samedi 12 août 2023

9. 36. Des defenses faites par le Pape Honoré troisiesme, d' enseigner le droit des Romains en l' Université de Paris.

Des defenses faites par le Pape Honoré troisiesme, d' enseigner le droit des Romains en l' Université de Paris.

CHAPITRE XXXVI.

Le siecle de l' an 1100. jusques en l' an 1200. apporta quatre nouveaux menages d' estudes, en la Theologie scolastique, Decret, Medecine des Grecs, & droict Civil des Romains. J' y en adjousteray un cinquiesme qui concernoit les langues & les Arts, non veritablement nouveau, sinon en un cas, parce qu' au lieu qu' auparavant ceux qui pensoient avoir quelque asseurance de leurs capacitez, se presentoient aux Eglises Cathedrales pour y faire quelques leçons sans autre solemnité, de là en avant premier que d' y estre receuz, il falloit qu' ils fussent passez Maistres és Arts, tesmoignage de leurs suffisances. Or de ces cinq, les deux premieres esquelles il s' agissoit de l' edification de nos ames, furent receuës sans aucun destourbier, & pareillement la derniere, comme estant un passe par tout, & acheminement à toutes les autres.

Mais quant aux deux autres, concernans la Medecine des Grecs, & les loix de Rome, on y voulut apporter quelque bride. Dautant que par un Concil general tenu l' an 1163. en la ville de Tours, où le Pape Alexandre troisiesme presida, il fut nommément defendu aux Religieux profez d' y estudier. Et depuis Honoré troisiesme renviant sur ces defenses & passant plus outre, voulut qu' elles s' estendissent, adversus Archidiaconos, decanos, plebanos, praepositos, cantores, & alios clericos personatus habentes, necnon presbyteros (c' estoient ceux qui avoient charges d' ames que nous appellons Curez) Defenses faites à eux tous, d' autant que leur estude devoit estre en ce qui regardoit l' edification de nos ames, non de nos corps ny de nos biens. Ces inhibitions & defenses estoient faites non seulement pour le particulier de la France, ains de toute la Chrestienté és lieux où on enseignoit les bonnes lettres. Honoré depuis voulut passer outre, & fit particulieres defenses à l' Université de Paris d' enseigner le droict Civil des Romains. Chose que ne peurent bonnement gouster les nostres. Car le Docte Canoniste Rebuffy, estimant qu' il y eust quelques cas à redire en ces inhibitions, mais ne l' ozant à cœur ouvert descouvrir, fait gloire & se vante d' y avoir trouvé un nouvel intellect, & qu' elles avoient esté seulement faites contre les personnes Ecclesiastiques. Mais nostre grand Jurisconsulte François du Moulin, par une liberté qui estoit née avecques luy, pour la protection des droits de nostre Couronne, soustient de pied ferme en une apostille par luy faite sur la Decretale d' Honoré, qu' il n' estoit en sa puissance de ce faire. Car apres avoir en un mot allegué l' opinion de Rebuffy. Ego vero (fait-il) dico, quod Papa non habuit potestatem prohibendi in regno Franciae sive Laicis sive Clericis. Quia regnum Franciae nullo modo dependet à Papa. 

Il vouloit dire qu' en ce qui ne despendoit de nostre foy & Religion, ains appartenoit à la Police seculiere de nostre Estat, le Pape ne pouvoit rien ordonner que sous le bon plaisir de nos Roys. Qui est une proposition non jamais revoquée en doubte par les nostres. Vray que depuis quelques années en ça nous avons receu je ne sçay quels hostes chez nous qui n' y veulent acquiescer.

