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mardi 23 mai 2023

2.2. Du Parlement Ambulatoire, & premiere introduction d' iceluy.

Du Parlement Ambulatoire, & premiere introduction d' iceluy. 

CHAPITRE II. 

Tous ceux qui ont voulu fonder la liberté d' une Republique bien ordonnee, ont estimé que c' estoit lors que l' opinion du souverain Magistrat estoit attrempée par les remonstrances de plusieurs personnes d' honneur, estans constituees en estat pour cest effect: & quand en contreschange, ces plusieurs estoient controullez par la presence, commandement & Majesté de leur Prince. Et vrayement qui voudra sainement discovrir sur le fait de nostre Monarchie, il semble que cest ordre ait esté quelquesfois tres-estroittement observé entre nous par le moyen du Parlement. Qui est la cause pour laquelle quelques estrangers discourans dessus nostre Republique, ont estimé que de ceste commune police, qui estoit comme moitoyenne entre le Roy & le peuple, dependoit toute la grandeur de la France. 

Les premiers qui meirent ceste noble invention sur les rangs, le feirent pour captiver par ce moyen le cœur & devotion des subjects: car nos anciens Maires du Palais, voulans unir en leurs personnes toute l' authorité du Royaume, & usans de nos Roys par forme de masque: pour ne se mettre en haine des grands Seigneurs & Potentats, introduisirent premierement une forme de Parlement annuel, qui se tenoit an mois de May, auquel presidoient nos Roys, assistez de la plus grand part de leurs Barons, & donnoient responce tant aux plainctes de leurs subjets, qu' aux Ambassadeurs qui venoient des pays estranges: le tout selon les instructions & memoires que souz main ils recevoient de leurs Maires. Ceste coustume depuis fut assez soigneusement observee par le Roy Pepin, lequel cognoissant qu' à tort il s' estoit emparé du Royaume, pour obvier à toute sedition intestine, & monstrer que de la seule grandeur ne despendoient toutes les affaires de France, assembloit selon les urgentes difficultez qui se presentoient, le corps general de ses Princes & grands Seigneurs, pour passer par leur determination & conseil. Ostant par ce moyen toute mauvaise & sinistre opinion que l' on eust peu avoir imprimee de luy pour l' injuste invasion qu' il avoit faict de la Couronne. 

Chose que Charlemagne son fils, qui n' aspiroit pas à petites choses, practiqua plus souvent que luy: Speciallement lors qu' il s' offroit quelque entreprise de guerres, ou qu' il deliberoit ordonner quelque chose à l' avantage de sa famille ou du Royaume universel. Et estoit l' usance de noz anciens Roys telle, qu' és lieux où la necessité les semonnoit, se vuidoient ordinairement les affaires par assemblees generales des Barons. Telles assemblees s' appelloient Parlemens, comme nous appellons maintenant celles où se fait un traicté de paix Pour parler de paix. Duquel mot de Parlement, celebré de la façon que je dy, vous verrez frequente mention dans la vieille histoire de sainct Denis és vies de Pepin, Charlemaigne, & Louys le Debonnaire.

Or se rendirent tels Parlemens beaucoup plus recommandez qu' auparavant soubs le regne du Debonnaire: Car tout ainsi que ce Roy estoit plus enclin an soulagement de son peuple, qu' à faire grands exploicts & chefs d' armes, aussi voulut-il principalement maintenir sa grandeur par telles solemnelles assemblees. Et à tant commencerent à se pratiquer, deux fois l' an d' ordinaire. Non toutesfois à jours certains & prefix, comme depuis soubs Philippes le Bel, mais selon ce qu' il se trouvoit bon au depart de telles congregations, on advisoit de la ville & du temps qu' on les renouvelleroit. En ce lieu donc se decidoient toutes affaires qui importoient de quelque consequence au Royaume: Estoient receuës par le Roy les Fois & Hommages des Princes estrangers : Et en ceste façon lisons nous en Theodulphe & Adon de Vienne qu' en un Parlement tenu à Compieigne, Thassile Duc de Bauieres avecques plusieurs grands Seigneurs de la Province vint promettre le serment de fidelité à Pepin & à ses enfans. Et dict Aimoinus Religieux de Sainct Germain des Prez (ja, dis appellé Annonius par alteration de lettres) que ce mesme Roy ayant reduict les Saxons souz son obeissance, leur feit promettre de luy amener tous les ans à chaque Parlement general trois cens roussins de tribut. Estoient semblablement emologuees les volontez du Roy, c' est à sçavoir celles qui concernoient le faict general de la France. Ainsi pout nourrir paix & concorde entre ses enfans, Charlemaigne leur donna assignation de partage en un Parlement, faisant jurer à tous grands Seigneurs & Barons de l' avoir pour agreable: En ce lieu de mesme façon se terminoient les differens des plus grands Princes, & principalement de ceux qui estoient accusez de trahisons, rebellions & crimes de leze Majesté, & comme il en prit à Tassille du temps de Charlemaigne au Parlement qui fut tenu joignant la ville de Majence, lequel par l' advis de tous les Barons pour ses frequentes & repliquees rebellions, fut condamné à mort. Qui luy fut neantmoins eschangee par la douceur de l' Empereur en un confinement de Religion & monastere, duquel jugement fait honorable mention Paul Aemile. Et du temps du Debonnaire, fut accusé en un autre Parlement, Theadagre Prince & Duc des Abodrites, & Tougon l' un des principaux des Sorabes: comme suscitans l' un & l' autre plusieurs factions & novalitez encontre la Majesté du Roy. A cause dequoy dict Aimoïnus, ou si ainsi le voulez Annonius, qu' il leur fut donné assignation à un autre prochain Parlement: auquel depuis ils se purgerent. Voire pour autant que le Debonnaire, outre son pere & son ayeul, adjousta en telles assemblees les Evesques & Abbez, se determinoient en icelles, plusieurs differents entre les Prelats. A ceste cause lit-on qu' une controverse meuë entre les Evesques de Lyon & Vienne pour raison de leurs Eveschez, tomba soubs la decision du Roy & de son assistance.

Certainement telles congregations (que noz Historiographes Latins appellent Placita, & nos plus vieilles Histoires Françoises, comme j' ay dict, Parlemens) estoient arrivees en tel degré d' administration, que non seulement elles sembloient être comme une ressource en laquelle respondoient les grands negoces de France, mais aussi les differens mesmes qui tomboient entre les estrangers estoient soubmis à leur arbitrage. C' est pourquoy raconte le mesme Aimoïnus (le quel j' employe icy plus souvent, pour autant qu' il fut du temps de Louys le Debonnaire) qu' en un Parlement que ce Roy tint en la ville de Francfort, auquel lieu se trouverent de toutes parts, François, Allemans, Saxons & Bourguignons, se presenterent deux freres d' une mesme nation, nommee Vvitzes (Witzes), laquelle par vœu & profession ancienne, exerçoit inimitiez mortelles contre nostre France, lesquels freres sur le debat qu' ils avoient de leur Royaume, s' en rapporterent à l' advis de l' Empereur de son Parlement, Par ce que Milegast, l' un des deux contendants, comme aisné avoit esté appellé au Royaume apres le decez de son pere, dont l' on l' avoit depuis dejetté, pour ses extorsions extraordinaires, & en son lieu investi du Royaume Celeadagre son puisné: En laquelle assemblee fut par commun advis & deliberation sententié en la faveur du puisné. Qui nous apprend & rend certains en quelle reputation estoient tels Parlements envers les nations estranges. Ceste police, qui avoit esté entre nous si religieusement observee soubs le Debonnaire, fut intermise par l' outrecuidance & orgueil de Charles le Chauve son fils, & depuis ramenee en valeur par Louys le Begue. Au moyen dequoy nos Historiographes racontent qu' il gaigna grandement le cœur des subjects à demy alienez, pour avoir esté telles assemblees mises soubs pied, & à non chaloir du vivant de son devancier. 

Voilà, selon mon advis, la primitive origine & institution des Parlements, lesquels tout ainsi qu' en un coup ils ne furent jettez en moule, *  selon la diversité des saisons trouvons nous qu' ils prindrent divers plis sous Hugues Capet & ses successeurs: Sous lesquels ils se continuerent encor plus frequentement que devant. Car combien que ce grand Prince occupé le tiltre de Roy, si n' en avoit-il presque que le nom: Par ce que tout de la mesme façon que luy en son endroict, aussi chasque gouverneur de Province se maintenoit être vray titulaire du lieu qui estoit demouré soubs sa charge. Et n' y avoit presque ville de laquelle quelque Gentilhomme de marque ne se fust enseigneurié. Chose que ce Roy nouvellement instalé, fut contrainct de passer par connivence. N' ayant pas dequoy respondre, comme autresfois avoit eu un Pepin encontre Eude Duc d' Aquitaine, qui voulut faire à l' advenement de luy le semblable. Parquoy Capet plus fin que vaillant, & qui par astuce seulement estoit arrivé à la Couronne, fit au moins mal qu' il peut une paix avecques tous ses grands Ducs & Comtes, qui commencerent deslors à le recognoistre seulement pour souverain, ne s' estimans au demourant gueres moins en grandeur que luy. Et certes quelques uns, non sans grand' apparence de raison, sont d' advis que la premiere institution des Pairs commença adonc entre nous.

Estans doncques ces grands Seigneurs ainsi lors unis, se composa un corps general de tous les Princes & Gouverneurs par l' advis desquels se vuideroient non seulement les differents qui se presenteroient entre le Roy & eux, mais entre le Roy & ses subjects. Qui fut une institution notable pour contenir ceste France en union, laquelle estoit ce neantmoins divisee en plusieurs Ducs & Comtes, qui amoindrissoient l' authorité du Roy de tant plus, que hormis le baisemain que par prerogative ils luy devoient, ils ne despendoient au surplus que de leur authorité & grandeur. Tellement que maintesfois ils guerroyoient particulierement le Roy mesme, & le reduisoient en grandes angusties. Toutesfois apres plusieurs guerroyements, chacun se soubmettoit à ce commun Parlement. Laquelle usance (presque de la mesme façon) avoit esté observee par les anciens Gaulois, lesquels combien qu' ils fussent partialisez en ligues, si avoient-ils tous ensemble un general ressort de la Justice, qui se manioit au pays Chartrain par leurs Prestres, qu' ils nommoient Druydes.

Il seroit mal-aisé d' estimer quel profit apporta depuis ceste invention à nos Roys. D' autant que par ce moyen, comme d' un Concile general, se gardoit esgalement droict & au Roy, & aux Ducs, & Comtes. Et neantmoins estant ce conseil à la *tte du Roy, comme celuy qu' entre les autres un chacun recognoissoit pour souverain. L' on trouva à la longue moyen de r' entrer en plusieurs terres par Arrests qui emanerent du Parlement, au desadvantage de plusieurs Seigneurs, desquels les seigneuries, voire les Duchez & Comtez par desobeyssance & forfaicture estoient declarez acquis & confisquez au Roy. En quoy se rendoient les Princes mesmes executeurs de tels Arrests. Car combien que le Roy n' eust quelques fois force à suffisance pour faire sortir plain effect aux choses arrestees, si estoit-il secouru par les autres Ducs & Potentats, qui estoient facilement induicts à luy donner confort & aide, comme despendant son droict de la Justice & raison. 

