dimanche 13 août 2023

10. 2. Deportemens extraordinaires tant bons que mauvais, de la Royne Fredegonde, selon la commune leçon de nos Historiographes.

Deportemens extraordinaires tant bons que mauvais, de la Royne Fredegonde, selon la commune leçon de nos Historiographes.

CHAPITRE II.

Je donneray par ce Chapitre & le suivant, lieu à la commune leçon de nos Histoires, pour vous deduire puis apres ce qu' il m' en semble. Car combien que j' y adhere en plusieurs parcelles, si n' ay-je peu tant gaigner sur moy de la recognoistre pour vraye en tout: cependant je vous serviray icy de la commune opinion.

Le Roy Clotaire premier decedé delaissa quatre enfans qui partagerent entr'eux le Royaume sur le mesme pied que les quatre du grand Roy Clovis leur ayeul. Et ayans jetté au lot (car ainsi trouvé-je que les partages se faisoient lors entre les enfans de nos Roys) à Charibert escheut le Royaume de Paris, à Gontran celuy d' Orleans, à Chilperic celuy de Soissons, & à Sigebert celuy de Mets, autrement d' Austrasie. Cestuy-cy espousa Brunechilde, autrement appellee Brunehaud, ainsi que du nom de Mathilde, nos ancestres firent une Mahaut. Chilperic Prince mal né espousa trois femmes, la premiere fut Audoüere extraicte de bas lieu: mais une tres-preude Princesse, avecques laquelle il entretenoit une jeune Damoiselle nommee Fredegonde dont il abusa. Advint qu' estant allé en quelque expedition sa femme pendant son absence acoucha d' une fille, & sur l' obscurité de trouver marreine de marque, Fredegonde artificieuse luy remonstra qu' elle se travailloit en vain: portant quant & soy ce qu' elle desiroit en une autre, parce qu' elle pouvoit tenir sur les Fonds Baptismaux son enfant: Ce que ceste bonne & simple Princesse fit. Conseil donné expressément par cette Damoiselle malicieuse, pour mettre la Royne en mauvais mesnage avecques le Roy, ainsi que l' evenement le manifesta: car luy retournant, Fredegonde vint au devant; & comme si elle eust esté bien marrie, luy raconte le malheureux accident qui luy estoit advenu par l' imprudence de la Royne, & comme il ne pouvoit plus cohabiter avecques elle, par les Constitutions de l' Eglise. La Royne d' un autre costé pensant bien-veigner son mary, luy faict present de sa fille: mais il luy tourne visage, & luy reprochant la faute par elle faite, la relegue en la ville du Mans, apportionnée de quelque pension annuelle pour son viure, & quant à l' enfant l' envoye à Poictiers vers Radegonde Abbesse, a fin d' en faire une Nonnain: Quelques uns disent, & telle est l' opinion d' Aimoïn, que deslors Chilperic espousa Fredegonde, les autres non; De ma part j' adhere à cette seconde opinion. On luy improperoit, qu' il avoit en premieres nopces espousé une fille de bas lieu. Au moyen dequoy pour reparer cette faute, il poursuit en secondes Galsonde sœur aisnee de Brunehaud, avecques promesses & sermens sur les Evangiles par ses Ambassadeurs, qu' il garderoit inviolablement foy maritale à sa future espouse, laquelle sur ces promesses luy est envoyee par le Roy d' Espagne son pere (Athanagilde), avecques plusieurs beaux joyaux dignes d' elle. Les premiers embrassemens de ce mariage passez, cette Princesse en vient bien tost apres au repentir. D' autant qu' elle trouva une compagne de lict, qui non seulement la mesprisoit, ains maistrisoit; Au moyen dequoy elle prie tres-instamment son mary de la renvoyer à son pere, & de vouloir retenir par devers soy toutes les bagues & precieux joyaux qu' elle luy avoit apportez. Chilperic à l' instigation de Fredegonde la renvoye pardevers son vray pere: mais par un renvoy tres-funeste; car elle se trouva en un matin estranglee dedans son lict.

