lundi 3 juillet 2023

6. 4. Du restablissement de l' Estat sous Charles septiesme, & comme en cecy il y eut du miracle tres-expres de Dieu.

Du restablissement de l' Estat sous Charles septiesme, & comme en cecy il y eut du miracle tres-expres de Dieu.

CHAPITRE IV.

Il est meshuy temps que je reprenne mon haleine de la longue carriere que je me suis donnee par le chapitre precedant; chapitre, dis-je, plus long que n' estoit ny mon premier project, ny la portee de ce livre, mais depuis poussé d' une juste douleur je l' ay fait de propos deliberé, comme estant une vraye image des mal-heurs qui voguent aujourd'huy par la France. Tout ainsi qu' apres avoir esté agitez d' une grande maladie, il est requis un long temps avant que de recouvrer plaine guarison, aussi pour restablir un Estat desolé, comme estoit le nostre, il n' y falloit pas peu de temps apres, & convint le regaigner par les mesmes outils qu' il avoit esté perdu, je veux dire par les armes, le tout se tournant tousjours à la charge & affoiblissement du peuple, remede toutesfois tres-necessaire, tout ainsi que la medecine, qui tourmente nos corps pour les guerir: En quoy je veux recognoistre qu' il y eut du miracle de Dieu tres-expres: Car si nous considerons Charles septiesme, sous le regne duquel advint ce grand restablissement, quelque chose que l' on se persuade de luy, ce n' estoit un subjet capable pour cet effect. Premierement il estoit au milieu de ses afflictions du tout addonné à ses voluptez, faisoit l' amour à une belle Agnes, oubliant par le moyen d' elle toutes les choses necessaires à son Estat: & dit-on que ce brave Capitaine la Hire venant un jour botté, crotté, battu de pluye, & du vent, le salver pour luy conter quelques exploits de guerre par luy faits, il le trouva au milieu des Dames menant sa maistresse à la danse (je me mocque certes de moy, quand j' appelle une simple Damoisselle, maistresse d' un Roy) lequel demandant à la Hire ce qu' il luy sembloit de cette belle compagnie, il luy respondit d' une parole brusque & hardie, que jamais ne s' estoit trouvé Roy qui perdist si joyeusement son Estat, comme luy: Outre cette particularité vicieuse, il avoit, si je ne m' abuse, une foiblesse de sens non vrayement telle que son pere, mais ayant esté paistry d' une paste d' homme foible d' entendement, il en portoit quelque quartier en son esprit: Pour le moins trouvé-je que de deux ans en deux ans il avoit nouveaux gouverneurs, qui tenoient les premiers rangs pres de luy, voire que les extremitez qu' il y apportoit, causerent de fois à autres des jalousies particulieres en ses Princes, qui cuiderent renverser ce qui luy restoit du Royaume. Les deux principaux ministres de ses actions, & peut-estre de sa ruine furent Tanneguy du Chastel, & Louvet President de Provence, car ils furent cause de la mort du Duc Jean. Ceux-cy le possederent longuement par dessus les autres, mesmes Tanneguy du Chastel, avec une arrogance infinie, lequel abusant de la facilité de son maistre, tua en sa presence, & en son conseil le Comte Dauphin d' Auvergne, l' an 1424. dont les Princes & Seigneurs courroucez, la Royne de Sicile belle mere du Roy, le Connestable de Richemont & autres Seigneurs de marque l' abandonnerent. Qui fut cause que Tanneguy fut contraint de quitter la place, demeurant Louvet seul en son lieu: Mais luy se voyant assiegé de mesme haine, & ne pouvant resister aux grands Seigneurs se retira en Avignon, & onc puis ny l' un ny l' autre ne furent veus. Ce dernier estoit beau-pere du bastard d' Orleans: ainsi se racointerent en Cour la Royne, & le Connestable, accordans que le sire du Grat demeurast gouverneur du Roy, au lieu du President: mais le Grat desplaisant aux grands fut traitté plus rudement que les deux autres, parce qu' il fut pris & noyé par le Connestable: & depuis le seigneur de la Trimoüille espousa & sa veufve, & la bonne grace du Roy. Quelque peu apres il entre en disgrace, & est pris en sa chambre par le sieur de Bueil son nepueu, qui luy fit payer six mille escus de rançon: Et entra au gouvernement en son lieu Messire Charles d' Anjou frere puisné du Roy René de Sicile, Comte de Provence: Bref, tant de changemens de gouverneurs me font juger la foiblesse de son jugement. Au demeurant pendant le debat qui advint contre Tanneguy, & Louvet, fut prise la ville du Mans par les Anglois. Le registre de Parlement du huictiesme Aoust mil quatre cens vingt quatre porte:

