dimanche 2 juillet 2023

6. 2. Qu' il ny a rien tant à craindre en une Republique, que la minorité d' un Roy.

Qu' il ny a rien tant à craindre en une Republique, que la minorité d' un Roy.

CHAPITRE II.

Ce que je vous discourray maintenant me sera non un Livre, ains une meslange d' affaires selon qu' elles me sont venuës en l' esprit, & paradvanture non moins aggreables que si j' eusse observé l' ordre des ans. Je commenceray doncques ce Chapitre par la minorité des Roys, & vous diray que ce fut une question ancienne traictee par quelques personnages de marque, sçavoir lequel estoit plus expediant au public, d' avoir un Prince foible de sens, assisté de sages Seigneurs, ou bien des Seigneurs de foible conseil, commandez par un Prince sage. Question certes qui peut trouver divers parrains, pour le soustenement du pour, & du contre: Car il se trouve tel Prince, lequel foible d' entendement a restably son Estat, qui estoit au dessous de toutes affaires, comme en cette France on vit autresfois un Charles septiesme, lequel plus ententif à faire l' amour à sa belle Agnes, qu' au restablissement de son Royaume: Toutesfois fut remis fus par la sage conduite premierement de Jean Bastard d' Orleans, & en apres par un Connestable de Richemont, la Hire, Poton, & autres Capitaines, dont la fortune l' accommoda plus que le conseil: Au contraire il se trouve plusieurs Princes qui par leurs sens, & suffisances peuvent beaucoup, toutesfois assiegez de plusieurs mauvais conseillers, sont quelquesfois reduits en toutes miseres & calamitez. Or en cette question si j' en estois creu, j' aymerois mieux estre pour le dernier party. Car encores que les Roys ne voyent que par les yeux, n' oyent que par les oreilles de ceux qui leur assistent, si est-ce qu' il y a plus d' asseurance en un Roy sage, quelque mauvais conseil dont il soit environné, qu' en un sol, quelques sages personnes qu' il ait prés de soy. Il n' a point esté dit sans s cause que l' œil du Maistre engraisse & son champ & son cheval. Le Prince sage, encores qu' il ne puisse de soy donner ordre à tout, si fait-il contenir aucunement les plus desbordez de ses serviteurs en leur devoir: Et celuy que l' on voit manquer de sens, fait que ceux qui estoient du commencement les plus retenus, apprennent peu à peu à s' oublier, & tout d' une suite abuser de l' imbecillité de l' âge, ou de l' entendement de leur Maistre: Bref s' il en advient autrement, c' est plus par hazard, que discours. De cela nous eusmes un bel exemple sous le regne de Charles sixiesme, lequel fut appellé à la Couronne n' ayant encores que douze ans, & depuis venant en âge de plus grande maturité, Dieu permit qu' il tomba en alteration de son bon sens. Je vous prie doncques de considerer quel fruict en rapporta la France. Jamais Roy ne fut plus sage entre les nostres que Charles cinquiesme: car il fut apres son decez par les uns intitulé le Sage, & par les autres le Riche, deux tiltres qui ont quelque correspondance de l' un à l' autre. Parce que sans sa sagesse il n' eust pas aisément laissé son Royaume riche & opulent. Ce grand Prince prevoyant toutes les calamitez qui peuvent sourdre du bas âge d' un Roy, y voulut apporter tous les remedes que l' on pouvoit desirer en sens commun: & par especial fit une loy magnifique, publiee en son Parlement le vingt-uniesme de May mil trois cens soixante & quinze en sa presence,  & de tous les Princes de son sang, ensemble de plusieurs Archevesques, Evesques, & d' autres plus signalez Seigneurs de la France, par laquelle il fut ordonné qu' un Roy de France seroit estimé majeur en l' âge de quatorze ans, & pourroit deslors estre sacré Roy. Il pensoit par là asseurer l' Estat aux siens à clouds de diamant, ne se souvenant que les loix de Nature sont immuables, quelque changement que nous y pensions apporter par la loy civile, & qu' il luy estoit impossible de faire qu' un enfant ne fust tousjours enfant, quelque ceremonie de Sacre, & Couronnement que l' on y apportast, pour suppleer le defaut de son aage. Et neantmoins j' estime que s' il y avoit remede dont l' on se peust prevaloir en tel cas, c' estoit celuy dont s' advisa ce sage Roy. Or non content de cela, voulant encores avant que de mourir, apporter quelque asseurance particuliere à ses enfans, il choisit son frere Louys Duc d' Anjou qui le secondoit en aage, pour avoir l' œil sur les affaires du Royaume, pendant la minorité de son fils, lequel dés le premier jour d' Octobre mil trois cens octante, vint prendre possession de sa Regence en plain Parlement, & jamais commencement de gouvernement ne fut de plus belle promesse que cestuy-cy. Car comme ainsi fust que l' estat de Chancelier fust vacquant par le decez de Messire Guillaume des Dormans, Louys nouveau Regent, voulut que par bon scrutin il fust procedé à l' eslection d' un Chancelier, & y fut nommément esleu Milon des Dormans son frere, Evesque de Beauvais, President des Comptes, & quelques jours apres il ordonna que combien que le Roy ne fust en aage, toutesfois