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vendredi 14 juillet 2023

6. 25. Quel fruict nous rapportasmes des voyages d' outremer, que nos ancestres appelloient Croisades.

Quel fruict nous rapportasmes des voyages d' outremer, que nos ancestres appelloient Croisades.

Chapitre XXV.

Je trouve que nous fismes six voyages notables, tant pour aller conquerir que conserver la terre Saincte, lors que nous l' eusmes conquise. Le premier sous le regne de Philippes premier, le second sous Louys le Jeune, le tiers sous Philippes second, dict le Conquerant, le quart par Baudoüin Comte de Flandres, les cinq, & sixiesme par sainct Louys. 

Je supplie tout homme qui me fera cet honneur de me lire, vouloir suspendre son jugement jusques à la fin du chapitre. Parce que je me suis icy mis en bute une opinion du tout contraire à la commune. Car qui est celuy qui ne celebre ces voyages, sur toutes les autres entreprises, comme faicts en l' honneur de Dieu, & de son Eglise? Et quant à moy, s' il m' estoit permis de juger, je dirois volontiers (toutesfois sous la correction & censure des plus sages) que ceux qui les entreprindrent à dessein, y gaignerent, & la plus part des autres qui s' y acheminerent par devotion, y perdirent. Je seray encores plus hardy, & diray que ces voyages ont causé presque la ruine de nostre Eglise, tant en temporel, que spirituel. J' appelle user par dessein, ceux qui trouverent bons ces voyage, máis les laisserent exploicter par autres, ou bien y allerent tant seulement par contenance. De ce premier rang furent Philippes premier, & second, Henry premier de ce nom Roy d' Angleterre, Thibaut de Champagne, Baudoüin Comte de Flandres. Du second furent Herpin Comte de Berry, Robert Duc de Normandie, le Comte de Clairmont en Auvergne, Louys le Jeune, Richard Roy d' Angleterre, S. Louys, Henry Comte de Champagne.

Au premier voyage Herpin Comte de Berry vendit son Comté au Roy Philippes premier pour le deffroy de son pelerinage: Comté qui ne r' entra oncques puis en la famille du vendeur. Le Comte de Clairmont engagea son Comté à l' Evesque, qui en jouït depuis, & tous ses successeurs, jusques à ce que de nostre temps, l' Evesque en fut evincé par la Royne Catherine de Medicis: Robert fils de Guillaume le Bastard, ne voulut accepter la couronne de Hierusalem, qui luy fut presentee premier qu' à Godefroy de Boüillon, se promettant à son retour d' estre Roy d' Angleterre, & Duc de Normandie. Toutesfois retourné qu' il fut, il trouva que Henry son plus jeune frere s' en estoit emparé pendant son absence. Tellement que le pauvre Prince pour toute ressource de ses esperances, espousa une rigoureuse prison, en laquelle il finit ses jours. Tournons maintenant le fueillet. Ce premier voyage fut grandement profitable à Philippes premier, lequel par un sage conseil voulut demeurer dans la France, & surrogea en son lieu Hugues son frere pour y aller, & seroit impossible de dire combien il accommoda ses affaires par  ce bon advis. Car je puis dire que ce fut le premier restablissement de la grandeur de nos Roys. Lors que Hugues Capet usurpa sur la lignee de Charlemagne, plusieurs grands seigneurs voulurent avoir part au gasteau comme luy, sous autres titres que de Roy: Se faifans neantmoins accroire qu' ils estoient comme souverains sous ces qualitez de Ducs, & Comtes: il n' estoit pas que quelques moyens seigneurs ne se dispensassent de mesmes licences. Nostre France estant par le moyen de ce voyage espuisee d' une bonne partie des grands, desquels les petits se targeoient contre l' authorité de nos Roys, le Roy Philippes, & Louys le Gros son fils commencerent de les harasser, ou pour mieux dire terrasser: & specialement Louys surmonta un Hugues sieur de Puisay en Beausse, Bouchard Seigneur de Mont-morency, Milles Comte de Montlehery, Eude Comte de Corbeil, Guy Comte de Rochefort, Thomas comte de Merles. A l' exemple desquels tous les autres communs Seigneurs se reduisirent soubz la totale obeyssance de nos Roys. Et pour cela (dit Guillaume de Nangy) Louys le Gros fut par les siens appellé le Batailleux. Tant furent estimees ses victoires, ores que de peu de merite, si nous considerons les siecles suivans.

