mardi 8 août 2023

9. 3. Opinion commune que Charlemagne a esté fondateur de l' Université de Paris.

Opinion commune que Charlemagne a esté fondateur de l' Université de Paris.

CHAPITRE III.

Chose admirable qui ne doibt estre teuë, ains sceuë, voire cornée à son de trompe, & cry public que nous avons douze ou treize Universitez, en cette France, diversement destinées pour l' enseignement d' unes & autres bonnes lettres, mot anciennement incognu par les Latins, pour cette signification. Et n' y a ville qui porte ce titre là qu' elle ne sçache qui feust le Roy, lequel l' honora premierement de ce nom. Nul ne doubte que Paris n' ait cest honneur d' estre la ville Metropolitaine de la France, & que tout d' une suite elle ne soit la premiere, & plus ancienne de toutes nos Universitez. Toutesfois (ô malheur) nous n' avons dedans nos archifs, aucuns titres, & enseignements dont nous puissions sçavoir qui feut le premier Autheur, & instituteur de cette Université: non seulement nous ne l' avons, mais qui plus est discourant sur son origine, chacun de nous en parle à tastons, l' atribuant, qui à Charlemagne, qui à Louys le Gros, qui à Louys le jeune, son fils, qui à Philippe second, dit Auguste. 

Et parce que la commune opinion va à l' Empereur Charlemagne, & que de croire le contraire, c' est estre heretique en l' Histoire, par plusieurs personnes, je toucheray premierement cette corde, puis diray franchement ce que j' en pense, à la charge d' estre desdit par ceux qui seront de contraire advis: Ce que je ne prendray à cœur, moyennant que je suis combatu par bonnes & vifves raisons.

La commune opinion est, que quatre Escossois disciples du venerable Beda Anglois, estant arrivez en France, publioient par toutes les villes esquelles ils passosent, qu' ils avoient de la doctrine à vendre, & que celuy qui en desiroi d' en acheter vint par devers eux, il raporteroit ce qu' il souhaitoit. Ce dont l' Empereur Charlemagne adverty, apres les avoir halenez leur assigna la ville de Paris pour cest effect, & que deslors l' Université de Paris commença d' estre en vogue. Ces nouveaux vendeurs estoient Alcuinus ou bien Albius, Joannes, Claudius, Pisanus. 

Le premier que je trouve nous avoir servy de cette opinion est Vincent de Beauvais Religieux de l' Ordre des freres Minimes, comme nous aprenons du titre de ses œuvres qui n' estoit point un Personnage de peu de merite, comme nous aprenons des quatre tomes qu' il fit soubs le nom de miroüer. Speculum Historiale, lib. 32. Speculum naturale 33. Speculum doctrinale lib. 13. Speculum morale lib. 3. Estant homme de telle marque, il ne le faut aisément condamner. Je vous raporteray doncques icy tout au long ce que j' emprunte de luy. Au Chap. LXXIV. du XXIV. livre de son miroüer historial nous aprend qu' Albuin avoit esté envoyé en Ambassade d' Angleterre, à nostre Roy Charles, lequel l' ayant trouvé homme de doctrine l' avroit honoré de l' Abbayé de sainct Martin de Tours, qui lors estoit regie par des Religieux seulement, & non secularisée. Puis il adjouste ce qui s' ensuit. In Chronicis Metropolis Arelatensis legitur, Omnipotens verum dispositor ordinatorque regnorum & temporum &c. & peu apres parlant du Roy Charles le grand. Qui cum in occiduis partibus regere solus caepisset & studia litterarum ubique eßent in oblivione, adeoque verae deitatis cultura teperet, contigit duos Scotos monachos de Hibernia cum mercatoribus Britannis, litus Galliae advenire, viros & in sacris & in secularibus scripturis eruditos. Qui quotidie cum nihil ostenderent venale ad convenientes emendi gratia turbas, clamare caeperunt: si quis sapientiae cupidus est veniat ad nos, & accipiat, nam vaenalis est apud nos. Tandiu conclamata sunt ista, donec ab admirantibus, licet insanos putantibus, ad aures Regis Caroli semper amatoris sapientiae sunt prolata; qui celeriter illos ad praesentiam suam evocatos interrogavit si vere scientiam haberent, ut ipse compararet: Sapientiam, inquiunt & habemus & in nomine Domini, eam quaerentibus dare parati sumus. Qui cum quaesisset ab his quid pro ipsa peterent, responderunt. Loca tantum opportuna & animas ingeniosas, & sine quibus ista peregrinatio transiri non potest alimenta, & quibus tegamur. Quo ille accepto ingenti gaudto repletus, primum quidem apud se parvo tempore tenuit. Postea vero cum ad expeditiones bellicas urgeretur, unum eorum, nomine Clementem, in Gallia Parisius scilicet residere fecit, cui & pueros nobilißimos, mediocres & infimos satis multos commendavit. Et eis prout necessarium habuerunt victualia ministrari praecepit habitaculis opportunis ad metandum deputatis, alterum vero in Italiam direxit. Cum & Monasterium S. Aug. juxta Tirenensem urbem delegavit, ut illic si voluissent ad discendum congregari possent. Audito autem Albinus de natione Anglorum, qui graviter sapientes, ac Religiosos viros susciperet Carolus, conscensa navi venit ad eum, cum socijs in omnibus scripturis exercitatus. Utpote doctißimi Bedae discipulus. Quem Rex usque ad finem Regni iugiter secum retinuit, nisi cum ad ingruentia bella processit. Deditque & illi Abbatiam sancti Martini, ut quando ipse absens esset illic resideret, & ad se confluentes doceret. Cuius intantum doctrina fructificavit, ut Franci antiquis Romanis, & Atheniensibus aequiparentur. 

