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samedi 3 juin 2023

3. 6. Des libertez de l' Eglise Gallicane devant & sous la premiere lignee de nos Roys.

Des libertez de l' Eglise Gallicane devant & sous la premiere lignee de nos Roys. 

CHAPITRE VI. 

Jamais dignité ne monta à telle grandeur que la Papauté, & jamais dignité ne fut tant combatuë en ce monde, comme celle-là, non par armes materielles, ains par les spirituelles, par les opinions d' uns & autres: les aucuns luy donnans (ainsi que quelques-uns estiment) plus qu' il ne luy appartenoit, ores qu' il luy en appartint beaucoup, & les autres beaucoup moins. Je dy expressemment combatuë par uns & autres: parce que ce n' est pas petite question de sçavoir lequel des deux lui a plus nuit, ou celui qui noury en cour de Rome par flateries courtizanes luy a voulu trop donner, ou l' autre qui habitué és parties Septentrionales, luy en a moins accordé. Car encores que le premier faisant contenance de soustenir la grandeur de son maistre apportast en faveur de luy, une infinité de propositions prejudiciables tant aux Roys, Princes, & Potentats, qu' aux Patriarches, Archevesques, & Evesques, si est-ce que le temps nous a enseigné qu' il ressembloit en cecy au Lierre, lequel embrassant estroitement une paroy, semble la soustenir pour quelque temps aux yeux de ceux qui la regardent, toutesfois petit à petit la mine interieurement: aussi le semblable est-il avenu au fait present. Car combien que pour quelque temps ces propositions ayent porté coup à l' avantage du Pape, & desavantage de tous autres Princes, toutesfois nous avons cogneu puis apres qu' elles couvoient sous elles, sinon la ruine, pour le moins quelque diminution de sa dignité. Et ont esté cause qu' au long aller plusieurs peuples se sont voulu soustraire de son obeïssance. Tellement que celuy qui luy en a voulu trop bailler, l' a mais au hazard de tout perdre, au grand scandale de l' Eglise, dommage de la Chestienté, & desolation de tous les Estats Politics. De ma part ne m' estant icy proposé de juger des coups, je me contenteray de reciter comme toutes choses se sont passees en cest endroit, laissant au jugement des plus sages, & clair-voyans, si elles se devoient en ceste façon escouler.

Il ne faut faire nulle doute que les Papes n' ayent tousjours eu le premier Siege de l' Eglise Chrestienne, & pour tels recogneuz de toute l' ancienneté. Ils furent pour tels recogneuz, toutesfois avec ceste honneste modification, qu' il n' estoit en leur puissance de terrasser les autres Evesques. Mesmes encores que pour le jourd'huy nous appellions le Siege de Rome, Siege Apostolic (mot que nous n' approprions à nul autre) si est-ce que comme j' ay dit ailleurs, tous les Sieges du commencement ausquels les Apostres, ou leurs Disciples avoient presidé, estoient nommez Apostolics. Et depuis ce mot fut specialement adapté par succession de temps seulement aux Sieges de Rome, Alexandrie, Antioche, & Hierusalem, comme nous recueilions des Histoires Ecclesiastiques de Socrate, Sozomene, & Theodoric, jusques à ce que les trois dernieres villes estans tombees sous la puissance des Sarrazins, ausquelles ne restoit plus, si ainsi je l' ose dire, qu' un tiltre imaginaire d' Eveschez, il n' y a aujourd'huy Eglise entre nous qui porte ce tiltre de sainct Siege Apostolic, fors celuy de Rome.

Au demourant ne laissoient les autres Evesques & Pasteurs d' estimer que chacun d' eux dans leurs dioceses estoit de mesme puissance & authorité sur leurs brebis, comme tous les Evesques Apostolics dedans leurs confins. C' est la cause pour laquelle, combien que sainct Cyprian Evesque d' Affrique recogneust avec tout honneur & respect, Cornelian Evesque de Rome, superieur de toute l' Eglise, & qu' à ceste occasion luy & quarante un Evesques l' eussent supplié par lettres de trouver bon que l' on admist à la communion de l' Eglise ceux qui pour la crainte des tourmens s' en estoient distraits, mais estoient revenus à penitence: & qu' en autre endroict escrivant au mesme Pape, il confesse que la Chaire de S. Pierre est l' Eglise principale, dont estoit issuë l' unité sacerdotale. Toutesfois en la mesme Epistre il se plainct que Felicissime heretique Affricain, s' estoit venu justifier à Rome, au prejudice des Evesques d' Affrique, dont il estoit justiciable, & par lesquels il avoit esté excommunié. Luy mesmes escrivant encores à Cornelian Evesque de Rome, & le priant de recevoir quelqu' un à sa communion, il adjouste tout suivamment: Je veux dire, fait-il, à l' unité de l' Eglise Catholique. 

Et en un autre lieu à Jubaïan. Car Dieu, dit-il, authorisant sainct Pierre, sur lequel il edifia son Eglise, & dont il voulut que l' Eglise universelle prit sa source, luy donna ceste puissance, que tout ce qui seroit par luy lié sur la terre, seroit aussi lié aux Cieux. Qui sont tous passages formels, par lesquels on voit en quelle reverence ce sainct personnage avoit le Siege de Rome: ce neantmoins il ne voulut jamais passer (condénatió) condemnation que pour cela, l' Evesque de Rome peust decreter chose aucune sur les diocesains des autres Evesques, en ce qui estoit de leurs dioceses. Ainsi voyez-vous qu' escrivant à Antonian, il dit que l' Eglise de Dieu est un grand Evesché composé de plusieurs Evesques, qui simbolisent en foy ensemble. Et au Concil qu' il tint dans Cartage sur la question de sçavoir s' il failloit rebaptiser le Chrestien, qui avoit esté baptisé par un Evesque heretique, il fut arresté que nul ne se devoit nommer Evesque des Evesques, ny tyranniquement attirer son compagnon à son opinion: comme estans tous les Evesques exposez au jugement de Jesus-Christ, lequel avoit seul, & pour le tout, puissance d' establir les Prelats aux gouvernemens de ses Eglises, & de juger de leurs actions. Pareille resolution trouvons nous dans sainct Hierosme, escrivant à Evagre, quand il dit que le moindre Evesque estoit aussi grand dedans ses fins, & limites, que le plus grand de la Chrestienté. Et toutesfois il ne faut douter qu' il n' estimat la chaire de sainct Pierre être la premiere de toute l' Eglise, ainsi que nous recueillons par expres de l' Epistre qu' il escrit à Damase Pape. Bannisson (disoit-il) de nous l' envie de ceste puissance de Rome, eslongnons nous de l' ambition: j' ay maintenant affaire avec le successeur d' un pescheur, disciple de la Croix. Quant à moy, ne me representant autre premier que Jesus-Christ, je fais vœu de communion perpetuelle avecques vostre Saincteté. Je veux dire avecques là chaire de sainct Pierre. Je sçay, & veux recognoistre que sur ceste Pierre l' Eglise de Dieu est bastie, & que quiconque mangera l' Aigneau Paschal hors ceste maison, sera excommunié. Car aussi s' il advient que pendant le deluge aucun soit mis hors l' Arche de Noé, il est noyé. Tous lesquels passages nous enseignent avec quelle devotion ces bons vieux peres embrasserent la grandeur de l' Evesque de Rome, entre tous les autres: toutesfois avec ceste condition qu' il ne pouvoit riens entreprendre sur les autres Evesques. 

Or ne faut-il point douter qu' entre toutes les nations, celle de la Gaule ne favorisast infiniement le sainct Pere de Rome, avec une honneste dispense de luy faire des remonstrances, tantost humbles, tantost aigres, & rigoureuses, selon que nous le voyons plus ou moins s' emanciper du devoir commun de l' Eglise. De là vient qu' au cinquiesme livre de l' histoire Ecclesiastique d' Eusebe, vous voyez le Clergé de Lyon admonnester doucement Eleuthere Evesque de Rome d' acquiescer à la raison, & ne se separer de la communion de quelques autres Eglises, comme il avoit fait. De là au mesme livre, que Victor Evesque de Rome ayant excommunié les Eglises du Levant, qui ne s' accordoient avec luy, sur quelques ceremonies des jours concernant la celebration des Pasques, est non seulement admonnesté par sainct Irené Evesque de Lyon, mais tres-aigrement repris d' apporter ceste division en l' Eglise. Passages dont on peut sans flatterie, ou calomnie remarquer, & l' authorité qu' avoient deslors les Evesques de Rome, & la liberté honneste qui estoit en l' Eglise Gallicane, de controoler sobrement leurs actions lors qu' elles se mettoient à l' essor. Quelques seditieux & mutins de nostre siecle ont voulu soustenir que le mot d' Eglise Gallicane estoit une chimere, non recogneuë par les anciens autheurs, toutesfois vous en trouverez expresse mention dedans Yves Evesque de Chartres, en ses 94. 116. & 118. Epistres, & dans Sigebert sur le commencement de sa Chronique, & le Pape Hormisda parle de Canonibus Gallicanis, in c. si quis Diaconus 50. distinct.

La proposition generale de nostre Eglise Gallicane fut de reduire toutes ses pensees à l' union de l' Eglise Romaine, la recognoistre la premiere, simboliser aux articles de foy, & aux principes generaux, & universels de l' Eglise, avecques elle, comme estant la vraye source & fontaine, dont il les falloit puiser, laquelle n' avoit jamais esté troublee par les damnables & malheureuses heresies de l' Orient. Mais en ce qui despendoit de la discipline Ecclesiastique, nous n' estimions qu' il fallut l' aller mendier à Rome, ains que chaque Evesque avoit puissance de l' establir modestement dans son diocese. Et s' il y avoit quelque obscurité, qui resultast de ce, ils avoient accoustumé de la resoudre par Concils Nationnaux, ou Provinciaux, ausquels on ne mendioit aucunement l' authorité du sainct Siege, ains des Evesques des Gaules. Comme en cas semblable les Abbayes voulans être exemptes de la jurisdiction de leurs Evesques, on ne passoit point les monts pour obtenir leurs exemptions. Car ainsi trouvons-nous és Archifs de sainct Germain des Prez, que quand le Roy Childebert voulut exempter ceste Abbaye de la puissance de l' Evesque de Paris, il y interposa seulement l' authorité de cest Evesque, assisté de sept ou huict autres qui tous sous-signerent ceste exemption: & le semblable fut fait par Landry Evesque de Paris, pour l' exemption de sainct Denis en France, comme on voit par un autre tiltre ancien, qui est au Thresor de ceste Abbaye. Et vivans en ceste façon, nous eusmes beaucoup de choses distinctes & separees quant aux mœurs de l' Eglise Romaine. 

Ainsi voyons-nous qu' auparavant le temps de Charlemagne, le chant de l' Eglise Gallicane estoit autre que celuy de l' Eglise Romaine: Ainsi usant l' Eglise de Rome du Psaultier de la version des septante deux Interpretes, soudain, apres que S. Hierosme l' eust traduit, l' Eglise Gallicane prit pour son usage ceste traduction. Enquoy les choses nous succederent si à propos, que tout ainsi que nous laissames par traicte de temps nostre premier, & ancien chant, pour prendre celuy de l' Eglise Romaine, aussi à nostre imitation l' Eglise Romaine quitta la version des septante deux Interpretes, pour se tenir à celle de S. Hierosme. En cas semblable furent plusieurs choses introduites en nostre Eglise Gallicane, qui depuis furent transportees delà les mots (monts). Car le premier que l' on dit avoir jamais composé des Hymnes, & Cantiques, pour des chanter en l' honneur de Dieu, & de ses Saincts és Eglises, fut sainct Hilaire Evesque de Poictiers, & celuy qui apres se voulut en cecy conformer à luy, fut sainct Ambroise Evesque de Milan: Pareillement celuy qui premier inventa les Rogations, que nous celebrons la sepmaine avant l' Ascension, fut Mamerque Evesque de Vienne. Institution qui depuis fut trouvee si bonne, qu' elle s' est par une taisible alluvion espanduë par toutes les Eglises, & specialement en la Romaine. Et se rendirent aucuns des nostres tant admirables en saincteté, qu' ils firent mesme teste aux Empereurs, lors qu' ils les voyoient degenerer de la justice. Sulpice Severe nous enseigne que Maxime ayant occupé l' Empire, premierement en la grande Bretagne, puis és Gaules, où il commanda librement, à la honte des vrais & legitimes Empereurs, il fut pour ceste cause excommunié par nostre grand sainct Martin, qui ne le voulut jamais recevoir à communion, que premierement il ne l' eust deuëment informé que pour la seurté de sa vie, il avoit esté contrainct de s' impatroniser de l' Estat, & que s' il ne l' eust fait, les legionaires l' eussent mis à mort. Et le semblable fit-il contre Itachius, & Ursatius Evesques, lesquels contre les anciens Canons de l' Eglise avoient opiné à la mort des Priscilianistes. Excommunication qui fut de tel effect, que ces deux Evesques par plusieurs importunitez solliciterent l' Empereur de moyenner leur reconciliation avec ce sainct homme, laquelle l' Empereur Maxime, ny eux, ne peurent jamais obtenir, jusques à ce qu' ils eussent changé d' opinion, & fait penitence de leur erreur. Tant estoit grande, & venerable la reputation de ce grand personnage és Gaules. N' estant lors moins redoutee l' excommunication venant de sa part, que depuis celle des Papes venant de Rome. Tout de ceste mesme façon voyons nous que pour purger les heresies, on eut quelquefois recours à nostre Eglise Gallicane, aussi bien comme à la Romaine. Adon Archevesque de Vienne raconte que les Pelagiens troublans la foy de la grande Bretagne, nous leur envoyasmes S. Germain, & S. Loup, Evesques d' Auxerre, & de Troye, qui par leurs sainctes & Chrestiennes exhortations nettoyerent le pays de cest erreur.