Le second voyage fut entrepris à la semonce & exhortation de sainct Bernard par Conrad Empereur d' Allemagne, & Louys le Jeune Roy de France, qui tous deux y allerent en personnes: Et jamais chose n' apporta plus de dommage que celle-là. Tout ainsi que le premier voyage avoit esté conclud en un grand Conseil tenu dans la ville de Clairmont en Auvergne, aussi le fut cestuy cy en un autre tenu à Vezelay en Bourgongne, où sainct Bernard Abbé de Clairvaut fit un ample recit des maux que les Chrestiens avoient nagueres receuz des Turcs, & lors chacun picqué de ses remonstrances fit vœu, de charger la redemption des nostres, entre lesquels principalement ces deux Princes. L' Empereur se mist le premier en chemin avecques une tres-puissante armee, mais dés son arrivee fut battu par le Souldan d' Egypte avecques une perte telle, que de soixante mille hommes, il ne luy en resta pas la dixiesme partie: Et mesmes fut non seulement trahy par manuel Empereur de Constantinople qui le vendit à nos ennemis. mais encores feignant de luy administrer farines, pour la nourriture de son armee, il y mesloit du plastre, chose qui causa la mort à une infinité de personnes. Au moyen dequoy il fut contraint de retourner tout court en ses pays. Louys le Jeune eut du commencement un meilleur succés, mais non de longue duree, estant puis apres mis en route: Perte qui ne fut rien au regard de celle que je discourray maintenant. La Royne Leonor sa femme l' avoit accompagné en ce voyage: il entre en une extreme jalousie d' elle, & du Prince d' Antioche, qu' il imprima de telle façon dans sa teste, qu' à son retour il la repudia, fondant toutesfois son divorce sur ce qu' il disoit, qu' ils estoient dans un degré de consanguinité prohibé, ayans deux filles de leur mariage. Par ceste repudiation nous (perdimes) perdismes la Guyenne, la Gascongne, & le Poictou, qui tomberent souz la domination de l' Anglois par le mariage qui fut fait d' elle avecques Henry Roy d' Angleterre troisiesme du nom. Voilà le fruict que nous rapportasmes de la devotion de Louys. Il ne nous en prit pas ainsi au troisiesme voyage, qui fut conclud l' an 1188, en un Concil de Paris entre Philippes Auguste, & cest Henry troisiesme, & depuis executé par Richard Roy d' Angleterre son fils apres la mort de son pere: car combien que l' un & l' autre s' y fussent depuis acheminez, toutesfois soudain apres la ville d' Acre prise, Philippes rebroussa chemin vers la France sur un mescontentement par luy exquis & affecté, laissant le Roy Richard engagé dedans la querelle: lequel à la verité acquit du commencement beaucoup de reputation: Car y allant il prit le Royaume de Chipre, dont il investit Guy de Lusignan, & tout d' une suite se rendit si redoutable aux Turcs, qu' apres son partement, quand les meres vouloient faire peur à leurs petits enfans, elles les menaçoient de Richard: Mais voyez je vous prie quelle fut la fin & issuë de ce jeu. Philippes à son retour, apres avoir consideré comme les affaires des Anglois alloient par la France, commence de brouiller leur Estat, occasionné de ce faire sur l' absence du Roy Richard: Entreprise qu' il n' intermit jusques à ce qu' apres plusieurs accidens en fin il en vint à chef. Au contraire Richard de ce adverty, voulant reprendre les brisees de son pays, fut pris par Henry Empereur, & contraint de payer cinquante mille marcs d' argent pour sa rançon. En ce voyage Henry Comte de Champagne se trouva tres-mal appointé: Parce que pendant son pelerinage, Thibaut son frere le supplanta de son Comté: pour toute recompense resta à Henry le Royaume de Hierusalem, lors qu' on ne le possedoit plus que par image: Et tout ce qu' apres son decez sa veufve peut obtenir de Thibaut, pour ses conventions matrimoniales, fut la somme de deux mille liures de rente en assiette d' heritage. 