A maniere que petit à petit nos Rois temporisans & faisans, comme l' on dit, d' une main l' autre, sans que ces grands Ducs & Comtes y prinssent garde, remirent à leur domaine toutes leurs terres & pays, demourans Monarques & uniques Princes de la France. Car les Ducs que nous appellons aujourd'huy ne sont qu' une image des anciens sans grand effect.

Voire qu' au moyen de ceste souveraineté, le Roy s' estant petit à petit rendu le plus fort dans son Royaume, adonc commença de se renforcer la commune police à l' advantage de sa Couronne. A cause dequoy les appellations des Baillis & Seneschaux ressortissoient premierement au Conseil, Grands jours ou Eschiquier des Ducs ou Comtes, & de là en la Cour de Parlement: pour laquelle cause estant ceste Cour arrestee dedans Paris, eurent les Ducs & Comtes continuellement leurs Procureurs generaux pour deffendre leurs jugemens. Ainsi trouvons nous aux plus anciens registres de la Cour certaine ordonnance portant qu' ez pays que le Roy d' Angleterre tenoit dans les limites de la France, seroient receus les appellans tant en cause civile que criminelle, au Lieutenant du Roy d' Angleterre, ou au Juge qui en cognoistroit en son lieu, & la seconde appellation seroit tousjours à la Cour du Roy de France. Toutesfois si ce Lieutenant en cognoissoit en premiere instance, on en appelleroit à la Cour du Roy. De laquelle chose j' ay trouvé autresfois un exemple fort notable & digne d' être icy inseré. Le Vicomte de Bearn ayant deux filles, l' une qui eut nom Matilde, & l' autre Marguerite, celle-là fut donnee en mariage au Comte de Foix, & depuis instituee heritiere universelle par son pere, & ceste-cy mariee au Comte d' Armaignac. Le pere estant decedé, le Comte d' Armaignac debat ceste institution, s' aydant d' une coustume du pays, par laquelle il pretendoit que quand la succession tomboit en quenoüille elle se partageoit par égales portions. Sur quoy les douze Barons tindrent Cour majeur, & appellerent avec eux les Prelats & autres gens notables du pays. Finalement parties ouyes fut par eux le Vicomté de Bearn adjugé au Comte de Foix à cause de sa femme. Duquel jugement le Comte d' Armaignac appella à Bordeaux pardevant le Conseil & les commis au gouvernement de Guyenne de la part du Roy d' Angleterre Duc de Guyenne: Où par sentence il feut dit que ce jugement estoit bon & valable, & que mal sans grief Armaignac avoit appellé: De laquelle sentence il appella de rechef au Parlement de Paris, où il releva son appel, & en sont les lettres d' appel en la Cour, qui y furent apportees dedans un sac l' an 1443. apres la prise du Comte Jean d' Armaignac: Auquel sac il y a plusieurs choses concernantes les droicts du Roy. Et feut ceste lettre apportee par maistre Guillaume Cousinot, lequel par commandement du Roy feut delegué pour inventorier tous les tiltres & enseignemens concernans ce Comté.

Toutesfois pour ne m' eslongner de mon propos, & reprendre mon premier fil: Toutainsi qu' en ces Parlemens, le Roy tenoit le premier lieu, aussi estoit-il assisté de plusieurs grands Princes & puissans Seigneurs, que depuis nous avons appellez Pers ou Peres de France (à l' imitation des Patrices qui furent soubz les Empereurs) avec lesquels estoient plusieurs Conseillers & Assesseurs. Et pour autant qu' en ces Parlements ne se traictoient ordinairement que causes de grand poids, pour celles qui se presentoient communement en la Cour du Roy, l' on avoit de coustume d' employer, non seulement quelques Seigneurs de sa suitte, qui estoient du corps du Parlement, mais le Roy mesme souventes fois donnoit audience aux parties. Et en ceste façon recite le sire de Jonville que S. Louys, apres avoir ouy Messe, s' alloit souvent esbatre au bois de Vincenne, & se seoit au pied d' un chaisne, faisant asseoir aupres de luy quelques Seigneurs de son Parlement, prestant audience libre à chacun, sans aucun trouble ou empeschement: Puis demandoit à haute voix s' il y avoit aucun, qui eut partie, & s' il se presentoit aucun, l' escoutoit prononçant sa sentence sur ce qui s' offroit devant luy. Qui est à bien dire un acte digne de Roy, & symbolisant grandement avec celuy de l' Empereur Auguste, ou de l' Empereur Adrian, lesquels non seulement rendoient droict aux parties seans en leur tribunal, mais aussi le plus du temps pendant leur repas, quelquesfois dedans leurs litieres, telle fois couchez en leurs licts. Tant ils avoient peur que justice ne feust administree à leurs subjects. 

Or estoient ces Parlemens de telle & si grande recommandation, que Federic second Empereur de ce nom, en l' an mil deux cens quarante quatre, ne douta de vouloir remettre à iceluy tous les differens qu' il avoit avec le Pape Innocent quatriesme, ausquels n' y alloit que du nom & tiltre de l' Empire. Et est icy à noter que le Parlement pour lors ne se tenoit en certain lieu & designé: mais selon les occasions maintenant en une ville, puis en une autre, & destinoient les bonnes festes pour le tenir, tantost vers les festes de Pasques, Pentecoste, tantost vers celles de Noel, Toussainct, Nostre Dame de myAoust, selon les necessitez & occurrences. En memoire dequoy, le Parlement ayant esté faict sedentaire, l' on a eu tousjours de coustume les surveilles de telles journees, prononcer en robe rouge quelques Arrests de consequence, pour tenir comme lieu de Loy. Depuis se trouvans les causes en plus grande affluence, Philippes le Bel y voulut donner police telle que je deduiray au chapitre suyvant. 

lundi 7 août 2023

8. 54. Marquis, Marchal, Mareschal, Maire.

Marquis, Marchal, Mareschal, Maire.

CHAPITRE LIV.

Mon opinion est que le mot de Marquis signifie un Estat anciennement inventé pour la protection & deffence des pays frontiers, & limitrophes, que nous appellons de tout temps & ancienneté Marches. En la vie du Debonnaire, dans la vieille Chronique de S. Denis: Au mois de May tint l' Empereur Parlement à Aix la Chappelle. Là vindrent les Messagers des Bulgeois qui moult longuement avoient demeuré en Baviere: Si estoit telle leur intention, qu' apres la confirmation de Paix & alliance, on traictast debonnairement des Marches qui sont entre les Bulgeois, Allemands, & François Austrasiens. Mot certes fort ancien, & usurpé par plusieurs fois par Aimoin en son Histoire, mais par passage merveilleusement exprés au cent dixhuictiesme chapitre de son quatriesme livre, où il dit que le mesme Debonnaire tint Parlement en la mesme ville d' Aix, où l' on traicta du fait de la guerre, puis adjouste, Simili modo de Marcha Hispanica constitutum est, & hoc illius limitis praefectis imperatum: c' est à dire, En cas semblable il fut en ce lieu arresté touchant la Marche d' Espagne, & enjoinct d' y avoir esgard à ceux qui avoient la charge de cette frontiere: Auquel endroit vous voyez en moins de rien Marche & Limite estre pratiquez l' un pour l' autre, à cette occasion dirent nos anciens Marchir, pour confiner à quelque pays. Froissard au 3. volume: La Comté de Blois marchist à la Duché de Touraine. Et en la sus mentionnee Histoire de S. Denis: Ils degasterent la contree d' unes gens qui pres eux marchissoient, qu' on appelloit Toringiens: Et en la vie de Philippes fils de Henry: Si advint en ce temps qu' entre Adam l' Abbé S. Denis, & Boucard de Mont-morency sourdit contention pour aucunes de leurs terres, qui ensemblement marchissoient. Et de là à mon jugement vint celuy que nous appellasmes en François Marquis, & en Latin Marchio, je veux dire celuy auquel on commettoit la garde des lisieres d' un pays: Pour l' explication duquel mot les Romains furent contraints avant le desbord des nations Septentrionales user d' une periphrase, & circonlocution, estant par eux appellé celuy qui estoit commis pour garder les limites d' Orient Comes limitis Orientis, qui vaut autant à dire comme si nous disions Comte des Marches du Levant. De cette mesme façon use assez souvent Aimoin: Car vous y trouverez tantost un Praefectus limitis Britannici, tantost un Custos Avarici limitis, & neantmoins le mesme autheur le definit d' un tout seul mot au chap. 2. du 5. livre, auquel lieu parlant du Debonnaire Roy pour lors d' Aquitaine, qui fut mandé par Charlemagne son pere, Accersivit filium iam bene equitantem cum omni populo militari, relictis tantum Marchionibus, qui fines regni tuentes omnes, si forte ingruerent, hostium arcerent incursus. Or comme ainsi soit que pour distinguer les Marches & limites, l' on ait accoustumé d' asseoir bornes, que l' on peut appeller Marques, aussi avons nous façonné entre nous une diction qui respond à cette signification. Car nous appellons Marcher ou marquer, toutes & quantesfois que par signal, affiche, recognoissance, ou autrement nous assignons certains buts, limites, & separations entre les personnes, & de cette parole ainsi prise vient que nous appellons Marchal des logis du Roy celuy qui marche ou marque, & assigne diversement les logis aux domestiques de la maison du Roy, & Marchal du camp celuy qui marque & departit aux uns & autres Capitaines les Cantons & assietes diverses du camp. Car comme je viens de toucher, marcher & marquer, n' est qu' un, & en use-l'on indifferemment en commun langage, comme mesmes vous recognoistrez plus à plein dans les œuvres de Clement Marot. Tellement que c' est errer d' appeller telles gens Mareschaux des logis du Roy, ou du Camp, d' autant que le mot de Mareschal, qui reçoit l' e s' aproprie vrayement aux quatre Mareschaux de France, & vient de deux dictions corrompuës Maire, qui est une alteration, & changement de Maistre, & Chal pour Cheval, comme si on les eust voulu dire estre Maistre de la Chevalerie apres un Connestable (comite stabuli) de France. Quelques-uns toutesfois sont d' advis comme du Tillet, qu' il vient du mot de Marsk (Mark) qui signifioit Cheval, soit l' un ou l' autre, je m' en rapporte à ce qui en est.

8. 61. Pleger celuy qui boit à nous d' autant, Coquu, Avoir veu le Loup, Loup-garou, Abry,

Pleger celuy qui boit à nous d' autant, Coquu, Avoir veu le Loup, Loup-garou, Abry, Toutes manieres de dire dont on use à contre-sens.

CHAPITRE LXI.