Et ce qui de plus en plus authorisa nostre Eglise Gallicane fut, que selon la diversité des temps elle produisit des Prelats, qui pour leur saincteté furent grandement respectez de toute la Chrestienté. Uns Irené Evesque de Lion, Hilaire Evesque de Poictiers, Saturnin Evesque de Tholose, Martial, de Limoges, Denis, puis Germain de Paris, Gatian, & Martin de Tours, Medard de Soissons, Germain, d' Auxerre, Loup de Troye, Remy de Rheins (Rheims), Arnoul de Mets, tous enregistrez au catalogue des Saincts: sans faire icy estat de plusieurs autres grands personnages, qui par leurs merites se rendirent fort recommandez de toute l' ancienneté: Mamerque, & Avite à Vienne, Sidon Apollinaire en Auvergne, Saluian Prestre à Marseille, Gregoire en la ville de Tours. A fin que je ne face aussi mention de ceux qui furent sous la deux, & troisiesme lignee de nos Rois, pour lesquels j' apporteray en son lieu autre discours que celuy qui s' offre, quand l' occasion s'y presentera. Tous ces saincts hommes vivans en l' union de la foy approuvee par les saincts Concils generaux, & consequemment en celle de l' Eglise Romaine: toutefois ils ne permirent jamais que l' on entreprit dedans Rome sur leurs superioritez. Je ne veux point dire, ne permirent (ce mot sans y penser s' est escoulé de ma plume) mais bien le Pape ne se donna jamais permission d' enjamber sur leurs puissances, & authoritez ordinaires: Au contraire les laissa viure en ceste honneste & saincte liberté de Concils, tantost Nationaux, tantost Provinciaux, qu' ils avoient empruntez de l' Eglise primitive, & continuez de pere à fils. Car a fin que je ne foüille dans une longue & obscure ancienneté, où peut-être nous ne recognoistrions riens qu' à tatons, je commenceray mon discours par Leon premier, qui pour avoir grandement authorisé le sainct Siege, emporta le surnom de Grand, il y eut quatre Concils tenus de son temps en la Province de Narbonne, & encores deux autres és villés de Carpentras, & Arles, esquels non seulement il ne presida, mais qui plus est au second article du deuxiesme Concil, il fut dit que qui ne voudroit acquiescer à la sentence de son superieur, il failloit qu' il eust recours au Concil, sans faire mention de Rome. Chose que je ne penseray jamais que Leon eust passé par connivence (luy qui d' ailleurs avoit receu au Concil de Chalcedoine par quelques Clercs le tiltre d' Evesque, & Patriarche universel, & qui encores se le donna escrivant à Eudoxie Emperiere) s' il n' eust estimé qu' il ne devoit entreprendre sur les libertez de nostre Eglise. Comme aussi en donna-il jugement ouvert, quand en respondant à la demande qui luy avoit esté faite par Rustique Evesque de Narbonne, il luy escrivit que celuy n' estoit Evesque, qui n' avoit esté esleu par le Clergé, & confirmé par son Metropolitain: Ne mettant icy riens de reserve pour l' authorité du sainct Siege à ceste confirmation, & neantmoins vous voyez par ceste question que les nostres y avoient recours pour être esclaircis des obscuritez qui se presentoient entre eux.

Ceste Eglise Gallicane s' estant en ceste façon bastie par longue succession de temps, Clovis Roy de France, apres avoir receu le sainct Sacrement de baptesme, ny toute sa posterité, n' eschangerent riens de ceste ancienne liberté: & ne trouverez dessous toute ceste lignee un seul Concil entre nous qui soit assemblé sous l' authorité du sainct Siege, ains sous celle de nos Roys, esquels presidoit par fois le Metropolitain du lieu, par fois celuy, qui entre les Prelats pour sa saincte vie estoit en plus grande reputation, & par fois celuy qui estoit plus agreable au Roy. Il y en eut cinq notables en la ville d' Orleans. Le premier par le commandement de Clovis, où se trouverent trente trois Evesques: & là entre autres choses fut arresté, que les Abbez estoient sujects à la cohertion des Evesques, & que s' ils commettoient quelque irregularité, les Evesques les pouvoient chastier. Le second sous Childebert I. auquel presida Honorat Archevesque de Bourges, où entr' autres articles fut renouvellee l' ancienne police de l' eslection des Evesques Metropolitains, qui s' estoit perduë par la nonchalance du temps. C' est à sçavoir que le Metropolitain seroit esleu par les Ecclesiastics, & par le peuple de sa Province, & en apres confirmé par ses Evesques comprovinciaux, & qu' il seroit tenu de faire tous les ans un Concil Provincial. Le troisiesme sous le mesme Childebert le vingt-sixiesme an de son regne, où presida Loup Archevesque de Lion, auquel furent ramenez en usage plusieurs anciens Canons de l' Eglise, & defenses faites de vendre le bien de l' Eglise, voire aux Abbez mesmes, sans l' expresse authorité de l' Evesque. Le quatriesme sous le mesme Childebert, où il fut de rechef enjoint aux Metropolitains, de renouveller d' an en an leurs Synodes, avecq' leurs comprovinciaux. Le cinquiesme celebré le trente-huictiesme an du regne du mesme Roy, auquel par l' article xvij. il fut dit que les appellations du Metropolitain seroient jugees, & terminees par le Concil Provincial, qui se devoit tenir tous les ans, & defendu à tous Evesques, un siege vacquant, de riens attenter au prejudice de son successeur, tant au temporel, que spirituel. A l' exemple dequoy furent diversement tenus plusieurs autres Concils, selon que les affaires & necessitez Ecclesiastiques le desiroient. A Clairmont, où il fut conclud que l' Evesque seroit esleu par le Clergé, & confirmé par son Archevesque. Pareillement plusieurs en la ville de Tours, où mesmes par le second Concil furent faites inhibitions & defenses de laisser vaguer les pauvres d' une ville à autre, ains que chaque ville seroit tenuë de nourrir les siens: En la ville de Paris, où adjoustant aux eslections des Evesques, il fut de rechef ordonné que l' Evesque seroit esleu par le Clergé, & confirmé par l' Archevesque: Mais on y adjousta ces deux mots, sans que l' authorité du Roy y fust interposee. Et au surplus que l' on ne donnast au peuple un Evesque qui luy fust desagreable. Sous le Roy Gontran, deux à Lyon, deux à Mascon, un à Valence. En tous lesquels furent principalement traictees & decidees les affaires qui concernoient la discipline de l' Eglise, tant pour le regard des chefs, que des membres. Et outre ce, au dernier Concil d' Orleans, furent les heresies Eutichienne, & Nestorienne condamnees. Concils, puis-je dire, infiniement honorez par toute l' ancienneté, & dont Gratien le moine sçeut fort bien faire son profit dans son Decret. Aussi sont-ils inserez avec tous les autres Concils, comme estans approuvez, & authorisez de l' Eglise universelle, encores que l' authorité du sainct Siege n' y intervint. Et neantmoins nous pouvons remarquer en iceux une reigle generale, qui estoit qu' en apportans une honneste police à l' Eglise Gallicane, toutesfois ils embrassoient tres-estroictement les bonnes instructions & memoires du sainct Siege. Comme nous pouvons recueillir du troisiesme Concil d' Orleans. 

Et parce que paravanture l' on pourroit dire que c' estoient simples Concils Provinciaux, esquels n' estoit requise l' authorité du sainct Siege, encores y a-il passage expres d' Evesque qui florissoit de ce temps-là, & qui tenoit l' un des premiers lieux de la France, tant pour la dignité de luy, que de son siege, qui nous esclaircit grandement de ce poinct. Celuy dont je parle est Gregoire de Tours, lequel ayant esté envoyé par Childebert second en ambassade avec autres Prelats & Seigneurs, par devers Gontran Roy d' Orleans, executant le fait de sa charge, entre autres choses fit ces remonstrances à Gontran, comme luy-mesmes atteste au neufiesme livre de son histoire. Vous avez, dit-il, notifié à Childebert vostre nepueu qu' il eust à faire assembler en un lieu tous les Evesques de son Royaume, parce qu' il y a plusieurs difficultez, dont il se faut esclaircir: toutesfois il estoit d' advis que selon la coustume ancienne des saincts Decrets, chaque Metropolitain assemblast ses Evesques comprovinciaux, & que lors ce qui se trouveroit de male-façon en chaque province fut reformé par sanctions Canoniques. Car quelle raison y a-il de faire maintenant si grande congregation, veu qu' il n' y a nul peril eminent à nostre Eglise, & qu' il ne se presente aucune nouvelle heresie? Quelle necessité y a-il doncques que tant d' Evesques s' assemblent: A quoy le Roy fit responce: Il y a plusieurs choses, dont il faut cognoistre. Et lors il ordonna que le premier jour du quatriesme mois ensuyvant ce Concil fust tenu. Passage par lequel on peut indubitablement recueillir que non seulement les Concils particuliers, & Provinciaux, mais aussi generaux, & Nationaux, esquels il s' agissoit de la foy, s' ouvroient par l' authorité de nos Roys. Car Gregoire ne fait nulle doute par ce discours, s' il y eust eu quelque necessité apparente pour quelque nouvelle heresie, qu' il eust bien esté d' advis d' assembler ce Concil general, mais non autrement: & neantmoins Gontran s' en fit croire. 

Or seruoit encores l' usage de ces Concils à autre chose. Car si un Prelat estoit prevenu en justice, on assembloit soudain un Concil par l' auctorité du Roy, & en ceste assemblee legitime estoit fait le procez à cest accusé, lequel par les voix & suffrages des Evesques estoit condamné, ou absous, quelques fois au contentement de nos Roys, quelquesfois contre leur volonté. Gregoire Archevesque de Tours accusé d' avoir dit que Gontran Archevesque de Bourdeaux avoit incestueusement abusé de Fredegonde, Royne de France, son procés luy est fait en l' Eglise sainct Pierre de Paris (nous l' appellons aujourd'huy du nom de saincte Geneviefve) & là, bien que Chilperic & Fredegonde sa femme desirassent le contraire, il est absous de ceste faulse imputation. Au contraire Pretexat Archevesque de Roüen est en un autre Concil tenu à Paris, condamné à la solicitation, & poursuitte du mesme Roy. Auquel Concil (si vous lisez Gregoire de Tours) vous trouverez combien peut la solicitation du Roy, pour corrompre une Justice, quand telle est son intention. Autre Concil, par lequel Urcissin Evesque de Cahors est destitué de son Evesché, pour avoir receu dans sa ville, Gondebault Roy putatif. Cest Urcissin est celuy, pour la restitution duquel, sainct Gregoire escrivit depuis à Theodebert, & Theodoric Roys, nepueux du Roy Gontran. Autre Concil tenu à Lyon sous le mesme Gontran, ou Salon, & Sagitaire, Evesques d' Ambrun, & de Gap, furent aussi condamnez. Autre en la ville de Verdun sous Childebert second, où Gilles Archevesque de Rheims fut demis de son Archevesché, pour avoir voulu attenter contre la vie du Roy. Bref c' estoit une coustume si familiere à la France, que ce seroit du tout errer contre l' ancienneté, qui la voudroit ignorer

Et n' est pas chose qu' il faille aisément passer sous silence, qu' en toute ceste premiere famille de nos Roys, je ne voy point qu' aucun d' eux familiarisast avecques les Papes par lettres, ou autrement, fors la Royne Brunehault, Childebert son fils, & Theodebert, & Theodoric, enfans de Childebert, à l' endroit de sainct Gregoire. Ceste Royne, l' une des plus malheureuses Princesses que la terre porta jamais, pensa couvrir ses meschancetez envers Dieu, & les hommes, pour avoir recours à ce grand sainct homme. Platon disoit en ses loix qu' il y avoit trois especes d' Atheistes: les uns qui du tout soustenoient n' y avoir des Dieux: les autres, qu' il y en avoit, mais qu' ils ne se soucioient des affaires humaines, ains les laissoient vaquer à l' incertain: & les derniers qui croyoient y avoir des Dieux qui avoient soin de nous tous, mais qui facilement estoient appaisez par prieres. Non que par ceste derniere espece ce grand, & sage Philosophe voulut bannir de nos consciences, les prieres: mais il s' attachoit à ceux qui pensent toute meschanceté leur être permise, & en être quittes par une chimagree exterieure des prieres, recidivans neantmoins de jour à autre en leurs pechez. Vice fort familier quelquesfois aux plus grands. Et croy que ceste mesme opinion fit retirer Brunehault pardevers ce sainct personnage, joinct la reputation en laquelle estoit son Eglise. Qui est cause que S. Gregoire luy addresse plusieurs lettres, par lesquelles il louë infiniement le zele qu' elle portoit à la Religion Chrestienne: & à la suitte de cela, à Childebert, Theodobert, & Theodoric, pour le respect qu' ils portoient à leur mere, & ayeule. Ou bien paravanture en consideration de ce que Childebert guerroya quelque temps les Lombards, par lesquels l' Eglise de Rome estoit grandement affligee, comme voisins puissans & factieux. 

mardi 13 juin 2023

3. 17. Des Graces, Expectatives, Mandats, Indults Apostolics, Exactions faictes en Avignon,

Des Graces, Expectatives, Mandats, Indults Apostolics, Exactions faictes en Avignon, & du remede que nostre Eglise Gallicane y apporta. 