Le semblable n' advint pas à Baudoüin Comte de Flandres au quatriesme voyage, lequel plus poussé par discours que devotion, comme l' evenement le monstra, faisant semblant d' aller secourir les Chrestiens de la terre Saincte, se fit Empereur de Constantinople: Empire qu' il transmit à sa posterité l' espace de soixante tant d' ans: Car quant aux cinq & sixiesme voyages qui fusent entrepris par S. Louys: tout ainsi qu' il n' y eut qu' une bonne devotion qui l' y conduisit, aussi furent-ils tous deux malheureux, parce qu' au premier il fut pris & paya une grosse & lourde rançon pour se deliurer, & au second il mourut, voyages qui cousterent la ruine generale de la France.

De tous ces voyages, jamais voyage ne fut entrepris de plus grande allegresse que le premier. Chacun y couroit à l' envy: Gilbert qui florissoit de ce temps là, dit qu' il y eut une flotte de Sauvages qui aborderent en France, lesquels pour ne pouvoir estre entendus en leur barraguoin, monstroient par un croisement de leurs doigts qu' ils venoient expressement pour estre de cette partie: & que Pierre l' Hermite promoteur de cette entreprise estoit en telle veneration, que passant parmy les ruës le menu peuple arrachoit du poil de son mulet pour en faire comme des Reliques. Encores trouvez-vous au second une devotion qui secondoit le premier. Parce que Nicetas autheur Constantinopolitain nous dict qu' entre les troupes de l' Empereur Conrad qui passerent par la Grece, il y avoit des compagnies de femmes armees, & montees sur des chevaux tout ainsi comme les hommes. On usoit de tels voyages non pas proprement comme d' une guerre, ains comme d' un vœu & pelerinage, pour la recousse de la terre Saincte. Et de faict ceux qui y entroient se presentoient confez selon leurs qualitez, les uns devant leurs Evesques, les autres devant leurs Curez, & prenoient d' eux le bourdon, comme si s' ceussent esté Pelerins, non soldats: Et outre la devotion, on proposoit certains guerdons à ceux qui y alloient, & aux autres certaines charges. Au Concil de Clairmont en Auvergne, apres que le premier voyage eut esté conclud, le Pape Urbain second voulut que tous les Pelerins, au lieu de l' escharpe, chargeassent la Croix, pour monstrer que c' estoit pour la propagation de nostre Christianisme que se faisoit cette entreprise, signal qui fut depuis continué, & de là vint que l' on disoit que ceux qui s' y enrolloient, se croisoient, & que l' on appella ces voyages, Croisades. Le mesme Pape donna lors pleine absolution des pechez à tous ceux qui firent le vœu, & excommunia les autres, qui apres avoir fait le vœu, ne le paracheverent. Et pour y apporter encores quelque esperon, il fut arresté au Concil qu' il y avroit surseance de tous procez petitoires l' espace de trois ans en faveur de ceux qui iroient. Chose qui tourna dans Normandie en coustume, parce que dans le vieux Coustumier il y avoit article exprés, portant doncques qu' en tel cas il y avroit trefue de procez sept ans durant, sinon que l' on apportast information sommaire de la mort: Depuis on commença de foüiller aux bourses de chacun sans acception, & exception de personnes, car aussi que pouvoit on ne donner pour si devotes entreprises, esquelles il ne s' agissoit d' autre chose que de l' accroissement de nostre Religion Chrestienne? A la nouvelle que nous eusmes que Saladin avoit pris Hierusalem, & la plus grande partie de la Palestine, pour faire levee de gens, fut imposee cette grande disme, que la posterité nomma la Disme Saladin, qui estoit que chacun qui demeuroit en la France, devoit payer la dixiesme partie de son revenu, & lors (dit un vieux Historiographe) par le conseil de Philippes Roy de France, & des Barons du Royaume fut commandé, crié, & estably, que pour l' aide des Pelerins à aller à la terre Sainte, & les biens, & les meubles de toutes manieres de gens fussent dismez, & que chacun payast la Disme de ce qu' il eust: C' est à sçavoir de tous ceux qui en la terre Saincte ne pourroient, ou ne voudroient aller: laquelle chose tourna à grand dommage: car il advint que plusieurs de ceux qui les Dismes requeroient efforcément les Eglises aggravoient, & pis qu' à autres gens leurs faisoient. A tant l' Autheur. En ce grand Concil de Latran tenu dans Rome sous Innocent troisiesme, toutes sortes de gens furent exhortez d' entreprendre tels voyages. Aux Ecclesiastiques qui iroyent, permis de joüyr trois ans durant du revenu de leurs benefices, sans les desservir en personnes. Que les Roys, Ducs, Marquis, & Comtes, qui n' iroyent, comme aussi les corps des villes seroient tenus de stipendier des gendarmes durant ce temps de trois ans: pareillement seroit prise la Disme du revenu des benefices, le tout pour la remission de leurs pechez, & que le Pape mesme, & les Cardinaux seroient tenus d' y contribuer.