Puisque le Chapitre precedant a esté dedié à la friponnerie, pourquoy ne puis-je dedier cestuy à l' yurongnerie? S' il n' y a de la raison en cecy, pour le moins y a il de la rime. Davantage, quelle raison pouvez vous demander à un homme yure? Cela est en partie le sujet du present Chapitre. Nous avons une coustume non seulement aux banquets, mais aux communes tables, de boire les uns aux autres: Chose que nous tirons à courtoisie, voire pour signal d' amitié. Le formulaire que l' on tient est, que si un homme boit à moy, à l' instant mesme, le remerciant je luy diray, que je le plegeray promptement, c' est à dire, que je m' envois boire à luy. Response certainement inepte, & qui ne se rapporte aucunement à l' assaut que l' on m' a liuré. Car le mot de plege signifie en soy celuy qui intervient pour un autre. Je vous diray doncques ce que j' en pense. Encores que cette coustume eust esté introduite d' une bien-veillance mutuelle, si est-ce qu' à la longue elle se tourna en abus. Et de fait repassez par toute l' Allemagne, la Flandre, & pays bas, & plusieurs Provinces de nostre France, quand un homme a beu à un autre d' autant, il tire cela en obligation, voire le tourne à mespris & injure, si l' assailly ne luy rend la pareille. Cela fut cause que nostre Charlemagne, pour les querelles qui en sourdoient, deffendit expressément aux Soldats, de ne boire les uns aux autres, quand ils seroient en l' armee, au livre 3. de ses Ordonnances chap. 33. Et encores au premier livre art. 138. il est dit en termes expres, ut nemini liceat alterum cogere ad bibendum. Mon opinion donc est que quand celuy auquel on avoit beu, ne vouloit faire la raison à l' autre (tel est le terme dont usent les bons biberons) fust, ou par sagesse, ou par impuissance, alors l' un de ses amis, ou quelque bon compagnon declaroit qu' il l' alloit pleger, & prenant le verre en la main beuvoit d' autant à celuy qui avoit esté l' assaillant. Si vous le prenez autrement, il n' y a aucun sens en nostre response & aplegement. Cela mesme se practique aujourd'huy par ceux qui veulent faire la desbauche, entre lesquels s' il y en a un qui vueille estre plus retenu, il prend un second pour le deffendre & pleger contre tous les autres qui le semondront de boire.

Pareille faute faisons nous quand nous appellons Coquu celuy dont la femme va en dommage: Car au contraire la nature de cet oyseau est d' aller pondre au nid des autres, comme nous apprenons de Pline au X. de son Histoire naturelle. Parquoy pour rapporter proprement le Coquu à l' homme, il y avroit plus de raison de l' adapter à celuy qui agit, & non qui patit.

De mesme ignorance est venu quand nous voyons un homme enroüé, que nous le disons avoir veu le Loup. Car à l' opposite, il faudroit dire le Loup l' a veu. D' autant que si nous croyons au mesme Pline, livre VIII. si le Loup fiche le premier sa veuë sur nous: il nous fait affoiblir la voix. C' est pourquoy le Poëte disoit,

Lupi illum videre priores.

Le mesme Pline, au mesme livre se mocque de ceux qui de son temps croyoient que quelques hommes estoient transformez en Loups: Erreur qui s' est transmis jusques à nous, quand nous les appellons Loups garoux. Vray que pour en user proprement il le faudroit rapporter à la Lycantropie, maladie discovruë par les Medecins, quand une personne affligee d' une imagination furieuse, pense estre transformé en Loup. Je ne veux icy oublier le mot de Apricus Latin dont les nostres ont formé Abry, & toutesfois tous deux de contraire signification. Car le Latin signifie estre à l' ouvert, & le nostre, au couvert du Soleil.

mardi 30 mai 2023

2. 15. Nobles, Gendarmes, Roturiers, Vilains, Chevaliers, Armoiries de France,

Des Nobles, Gendarmes, Roturiers, Vilains, Chevaliers, Armoiries de France, & plusieurs autres choses de mesme subject, concernants la Noblesse de France. 

CHAPITRE XV. 

Depuis que les premiers & anciens ordres des Fiefs furent de ceste façon alterez, par la passion induë & irreguliere qu' en voulurent prendre les non Nobles: & que nos Roys, d' un autre costé, eurent introduit parmy le peuple, les Tailles sur les personnes roturieres, chacun commença deslors, selon son possible à faire estat de la Noblesse, non toutesfois fondee sur les Fiefs. Car nos Rois voyans que plusieurs cazaniers & bourgeois, qui ne faisoient estat des guerres, les possedoient par importunitez, ne voulurent prendre cela en payement, mais ordonnerent que les Tailles fussent imposees sur tous hommes qui seroient de qualité roturiere. Tellement qu' il pouvoit advenir qu' un homme qui possedast plusieurs Fiefs, se trouvast toutesfois taillable, pour autant qu' il estoit roturier & au contraire, que celuy qui avoit tous ses heritages en censive, en fust exempt parce qu' il estoit de condition Noble. Pour ceste cause les plus riches commencerent à obtenir lettres d' Ennoblissement de nos Roys, ou bien de fonder leur Noblesse sur l' ancienneté de leur race (paraventure non cogneuë, pour avoir changé de pays) verifians que leurs ancestres avoient toujours vescu noblement, sans être cottisez à la taille, & sans exercer aucun estat de marchandise. L' on recite qu' entre les loix que Licurge establit aux Lacedemoniens, il y en eut une principalement par laquelle tous mestiers & arts mecaniques furent delaissez aux serfs & aux estrangers, qui ne iouyssoient du privilege de Bourgeoisie, mettant és mains de ses citoyens & gens libres, seulement l' escu & la lance, & leur interdisant toutes autres communes industries: voire les marchandises & trafiques dont és autres Republiques le commun peuple fait plus grand fonds: pourautant qu' il estimoit que telles vacations devoient appartenir aux esclaves, & autres telles manieres de gens, sur lesquels il ne vouloit employer la severité de ses loix. Le semblable avons nous gardé religieusement en ceste France, entre les Nobles. Tenans non seulement pour chose indigne d' une Noblesse, mais aussi être fait acte derogeant au privilege d' icelle, lors que l' on en trouve aucun, au lieu de l' estat de la guerre exercer un estat mechanique, ou bien faire train d' une marchandise, c' est à sçavoir en acheptant quelques denrees, pour puis apres les debiter à son profit: car des choses qui nous sont prouenuës de nostre creu, le commerce ne nous en fut oncques defendu. Tant est demeuree recommandee entre nous ceste vieille impression des armes, sur laquelle nos premiers François establirent le fondement de leur Noblesse. Tellement qu' encores que depuis que les loix de chiquaneries furent esparces par la France, plusieurs gens de Justice & de robe longue, commencerent à prendre dedans leurs familles ceste qualité de Nobles, pour les grands estats qu' avoient exercé leurs ancestres, si est-ce que non seulement par les suffrages des Courtizans, mais aussi par la voix commune du peuple, ceste Noblesse fut estimee comme bastarde. Parce que tels personnages ne font profession des armes. Et pour ceste raison ceux qui se veulent dire estre à bonnes enseignes Nobles, laissent les villes, pour choisir leurs demeures aux champs. Tant à l' occasion de ce que la plus grand' partie de nos Fiefs y sont assis, lesquels, comme j' ay deduit cy dessus, il estoit seulement permis aux Nobles & gens suivans les armes de posseder, qu' aussi que par ce moyen ils pensent se garentir de toutes opinions que l' on pourroit avoir d' eux, qu' ils pratiquassent ou trafiquassent dans une ville: chose qui obcurciroit (ce leur sembleroit) la lumiere de leur Noblesse. J' ay leu dans Hugues de Bercy Poëte François, qui florit vers le temps de S. Louis, quelques vers, par lesquels il se complaignoit que de son temps les Princes & grands Seigneurs commençoient d' abandonner les villes pour choisir leur residence aux champs.

Mais li Roy, li Duc, & li Comte,

Aux grandes festes font grand honte

Qu' ils n' aiment mais Palais ne Salles,

En ordes maisons & en Salles

Se reponent, & en bocages,

Lor cours ert pauvres & umbrages, 

Or fayent-ils les bonnes villes. 

Cela advint paraventure lors que les Bourgeois, pour contretrancher des Nobles, commencerent d' avoir permission de posseder Fiefs: A fin que l' on dicernast celuy, qui au prix de son sang, & non au prix d' argent gagneroit ce degré de Noblesse. Car aussi, à bien dire, entre toutes les vies qui approchent plus pres de la militaire, en temps de paix, c' est la champestre. A cause dequoy nous lisons que les bons vieux peres & preud' hommes Romains, comme Cincinat & autres personnages de tel calibre, estoient appellez de leur charruë aux armes, & des armes s' en retournoient à leur charruë. Ainsi nos Gentils-hommes, qui establissent le principal point de leur Noblesse sur les armes, s' endurcissans aux champs, au travail, appellerent Villains, ceux qui habitoient mollement dedans les villes, dont s' est depuis faite une distinction generale des estats entre nous. Les uns estans appellez Gentils-hommes, qui sont les Nobles, & les autres Villains, qui sont de condition Roturiere. Comme si ce fussent choses incompatibles d' être Noble, & faire sa reseance és villes, esquelles on vivoit en delices & oysiueté: mesmement s' il advient que nous appellions quelqu' un Gentil-homme de ville, c' est par forme de risee & mocquerie. Quant à moy je ne me suis point icy proposé de vilipender les estats de ceux qui suivent la robbe longue, ny generalement de ceux qui se sont habituez és villes clauses: Car en ce faisant seroy-je traistre & prevaricateur contre moy-mesmes. Aussi sçay-je bien que tout homme en tout estat, qui fait profession de vertu & de vie sans reproche, est Noble, sans exception: toutesfois si en une Republique, c' est chose du tout necessaire de faire degrez des ordres, & mesmement qu' il soit requis de gratifier davantage aux hommes qui se rendent plus meritoires, a fin qu' à leur exemple chacun soit induit à bien faire, je ne seray jamais jaloux ny marry, qu' à ceux qui exposent leur vie pour le salut de nous tous, soit attribué le tiltre de Noble, plustost qu' à ceux qui dedans leurs Palais, à leurs aises, se disent vacquer au bien des affaires d' une Justice. Ceux-là se moyennent ce nom de Noblesse à la pointe de leurs espees, ceux-cy à la pointe seulement de leurs plumes: Ceux-là s' abandonnent au vent, à la pluye, & au Soleil, n' ayans le plus du temps autre meilleure couverture que celle qu' ils peuvent impetrer de la misericorde du Ciel, pendant que ceux-cy regorgent de leurs plaisirs dans leurs maisons de parades: Ceux-cy ont les oreilles ententives à la clameur d' un Huissier, pour faire monstre de leur langue dans un Barreau: & quant aux autres, ils se resveillent au son des clairons & trompettes, pour combattre à une barriere, ou donner coup de lance à point. Les uns s' estoquent à coups de canons & de Loix: & les autres s' exposent & prostituent à l' espreuve d' un canon ou artillerie, qui n' espargne ny grands ny petits: Tous deux travaillent tant pour le public, que pour leur honneur: mais en ceste conformité de travaux, y a telle difference, que ceux-là en travaillant pour le public, ordinairement s' appauvrissent, & s' ils acquierent quelques biens, c' est de la despoüille de leurs ennemis: Et ceux-cy trouvent dedans leurs travaux, comme dedans une grande miniere d' or, infinies richesses, le plus du temps tirees de la ruine des pauvres sujets du Roy: Et à peu dire, ceux-cy font seulement estat de la vie, ceux-là sans plus de la mort: Ne leur restant de recompense pour toute consolation de leurs maux, que l' opinion du lict d' honneur auquel ils s' acheminent d' une grande gayeté de cœur. Tellement qu' entre tant de rudesses, c' est le moins qu' ils puissent faire durant leur vie, que de se flatter de ceste opinion de Noblesse, par dessus le reste du peuple. Et vrayement ç' a esté toujours chose assez familiere à toutes braves nations, de donner au gendarme quelque caractere de Noblesse, par dessus le commun. Plutarque en la vie de Licurge est autheur, qu' il n' estoit point permis d' escrire dessus le tombeau, le nom d' un trespassé, sinon qu' il fut mort en la guerre. Pierre Crinit au vingt & uniesme livre de ses Observations, traittant de l' honneste discipline, remarque des anciens, qu' il n' estoit loisible d' ensevelir dedans la ville de Rome un Citoyen, sinon celuy qui par plusieurs braves exploicts d'armes s' estoit rendu digne de ceste sepulture. Jean Cuspinian en son traicté des mœurs & conditions des Turcs, nous raconte qu' au pays de Turquie n' y a aucune distinction de Noblesse tiree de l' ancien estoc des ancestres, ains que celuy entre les Turcs est seulement reputé Noble, qui en fait de guerre a donné plusieurs espreuves de sa vaillantise. A fin que je ne recite qu' au pays de Caramanie il estoit defendu d' espouser femme, à celuy qui n' avoit fait present à son Prince, de la teste d' un ennemy: Et qu' en la Scythie, estant une ancienne coustume aux grands banquets & festins solemnels, d' apporter sur le dessert un grand hanap à la compagnie, pour boire, qui estoit chose que l' on reputoit à grande singularité, & qui signifioit quelque traict de grandeur, à ceux ausquels il estoit presenté, toutesfois si n' estoit-il permis de le prendre, sinon par ceux qui avoient attestation publique d' avoir occis & mis à mort l' un des ennemis du pays. Parquoy nous ne devons point envier au gendarme, qu' il se donne quelque prerogative de Noblesse par dessus nous moyennant qu' il ne se laisse point piper d' une folle imagination fondee en la memoire de ses ancestres, & que pendant qu' il s' endort sur la Noblesse que luy ont pourchassé ses predecesseurs, par leur proüesse, il ne s' aneantisse point, ains tasche de les surmonter, ou pour le moins les esgaler. 

