mercredi 28 juin 2023

4. 19. Vers quel temps un tas de gens vagabonds, que les aucuns nomment Aegyptiens, les autres Bohemiens, commencerent de roder cette France.

Vers quel temps un tas de gens vagabonds, que les aucuns nomment Aegyptiens, les autres Bohemiens, commencerent de roder cette France. 

CHAPITRE XIX.

Il est tombé un vieux Livre entre mes mains en forme de papier journal, par lequel un Theologien de Paris, soigneux de recueillir les choses qu' il voyoit, nous redigea diligemment par escrit tout ce qui advint de son temps, specialement en la ville de Paris, de l' authorité duquel je me suis aidé en quelques endroits de cet œuvre: Mais je veux à present inserer tout au long, & transcrire de luy mot à mot certain passage, par lequel on peut aisément voir de quel temps ces Egyptiens que nous voyons encore vaguer par la France, commencerent à y entrer, & quelle fueille ils donnerent à leur pelerinage. Le Dimanche d' apres la my-Aoust (dit-il) qui fut le dix-septiesme jour d' Aoust mil quatre cens vingt-sept, vindrent à Paris douze Penanciers, comme ils disoient, c' est à sçavoir un Duc, & un Comte, & dix hommes tous à cheval, & lesquels se disoient tresbons Chrestiens: & estoient de la basse Egypte, & encore disoient que n' avoit pas grand temps que les Chrestiens les avoient subjuguez, & tout leur pays, & tous faits Chrestienner, ou mourir ceux qui ne vouloient estre. Ceux qui furent baptisez, furent Seigneurs du pays, comme devant, & promirent d' estre bons, & loyaux, & garder foy à Jesus-Christ jusques à la mort, & avoient Roy, & Royne en leur pays, qui demeuroient en leurs Seigneuries. Item vray est, comme ils disoient, qu' apres aucun temps qu' ils orent pris la foy Chrestienne, les Sarrazins les vindrent assaillir. Quand ils se veirent comme pou fermes en nostre foy, à trespou d' achoison sans endurer gueres les guerre, & sans faire le devoir de leur pays deffendre que trespou, se rendirent à leurs ennemis, & devindrent Sarrazins comme devant, & renoncerent à Jesus-Christ. Item il advint apres que les Chrestiens, comme l' Empereur d' Allemagne, le Roy de Poulaine & autres Sieurs, quand ils sçorent qu' ils orent ainsi faussement laissé nostre foy, & qu' ils estoient devenus si tost Sarrazins, & Idolatres,  leur coururent sus, & les vainquirent tantost comme cils qui cuidoient qu' on les laissast en leur pays, comme à l' autre fois pour devenir Chrestiens: Mais l' Empereur, & les autres Seigneurs par grande deliberation de conseil, dirent que jamais ne tenroient terre en leur pays, si le Pape ne le consentoit, & qu' il convenoit que là allassent au S. Pere à Rome: & là allerent tous petits & grands à moult grand peine pour les enfans. Quand là furent, ils confesserent en general leurs pechez. Quand le Pape ont oüye leur confession, par grande deliberation de conseil, leur ordonna en penitence d' aller sept ans ensuyvant parmy le monde, sans coucher en lit, & pour avoir aucun confort pour leur despense, ordonna, comme on disoit, que tout Evesque, & Abbé portant crosse, leur donneroit pour une fois dix liures tournois, & leur bailla lettres faisans mention de ce aux Prelats de l' Eglise, & leur donna sa benisson, puis se departirent, & furent avant cinq ans par le monde, qu' ils vinssent à Paris. Et vindrent le dix-septiesme jour d' Aoust l' an mil quatre cens vingt-sept, les douze devant dits, & le jour sainct Jean Decolace vint le commun. Lequel on ne laissa point entrer dans Paris, mais par Justice furent logez à la Chappelle sainct Denys, & n' estoient point plus en tout d' hommes, de femmes & d' enfans, de cent ou six vingts, ou environ. Et quand ils se partirent de leurs pays, ils estoient mille ou douze cens: Mais le remenant estoit mort en la voye, & leur Roy, & leur Royne, & ceux qui estoient en vie, avoient encore esperance d' avoir des biens mondains: car le S. Pere leur avoit promis qu' il leur donneroit païs pour habiter, bon & fertile: mais qu' ils de bon cœur achevassent leur penitence. Item quand ils furent à la Chappelle, on ne veit oncques plus grande allee de gens à la benisson du Lendit, que là alloit de Paris, de sainct Denys, & d' entour Paris pour les voir. Et vray est que le plus, & presque tous avoient les oreilles percees, & en chacune oreille un annel d' argent, ou deux en chacune: & disoient que c' estoit gentillesse en leur pays. Item les hommes estoient tres-noirs, les cheveux crespez, les plus laides femmes que l' on peut voir, & les plus noires, toutes avoient le visage deplayé, cheveux noirs comme la queuë d' un cheval, pour toutes robbes, une vieille flossoye tres-grosse, d' un lien de drap, ou de corde, liee sur l' espaule, & dessus un pauvre roquet, ou chemise pour paremens: Bref c' estoient les plus pauvres creatures que l' on veit oncques venir en France, d' aage d' homme, & neantmoins leur pauverté, en la compagnie avoit sorcieres qui regardoient és mains des gens, & disoient ce qu' advenu leur estoit, ou à l' advenir, & meirent contens en plusieurs mariages. Car elles disoient, Ta femme t' a fait coup: Et qui pis estoit, en parlant aux creatures par art Magique, ou autrement par l' ennemy d' Enfer, ou par entreject d' habilité faisoient vuider les bourses aux gens, & les mettoient en leurs bourses, comme on disoit. Et vrayement j' y feuz trois ou quatre fois pour parler à eux, mais oncques ne m' apperçeu d' un denier de perte, ne les vey regarder en main. Mais ainsi le disoit le peuple par tout. Tant que la nouvelle en vint à l' Evesque de Paris, lequel y alla, & mena avec luy un frere Prescheur nommé le petit Jacobin, lequel par le commandement de l' Evesque feit là une belle predication, en excommuniant tous ceux, & celles qui se faisoient, & qui avoient creu, & monstré leurs mains, & convint qu' ils s' en allassent, & se partirent le jour de nostre Dame en Septembre, & s' en allerent vers Pontoise. A tant l' Autheur.