Or en ces voyages on commençoit premierement par une publication de Croisade, qui se faisoit sous l' authorité & permission du sainct Siege: 

Et parce que ceux qui s' y vouloient acheminer, avant que de s' y exposer se rendoyent confez & repens, les uns entre les mains de leurs Evesques, & les autres de leurs Curez, comme j' ay dit, l' Eglise de Rome leur bailloit absolution generale de leurs pechez, & promesse certaine de Paradis, laquelle par la parole de Dieu est enclose dans une bonne confession accompagnée d' une poenitence & restitution des forfaits. Et à la suite de cela, on levoit (comme j' ay dit) des Decimes sur le Clergé, pour le souldoyement de l' armee Chrestienne. Car aussi puis que la guerre s' entreprenoit pour la manutention & soustenement de l' Eglise, c' estoit chose tres-raisonnable qu' elle contribuast au defroy des armees: ce que l' on avoit apris de faire auparavant. Tout cela sembloit specieux & plein de Religion; toutes-fois le mal-heur voulut que le Levant fut le tombeau des Chrestiens, que nos Croisades se soient evanoüies en fumee, & que tous les pays qu' esperions convertir par les armes soient demeurez en leurs anciennes mescreances, & qui plus est, que nous ayons tourné avecques le temps ces premiers fondemens des Croisades en une ruine & desolation de nostre Eglise. Parce en premier lieu que depuis les Papes exerçans inimitiez particulieres contre quelques Princes souverains, lors qu' ils s' en voulurent vanger les excommunierent, puis à faute d' absolution les declarerent heretiques, & à la suite de cela firent souvent trompeter des Croisades contre eux, comme s' ils eussent esté Infidelles: a fin que les autres Princes Chrestiens s' armassent, & s' emparassent de leurs Principautez & Royaumes. Ce qui causa une infinité de divisions, troubles & partialitez en nostre Chrestienté. Davantage lors que les Courtisans de Rome vouloient sous fausses enseignes faire un grand amas de deniers, on faisoit publier une Croisade contre les Turcs, & pour exciter un chacun à y aller ou contribuer à cette Saincte Ligue, les Papes envoyoient par toutes les Provinces plusieurs gens porteurs de leurs Indulgences, a fin d' en faire part plus ou moins, selon le plus ou le moins de deniers que l' on financeroit pour l' expedition de tels voyages. Comme de fait il advint sous Clement cinquiesme: Car ayant esté une Croisade concluë au Concil de Vienne, il la fit prescher par un Cardinal en cette France, & se trouverent une infinité de Seigneurs qui se voüerent à ce pelerinage. Entre autres choses celuy qui donnoit un denier avoit pardon d' un an, douze deniers, de douze ans, & qui donnoit autant comme il convenoit pour defrayer un homme de guerre avoit planiere Indulgence & absolution de tous ses peschez, & disposa personnes desquelles il se fioit, pour recevoir telles offrandes cinq ans durant: pendant lesquels il leva une incroyable somme de deniers. Mais au bout du temps le voyage fut rompu par occasion, & dit le Livre dont j' ay tiré cette Histoire, que la plus grande partie de ces deniers fut donnee par le Pape à un sien nepueu. Et tout ainsi qu' en Cour de Rome on tiroit profit sous pretexte de ces Indulgences, aussi firent les Roys & Princes seculiers sur le Clergé, parce qu' ils faisoient semblant de voüer un voyage outre mer, & sur ce pied obtenoient permission du Pape de lever une & deux Decimes, ou bien d' en lever une, deux ou trois ans consecutifs, & puis ces levees estans faites leurs vœux & voyages s' esvanoüissoient en fumee: Ainsi en fit le Roy Philippes de Valois. Et les Papes mesmes se dispenserent de lever telles cueillettes sur les Ecclesiastiques sans necessité, comme j' ay traicté ailleurs. Or voyez quel fruict nous avons rapporté de tout cecy. Alexandre sixiesme ayant faict sonner une Croisade par toute l' Allemagne, France, Espagne, & Italie, avecques une distribution de plusieurs Indulgences à ceux qui financeroient deniers pour ce sainct voyage, que l' on veit depuis ne sortir effect, ains les deniers qui en estoient provenus avoir esté par luy donnez à une sienne niepce: Martin Luther commença de crier contre cet abus par l' Allemagne, & tombant d' une fievre tierce en chaud mal, il bastit son heresie contre la Papauté sur ce mesme abus. Heresie qui s' est depuis espanduë presque par toute l' Allemagne, Polongne, Angleterre, Escosse, Flandres, & quelque partie de la France. Comme en cas semblable les Roys avec le temps ont commencé de faire fonds des Decimes qu' ils levent dessus le Clergé, tout ainsi que des tailles sur le commun peuple. En effect voila comme par ces voyages, nostre Eglise s' est trouvée & trouve affligee tant au temporel, que spirituel. A fin que je vous laisse à part, les Dismes infeodees que j' attribuë au premier voyage d' outre-mer, & pour closture, l' Idolatrie des Templiers qui fut condamnee au Concil de Vienne, encores que je sçache bien que quelques uns ont estimé qu' en cette condamnation il y eut je ne sçay quoy de l' homme, toutes-fois puis que ces Templiers furent condamnez par un Concil general, je veux croire que ce ne fut sans juste sujet.