Laissons je vous prie, ces perplexitez de grandeur, tant des Papes, que de nos Roys, & recognoissons au moins mal qu' il nous sera possible, ce qui est de l' ancienneté de cette histoire. La maxime que je voy avoir regné en ce temps là dedans Rome, estoit qu' ils estimoient le fait de la plume, & par consequent des estudes, despendre du Pape, privativement de tous autres (permettez moy d' user d' un mot de pratique, voulant parler de la loy) & que ce qui concernoit l' espée appartenoit aux Roys & Princes seculiers. Proposition qu' ils croyoient devoir estre de plus grand merite & effect dedans cette France, en laquelle ceux qui faisoient profession des armes estoient ordinairement appellez pour chose dont nos Roys ne leur passerent jamais condamnation absoluë, ains estimerent qu' ils devoient contribuer avecques eux à cette belle devotion. Honoré troisiesme succeda immediatement à Innocent troisiesme, lequel entre tous les Papes avoit enseigné à ses successeurs d' empieter par une douce sagesse sur la puissance seculiere, tout ce qu' on pouvoit souhaiter de grandeur dans Rome. Car à vray dire ce fut l' unique en ce subject, & ne voy aucun Pape, ny devant, ny depuis luy, qui soit arrivé à son parangon. Honoré ayant ce miroüer devant ses yeux, estima pouvoir faire un coup de superiorité sur la France sans l' offenser. Qui estoit de prohiber à l' Université de Paris la lecture du droict Romain. Vous en entendrez cy apres la raison. Mettons doncques sur le tapis quelles furent ces prohibitions, & de quel artifice tissuës.

Sane (porte le texte) licet sancta Ecclesia legum secularium non respuat famulatum, quae aequitatis & iustitiae vestigia sequuntur. Quia tamen in Francia & nonnullis provincijs, Franci Romanorum imperatorum legibus non utuntur, occurrunt raro Ecclesiasticae caussae tales quae non poßint statutis canonicis expediri, ut plenius sacrae paginae insistatur &c. firmiter interdicimus, & districtius inhibemus, ne Parisius vel in civitatibus, & alijs locis vicinis quisquam docere, vel audire ius civile praesumat. Et qui contra fecerit, non solum ad caussarum patrocinium excludatur, verum etiam per episcopum excommunicationis vinculo innodetur.

Dechifrez cette Decretale de telle façon qu' il vous plaira, vous y trouverez un tel entrelas de paroles, que serez bien empesché de juger sur quel pied furent faites ces defenses. Parce que si vous jettez l' œil sur le commencement du Chapitre, il semble qu' il ait esté seulement conceu en consideration des causes qui concernoient la Cour d' Eglise. Autrement les quatre ou cinq premieres lignes seroient frustratoires. 

Et toutesfois s' il n' y avoit que cette seule consideration, en vain furent faites ces defenses à cette Université, veu que la lecture de ce droit pouvoit servir pour la vuidange d' autres causes, en faveur desquelles il devoit estre enseigné. Ambiguité ainsi artistement couchée pour laisser le Lecteur en doubte, & par mesme moyen n' apporter jalouzie à nos Roys, que le Pape Honoré voulust rien enjamber sur eux. Adjoustez qu' il defendoit ce qui n' estoit encores permis en France par l' authorité publique du Magistrat souverain. De maniere que c' estoit denfendre une chose de soy chez nous defenduë, n' ayant adoncques le droit Civil des Romains rien de commun avecques le droict commun de nostre France. Apres vous avoir representé ce que dessus pour fondement de ce mien discours, je veux passer outre, & vous dire que les defenses particulieres qui furent faites à l' Université de Paris se devoient estendre par tout le Royaume. Vous trouverez cette opinion paradoxe, toutesfois je la pense vraye. Pourquoy luy furent elles faites? par ce que ny elle ny les villes circonvoisines n' estoient subjettes au droict des Romains, ny ne le recognoissoient. Cette raison militoit par tout le Royaume. Partant les defenses ne devoient estre limitées. Je sçay bien que par cette Decretale, Honoré estimoit que la plus grande partie de la France vivoit sous le droict des Empereurs de Rome. En quoy il estoit tres-mal informé des affaires de nostre Royaume, & consequemment excusable. Nostre France est distincte & remarquée par deux manieres de pays, l' un que nous appellons Coustumier, l' autre de droict escrit. Quant au Coustumier je ne fais aucune doubte, qu' Honoré ne vouloit que le droict Romain n' y fust enseigné, comme ayant chaque Province sa coustume par laquelle elle estoit reglée. Mais au regard du pays de droict escrit, ce seul mot le pouvoit tenir en suspens. Toutesfois ceux qui habitoient en ce pays là usoient, non du droit compilé par le commandement de Justinian, ains de celuy de l' Empereur Theodose le jeune, qui avoit esté intitulé le Code Theodosian reformé par les Visigots, lequel par une ancienneté de cinq, & six cens ans s' estoit sous l' authorité de nos Roys tourné en coustume, dés & depuis qu' ils s' emparerent du Languedoc, & autres pays limitrophes. Par ainsi en concurrence de raison il falloit establir concurrence d' inhibitions, ou bien dire que les inhibitions portées par cette Decretale impliquoient en soy une contrarieté palpable de defendre à la ville de Paris & autres villes plus proches, la lecture du droict des Romains, par ce qu' elles n' y estoient subjectes, & neantmoins la permettre aux autres villes esloignées, ores qu' elles n' y fussent non plus subjectes. Qui seroit une absurdité, que nous ne devons aucunement croire.

