mercredi 16 août 2023

10. 24. Qu' Aimoïn faisant mention de Brunehaud, en parle avec passion contre l' honneur d' elle.

Qu' Aimoïn faisant mention de Brunehaud, en parle avec passion contre l' honneur d' elle.

CHAPITRE XXIV.

Fredegaire qui pour sa premiere démarche nous sert dés l' entree de son livre d' une menterie, & apres luy Aimoïn, desgoisent comme ils ont voulu une infinité de mesdisances atroces, contre la memoire de Brunehaud. Mais sur tout j' observe Aimoïn avoir voulu gaigner le dessus de son devancier en ce beau mestier, autrement il eust estimé faire faute, & pecher (si ainsi me permettez de le dire) contre le S. Esprit. Apres que Gontran Roy d' Orleans, & de Bourgongne eut adopté Childebert Roy d' Austrasie son nepueu, & fait son heritier, avec les solemnitez telles que ce grand ouvrage requeroit, finalement il le prit à part, & descouvrit par maniere de leçon, à ce jeune Prince, les Seigneurs de sa Cour ausquels il se devoit fier, & ceux dont il se devoit deffier, & pour conclusion adjousta comme nous apprenons de Gregoire: Ne ad matrem accederet, ne forte aliquis daretur aditus, qualiter ad Gondobaldum scriberet, aut ab eo scripta reciperet. Ce Gondebaud estoit un nouveau Roy imaginaire, lequel arrivé de Constantinople en France, par ses longs cheveux, & quelques autres conjectures, soustenoit estre le cinquiesme enfant du Roy Clotaire I. de ce nom: & partant qu' il devoit quintoyer au Royaume avec les 4. autres enfans. Et sur ce donner à entendre attira plusieurs grands Seigneurs à sa cordelle: Qui excita un estrange gargoüille par toute la France. Que si Brunehaud fut de sa partie (comme toutesfois il est mal-aisé de croire, pour l' affection maternelle qu' elle portoit naturellement à son fils) mais accordons qu' elle eust esté de la partie, paraventure y avroit-il sujet de ne luy imputer à crime, ains de le remettre sur une conscience timoree qui estoit en elle, estimant qu' on faisoit tort à Gondebaud de ne le vouloir recognoistre. Au moyen dequoy elle ne douta d' adherer à ce nouveau Prince, voire ao desadvantage de son propre enfant: au contraire Gontran soustenoit qu' il estoit un imposteur, & sous cette opinion jamais ne cessa qu' il ne l' eust fait mettre à mort. Or soit que Brunehaud favorisast la cause de Gondebaud ou non, vous voyez que Gontran conseilla à son nepueu Childebert de se deffier de la Royne Brunehaud sa mere. Parce que cela importoit à son Estat, comme nous apprenons du 7. livre de Gregoire chap. 33. Voyons maintenant de combien Aimoïn le voulut renvier, lequel apres avoir tout au long emprunté de luy l' ordre que l' on tenoit en l' adoption, & comme le tout s' estoit passé entre l' oncle & le nepueu, poursuit ainsi son discours livre 3. chap. 68. Denique instruens eum, quos fidelium de rebus agendis consuli, quosve à consilio oporteret amoveri, seu quibus corporis curam committi, Aegidij Episcopi fraudulentias, ac periuria, matris Brunechildis versutias cavendas praemonuit. Gregoire s' estoit bien gardé d' user de ces mots, Aimoïn ne pouvoit faire ce discours sans s' en prevaloir.

Aimoïn voulant reciter l' assassinat commis en la personne du Roy Chilperic, par le pourchas de la Royne Fredegonde sa femme. Erat autem, dit-il, praefata Fredegundis, forma egregia, consilio callida, dolis, (excepta Brunechilde) parem non agnoscens. Il ne peut faire ce discours sans donner quelque atteinte à Brunehaud, ores qu' il n' en fust question, tant estoit sa plume, voüee à la mesdisance d' elle. 

Passons plus outre, & voyons de quelle façon il s' est comporté avec Fredegaire qui luy avoit mis plusieurs pieces de ses mesdisances és mains. Fredegaire chap. 38. parle en cette façon de l' execution de la victoire, que Theodoric Roy de Bourgongne eut contre son frere Theodebert Roy d' Austrasie vers Tolbiac. Dirigensque Theodoricus ultra Rhenum, post tergum Theodeberti, Bertharium cubicularium. Qui diligenter insequens, cum iam cùm paucis fugeret, Theodebertum captum, Coloniam, in conspectum Theodorici praesentat. Exibi tum vestes regales, Theodebertus expoliatus, equusque eius cum statura Regis, hoc totumque Berthario à Theodorico conceditur; Theodebertus vinctus, Cabillonem destinatus, filius eius, nomine Merouei, parvulus, iussu Theodorici apprehensus à quodam, per pedem, ad petram percutitur, cerebroque eius capitis erupto, emisit spiritum. 