Mais pour retourner aux anciennetez de nostre France, & ne me perdre point icy en un discours qui ne plaira pas à chacun: nos Roys qui sur leur premiere arrivee avoient (comme j' ay deduit cy dessus) recompensé leurs Capitaines & braves soldats en Fiefs nobles, voyans, apres une grande revolution d' annees, que le fonds de leurs liberalitez estoit pour ce regard mis à sec (d' autant que toutes les terres de leur Royaume estoient remplies) s' aviserent de trouver une autre forme de recompense, non veritablement si riche & opulente, mais de plus grand honneur que les Fiefs. Parquoy fut mis ingenieusement par eux, ou leurs sages Conseillers, l' Ordre de Chevalier en avant. Car au lieu où premierement ils recompensoient leurs sujets en terres & grandes possessions, à mesure qu' ils gagnoient les Provinces, de là en avant ils commencerent de les recognoistre pour bons & loyaux serviteurs, par grandes & amiables caresses, c' est à sçavoir par acolees de leurs personnes. Ces acolees depuis se retournerent en Religion. De maniere que lors que nos Roys vouloient semondre quelques Gentils-hommes ou braves soldats à bien faire le jour d' une bataille: ou bien qu' ils leur vouloient gratifier à l' issuë d' une entreprise, les caressoient d' une acolee: Et en ce faisant, avec quelques autres petites ceremonies, ils estoient reputez Chevaliers. Ayants par ce moyen, comme s' ils fussent sortis des propres costez du Roy, autant de primauté & advantage dessus le reste de la Noblesse, comme la Noblesse en son endroit dessus le demourant du peuple. Cest ordre premierement fut inventé en faveur de ceux qui suyvoient les armes, comme mesmement l' etimologie du mot nous rend certains. Toutesfois tout ainsi comme en la Noblesse, aussi par traicte de temps au fait de la Chevalerie, quelques gens de robbe longue y voulurent avoir part, à l' occasion de leurs dignitez & offices. Au moyen dequoy on fist double distinction de Chevaliers: Les aucuns estans Chevaliers des armes, & les autres Chevaliers des Loix. Pour laquelle cause Jean de Mehun en son Romant de la Roze, au lieu où Faux semblant discourt les cas, esquels il estoit loisible de mandier, dit: 

On s' il veut pour la Foy defendre

Quelque Chevalerie emprendre

Ou soit d'armes ou de lectures.

Ainsi Froissard au chapitre cent soixante & dixseptiesme du premier livre de ses Histoires parle de trois Chevaliers, dont les deux estoient d'armes, & le tiers des Loix: Les deux d'armes, dit-il, Monsieur Robert de Clermont gentil & noble grandement, l' autre, le Seigneur de Conflans: le Chevalier des Loix, Monsieur Simon de Bussy. Et à ce propos Guillaume de Nangy, qui fut presque contemporain de Charles cinquiesme, dit que cestuy de Bussy estoit Conseiller au grand Conseil, & premier President en la Cour de Parlement. Qui fut cause pour laquelle il fut appellé Chevalier de Loix: pour autant que les premiers Presidents se disent par privilege ancien avoir annexé à leurs offices l' estat de Chevalier. Quant aux Chevaliers d'armes, entre les autres je trouve une sorte de Chevaliers qui furent appellez Bannerets, qui estoient ceux entre les Chevaliers, qui pour être riches & puissans, obtenoient permission du Roy de lever Banniere, c' estoit une compagnie de gens de cheval ou de pied. En ceste sorte dit Monstrelet au quatre-vingts treziesme chapitre du premier tome de ses histoires, parlant du siege que le Roy Charles sixiesme mit devant la ville de Bourges, dans laquelle s' estoient enclos tous les Princes de la faction du Duc d' Orleans. Là, devant la ville (dit-il) pres du gibet, le Roy fit plus de cinq cens Chevaliers, desquels & aussi de plusieurs autres, qui n' avoient porté banniere, furent immemorables bannieres eslevees. Le sire de Jonville recitant comme le Roy sainct Louys vouloit renouveller son armee, dit, qu' il luy demanda s' il avoit point encores trouvé aucuns Chevaliers pour être avec luy: & je luy respondis (fait-il) que j' avois fait demourer Messire Pierre de Pont-Moulin, luy tiers en banniere. Et en un autre endroit plus bas, il racompte que des prisonniers, qui estoient demourez devers les Admiraux d' Egypte, en revindrent quarante Chevaliers qu' il mena devers le Roy pour avoir pitié d' eux, & les retenir à son service: & comme quelque personnage du conseil du Roy luy eust dit, qu' il se devoit deporter de faire telle requeste au Roy, attendu que son espargne estoit lors courte: Je luy responds (recite-il parlant de soy) que la male avanture luy en faisoit bien parler, & qu' entre nous de Champagne, avions bien perdu au service du Roy trente cinq Chevaliers tous portans banniere. Et encores est ceste maniere de Chevaliers trop mieux donnee à entendre par Froissart, au premier livre de son Histoire la part où le Prince de Gales estant prest de combattre, Messire Bertrand du Kesclin avec Henry Roy de Castille, se presenta devant luy Messire Jean Chandos: Là apporta, dit-il, Messire Jean Chandos sa banniere entre ses batailles, laquelle n' avoit encores nullement boutee hors de l' ost du Prince, auquel dit ainsi: Monseigneur veez cy ma banniere, je la vous baille par telle maniere qu' il vous plaise la developper, & qu' aujourd'huy je la puisse lever: car Dieu mercy, j' ay bien dequoy terre & heritage pour tenir estat, ainsi comme appartiendra à ce: Ainsi prit le Prince & le Roy Dampietre, qui là estoient, la banniere entre leurs mains, qui estoit d' argent à un pieu aguisé de gueules, & luy rendirent, en disans ainsi: Messire Jean veez-cy vostre banniere, Dieu vous en laisse vostre prou faire. Lors se partit Messire Jean Chandos & r'apporta entre ses gens sa banniere, & dit ainsi: Seigneurs, veez-cy ma banniere & la vostre, si la gardez comme la vostre. Qui est un passage presque assez formel pour nous apprendre quels furent jadis les Chevaliers Bannerets.

Au demeurant, pour autant que les factions de la maison de Bourgongne & Orleans avoient amené un grand Chaos & desordre à ceste ancienne police, parce qu' à chaque bout de champ les uns & les autres faisoient des Chevaliers à leur poste: Louys unziesme pour couper broche à ceste confusion, introduisit dés le premier jour d' Aoust mil quatre cens soixante neuf, un ordre de Chevaliers par forme de confrairie, leur donnant pour patron S. Michel. Induit specialement à ce faire: parce qu' il estimoit que sainct Michel avoit esté le principal protecteur de ceste France, pendant les guerres des Anglois. Car Jeanne la pucelle (du pretexte de laquelle s' estoit grandement aidé le Roy Charles septiesme, pour le recouvrement de ses terres) publioit en tous lieux, qu' elle avoit propos & communication de conseil, toutes les nuicts, avec sainct Michel, ainsi que l' on peut lire dedans le procés qui luy fut fait. Tellement que Louys unziesme estimant que le plus grand ennemy qu' eussent eu les Anglois, c' estoit ce grand Sainct: lequel mesmement n' avoit laissé venir en leur subjection le lieu où de tout temps & ancienneté on luy a dedié un Temple, qui est le mont S. Michel, voulust dresser ceste confrairie, quasi pour eternel trophee & commemoration des victoires que son pere avoit obtenuës sur les anciens ennemis de la France: & pour ceste cause il institua d' entree trente six Chevaliers de cest Ordre, dont il estoit le chef & souverain: & quant à ceux qu' il voulut honorer premierement d' iceluy, ce furent Charles son frere Duc de Guyenne, Jean Duc de Bourbonnois & d' Auvergne, Louys de Luxembourg Comte de S. Paul, Connestable de France, André de Laval Seigneur de Loheac, Mareschal de France, Jean Comte de Sanxerre, Seigneur de Bueil, Louys de Beaumont, Seigneur de la Forest & Plessis, Louys de Toute-ville, Seigneur de Torcy, Louys de Laval, Seigneur de Chastillon, Louys bastard de Bourbon, Comte de Rossillon & Admiral de France, Anthoine de Chabanes, Comte de Dammartin, grand Maistre d' hostel de France, Jean bastard d' Armignac, Comte de Cominges, & Mareschal de France, George de la Trimoille, Seigneur de Craon, Gilbert de Chabanes, Seigneur de Curton, Seneschal de Poictou, Taneguy du Chastel, Gouverneur du pays de Rossillon & de Sardaigne, & le surplus pour accomplir & parfaire le nombre de trente six, il le reserva à sa discretion selon que l' occasion le requerroit. Auparavant ceste brave institution le Roy Jean avoit institué l' ordre de l' Estoile au Chasteau de Sainct Ouen, le sixiesme jour de Janvier mil trois cens cinquante & un: Et portoit chaque Chevalier une Estoile d' or à son chaperon, comme ceux de Sainct Michel sont tenus de porter l' effigie de Sainct Michel à leur col. 