CHAPITRE XVII. 

Je ne veux point que l' on pense que j' aye fait ce chapitre au desadvantage du Siege de Rome: au contraire c' est son exaltation, pour monstrer que la primace de nostre Eglise ne pouvoit être exercee, qu' au lieu que sainct Pierre avoit choisi pour luy & ses successeurs, sans qu' il en advint un scandale. Belle chose & digne d' être trompetee aux oreilles de tout le monde, que Dieu establissant sa vraye Religion, voulut que la ville de Rome, Siege ancien de l' Empire, fut aussi le premier Siege de son Eglise, sur lequel toutes les nations jetteroient leurs veuës. 

N' attendez de moy en tout ce chapitre qu' un chaos, pesle mesle & confusion des affaires de nostre Eglise, dont nous fusmes en ceste France les premiers forgerous. Toutes & quantesfois que noz Roys parerent aux coups de Rome par les armes de nostre Eglise Gallicane, toutes choses leur succederent à point sans scandale. Mais quand ils y voulurent apporter de l' homme, & manier nostre Religion, comme une affaire d' Estat, ils gasterent tout. Je vous ay cy-dessus discouru la querelle de Boniface VIII. & Philippes le Bel, & comme les desseins du Pape avoient esté rendus illusoires. Toutesfois Boniface estant decedé & l' interdiction levee par Benoist XI. son successeur, qui ne siegea que huict mois, Clement V. Gascon, estant fait Pape, tout le soin de Philippes le Bel fut de s' entretenir non seulement en bon menage avecq' luy, mais par un nouveau dessein, pour ne tomber à l' advenir au desarroy où il s' estoit veu, projetta de l' attirer en France avecques toute la Cour, a fin que de là en avant les Papes & les Roys de France eussent occasion de viure en perpetuelle alliance. Ce qui en facilitoit le passage, estoit que Jeanne Comtesse de Provence avoit fait present de la ville d' Avignon & du Comtat, au sainct Siege.

Je ne sçay par quel destin le pays de Provence semble avoir presque tousjours eu sa fortune liee avec celle d' Italie. C' est la premiere de la Gaule qui fut conquise par les Romains long temps auparavant qu' ils eussent desseigné de s' impatronizer de tout le pays. Et laquelle leur estoit si agreable qu' entre toutes les autres Provinces à eux subjectes, ceste-cy fut d' un mot special appellee Province sans suitte de parole, comme la recognoissant par cela, l' une des plus belles Provinces qu' ils eussent. Et depuis, bien qu' elle se fust separee de la domination d' Italie par l' envahissement que les Visegots en firent & de tout le Languedoc: Toutesfois Theodoric Roy des Ostrogots ayant usurpé l' Italie, re-unit de rechef avecq' l' Italie ce mesme pays de Provence, estant fait tuteur d' Atalaric Visegot son arriere fils. Pareillement au partage des trois enfans de Louys le Debonnaire, à Lothaire son fils aisné escheut l' Italie avecq' la Provence. Et jaçoit que depuis selon les mutations des regnes, il fut erigé en Royaume par Charles le Chauve, & donné à Bosson son beau frere: si est-ce qu' encores advint-il que Louys fils de Bosson se fit Roy d' Italie, & apres luy Hugues, l' un de ses successeurs: En cas semblable, long temps apres, furent les Estats de Naples, Sicile, & de Provence, unis soubz mesmes seigneurs. Et tout ainsi qu' au temporel, le semblable advint au spirituel. Parce que dés le temps mesmes de sainct Gregoire, l' Eglise Romaine avoit quelques biens, & heritages à elle appartenans dont l' Evesque de Vienne en avoit occupé partie: Duquel bien sainct Gregoire parle assez souvent en ses Epistres, l' appellant Patrimoniolum, & le recommande à ceux, ausquels il avoit quelque part en France. Mesmes y envoya Vincent Soudiacre pour le gouverner. Pareillement les premiers Evesques des Gaules, qui embrasserent la grandeur & authorité du sainct Siege, sont ceux de Provence (quand je dis Provence, j' entends aussi le Dauphiné, qui n' estoient vers ce temps là separez) & les lettres les plus frequentes que verrez être adressees par sainct Gregoire à noz Evesques, sont principalement à ceux de Provence. Et finalement fut donné aux Papes Avignon, & autres villes adjacentes par un certain instinct, & pour entretenir ceste ancienne liaison, voire que l' on dit encores Provence être un Pays d' obeissance de la Papauté.

Suivant le nouveau conseil de Philippes le Bel, le Pape Clement V. se retire en la ville d' Avignon, où ayant par mesme moyen attraict tout l' attirail de Rome, bien que le Roy pensast par ce moyen avoir mieux estably ses affaires, si est-ce que le plus grand malheur qui advint jamais à l' Eglise, fust ceste retraicte. Car le Pape estimant que le Roy luy estoit grandement redeuable de ceste gratification, se persuada aussi qu' il le devoit en contr'eschange gratifier de tout ce qui luy seroit agreable. Chose dont il ne l' eust osé esconduire. De sorte que lors commencerent à venir en desordre les Mandats, & Graces expectatives, tant generales que particulieres: & pareillement les exactions de Cour de Rome sur les Beneficiers: (Car encores que le Siege se tint dans Avignon, si l' appelloit on tousjours Cour de Rome) & de mesme suitte les Decimes, que depuis l' on imposa dessus le Clergé. Estans les choses arrivees en tel excés, que nul homme de vertu ne pouvoit obtenir, voire esperer un seul Benefice, ains tomboit le tout à la table des Cardinaux d' Avignon. A quoy mesmement prestoient l' espaule les plus grands Seigneurs du Royaume qui avoient part au gasteau.

Ces Graces expectatives estoient Mandements, par lesquels les Papes lioient les mains des Ordinaires, leur enjoignans que le premier Benefice vacquant de telle ou telle condition, fut conferé à ceux, qui leurs estoient par eux recommandez. Et ne sçavoit-on anciennement que c' estoit de telles reservations en l' Eglise. Qui faict qu' en tout le Decret de Gratian il n' en est faicte nulle mention. Depuis on les mit dans Rome en avant, mais avecq' quelque sobrieté, premierement par prieres, puis par commandemens expres. Et n' avoit accoustumé un Pape de greuer, sinon une fois une Eglise, & encores d' un Benefice tant seulement. Pour ceste raison estoit coustumier d' adjouster tousjours ceste clause, moyennant que nous ne vous en ayons point escrit pour un autre. Avec le temps on passa plus outre, & neantmoins voyant que les Ordinaires se rendoient quelques fois refractaires à ces Mandemens, s' il estoit advenu qu' au prejudice d' un Mandataire, les Evesques en eussent pourveu un autre, le Pape vouloit qu' ils fussent contrains de bailler pension à son denommé, jusques à ce qu' il eust esté remply du premier Benefice vacquant. Et pour encores être mieux obey, il envoyoit premierement lettres monitoriales, ou preceptoriales à l' Evesque, & s' il se rendoit difficile à y obeyr, il decernoit puis apres des lettres executoriales. C' estoit qu' il addressoit ses bulles à un Abbé, ou autre ayant une dignité Ecclesiastique, pour mettre à execution ses Bules, & pourvoir son mandataire à la premiere vacquation qui adviendroit d' un Benefice. La meilleure de toutes ces constitutions Decretales estoit contre tout ordre de droit, toutesfois un tas de Canonistes Courtizans, les voulurent flatter de propositions plus hardies, soustenans que c' estoit une chose de mesme effect & vertu, de voir un benefice mis en reserve par le Pape, comme s' il eust vacqué en Cour de Rome. Et depuis ceste invention se meit au desbord, & fit sa derniere preuve en France, ainsi que je disois maintenant dessouz le siege d' Avignon.

Comme pareillement fut celle des Exactions, lesquelles estoient de trois especes. L' une qui venoit soubs le pretexte des visitations, l' autre soubs le nom de vacquans des premieres annees des benefices, que nous appellasmes depuis Annates: & la derniere soubs celuy des Decimes. En tant que touche la premiere, elle prit son estoc de plus loing, & voicy comment. Le principal soing des Evesques est d' avoir l' œil sur toutes leurs ovailles, & par special sur les personnes Ecclesiastiques. Et à ceste cause leur estoit enjoinct par tous les plus anciens Concils de visiter tous les ans leur Clergé: C' est une charge fonciere qui est annexee à leur mitre, dont ils sont redeuables envers leurs inferieurs, tant s' en faut que leurs inferieurs leurs en doivent payer chose aucune. Toutesfois comme il eschet ordinairement que les plus foibles soient tousjours opprimez par les plus forts, aussi petit à petit il advint que les Evesques faisans, ou en personnes, ou par l' entremise de leurs Archidiacres leurs visitations, ils se firent payer quelques deniers pour le defroy de leur despence. Chose qui fut tres estroittement defendue par l' Eglise Gallicane, en un Concil tenu à Chalons sous la lignee de Charlemagne. Qui monstre que deslors l' abus commençoit à naistre. Or le Pape se pretendant Ordinaire des Ordinaires, avoit dés pieça attiré par devers soy ce droict de Visitation: lequel on tourna en coustume depuis le siege d' Avignon: Car fust que l' on visitast ou non, il fassoit payer au Pape le droict de ces Visitations, appellees autrement Procurations. Chose dont les Beneficiers avoient passé condamnation volontaire. De tant qu' ils sentoient beaucoup moins de charge, & incommodité en leurs benefices, n' estans visitez, que s' ils l' eussent esté. 

De ceste mesme hardiesse Jean vingt-deuxiesme, successeur de Clement cinquiesme, introduisit sur les Benefices, les Annates: Qui estoit, que de tous les benefices vacquans en & au dedans le Royaume de France, il pretendoit que le revenu de la premiere annee luy estoit deu. C' est luy qui fit dresser les Extravagantes, tout ainsi que Clement les Clementines, de la lecture desquels livres on peut aussi aisement recueillir quel estoit l' Estat de ce temps là. Et au milieu des corruptions telles que dessus, encores s' en engendra une autre de plus pernicieux exemple que celles-cy, & qui à la longue a presque apporté la ruine, & desolation de l' Eglise. Ce fut d' imposer des Decimes par les Papes sur tout le Clergé, lesquelles auparavant on n' avoit accoustumé de lever que par devotion pour subvenir aux voyages d' outremer: & comme un abysme en produit aisement un autre, aussi l' abus s' y planta à perte de veuë. Boniface IX. confirma les Annates à toute sa posterité par une sentence Decretale. Clement septiesme d' un autre costé ordonna que de tous les Benefices de la France il prendroit la moitié du revenu pour l' entretenement de son Estat, & de ses Cardinaux, sur peine de privation totale des Benefices à ceux qui s' y opposeroient: & eut l' Abbé de S. Nicaise de Rheims ceste commission: d' avantage fit plusieurs autres exactions non auparavant cogneues par l' ancienneté. Nous trouvons une Ordonnance de Charles sixiesme, de l' an mil trois cens octante cinq, où il recite que trente trois Cardinaux creatures de Clement VII. en Avignon, prenoient la plus grande partie des fruicts & emolumens des benefices de la France, par ce qu' ils n' en avoient ailleurs, defraudans par ce moyen les gens doctes des Universitez, du talent qui leur estoit deu. D' avantage, que combien qu' un Evesque peust tester & creer un executeur de son testament & delaisser sa succession à un heritier ab intestat: toutesfois soudain qu' il estoit decedé, le Pape envoyoit arrester par un Collecteur tous ses biens meubles, & immeubles, tant propres, qu' acquests, & les approprioit à son usage, sans en reserver une seule parcelle, pour la reparation de l' Eglise, & sans payer les debtes du deffunct, comme s' il n' en eust peu contracter aucune, au prejudice de ses droicts. Et le semblable faisoit à l' endroict d' un Abbé estant decedé, auquel son Eglise devoit succeder. D' ailleurs tant & si longuement qu' une Abbaye vacquoit, & jusques à ce que son successeur eust pris possession paisible, le Pape en percevoit les fruicts. Adjoustant que les collecteurs levoient au profit du Pape le revenu du premier an de tous les benefices vacquans par resignation, permutation, ou autrement, en quelque façon que ce fust, voire encore qu' ils vacquassent en Regale, ou en Patronage lay, & que les Cardinaux prenoient pensions enormes sur les Benefices, ne laissans moyens aux titulaires d' eux nourrir & alimenter. Pour ces causes le Roy veut & ordonne que les Juges ordinaires procedent par voye de saisie sur ces pensions, ensemble sur le temporel, des Eglises, pour proceder aux reparations du consentement des personnes Ecclesiastiques: veut aussi que les heritiers des Evesques leur sucedent, & les Monasteres aux Abbez, & que le Pape ne puisse rien prendre sur les benefices, qui estoient en Regale, ou patronage lay, c' estoit aucunement se garentir du desordre, mais non tout à fait, comme depuis nous feismes soubs le Pape Benoist treziesme: car à la verité en ce grand besoin l' Eglise Gallicane monstra à bonnes enseignes ses forces. 

jeudi 22 juin 2023

3. 34. Des Oblats appellez Religieux Laiz.