Duquel passage nous pouvons aisément tirer qu' auparavant ce voyage les Parisiens n' avoient esté repeuz de telle maniere de gens, lesquels jusques à nous ont continué successivement, & de main en main leurs voyages, sous umbre de leur penitence à mon jugement fabuleuse, mais toutesfois telle que de la mesme façon que cet Autheur en fait recit: Aussi de nostre temps Monster en sa Cosmographie en a faict une mention non beaucoup esloignee de cette-cy: Et est une chose estrange, que ces miserables voyageurs, sans asseurance de feu & lieu font une perpetuelle profession de mendicité, de larcin, & d' oisiveté, & encore plus estrange qu' au veu & sceu de nos Magistrats, ils ont rodé en cette France par l' espace de cent, ou six vingts ans & plus, sans avoir autre adveu de leur penitence, sinon celuy que par une sotte renommee, ils avoient imprimé depuis ce temps-là dans nos testes. Disans que les sept ans de penitence qui furent ordonnez aux premiers alloient de succession en succession: Toutesfois de nostre temps par l' Edict des Estats tenus à Orleans, & publié le 3. Septembre 1561. il fut pourveu à cet abus: Pour autant que par l' article cent troisiesme de cet Edict, il fut enjoinct à tous Baillifs, Seneschaux, ou leurs Lieutenans, & autres Officiers du Roy, chacun en son destroict, faire commandement à tous tels imposteurs qui empruntoient le nom de Bohemiens, ou Egyptiens, leurs femmes, enfans, & autres de leur suitte de vuider dedans deux mois de ce Royaume à peine des Galeres, & de punition corporelle: Au reste je ne veux obmettre que Raphaël Volaterran, au douziesme de sa Geographie, dict que cette sorte de gens estoit extraicte des Uxiens, peuples assis, & situez dans la Perside, induit à ce croire de l' authorité de Syllax, qui a escrit l' Histoire des Empereurs de Constantinople, lequel recite que Michel Traule Empereur avoit appris d' eux, que la Couronne de l' Empire devoit tomber entre ses mains. Qui estoit une Secte, laquelle esparse par la Mesie, disoit à chacun sa bonne, ou mauvaise advanture: Quos aliena iuvant, proprijs habitare molestum.


Vers quel temps un tas de gens vagabonds, que les aucuns nomment Aegyptiens, les autres Bohemiens, commencerent de roder cette France.