Et presque de ce mesme temps, Edoüart troisiesme Roy d' Angleterre institua l' ordre de la Jartiere, qui est un Jartier bleu que tout Chevalier de cest ordre est tenu de porter au genoüil droict. Et est la devise de cest ordre, HONNY SOIT-IL QVI MAL Y PENSE: Chose qui proceda pourautant que ce Roy Edoüart estant grandement amoureux de la Comtesse de Salbery, & l' entretenant de paroles, il advint par cas fortuit, que l' un des Jartiers de ceste Dame tomba, lequel fut par une promptitude assez mal seante à ce Prince soudainement relevé. Qui apresta occasion de rire à plusieurs qui luy assistoient: Au moyen dequoy le Roy indigné, protesta deslors que tel s' en estoit mocqué, qui s' estimeroit bien-heureux de porter la Jarretiere. Et de fait, tant pour l' amitié de sa Dame, qu' en haine & desdain de ceux qui en avoient fait risee, il institua cest ordre de Chevalerie en son Royaume, avecques ceste devise, HONNY SOIT-IL QVI MAL Y PENSE: Voulant dire que l' amitié qu' il portoit à la Comtesse, & qui luy avoit causé de lever sa Jartiere, estoit en tout honneur. Il y a eu aussi quelques autres ordres de marque, & entre autres celuy de la Toison d' or de la maison de Bourgongne, qui fut introduit l' an 1429. par le bon Duc Philippes de Bourgongne. Et semblablement celuy de l' Annonciade en la maison de Savoye institué par Amé sixiesme Comte de Savoye. Tous lesquels se sont trouvez de grande recommandation, chacun diversement selon la diversité des pays & contrees. Et par special entre nous, ces Chevaliers de Sainct Michel, lesquels nous appellons simplement, Chevaliers de l' ordre: Ausquels toutesfois il s' est rencontré un grand desordre, depuis que le mot de Huguenot a pris vogue parmy ceste France. D' autant que là où anciennement on bailloit le collier, avec une grande religion & respect à peu de personnes: l' on a depuis le commencement de ces troubles intestins, fait une infinité de tels Chevaliers, avec un tresgrand abandon. Mais pour ne parler point des vivans, je lairray ce discours à ceux, qui sans aucune crainte entreprennent dedans leurs estudes privees, l' histoire du temps present. Histoire, laquelle estant bien escrite, & d' une main non partiale, apportera grande merveille & admiration de ce siecle à tous les siecles qui ont à nous succeder.

Le Roy Henry III. dernier mort ayant inesperement receu deux grandeurs de Dieu: l' une quand le jour de la Pentecouste 1573. il fut aux Comices generaux de Polongne, proclamé Roy de Polongne: L' autre quand par le decés du Roy Charles IX. son frere, l' annee suivant ce mesme jour luy escheut la Couronne de France. En commemoration de ces deux grands bien-faits, mesmes pour aucunement reformer la desbauche qui se trouvoit en l' ordre de S. Michel, introduisit un nouvel ordre de Chevalerie, appellé tantost l' Ordre, tantost la Milice du S. Esprit, & ce au mois de Decembre 1598. Et qui en voudra sçavoir les statuts, voye le dixhuictiesme livre du Code Henry, du feu President Brisson, dans lequel il trouvera vingt & trois titres concernans ceste matiere

Mais pour retourner à mon entreprise, tout ainsi que le desarroy qui avoit couru parmy la France, par le moyen de ces deux grandes maisons & familles d' Orleans & de Bourgongne, avoit enfanté une infinité de Chevaliers: Qui fut cause que les choses estans adoucies, le Roy Louys XI. pour gratifier de quelque tiltre extraordinaire ses favoris, introduisit l' Ordre de sainct Michel: aussi ce mesme desarroy occasionna le Roy Charles septiesme (apres plusieurs travaux & fatigues) d' establir une nouvelle police au fait de sa gendarmerie. Jamais ne fut qu' en ceste France n' y eust gens de cheval & de pied, pour la conservation du Royaume, toutesfois l' injustice du temps avoit esté telle, premierement par les factions de ces deux maisons, puis par la survenuë des Anglois, que toute la gendarmerie Françoise estoit presque en confusion & desordre, pillant, rodant, & degastant le plat pays sans controolle. Parce que le Roy qui avoit affaire de gens pour faire teste à l' Anglois, estoit contraint de passer outre par connivence. Toutesfois ayant depuis reduit sous sa devotion la plus grande partie des terres de l' ancienne obeyssance de nos Roys, & fait son entree dedans la ville de Paris, il voulut en l' an mil quatre cens trente neuf, remettre toute sa gendarmerie en meilleur train qu' elle ne s' estoit trouvee pendant les guerres qui s' estoient peu auparavant passees. Pour ceste cause dit Maistre Alain Chartier en l' histoire qu' il a escrite de son temps, Voyant le Roy Charles septiesme, qu' à tenir tant de gens courans sur les champs, ce n' estoit que destruction de son peuple, & qu' à chacun combattant falloit dix chevaux de bagage, de fretin, de pages, & valets, & toute telle coquinaille, qui ne sont bons qu' à destruire le peuple: Si ordonna par grande deliberation de son Conseil, de mettre tous ces gens d'armes és frontieres: chacun homme d' arme a trois chevaux, & deux archers, ou trois, & non plus. Et seroient faictes leurs monstres, & payez tous les mois, & chassez hors tout le demourant du harpail. Et pour ce faire, & commencer telle ordonnance, le Roy fit bailler & deliurer à tous ses Capitaines, argent & artillerie. Et quelques annees apres, (sçavoir est, l' an mil quatre cens quarante quatre) le mesme autheur nous atteste que ce Roy ordonna que tous ces gens d'armes feroient monstre, & que des mieux equippez, & de plus gens de bien, on en prendroit quinze cens lances, & quatre mille Archers, & le demeurant s' en retourneroit en leurs maisons. Chassant tous les Capitaines, en ordonnant seulement quinze qui avroient cent lances, & au prorata des Archers, lesquels seroient logez par les villes de ce Royaume, & payez & nourris du bien du peuple. Et si hardy d' iceux gens d'armes & Archers de faire desplaisir, ny rien prendre sur hommes des champs, ny des villes. De là commença la police des garnisons, qui sont distribuees par les villes de ce Royaume, pour nourrir & alimenter les hommes d'armes. Et de ce mesme ordre il est advenu que nous attribuons au Roy Charles septiesme, d' être le premier introducteur d' iceux hommes d'armes, tels que nous les avons pour le jourd'huy en ceste France: Lesquels furent depuis appellez, Gens des Ordonnances, pour le reglement qui leur convint lors tenir, par les Ordonnances de ce Roy. Ce mesme Roy aussi cognoissant en quelle tempeste il avoit passé sa jeunesse, & combien luy estoit necessaire avoir en son Royaume des gens nourris & entretenus aux armes, introduisit les Francs Archers. En ce temps (c' estoit vers l' an mil quatre cens quarante huict) le Roy ordonna, dit le mesme autheur, d' avoir en chacune parroisse de son Royaume un Archer armé, & prest, toutes les fois que bon luy sembloit pour faire guerre à son plaisir, quand il luy seroit besoin. Et à ceste occasion, a fin qu' ils fussent sujets à ce faire, les affranchit de non payer tous subsides courans en son Royaume. Et fut ordonné aux Baillifs du dit Royaume, chacun endroict soy, choisir en chacun Bailliage & parroisse, les plus habiles & idoines. Qui n' estoit pas une invention petite, attendu mesmement que telles gens estoient de petit coust au Roy. Toutesfois pour les abus qui depuis s' y commettoient, en l' eslection de telle maniere de Francs Archers, ceste invention se perdit assez tost entre nous. D' autant que Louys unziesme, qui estoit d' un entendement particulier & soupçonneux, au lieu de soy aider des siens, fut celuy qui premier s' aida des armes des Suisses, laissant les siennes naturelles en arriere. Chose qui ne fut oncques approuvee en tout Royaume bien reformé: Pour-autant que pendant que nous aguerrissons à nos despens l' estranger, nous aneantissons le cœur des nostres, faisans plus d' estat de leurs bourses que de leurs forces: Dont viennent petit à petit les ruines des grandes Republiques & Monarchies. Sur lequel propos il me souvient avoir leu que du temps du susmentionné Charles septiesme, la necessité des guerres avoit tellement endurcy au travail des armes, nos François, qu' en l' an mil quatre cens quarante & quatre, ayant le Roy fait une trefue de dix-huict mois avec l' Anglois, il prit conclusion en son conseil, d' aller guerroyer de gayeté de cœur, l' Allemagne: a fin que ses soldats ne s' assopissent point ce pendant, dans une lasche oysiueté. Ce qui fut fait & accomply sous la conduitte du Dauphin. A laquelle entreprise se joignirent de mesme cœur plusieurs compagnies Anglesches: Laquelle chose intimida de telle sorte les Allemans, qu' apres avoir esprouvé quelques efforts & secousses des nostres, ils furent contraints d' implorer la paix, moyennant certaines sommes de deniers qu' ils fournirent pour le defroy de la guerre. Qui nous apprend combien pourroit le François de soy-mesmes s' il estoit tousjours duit & industrié aux armes.