Des Oblats appellez Religieux Laiz.

CHAPITRE XXXIV. 

Puis que la place de l' Oblat en un Monastere, & les Dixmes infeodees furent anciennement destinees pour ceux qui faisoient profession de la guerre, je ne ferois peut être chose mal à propos, si je les acouplois ensemblément par un Chapitre: toutesfois pour donner temps & loisir au Lecteur de se recueillir, je leur donneray discours & Chapitres divers. Jamais ne fut que les Princes & Republiques n' ayent pris soin de ceux, qui avoient esté rendus impotens par leurs guerres, en faisant service au public. Plutarque dit que Pisistrat ayant usurpé la tyrannie en la ville d' Athenes, ordonna que celuy, qui en la guerre avoit esté mutilé de ses membres, fut tout le demourant de sa vie nourry aux despens de la Chose publique. Ce qui avoit esté autrefois ja encommencé en la personne de Tersippé à la suasion de Solon. Aussi dit Aristote au second de ses Politiques passant plus outre, que tant aux Atheniens, que Milesiens, les enfans mesmes de ceux qui estoient morts pour la Republique, estoient alimentez du public. Et Alexandre le Grand se voyant à la conqueste de Persepoly, apres avoir reduit sous son obeïssance plusieurs pays, se presenterent à luy quatre mil soldats Gregeois, aux aucuns desquels, les ennemis avoient coupé le nez, aux autres les aureilles, aux autres les pieds, le supplians d' avoir pitié d' eux, & de les vouloir dispenser de ce long voyage: Et comme ce Roy estoit & liberal & debonnaire, il fit donner à chacun monture, & bonne quantité de deniers pour retourner en leur païs. Mais eux (dit Quinte Curse) cognoissans qu' il n' y avoit païs tant propre & convenable aux miserables personnes, que la solitude, ores qu' il y en eust quelques uns qui fussent poussez d' un desir de revoir le lieu de leur naissance, si est-ce que la plus grande & meilleure partie fut d' advis de demander à Alexandre lieu propice, auquel esloignez de la veuë de toute la Grece, ils pourroient cacher la deformité de leurs corps. Ce qu' Alexandre leur accorda, & qui plus est leur assigna biens & heritages pour leur nourriture & aliments. Autant en fit nostre bon sainct Louys, pour les trois cens Chevaliers Chrestiens, ausquels les infideles avoient creué les yeux. Ceste mesme consideration a fait entre nous, que s' il se trouve quelque pauvre soldat qui soit demouré estropié de l' un de ses membres au service de la Republique en la guerre, nos Roys ont pleine puissance de leur assigner une place de Religieux, pour leur viure & sustentation en certaines Abbayes, comme n' y ayans lieux plus propres, où se puisse couvrir leur calamité. Tel Religieux est par nous appellé Oblat (N. E: ablatio), ou Religieux Lay, auquel ordinairement les Abbez, ou Prieurs, ordonnent pension à l' arbitrage des Parlemens, plus, ou moins, selon la necessité du temps & saisons. Et sont nos Rois de tout temps en plaine possession de ce faire. Chose à mon jugement qui vient d' une tres-longue ancienneté. Car il ne faut faire nulle doute que du temps de la premiere institution des Abbez & Moines, c' estoient personnes seculieres, qui ne tenoient nul degré en l' Eglise, encore que toute leur profession fut de prier Dieu en leurs cellules. Ce que l' on peut amplement apprendre de plusieurs passages de S. Hierosme, & par especial au livre premier contre Jovinian, où parlant des dignitez Ecclesiastiques, il dit que l' Evesque, le Prestre, ou Diacre sont mots de charge, plus que d' honneur, ne mettant en nul rang les Abbez. Ce qu' aussi nous apprenons de plusieurs Concils, & non seulement nul Moine n' estoit Prestre, mais il estoit defendu aux Prestres de se faire Moines, comme nous apprenons de S. Gregoire au troisiesme livre de ses Epistres en l' unziesme Epistre. Et mesmes lors que l' on appella à l' ordre de Prestrise les Religieux, c' estoit pour une necessité urgente, par faute d' autres personnes suffisantes, comme l' on voit en autre passage de S. Gregoire. Et ce encores avec une grande circonspection, & dispense des superieurs, & Evesques. Et depuis ils eurent permission expresse d' être Prestres par les Concils, & par succession de temps, cela s' est tourné en necessité, estant leur profession monastique unie avec la Prestrise. Or fut ceste premiere institution cause à mon jugement que nos Roys, tant sous la premiere que seconde lignee, ne porterent jamais tel respect aux Abbayes, comme aux Eveschez. Et combien qu' és Eveschez ils estimassent qu' il fallut proceder par Election, & que quelques Concils ordonnassent le semblable pour les Abbayes, toutesfois ils ne garderent ceste Loy si estroitement pour les Abbez. Car mesmes ils les mettoient quelquefois au rang des Vassaux, lors qu' ils decernoient leurs mandements à uns & autres. A ce propos Aymoïn au livre cinquiesme dit que Charlemagne ordinavit per totam Aquitaniam Comites, Abbatesque, necnon alios plurimos, quos vassos vocant, ex gente Francorum, eisque commisit curam regni, prout utile iudicarent. Qui est à dire, qu' il establit par toute l' Aquitaine des Comtes & Abbez, & plusieurs autres que l' on appelle Vassaux, & donna ces charges à des François, pour avoir soing du Royaume, ainsi qu' ils trouveroient bon de faire. Chose qui occasionna nos Roys sous la seconde lignee de tourner ces Abbez en abus, conferans les Abbayes à Capitaines & guerriers. Mais tout ainsi que cela fut trouvé de mauvais, & pernicieux exemple, par les anciens preud'hommes, au contraire jamais vous ne trouverez en l' ancienneté que l' on se soit scandalisé que nos Roys de leur puissance absoluë conferassent les Abbayes, moyennant que ce fut à personnes dignes & recommandables, tant en suffisance, que bonnes mœurs, comme nous recueillons par expres de la seconde partie du Concil tenu à Aix, l' an 833. sous le Debonnaire, où parlant de la fonction & puissance ordinaire des Roys de France, Similiter poscimus (porte le huictiesme article) ut in Abbatissis constituendis, & Rectoribus Monasteriorum, vestrum principaliter caveatis periculum. Semblablement nous vous supplions (dirent les Evesques au Roy) que preniez garde à vostre ame lors que vous constituerez des Abbesses, & des Recteurs, & Gouverneurs de Monasteres. Au Concil tenu dans Paris de ce mesme temps, il avoit esté arresté que quiconque seroit pourveu par les Roys seuls aux Archeveschez & Eveschez, fut declaré inhabile de les tenir: d' autant qu' il y failloit parvenir par Eslection du Clergé, assistee du consentement du Prince: mais icy pour les Abbayes on dicte toute autre leçon. 

Tellement que cela s' estant tourné en un long usage, & d' un long usage en Loy, fut cause que nos Roys se dispenserent plus librement à l' endroict des Abbayes, que des Eveschez. Et tout ainsi que sous la lignee de Martel ils confererent les Abbayes à des Capitaines, quand il leur pleut, aussi estiment quelques-uns que deslors ils se donnerent permission d' y mettre des soldats, au lieu des Religieux, quand il leur vint en fantasie. Et ne s' eslongne pas grandement de ceste opinion, Claude Sceissel en la vie du Roy Louys douziesme, quand il dit, qu' estant au païs de Languedoc en une Abbaye dont je ne me ramentoy du nom, il entendit que les Religieux de ce lieu tenoient de main en main pour Histoire tres-veritable, que Charlemagne fit tuer l' un de leurs Abbez, pour avoir refusé de recevoir dans son Abbaye un soldat, qu' il luy avoit envoyé. Chose qui peut être vraye, toutesfois je croy que ceste invention d' Oblats est principalement deuë à la troisiesme lignee de nos Roys. Et voicy comment. La Couronne de France estant devoluë en la famille de Capet, & les polices tant Ecclesiastiques que temporelles s' acheminans à meilleur train, les nouveaux ordres de Religion, qui lors furent entez par la France sur celuy de S. Benoist, avecq' charges & conditions expresses, que les Abbez seroient esleuz par les Religieux, furent cause qu' il n' y eust plus de distinction, & que de là en avant l' on proceda par Eslection, tant aux anciens Monasteres, que nouveaux. De là sourdirent deux nouvelles polices. Car les Eslections estans surrogees au lieu des Collations, nos Roys voulurent que tout ainsi qu' il n' estoit procedé aux Eslections d' un Evesque sans avoir premierement leur permission: aussi le semblable s' observast aux Eslections des Abbez, comme nous apprenons du testament de Philippes Auguste. Au surplus quittans ce grand tiltre qu' ils avoient de conferer les Abbayes, ils voulurent tourner leur privilege en une aumosne pitoyable, ne se donnans pas permission d' y mettre tel Religieux Lay que bon leur sembleroit, & sans cause: mais cognoissans que le bien des Monasteres n' estoit pas seulement dedié aux Moines, & Abbez, ains que les reparations, & les pauvres y avoient aussi leur part, ils voulurent que si aucun pour leur avoir fait service és guerres, se trouvoit perclus de l' un de ses membres, ils le pourroient recompenser d' une place de Religieux Lay. Quoy faisant c' estoit accommoder & l' Eglise, & le public ensemblément. L' Eglise, en l' excitant à une chose, qu' elle mesme sans aucune semonce du Roy devoit faire. Le public, en le deschargeant de l' obligation qu' il avoit envers ce pauvre soldat estropié, & donnant par mesme moyen courage aux siens de bien faire. Aians seulement retenu nos Roys cest eschantillon, pour être un memorial à toute la posterité de la preéminence qu' ils avoient eu autresfois sur les Monasteres. Et de fait si vous y prenez garde, ils reserverent seulement ce droict d' Oblat sur les Monasteres Electifs, & non sur les autres. Comme si l' on eut voulu dire que puis que la collation, qui appartenoit à nos Rois en ce Monastere, s' estoit tournee en Election: le moindre honneur que l' on pouvoit en ceci faire à nos Rois, estoit qu' ils peussent aumosner une place de Religieux à un pauvre soldat impotent, pour le salarier de ses pertes. Et pour ceste mesme consideration les Abbayes des Religieuses estans aussi originairement en la collation de nos Roys, ils eurent pareillement ce privilege anciennement, de pouvoir colloquer une pauvre Damoiselle en chaque Religion des Nonnains. On trouve un Arrest donné à la Purification nostre Dame 1274. dont la substance estoit telle: 

Cùm dominus Rex utendo suo iure proprio in principio sui regiminis post suam coronationem, in Abbatia sui regni de gardia sua, possit ponere, videlicet in monasterijs monachorum, unum monachum, in monasterijs monialium, unam monialem, ac moniales de Cussiaco in monasterio suo, Abbatissae regimine destituto, recipere non vellent quandam domicellam, quam dominus recipi miserat, dicentes quòd Abbatissa carebant: Ordinatum fuit quòd dicta domicella poneretur in dicta Abbatia, & de bonis ipsius viveret, sed non vestiretur donec creata esset Abbatissa. Depuis je ne voy pas que l' on ait continué ce privilege pour les femmes, mais bien aux hommes seulement, & encores en cas de necessité signalee telle que dessus. Bien est vray aussi que nous passons en cecy plus outre, par les Arrests de la Cour de Parlement, qui a sceu balancer l' un par l' autre: d' autant que le Roy peut mettre un Oblat non seulement és Monasteres de sa garde, & qui sont de fondation Royale, mais aussi en ceux qui sont de fondation Ducale, & Comtale, moyennant qu' ils soient electifs, comme dit a esté, & qu' ils valent de revenu mil, ou douze cens liures pour le moins. Au demourant je ne veux pas oublier que ce seroit grandement s' oublier, qui voudroit maintenant pourvoir les Capitaines & Seigneurs d' Abbaïes, sur ce que j' ay dit, que sur le premier establissement d' icelles, c' estoient gens Laiz, & non Ecclesiastics qui s' y habituoient. D' autant que depuis la necessité du temps a aporté en cecy toute autre discipline que celle-là. Parce que non seulement nous appellons les Abbez & Religieux à l' ordre de Prestrise: mais qui plus est, ils semblent par l' usage commun avoir partagé avecq' les Curez, le devoir commun de l' Eglise, estant demouree aux Curez l' administration des saincts Sacremens, & aux Religieux celle de la parole de Dieu. Et toutes & quantesfois que vous verrez les Rois permettre aux Capitaines, & gens de guerre de iouïr par personnes interposees des biens de l' Eglise, croyez que c' est un Prognostic tres-certain d' une mutation tres-grande de l' Estat, tout ainsi que nous veimes autresfois en ceste France sous la seconde lignee de nos Roys.

mardi 8 août 2023

9. 11. Faculté de Decret.

Faculté de Decret.

CHAPITRE XI.