Cruauté vrayment barbaresque, & neantmoins Theodebert n' a icy qu' un petit enfant. Oyons maintenant Aimoïn discourir sur mesme subject, chap. 99. du 3. liv. Theodoricus ubi factum est indicium Theodebertum evasisse, incentivum accelerandi itineris acceßit, ut conficiendi belli compendium putaret, si Dux & populus bello promptior interciperetur. Adveniens itaque cum suis in Ripuariorum fines sese immisit, occurrentia quaeque devastans, vel exurens. Cuius incolae ad eum venerunt rogatum, ne ob unius culpam, dißidium pararet eis, quos suos fore sciret iure victoriae. Quibus ille: non (inquit) vobis, sed Theodeberto, interitus paratur, cuius caput, si meam promereri vultis gratiam, vos necesse est auferre, aut ipsum vivum, victumque ad me perducere. Illi Regiam Coloniae introgreßi, Theodeberto taliter loquuti sunt. Sic (inquiunt) mandat Theodoricus frater tuus. Si (ait) recipere meruero thesauros paternos, quos Theodebertus adhuc iniuste retinet, pervasos, proprias festinus repedabo domos. Ideo hortamur te, Domine Rex, ut portione quae debetur reddita, nostra eum non sinas infestare domicilia. His Theodebertus dictis credulus, pro vero prolata arbitratus, locum, quo regalis continebatur gaza, pariter cum ipsis ingressus. Eo igitur perscrutante, quid fratri opportunius, sine sui damno, posset restituere, unus è circumstantibus, evaginatum gladium, cervici illius illidens, caput abstulit, ac per muros Coloniae circumtulit. Quod cernens Theodoricus, ipse confestim urbe potitus, Regias invasit opes, & primates civitatis, in sua sibi verba, iurare compellit. Vous voyez en cette histoire double leçon: parce que Fredegaire fait Theodebert prisonnier de guerre envoyé lié & garoté à Chaalons sur Saone, siegere du Royaume de Bourgongne de Theodoric: Et Aimoïn le rend occis dedans la ville de Colongne, par ses sujets. Accordez je vous prie ces deux histoires: mais n' estant le but où je vise, je passeray plus outre. Compositis (dit Aimoïn) ex sententia rebus, inde cum multis spoliis progressus, secum adduxit filios fratris sui, cum filia, quae specie nitebat decora. Dum Metas advenisset reperit aviam suam Brunechildem inibi obviam venisse. Quae arreptis Theodeberti filijs eos sine mora neci tradidit, & minorem quidem natu, Merouei nomine, in albis adhuc positum, lapidi illisum, coegit exhalare spiritum. Regnavit itaque Theodebertus annis 17. Quidam vero Authores scripserunt Theodebertum, post illam Theodorici victoriam, suamque aerumnam, Rhenum transivisse, & Theodoricum cap-* Colonia, Bertharium cubicularium suum ad comprehendendum eum misisse, à quo comprehensus, & ad Theodoricum perductus, indumentisque suis Regijs exutus, Cabilonas dicitur esse in exilium relegatus, ob compensationem autem tam praeclari operis Bertharius equum eius, cum structura regia fertur à Theodorico percepisse.

Cette seconde opinion estoit celle de Fredegaire; à laquelle Aimoïn devoit adjouster que l' enfant Meroüee avoit esté meurdry par le commandement de Theodoric son oncle: ce qu' il s' est bien donné garde de faire, tant il estoit aheurté à la mesdisance contre Brunehaud. Mais voyez de combien plus il faict valoir ce mestier sur l' autre: qui n' avoit donné qu' un Meroüee enfant à Theodebert, car icy ce Moine luy en donne plusieurs, qui tous sont occis par le commandement de Brunehaud leur bisayeule, & Meroüee de la façon piteuse que dessus. Mesme qu' il semble que cette Princesse se fut transportee de propos deliberé à Mets, pour faire ces magnifiques exploits contre son propre sang: & signamment contre le petit enfant Meroüee qu' elle fit ecerveler, n' estant encore baptizé. Car ainsi explique Nicolas Gilles, & autres apres luy ces mots, qu' il estoit encore in Albis.