il seroit Sacré, & Couronné Roy, comme aagé, & que toutes les affaires de là en avant se manieroient sous son nom: Toutes lesquelles choses ce grand Duc en sa presence voulut estre publiees, ratifiees, & authorisees le quatriesme Novembre ensuyvant en plain Parlement, où se trouverent la Royne Blanche, la Duchesse d' Orleans, tante du Roy, Messieurs les Ducs de Berry, Bourgongne, & de Bourbon, & pareillement les Comtes de Sarrebruche, Dampmartin, & de la Marche, & tous Messieurs de Parlement, & de la Chambre des Comptes, & Thresoriers de France, Prevost de Paris, & le Prevost des Marchands, & Eschevins, le tout en presence d' une infinité de personnes. De là Charles sixiesme fut Sacré Roy en la ville de Rheims, & quelque temps apres Couronné dans sainct Denis: A la suitte de cecy, les Ducs d' Anjou, Berry, Bourgongne, & Bourbon, le dernier jour de Novembre au mesme an, capitulent ensemblement, & arrestent qu' ils feroient tous les jours un conseil, & que par leur advis, ou de trois, ou de deux, les finances de France seroient maniees, & qu' ils esliroient douze Seigneurs, pour estre au Conseil du Roy, & adviser avecques eux, d' instituer Capitaines, Gardes de Chasteaux, Baillifs, Seneschaux, Receveurs, & autres Officiers. Que ces Princes ne pourroient aliener le Domaine du Roy à vie, sans le consentement des quatre, & de tout le Conseil. Que par eux seroit fait inventaire secret de la finance, & de tous les joyaux du Roy, & qu' ils seroient gardez à son profit, jusques à ce qu' il fust en aage de cognoissance. Que la garde de sa personne, & de Monsieur de Valois son frere (c' estoit Louys qui depuis porta le tiltre de Duc d' Orleans) demeureroit aux Ducs de Bourgongne, & de Bourbon: & pour cette cause pourroient leur donner Officiers, par le gré toutesfois des Ducs d' Anjou, & de Berry. Jamais plus beaux devis & projets ne furent mis en avant pour le soustenement de l' Estat d' un jeune Prince, & avec plus de ceremonie: ce nonobstant en moins de rien tout cela ne fut que fumee: Car cette interposition de nom du Roy n' estoit qu' un masque, qui non seulement ne profita au public, mais y nuisit davantage: Parce que ces Princes se donnans la main l' un à l' autre, s' en faisoient croire comme ils vouloient, pour ne pouvoir estre controllez par leur Roy: & neantmoins donnoient plus de voye, & franchise à leurs actions, y employans l' authorité de son nom: Et à peu dire, jamais ne fut une plus grande desbauche sous un Roy que dessous cestuy. Premierement à l' issuë de la grande assemblee tenuë au Parlement, furent decernees lettres Patentes du Roy, par lesquelles il donnoit toute puissance de Roy au Duc de Berry: Car par icelles il le fit son Lieutenant general de Berry, Auvergne, Poictou, Guyenne, luy donnant plaine puissance de pouvoir instituer, & destituer toutes sortes d' Officiers de quelque qualité qu' ils fussent, & aussi de pouvoir donner lettres de graces, de Justice, d' Estat, de respit, sauve-garde, sauf-conduit aux ennemis, bailler lettres d' abolition à un crimineux de leze Majesté, rappel de ban, permission de legitimer tous enfans qui seroient engendrez d' un attouchement illicite, de creer des Notaires Royaux, & de les destituer puis apres si bon luy sembloit, d' amortir les lettres des Eglises, permettre aux personnes roturieres de pouvoir tenir des fiefs, conferer tous Benefices, estans au patronnage du Roy, de mettre oblats, & autres personnes aux Abbayes, ordonner des hospitaux, & maladeries, tout ainsi comme le Roy. Bref de jouyr de tous les droicts Royaux, fors & excepté qu' il ne pourroit aliener le Domaine de la Couronne. Voila un premier coup d' essay de desbauche, qui fut quelque temps apres suivy d' un autre. Car combien qu' il eust esté arresté entre ces quatre grands Princes que l' on feroit inventaire de tous les thresors du Roy Charles cinquiesme, pour les reserver à l' aage de discretion du Roy, toutesfois le Duc d' Anjou les espuisa tous au voyage d' Italie qu' il fit pour conquerir le Royaume de Naples, ancien & malheureux amusoir de l' ambition de nos Princes: & dit-on qu' il trouva en ces thresors la somme de quatorze millions de liures. Je vous laisse que quelque temps apres le Roy donna au Duc de Berry tous les restes des comptes tant ordinaires qu' extraordinaires du Languedoc, & qu' il le fit encores son Lieutenant general és pays de Lymosin, Xaintonges, Angoulmois, Perigord, Quercy, Agenois, Bourdelois, Bigorre, & autres par delà la riviere de Garonne, outre son premier Gouvernement, & qu' il decerna pareille puissance sur la Normandie au Duc de Bourgongne son autre oncle: Tout cela, se furent les premiers fruicts que rapporta le bas aage de ce pauvre Prince: Mais quand depuis croissant d' ans il diminua de cerveau, maladie qui luy dura tout le temps de son regne, bien que de fois à autres il eust quelque surseance de fureur, alors ce fut l' accomplissement du malheur de nostre France. Chose qui me semble meriter son discours particulier, que je reserve au Chapitre suyvant.