La Faculté de Theologie est immediatement suivie par la Faculté de Decret, comme celle qui est composée des constitutions canoniques, & conciliaires de nostre Eglise Catholique, & Universelle, dont nous raportons la façon à Gratian: toutesfois par ce qu' elle prit ses racines d' une plus longue ancienneté, premier que d' arriver à ce point, il me semble n' estre hors de propos de vous dechifrer comme toutes choses se sont passées en ce subject. La verité est que celuy qui premier fit un recueil des constitutions conciliaires, & sentences decretales des Papes, fut un Isidore: mais quel, c' est en quoy je me trouve empesché, parce que l' ancienneté nous en produisit trois en divers temps. Entre lesquels fut Isidore né de Carthage pour principal, depuis Evesque de Seville en Espagne, qui se rendit grandement recommandable par plusieurs livres signalez. Et vrayement c' est une chose digne d' estre ramentuë avant que de passer plus outre. Combien que le pays d' Afrique soit aujourd' huy plongé au fonds d' une Barbarie, voire que le Royaume de Tunes, qui fait bonne part & portion de ce pays là, soit par nous appellé le Royaume de Barbarie, toutesfois sur la primevere de nostre Eglise il nous donna une infinité de grands Docteurs Ecclesiastics, uns Tertulian, Sainct Cyprian, Sainct Augustin, Arnobe, Optat, Lactance, & finalement Isidore dont nous parlons maintenant. Si vous parlez à un Joannes Molineus, vivant Docteur Regent en Decret dans l' Université de Louvain, qui ressuscita le Decret de nostre Yve Evesque de Chartres, il vous dira que ce fut cest Isidore qui meit le premier la main à cest œuvre. Ainsi le dit il en son Epistre liminaire, Isidorus Hispalensis, qui Latinorum omnium primus, canonicas Romanorum Pontificum Epistolas, Conciliorumque acta & canones, ad sua usque tempora, nimirum ad Honorium huius nominis primum consarcinavit, & veluti in unum fascem universum ius Pontificum colligavit. De mesme opinion que luy avoit esté auparavant Maistre Jean Gerson. Opinion toutesfois qui n' est pas sans quelque doubte. Parce que Volaterran au seiziesme livre de son Anthropologie recitant par pieces les œuvres d' Isidore, ne fait aucune mention du Decret par luy compilé. Le semblable trouverez vous dans Gesnherus, quand apres avoir raconté les livres par luy composez, il adjouste ces mots. Habemus etiam acta conciliorum, quae Ioannes Gerson ab Isidoro Hispalensi esse autumat. Vous voyez qu' il n' en oze rien asseurer de sa part, ains rejette sa creance sur celle de Gerson, qui n' est pas de petite authorité s' il estoit question d' un article de foy: mais en ce qui est de l' ancienneté, c' est une chose indifferente de le croire, ou non. Le docte Paul Petau Conseiller au Parlement de Paris l' attribue à un autre Isidore du surnom de Mercator. Recherche certes plus curieuse que d' un estude solide. Car quoy que soit ce fut un Isidore qui nous servit de ce premier mot, & en fit ouverture à ses survivans. Et à vray dire ayant fait un sommaire Recueil des Concils & Epistres Decretales, non par Chapitres, ains selon la suite des ans, jusques à son temps, cela occasionna Burchard Evesque de Worme de composer un livre sous le titre general de Decret, qu' il divisa en vingt lieux communs, & autant de livres, verifiez par divers Chapitres empruntez des anciens docteurs de l' Eglise, Ordonnances Decretales des Papes, & pareillement des Concils. Labeur qui sembloit estre l' accomplissement de cette belle & noble marchandise. Toutesfois nostre Yve Evesque de Chartres le voulut renvier sur luy par un autre œuvre intitulé aussi le Decret, divisé en dixsept parties, & chaque partie en une infinité d' articles, tirez non seulement de nos saincts Peres, comme Isidore, & Burchard avoient fait, mais aussi du Code Theodosian, du droit civil de Justinian, & encores des capitulaires de Charlemagne & Louys le Debonnaire son fils. Finalement vint Gratian Boulongnois, qui en ce beau jeu de prix poussa de sa reste, & y meit la derniere main, divisant son œuvre en deux parties. Dont la premiere fut par luy baptizée du nom de distinctions, & la seconde gist en questions basties sur des cas par luy proposez, esquelles il soustient le pour & le contre sous diverses authoritez. Monstrant par cela quel estoit le fonds de sa memoire, mais non de son jugement, d' autant qu' en cette diversité d' opinions il vous rend par fois sur la fin autant certain & esclaircy de l' une que de l' autre. Une chose ne puis je taire. Car combien que Burchard, Yve, & Gratian, se soyent aidez du premier recueil d' Isidore, toutesfois vous ne trouverez aucune mention de luy par tous leurs livres. Et quand vous voyez dedans eux quelques passages sous le nom d' Isidore, cela se rapporte aux livres d' Isidore Evesque de Seville, autres que celuy du premier Decret. Ainsi l' aprenez vous des titres de chaque Chapitre, ausquels ils ont fait estat de son authorité. Cette mesme ingratitude est en Yve à l' endroit de Burchard qu' il suit à la trace & pas à pas sans le nommer: mais beaucoup plus en Gratian qui tire des pieces entieres des uns & des autres sans les recognoistre. Ces quatre compilateurs des anciens Decrets vesquirent, Isidore Evesque de Seville (si tant est que voulions recognoistre le premier & plus ancien Decret de luy) sous les enfans de nostre grand Roy Clovis: Burchard du temps de nostre bon Roy Robert, Yve sous le Roy Philippes premier, & Gratian sous Louys septiesme. Or combien que Burchard, & Yve semblassent porter sur le front leur saufconduit aux yeux de leur posterité, si furent ils supplantez par Gratian: car son œuvre n' eut pas plustost veu le jour que le Pape Eugene troisiesme commanda qu' il fust leu par toutes les Universitez. Commandement qui fut embrassé avecques telle devotion, que tout ainsi que sur les quatre livres des sentences de Pierre Lombard fut bastie la Faculté de nostre Theologie scholastique; aussi sur le Decret de Gratian fut faite la faculté de Decret. Titre qui luy est tousjours demeuré, nonobstant les Decretales depuis adjoustées en cinq livres par le Pape Gregoire IX. lesquelles bien que publiées sous l' authorité d' un grand Maistre, toutesfois en les alleguant, on a tousjours accoustumé d' y mettre ce mot Extra, comme estant une piece hors le Decret de Gratian.

Au surplus pour entendre cette histoire de fonds en comble, Boniface VIII. desirant corriger, augmenter, & diminuer les Decretales escloses sous l' authorité de Gregoire (ainsi que luy mesme proteste) meit en lumiere un sixiesme, comme nouvel apenty aux cinq de Gregoire, c' est celuy que nous appellons le Sexte; livre toutesfois qui contient cinq livres de mesme ordre, teneur & oeconomie que les cinq premiers. Apres luy Clement cinquiesme qui tint son Siege en Avignon, fit cinq autres petits livres, sous le nom de Clementines, dedans lesquels il coucha d' un mesme ordre toutes ses constitutions tirées de Concil universel qu' il fit tenir en la ville de Vienne. Ces Clementines eussent esté perdues (aussi bien que les constitutions qu' Alexandre III. avoit fait rediger en un livre) si Jean son successeur, ne les eust exposées en lumiere apres le decez de Clement. Et en tout ce que dessus vous voyez le nombre de cinq estre par trois diverses fois en essence. A la suite de tout cela vindrent les extravagantes du mesme Jean; titre fascheux, & pour lequel, si souhaits avoient lieu, je voudrois qu' elles n' eussent esté publiées, ou bien qu' on les eust accompagnées d' un titre moins farouche. C' est en quoy je veux finir tout ce qui appartient à l' origine, & progrés de la Faculté du Decret.

jeudi 8 juin 2023

3. 12. Que nos Rois sont francs, & exempts des censures de la Cour de Rome.

Que nos Rois sont francs, & exempts des censures de la Cour de Rome

CHAPITRE XII. 

La dignité de nos Roys est si grande, que je ne me puis estancher en ce que j' ay cy dessus discouru, ains veux y adjouster le present commentaire, pour monstrer qu' ils sont de toute ancienneté affranchis des excommunications de la Cour de Rome. Proposition qui semblera de prime-face tres-hardie, je ne diray point à ceux qui pour s' avantager en credit dedans Rome, veulent introduire une nouvelle Papauté en la France, mais aussi aux ames plus calmes, qui sans partialitez recognoissent nostre S. Pere le Pape, chef de nostre Eglise Catholique & Universelle. Comment me diront-ils? Tu accordes toute primace & superiorité au S. Siege, en ce qui concerne le Spirituel: Mesmes vos Roys de France, de tout temps immemorial se disent être les enfans aisnez de l' Eglise Catholique, Apostolique Romaine: Et neantmoins tu ne les veux exposer sous les verges de ce grand Siege, qui sont, premierement, les excommunications & censures, quand ils se desvoient de bon chemin

Et en apres l' interdiction de leur Royaume, en consequence du peché d' un Roy. A ceux-cy je respondray de ceste façon, & les supplie vouloir prendre ma response de bonne part. Mes amis, nous recognoissons en France le Pape, pour chef de nostre Eglise Universelle, mais pour cela il n' est point hors de propos, que nos Roys soient francs & exemps de sa censure. Ainsi que nous voyons tous les Monasteres anciens être naturellement sujets à la jurisdiction de leurs Diocesains: & neantmoins qu' il y en a plusieurs, qui par privileges speciaux en sont exempts. Nos anciens Rois furent les premiers protecteurs de l' Eglise Romaine, tant contre la tyrannie des Empereurs de Constantinople, que contre les courses des Lombards, qui estoient journellement aux portes de Rome. Un Roy Pepin gagna tout l' Exarquat de Ravenne, dont il fit present aux Papes: Deliura leur ville du long siege qu' Astolphe Roy des Lombards y avoit mis: Et Charlemagne son fils chassa de la Lombardie, leur Roy Didier, & toute sa race, se faisant Roy de la ville de Rome, & de toute l' Italie, où il fut depuis couronné Empereur de l' Occident, par le Pape Leon, lequel il remit tout d' une main en sa liberté contre l' insolence du peuple Romain, qui le gourmandoit. Et deslors fut arresté que les Papes esleuz ne pourroient entrer en l' exercice de leurs charges, qu' ils ne fussent avant tout œuvre confirmez, par luy & ses successeurs. Je m' asseure aussi que deslors luy & sa posterité furent affranchis des excommunications du S. Siege. Et encores que nous n' en voyons la constitution expresse, si est-ce qu' on la peut tirer de l' Ordonnance de ce mesme Empereur representee par Yve Evesque de Chartres, en ses Epistres 123. & 195. Si quos culpatores Regia potestas, aut in gratiam benignitatis receperit, aut mensa suae participes fecerit, hos & sacerdotum, & populorum conventus suscipere Ecclesiastica communione debebit: Ut quod principalis pietas recepit, nec à Sacerdotibus Dei extraneum habeatur. Si le Roy, dit-il, reçoit quelqu' un en sa grace & faveur, ou admet à la table quelques pecheurs, il faut aussi qu' ils soient receus par les Prestres, & tout le peuple en la communion des fideles: A fin que ceux que la pieté du Prince embrasse, ne soient rejettez de l' Eglise, comme Ethniques. Que si la table ou faveur de nos Roys rendoit l' excommunié franc des censures Ecclesiastiques, il faut bien dire que nos Roys estoient hors de toutes excommunications. Ils avoient droit de confirmer les Papes apres leurs eslections. Droit, di-je, que les Papes disent leur avoir esté par eux remis: Aussi ne nous doit-on non plus envier, que de tout temps immemorial on ait quitté dedans Rome à nos Rois, toutes excommunications que l' on voudroit faire contre leurs Majestez. Tant y a que le Pape Gregoire IV. voulant y contrevenir, pour gratifier aux enfans du Roy Louys le Debonnaire, qui estoient en mauvais mesnage avecq' luy, tous les bons Evesques & Prelats de la France, luy manderent avant qu' il y fust entré, que s' il venoit pour excommunier leur Roy, il pouvoit hardiment reprendre le chemin de Rome. Parce que luymesme s' en retourneroit excommunié: parole brusque (je le confesse) mais qui fut de tel effect que Gregoire pour couvrir son jeu, dit qu' il estoit seulement venu a fin de pacifier toutes choses: & de fait moyenna la paix pour quelque temps, entre le pere, & les enfans. Plus hardie fut la responce de nostre Noblesse Françoise au Pape Adrian, quand sur une querelle juste il voulut excommunier le Roy Charles le Chauve. 