Fredegaire parlant de la mort de Theodoric. Theodoricus (dit-il chap. 39.) Metis profluvio ventris moritur. Entendez maintenant quel commentaire a fait Aimoïn sur ceste mort. liv. 3. chap. 100. car chacun a interest de la sçavoir. Interea dum Metis moraretur Theodoricus amore filiae fratris Theodeberti (quam Coloniae captitaverat) deperire coepit. Quin cum sibi copulare vellet, ab avia ne hoc faceret prohibebatur. Cui ille: Et quid (ait) incurram offensionis, si illam uxorem duxero? Ad haec Brunechildis. Non (inquit) fas est fratris progenitam habere te coniugem. Ad haec Theodoricus, ut audivit, felle commotus, tali ei respondit modo. Nonne tu Deo odibilis, cunctisque invisa bonis, mihi dixeras eum fratrem non esse meum, ut quid imposuisti mihi tam grave onus fratricidij? Et evaginato ense, voluit eam percutere: quae à circunstantibus erepta, ac manibus damno elapsa, mortis quidem evasit discrimen, sed nepoti dolos paravit temeritate foeminea. Nam egredienti è balneo, per manus ministrorum pecunia corruptorum, veneni porrexit poculum. Quo hausto, ut poenitens scelerum quae gesserat, vitae sortitus est terminum, quam criminibus foedaverat. Tradunt vero memorati scriptores, eum ad Metensem urbem, dum contra Clotarium expeditionem agere meditaretur, disenteriae morbo interiisse 18. regni sui anno. Celuy dont Aimoïn entend parler tant par les 99. que 100. chap. du 3. liv. de Fredegaire. Je demanderois volontiers pourquoy sans le nommer il l' a voulu dementir en ces 2. dernieres particularitez, luy qui d' ailleurs emprunte la plus part de son mesdire, de Fredegaire, sinon qu' en ces deux dementirs il se pensoit advantager de reputation sur luy: d' autant qu' il mesdisoit davantage de Brunehaud: Et neantmoins au bout de ces comptes fascheux il est contraint de dire, apres que cette pauvre Princesse eut esté cruellement traitee en sa mort, au livre 4. chap. I. Non tamen ex toto vecors extitit, quin Dei, ac sanctorum eius, memorias à praedecessoribus structas, venerabiliter excoleret, ipsaque novas fabricando devote multiplicaret. Nam in suburbano Laudunensi, basilicam in honorem S. Vincentij constituit, & apud Augustodunum, aliam sancto inaedificari Martino iußit, usa sanctis ad id opus ministerijs, venerabilis viri Siagrij praedictae urbis  Episcopi. Multis quidem & alijs in locis sub nomine S. Martini magnificas fundavit Ecclesias, illum sibi prae caeteris adjutorem sibi confidens, & confidendo exposcens. Aedificia sane ab ipsa constituta, usque in hoc tempus durantia, ostenduntur, tam innumera, ut incredibile videatur, ab una muliere, & in Austria tantummodo, & Burgundia regnante, tanta, in tam diversis Franciae partibus, construi potuiße. Quelqu'un pourra par ce passage inferer que tout ce qu' Aimoïn avoit auparavant mesdit d' elle ne doit estre creu, veu qu' il n' a oublié sur la fin de luy donner un eloge si magnifique. Quant à moy je recueille de ce placard, que tous ceux qui ont diversement rapetassé le livre d' Aimoïn, se sont abusez representans Brunehaud cruelle, de la façon comme ils font: car toutes ces Eglises ne peuvent estre basties que par une ame devote envers Dieu, & ses SS. Et combien que dedans telles ames la paillardise n' ait accoustumé se loger, si advient il quelquesfois le contraire par l' instigation du Diable; car combien que ce peché soit formellement contre Dieu, toutesfois il ne l' est contre la nature, j' entens contre nostre nature depravee & corrompuë. Mais la cruauté en soy est contre Dieu, & cette nostre nature tout ensemble. Et à tant il se peut faire que Brunehaud s' estant eschappee à soy mesme, s' amouracha d' un Protade, qui apporta scandale à l' Estat. Mais qu' elle se fust desbordee en toutes les cruautez plus que brutales, qui se trouvent dedans Fredegaire & Aimoïn, je ne le puis croire. Dedans Fredegaire (dis-je) non seulement pour le peu de nom qui est en luy, mais aussi que dés l' entree de son livre, je le voy broncher en l' Histoire. Dedans Aimoïn non seulement par trois fautes, que je voy en luy de mesme parure, mais aussi pour avoir esté eschantillonné de tant de pieces, qui me sont toutes suspectes, si elles ne se rapportent au sens commun; & signamment je ne me puis rapporter à leurs opinions, en ce que je les voy discorder à Gregoire Evesque de Tours, au grand Gregoire I. Pape de ce nom, & des remonstrances du bon Colombain, tous trois beatifiez & mis au Kalendrier des saincts, qui parlerent tous trois de ce qu' ils veirent, ou peurent voir. Et combien que n' ayans rien escrit de la main de Colombain, toutesfois je ne vous ay rien dit de luy, que je ne l' aye coppié de Fredegaire, & Aimoïn, je veux dire les Remonstrances que ce bon & sainct homme fit à Brunehaud, dedans lesquelles nulle mention de sa cruauté, qu' il n' eust oubliee si elle se fust trouvëe en elle, telle que nos Annalistes la qualifient.