Ce fait il espousa Fredegonde qui commandoit absolument à ses opinions. Advient la mort de Charibert (autrement Cherebert, ou Aribert) Roy de Paris, qui deceda sans enfans, sa succession escheant par ce moyen à ses enfans. Pour laquelle Gontran Roy d' Orleans & de Bourgongne, qui estoit d' un esprit calme, ne fit grande instance. Ce gasteau se devoit partir entre les deux autres freres, mais chacun d' eux desiroit de gaigner la febue sur son compagnon. Grosse guerre s' esmeut entr'eux, Sigebert estoit plus rude joüeur, Chilperic sçavoit plus de tours de souplesse: Et ainsi l' un & l' autre joüans leurs personnages à leurs advantages, selon que les occasions les portoient, Sigebert chassa Chilperic de Soissons, & se fit proclamer Roy dedans Paris, où ayant laissé la Royne Brunehaut sa femme avecques Childebert leur fils, aagé seulement de cinq ans, il reprend ses premiers arrhemens contre Chilperic, qui fut contraint de se blotir dedans la ville de Tournay avecques sa femme & ses enfans: où Sigebert le tint si estroitement assiegé, qu' estant reduit aux termes de desespoir, Fredegonde s' adresse à deux soldats determinez, les somme, les adjure, les prie de se vouloir defaire du tyran, qui les tenoit en tel destroit; œuvre lequel par eux mis à effect seroit pour un tousjours mais solemnizé dedans la posterité, leur promettans monts & merveiles s' ils revenoient sains & saufs de cette saincte entreprise: & que si par malheur ils y mouroient, elle leur procureroit un grand heur, & feroit dire tant de services en l' Eglise pour leurs ames, qu' indubitablement ils se pouvoient asseurer d' un Paradis en l' autre monde. Jamais conseil ne fut mieux pris, ny ne reüssit plus à souhait que cestuy. Et quand je vous en fais part, ce n' est pour faire le procez à la memoire de Fredegonde: car en telles craintes de mort, tous expediens pour sauver sa vie sont estimez bons & valables. Les soldats executent ce qui leur estoit commandé, & sur le champ furent mis en pieces. Brunehaud advertie du meurtre de son mary, fait sagement & à petit bruit descendre dedans une corbeille Childebert son enfant sur les murs de la ville: Qui est en seureté conduit en la ville de Mets, par l' entremise de Gondoubaut l' un des Capitaines du deffunct: où il fut tout aussi tost proclamé Roy d' Austrasie. Chilperic voyant lors sa fortune au large, prend la route de Paris, où les portes luy furent non seulement ouvertes, mais en outre plusieurs Seigneurs Austrasiens se jetterent entre ses bras craignans pis, pour estre tombez sous la domination d' un enfant. Il estimoit entrant dans Paris se saisir, & de la mere & de l' enfant ensemblément, & par mesme moyen s' impatroniser de l' Estat d' Austrasie, mais se trouvant deceu de son opinion d' outre moitié de juste prix par la sage conduite de la mere, il l' envoya sur le champ à la chaude colle à Rouen pour y finir le reste de ses jours. Mais il comptoit sans son hoste; il avoit eu de sa premiere femme trois enfans, Childebert, Meroüee, & Clovis, desquels le premier avoit esté occis à quatre lieuës d' Angoulesme en bataille rangee par les gens du Roy Sigebert quelque temps avant sa mort. Tellement que luy restans les deux autres, il depesche tout aussi tost Meroüee avecques gens, pour en cette nouvelle peur reduire sous son obeïssance le Poictou, & autres provinces qui avoient appartenu à Sigebert: Mais ce jeune Prince qui avoit envisagé d' un bon œil Brunehaud avant son partement de Paris, & trouvée agreable à ses yeux, apres avoir salüé sa mere en la ville du Mans, rebrousse chemin, & s' en vient à Rouen, où sans marchander longuement ensemble l' espouse: Ayans pour principal Ministre de leur mariage Pretextat Evesque du lieu. Chose qui apporta nouveaux tintoins en la teste du pere: lequel tout aussi tost s' y transporte, & les separant l' un de l' autre faict mettre la Princesse en une plus estroite garde qu' auparavant; & quant à son fils le fait tondre & reclurre en un Monastere: Mais quelque temps apres les Austrasiens sous le nom de leur jeune Roy Childebert, envoyent Ambassades pardevers Chilperic, à ce qu' il eust à leur rendre & mettre en pleine liberté leur Royne mere, autrement qu' il en faudroit venir aux mains. Chilperic estimant que la prison d' une seule femme ne devoit causer tant de maux la rendit. Cette Princesse restablie, les cheveux creurent au jeune Prince Meroüee, & par un mesme moyen l' opinion de rentrer en sa premiere principauté. Voila comment Chilperic, Meroüee & Brunehaud joüoient diversement leurs personnages, quand Fredegonde estima devoir estre de la partie. Elle importune à toute reste son mary, à ce que le procez soit fait à Pretextat, en assemblee Conciliaire de Prelats dedans Paris, ce qu' elle obtint. Pour le vous faire court ce Prelat fut non degradé de sa dignité; ains banny en une isle non lonig (loing) de la ville de Coutance, & estimant qu' elle devoit asseurer l' Estat à ses enfans, elle fait soubs main tuer Meroüee, & pour donner couleur à ce meurtre, fait courir un bruict que luy mesme s' estoit fait tuer par un des siens, qui luy estoit un autre soy-mesme, & ce pour ne tomber sous la fureur de son pere qu' il voyoit presente. Passant outre fait pareillement poignarder Clovis son frere puisné, & donne ordre que le poignard luy fust laissé dans ses flancs; a fin qu' on eust opinion que luy mesme s' estoit meffait, & qu' affoibly il n' avoit peu le retirer. Et non assouvie de ces deux cruels assassinats, fit tout d' une suitte mettre à mort la pauvre Royne Audoüere leur mere, pour effacer du tout la memoire de cette famille. Elle pensoit par ces sinistres moyens asseurer l' Estat aux enfans qu' elle avoit lors eus de Chilperic: Mais Dieu spectateur de ces meschantes & malheureuses actions, par une juste vengeance les luy osta tous. Rendant par ce moyen toutes ses esperances affamees, illusoires & sans effect: mais elle pour ne demeurer en friche & suppleer ce deffaut, voulut mettre un nouvel ouvrier en besongne. Ce fut Landry Maire du Palais, avecques lequel elle abusa licencieusement de son corps & de son honneur, & se conduisirent les affaires de telle maniere, que Fredegonde acoucha d' un enfant qui fut nommé Clotaire, avant que d' estre porté sur les fonds, par une grande fatalité: car apres avoir couru diverses rencontres de fortune, desquelles il fut garenty, tant par les astuces de sa mere, que benignité de l' astre sous lequel il estoit né, il se veit en fin Monarque & Roy des deux Frances. A sa naissance furent les prisons ouvertes à tous prisonniers attaints de crimes, & les debtes du Roy remises à ses debiteurs. Mais ceste joye ne fut de longue duree; parce que le Roy au village de Chelles non loing de Paris s' esbattant au deduit de la chace, un matin y voulant aller, soit ou que ses chevaux ne fussent prests, ou bien poussé de l' amour qu' il portoit à sa Fredegonde; ainsi qu' elle lavoit en son cabinet ses cheveux, la vint trouver avant que partir, & par maniere de mignardise la frappa doucement sur l' espaule d' une baguette. Mais elle sans tourner la teste, estimant que ce fust son mignon de couche, luy dit: Vous n' estes pas sage Landry; car le Roy est à peine party, & estes si mal advisé de me venir voir. Cette parole n' estoit pas encore achevee, que le Roy grommelant sort: Et lors la Royne tournant sa face, cogneut qu' elle s' estoit grandement mesprise. Au moyen dequoy elle mande quelque heure apres Landry, & luy compte le malheur qui sans y penser luy estoit advenu; auquel il avroit bonne part, s' il n' y estoit par eux promptement remedié. Partant fut entr'eux conclud de faire massacrer le Roy au retour de la chace. Ce qui fut dextrement executé par les meurtriers, favorisez de l' obscurité de la nuict, qui commencerent à s' escrier que c' estoient gens apostez par Childebert, & d' une mesme main se mettent à poursuivre dedans la forest ceux qu' ils sçavoient n' y estre point. Deslors du coup quelques Thresoriers de la Maison du Roy, se transportent avecques leurs deniers en Austrasie; & d' un autre costé Fredegonde trousse aussi tost bagage, & se loge dedans l' Eglise de Paris pour s' asseurer de sa personne, & lors Raguemonde Evesque la prit en sa garde & protection, non pour amitié particuliere qu' il luy portast; ains pour la conservation des privileges de son Eglise, commun à toutes grandes Eglises qui servoient de franchises à ceux qui s' y refugioient. On fait divers commentaires sur cette retraite: car quelques uns estiment que cette Princesse vaincuë d' un remords de sa conscience, d' une crainte esperduë se jetta entre les bras de l' Eglise. Et les autres (qui n' est pas sans apparence) qu' elle s' estoit fait sage aux despens de la Royne Brunehaud, laquelle pour n' avoir fait le semblable apres la mort du Roy Sigebert son mary, fut faite prisonniere de guerre par Chilperic, & comme telle envoyee en la ville de Rouen. Par ainsi ayant Fredegonde le Roy Childebert pour son ennemy mortel, qui pourroit survenir, elle ne vouloit tomber en ses mains.

