vendredi 14 juillet 2023

6. 25. Quel fruict nous rapportasmes des voyages d' outremer, que nos ancestres appelloient Croisades.

Quel fruict nous rapportasmes des voyages d' outremer, que nos ancestres appelloient Croisades.

Chapitre XXV.

Je trouve que nous fismes six voyages notables, tant pour aller conquerir que conserver la terre Saincte, lors que nous l' eusmes conquise. Le premier sous le regne de Philippes premier, le second sous Louys le Jeune, le tiers sous Philippes second, dict le Conquerant, le quart par Baudoüin Comte de Flandres, les cinq, & sixiesme par sainct Louys. 

Je supplie tout homme qui me fera cet honneur de me lire, vouloir suspendre son jugement jusques à la fin du chapitre. Parce que je me suis icy mis en bute une opinion du tout contraire à la commune. Car qui est celuy qui ne celebre ces voyages, sur toutes les autres entreprises, comme faicts en l' honneur de Dieu, & de son Eglise? Et quant à moy, s' il m' estoit permis de juger, je dirois volontiers (toutesfois sous la correction & censure des plus sages) que ceux qui les entreprindrent à dessein, y gaignerent, & la plus part des autres qui s' y acheminerent par devotion, y perdirent. Je seray encores plus hardy, & diray que ces voyages ont causé presque la ruine de nostre Eglise, tant en temporel, que spirituel. J' appelle user par dessein, ceux qui trouverent bons ces voyage, máis les laisserent exploicter par autres, ou bien y allerent tant seulement par contenance. De ce premier rang furent Philippes premier, & second, Henry premier de ce nom Roy d' Angleterre, Thibaut de Champagne, Baudoüin Comte de Flandres. Du second furent Herpin Comte de Berry, Robert Duc de Normandie, le Comte de Clairmont en Auvergne, Louys le Jeune, Richard Roy d' Angleterre, S. Louys, Henry Comte de Champagne.

Au premier voyage Herpin Comte de Berry vendit son Comté au Roy Philippes premier pour le deffroy de son pelerinage: Comté qui ne r' entra oncques puis en la famille du vendeur. Le Comte de Clairmont engagea son Comté à l' Evesque, qui en jouït depuis, & tous ses successeurs, jusques à ce que de nostre temps, l' Evesque en fut evincé par la Royne Catherine de Medicis: Robert fils de Guillaume le Bastard, ne voulut accepter la couronne de Hierusalem, qui luy fut presentee premier qu' à Godefroy de Boüillon, se promettant à son retour d' estre Roy d' Angleterre, & Duc de Normandie. Toutesfois retourné qu' il fut, il trouva que Henry son plus jeune frere s' en estoit emparé pendant son absence. Tellement que le pauvre Prince pour toute ressource de ses esperances, espousa une rigoureuse prison, en laquelle il finit ses jours. Tournons maintenant le fueillet. Ce premier voyage fut grandement profitable à Philippes premier, lequel par un sage conseil voulut demeurer dans la France, & surrogea en son lieu Hugues son frere pour y aller, & seroit impossible de dire combien il accommoda ses affaires par  ce bon advis. Car je puis dire que ce fut le premier restablissement de la grandeur de nos Roys. Lors que Hugues Capet usurpa sur la lignee de Charlemagne, plusieurs grands seigneurs voulurent avoir part au gasteau comme luy, sous autres titres que de Roy: Se faifans neantmoins accroire qu' ils estoient comme souverains sous ces qualitez de Ducs, & Comtes: il n' estoit pas que quelques moyens seigneurs ne se dispensassent de mesmes licences. Nostre France estant par le moyen de ce voyage espuisee d' une bonne partie des grands, desquels les petits se targeoient contre l' authorité de nos Roys, le Roy Philippes, & Louys le Gros son fils commencerent de les harasser, ou pour mieux dire terrasser: & specialement Louys surmonta un Hugues sieur de Puisay en Beausse, Bouchard Seigneur de Mont-morency, Milles Comte de Montlehery, Eude Comte de Corbeil, Guy Comte de Rochefort, Thomas comte de Merles. A l' exemple desquels tous les autres communs Seigneurs se reduisirent soubz la totale obeyssance de nos Roys. Et pour cela (dit Guillaume de Nangy) Louys le Gros fut par les siens appellé le Batailleux. Tant furent estimees ses victoires, ores que de peu de merite, si nous considerons les siecles suivans.

