jeudi 27 juillet 2023

7. 10. Que nostre langue Françoise n' est moins capable que la Latine de beaux traits Poëtiques.

Que nostre langue Françoise n' est moins capable que la Latine de beaux traits Poëtiques.

CHAPITRE X.

J' ay longuement marchandé avecques moy avant que passer le Rubicon, maintenant le veux-je franchir, & sans m' aheurter au vulgaire Italien, soustenir en plus forts termes, que nostre langue n' est moins capable que la latine des traits Poëtiques hardis. Car quant à moy je ne voy rien en quoy le Romain nous face passer la paille devant les yeux. Nous celebrons avec admiration un Virgile, quand il a representé une gresle qui bond à bond sur les maisons craquette. 

Tam multa in terris crepitans salit horrida grando. 

Et les vents qui tout à coup, en flotte vont sortans.

Qua data porta ruunt. 

Ce brave Poëte fait joüer tel personnage qu' il veut à Aeole Roy des vents, en faveur de la grande Junon, & en apres nous sert de ces trois vers, que j' ay voulu, non representer, ains imiter en nostre vulgaire, au moins mal qu' il m' a esté possible.

Haec ubi dicta: cavum conversa cuspide montem 

Impulit in latus, ac venti velut agmine facto, 

Qua data porta ruunt, & terras turbine perstant.

Ce dit: d' un fer les flancs du mont creux il transperce, 

Et en piroüettant, le monde il bouleverse, 

Les vents horriblement dans l' air mutin bruyants, 

Tout à coup vont la terre à l' envy baloyants.

Ou bien qu' il introduit un Sinon Gregeois, lequel amené devant les Troyens, pour leur rendre raison de sa venuë dedans Troye, se donne un certain temps (avant que de parler) pour recognoistre l' assistance, en ces deux mots.

Agmina circumspexit.

Et ailleurs un Procumbit humi bos, pour nous faire voir à l' œil dans ce demy vers la pesanteur d' un Boeuf qui tombe mort sur la place. Et en un autre endroit un cheval gaillard qui gratte de son pied la terre.

Quadrupedante putrem sonitu quatit ungula campum.

Repassons sur nostre langue, & voyons un Coursier aller le pas, puis se donner carriere. Clement Marot en l' Epitaphe du Cheval qu' il appelle Edart, où par une licence Poëtique il le fait parler.

J' allay curieux 

Aux chocs furieux,

Sans craindre astrapade:

Mal rabotez, lieux, 

Passay à clos yeux 

Sans faire chopade. 

La vite virade, 

Pompante pennade, 

Le saut soulevant, 

La roide ruade, 

Prompte petarrade,

J' ay mis en avant.

Escumeur bavant,

Au manger sçavant, 

Au penser tres-doux, 

Relevé devant,

Jusqu' au bout servant

J' ay esté sur tous.

Je laisse tous les autres couplets de cet Epitaphe plein d' artifice, par lequel vous voyez un cheval bondir sur du papier, & estre mené à courbette, tantost au galop, tantost au trot, tout ainsi que s' il estoit en plein manegge, picqué par un Escuyer: Jacques Pelletier par divers Chapitres a depeint les quatre saisons de l' annee, & en celuy de l' Hyver figuré quatre batteurs dedans une grange.

Consequemment vont le bled battre

Avecques mesure & compas, 

Coup apres coup, & quatre à quatre,

Sans se devancer d' un seul pas. 

Sçavriez vous mieux voir des pitaux de village battans le bled dans une grange, que vous les voyez par ces vers? Et en la description du Printemps sur le chant de l' Alloüette, sans innover aucun mot fantasque, comme fit depuis du Bartas, sur pareil sujet. 

Elle guindee du Zephire,

Sublime en l' air vire & revire,

Et y declique un joly cry,

Qui rit, guerit, & tire l' ire

Des esprits, mieux que je n' escry.

Moy mesme me suis voulu quelques-fois joüer sur le chant du Rossignol, en faveur d' une Damoiselle qui portoit le surnom de du Bois. 

Dessus un tapis de fleurs, 

Mon cœur arrousé de pleurs, 

Se blotissoit à l' umbrage, 

Quand j' entens dedans ce bois 

D' un petit oiseau la voix, 

Qui desgoisoit son ramage.

Il me caresse tantost 

D' un Tu tu, puis außi tost 

Un Tot tot, il me besgaye:

Ainsi d' amour mal mené

Le Rossignol obstiné

Dedans son torment s' esgaye. 

Ha! dis-je lors à part moy,

Voila vrayement l' emoy

De l' amour qui me domine, 

Parquoy je veux comme luy

Gringuenoter mon ennuy,

Pour consoler ma ruine.

Je te requiers un seul don,

Tu' tu' tu' moy Cupidon,

Tost, tost, tost, que je m' en aille,

Il vaut mieux viste mourir, 

Que dans un bois me nourrir

Qui jour & nuict me travaille. 

Voulez vous voir la posture d' un Archer lors que de toute sa force il veut brandir un dard? Voulez vous encore voir l' eslancement d' une fuzee de la foudre? vous trouverez l' un & l' autre admirablement representé en la divine Ode de Ronsard, à Messire Michel de l' Hospital, où il descrit la guerre des Geans contre les Dieux.

Adonc le Pere puissant

Qui d' os & de nerfs s' efforce, 

Ne meit en oubly la force

De son foudre punissant:

Micourbant son sein en bas,

Et dressant bien haut le bras,

Contr'eux guigna la tempeste,

Laquelle en les foudroyant,

Siffloit aigu tournoyant

Comme un fuzeau sur leur teste.

Je ne veux pas coucher du pair avecques luy, car le faisant je serois un autre Geant qui me voudrois attaquer aux Cieux, mais comme je nourry dedans ma plume une liberté honneste, aussi me suis-je essayé sur le mesme sujet de vouloir representer l' esclat du tonnerre par ces quatre vers. 

Jupin pour parer à l' outrage,

Et à la detestable rage

De ces furieux lougaroux,

S' esclattant d' un cry craqua tous. 

Je vous touche par exprés toutes ces particularitez, pour vous monstrer que nostre Poësie Françoise n' est moins accomplie de gentillesses que la Latine.