Mais dont peut proceder qu' une si bonne & saincte plante ait rapporté des fruits si fascheux? je n' ay pas entrepris de vous en rendre raison, ains de vous raconter l' Histoire: Et neantmoins je vous diray avec toute humilité ces deux mots, suppliant tout bon & fidele Chrestien les vouloir prendre de bonne part, à la charge, si mon opinion n' est bonne, de la reduire à la meilleure. Je ne me puis persuader qu' il faille advancer nostre Religion par les armes, celle de Moïse fut destinee à tel effect, celle de Jesus-Christ au contraire s' est accreuë par prieres, exhortations, jeusnes, pauvreté & obeïssance: & luy mesme nous en donna le premier advis, lors que S. Pierre desgaina son glaive, quand il luy commanda de le rengainer, disant que si c' eust esté le moyen d' advancer sa Religion, il pouvoit souslever une infinité de legions d' Anges qui eussent pris les armes pour luy. Au milieu de la desbauche des armes, l' impieté se loge aisément, laquelle ne sçavroit produire fruict qui vaille, encores qu' un zele indiscret de nostre Religion nous y alleche. Et à peu dire, pendant que le Catholic, & l' Arrien se combattoient anciennement, Mahomet prit sujet avec le temps d' introduire une troisiesme Religion: Et de nostre temps l' Empereur Charles V. s' estant armé contre les Lutheriens, il se forma une Secte d' Anabaptistes de plus perilleuse consequence que l' erreur de Martin Luther. Il y a trente-quatre ans & plus que nous avons pris les armes en cette France, les uns pour le soustenement de la Religion ancienne & Catholique, les autres pour la nouvelle, que d' un mot specieux ils appellent la Reformee: Que si vous me permettez d' en dire ce que j' en pense, je ne voy point que nous en ayons rapporté autre chose qu' un Atheisme & contemnement de l' une & l' autre Religion. Je ne doute point que telles guerres ne soient entreprises d' un zele, mais zele du tout furieux. S. Gregoire au I. de ses Epistres escrivant à Virgile & Theodore Evesques de Marseille, sur un advis qu' il avoit eu qu' ils contraignoient plusieurs Juifs dans leurs Dioceses d' estre baptisez. Intentionem quidem huiusmodi, & laude dignam censeo, & de Domini nostri dilectione descendere profiteor. Sed hanc eandem intentionem, nisi competens Scripturae sacrae comitetur effectus, timeo ne aut mercedis opus inde non perveniat, aut animarum quas eripi volumus, quod absit, dispendia subsequantur. Dum enim quispiam ad baptismatis fontem, non praedicationis suavitate, sed necessitate pervenerit, ad pristinam superstitionem remeans, inde deterius moritur, unde renatus eße videbatur. Je vous laisse le demeurant. Que si ce grand & sainct Pape ne trouvoit bon que l' on fist Chrestienner un Juif par force, combien eust-il plus blasmé que par armes nous eussions voulu provigner nostre Religion Chrestienne? Et de la mesme opinion que je suis, est Messire Guillaume du Bellay en son premier Livre sur le faict de la guerre, quand il dit, que ce n' est pas à coups d' espees que les infidelles se convertissent, & Chrestiennent, ains que l' exemple & le parler y peuvent plus que la force (ce sont les mots dont il use) & que la force qu' il leur faudroit faire, ce seroit seulement pour deffendre nos marches quand ils les voudroient assaillir, ou entrer plus avant sur nous.