Le second voyage fut entrepris à la semonce & exhortation de sainct Bernard par Conrad Empereur d' Allemagne, & Louys le Jeune Roy de France, qui tous deux y allerent en personnes: Et jamais chose n' apporta plus de dommage que celle-là. Tout ainsi que le premier voyage avoit esté conclud en un grand Conseil tenu dans la ville de Clairmont en Auvergne, aussi le fut cestuy cy en un autre tenu à Vezelay en Bourgongne, où sainct Bernard Abbé de Clairvaut fit un ample recit des maux que les Chrestiens avoient nagueres receuz des Turcs, & lors chacun picqué de ses remonstrances fit vœu, de charger la redemption des nostres, entre lesquels principalement ces deux Princes. L' Empereur se mist le premier en chemin avecques une tres-puissante armee, mais dés son arrivee fut battu par le Souldan d' Egypte avecques une perte telle, que de soixante mille hommes, il ne luy en resta pas la dixiesme partie: Et mesmes fut non seulement trahy par manuel Empereur de Constantinople qui le vendit à nos ennemis. mais encores feignant de luy administrer farines, pour la nourriture de son armee, il y mesloit du plastre, chose qui causa la mort à une infinité de personnes. Au moyen dequoy il fut contraint de retourner tout court en ses pays. Louys le Jeune eut du commencement un meilleur succés, mais non de longue duree, estant puis apres mis en route: Perte qui ne fut rien au regard de celle que je discourray maintenant. La Royne Leonor sa femme l' avoit accompagné en ce voyage: il entre en une extreme jalousie d' elle, & du Prince d' Antioche, qu' il imprima de telle façon dans sa teste, qu' à son retour il la repudia, fondant toutesfois son divorce sur ce qu' il disoit, qu' ils estoient dans un degré de consanguinité prohibé, ayans deux filles de leur mariage. Par ceste repudiation nous (perdimes) perdismes la Guyenne, la Gascongne, & le Poictou, qui tomberent souz la domination de l' Anglois par le mariage qui fut fait d' elle avecques Henry Roy d' Angleterre troisiesme du nom. Voilà le fruict que nous rapportasmes de la devotion de Louys. Il ne nous en prit pas ainsi au troisiesme voyage, qui fut conclud l' an 1188, en un Concil de Paris entre Philippes Auguste, & cest Henry troisiesme, & depuis executé par Richard Roy d' Angleterre son fils apres la mort de son pere: car combien que l' un & l' autre s' y fussent depuis acheminez, toutesfois soudain apres la ville d' Acre prise, Philippes rebroussa chemin vers la France sur un mescontentement par luy exquis & affecté, laissant le Roy Richard engagé dedans la querelle: lequel à la verité acquit du commencement beaucoup de reputation: Car y allant il prit le Royaume de Chipre, dont il investit Guy de Lusignan, & tout d' une suite se rendit si redoutable aux Turcs, qu' apres son partement, quand les meres vouloient faire peur à leurs petits enfans, elles les menaçoient de Richard: Mais voyez je vous prie quelle fut la fin & issuë de ce jeu. Philippes à son retour, apres avoir consideré comme les affaires des Anglois alloient par la France, commence de brouiller leur Estat, occasionné de ce faire sur l' absence du Roy Richard: Entreprise qu' il n' intermit jusques à ce qu' apres plusieurs accidens en fin il en vint à chef. Au contraire Richard de ce adverty, voulant reprendre les brisees de son pays, fut pris par Henry Empereur, & contraint de payer cinquante mille marcs d' argent pour sa rançon. En ce voyage Henry Comte de Champagne se trouva tres-mal appointé: Parce que pendant son pelerinage, Thibaut son frere le supplanta de son Comté: pour toute recompense resta à Henry le Royaume de Hierusalem, lors qu' on ne le possedoit plus que par image: Et tout ce qu' apres son decez sa veufve peut obtenir de Thibaut, pour ses conventions matrimoniales, fut la somme de deux mille liures de rente en assiette d' heritage. 

Le semblable n' advint pas à Baudoüin Comte de Flandres au quatriesme voyage, lequel plus poussé par discours que devotion, comme l' evenement le monstra, faisant semblant d' aller secourir les Chrestiens de la terre Saincte, se fit Empereur de Constantinople: Empire qu' il transmit à sa posterité l' espace de soixante tant d' ans: Car quant aux cinq & sixiesme voyages qui fusent entrepris par S. Louys: tout ainsi qu' il n' y eut qu' une bonne devotion qui l' y conduisit, aussi furent-ils tous deux malheureux, parce qu' au premier il fut pris & paya une grosse & lourde rançon pour se deliurer, & au second il mourut, voyages qui cousterent la ruine generale de la France.