En tout ce que dessus il n' est fait nulle mention expresse de l' Université, & neantmoins sans la nommer il est aisé de penser qu' il entendoit en parler. Comme de fait Nicole Gilles en ses Annales de France a presque traduit de luy mot à mot tout le passage en la vie de Charlemagne. En ce temps (dit-il) vindrent d' Irlande en France deux Moines, qui estoient d' Escosse, moult grands Clercs, & de saincte vie, lesquels par les citez & pays preschoient & crioient, qu' ils avoient science à vandre, & qui en voudroit achapter, vint à eux. Ce qui vint à la cognoissance de l' Empereur Charlemagne, qui les feit venir devers luy, & leur demanda s' il estoit vray, & qu' ils eussent science à vendre, lesquels respondirent que voirement ils l' avoient, par don de graces de Dieu. Et qu' ils estoient venus en France pour la prescher, & enseigner à qui la voudroit apprendre. L' Empereur leur demanda quel loyer ils voudroient avoir pour la monstrer. Et ils respondirent qu' ils ne vouloient fors lieux convenables à ce faire, & la substance de leurs corps tant seulement, & qu' on leur administrast gens & enfans ingenieux pour la recevoir. Quand l' Empereur les eut oüis, il fut bien joyeux, & les tint avecques luy, jusques à ce qu' il luy convint aller en guerre. Et lors commanda à l' un d' eux nommé Clement, qu' il demeurast à Paris, & luy feit bailler des enfans de gens de tous estats, les plus ingenieux qu' on sçeut trouver, & feit faire lieux & Escoles convenables pour apprendre, & commanda qu' on leur administrast ce qu' il leur seroit besoing, & leur donna de grands privileges, franchises, & libertez, & de là vint la premiere institution du corps de l' Université de Paris. L' autre fut par luy envoyé, & luy donna une Abbaïe de S. Augustin, pres la cité de Pavie. Lors y avoit en Angleterre un moult grand Clerc, Philosophe & Theologien nommé Alcuin, lequel estoit Anglois de nation, & avoit esté disciple du venerable Bede, & estoit remply de toutes sciences, tant en Grec, que Latin. Quand il sceut que l' Empereur Charlemagne recueilloit les sages hommes & grands Clercs, qui avoient pouvoir de monstrer, & enseigner sciences, il passa en France, & vint devers le dit Empereur, qui le reçeut honorablement, & le retint avecques luy tant qu' il vesquit, & l' appelloit son Maistre. Toutesfois quand il alloit en guerre, il le laissoit, & ne le menoit pas avecques luy, & ordonna qu' il demeurast en l' Abbaïe Sainct Martin de Tours. Et par le moyen des dicts Maistres fut multipliee science à Paris, & en France. Et parce à la requeste du dit Alcuinus, translata (comme dit est) le dit Charlemagne, l' Université qui estoit à Rome, & laquelle paravant y avoit esté transferee d' Athenes, & la feit tenir à Paris: & furent fondateurs de la dite Estude & Université quatre grands Clercs, qui avoient esté disciples de Bede: C' est à sçavoir le dit Alcuinus, Rabanus, Claudius, & Joannes. Tellement que la vraye source y a tousjours depuis esté. Vous voyez que tout ce passage a esté nommément extraict de celuy de Vincent de Beauvais, horsmis quelques particularitez: mais bien courtes. Et voicy que Robert Gaguin Religieux de l' Ordre de la Sainte Trinité, Ministre des Mathurins de Paris en dict en sa Chronique Françoise. 