Or s' estant de cette façon asseuree de sa personne, & son petit enfant, elle depesche tout aussi tost vers le Roy Gontran son beau-frere, pour luy donner avis de son nouveau desastre, le suppliant en l' honneur de Dieu de vouloir prendre en sa protection la mere, l' enfant, & son Royaume. A cette semonce ce Roy debonnaire vient à Paris bien accompagné, & favorablement accueilly, où ne voulant remuer aucun mesnage au desadvantage de l' enfant, promet de prendre la deffense de luy, de sa mere, & de tout ce qui les concernoit. A peine estoit-il entré par l' une des portes de la ville, que Childebert bien suivy voulut entrer par une autre, pour y faire ses jeux contre la mere & l' enfant: mais il trouva visage de bois. Je vous laisse plusieurs entremets de cette histoire, pour lesquels je vous renvoye à nos autres historiographes, voulant principalement toucher à mon but, concernant les cruautez de Fredegonde premierement, puis de Brunehaud. Bien vous diray-je que Fredegonde ayant receu quelques algarades de Gontran, sceut à la longue si bien mesnager son fait, qu' en fin ce bon Roy se remit sur la mere, du gouvernement de l' enfant, & sur Landry, du Royaume. Estant Fredegonde de cette façon affranchie de sa premiere peur, ne pensez pas que selon les occasions elle ne voulust de fois à autres attenter, tant sur la vie du Roy Gontran (mettant sous pieds l' obligation qu' elle luy avoit) que sur celles de Brunehaud & du Roy Childebert son fils: voire dedans les Eglises; pensant que ces Princes & Princesse s' y tiendroient moins sur leurs gardes pour l' asseurance du lieu: Mais Dieu voulut que ses desseins s' esvanoüirent en fumee, & que les entrepreneurs descouverts furent diversement chastiez selon leurs demerites.