Ceux qui pensent estre plus advisez sur le fait de cette ancienneté, disent que ces defenses furent faites expressement a l' Université de Paris, affin qu' elle qui lors estoit en grande vogue, ne s' advantageast au desavantage des Universitez de loix. Qui est une vraye asnerie. Car il est certain qu' il n' y avoit en ce temps là aucune Université de loix par la France: s' il y en avoit ce devoit estre au pays de droict escrit, & en iceluy dedans Toulouze ville Metropolitaine, laquelle de toute ancienneté avoit fait profession des bonnes lettres, comme nous apprenons de Martial, quand au neufiesme livre de ses Epigrammes, il dit.

Marcus, Palladiae non inficianda Tolosae 

Gloria.

Epithete qui luy fut de rechef baillé par nostre Poëte Ausone celebrant la memoire de Aemilius Magnus Arborius son Oncle.

Te sibi Palladiae antetulit toga docta Tolosae.

Et en un autre endroit voulant dire qu' il avoit fait ses premieres Escoles en la ville de Toulouse.

Non unquam altricem nostri reticebo Tolosam,

Innumeris cultam populis.

Qui monstre qu' il y avoit tousjours eu une continuation d' estudes publicques. Neantmoins ne faut faire aucune doubte que sous la Papauté d' Honoré troisiesme, non seulement l' Université de loix n' y estoit plantée, mais en plus forts termes qu' elle ne portoit le nom d' Université, ores qu' il y eust exercice d' estudes, ainsi que je vous verifieray par une demonstration oculaire. Le Pape Honoré troisiesme mourut l' an mil deux cens vint sept, & eut pour successeur Gregoire grand homme d' Estat, lequel trois ans apres son advenement annulla toutes les censures portées par le Concil General de Latran sous Innocent III. contre Raimond IV. du nom Comte de Toulouse, & le restabiit en ses dignitez, honneur & biens. Apres que ce Prince en presence de deux Cardinaux, & de tout le peuple, eut en pleine Eglise, la veille de Pasques, en chemise abjuré l' heresie Albigeoise, dont il avoit esté tout le temps de sa vie infecté, la capitulation qui fut lors faite, portoit plusieurs articles, entre lesquels estoit cettuy, comme nous apprenons de l' histoire Latine du Comte Simon de Montfort. Item quatuor millia marcharum deputabuntur pro decem annis ab ipso Comite, quatuor Magistris Theologicis, duobus Decretistis, sex Magistris artium liberalium, & duobus Grammaticis legentibus Tolosae, quae dividentur hoc modo. Singuli Magistri Theologiae habebunt singulis annis quinquaginta marchas usque ad decennium. Similiter annuatim uterque Decretista habebit triginta marchas, singuli Magistri artium viginti marchas, uterque Magistrorum Grammaticae habebit similiter decem marchas. Recueillez par parcelles toutes les sommes mentionnees par cest article, & les abutez avecques les dix ans, vous trouverez les quatre mille marcs assignez pour ceux qui lisoient en la Theologie, Decret, Philosophie (autrement appellee des Arts) & la Grammaire. Nulle mention que la Faculté de Loix y fust enseignée, non plus que la Medecine. Qui me fait tenir pour proposition infaillible, qu' il n' y avoit du temps du Pape Honoré troisiesme aucune Université de Loix en Toulouse. Et à tant que les deffenses portees par sa Decretale, n' estoient faites en faveur des Universitez de Loix, que lors on ne cognoissoit: ains s' estendoient ces deffenses generalement sur toute la France; au pays coustumier sans doubte, par les raisons contenuës dans le Chapitre, & le semblable à plus forte raison au pays auquel on tenoit le droict escrit pour coustume, veu qu' en la ville Metropolitaine la Faculté des Loix n' estoit mise au rang des autres. Voyons doncques quand & comment ces Universitez de Loix furent chez nous establies.