dimanche 13 août 2023

9. 41. Par quelles personnes estoit anciennement la Justice renduë en la France,

Par quelles personnes estoit anciennement la Justice renduë en la France, & de quelques ineptes chicaneries que nous avons depuis tirees du Droict des Romains.

CHAPITRE XLI.

Les François ayans de cette façon gaigné pied à pied la souveraineté de la Gaule, qui a esté du depuis appellee la France; comme toute Republique prend son commencement par les armes & fin par l' escritoire; aussi n' eurent ils soubs la premiere, seconde, & bien avant soubs la troisiesme lignee de nos Roys, autres Juges & Magistrats que militaires. Voire que la plus part de leurs causes criminelles se vuidoient, non par la pointe de leurs plumes; ains de leurs espees: Sous la premiere ils mesloient avecques les Coustumes des Provinces, ce qui estoit de leur Loy Salique, establie du consentement de tout le peuple, par quatre grands personnages, Wisogat (: Wisogast), Theodogast, Salogast, & Windogast; avant qu' ils fussent arrivez és Gaules. Sous la seconde ils y adjousterent les Capitulaires du Roy Charlemagne, & de ses enfans: Et sous la troisiesme quelques Ordonnances de nostre bon Roy Sainct Louys & autres Rois. Leurs Juges ordinaires estoient appellez du nom de Comtes, faisans profession des armes: & comme leur dignité se fust renduë par succession de temps feodale, on subrogea en leurs places, Vicomtes, Prevosts, & Viguiers; gens pareillement de l' espee, comme de fait vous en avez encore quelque remarque és Vicomtez que l' on a infeodees tout ainsi que les Comtez; & neantmoins en tout le pays de Normandie les Vicomtes sont les mesmes qu' ailleurs les Prevosts & Viguiers. Et sous la troisiesme lignee furent introduits les Baillifs és pays coustumiers, & Seneschaux és pays de Droict escrit, personnages qui faisoient pareillement estat des armes. Et comme ainsi fut que pendant leurs absences ils peussent commettre gens pour tenir leurs sieges (que depuis nous avons nommez Lieutenans) il leur fut par expres defendu de choisir gens de robbe longue. Qui nous enseigne que lors on jugeoit les causes par les Ordonnances Royaux, & coustumes. Ordre depuis grandement par nous changé. Car depuis que le Droict de Justinian s' est habitué chez nous, sur lequel nous avons basty Escoles de Loix, nous avons laissé aux Baillifs, & Seneschaux les armes, pour la conduite du ban, & arriereban, quand la necessité des guerres le requeroit, & à leurs Lieutenans, qui sont tous gens de robbe longue, la plume. Lesquels outre les Ordonnances Royaux & coustumes, y adjousterent en tiers pied le Droict ancien des Romains. Auquel nous avons plusieurs grandes obligations, pour avoir emprunté de luy plusieurs belles propositions politiques, sur lesquelles toutesfois nous avons enté par mal-heur, une infinité de chiquaneries. A l' extirpation desquelles Messire Michel de l' Hospital Chancelier, meit toute son estude (mais en vain) par les Edits d' Orleans de l' an 1361. de Roussillon 63. & de Moulins 65. & de fraische memoire Messire Nicolas Brulart l' un de ses successeurs (que je nomme avec tout preface d' honneur) par l' edict de l' an 1606. contre les renonciations au Velleian & Auth. Si qua mulier. Chiquanerie qui estoit un seminaire de proces par la France, dont je veux maintenant discourir, ensemble des renonciations aux benefices de division, & ordre de discussion. Tout ainsi que les choses loüables ont leurs histoires dignes de recommandation, aussi les mauvaises ont les leur, en la commemoration desquelles chacun peut faire son profit pour les fuir. Et neantmoins si quelqu'un pour avoir l' œil ou l' aureille trop delicats, trouve ce discours de mauvaise grace, ou d' un alloy qui ne luy plaise, je le veux contenter d' une autre monnoye de ma marque, que j' ay quelquesfois debitée ailleurs.

Quelque fascheux peut estre & mal apris

Se mocquera du subject que j' ay pris, 

Si je me suis dispensé de l' escrire,

Chacun estant maistre de son bon temps,

Affin de rendre & luy & moy contens,

Il se pourra dispenser de le lire.

Je commenceray par le Velleian pour en apres venir aux autres. Pour subvenir à l' infirmité du sexe feminin, il fut defendu dedans Rome par le Senatus-consult Velleian de s' obliger pour autruy sur peine de nullité. 