La ville du Mans renduë aux Anglois, lesquels estoient du tout ou peu s' en falloit au dessus des François, lors fort diminuez de puissance, & quasi tous deffaits, & mis en desconfiture. De jalousie que l' on conceut contre le sieur de la Trimoüille, les Comtes de Clermont & de la Marche, prennent la ville de Bourges d' emblee, & comme ils avoient mis le siege devant la grosse Tour, estant secouruë par le Roy & le seigneur de la Trimoüille, les autres furent contrains de sonner la retraitte en leurs maisons. Jeux qui se joüoient entre les sujects du Roy contre luy à la veuë des Anglois, & peut-on de cela recueillir quel advantage on leur donnoit. Ce neantmoins Dieu nous regardant d' un œil de pitié, luy envoya des Capitaines guerriers, qui prindrent sa querelle en main lors que peut-estre moins il y pensoit: Entre autres Jean bastard d' Orleans, & Poton de Xaintraille (quelques uns l' appellent de Saincte Treille) & Jean de Vignoles dit la Hire, tous deux extraicts de bas lieu, celuy-là du pays de Xaintonge, cestuy de Champagne, qui du commencement se firent Capitaines d' eux mesmes, & sans auctorité du Roy, & depuis acquirent tant de reputation contre les Anglois, qu' ils les redoutoient par dessus les autres, & non (contant) content de cela, Dieu voulut encores y apporter une particularité plus grande: car il y envoya la Pucelle Jeanne, par le ministere & entremise de laquelle nous reconquismes la plus grande partie des villes qui avoient esté soustraictes par l' Anglois, à laquelle j' entends bailler son Eloge particulier au chap. suivant.

Mais quant à present je diray qu' apres la mort du Duc Jean, jamais Prince ne se trouva plus affligé que Charles lors Dauphin de France, d' autant qu' il fut exheredé par Charles VI. son pere par le contract de mariage de Henry Roy d' Angleterre, & Catherine de France, lesquels furent instituez heritiers du Roy, & accordé que Henry s' intituleroit cependant Regent en France, & heritier de la couronne, que nulle paix ne seroit faicte avecques Charles de Valois, sinon par assemblee de trois Estats, & du consentement des deux Roys, & du Duc de Bourgongne, qui estoit reduire les choses à une impossibilité: Car d' assembler les Estats legitimement au milieu des armees, à peine qu' on le vit jamais, & au surplus l' esperance d' un grand Royaume qui estoit desja presque arrivé à son accomplissement d' un costé, & la vengeance que l' autre Prince couvoit dedans sa poitrine pour la mort de son pere, estoient telles, que c' estoit mettre les affaires hors de toute opinion de paix. Ces conventions ainsi passees, & le mariage solemnizé en face de saincte Eglise, il falloit interposer l' authorité du Parlement devant que le Roy d' Angleterre partist pour s' en aller en son pays. Les deux Roys viennent au Parlement, où maistre Nicolas Roulin Advocat de la doüairiere de Bourgongne instituë une accusation à huis ouvert contre Charles de Valois, & apres luy maistre Pierre de Marigny Advocat du Roy, conclud à ce qu' il fust proclamé à trois briefs jours à la Table de Marbre du Palais, pour l' homicide par luy commis en la personne du Duc Jean. Ce qui est faict à son de trompe & cry public, & apres tout l' ordre judiciaire à ce requis, & observé, il est par arrest declaré indigne de succeder à la couronne. Arrest dont il appella devant la face de Dieu, & fit vœu de relever à la pointe de son espee, mais certes ce ne fut pas sans une infinité de travaux de luy, & de tous les siens. Or apres que le Roy d' Angleterre fut sorty de Paris, cette tragedie se joüant de telle façon pres du Roy, le cœur ne faillit au Dauphin, par ce qu' il fit Tanneguy du Chastel Gouverneur des villes qui luy obeïssoient en Brie & Champagne, & le Comte de Fouës, de celles de Languedoc, lequel en chassa le Prince d' Orenge qui en avoit occupé plusieurs. Tellement que le Dauphin possedoit le Languedoc, la Guyenne, le Dauphiné, Touraine, le Maine, Anjou, Poictou, Berry, la haulte & basse