Lothaire Roy d' Austrasie estant decedé, delaisse Louys son frere Empereur & Roy d' Italie son heritier, le Roy Charles le Chauve leur oncle s' empara du Royaume d' Austrasie par un droit de bien-seance. Louys eut recours au Pape, qui prit la cause pour luy: & admonesta le Chauve de faire droit à son nepueu, à peine d' excommuniement. Toutesfois Charles le Chauve n' y obeït, au moyen dequoy le Pape voulut interposer ses censures avecques aigres comminations: mesmes sçachant la grande authorité qui residoit en Hincmare Archevesque de Rheims, luy enjoignit de ne l' admettre à sa communion, sur peine d' être privé de la sienne. Jamais ordonnance de Pape ne fust plus juste & saincte que ceste-cy. Car quel pretexte y avoit-il qu' un oncle frustrast son nepueu de la succession de son frere? Toutesfois jamais ordonnance ne fut plus mal receuë que celle là. Parce que Hincmare ayant communiqué les Lettres Apostoliques à plusieurs Prelats & Barons de la France, pour sçavoir comment il se devoit gouverner en cest affaire, il escrivit au Pape Adrian ce qu' il avoit recueilly de leurs opinions: & nommément que eux tous se sçandalisoient de son Decret, disans que jamais on n' avoit veu tels commandements, bien que les Roys fussent heretiques, schismatiques, ou tyrans. Soustenants que les Royaumes s' acquieroient par la poincte de l' espee, & non par les excommunications du sainct Siege, ou des Prelats. Et quand je leur couche, (disoit Hincmare) de la puissance donnee par nostre Seigneur à sainct Pierre qui est transmise aux Saincts Peres de Rome ses successeurs, ils me respondent. Petite Dominum Apostolicum, ut quia Rex & Episcopus simul esse non potest, & sui antecessores Ecclesiasticum ordinem (quod suum est) & non Rempublicam (quod Regum est) disposuerunt. Non præcipiat nobis habere Regem, qui nos in sic longinquis partibus adjuvare non possit, contra subitaneos & frequentes paganorum impetus, & nos Francos iubeat servire, cui nolumus servire. Quia istud iugum sui antecessores, nostris antecessoribus non imposuerunt. Quia scriptum sanctis libris audivimus, ut pro libertate & hæreditate nostra ad mortem certare debeamus, & peu apres, Propterea si Domnus Apostolicus vult pacem quærere, sic quærat, ut rixam non moveat. C' est à dire: Recherchez nostre S. Pere le Pape, comme s' il pouvoit être Roy, & Evesque ensemblément. Ses predecesseurs ont disposé de l' Ordre Ecclesiastic, qui estoit de leur vray estoc, & non du fait d' une Republique, qui appartient aux seuls Roys. Qu' il ne nous commande point d' avoir un Roy, lequel habitué en païs loingtain, ne nous puisse secourir contre les courses inopinees & frequentes des Payens. Ny n' enjoigne à nous qui sommes François de servir contre nos volontez. C' est un joug que ses devanciers ne nous imposerent jamais. Aussi est-il escrit dans les sainctes lettres, que chacun doit combatre jusques à la mort, pour la manutention de sa liberté, & son bien. Partant si nostre S. Pere le Pape recherche la paix, qu' il la recherche de telle façon, que ce soit sans nouvelle noise. Et apres tout cela Hingmare ferme la lettre en ces mots. Et ut mihi experimento videtur, propter meam interdictionem, vel propter linguae humanae gladium, nisi aliud obstiterit, Rex noster, vel eius regni primores non dimittent, ut quod cæperunt, quantum potuerint non exequantur. Et comme je cognois par experience, dit-il, ny le Roy, ny les principaux Seigneurs de son Royaume, ne delairront point de poursuivre leur premiere route, quelque interdiction, ou glaive spirituel que j' y interpose, s' ils ne sont destournez par quelque autre obstacle. De laquelle missive vous pouvez recueillir que le Pape non seulement vouloit censurer le Roy Charles le Chauve, par faute de luy obeïr en une querelle tresjuste, mais aussi se declaroit juge des Empires & Royaumes. A quoy ny le Roy, ny ses sujets ne voulurent condescendre: Soustenans que cela n' estoit de son authorité & puissance: & qu' ils estoient resolus de luy faire teste à quelque prix que ce fust. Comme estant une Loy nouvelle dans la France, qu' il vouloit introduire au prejudice de nos Roys, & de leur estat. 

Tant nous embrassames deslors ce privilege de nos Roys, que je le vous puis dire, ou être né avecq' nostre Couronne soudain que Clovis fut fait Chrestien, ou bien sous la seconde lignee, peu apres que nos Roys eurent pris en main la defense & protection de l' Eglise Romaine. Car ainsi le voyons nous successivement avoir esté observé en Charlemagne, Louys le Debonnaire son fils, & Charles le Chauve son arriere fils. Le premier Roy des nostres qui sous la troisiesme lignee merita d' être censuré pour son demerite, fut Philippe premier, à raison d' un mariage mal ordonné qu' il avoit fait au prejudice de sa vraye & legitime espouse. Toutesfois le Pape Urbain second se donna bien garde de le vouloir excommunier de sa puissance unique & absolue, mais y interposa avecq' luy l' authorité de l' Eglise Gallicane au Concil de Clairmont en Auvergne. Celuy qui premier voulut franchir le pas au desadvantage de nostre Couronne fut Boniface huictiesme contre Philippe le Bel, mais jamais censures ne cousterent tant aux Papes, comme celles-là. Ainsi qu' avez peu entendre par le chapitre precedent. Le semblable fit Benoist XIII. (dit Pierre de la Lune) tenant son siege en Avignon, sous le regne de Charles VI. Et il s' en trouva autant mauvais marchand que l' autre. 

Jules II. voulut suivre ceste mesme piste contre nostre bon Roy Louys XII. surnommé le Pere du peuple. Or par l' assemblee Conciliaire de l' Eglise Gallicane tenuë en la ville de Tours, en l' an 1510. ses censures furent censurees. Sans nous esloigner de nostre temps pendant les Troubles derniers, pareilles censures vindrent de Rome, contre le Roy à present regnant. Et par Arrest, tant du Parlement de Paris transferé à Tours, que de la Chambre souveraine seante à Chaalons en Champagne, il fut ordonné que les Bulles seroient brulees par l' executeur de la haute Justice, comme elles furent. Il n' est pas que l' Arrest depuis donné contre Jean Chastel, le 29. Decembre 1594. ne portast ce chef particulier: qu' entre autres choses il estoit condamné à mort, pour avoir soustenu devant ses Juges, que nostre Roy Henry IV. n' estoit en l' Eglise, jusques à ce qu' il eust l' approbation du Pape. Dont il declareroit faisant l' amende honorable, avant que d' estre exposé au dernier suplice, qu' il se repentoit, & demandoit pardon à Dieu, au Roy, & à Justice. 

Ceste question concernant le privilege de la dignité de nos Roys, au prejudice de l' excommunication faite en Cour de Rome, tint aucunement les successeurs de Boniface en cervelle, pour le scandale advenu entre luy, & le Roy Philippe le Bel. Qui fut cause que le Roy Philippe le Long son fils, delegua Maistre Raoul de Presles, l' un de ses Maistres de Requestes, à Rome, en l' an 1316. pour en être esclaircy: lequel fit un ample extraict de tous les privileges Ecclesiastics de nos Roys. Mesmes y en avoit deux dont le mesme Boniface leur en avoit passé condamnation, auparavant qu' il fust ulceré contre nostre Roy: L' un que le Roy de France, la Royne sa femme, & leurs enfans ne pouvoient être excommuniez. L' autre que le Confesseur du Roy les pouvoit absoudre de tous pechez sans exception & reserve. Proposition si arrestee en ceste France qu' au traicté de paix qui fut fait en la ville d' Arras, l' an 1481. entre le Roy Louys XI. & Maximilian Archiduc d' Austriche, & les Estats du païs bas, les Deputez de Maximilian, & des Estats stipulerent des nostres, que le Roy promettoit d' entretenir le Traité, & à ceste fin luy & son fils se soubmettoient à toutes censures Ecclesiastiques. Non obstant le privilege (portoit la capitulation) des Roys de France par lequel, ny eux, ny leur Royaume ne pouvoient être contraints par Censures Ecclesiastiques. Traité depuis confirmé le mesme an par le Roy Louys, au Plessi lez Tours, portant la confirmation en ces mots. Avons soubmis, nous, & nostre fils, & nostre Royaume à toutes censures Ecclesiastiques pour l' entretenement du dit Traité nonobstant le privilege qu' avons, que nous, nos successeurs, & nostre Royaume, ne devons être soubmis, ny contraincts par censures. Maxime qui fut encores confirmee par arrest donné en l' an 1549. sur un sujet qui fut tel que je vous deduiray presentement. Charles Cardinal de Lorraine Archevesque de Rheims pour immortaliser sa memoire en une tres-noble entreprise, fonda une Université dedans Rheims, avec plusieurs grands privileges. Ce qui luy fut premierement permis par le Roy Henry II puis par le Pape Paule III. en ce qui regardoit le Spirituel, lequel decerna ses Bulles bien amples qui portoient entre autres clauses ceste cy. Nos igitur pium & laudabile Henrici Regis, & Caroli Cardinalis desiderium, plurimum commandantes, praefatum Regem Henricum, à quibusvis, excommunicationis, suspensionis & interdicti, aliisque Ecclesiasticis, sententiis & censuris, pœnis à jure vel ab homine, quavis occasione, vel caussa latis, si quibus quomodolibet innodatus existat, ad effectum praesentium duntaxat consequendum, harum serie absolventes. Cecy merite de venir à la cognoissance de tous. Parquoy (dit la Bulle) loüans grandement le bon & loüable zele du Roy Henry, & de Charles Cardinal, l' absolvons de toutes excommunications, suspensions, interdicts, sentences Ecclesiastiques & censures, peines de droict, ou ordonnees par les hommes, pour quelque suject & occasion que ce soit, & en quelque maniere qu' il en puisse être lié. Le tout seulement en consideration des presentes, & a fin qu' elles sortent leur effect. Plus grande faveur ne pouvions nous recevoir de Rome que celle-là. Que le Roy Henry, sans aucune sienne supplication fust declaré absout de toutes excommunications, qu' il avoit peu encovrir de fait, ou de droict, toutesfois de mesme liberalité qu' elle fut offerte, la Cour de Parlement de Paris la refusa. D' autant que par la verification, tant des Bulles que lettres patentes du Roy, il fut dit par Arrest du penultime Janvier 1549. A la charge que nonobstant ceste pretenduë  absolution, on ne pouvoit inferer, que le Roy eust esté, ou pouvoit être à l' advenir aucunement ny pour quelque cause que ce fust, suject aux censures & excommunications Apostoliques, ny prejudicier aux droicts, privileges & preeminences du Roy, & de son Royaume. Lors que cest Arrest fust donné nous n' estions partialisez en Religions, comme nous, avons depuis esté par le malheur du temps: au contraire les Lutheriens & Calvinistes estoient tresgriesuement punis en ceste France.

Je vous ay discouru tout ce que dessus, non pour malveillance que je porte au S. Siege, plustost m' envoye Dieu la mort, ains pour vous monstrer que nos Roys portent avecques leur Couronne, leur saufconduit par tout, & ne sont sujects aux embusches de leurs ennemis pres des Papes. Placard que j' ay icy enchassé tout expres, contre ces nouveaux broüillons & trouble-mesnages, qui pour se faire grands dedans Rome, aux despens des Princes & Potentats Souverains, nous enseignent que leurs Royaumes peuvent être transferez d' une main à autre par les Papes: Je ne seray point marry que ceste puissance s' execute par tout ailleurs où il leur plaira, moyennant que ce ne soit, ny contre nos Roys, ny contre nostre Royaume. Et neantmoins il ne faut pour tout cela qu' ils forlignent de leur devoir. Parce qu' il y a un plus grand juge que le Pape, qui transfere les Royaumes, & sçait chastier non seulement les delinquants, mais aussi les enfans, des fautes commises par les Peres.

dimanche 2 juillet 2023

5. 3. Guerres civiles, entre l' Empereur Louys le Debonnaire & ses enfans.

Guerres civiles, entre l' Empereur Louys le Debonnaire & ses enfans.

CHAPITRE III.

Soudain apres que Louys eut esté recogneu heritier Souverain & Universel de l' Empereur Charlemagne son pere, dedans la ville d' Aix la Chappelle, il chassa d' aupres de soy je ne sçay quelle enjance de femmes dont la Cour de son pere estoit plaine: & quelque peu apres donna ordre à la reformation de la discipline Ecclesiastique, qui estoit aucunement en desordre. Et pour le regard des armes reduisit sous son obeissance les Bretons qui s' en estoient soustraicts. Tous actes dignes de recommandation: mais en ce dernier il fit un hola. Car en tout le demeurant de sa vie, il se monstra d' une façon assez fetarde, qui cousta depuis grandement à cette France, comme vous pourrez remarquer parce que je vous reciteray presentement.