A cette regle generale on apporta cette exception, que la femme pouvoit en plein jugement és mains du Juge y renoncer, apres luy avoir remonstré par le menu quel estoit son Privilege. Que si nonobstant ces remonstrances, elle declaroit avoir le contract pour agreable, adoncques il ne luy estoit de là en avant loisible de s' en repentir, ny par consequent de s' aider du benefice du Velleian. Or comme toutes choses religieusement introduites se tournent à la longue souventesfois en un abus, aussi advint il le semblable à cette cy. Car au lieu de la presence du Juge, on se contenta que cette renonciation fust faite devant un Notaire ou Tabellion qui recevoit le contract. Et le plus ancien de nos Docteurs de Droict qui nous enseigna cette leçon, & des autres renonciations, dont je discourray cy apres, fut Guillaume Durant Provencal (Provençal), Autheur du Specule, vulgairement appellé par les anciens le pere de pratique. Quatuor sunt beneficia (dit-il) quibus praecipue solet in instrumento renunciare constitutioni Divi Adriani, novae constitutionis de fideiussoribus, novae constitutionis de duobus Reis debendi, & Senatusconsulti Velleiani. Et adjouste que si les contractans ne sçavent quelle est la nature de ces renonciations, & n' en ayent esté certiorez par le Notaire, la renonciation demeure nulle & sans effect. Dautant que nul n' est estimé renoncer à un droict qu' il ignoroit luy apartenir. Et ideo (adjouste-il) discreti Tabelliones ponunt hanc clausulam in instrumentis. Et renunciaverunt tali iuri quod est tale, super hoc à nobis certiorati. Et tunc tenet renunciatio. Conseil qui depuis fut suivy, non seulement au pays de Droict escrit, ains par toute cette France. Il ne parle point de l' Auth. S qua mulier laquelle prohibe aux femmes mariées de s' obliger pour leurs maris, ny de la renonciation qui leur à depuis convenu de faire, tout ainsi qu' au Velleian. Qui me fait croire que du temps de Durant cette loy n' estoit encores venuë en usage dedans nostre France.

Quant à moy j' eusse souhaité, ou que du tout le Velleian n' y eust esté introduit, ou que c' eust esté en son tout, sans rien changer des premieres & originaires procedures, qui estoient, comme j' ay dit, d' approuver en plain tribunal l' aplegement par elle fait, nonobstant le donner à entendre du Juge du Privilege à elle octroyé. Car on sçait quelques choses se trouver bonnes devant la face du Magistrat, qui autrement seroient sans excuse. Et d' improuver la fidejussion faite par la femme sans renonciation au Velleian, ou de l' approuver par le moyen d' une renonciation faite par elle tumultuairement, & à la vanuole pardevant un Tabellion ou Notaire, il n' y a pas moins de faute en l' un qu' en l' autre. Renonçant lors de pareille facilité, comme si elle se fust obligée sans y renoncer. La presence & remonstrance du Magistrat, la pouvoit aucunement plus tenir en bride contre son premier mouvement. Et neantmoins ce dernier formulaire de renonciation avoit esté embrassé avec une si estroite superstition, voire par les Cours souveraines que si le Notaire eust non seulement oublié d' apposer au contract cette renonciation, mais quand bien il l' eust apposée, & n' eust tout d' une suite adjousté ces mots. Qui luy a esté donné à entendre estre tel, que la femme ne se pouvoit obliger pour autruy si elle n' y renonçoit le contract estoit cassé, & encores en plus forts termes quand dedans la minute on eust mis ces mots. Qui luy a esté declaree estre telle &c. 

Et qu' en apres le Notaire eust estendu son & cetera sur la glosse en la deliurant aux parties: toutesfois les Juges ne prenoient cela en payement, ains cassoient l' obligation faicte par la femme. Chose qui coustoit infiniment à la simplicité de ceux, qui par les appas des plus fines femmes s' estoient laissé circonvenir és contracts par eux passez. C' est pourquoy le feu Roy Henry le grand sur l' advis de Messire Nicolas Brulart son Chancelier, par son Edit du mois d' Aoust 1606. ordonna que d' ores en avant les Notaires & Tabellions de son Royaume generalement quelconques, ne pourroient en breuets, contracts, obligations, & autres actes passez devant eux, inserer les renonciations ausdits Droicts du SC. Velleian, & Auth. Si qua mulier, ny en faire mention à peine de suspension de leurs charges, d' amendes arbitraires, dommages & interests, demeureroient toutesfois les dites femmes bien & deüement obligées sans les dites renonciations. Et pour coupper racine aux proces nez, & à naistre, tant en ses Cours de Parlement qu' autres jurisdictions, sur les choses & matieres susdites, il valide & authorize tous les contracts passez par les femmes, soit pour & avecques leurs maris, authorizées deux, ou autrement en quelque maniere & façon que ce fust, bien que les dits Droicts n' eussent esté exprimez & estendus au long, ou que la renonciation d' iceux eust esté entierement obmise. Pour estre tous les dits contracts de tel effect, force & vertu, comme si toutes ces formes y eussent esté bien gardees & observées, sans toutesfois prejudicier aux Arrests cy devant intervenus en telles matieres, qu' il entendoit & vouloit demeurer en leur force & vertu.

