esté faict, que par les mesmes voyes dont l' on avoit usé en faveur de luy. Ce fut d' avoir recours à un Concil National dans Verdun, non toutes fois authorisé des Metropolitains, comme estoit nostre premiere coustume, mais souz l' authorité de l' Archevesque de Treues, president, non en ceste qualité d' Archevesque, mais comme Legat du sainct Siege. Et en ce Concil fut Hugues destitué de son Archevesché comme incapable.

Et si les Eveschez estoient en ceste façon mal menagees, encores y avoit-il aux Abbayes, & autres moindres benefices plus grand desordre. Par ce que les Roys s' estoient licentiez de conferer les Abbayes aux Princes, Seigneurs, & Gentils-hommes, pour les tenir leur vie durant, comme les Fiefs. Et comme en tels desordres generaux chacun veut faire le Roy, le semblable faisoient les autres Seigneurs à l' endroit de leurs favoriz, pour raison des moindres benefices. Ainsi lisons nous que Baudouin Comte de Flandres osta plusieurs Eglises parochialles aux vrais titulaires, pour en gratifier de sa propre authorité ceux que bon luy sembla. Desbauche qui estoit un prognostic tres certain du changement de ceste seconde lignee. Car il n' y a riens qui excite tant le courroux de Dieu, que de voir ses Eglises profanees, & tomber en la main de ceux qui se sont vouez au service du Prince temporel, & non du spirituel. Il me souvient avoir leu dedans Luithprand, que Hugues Comte de Provence, ayant esté infiniment heureux en tout le cours de ses affaires. (Car il avoit adjoinct sans grande difficulté à son estat toute l' Italie) Manasses Archevesque d' Arles son cousin le vint trouver, où apres luy avoir faict quelques services, Hugues pour le rendre grand, luy donna les Eveschez de Veronne, Tarente, & Mantouë. Lisez la suitte de ceste histoire, qui est expressement dediee pour ce Prince, vous trouverez que depuis qu' il eut en ceste façon licentieusement abusé des dignitez de l' Eglise, jamais il ne prospera, ains allerent tousjours les affaires en decadence jusques au dernier soupir de sa vie. Au contraire ce mesme Luithprand en son quatriesme livre nous recite qu' Othon premier Empereur de ce nom estant constitué en grandes angusties de guerre contre Henry son frere, & Gilbert son beau-frere Duc de Lorraine, un sien grand Seigneur Comte qui l' avoit suivy & servy fidelement en toutes ses guerres, le pria par lettres de luy vouloir donner une Abbaye lors vacante, riche & opulente en biens, & possessions temporelles, a fin que par le revenu d' icelle il eust moyen de stipendier ses soldats, & en soustenir plus aisément le defroy de la Guerre. A quoy l' Empereur d' un visage riant dit au Gentilhomme porteur de la lettre, qu' il avoit envie de faire response à son maistre plustost de bouche, que par lettre. Ce qu' entendu par ce Comte il fut infiniment resiouy, tenant ja pour accordé le Benefice qu' il avoit demandé. Et de ce pas s' achemina devers l' Empereur, le rechargeant de mesme requeste. Auquel ce Prince en presence de tout le peuple: Il faut (dit-il) plus obeïr à Dieu, qu' aux hommes. Car qui est celuy si peu clair-voyant qui ne voye que la requeste que me faites maintenant, n' est pas tant requeste, qu' une taisible, & ouverte menace pour la necessité en laquelle vous me voyez reduit? Mais il est escrit, ne donnez point aux chiens ce qui est sanctifié, lequel passage estant par les Docteurs pris en sens allegorique, j' estimerois donner aux chiens, si je donnois à celuy qui suit la guerre temporelle, un monastere, qui est dedié pour les Religieux qui guerroyent souz les estendarts de Dieu seulement. Pour ceste cause je veux bien que sçachiez en presence de tout ce peuple, que vous, qui me demandez avecq' telle arrogance un don tant desraisonnable, ne l' obtiendrez jamais ne (de) moy, ny autre chose dont me requeriez. Partant s' il vous vient à plaisir de prendre vostre vol vers ces autres rebelles, le plustost sera le meilleur.

Ces choses estans proferees d' une magnanimité digne d' un si grand Empereur, ce Comte non seulement ne tourna visage vers l' autre party, mais se jette aux pieds de son maistre, le priant tres-humblement de luy vouloir pardonner la faute, en laquelle il estoit inadvertemment tombé. Et à tant vivant cest Empereur en ce sainct propos, & ayant Dieu pour son protecteur au lieu des hommes, non seulement vint à chef de ses ennemis, mais qui plus est chassa sans esperance de retour, & Hugues, & Berenger, de l' Italie, la remettant souz l' Empire, dont elle avoit esté distraicte par deux ou trois successions d' Empereurs. Au contraire la posterité de Charlemaigne faisant lictiere des Eveschez & Abbayes, perdit la Couronne & fut cause d' eschanger l' ancienne discipline de nostre Eglise en une nouvelle, dont nous parlerons cy apres.