Marche, Angoulmois, Perigort, Limosin, l' Auvergne, & prenant tiltre & qualité de Regent, il establit du commencement son principal siege dans Tours, mais depuis il le divisa en deux, transferant son Parlement en la ville de Poictiers, & sa Chambre des Comptes dans Bourges. L' Anglois possedoit presque le demeurant de la France, car mesmement apres le partement du Dauphin, il reduisit sous sa puissance les villes de Sens, Melun, Meaux, Montereau & Moret, sans grand destourbier, jamais ne fut un plus grand chaos par la France. L' Anglois, le Bourguignon, & une partie des François symbolisoient à la ruine du Dauphin: luy d' un autre costé subsistoit aidé de la vraye Noblesse Françoise & de l' eslite de celle d' Escosse, qui commença lors d' apprendre le chemin de la France si heureusement, qu' en commemoration & recognoissance de ses bons & agreables services, est demeuree pres de nos Rois une garde Escossoise: Plusieurs & diverses rencontres: tantost du bon, tantost du mauvais. La veille de Pasques l' an mil quatre cens vingt & un, en une rencontre pres de Baugé furent tuez par les nostres le Comte de Clarence frere du Roy d' Angleterre, le Comte de Cam, les sieurs de Grey & de Ros, & plusieurs autres, jusques au nombre de quinze cens hommes, & fut lors le Comte de Bouquam Escossois pour ses braves exploicts fait Connestable de France: au contraire quelque temps apres ce Comte de Bouquam est pris & mis en route pres la ville de Creuam.

Mais pour n' enjamber sur l' ordre du temps, faut noter que Henry cinquiesme deceda le 29. Aoust 1422. delaissé Henry sixiesme son fils aagé seulement de seize mois, & ordonna Regent en France le Duc de Bethfort son frere: En Angleterre le Duc de Glocestre son autre frere, & au Duc de Waruith aussi son frere donna le gouvernement de la personne de Charles VI. lequel Duc ne le survesquit pas longuement, car il mourut le 21. d' Octobre ensuivant. Dés lors furent les deux Princes intitulez Rois de France, & au milieu de cette division ce n' estoient que feux, volleries, pilleries, carnage: Bref jamais au Royaume ne fut veu un plus piteux desarroy que cestuy: mais specialement toutes choses arrivoient à poinct nommé au Duc de Bethfort, qui premierement prit Compieigne, puis Crotoy, desconfit Poton de Xaintrailles pres Guyse, & le prit, d' une mesme furie obtint une grande victoire devant Vernueil au Perche, où il fit passer au fil de l' espee quatre ou cinq mil François, Bretons, Gascons, Dauphinois, Escossois, le Vicomte de Narbonne, le Comte d' Aumale, & les Ducs d' Alençon, & le Mareschal de la Fayette pris. Le bon-heur de l' Anglois commaença de s' arrester en l' an 426. au siege de Montargis, dont il ne peut venir à fin, ny pour cela ses affaires n' en empirerent de beaucoup, par ce que le Comte de Salbery luy ayant amené nouvelles forces d' Angleterre, il prit Jargeau & Join-ville. De là mit le siege devant Orleans, où encores quelques François voulans aller secourir la ville, furent defaicts pres de Rouvray. A maniere que le Roy Charles septiesme estoit presque reduit au desespoir de toutes choses, estant mesmement assiegé par les divisions de sa Cour (or voyez comme Dieu inesperément le regarda d' un œil de pitié) voicy Jeanne la Pucelle qui se presente à luy dans Chinon habillee en homme, laquelle choisit le Roy au milieu de tous les autres, ores qu' il se fust desguisé, & apres l' avoir salüé, luy declara qu' elle estoit envoyee de Dieu, pour remettre sus ses affaires. Au commencement chacun s' en mocquoit, pensant que ce fust une folle, & nul ne vouloit adjouster foy à ses promesses. Toutesfois par importunitez on luy baille gens & armes: Cela estoit en l' an mil quatre cens vingt huict, au mesme temps que l' Anglois tenoit estroittement assiegee la ville d' Orleans. Dés lors la Pucelle escrivit unes lettres de bravade aux Duc de Bethfort, Comte du Suffort, Talbot & autres, les exhortant de vuider la France, leur promettant que là où ils ne la voudroient croire d' amitié, elle les feroit sortir par force. Je suis icy envoyee (portoit une parcelle de la lettre) par Dieu le Roy du ciel, pour vous mettre hors de toute la France, & si voulez obeïr, je vous prendray à mercy. Et n' ayez point