mardi 8 août 2023

9. 10. Faculté de Theologie.

Faculté de Theologie.

CHAPITRE X.

Nous eusmes diverses reformations faites pour l' Université de Paris: entre autres celle du Cardinal de Touteville, en laquelle il traicta premier du fait concernant la Theologie, puis le Decret, la Medecine, les Arts; l' autre de nostre temps par messire Jacques Auguste de Tou President, par laquelle d' un autre visage il traicte premierement des Arts, puis de la Medecine, Decret, Theologie. Je suivray l' ordre du Cardinal. Jugemens divers, soustenables toutesfois, chacun endroict soy pour diverses considerations. Car le Cardinal commença par la Theologie, tant pour la dignité qui y reside, que pour estre la premiere piece, & fondamentale de nostre Université, puis fit sa suite du plus au moins jusques aux Arts: & le Seigneur de Tou au rebours voulut commencer par la Faculté des Arts, sans laquelle la porte nous est fermée à toutes les autres, & poursuit par mesme moyen sa pointe graduelle és autres, y procedant par accroissement de leurs dignitez jusques à la Theologie, qui excede toutes les autres d' un long entrejet.

Maistre Jean Gerson, duquel j' honore infiniment la memoire, preschant en Avignon devant Benoist, qui se disoit treiziesme Pape de ce nom, comparoit l' Université de Paris à nostre Paradis terrestre, auquel estoit l' Arbre de science du bien & du mal, & dedans ce sainct lieu un grand fleuve, dont sourdoient quatre autres grandes rivieres par lesquelles l' Univers estoit diversement abreuvé: aussi dedans Paris y avoit une Université, source & fontaine des sciences desquelles despendoient les quatre Facultez, dont la plus grande partie du monde estoit abreuvée: Entendant par ces Facultez parler de la Theologie, Decret, Medecine, & Arts.

Or suivrons nous icy l' ordre observé par le Cardinal. Car il ne faut point faire de doubte que lors que l' Université fut esclose, son premier & principal but fut la Theologie: & de ce ne veux-je meilleur garand que nostre Roy Philippes quatriesme, dit le Bel, lequel en ses lettres Patentes de l' an 1312. confirmatives de l' erection de l' Université d' Orleans en loix, faite par le Pape Clement cinquiesme, qui siegeoit en Avignon; luy (dy-je) recitant sur le commencement de ses lettres, les causes pour lesquelles ils desirent estre dressée à Orleans une Université de loix, prend sur cela subject de parler comme le fondement de celle de Paris avoit esté la Theologie, & qu' il y avoit grande apparence d' en establir une aux loix. Hinc progenitores nostri (dit-il) Parisius studium Theologiae principale, liberalium etiam artium, quae sunt praeparationes ad ipsam, Privilegijs pluribus muniverunt, & per sedem Apostolicam muniri curaverunt: hoc enim studium, fidei Catholicae lumen stabiliens, id archa foederis testamentis conservavit: hortus vere conclusus, sua germina, fons signatus, scientia Dei fluenta per totum orbem emittens, & propter hoc, studium fovere ampliusque stabilire proponimus. Et adjouste que ce fut en partie qu' on y defendit la lecture des loix, & du droict civil, affin que ce ne fust un divertissement de l' estude de la Theologie. Et par les mesmes lettres y a clause expresse, qu' en authorizant cette nouvelle Université d' Orleans il est porté. Hoc salvo quod Theologiae Magistri nullatenus creentur ibidem, ne detrahatur Privilegijs Romanae sedis studio Parisiensi conceßis. Et auparavant ces lettres patentes, la Royne Jeanne femme de Philippes le Bel par son testament fait l' an 1304. fondant un College Royal que depuis nous avons appellé College de Navarre, il y avoit cest article, & ordonnance faite aux Escoliers par elle instituez & entretenus. Item nullus medicinam audiat aut Decretales, quamdiu bursas recipit. C' estoit que cette sage & devote princesse recognoissant le vray but de l' Université de Paris estre la Theologie, elle ne vouloit que ses boursiers & escoliers estudiassent en Decret, ou en la Medecine. Ne defendoit ce pendant l' estude des Arts, comme estans le premier acheminement à la Theologie. Qui est tousjours pour vous confirmer ce que je vous ay cy devant deduit discourant du premier plant de nos Escoles, qui furent depuis tournées en nostre Université.

Ayant doncques à vous parler maintenant de nostre Faculté de Theologie, je vous diray que sur le premier bers de nostre Religion Chrestienne nous ne sçavions que c' estoit de la Theologie Scolastique, ains seulement de la Morale, je veux dire de croire à nostre Religion Chrestienne sans entrer en aucune dispute. Et à ce propos disoit Tertulian en son traicté. De praescript. adver. haereticos. Ea est materia sapientiae saecularis, temeraria interpres divinae materiae, & dispositionis: ipsae denique haereses à Philosophia subornantur. 

Et quelques fueillets apres. Cedat curiositas fidei, cedat gloria saluti. Toutesfois comme l' homme se glorifie avoir esté particulierement doüé de l' intellect, non commun à tous les autres animaux, aussi s' est il voulu avecques le temps donner plusieurs advantages, les uns bons, les autres mauvais au prejudice de l' ancienneté & à elle incognus. Et pour cette cause fut introduite la dispute en haine de l' heresie. Qui estoit non de permettre à tous d' en disputer, ains de croire, autrement c' eust esté introduire un seminaire d' heresie, & comme disoit l' ancien proverbe. Quam quisque norit artem in hac se exerceat. Mais au lieu de ce, nos ancestres trouverent bon que nos Theologiens en croyant fermement ce qui estoit de nostre vraye foy Chrestienne, ny plus ny moins que nos bons & premiers peres, peussent convaincre les nouvelles ergoteries de ceux, qui sous une vaine fiance de leurs esprits nous voudroient faire accroire le contraire. Et de fait quelque peu auparavant la venuë de Lombard nous avions eu dedans Paris un Pierre Abelard, qui par un livre expres par luy fait avoit mis en avant, qu' il ne nous falloit rien croire que ce qui nous estoit ordonné vray par bonnes & valables raisons, livre generalement condamné par un Concil tenu à Soissons, & particulierement par sainct Bernard qui estoit de ce mesme temps en ses Epistres.