Entre tous il me plaist vous faire part de cestuy-cy: Elle avoit attitré un Oleric, homme pratic en matiere de trahisons, luy commande de se retirer vers Brunehaud, luy enseignant l' ordre qu' il devoit tenir pour la surprendre. Ce qu' il fait, & s' estant presenté à elle luy dit qu' il avoit quitté le service de la Royne Fredegonde pour ses fascheux deportemens; suppliant tres-humblement la Royne Brunehaud le vouloir recevoir au sien. Il estoit homme bien emparlé, & sceut de telle façon chevaler cette Dame, qu' elle luy enterina sa requeste, & la gouvernoit de fois à autre, espiant l' occasion pour executer ce qui estoit commencé: Mais ne s' estant presentee, comme cette trahison se trainoit en longueur, on eut quelque sentiment de la verité de son fait qu' il confessa, puis apres estant exposé à la question: mais il sceut si bien joüer du plat de la langue, qu' il fut renvoyé à sa premiere Maistresse sain & sauf. A laquelle ayant representé comme le tout s' estoit passé, elle luy fit coupper pieds & mains pour avoir failly à une si noble entreprise. Pretextat avoit esté envoyé en exil, & depuis r'appellé par la debonnaireté du Roy Gontran: R'appel que Fredegonde tourna en injure. Au moyen dequoy un jour de Pasques comme on celebroit le service divin en l' Eglise de Rouen, où estoit l' Evesque, il fut par le commandement d' elle tué. Je vous laisse le demeurant de l' Histoire, qui fut pleine de pitié & compassion. Bref, rien ne luy estoit impossible pour mettre en execution tous ses desseins, & pour faillir à quelques uns, elle ne mettoit en surseance les autres.

Advient la mort du bon Roy Gontran qui delaissa deux neueux. Clotaire Roy de Paris & Soissons: Childebert Roy d' Austrasie & de Bourgongne. Adoncques fut veu un nouveau visage d' affaires. N' estans plus les deux jeunes Princes retenus (ou pour mieux dire leurs meres) de la venerable ancienneté de ce bon Roy leur oncle: Childebert rongeoit en soy la vengeance du meurtre proditoirement commis en la personne du Roy Sigebert son pere. Davantage tenoit pour arresté que Clotaire estoit seulement enfant putatif du Roy Chilperic son oncle: Comme de faict il l' avoit souvent soustenu, tant par lettres que de bouche, au Roy Gontran, lequel y avoit presté sourde oreille. Sous cette opinion Childebert armé à face ouverte, mais il trouva chausseure à son pied, je veux dire une Princesse qui par une magnanimité de courage luy fit teste, estant son armee conduite par Landry. Et pour monstrer qu' elle ne manquoit non plus d' esprit que de cœur, elle harangua ses gens en plein champ, accostee du Roy son fils, qui sans parler, parloit par sa presence beaucoup. Leur remonstrant l' obligation naturelle qu' ils luy avoient, non seulement pour estre leur Roy; ains meschamment affligé par une Brunehaud sa tante, & Childebert son cousin germain, n' ayans autre titre de leur nouvelle querelle, que la foiblesse de son aage: Dont elle esperoit que Dieu par sa saincte grace le garentiroit, avec le support & aide de ses bons sujets: Que de sa part elle avoit porté le Roy son fils neuf mois avec les douleurs & trenchees des meres pendant leurs grossesses, & depuis sa naissance senty neuf ans entiers une infinité de bourasques dont il estoit traversé, & neantmoins elle en estoit venu à chef; mais maintenant elle se deliberoit pousser de sa reste, & entrer pesle-mesle avecques le Roy son fils au milieu des troupes pour avoir part aux coups tout ainsi comme les autres, & par ce moyen leur servir à tous de miroir.

Chilperic, Fredegonde