en vostre opinion que vous tiendrez le Royaume de France, ains le tiendra le Roy Charles vray heritier. Car Dieu le Roy du ciel, fils de saincte Marie le veut. Les Anglois n' en ayans fait compte, elle s' achemine avecques l' Ost du Roy à Orleans. Ce fut dés lors tout nouveau visage d' affaires, par ce que dés son arrivee elle renuitaille la ville, prend plusieurs forts qui la bloquoient. Là mourut le Comte de Salbery, sur lequel reposoit lors la premiere esperance des Anglois: & le Comte de Suffort, ayant pris sa place, fut quelque peu apres pris des nostres. Ce ne fut plus qu' un torrent de victoires. Par ce que l' ennemy ayant levé le siege d' Orleans, nous reprismes, si ainsi voulez que je le die, en moins d' un clin d' œil, Jargeau, Join-ville, Baugency, defismes en bataille rangee l' Anglois, où furent tuez quatre mille des leurs & plus, & signamment Talbo (Talbot), Reveston, & l' Estably leurs principaux Capitaines pris. Et d' une mesme route furent reduites sous l' obeïssance du Roy, les villes de Gien, Auxerre, Troyes, S. Florentin, Chaalons, Rheims, où le Roy fut sacré & couronné le vingt neufiesme Juillet ensuivant, & ce grand flot de bonne fortune guidé par la Pucelle, comme par la main de Dieu. Les villes lors que le Roy passoit, luy venoient apporter les clefs. Ainsi se rendirent à luy Compieigne, Creil, Beauvois, Soissons, Chasteau-Tierry, Provins, Crespy en Valois, Aumale, le Pont sainct Maixance, Choisy, Gournay sur Aronde, Senlis. Et dit Enguerrant de Monstrelet, que s' il fust lors allé vers sainct Quentin, Corbie, Amiens, Abbeville, la plus part des habitans estoient disposez de se rendre. Au sortir de Senlis il vint loger à sainct Denis, où la Pucelle luy conseilla d' assaillir la ville de Paris chaudement, se promettant qu' il l' emporteroit. Il liure l' assaut. A bien assailly, mieux deffendu, & est contraint de sonner la retraicte. Le Roy ayant failly à cette entreprise, reprend le chemin de Touraine & Berry, laissant garnisons aux villes par luy de nouveau reprises. En cet assaut de la ville de Paris commença la fortune de la Pucelle à s' arrester: parce qu' elle y fut blessee & quelque temps apres prise devant Compieigne, jusques à ce qu' elle fut executee à mort à Roüen: Et quant à celle du Duc de Bethfort, elle commença aussi grandement à ravaller, d' autant que les Parisiens se defians de ses forces, le confinerent au gouvernement de Normandie, & voulurent pour gouverneur le Duc de Bourgongne. Ce Duc Anglois se voyant en cette façon malmené, prend un advis fort convenable pour remettre sus ses affaires. Il donne ordre de faire venir en France le petit Roy (qui jusques là s' estoit tousjours tenu en Angleterre) esperant que par sa presence ses affaires seroient plus authorisees. Il arrive le quatriesme de May à Calais, & le vingt cinquiesme du mois la Pucelle fut prise faisant une saillie sur les Anglois qui avoient mis le siege devant Compieigne. Tellement que c' estoit un grand esclair qui sembloit estre en la fortune de ce jeune Roy, d' estre arrivé à poinct nommé en France lors que ce grand Daimon de nos affaires avoit esté pris & reduit dessous sa puissance. Pour la prise de la Pucelle on chante un Te Deum dedans l' Eglise de Paris, & se preparoient les Parisiens de recevoir en toute joye & allegresse leur Roy: Toutesfois il s' achemina premierement à Roüen pour commander (comme il est vraysemblable) que l' on tint soigneusement la main à faire mourir la Pucelle. Le jugement de mort estant depuis contre elle donné & executé, il sembloit que toutes choses favorisassent l' Anglois, toutesfois ce fut le commancement de ses mal-heurs: car au mesme an que cette pauvre fille innocente fut executee, soudain apres que l' on eut envoyé sa sentence de mort à Paris, pour y estre enregistree, Dieu par un juste jugement permist que le Parlement se mutina sur une question de ses gages, lequel s' en estoit aucunement remué dés l' an 1429. Mais la nouvelle arrivee du Roy luy en avoit faict entr'oublier le maltalent. Cette plainte recommença de plus beau l' an ensuivant, & fut conclud de n' entrer plus au Palais, si l' on n' estoit payé des gages, portant le registre du Greffe ces mots, & in hoc