De tous ces voyages, jamais voyage ne fut entrepris de plus grande allegresse que le premier. Chacun y couroit à l' envy: Gilbert qui florissoit de ce temps là, dit qu' il y eut une flotte de Sauvages qui aborderent en France, lesquels pour ne pouvoir estre entendus en leur barraguoin, monstroient par un croisement de leurs doigts qu' ils venoient expressement pour estre de cette partie: & que Pierre l' Hermite promoteur de cette entreprise estoit en telle veneration, que passant parmy les ruës le menu peuple arrachoit du poil de son mulet pour en faire comme des Reliques. Encores trouvez-vous au second une devotion qui secondoit le premier. Parce que Nicetas autheur Constantinopolitain nous dict qu' entre les troupes de l' Empereur Conrad qui passerent par la Grece, il y avoit des compagnies de femmes armees, & montees sur des chevaux tout ainsi comme les hommes. On usoit de tels voyages non pas proprement comme d' une guerre, ains comme d' un vœu & pelerinage, pour la recousse de la terre Saincte. Et de faict ceux qui y entroient se presentoient confez selon leurs qualitez, les uns devant leurs Evesques, les autres devant leurs Curez, & prenoient d' eux le bourdon, comme si s' ceussent esté Pelerins, non soldats: Et outre la devotion, on proposoit certains guerdons à ceux qui y alloient, & aux autres certaines charges. Au Concil de Clairmont en Auvergne, apres que le premier voyage eut esté conclud, le Pape Urbain second voulut que tous les Pelerins, au lieu de l' escharpe, chargeassent la Croix, pour monstrer que c' estoit pour la propagation de nostre Christianisme que se faisoit cette entreprise, signal qui fut depuis continué, & de là vint que l' on disoit que ceux qui s' y enrolloient, se croisoient, & que l' on appella ces voyages, Croisades. Le mesme Pape donna lors pleine absolution des pechez à tous ceux qui firent le vœu, & excommunia les autres, qui apres avoir fait le vœu, ne le paracheverent. Et pour y apporter encores quelque esperon, il fut arresté au Concil qu' il y avroit surseance de tous procez petitoires l' espace de trois ans en faveur de ceux qui iroient. Chose qui tourna dans Normandie en coustume, parce que dans le vieux Coustumier il y avoit article exprés, portant doncques qu' en tel cas il y avroit trefue de procez sept ans durant, sinon que l' on apportast information sommaire de la mort: Depuis on commença de foüiller aux bourses de chacun sans acception, & exception de personnes, car aussi que pouvoit on ne donner pour si devotes entreprises, esquelles il ne s' agissoit d' autre chose que de l' accroissement de nostre Religion Chrestienne? A la nouvelle que nous eusmes que Saladin avoit pris Hierusalem, & la plus grande partie de la Palestine, pour faire levee de gens, fut imposee cette grande disme, que la posterité nomma la Disme Saladin, qui estoit que chacun qui demeuroit en la France, devoit payer la dixiesme partie de son revenu, & lors (dit un vieux Historiographe) par le conseil de Philippes Roy de France, & des Barons du Royaume fut commandé, crié, & estably, que pour l' aide des Pelerins à aller à la terre Sainte, & les biens, & les meubles de toutes manieres de gens fussent dismez, & que chacun payast la Disme de ce qu' il eust: C' est à sçavoir de tous ceux qui en la terre Saincte ne pourroient, ou ne voudroient aller: laquelle chose tourna à grand dommage: car il advint que plusieurs de ceux qui les Dismes requeroient efforcément les Eglises aggravoient, & pis qu' à autres gens leurs faisoient. A tant l' Autheur. En ce grand Concil de Latran tenu dans Rome sous Innocent troisiesme, toutes sortes de gens furent exhortez d' entreprendre tels voyages. Aux Ecclesiastiques qui iroyent, permis de joüyr trois ans durant du revenu de leurs benefices, sans les desservir en personnes. Que les Roys, Ducs, Marquis, & Comtes, qui n' iroyent, comme aussi les corps des villes seroient tenus de stipendier des gendarmes durant ce temps de trois ans: pareillement seroit prise la Disme du revenu des benefices, le tout pour la remission de leurs pechez, & que le Pape mesme, & les Cardinaux seroient tenus d' y contribuer.