Carolo, cum specie corporis valetudo, & robur, ingenium insuper excellens, gravitas atque incessus, dignitati Regiae non discors, liberalibus disciplinis animum excoluit, praeceptore primum, Petro Pisano, deinde Alcuino Anglo, viro apprime divinis, humanisque artibus erudito, quem Glossae in Bibliam (quam Ordinariam vocant) Authorem Anthonius Florentinus prodit. Quamvis enim Alcuinus à Regibus Anglis ad Carolum missus esset Orator, solius tamen Gallici benignitate delectatus apud Carolum mansit. Quo Authore Parisiensis Schola (quam universitatem vocant) hac occasione coepit. Delati nave ex Scotia, Claudius & Ioannes, Rabanus quoque, & Alcuinus ex Venerabilis Bedae discipulis, in Gallias cum venissent, nec quicquam praeter bonas disciplinas patria exportassent, se sapientiam profiteri, eamque vaenalem conclamant. Qua re ad Carolum perlata, illos ad se vocat, vocati libere profitentur; sapientiam illis esse: quam adipisci cupientes gratis edocerent, si vita, locusque tantum eis praeberetur. Intellexit Imperator ingenuam hominum mentem, eosque cum aliquot dies apud se tenuisset, Claudium, cui nomen erat Clemens Parisijs conversari, & generosos adolescentes bonis disciplinis instituere iubet. Ioannem vero Papiam misit. Hoc initium habuit Parisiensis schola, celebre mox Philosophiae, atque Theologiae Gymnasium, unde prodiere insigni doctrina atque eruditione viri, qui non secus atque illuminatißimae faces, mirum Christianae Religioni fulgorem effuderunt. Ita ut non abs re, bonorum studiorum parens (non quidem annis, sed liberalibus, religiosisque disciplinis) antiqua, à plerisque nominetur.

A la suite dequoy je voy les aucuns avoir suivy cette opinion à laquelle Baptista Aegnatius adhere es vies des Empereurs. Et apres luy beaucoup plus amplement Bernard de Girard Seigneur du Bertas donna plus d' air que ses devanciers au quatriesme livre de nostre Histoire de France. 

Et de cette mesme est Nicolas Veigner en son Sommaire de l' Histoire de France. Et encore quelques annees apres au second Tome de sa Bibliotheque Historiale. Papirius Maçonius sans particulariser cette Histoire, attribuë en son general cette institution à Charlemagne. Et François de Belle-Forest en ses grandes Annales de France, vie de Charles le Grand chapitre septiesme sur la fin. Et depuis quelques annees en ça, frere Jacques du Brueil Religieux de Sainct Germain des Prez, en son Theatre des Antiquitez de Paris. Chacun desquels il faut diversement honorer, en ce que ils nous ont par leur diligence laissé par escrit. Le commun dire de Pline le grand nous est assez familier, par lequel il se vantoit ne lire livre, dont il ne rapportast profit. A plus forte raison devons nous dire le semblable de tous ceux-cy dont nous devons estimer les œuvres de recommandation.