Dieu nous envoya quelque peu apres sur cette querelle Pierre Lombard personnage de grande estude, & bien versé és sainctes lettres. Pour laquelle cause Philippes frere de nostre Roy Louys VII. ayant esté esleu Evesque de Paris luy resigna son droit. Au moyen dequoy il fut depuis pourveu de cest Evesché. C' est luy qui a depuis esté surnommé le Maistre des Sentences, à cause des quatre livres de Sentences par luy composé, qui contient sommairement toute nostre doctrine Chrestienne. Livre qui fut embrassé par nos Theologiens avecques un grandissime applaudissement, & mourut l' Autheur en l' an 1164.

De maniere que vous pouvez penser que lors la Faculté de la Theologie scolastique n' estoit en usage chez nous. Et neantmoins ce grand personnage decedant fut tant estimé par les nostres, que depuis nostre Theologie luy fait tous les ans un service avecques ses chappes en l' Eglise de sainct Marcel en laquelle il est enterré, & devons tenir pour proposition infaillible, que le vray & premier fondement de nostre Université fut la Theologie, de laquelle nous pouvons dire, que combien qu' elle eust vescu sous deux Prelats, toutesfois par miraculeux effect c' a tousjours esté un mesme ply, se trouvant l' œuvre de Lombard accomply de tant de doctes & devotes parties, que depuis ça esté l' accomplissement des estudes de nos Theologiens, estimans que ce livre bien entendu contenoit l' encyclopedie de nostre Theologie. Et combien que l' ordinaire en attribue la premiere invention à Messire Pierre Lombard, toutesfois quelques personnages de marque disent que telle maniere de Theologie avoit esté premierement pratiquée par sainct Augustin, non toutesfois depuis continuée, sinon par le moyen de Lombard, lequel sans y penser introduisit apres son decez la Faculté de Theologie scolastique, quand nostre Université fut formée. Une chose vous puis-je dire, que le commentaire que sainct Thomas d' Aquin fit sur ce livre des Sentences, se trouva de telle recommandation qu' il fut depuis commenté par quatre vingts Theologiens, dont vous trouverez les noms & la liste, dedans le laborieux livre de Gesnherus, portant le titre de Bibliotheque. Ce grand Evesque a produit avecques le temps une infinité de braves Theologiens, tant seculiers, que reguliers, dont le denombrement seroit trop long à vous faire. C' est pourquoy je me contenteray de vous en toucher deux seulement, sainct Thomas d' Aquin de l' Ordre de sainct Dominique, qui fit ses premieres estudes sous Albert le grand à Cologne, & ses dernieres en cette ville de Paris où il mourut: & l' autre Fut Maistre Jean Gerson Chancelier de nostre Université. Tous deux parangons en ce sainct & devot subjet. Cette pepiniere de Chevaliers spirituels a tousjours combatu vaillamment pour la Foy, & abbatu les adversaires. Je dy non seulement les adversaires estrangers, ains ceux là mesmes de leur compagnie qui se trouverent fourvoyez du droict chemin, voire ne pardonna pas mesmes au Recteur premier Magistrat de l' Université. A ce propos ay-je trouvé dedans un vieux Registre que le 19. de Novembre 1535. le Recteur se plaignit en pleine congregation de ce que quelques Cordeliers avoient extraict de son sermon quelques propositions qu' il avoit tenuës le jour & Feste de la Toussaint, lesquelles il desavoüoit hormis une, & l' avoient fait apeller ad superiorem iudicem omisso medio, id est neglecta prima Universitatis iurisdictione. Partant prioit l' Université de vouloir prendre la cause pour luy. Ce qu' on luy promit. Le 12. jour de Decembre ensuivant s' estant absenté pour estre accusé d' heresie par ces Cordeliers, Fuerat namque vocatus ad Senatum, & ob ia latebat, & neantmoins estant question de faire la procession generale du Recteur, & sur la difficulté si on la pourroit faire sans chef, elle fut faite dedans le Cloistre des Mathurins. Videbatur enim satis absurdum & monstrosum, ut tot viri absque capite per urbem progrederentur. Je vous ay representé le passage en son naturel pour vous monstrer le zele que l' on apporta lors d' un costé pour la manutention de nostre Eglise, & d' un autre costé la prudence, pour eviter le scandale de l' Université envers le commun peuple. Ces Cordeliers estoient enfans de la Sorbonne, comme sont les quatres ordres des Mendians, qui par leurs estudes ne butent qu' à se faire Docteurs en Theologie. Or estoient nos Docteurs anciennement appellez tantost Docteurs en Theologie, tantost Maistres en divinité. Ainsi le trouverez vous en Froissart tome premier Chap. 211. & au testament fait l' an 1304. par Jeanne Royne de Navarre Comtesse de Champagne & Brie, femme du dit Roy Philippes le Bel. Un poinct seulement desiré je en cette venerable compagnie, c' est que comme hommes ils ne se partializent en brigues, pour contenter l' opinion des grands, ains demeurent tousjours en eux mesmes.