signaverunt indissolubile  vinculum charitatis, & societatis, ut sint socij constitutionis, & laboris. Cela fut du douziesme Fevrier, & le vingtseptiesme d' Avril cessation de plaidoirie, c' est vers le temps que la Pucelle fut condamnee, pour le moins sa sentence est du mois de May. Messire Louys de Luxembourg Chancelier adverty de cette extraordinaire desbauche, vient à toute bride à Paris pour y donner ordre, remonstre les necessitez urgentes du Roy, promet de les faire payer d' une partie de leurs gages, & de l' autre leur faire bailler des heritages en recompense. Apres qu' il fut sorty, on delibera de cette affaire, & fust arresté que s' ils n' estoient payez pour un an des arrerages, ils chommeroient tout à fait, & fut le premier President chargé d' en faire rapport au Chancelier: non contens de cela, ils depeschent encores quelques Conseillers par devers le Roy, qui en revindrent aussi peu contens qu' ils y estoient allez. En Novembre mil quatre cens trente & un, fut disputé de l' entree du Roy. Je veux icy coucher tout au long le registre du Parlement qui en fait mention, car il le merite bien, pour monstrer le peu de compte que l' on faisoit de ce Roy. Le vingt troisiesme Novembre l' entree du Roy à Paris où ceux de la Cour allerent au devant, & partirent entre neuf & dix, & trouverent le Roy au Moulin à vent en allant vers sainct Denis, & là proposa le premier President, & ce faict s' en retournerent comme ils estoient venus: au demeurant de l' entree neant par faute de parchemin. Car quant aux registres de la Chambre des Comptes, vray thresor des choses notables de la France, & specialement de Paris, ils n' en font aucune mention. Je vous ay voulu expres cotter ce passage, d' autant que soit ou que par faute de parchemin, ou de bonne volonté, il fut ainsi conceu, c' estoit un prognostic taisible que la puissance de l' Anglois prendroit bien tost fin dedans Paris. Ce neantmoins l' entree ne laissa d' estre assez pompeuse & pleine de ces feintes que l' on avoit accoustumé de faire lors. Et quelques jours apres Henry sixiesme fut couronné Roy dedans sainct Denis. Ny pour cela il n' avança de rien plus ses affaires, ains sa fortune declina tousjours de là en avant, comme estant lors arrivee au plus haut de son periode, & voicy comment. La colere du Duc de Bourgongne s' estoit avec le temps refroidie: & de fait quelque temps auparavant il avoit fait trefue de six mois avec le Roy Charles. Davantage vers le mesme temps que Henry fit son entree, Anne femme du Duc de Bethfort sœur du Duc de Bourgongne mourut, & par sa mort mourut par mesme moyen l' amitié qui estoit entre les deux Ducs. Poton, & la Hire, deffont, & tüent huict cens Anglois. En ce mesme temps le bastard d' Orleans s' empare de sainct Denis, Houdam, & du Pont sainct Maixant: & neantmoins pour tous ces advantages le Roy ne s' enfloit de rien plus: Car au Concile de Basle il offrit de laisser aux Anglois toute la Normandie, & toutes les villes, qu' ils possedoient en la Guyenne, moyennant qu' ils voulussent les recognoistre tenir de luy en foy & hommage. A quoy ils ne voulurent condescendre: de sorte que sur ce refus il prend sur eux les villes de Chartres, Dieppe, Fescam, Harfleu, Longue-ville, Tancarville, Corbeil, & Brie-Comte-Robert, sans destourbier, comme s' il eust envoyé ses fourriers seulement pour marquer ses logis. Les aproches d' une bonne paix commencent de se dresser entre les François & les Bourguignons. Premierement les Ducs de Bourgongne & Bourbon, & Comte de Richemont beaux freres la jurent ensemble à Nevers: Celle du Roy est remise en la ville d' Arras: la ville de Ruë prise sur les Anglois 1435. Au mesme an le Comte d' Arrondelle est deconfy devant Gerberoy par la Hire. En fin la paix concluë au mesme an dans la ville d' Arras, entre le Roy & le Duc de Bourgongne, à laquelle le Duc de Bethfort ne voulut entendre, quelque semonce que luy en fist le Cardinal de saincte Croix Legat en France. Quelque peu apres meurt Isabelle vefve du Roy Charles sixiesme, en son jeune aage l' une des premieres allumettes des guerres civiles, & quelques mois apres le Duc de Bethfort le plus fort arcboutant de Henry qui lors n' avoit que treize ou quatorze