Or en ces voyages on commençoit premierement par une publication de Croisade, qui se faisoit sous l' authorité & permission du sainct Siege: 

Et parce que ceux qui s' y vouloient acheminer, avant que de s' y exposer se rendoyent confez & repens, les uns entre les mains de leurs Evesques, & les autres de leurs Curez, comme j' ay dit, l' Eglise de Rome leur bailloit absolution generale de leurs pechez, & promesse certaine de Paradis, laquelle par la parole de Dieu est enclose dans une bonne confession accompagnée d' une poenitence & restitution des forfaits. Et à la suite de cela, on levoit (comme j' ay dit) des Decimes sur le Clergé, pour le souldoyement de l' armee Chrestienne. Car aussi puis que la guerre s' entreprenoit pour la manutention & soustenement de l' Eglise, c' estoit chose tres-raisonnable qu' elle contribuast au defroy des armees: ce que l' on avoit apris de faire auparavant. Tout cela sembloit specieux & plein de Religion; toutes-fois le mal-heur voulut que le Levant fut le tombeau des Chrestiens, que nos Croisades se soient evanoüies en fumee, & que tous les pays qu' esperions convertir par les armes soient demeurez en leurs anciennes mescreances, & qui plus est, que nous ayons tourné avecques le temps ces premiers fondemens des Croisades en une ruine & desolation de nostre Eglise. Parce en premier lieu que depuis les Papes exerçans inimitiez particulieres contre quelques Princes souverains, lors qu' ils s' en voulurent vanger les excommunierent, puis à faute d' absolution les declarerent heretiques, & à la suite de cela firent souvent trompeter des Croisades contre eux, comme s' ils eussent esté Infidelles: a fin que les autres Princes Chrestiens s' armassent, & s' emparassent de leurs Principautez & Royaumes. Ce qui causa une infinité de divisions, troubles & partialitez en nostre Chrestienté. Davantage lors que les Courtisans de Rome vouloient sous fausses enseignes faire un grand amas de deniers, on faisoit publier une Croisade contre les Turcs, & pour exciter un chacun à y aller ou contribuer à cette Saincte Ligue, les Papes envoyoient par toutes les Provinces plusieurs gens porteurs de leurs Indulgences, a fin d' en faire part plus ou moins, selon le plus ou le moins de deniers que l' on financeroit pour l' expedition de tels voyages. Comme de fait il advint sous Clement cinquiesme: Car ayant esté une Croisade concluë au Concil de Vienne, il la fit prescher par un Cardinal en cette France, & se trouverent une infinité de Seigneurs qui se voüerent à ce pelerinage. Entre autres choses celuy qui donnoit un denier avoit pardon d' un an, douze deniers, de douze ans, & qui donnoit autant comme il convenoit pour defrayer un homme de guerre avoit planiere Indulgence & absolution de tous ses peschez, & disposa personnes desquelles il se fioit, pour recevoir telles offrandes cinq ans durant: pendant lesquels il leva une incroyable somme de deniers. Mais au bout du temps le voyage fut rompu par occasion, & dit le Livre dont j' ay tiré cette Histoire, que la plus grande partie de ces deniers fut donnee par le Pape à un sien nepueu. Et tout ainsi qu' en Cour de Rome on tiroit profit sous pretexte de ces Indulgences, aussi firent les Roys & Princes seculiers sur le Clergé, parce qu' ils faisoient semblant de voüer un voyage outre mer, & sur ce pied obtenoient permission du Pape de lever une & deux Decimes, ou bien d' en lever une, deux ou trois ans consecutifs, & puis ces levees estans faites leurs vœux & voyages s' esvanoüissoient en fumee: Ainsi en fit le Roy Philippes de Valois. Et les Papes mesmes se dispenserent de lever telles cueillettes sur les Ecclesiastiques sans necessité, comme j' ay traicté ailleurs. Or voyez quel fruict nous avons rapporté de tout cecy. Alexandre sixiesme ayant faict sonner une Croisade par toute l' Allemagne, France, Espagne, & Italie, avecques une distribution de plusieurs Indulgences à ceux qui financeroient deniers pour ce sainct voyage, que l' on veit depuis ne sortir effect, ains les deniers qui en estoient provenus avoir esté par luy donnez à une sienne niepce: Martin Luther commença de crier contre cet abus par l' Allemagne, & tombant d' une fievre tierce en chaud mal, il bastit son heresie contre la Papauté sur ce mesme abus. Heresie qui s' est depuis espanduë presque par toute l' Allemagne, Polongne, Angleterre, Escosse, Flandres, & quelque partie de la France. Comme en cas semblable les Roys avec le temps ont commencé de faire fonds des Decimes qu' ils levent dessus le Clergé, tout ainsi que des tailles sur le commun peuple. En effect voila comme par ces voyages, nostre Eglise s' est trouvée & trouve affligee tant au temporel, que spirituel. A fin que je vous laisse à part, les Dismes infeodees que j' attribuë au premier voyage d' outre-mer, & pour closture, l' Idolatrie des Templiers qui fut condamnee au Concil de Vienne, encores que je sçache bien que quelques uns ont estimé qu' en cette condamnation il y eut je ne sçay quoy de l' homme, toutes-fois puis que ces Templiers furent condamnez par un Concil general, je veux croire que ce ne fut sans juste sujet.