Ce lieu m' admoneste, apres avoir discouru sur les Fiefs, sur la Noblesse, Chevalerie, & gens des ordonnances, de donner semblablement icy lieu aux Escussons & Armoiries, que nos Nobles & Gentils-hommes portent ordinairement pour une remarque de leur Noblesse ancienne. C' a tousjours esté une coustume familiere à toutes nations d' avoir eu quelque image, pour être en temps de guerre une enseigne, sous laquelle se peussent r'allier les gens d'armes. Agrippa en son discours de la vanité des sciences, au chap. 9. s' est amusé à nous en amasser plusieurs exemples. Disant que les Romains curent l' Aigle: les Phrigiens le Pourceau: les Thraciens une Mort: les Gots une Ourse: les Alains arrivans és Espagnes un Chat (chatalains): les premiers François un Lyon, & les Saxons un cheval. Et certes le premier qui entre les Romains prit l' Aigle, pour le rendre perpetuel, ainsi que nous apprenons de Valere, fut le vaillant Capitaine Marius. Car auparavant sa venuë, les Romains usoient indifferemment en leurs estendarts, de Loups, de Leopards, & d' Aigles, selon ce qu' il montoit à la fantasie des Colomnels de leurs osts. Depuis, comme j' ay dit, cest Aigle leur fut une perpetuelle enseigne, pour le general de l' armee. Et consecutivement chasques bandes curent certaines formes d' Armoiries distinctes en leurs enseignes, qui furent aussi perpetuelles, ainsi que nous pouvons apprendre du livre qui court és mains des doctes, intitulé la Notice de l' Empire Romain. Toutesfois quant à nous, je ne me puis persuader, que ny nos Rois, ny leurs Capitaines, sur leur premiere arrivee en ceste Gaule, eussent telles manieres d' enseignes ou armoiries perpetuelles: ains est mon jugement tel (combien que je m' en rapporte de cecy à l' opinion des plus sages) que les armoiries anciennes, tant de nos Roys, que de leurs sujets, estoient devises telles qu' il plaisoit à un chacun se choisir. Comme de nostre temps nous avons veu le Roy François I. du nom avoir pris pour sa devise, la Salemandre: & le Roy Henry son fils, le Croissant. Car voyant que tantost quelques autheurs disent que les armoiries des François estoient trois crapaux, tantost trois Couronnes, tantost trois Croissans, tantost un Lion rampant, portant à sa queuë un Aigle: Je ne puis penser dont procede ceste diversité d' opinions, sinon que les autheurs qui nous devancerent sur le milieu de nos Rois, trouverent quelques uns d' entr' eux porter en ses armes, l' un trois croissans, l' autre trois crapaux, & ainsi raportans ceste particularité à une generalité du païs (d' autant que du temps d' iceux autheurs les armoiries estoient ja faites perpetuelles) ils estimerent chacun en son endroict que les armoiries de France fussent les unes trois Couronnes: les autres, trois Croissans: les autres le Lyon: les autres trois Crapaux, jusques à la venuë de Clovis, lequel pour rendre son Royaume plus miraculeux, se fit apporter par un Hermite, comme par advertissement du Ciel, les fleurs de Lys, lesquelles se sont continuees jusqu' à nous. Et quasi à mesme propos me souvient que Polidore Vergile en la vie de Guillaume le Bastard, dit que jusques à la venuë de ce brave Roy, tous les Roys d' Angleterre n' avoient armes certaines & arrestees, ains les diversifioient à chaque mutation de regne, ainsi qu' il plaisoit au Roy, sur son avenement à la Couronne. Pour laquelle chose averer, il asseure avoir veu un vieil livre contenant les armoiries particulieres de tous les autres Roys d' Angleterre. Et vrayement dedans nos anciens Romans, qui nous ont sous le masque de leurs fables representé les vieux temps, je ne trouve point les Chevaliers avoir armoiries arrestees, & encore moins continuees de pere à fils, ains diversement tirees, ou de la faveur qu' ils recevoient de leurs dames, ou selon quelque acte de vaillance qu' ils avoient executé, ou bien suivant l' opinion qu' ils se promettoient de bien faire à l' avenir, imprimans chacun sur son Escu, ce qu' il avoit en la pensee: a fin qu' en une meslee, il peust être recogneu des autres par sa devise. Chose qui a fait, que depuis ont esté telles remarques appellees entre nous, Armes, Armoiries, Escussons. Toutesfois ny plus ny moins que les Roys d' Angleterre se bornerent aux armoiries de Guillaume le Bastard, & les François, en ces Lys miraculeux de Clovis: aussi chaque grande famille, apres avoir eu quelque personnage de nom, qui par sa proüesse & vertu, donna anoblissement à sa race, s' arresta à la commune devise de luy. Et ceux qui se sont voulu exalter en cas de Noblesse dessus le commun, se sont estimez tenir plus de la grandeur, lors que leurs armes leurs estoient donnees par le devis & opinion de leur Prince. En ceste maniere recite le Sire de Joinville, qu' un nommé Messire Arnaut de Comminge, Vicomte de Couserans, avoit ses armes d' or à un bord de gueules: lesquelles il disoit avoir esté donnees à ses predecesseurs, qui portoient le surnom d' Espagne, par le Roy Charlemagne, pour les grands services qu' ils avoient faicts aux Espagnes contre les infideles. Et tout de ceste mesme façon Jeanne la Pucelle, qui pour ses chevaleureux exploicts, fut annoblie avec tous les siens, eut pour ses armoiries, du Roy Charles septiesme, un escu à champ d' azur, avec deux fleurs de Lys d' or, & une espee, la poincte en haut, fermee en une Couronne. Ainsi que les choses vont pour le jourd'huy, l' on tire les armoiries en deux manieres. Dont l' une est prise de l' equivoque des noms, & l' autre fondee sur telle raison que mal-aisément la peut-on rendre, sinon que de telles armes ont de tout temps immemorial jouy nos ancestres, en nos familles. Enquoy, combien que ces dernieres soient grandement agreables aux Seigneurs, qui seroient tres-contens de tirer leur Noblesse, d' une eternité, ou iroient volontiers chercher leurs predecesseurs (ainsi que Guerin Mesquin, son pere) dedans les arbres du Soleil, si est-ce que l' on trouve plusieurs grandes & nobles maisons qui portent leurs armes conformes à leurs noms. Et mesmement les grands Royaumes qui nous sont voisins, en ont forgé de ceste marque. Car celuy de Grenade porte seulement neuf Grenades entamees: celuy de Galice: une coupe en forme de Galice (cáliz), environnee de six Croix: celuy de Leon, un Lyon, & celuy de Castille un Chasteau. Il seroit difficile de dire, combien de noises & debats engendrent quelquesfois entre les Nobles, ces armoiries. Qui fut cause, que autresfois Bartole Docteur és Droicts, en fit un traicté expres. Et qu' en cas semblable le facetieux Poge Florentin, se mocquant de telles querelles, dit que deux Gentils-hommes estans sur le poinct de combattre pour leurs armes, lesquelles chacun d' entr' eux pretendoit être trois testes de Bœuf, fut par les Mareschaux du Camp trouvé un prompt expediant pour les accorder: adjugeans à l' un trois testes de Boeuf, & à l' autre trois testes de Vache. Aussi à dire le vray, sont-ce disputes assez oyseuses & inutiles. Car encores que nos armoiries soient annexees à nos familles, quasi pour un privilege ancien de nos vaillances: si est-ce que nostre proüesse & vertu ne doit despendre d' icelles armes. Et si quelquesfois elles nous furent octroyees par le Prince, pour attestation de quelque Chevalerie faite par quelqu' un de nos bisayeux, c' estoit à luy de les deffendre, & non pas à nous, de nous r' alentir sur ceste vaine opinion de nos ancestres, ains devons penser qu' il faut que nostre Noblesse despende principalement de nostre fonds: & que pendant qu' assopissons nos sens sur ceste folle imagination, nous nous trouvons petit à petit devancez par gens de plus basse condition, mais de plus haut courage que nous: Ne nous restans le plus du temps, tant des grands biens, que des vertus de nos predecesseurs, pour toute trace, que les armoiries nuës & simples. Laquelle chose (si nous avions autant de sentiment de douleur, comme faisons semblant d' avoir de nostre grandeur) deussions estimer retourner plustost à nostre honte, confusion, & impropere, qu' à nostre loüange & honneur. 

samedi 3 juin 2023

3. 6. Des libertez de l' Eglise Gallicane devant & sous la premiere lignee de nos Roys.

Des libertez de l' Eglise Gallicane devant & sous la premiere lignee de nos Roys. 

CHAPITRE VI. 

Jamais dignité ne monta à telle grandeur que la Papauté, & jamais dignité ne fut tant combatuë en ce monde, comme celle-là, non par armes materielles, ains par les spirituelles, par les opinions d' uns & autres: les aucuns luy donnans (ainsi que quelques-uns estiment) plus qu' il ne luy appartenoit, ores qu' il luy en appartint beaucoup, & les autres beaucoup moins. Je dy expressemment combatuë par uns & autres: parce que ce n' est pas petite question de sçavoir lequel des deux lui a plus nuit, ou celui qui noury en cour de Rome par flateries courtizanes luy a voulu trop donner, ou l' autre qui habitué és parties Septentrionales, luy en a moins accordé. Car encores que le premier faisant contenance de soustenir la grandeur de son maistre apportast en faveur de luy, une infinité de propositions prejudiciables tant aux Roys, Princes, & Potentats, qu' aux Patriarches, Archevesques, & Evesques, si est-ce que le temps nous a enseigné qu' il ressembloit en cecy au Lierre, lequel embrassant estroitement une paroy, semble la soustenir pour quelque temps aux yeux de ceux qui la regardent, toutesfois petit à petit la mine interieurement: aussi le semblable est-il avenu au fait present. Car combien que pour quelque temps ces propositions ayent porté coup à l' avantage du Pape, & desavantage de tous autres Princes, toutesfois nous avons cogneu puis apres qu' elles couvoient sous elles, sinon la ruine, pour le moins quelque diminution de sa dignité. Et ont esté cause qu' au long aller plusieurs peuples se sont voulu soustraire de son obeïssance. Tellement que celuy qui luy en a voulu trop bailler, l' a mais au hazard de tout perdre, au grand scandale de l' Eglise, dommage de la Chestienté, & desolation de tous les Estats Politics. De ma part ne m' estant icy proposé de juger des coups, je me contenteray de reciter comme toutes choses se sont passees en cest endroit, laissant au jugement des plus sages, & clair-voyans, si elles se devoient en ceste façon escouler.

Il ne faut faire nulle doute que les Papes n' ayent tousjours eu le premier Siege de l' Eglise Chrestienne, & pour tels recogneuz de toute l' ancienneté. Ils furent pour tels recogneuz, toutesfois avec ceste honneste modification, qu' il n' estoit en leur puissance de terrasser les autres Evesques. Mesmes encores que pour le jourd'huy nous appellions le Siege de Rome, Siege Apostolic (mot que nous n' approprions à nul autre) si est-ce que comme j' ay dit ailleurs, tous les Sieges du commencement ausquels les Apostres, ou leurs Disciples avoient presidé, estoient nommez Apostolics. Et depuis ce mot fut specialement adapté par succession de temps seulement aux Sieges de Rome, Alexandrie, Antioche, & Hierusalem, comme nous recueilions des Histoires Ecclesiastiques de Socrate, Sozomene, & Theodoric, jusques à ce que les trois dernieres villes estans tombees sous la puissance des Sarrazins, ausquelles ne restoit plus, si ainsi je l' ose dire, qu' un tiltre imaginaire d' Eveschez, il n' y a aujourd'huy Eglise entre nous qui porte ce tiltre de sainct Siege Apostolic, fors celuy de Rome.

Au demourant ne laissoient les autres Evesques & Pasteurs d' estimer que chacun d' eux dans leurs dioceses estoit de mesme puissance & authorité sur leurs brebis, comme tous les Evesques Apostolics dedans leurs confins. C' est la cause pour laquelle, combien que sainct Cyprian Evesque d' Affrique recogneust avec tout honneur & respect, Cornelian Evesque de Rome, superieur de toute l' Eglise, & qu' à ceste occasion luy & quarante un Evesques l' eussent supplié par lettres de trouver bon que l' on admist à la communion de l' Eglise ceux qui pour la crainte des tourmens s' en estoient distraits, mais estoient revenus à penitence: & qu' en autre endroict escrivant au mesme Pape, il confesse que la Chaire de S. Pierre est l' Eglise principale, dont estoit issuë l' unité sacerdotale. Toutesfois en la mesme Epistre il se plainct que Felicissime heretique Affricain, s' estoit venu justifier à Rome, au prejudice des Evesques d' Affrique, dont il estoit justiciable, & par lesquels il avoit esté excommunié. Luy mesmes escrivant encores à Cornelian Evesque de Rome, & le priant de recevoir quelqu' un à sa communion, il adjouste tout suivamment: Je veux dire, fait-il, à l' unité de l' Eglise Catholique. 