ans pour le plus, & n' y avoit plus que les Evesques de Terouenne, Paris, & Beauvais, qui conduisoient l' orne. Le Parlement mal content comme j' ay dit, en cet estrif les nostres ayans pris le pont de Charenton, les Parisiens se voyans sans chef, voulurent tirer des prisons messire Jean de la Haye pour le faire Capitaine general de la ville. Ce qui fut empesché par le Parlement pour la consequence. Tous ces divorses estant tels, & les Bourgeois de Paris se voyans esloignez de remedes, & proches de leur ruine, voicy sur ces entrefaictes ce qui advint. Le seigneur de l' Isle-Adam s' estoit de l' an mil quatre cens trente deux, rendu bon François, bien venu du Roy, & continué en son Estat de Mareschal de France. Le Vendredy d' apres les festes de Pasques l' an 1436 luy, le Comte de Richemont Connestable de France, & le bastard d' Orleans deffirent 800. Anglois, qui estoient sortis de Paris, pour aller faire un degast general en tous les villages d' alentour, pour couper chemin aux nostres de viures & munitions. De ce pas ils vindrent à la porte S. Jacques, & somment les portiers de la leur ouvrir. Ils avoient intelligence au dedans, de maniere que le seigneur de l' Isle-Adam y entra le premier par une grande eschelle qu' on luy avalla, & mit la banniere de France sur la porte, criant Ville gaignee. Lors estoit Prevost des Marchands Michel l' Allier Maistre des Comptes, qui fit armer le peuple pour le Roy. Le cœur ne failloit aux Anglois. En cette premiere esmeute ils se diviserent en trois batailles, dont la principale estoit conduite par l' Evesque de Terouenne, mais les chaisnes qu' on avoit tenduës par les ruës leur firent perdre toutes leurs forces. Joinct que le peuple par les fenestres les assommoit à coups de pierres, au moyen dequoy ils furent contraints de se retirer dedans la Bastille: Et combien que les François eussent deliberé de mettre à sac la ville de Paris, si est-ce qu' ils y entrerent avec tres-grande modestie, esmeus d' une compassion & pitié, parce qu' ils virent rompre à force la porte S. Jacques en leur faveur, & en entrant, les Parisiens furent remerciez de l' honneste soubmission, dont ils avoient usé envers leur Roy leur naturel & legitime Seigneur, & à l' instant mesme furent faictes defenses par les carrefours à son de trompe de loger és maisons des Bourgeois, ne d' y manger contre leur volonté, ny d' user d' aucun reproche, ou faire desplaisir à quelque homme de quelque qualité qu' il fust s' il n' estoit Anglois ou soldat. Voila comme Paris fut reduit: mais je vous supplie me permettre de faire icy une saillie, car en plus beau sujet ne sçavrois je employer ma plume, pour vous monstrer comme Dieu se joüa lors des cœurs de nos Princes: parce que s' il vous plaist y prendre garde de pres, vous trouverez qu' il employa les mesmes outils pour le restablissement de l' Estat qu' il avoit fait pour la ruine. Philippes Duc de Bourgongne, qui pour vanger la mort du Duc Jean son pere, avoit mis le Roy Charles, sa femme, sa fille, & à peu dire, la plus grande partie du Royaume entre les mains de l' Anglois, est celuy qui l' en retire, sinon en tout, pour le moins en la plus grande partie, par la paix & reconciliation qui fut entre luy & les nostres. En cas semblable l' Isle-Adam, qui avoit chassé de Paris Charles VII. en l' an 1418. quand il y entra en faveur du Duc Jean, est celuy qui y entre pour y establir le Roy. Mais avec des effets fort contraires: car y entrant la premiere fois en faveur d' un tyran, il traicta les sujets du Roy d' une façon tres-cruelle, & la seconde pour un Roy, il les traicta comme un pere fait ses enfans: & finalement Henry V. du commencement ne demandoit que la jouyssance de la Normandie & de la Guyenne sans souveraineté, ce dont il fut refusé par les nostres, qui agrandit ses affaires, de sorte qu' au lieu de ce qu' il avoit demandé, il se vit par le mariage de luy avecques Catherine de France, posseder le Roy, la Royne, & la plus grande partie du Royaume. Le semblable advint à Charles VII. car ayant offert la Normandie à l' Anglois, & ce qu' il tenoit en Guyenne, n' ayant l' Anglois voulu accepter cette offre, le Roy reconquist puis apres entierement tout son Royaume.