Mais dont peut proceder qu' une si bonne & saincte plante ait rapporté des fruits si fascheux? je n' ay pas entrepris de vous en rendre raison, ains de vous raconter l' Histoire: Et neantmoins je vous diray avec toute humilité ces deux mots, suppliant tout bon & fidele Chrestien les vouloir prendre de bonne part, à la charge, si mon opinion n' est bonne, de la reduire à la meilleure. Je ne me puis persuader qu' il faille advancer nostre Religion par les armes, celle de Moïse fut destinee à tel effect, celle de Jesus-Christ au contraire s' est accreuë par prieres, exhortations, jeusnes, pauvreté & obeïssance: & luy mesme nous en donna le premier advis, lors que S. Pierre desgaina son glaive, quand il luy commanda de le rengainer, disant que si c' eust esté le moyen d' advancer sa Religion, il pouvoit souslever une infinité de legions d' Anges qui eussent pris les armes pour luy. Au milieu de la desbauche des armes, l' impieté se loge aisément, laquelle ne sçavroit produire fruict qui vaille, encores qu' un zele indiscret de nostre Religion nous y alleche. Et à peu dire, pendant que le Catholic, & l' Arrien se combattoient anciennement, Mahomet prit sujet avec le temps d' introduire une troisiesme Religion: Et de nostre temps l' Empereur Charles V. s' estant armé contre les Lutheriens, il se forma une Secte d' Anabaptistes de plus perilleuse consequence que l' erreur de Martin Luther. Il y a trente-quatre ans & plus que nous avons pris les armes en cette France, les uns pour le soustenement de la Religion ancienne & Catholique, les autres pour la nouvelle, que d' un mot specieux ils appellent la Reformee: Que si vous me permettez d' en dire ce que j' en pense, je ne voy point que nous en ayons rapporté autre chose qu' un Atheisme & contemnement de l' une & l' autre Religion. Je ne doute point que telles guerres ne soient entreprises d' un zele, mais zele du tout furieux. S. Gregoire au I. de ses Epistres escrivant à Virgile & Theodore Evesques de Marseille, sur un advis qu' il avoit eu qu' ils contraignoient plusieurs Juifs dans leurs Dioceses d' estre baptisez. Intentionem quidem huiusmodi, & laude dignam censeo, & de Domini nostri dilectione descendere profiteor. Sed hanc eandem intentionem, nisi competens Scripturae sacrae comitetur effectus, timeo ne aut mercedis opus inde non perveniat, aut animarum quas eripi volumus, quod absit, dispendia subsequantur. Dum enim quispiam ad baptismatis fontem, non praedicationis suavitate, sed necessitate pervenerit, ad pristinam superstitionem remeans, inde deterius moritur, unde renatus eße videbatur. Je vous laisse le demeurant. Que si ce grand & sainct Pape ne trouvoit bon que l' on fist Chrestienner un Juif par force, combien eust-il plus blasmé que par armes nous eussions voulu provigner nostre Religion Chrestienne? Et de la mesme opinion que je suis, est Messire Guillaume du Bellay en son premier Livre sur le faict de la guerre, quand il dit, que ce n' est pas à coups d' espees que les infidelles se convertissent, & Chrestiennent, ains que l' exemple & le parler y peuvent plus que la force (ce sont les mots dont il use) & que la force qu' il leur faudroit faire, ce seroit seulement pour deffendre nos marches quand ils les voudroient assaillir, ou entrer plus avant sur nous.