Et en un autre lieu à Jubaïan. Car Dieu, dit-il, authorisant sainct Pierre, sur lequel il edifia son Eglise, & dont il voulut que l' Eglise universelle prit sa source, luy donna ceste puissance, que tout ce qui seroit par luy lié sur la terre, seroit aussi lié aux Cieux. Qui sont tous passages formels, par lesquels on voit en quelle reverence ce sainct personnage avoit le Siege de Rome: ce neantmoins il ne voulut jamais passer (condénatió) condemnation que pour cela, l' Evesque de Rome peust decreter chose aucune sur les diocesains des autres Evesques, en ce qui estoit de leurs dioceses. Ainsi voyez-vous qu' escrivant à Antonian, il dit que l' Eglise de Dieu est un grand Evesché composé de plusieurs Evesques, qui simbolisent en foy ensemble. Et au Concil qu' il tint dans Cartage sur la question de sçavoir s' il failloit rebaptiser le Chrestien, qui avoit esté baptisé par un Evesque heretique, il fut arresté que nul ne se devoit nommer Evesque des Evesques, ny tyranniquement attirer son compagnon à son opinion: comme estans tous les Evesques exposez au jugement de Jesus-Christ, lequel avoit seul, & pour le tout, puissance d' establir les Prelats aux gouvernemens de ses Eglises, & de juger de leurs actions. Pareille resolution trouvons nous dans sainct Hierosme, escrivant à Evagre, quand il dit que le moindre Evesque estoit aussi grand dedans ses fins, & limites, que le plus grand de la Chrestienté. Et toutesfois il ne faut douter qu' il n' estimat la chaire de sainct Pierre être la premiere de toute l' Eglise, ainsi que nous recueillons par expres de l' Epistre qu' il escrit à Damase Pape. Bannisson (disoit-il) de nous l' envie de ceste puissance de Rome, eslongnons nous de l' ambition: j' ay maintenant affaire avec le successeur d' un pescheur, disciple de la Croix. Quant à moy, ne me representant autre premier que Jesus-Christ, je fais vœu de communion perpetuelle avecques vostre Saincteté. Je veux dire avecques là chaire de sainct Pierre. Je sçay, & veux recognoistre que sur ceste Pierre l' Eglise de Dieu est bastie, & que quiconque mangera l' Aigneau Paschal hors ceste maison, sera excommunié. Car aussi s' il advient que pendant le deluge aucun soit mis hors l' Arche de Noé, il est noyé. Tous lesquels passages nous enseignent avec quelle devotion ces bons vieux peres embrasserent la grandeur de l' Evesque de Rome, entre tous les autres: toutesfois avec ceste condition qu' il ne pouvoit riens entreprendre sur les autres Evesques. 

Or ne faut-il point douter qu' entre toutes les nations, celle de la Gaule ne favorisast infiniement le sainct Pere de Rome, avec une honneste dispense de luy faire des remonstrances, tantost humbles, tantost aigres, & rigoureuses, selon que nous le voyons plus ou moins s' emanciper du devoir commun de l' Eglise. De là vient qu' au cinquiesme livre de l' histoire Ecclesiastique d' Eusebe, vous voyez le Clergé de Lyon admonnester doucement Eleuthere Evesque de Rome d' acquiescer à la raison, & ne se separer de la communion de quelques autres Eglises, comme il avoit fait. De là au mesme livre, que Victor Evesque de Rome ayant excommunié les Eglises du Levant, qui ne s' accordoient avec luy, sur quelques ceremonies des jours concernant la celebration des Pasques, est non seulement admonnesté par sainct Irené Evesque de Lyon, mais tres-aigrement repris d' apporter ceste division en l' Eglise. Passages dont on peut sans flatterie, ou calomnie remarquer, & l' authorité qu' avoient deslors les Evesques de Rome, & la liberté honneste qui estoit en l' Eglise Gallicane, de controoler sobrement leurs actions lors qu' elles se mettoient à l' essor. Quelques seditieux & mutins de nostre siecle ont voulu soustenir que le mot d' Eglise Gallicane estoit une chimere, non recogneuë par les anciens autheurs, toutesfois vous en trouverez expresse mention dedans Yves Evesque de Chartres, en ses 94. 116. & 118. Epistres, & dans Sigebert sur le commencement de sa Chronique, & le Pape Hormisda parle de Canonibus Gallicanis, in c. si quis Diaconus 50. distinct.

La proposition generale de nostre Eglise Gallicane fut de reduire toutes ses pensees à l' union de l' Eglise Romaine, la recognoistre la premiere, simboliser aux articles de foy, & aux principes generaux, & universels de l' Eglise, avecques elle, comme estant la vraye source & fontaine, dont il les falloit puiser, laquelle n' avoit jamais esté troublee par les damnables & malheureuses heresies de l' Orient. Mais en ce qui despendoit de la discipline Ecclesiastique, nous n' estimions qu' il fallut l' aller mendier à Rome, ains que chaque Evesque avoit puissance de l' establir modestement dans son diocese. Et s' il y avoit quelque obscurité, qui resultast de ce, ils avoient accoustumé de la resoudre par Concils Nationnaux, ou Provinciaux, ausquels on ne mendioit aucunement l' authorité du sainct Siege, ains des Evesques des Gaules. Comme en cas semblable les Abbayes voulans être exemptes de la jurisdiction de leurs Evesques, on ne passoit point les monts pour obtenir leurs exemptions. Car ainsi trouvons-nous és Archifs de sainct Germain des Prez, que quand le Roy Childebert voulut exempter ceste Abbaye de la puissance de l' Evesque de Paris, il y interposa seulement l' authorité de cest Evesque, assisté de sept ou huict autres qui tous sous-signerent ceste exemption: & le semblable fut fait par Landry Evesque de Paris, pour l' exemption de sainct Denis en France, comme on voit par un autre tiltre ancien, qui est au Thresor de ceste Abbaye. Et vivans en ceste façon, nous eusmes beaucoup de choses distinctes & separees quant aux mœurs de l' Eglise Romaine. 

Ainsi voyons-nous qu' auparavant le temps de Charlemagne, le chant de l' Eglise Gallicane estoit autre que celuy de l' Eglise Romaine: Ainsi usant l' Eglise de Rome du Psaultier de la version des septante deux Interpretes, soudain, apres que S. Hierosme l' eust traduit, l' Eglise Gallicane prit pour son usage ceste traduction. Enquoy les choses nous succederent si à propos, que tout ainsi que nous laissames par traicte de temps nostre premier, & ancien chant, pour prendre celuy de l' Eglise Romaine, aussi à nostre imitation l' Eglise Romaine quitta la version des septante deux Interpretes, pour se tenir à celle de S. Hierosme. En cas semblable furent plusieurs choses introduites en nostre Eglise Gallicane, qui depuis furent transportees delà les mots (monts). Car le premier que l' on dit avoir jamais composé des Hymnes, & Cantiques, pour des chanter en l' honneur de Dieu, & de ses Saincts és Eglises, fut sainct Hilaire Evesque de Poictiers, & celuy qui apres se voulut en cecy conformer à luy, fut sainct Ambroise Evesque de Milan: Pareillement celuy qui premier inventa les Rogations, que nous celebrons la sepmaine avant l' Ascension, fut Mamerque Evesque de Vienne. Institution qui depuis fut trouvee si bonne, qu' elle s' est par une taisible alluvion espanduë par toutes les Eglises, & specialement en la Romaine. Et se rendirent aucuns des nostres tant admirables en saincteté, qu' ils firent mesme teste aux Empereurs, lors qu' ils les voyoient degenerer de la justice. Sulpice Severe nous enseigne que Maxime ayant occupé l' Empire, premierement en la grande Bretagne, puis és Gaules, où il commanda librement, à la honte des vrais & legitimes Empereurs, il fut pour ceste cause excommunié par nostre grand sainct Martin, qui ne le voulut jamais recevoir à communion, que premierement il ne l' eust deuëment informé que pour la seurté de sa vie, il avoit esté contrainct de s' impatroniser de l' Estat, & que s' il ne l' eust fait, les legionaires l' eussent mis à mort. Et le semblable fit-il contre Itachius, & Ursatius Evesques, lesquels contre les anciens Canons de l' Eglise avoient opiné à la mort des Priscilianistes. Excommunication qui fut de tel effect, que ces deux Evesques par plusieurs importunitez solliciterent l' Empereur de moyenner leur reconciliation avec ce sainct homme, laquelle l' Empereur Maxime, ny eux, ne peurent jamais obtenir, jusques à ce qu' ils eussent changé d' opinion, & fait penitence de leur erreur. Tant estoit grande, & venerable la reputation de ce grand personnage és Gaules. N' estant lors moins redoutee l' excommunication venant de sa part, que depuis celle des Papes venant de Rome. Tout de ceste mesme façon voyons nous que pour purger les heresies, on eut quelquefois recours à nostre Eglise Gallicane, aussi bien comme à la Romaine. Adon Archevesque de Vienne raconte que les Pelagiens troublans la foy de la grande Bretagne, nous leur envoyasmes S. Germain, & S. Loup, Evesques d' Auxerre, & de Troye, qui par leurs sainctes & Chrestiennes exhortations nettoyerent le pays de cest erreur.

Et ce qui de plus en plus authorisa nostre Eglise Gallicane fut, que selon la diversité des temps elle produisit des Prelats, qui pour leur saincteté furent grandement respectez de toute la Chrestienté. Uns Irené Evesque de Lion, Hilaire Evesque de Poictiers, Saturnin Evesque de Tholose, Martial, de Limoges, Denis, puis Germain de Paris, Gatian, & Martin de Tours, Medard de Soissons, Germain, d' Auxerre, Loup de Troye, Remy de Rheins (Rheims), Arnoul de Mets, tous enregistrez au catalogue des Saincts: sans faire icy estat de plusieurs autres grands personnages, qui par leurs merites se rendirent fort recommandez de toute l' ancienneté: Mamerque, & Avite à Vienne, Sidon Apollinaire en Auvergne, Saluian Prestre à Marseille, Gregoire en la ville de Tours. A fin que je ne face aussi mention de ceux qui furent sous la deux, & troisiesme lignee de nos Rois, pour lesquels j' apporteray en son lieu autre discours que celuy qui s' offre, quand l' occasion s'y presentera. Tous ces saincts hommes vivans en l' union de la foy approuvee par les saincts Concils generaux, & consequemment en celle de l' Eglise Romaine: toutefois ils ne permirent jamais que l' on entreprit dedans Rome sur leurs superioritez. Je ne veux point dire, ne permirent (ce mot sans y penser s' est escoulé de ma plume) mais bien le Pape ne se donna jamais permission d' enjamber sur leurs puissances, & authoritez ordinaires: Au contraire les laissa viure en ceste honneste & saincte liberté de Concils, tantost Nationaux, tantost Provinciaux, qu' ils avoient empruntez de l' Eglise primitive, & continuez de pere à fils. Car a fin que je ne foüille dans une longue & obscure ancienneté, où peut-être nous ne recognoistrions riens qu' à tatons, je commenceray mon discours par Leon premier, qui pour avoir grandement authorisé le sainct Siege, emporta le surnom de Grand, il y eut quatre Concils tenus de son temps en la Province de Narbonne, & encores deux autres és villés de Carpentras, & Arles, esquels non seulement il ne presida, mais qui plus est au second article du deuxiesme Concil, il fut dit que qui ne voudroit acquiescer à la sentence de son superieur, il failloit qu' il eust recours au Concil, sans faire mention de Rome. Chose que je ne penseray jamais que Leon eust passé par connivence (luy qui d' ailleurs avoit receu au Concil de Chalcedoine par quelques Clercs le tiltre d' Evesque, & Patriarche universel, & qui encores se le donna escrivant à Eudoxie Emperiere) s' il n' eust estimé qu' il ne devoit entreprendre sur les libertez de nostre Eglise. Comme aussi en donna-il jugement ouvert, quand en respondant à la demande qui luy avoit esté faite par Rustique Evesque de Narbonne, il luy escrivit que celuy n' estoit Evesque, qui n' avoit esté esleu par le Clergé, & confirmé par son Metropolitain: Ne mettant icy riens de reserve pour l' authorité du sainct Siege à ceste confirmation, & neantmoins vous voyez par ceste question que les nostres y avoient recours pour être esclaircis des obscuritez qui se presentoient entre eux.