Combien qu' il ne fust permis à un nouveau Pape, apres avoir esté esleu, d' entrer en son throsne Pontifical, qu' il n' eust esté auparavant confirmé par lettres patentes de l' Empereur, qui estoit l' un des plus beaux fleurons de sa Couronne Imperiale, toutes-fois le Pape Paschal I. de ce nom pour le peu de courage qu' il recognoissoit en nostre Empereur, ne douta de s' instaler de son authorité privee en son siege, sans le reblandir, & en fut quitte pour telles quelles excuses dont il le paya. C' est l' un des premiers coups de massuë que nostre France receut dedans la ville de Rome. Qui fut secondé par une autre recharge non moins dure. Car l' Empereur ayant depuis envoyé vers le mesme Pape, Lothaire son fils aisné, pour estre par luy honoré de la Couronne Imperiale, il receut nouvelles, qu' apres son retour, Paschal avoit dedans son Palais de Latran fait creuer les yeux à Theodore son premier Secretaire, & à Leon son Nomenclateur, & tout d' une suite fait mourir l' un & l' autre. Non pour autre raison, sinon que Lothaire sejournant à Rome ils luy avoient fait demonstration de plusieurs grands & affectionnez services. Cruauté tenuë pour tres-asseuree par toute l' Italie. Toutesfois apres quelques ceremonies d' Ambassades, dont nostre Empereur se flattoit ordinairement, il se contenta pour toute satisfaction d' un des-adveu faict par le Pape, revestu de son serment: Ores qu' il fust desdit par le seul recit de l' Histoire, & par la voix generale & universelle de tout le peuple: Les Italiens qui en s' agrandissant par effect de nos despoüilles, ne furent chiches de belles paroles, voulurent attribuer cecy à une pieté, & pour cette cause l' honorerent du mot Latin Pius, & les Sages-mondains de nostre France l' imputans à un manque & faute de courage, l' appellerent le Debonnaire. Couvrans sa pusillanimité, du nom de Debonnaireté. Sur ce propos il me souvient que le Roy Henry troisiesme disoit en ses communs devis, qu' on ne luy pouvoit faire plus grand despit que de le nommer le Debonnaire. Parce que cette parole impliquoit sous soy, je ne sçay quoy du sot. Le prenant de cette façon, c' est emporter la piece à cet Empereur. Et neantmoins de l' accuser de sottise tout à fait, ce seroit grandement errer, s' il vous plaist remarquer les deux grands coups d' Estat, dont j' ay parlé au precedent Chapitre, quand pour asseurer son Empire il fit mourir son nepueu Bernard qui estoit plus à craindre, d' une mort naturelle, & ses trois freres bastards, qui estoient de plus foible alloy, d' une mort civile. Or voyez je vous prie comme Dieu se mocque de la sagesse des hommes qui n' est qu' une folie envers luy. Et vrayement ce n' est pas sans raison qu' aux prieres de nos Eglises nous le supplions de ne se vouloir souvenir, ny de nos pechez, ny de ceux de nos peres & meres, & n' en faire tomber la punition sur nous. Le Debonnaire selon le monde s' estoit affranchy de la crainte de ceux qui luy pouvoient plus nuire. Dieu veut qu' il ne soit affligé, ny par son nepueu, ny par ses freres bastards, ains par ses propres enfans, & que cette playe saigne contre toute sa posterité jusques au dernier souspir, tant en la France, qu' Allemagne, qui est le suject du present chapitre.

Pour ne confondre cette histoire faut noter que le Debonnaire eut trois enfans masles d' Hermingarde sa premiere femme, qu' il assortit de divers Royaumes. Car à Pepin son second fils, il donna celuy d' Aquitaine, à Loys son troisiesme, celuy de Baviere, & pour le regard de Lothaire son fils aisné il le designa son heritier principal en tout le demeurant de ses terres & Seigneuries, luy donnant mesmement deslors le tiltre de Roy d' Italie, & d' Empereur. Hermingarde estant decedee, il convola en secondes nopces avecques Judict, dont il n' eut qu' un seul fils, nommé Charles, qui fut un nouveau suject de tragedie. Car elle possedant son mary, moyenna de luy une donation de tous les pays d' Austrasie, en faveur de son fils, c' est celuy que nous avons depuis appellé le Chauve. Les enfans du premier lict sont irritez de cette immense donation. Je vous traceray le crayon de cette histoire en gros, laissant les autres particularitez à ceux qui en ont cy devant escrit. Nouvelle guerre suscitee par les enfans contre le pere, dont le succez fut tel, que Judict est renduë Religieuse voilee à saincte Radegonde de Poictiers, sous la puissance de Pepin: & le Debonnaire & Charles demeurent sous celle de Lothaire. Depuis se fait entr'eux quelque surseance de mauvaises volontez, l' Empereur & sa femme restablis en leurs dignitez, par l' entremise de Pepin & Louys seulement. Judict, rongeant une vengeance mortelle contre Pepin, est la garde duquel elle avoit esté confinee, pendant son affliction, faict donner par le pere à son fils Charles le Royaume d' Aquitaine, au lieu de l' Austrasie. Quoy faisant c' estoit defrauder le titulaire de celuy qui luy estoit dés pieçà acquis. Seminaire d' une autre guerre, mais beaucoup plus furieuse que la premiere, qui produisit des espouventables effects. Car en moins de rien les enfans rendus les plus forts se saisirent en la ville de Compiegne, tant de l' Empereur que de l' Imperatrice, envoyant Judict à Tortonne ville de la Lombardie pour y tenir prison clause. Ce fait Pepin & Louys retournerent en leurs Royaumes, laissans leur pere és mains de leur frere aisné, qui luy fit faire & parfaire son procés par le Clergé. De maniere qu' en l' Eglise sainct Medard de Soissons au milieu d' une infinité de peuple, il fut degradé de sa dignité imperiale.

Quelque temps apres les deux freres puisnez ayans pitié du mauvais traictement que leur pere recevoit par Lothaire, se liguent ensemblement contre luy à la suscitation de Pepin, auquel toutesfois l' injure avoit esté faicte, & donnerent si bon ordre à leur faict que l' Empereur & sa femme furent reintegrez, nonobstant les destourbiers & empeschemens que leur frere aisné y apportast. Si en cette histoire tragique il y avoit eu quelque lieu de reprimende, c' estoit en la personne de Lothaire qui s' estoit continuellement opiniastré à la ruine de son pere, & si quelque lieu de repremiation, c' estoit en faveur des deux puisnez, lesquels apres leurs rebellions estoient revenus à recognoissance & honnestes submissions envers leur pere, luy donnans confort & ayde sur son restablissement. Toutesfois par un jugement rebours l' opiniastreté profita à Lothaire, & les submissions nuisirent à ces deux puisnez. Pepin decedé quelque temps apres, delaissé un sien fils du mesme nom que luy pour son successeur au Royaume d' Aquitaine. Judict qui d' un costé ne respiroit en son ame qu' une grandeur pour son fils Charles à quelque condition que ce fust, mais qui d' un autre avoit senty combien la main de Lothaire estoit pesante, s' advisa d' un nouveau conseil. Qui fut de l' attirer à soy en la façon qui s' ensuit. Il est mandé de l' Italie par l' Empereur qui luy propose sa volonté estre telle, de faire un partage de tous ses pays entre luy & Charles, fors & excepté celuy de Bavieres qui appartiendroit à Louys: A la charge que tout ainsi qu' il avoit tenu son plus jeune frere sur les fons baptismaux, aussi seroit-il tenu d' estre son parrain en la protection qui escherroit en son lot. Offre non seulement acceptee franchement, mais aussi promise & juree solemnellement par Lothaire. Et sur ces conventions fut faict le partage entr'eux au souhait de l' Imperatrice, dans lequel entre autres contrees escheut particulierement à son fils la Neustrie, qui est la France que nos Roys possedent aujourd'huy. Par ce partage la part & portion de Louys Roy de Bavieres estoit racourcie au petit pied sans esperance de ressource, advenant la mort de son pere. Et quant au jeune Prince Pepin, il demeuroit lourche, son Royaume d' Aquitaine estant confus en celuy de Charles le Chauve son oncle. Occasion pour laquelle le Clergé & la Noblesse d' Aquitaine envoyerent par devers l' Empereur, l' Evesque de Poictiers & quelques autres Prelats, pour le supplier vouloir avoir pitié de son petit fils. La responce qu' ils eurent de luy, fut qu' il avroit esgard à leurs remonstrances, au prochain Parlement qu' il tiendroit en la ville de Chaalons, & qu' en attendant sa responce ils s' en retournassent en leurs pays. Promesse faicte, mais non tenuë, & de faict le Parlement rompu, il s' en va avecques sa femme en Auvergne faisant partie de l' Aquitaine, où les Prelats & principaux de la Noblesse firent le serment de fidelité à Charles. De là il arrive à Poictiers en deliberation de recevoir le semblable des Poictevins, mais sur ces entrefaictes nouvelles luy vindrent que Louys son fils avoit pris les armes, & remuoit nouveau mesnage contre luy. Au moyen dequoy il fut contraint de rebrousser chemin pour luy faire teste, mais comme il estoit en cette deliberation, vaincu de l' aage & de despit pres de Majence, il fut surpris d' une maladie dont 40. jours apres il mourut. Jamais il n' y eut plus d' injustice de pere envers ses enfans que cette cy, d' apparier en tout & par tout un cadet avec son aisné, tenir Pepin son petit fils pour un chiffre, & Louys pour une piece de rebut. Nonobstant les grandes obligations qu' il eust en luy, l' Imperatrice Judict n' avoit autre plus grande asseurance pour le soustenement de son fils que Lothaire. Toutesfois Dieu veut qu' il en soit le premier infracteur, & lors voicy un nouveau mesnage qui se pratique entr'eux. Car Louys & Charles se liguent contre leur aisné avecques lequel Pepin son nepueu se mit de la partie, esperant que pour closture du jeu il trouveroit en luy quelque ressource contre Charles. Il ne fut point lors question de passer leurs affaires à l' amiable. Leur different se vuida en la campagne de Fontenay à trois lieuës pres d' Auxerre, où fut liuree une bataille la plus sanglante qui fut jamais en cette France, en laquelle mourut la fleur de la Noblesse de tous leurs pays: de là en avant ce fut rat en paille. Car ces Princes ayans affaires de guerriers & les guerriers de places à leurs bienseances, ils s' en firent accroire sans que leurs Roys les en ozassent bonnement desdire. En fin ils acheverent leurs querelles par où ils devoient commencer, & s' en rapporterent à quelques seigneurs de marque, lesquels apres avoir loti Lothaire comme aisné & Empereur, laisserent à Louys la plus grande partie de toute l' Allemagne, lequel de là en avant prit titre non de Roy de Bavieres, ains de la Germanie, & à Charles advint la Neustrie & autres pays circonvoisins, prenant pour cette cause qualité de Roy de France. Car comme j' ay dict nostre France Occidentale estoit lors appellee Westrie, & depuis Neustrie, à la difference de la France Orientale que l' on appella du commencement Ostrie, & par succession de temps Austrasie. Et à vray dire, c' est en luy auquel commença le plant de la France, tel que l' on a depuis veu continuer en la lignee de Hugues Capet. Or se donnerent-ils par leur partage la peau de l' Ours qui estoit en vie. Je veux dire non seulement ce qu' ils possedoient reellement & de fait, mais aussi ce qu' ils ne possedoient, ains pretendoient devoir posseder à tort ou à droit. Tellement que la paix generalle entr'eux arrestee, estoit un acheminement de nouvelles guerres, contre uns & autres seigneurs possesseurs, dont ils ne devoient avoir autres garends de leurs lots, que leurs glaives, ny pour ce partage toutesfois ils ne laisserent d' enjamber les uns sur les autres quand les occasions s' y presenterent. Qui fut cause pendant leurs divorces intestins, de donner voye aux Sarrazins dedans l' Italie, aux Hongres dedans l' Allemagne, aux Danois (que nous appellasmes Normans) tant en la France, qu' Allemagne: Et combien qu' auparavant ces derniers vinssent, si ainsi voulez que je le die, en nostre France a tatons, ils y vindrent sous Charles le Chauve en flotes, & depuis continuerent leurs inundations, guidez tantost de la riviere de Loire, tantost de celle de Seine, l' oree desquelles ils establirent leurs demeures premierement en la ville de Blois, puis en celle de Roüen & des environs.

Mais pour n' anticiper sur les temps, Charles le Chauve garny de son partage se voulut avant tout œuvre heurter contre Pepin son nepueu Roy d' Aquitaine, mais voyant qu' il y faisoit mal ses affaires, tourna visage tant contre les Bretons qui s' estoient donnez un nouveau Roy, que contre les Normans qui rodoient le pays d' Anjou, & de Touraine. Ausqueis il voulut opposer Robert grand Capitaine, yssu de Saxe, luy assignant un grand territoire sous le nom & tiltre de Marquisat, comme celuy qu' il destinoit pour defendre contr'eux les marches & limites de la Touraine & Anjou. Ce choix cousta puis apres la ruine totale des siens dedans cette France. Car c' est de luy dont de main à autre nasquit le Roy Hugues Capet. Ce que Charles le Chauve n' avoit peu gaigner par armes contre Pepin son nepueu, il pourpensa de l' obtenir par pratiques sourdes. Comme de fait ce jeune Roy trahy luy fut liuré par les siens, l' accusant d' exercer une cruelle tyrannie contr'eux, & tout d' une main fut rendu Moine par son oncle en l' Abbaye sainct Medard de Soissons où il paracheva ses jours, le Chauve se faisant couronner Roy d' Aquitaine dedans la ville de Bordeaux, Dieu ne le voulut pas rendre exempt de la punition qu' il devoit porter pour l' injustice par luy commise envers son nepueu. Parce que Carloman l' un de ses enfans le guerroya quelque temps apres. Vray qu' en fin vaincu, il fut condamné par le pere d' avoir les yeux creuez. Supplice auquel le pere avoit part, aussi bien comme le fils, ou bien nature manquoit en luy. Il n' est pas qu' il ne sentist une algarade du Roy de Germanie son frere sous le mesme pretexte que celuy avoit exercé contre son nepueu, d' autant qu' il fut solicité par quelques seigneurs de la France de vouloir s' emparer de l' Estat, pour mettre fin aux tyrannies que le Roy Charles exerçoit sur ses sujects. Sur cette sollicitation les portes de la France luy sont ouvertes, où sans autre destourbier il fut ordonné Roy dedans la ville de Sens, pendant que le Chauve estoit empesché contre les Normans, & advança grandement ses affaires, favorisé d' un esclair de fortune qui luy fit courte compagnie. Car ayant eu advis d' une nouvelle revolte qui se faisoit en Allemagne contre luy, pour y remedier, il y envoya ses gensdarmes & sujects qui luy estoient tres-fonciers, estimant que ceux qu' il s' estoit fraischement acquis le conserveroient en sa nouvelle dignité. En cecy grandement trompé de son opinion, parce que de la mesme facilité qu' ils s' estoient rendus à luy, ils s' en soustrahirent: Se reduisans sous l' obeïssance originaire de leur vray & legitime Roy. Et par ainsi se reconcilierent les deux freres par beaux semblans, en attendant commodité plus propice, pour empieter l' un sur l' autre. Je vous recite cecy, ne gardant point l' ordre des temps, pour monstrer en quel mesnage estoient lors les affaires de cette famille dedans nostre France.