Edit receu avecques un si favorable accueil par la Cour de Parlement, qu' il fut aussi tost verifié, qu' apporté, ce requerant le Procureur general, & tout d' une main par la verification ordonné coppies collationnées estre envoyées aux Balliages, & Seneschaucees, pour à la diligence des Substituts du Procureur general du Roy estre leuës, publiées, enregistrées, & observees. Fait le vingt-deuxiesme de May 1607.

Je vous ay tout au long estalé ce qui concernoit en cette France le SC. Velleian, & Auth. Si qua mulier. Il me plaist vous discourir maintenant l' autre abus qui court entre nous, fondé sur une ignorance oculaire en matiere de contracts du Droict primitif des Romains, lors que deux personnes s' estoient obligées seules, & pour le tout, cette clause permettoit au creancier d' agir contre le premier des deux qu' il vouloit choisir. Fut il jamais loy plus juste que celle là? toutesfois l' Empereur Justinian la supprima là, & au cas que les deux codebiteurs fussent presens, & se trouvassent solvables, ains voulut qu' en ces deux cas, le  creancier fust tenu de poursuivre chaque debiteur pour sa quote part & portion seulement. Fut il jamais Loy plus injuste, & où il y eust plus du Tribonian qu' en celle là, que contre les paroles expresses de nos conventions, il me faille pour estre payé espouser autant de proces? que de debiteurs, en l' examen de leurs biens & Faculté. Ils eurent encores une maxime courante en leur pratique. Qu' il estoit au choix & option du creancier de s' attaquer indifferemment ou à la caution, ou au principal debiteurs. Comme si le contract impliquoit en soy une obligation du seul & pour le tout sans l' avoir exprimé. Toutesfois le mesme Justinian, par autre ordonnance voulut que l' un & l' autre estant present il falloit que le crediteur discutast au prealabe le principal debiteur, & subordinement la caution, le debiteur se trouvant non solvable. Car pourquoy ne me sera il permis d' user des termes de pratique puisque par les presens discours j' ay promis de me faire praticien? Et en cette seconde ordonnance il y avoit quelque naturelle equité qui ne se trouve en la premiere.