Or apres que Paris fut ainsi mis és mains du Roy, le Parlement delegua quelques seigneurs de la Cour pardevers le Connestable de Richemont, pour sçavoir de luy comme ils se devoient comporter. Ausquels il fit response qu' ils exerçassent leurs estats tout ainsi que devant, jusques à ce qu' ils eussent lettres du Roy. Les Anglois qui estoient dedans la Bastille, sortirent le 17. Avril, & depuis le Parlement & Chambre des Comptes de Paris interdits par lettres patentes du Roy du 15. de May, mais restablis le 16. Novembre ensuivant, c' estoit que le Roy vouloit donner loisir aux Officiers qu' il avoit pres de luy, de retrouver le chemin de leurs maisons: Et le Jeudy veille de sainct André fut crié à son de trompe que le Parlement qui avoit esté tenu à Poictiers, & sa Chambre des Comptes à Bourges, se tiendroient desormais au Palais Royal de Paris en la forme & maniere que ses predecesseurs Roys de France avoient accoustumé de faire: & commencer le jour sainct Eloy 1. de Decembre, & furent r'appellez par douceur quelques Bourgeois que l' on avoit mis hors apres la departie des Anglois, par ce qu' ils avoient trop favorisé leur party: Ainsi furent les compagnies tant de Paris que de Poictiers & Bourges reünies: & le lendemain sainct Martin d' Hyver, le Roy Charles & son fils Louys firent leur entree dans Paris (armez tout à blanc) par la porte sainct Denis, en laquelle ville le Roy n' avoit esté depuis le 29. de May, mil quatre cens dix-huict, lors qu' il fut contrainct la quitter par les gens du Duc de Bourgongne.

Pour s' estre faict Maistre de la ville de Paris, encores qu' il eust grand advantage sur la partie, si n' estoit-il paisible de plusieurs autres places & villes de son Royaume. Pour y donner ordre il fait son Lieutenant General par toute la France, le Comte de Dunois, par le moyen duquel il reconquit toute la Normandie, & la derniere ville de la conqueste fut Chierbourg le douziesme Aoust 1450. & l' an d' apres fut concluë & arrestee dans la ville de Tours la conqueste de la Guyenne, dont fut pareillement baillée la charge au Comte de Dunois, lequel pays il reduisit sous l' obeïssance du Roy, & la derniere ville qu' il prit fut Bayonne. Le huictiesme d' Aoust 1452. Talbot brave Capitaine entre les Anglois ne voulut pour cela quitter la partie: par intelligence qu' il avoit avecques quelques factieux citoyens, il reprend la ville de Bordeaux, & plusieurs autres. Le Roy retourne en Guyenne, pour le faire court, combat entre les François & Anglois devant Chastillon, où Talbot fut tué, & sa compagnie deconfite (desconfite): En la mort de ce grand guerrier finit toute la fortune des Anglois: parce que deslors Bordeaux & le demeurant de la Guyenne furent du tout faits François. Au demeurant j' ay dit sur le commencement de ce chapitre qu' il y eut du miracle tres-expres de Dieu au restablissement des affaires de la France. En ce que sous un Roy aucunement addonné à ses plaisirs, & qui par une foiblesse d' opinion se laissoit assez mal à propos gouverner par uns & autres favoris, Dieu luy envoya de bons & fideles Capitaines pour le secourir, mesme nostre Pucelle: Mais le miracle eust esté plus grand, si Henry V. nouveau conquesteur d' une grande partie de la France eust peu transmettre sa conqueste à sa posterité, laissant par sa mort pour successeur de ses Estats, un enfant aagé seulement de seize mois, encores que comme sage Prince il eust apporté par son testament tout ce que l' on pouvoit desirer pour la conservation de son fils & de ses deux Royaumes.