Ceste Eglise Gallicane s' estant en ceste façon bastie par longue succession de temps, Clovis Roy de France, apres avoir receu le sainct Sacrement de baptesme, ny toute sa posterité, n' eschangerent riens de ceste ancienne liberté: & ne trouverez dessous toute ceste lignee un seul Concil entre nous qui soit assemblé sous l' authorité du sainct Siege, ains sous celle de nos Roys, esquels presidoit par fois le Metropolitain du lieu, par fois celuy, qui entre les Prelats pour sa saincte vie estoit en plus grande reputation, & par fois celuy qui estoit plus agreable au Roy. Il y en eut cinq notables en la ville d' Orleans. Le premier par le commandement de Clovis, où se trouverent trente trois Evesques: & là entre autres choses fut arresté, que les Abbez estoient sujects à la cohertion des Evesques, & que s' ils commettoient quelque irregularité, les Evesques les pouvoient chastier. Le second sous Childebert I. auquel presida Honorat Archevesque de Bourges, où entr' autres articles fut renouvellee l' ancienne police de l' eslection des Evesques Metropolitains, qui s' estoit perduë par la nonchalance du temps. C' est à sçavoir que le Metropolitain seroit esleu par les Ecclesiastics, & par le peuple de sa Province, & en apres confirmé par ses Evesques comprovinciaux, & qu' il seroit tenu de faire tous les ans un Concil Provincial. Le troisiesme sous le mesme Childebert le vingt-sixiesme an de son regne, où presida Loup Archevesque de Lion, auquel furent ramenez en usage plusieurs anciens Canons de l' Eglise, & defenses faites de vendre le bien de l' Eglise, voire aux Abbez mesmes, sans l' expresse authorité de l' Evesque. Le quatriesme sous le mesme Childebert, où il fut de rechef enjoint aux Metropolitains, de renouveller d' an en an leurs Synodes, avecq' leurs comprovinciaux. Le cinquiesme celebré le trente-huictiesme an du regne du mesme Roy, auquel par l' article xvij. il fut dit que les appellations du Metropolitain seroient jugees, & terminees par le Concil Provincial, qui se devoit tenir tous les ans, & defendu à tous Evesques, un siege vacquant, de riens attenter au prejudice de son successeur, tant au temporel, que spirituel. A l' exemple dequoy furent diversement tenus plusieurs autres Concils, selon que les affaires & necessitez Ecclesiastiques le desiroient. A Clairmont, où il fut conclud que l' Evesque seroit esleu par le Clergé, & confirmé par son Archevesque. Pareillement plusieurs en la ville de Tours, où mesmes par le second Concil furent faites inhibitions & defenses de laisser vaguer les pauvres d' une ville à autre, ains que chaque ville seroit tenuë de nourrir les siens: En la ville de Paris, où adjoustant aux eslections des Evesques, il fut de rechef ordonné que l' Evesque seroit esleu par le Clergé, & confirmé par l' Archevesque: Mais on y adjousta ces deux mots, sans que l' authorité du Roy y fust interposee. Et au surplus que l' on ne donnast au peuple un Evesque qui luy fust desagreable. Sous le Roy Gontran, deux à Lyon, deux à Mascon, un à Valence. En tous lesquels furent principalement traictees & decidees les affaires qui concernoient la discipline de l' Eglise, tant pour le regard des chefs, que des membres. Et outre ce, au dernier Concil d' Orleans, furent les heresies Eutichienne, & Nestorienne condamnees. Concils, puis-je dire, infiniement honorez par toute l' ancienneté, & dont Gratien le moine sçeut fort bien faire son profit dans son Decret. Aussi sont-ils inserez avec tous les autres Concils, comme estans approuvez, & authorisez de l' Eglise universelle, encores que l' authorité du sainct Siege n' y intervint. Et neantmoins nous pouvons remarquer en iceux une reigle generale, qui estoit qu' en apportans une honneste police à l' Eglise Gallicane, toutesfois ils embrassoient tres-estroictement les bonnes instructions & memoires du sainct Siege. Comme nous pouvons recueillir du troisiesme Concil d' Orleans. 

Et parce que paravanture l' on pourroit dire que c' estoient simples Concils Provinciaux, esquels n' estoit requise l' authorité du sainct Siege, encores y a-il passage expres d' Evesque qui florissoit de ce temps-là, & qui tenoit l' un des premiers lieux de la France, tant pour la dignité de luy, que de son siege, qui nous esclaircit grandement de ce poinct. Celuy dont je parle est Gregoire de Tours, lequel ayant esté envoyé par Childebert second en ambassade avec autres Prelats & Seigneurs, par devers Gontran Roy d' Orleans, executant le fait de sa charge, entre autres choses fit ces remonstrances à Gontran, comme luy-mesmes atteste au neufiesme livre de son histoire. Vous avez, dit-il, notifié à Childebert vostre nepueu qu' il eust à faire assembler en un lieu tous les Evesques de son Royaume, parce qu' il y a plusieurs difficultez, dont il se faut esclaircir: toutesfois il estoit d' advis que selon la coustume ancienne des saincts Decrets, chaque Metropolitain assemblast ses Evesques comprovinciaux, & que lors ce qui se trouveroit de male-façon en chaque province fut reformé par sanctions Canoniques. Car quelle raison y a-il de faire maintenant si grande congregation, veu qu' il n' y a nul peril eminent à nostre Eglise, & qu' il ne se presente aucune nouvelle heresie? Quelle necessité y a-il doncques que tant d' Evesques s' assemblent: A quoy le Roy fit responce: Il y a plusieurs choses, dont il faut cognoistre. Et lors il ordonna que le premier jour du quatriesme mois ensuyvant ce Concil fust tenu. Passage par lequel on peut indubitablement recueillir que non seulement les Concils particuliers, & Provinciaux, mais aussi generaux, & Nationaux, esquels il s' agissoit de la foy, s' ouvroient par l' authorité de nos Roys. Car Gregoire ne fait nulle doute par ce discours, s' il y eust eu quelque necessité apparente pour quelque nouvelle heresie, qu' il eust bien esté d' advis d' assembler ce Concil general, mais non autrement: & neantmoins Gontran s' en fit croire. 

Or seruoit encores l' usage de ces Concils à autre chose. Car si un Prelat estoit prevenu en justice, on assembloit soudain un Concil par l' auctorité du Roy, & en ceste assemblee legitime estoit fait le procez à cest accusé, lequel par les voix & suffrages des Evesques estoit condamné, ou absous, quelques fois au contentement de nos Roys, quelquesfois contre leur volonté. Gregoire Archevesque de Tours accusé d' avoir dit que Gontran Archevesque de Bourdeaux avoit incestueusement abusé de Fredegonde, Royne de France, son procés luy est fait en l' Eglise sainct Pierre de Paris (nous l' appellons aujourd'huy du nom de saincte Geneviefve) & là, bien que Chilperic & Fredegonde sa femme desirassent le contraire, il est absous de ceste faulse imputation. Au contraire Pretexat Archevesque de Roüen est en un autre Concil tenu à Paris, condamné à la solicitation, & poursuitte du mesme Roy. Auquel Concil (si vous lisez Gregoire de Tours) vous trouverez combien peut la solicitation du Roy, pour corrompre une Justice, quand telle est son intention. Autre Concil, par lequel Urcissin Evesque de Cahors est destitué de son Evesché, pour avoir receu dans sa ville, Gondebault Roy putatif. Cest Urcissin est celuy, pour la restitution duquel, sainct Gregoire escrivit depuis à Theodebert, & Theodoric Roys, nepueux du Roy Gontran. Autre Concil tenu à Lyon sous le mesme Gontran, ou Salon, & Sagitaire, Evesques d' Ambrun, & de Gap, furent aussi condamnez. Autre en la ville de Verdun sous Childebert second, où Gilles Archevesque de Rheims fut demis de son Archevesché, pour avoir voulu attenter contre la vie du Roy. Bref c' estoit une coustume si familiere à la France, que ce seroit du tout errer contre l' ancienneté, qui la voudroit ignorer

Et n' est pas chose qu' il faille aisément passer sous silence, qu' en toute ceste premiere famille de nos Roys, je ne voy point qu' aucun d' eux familiarisast avecques les Papes par lettres, ou autrement, fors la Royne Brunehault, Childebert son fils, & Theodebert, & Theodoric, enfans de Childebert, à l' endroit de sainct Gregoire. Ceste Royne, l' une des plus malheureuses Princesses que la terre porta jamais, pensa couvrir ses meschancetez envers Dieu, & les hommes, pour avoir recours à ce grand sainct homme. Platon disoit en ses loix qu' il y avoit trois especes d' Atheistes: les uns qui du tout soustenoient n' y avoir des Dieux: les autres, qu' il y en avoit, mais qu' ils ne se soucioient des affaires humaines, ains les laissoient vaquer à l' incertain: & les derniers qui croyoient y avoir des Dieux qui avoient soin de nous tous, mais qui facilement estoient appaisez par prieres. Non que par ceste derniere espece ce grand, & sage Philosophe voulut bannir de nos consciences, les prieres: mais il s' attachoit à ceux qui pensent toute meschanceté leur être permise, & en être quittes par une chimagree exterieure des prieres, recidivans neantmoins de jour à autre en leurs pechez. Vice fort familier quelquesfois aux plus grands. Et croy que ceste mesme opinion fit retirer Brunehault pardevers ce sainct personnage, joinct la reputation en laquelle estoit son Eglise. Qui est cause que S. Gregoire luy addresse plusieurs lettres, par lesquelles il louë infiniement le zele qu' elle portoit à la Religion Chrestienne: & à la suitte de cela, à Childebert, Theodobert, & Theodoric, pour le respect qu' ils portoient à leur mere, & ayeule. Ou bien paravanture en consideration de ce que Childebert guerroya quelque temps les Lombards, par lesquels l' Eglise de Rome estoit grandement affligee, comme voisins puissans & factieux.