Voyez je vous prie en quel desarroy nous ont mises ces deux constitutions. Le Gentil-homme, le Marchand, le Laboureur, l' Artizan François, qui ne feurent jamais nourris, ny en l' ancienneté, ny en la nouveauté du Droict des Romains, estiment pour bien obligez, leurs debiteurs ou leur debiteur avec sa caution qu' eux tous s' obligeans seuls & pour le tout, cette clause soit suffisante pour se pouvoir heurter contre celuy dentr'eux qu' il leur plaist choisir. Toutesfois si vous n' y adjoustez un Renonçant au benefice de division, & ordre de discussion, vostre obligation solidaire demeure illusoire & sans effect. Ainsi l' ay-je veu observer par plusieurs jugemens, dont toutesfois je ne voy aucun fondement qu' une ignorance lourde, supine, & prepostere. Parole dont je ne demanderay pardons encores que paravanture elle soit merveilleusement hardie. Si cette clause y est neccessaire, il faut que nous y soyons abstraints, ou par nos Ordonnances Royaux, ou par nos coustumes locales, ou bien que nous soyons subjects au Droict des Romains. Nous n' avons ny Ordonnance, ny coustume pour cest effect. Il faut doncques que ce soit en contemplation du troisiesme point. Or est-ce une maxime tres-certaine que ne suivons le Droict des Romains, sinon de tant & en tant qu' il se conforme à une raison generale & naturelle. Ce que les Docteurs Italiens mesmes recognoissent par leurs escrits. Et quand ils ne le recognoistroient, c' est une leçon qui est cognuë de toute ancienneté par tout le monde. Au cas qui s' offre la constitution de Justinian non seulement ne simbolise au sens naturel de la Loy commune de tous, mais y deroge entierement. Plus belle & sortable proposition n' y a il pour la conservation de ce grand Univers, que l' entretenement des promesses qui sont faites sans dol, sans fraude, sans contrainte entre personnes majeurs de vingt & cinq ans dont les Romains faisoient bannieres publiques, comme estans fondamentales de leurs Loix. Pacta conventa servabo (disoit le Preteur) quae neque dolo malo, neque metu, neque contra bonos mores inita erunt. Et ailleurs le Jurisconsulte Ulpian disoit. Contractus accipere legem à conventionibus. Les contracts prennent leur Loy des marchez faits entre les parties contractantes. C' est une Loy naturelle entre tous les peuples: & une petite Justiniane fondée sur un, Sic volo, sic iubeo, sit pro ratione voluntas, l' effacera au prejudice non seulement des subjects de l' Empire, ains de nous qui ne le recognoissons qu' à petits semblans. Justiniane dirois-je volontiers forgée par un Tribonian, grand personnage veritablement, mais aussi grandement corrumpu, qui vendoit souventesfois (si nous en croyons Suidas) les ordonnances de son Maistre au plus offrant & dernier encherisseur. Avioustez (Adjoustez) (car je ne me puis estancher en querelle si juste comme est celle que je soustiens) qu' aprouvans cette renonciation, pour le moins faut il qu' elle soit entendue par ceux qui la font. Car nul n' est estimé renoncer à un sien droict si en y renonçant il n' a cognoissance de ce qu' il fait. Le tout en la mesme forme & maniere qu' on desiroit au Velleian avant l' edit de l' an 1606. Ainsi estoit telle la leçon de Durant qui premier introduisit cette chiquanerie en nostre France. Ce neantmoins, ny le creancier, ny les debiteurs, non pas mesmes le (les) Notaires ne sçavent que veulent dire ces mots. Renonçans au benefice de division & ordre de discußion. Menagez doncques cette chiquanerie de telle façon qu' il vous plaira, vous trouverez qu' elle n' a autre garend que l' ignorance, que les anciens ont estimé estre la mere d' injustice. Et estime qu' une Cour de Parlement sans nouvel Edit, peut par ses Arrests corriger cest abus. Et en tout evenement & à tout rompre un nouvel Edit pour cest effect ne sera de moindre devotion receu que celuy du Velleian, & Auth. Si qua mulier.

Avecques les deux defaux par moy cy dessus touchez j' y en adjousterois volontiers un troisiesme, qui est l' heritier par benefice d' inventaire, dont nous faisons une banque de tromperie, pour frustrer les creanciers hereditaires de ce qui leur est bien & loyaument deu sous le masque d' un inventaire tel quel, & d' une caution baillée. Ce fut un nouveau Droict introduit par Justinian pour bonne cause, comme je pense, & paravanture pour meilleure doibt il estre banny de la France, que tous heritiers soyent purs & simples, & qu' à cette fin leur soit prefix un bon & competant delay pour s' informer des biens & moyens du defunt avant que de s' y engager, & ce pendant pour obvier aux fraudes & substractions, qu' inventaire soit fait par authorité de justice. Vous me direz que par ce moyen je ferme aucunement la porte aux successions. Quoy faisant c' est grandement offensé la memoire des nostres qui sont allez de vie à trespas. Et je vous responds que je ne trouve aucune difference entre n' avoir point d' heritiers, ou d' en avoir qui sous faux pretexte de justice rendent la succession illusoire & insolvable.

Et certes quand je voy nos bons vieux Peres avoir du commencement doubté d' ouvrir la porte au Droict de Rome, pour une reverence naturelle & legitime qu' ils portoient à leur Roy, craignans que cette ouverture ne nous assubjectist sous une puissance aubaine, s' il m' estoit en cecy loisible d' interposer mon jugement contre une venerable ancienneté, je dirois volontiers, qu' ils s' abuzoient. Par ce que sous l' authorité de nos Roys, on pouvoit emprunter du Droict Romain ce qui estoit bon, & resseper le mauvais. Mais il y avoit une autre crainte beaucoup plus considerable qui les devoit plus induire à cette opinion. Qui estoit qu' il y avoit danger que sur ce Droict on entast la chicanerie & multiplicité de proces, ainsi que nous avons; maladie vrayement incurable, quelque remede que nos Roys vueillent apporter pour la guerir.