L' Empereur Lothaire voulant faire penitence des torts & injures qu' il avoit procurees au Debonnaire son pere se rend Moine, delaissant tous & chacuns ses biens à ses enfans. Dont Louys son aisné fut Roy d' Italie, & Empereur, Lothaire son second Roy du païs d' Austrasie, qui depuis emprunta de luy le nom de Lotharingie, & Charles son dernier Roy de Provence, Dauphiné, Savoye, & d' une partie du Lyonnois. Charles meurt quelque temps apres, & delaisse son Royaume à ses deux freres qui le partagerent entr'eux sans fraude & malengin. Il fut suivy quelques ans apres par Lothaire qui n' avoit autre plus proche heritier que Louys l' Empereur son frere, lequel lors estoit empesché dans l' Italie à se defendre contre les Sarrazins, comme semblablement Louys Roy de Germanie son oncle encontre quelques siens sujects nouvellement revoltez. Il n' estoit pas adoncques question de les secourir par Charles le Chauve ainsi qu' il estoit obligé de faire, mais luy abusant de ces occasions, donna si bon ordre à son faict qu' en peu de temps il se rendit maistre & seigneur du Royaume de Lothaire, & comme tel se fit couronner Roy d' Austrasie ou Lotharinge dedans la ville de Mets. Nouvelle discorde entre les deux oncles, non pour rendre à Louys leur nepueu le bien qui luy appartenoit, ains pour le partager ensemble, & pour n' en venir aux mains, à Louys de Germanie escheurent les villes & contrees attenans le Rhin, & au Chauve, la Provence, le Dauphiné, & la Savoye. Cet Empereur Louys ainsi frustré par ses oncles decede n' ayant qu' une seule fille nommee Hermingarde: Charles le Chauve, qui estoit aux escoutes, adverty de cette mort negotie son fait de si bonne sorte avecques le Pape Jean huictiesme de ce nom, que moyennant une grande somme de deniers dont il luy fit present, ce Pape le couronna Empereur & Roy d' Italie le jour de Noüel l' an 876. luy vendant un droict auquel il n' avoit aucun droict. Toutesfois le seul tiltre coulouré de l' authorité de ce grand Prelat, luy rendit cette qualité asseuree: lequel tout d' une suitte s' achemine à Pavie, où en presence de tout le Clergé & de la Noblesse du païs, il se fit proclamer & couronner Roy de Lombardie. Je vous laisse icy les divisions & rumeurs qui se trouverent pour cette cause entre luy & le Roy de Germanie son frere: comme Carloman son premier fils voulut venir en l' Italie pour envahir l' Estat, & plusieurs autres particularitez, n' ayant icy entrepris de vous escrire toute cette histoire, ains de la vous monstrer au doigt en passant. Et me contenteray de vous dire, que tout ce qui fut lors entrepris contre le Chauve fut en vain: La fortune ne voulut permettre à Carloman de passer plus outre. Sur ces entrefaites Louys Roy de Germanie va de vie à trespas delaissez Carloman, Louys & Charles, depuis surnommé le Gras, qui tous porterent diversement titres & qualitez de Roys. Ce que je vous reciteray cy apres est un inventaire de morts violentes, & non naturelles qui se trouverent en cette famille. Charles le Chauve meurt apres en l' an huict cens septante huict, empoisonné par Zedechie Juif son medecin lors qu' il retournoit d' Italie. Auquel succeda Louys le Begue son fils unique, qui fut couronné Empereur par le Pape Jean, mais à vray dire il n' en porta que le masque. Il regna seulement deux ans, & mourut aussi de poison, tout ainsi comme son pere. Il eut deux enfans bastards, Louys & Carloman, & un legitime nommé Charles le Simple qui nasquit apres son decés. Cela fut cause que ses deux freres bastards entreprindrent sur luy la couronne de France, & regnerent quelques anees. Louys monté sur un bon coursier, poursuivant à toute bride par forme de jeu une Damoiselle, elle se lance dans une maison, ferme la porte sur soy, & ce Prince ne pouvant retenir son cheval fort en bride, se heurta de telle façon, qu' il se rompit les reins, dont il mourut. Apres sa mort Carloman son frere chassant fut tué par un sanglier, n' ayant qu' un fils nommé Louys, qui mourut dedans l' an de son regne. Et par ces trois morts, à Charles le Simple vray & legitime heritier devoit appartenir la couronne de France. Voila de quelles façons moururent ces quatre Princes chez nous. Ne pensez pas que les Princes Allemans furent de beaucoup meilleure condition. Car des trois enfans de Louys Roy de Germanie, Carloman mourut le premier, delaissé seulement Arnoul son bastard, auquel il donna par son appanage la Carinthie. Loys le Jeune eut un seul fils portant le mesme nom que luy, qui mourut du vivant de son pere d' une malheureuse mort. Car folastrant dedans une chambre avecques quelques seigneurs de son aage, il tomba casuellement du haut en bas d' une fenestre & se rompit le col: Suivy peu apres de son pauvre pere esploré. De maniere que toutes les grandes terres, Seigneuries & possessions qui estoient hors le pourprix de ce Royaume de France eschevrent à Charles le Gras restant seul & unique des Princes de ce cette famille qui habitoient outre le Rhin: Comme aussi dedans cette France ne restoit plus autre rejetton de cette grande famille des Martels que Charles le Simple.

Je commenceray par Charles le Gras, & puis acheveray par l' autre. Jamais ne se vit un si grand conflus de bonnes fortunes qu' en cettuy du commencement, & jamais Prince ne fut en fin touché d' un si malheureux revers que luy mesme, quand fortune luy voulut tourner visage. Car en moins de rien il se vit par le decés de ses deux freres, Empereur & Roy de tous les pays qui avoient esté possedez par Charlemagne son bisayeul. Manquoit à sa grandeur nostre Royaume de France, lors affligé par les courses des Normands, nostre Charles le Simple ne se trouvant assez suffisant pour leur faire teste, les François appellerent à leur secours l' Empereur Charles le Gras, & l' establirent Roy de la France, vray qu' il n' y fit pas grand sejour. Ainsi plaisoit-il à fortune, pour rendre la puissance de ce Roy generalement absoluë. Mais peu de temps apres, elle luy joüa un tour de son mestier. Car en moins d' un clin d' œil il fut abandonné de soy, de sa femme, de sa sœur Hildegarde, & de ses principaux favoris, & par mesme moyen de tous ses sujects. Je dis abandonné de soy: Parce qu' à un instant il devint stupide, & perclus de son cerveau: Je dis de sa femme, laquelle le voyant par cette indisposition, estre tombé au mespris de tous les siens, se fit separer d' avecques luy en plain Parlement, où elle jura que pendant dix ans qu' ils estoient demeurez ensemble, ils ne s' estoient cognus par attouchemens mutuels. Chose dont son mary fut d' accord. Je dis par Hildegarde sa sœur, laquelle d' un esprit bizarre, indignee du changement inopiné de son frere, au lieu de luy subvenir, sollicita à face ouverte ceux ausquels il avoit plus de fiance, de se soustraire de son obeïssance. Ce qu' ils firent; luy baillans pour son gouverneur, Arnoul bastard son nepueu, lequel sous ce tiltre s' empara des Royaumes de la Germanie & Italie, se faisant proclamer Empereur. N' estant resté pour tout partage que la mendicité à ce pauvre Prince, lequel fut contraint d' avoir recours, non aux armes pour le recouvrement de son Estat, ains aux larmes, & tres humbles supplications, a fin qu' il pleust à Arnoul luy bailler quelques terres pour son entretenement, ce qu' il fit, mais d' une main assez chiche. Tant ce pauvre Prince estoit tombé au mespris de tous. Histoire pleine de compassion & pitié, en laquelle je remarque deux Charles avoir esté grands terriens: Le premier surnommé le Grand, & l' autre le Gras: mais tout ainsi qu' en l' un residoit la vivacité de cœur, & en l' autre la pesanteur de corps & d' esprit, aussi produisirent-ils deux effects du tout contraires. Arnoul mourant laissa Louys son fils unique, successeur de son Estat, aagé seulement de sept ans, qui mourut, l' an neuf cens douze, en l' aage de dix-huict ans, sans hoirs procreez de son corps. Et en luy finit toute la posterité de Charlemagne qui habitoit outre le Rhin. Que si les loix introduites en faveur des successions, eussent lors eu lieu, il est certain que Charles le Simple, comme son plus proche parent luy devoit succeder. Mais ce fut un autre joüet de fortune, non moins miserable que Charles le Gras. Tant y a que par la mort de Louys, Conrad Duc de Franconie fut creé Roy d' Allemagne, & apres luy Henry Duc de Saxe, duquel vindrent les Othons, nouveau plant de Royauté en Allemagne. Restoit en cette France Charles le Simple, autre vray portraict entre les Princes de calamité & misere, dont premierement son bas aage, puis sa sottise furent autheurs & architectes. Car pendant son enfance, ses freres bastards usurperent sur luy la couronne, & depuis Eude son tuteur se fit couronner Roy de France, lequel mourant le restablit par son testament. Restably qu' il fut, il oublia tous les malheurs de son bas aage: & favorisant un Aganon simple gentil-homme, par dessus tous les Princes & grands seigneurs de la France, il engendra un si grand despit dans leurs ames, qu' en haine de ce seul object, Robert frere d' Eude comme son heritier se fit proclamer Roy de France, titre qui fut continué apres sa mort en Raoul Duc de Bourgongne son gendre. La France estant lors generalement affligee par le conflit de ces nouveaux Roys, contre le Simple, & entierpied par les Normans, qui sçeurent fort bien faire leur profit de ces longs troubles: en fin ce pauvre Roy finit ses jours dedans les prisons de Peronne, par les artifices d' Heribert arriere-fils de Bernard Roy d' Italie. De maniere que la Royne Ogine sa veufve fut contrainte de se retirer chez le Roy d' Angleterre son frere, avecques Louys son petit enfant, auquel pour ceste cause la posterité donna le surnom d' Outremer. Hugues le Grand, fils de Robert qui sans porter titre de Roy, fassoit trophees de nos Roys, semond Ogine de retourner en cette France avec promesse de recevoir son fils en son Throsne, comme il fit quelque peu de temps: Et neantmoins il ne fut au long aller gueres mieux traicté que son pere. Car laissant à part le demeurant de son histoire, Hugues luy fit tenir prison clause, un an entier dedans la ville de Laon, sous la garde de Thibault Normand soldat de fortune, qui dans les troubles s' estoit fait Comte de Chartres, homme du tout voüé à la faction de Hugues. Finalement ce jeune Roy estant remis en liberté, apres avoir esté diversement traversé, courant un loup, son cheval luy faut des quatre pieds, & le tua. Il avoit deux enfans masles, Lothaire, & Charles, celuy-là qui fut Roy de France par image tout ainsi que Louys d' Outremer son pere, cettuy-cy Duc de Lorraine, qui recogneut tenir son Duché en foy & hommage de l' Empire. Quelque temps apres Lothaire est empoisonné, auquel succede Louys son fils qui mourut de pareille mort. Et par son decez Hugues Capet fils de Hugues le Grand, s' impatronisa de l' Estat, sans qu' autre Prince luy fist contre-teste. Vray que deux ans apres Charles oncle de Louys, se souvint de s' y opposer, & prit les armes contre luy, mais un peu trop tard. Joinct qu' il avoit accueilly la haine publique des François, pour s' estre rendu imperialiste en son Duché. Fortune en fin pour abandonner de tout poinct cette famille, le fit liurer és mains de Hugues Capet, par la trahison d' Adalberon Evesque de Laon, auquel il avoit mis toute sa fiance. De là fut mené prisonnier avec sa femme & ses enfans en la ville d' Orleans, où ils moururent. Ainsi prist fin cette grande famille de Charles Martel en ce dernier Charles: & ainsi prindrent accroissement deux autres nouvelles familles: l' une des Othons dedans l' Allemagne, & celle de Hugues Capet dedans cette France. Pepin fils de Martel fut couronné Roy de France en la ville de Soissons l' an 750. Louys dernier Roy de cette famille mourut l' an 981. 75. ans apres la mort de l' autre Louys, qui fut aussi le dernier Roy des Carliens en Allemagne. La famille des Martels regna 237. ans en nostre France: celle de Capet jusques à huy, qui est la fin de l' an 1606. l' espace de 616. ans. Non sans recevoir unes & autres algarades, dont avec l' aide de Dieu elle s' est autant de fois garentie.