jeudi 22 juin 2023

3. 35. Des Dixmes infeodees.

Des Dixmes infeodees.

CHAPITRE XXXV.

Jusques icy nous avons deduict une police introduite en faveur des pauvres guerriers, qui s' est perpetuee jusques à nous, & la recompense que l' on leur fait sur les Religions & Monasteres, sous le bon plaisir de nos Roys. Reste maintenant à discourir des Dixmes infeodees, autre recompense, qui fut faite sur les Cures, en faveur des mesmes guerriers. Je recognoistray que tout ainsi que les Curez doivent residence actuelle sur leurs Benefices, pour l' administration des saincts Sacremens, aussi à eux appartiennent les Dixmes par la seule monstre de leur clocher, de droict divin & primitif. Toutesfois ces Dixmes recevrent selon la diversité des lieux, & des temps, divers changemens. Car quelquesfois les Evesques par une main plus forte & puissante, les firent tomber sous leur puissance, comme generaux Pasteurs, & en frustrerent les Curez. Qui fut cause qu' en l' an 1560. en l' assemblee qui fut tenuë en la ville d' Orleans, les trois Estats en firent plaintes & doleances par leurs cahiers, au Roy Charles IX. Mais le Roy craignant par ce nouveau remuëment, d' aporter des troubles entre les Ecclesiastics, passa ceste requeste par connivence, avec promesse d' y faire droict en temps & lieu. D' un autre costé aussi la commune police de l' Eglise permit que ces Dixmes peussent estre prescriptes par les autres Eglises, ores qu' elles ne fussent parochiales, par une possession de quarante ans. Pareillement s' estans sur le moyen âge de nostre Christianisme faicts nouveaux Ordres de Religions, plusieurs Evesques leur donnerent diverses Cures, esquelles ils pourroient commettre gens sous eux, qui seroient appellez Vicaires perpetuels, & administreroient en leur lieu les saincts Sacremens, se contentants d' une pension congruë pour leurs aliments * demourans pardevers ces Monasteres le droict de dixmer, sur tous les climats de la parroisse, comme estans Curez primitifs, encores que la charge, & deservissement residast pardevers leurs Vicaires perpetuels. Entre ces divers changemens s' en fit un plus grand & extraordinaire en la France. Car combien que les hommes Layz soient par disposition canonique incapables de tenir Dixmes, toutesfois il y a certains territoires en France, où ils reçoivent des Dixmes, que nous appellons Infeodees, ne leur estant ceste possession revoquee en doute par les Ecclesiastics, voire sont ces Dixmes si privilegees, que si un Curé veut agir contre eux, soustenant qu' elles luy doivent appartenir, & qu' à cest effect il les face convenir pardevant le Juge d' Eglise, auquel la cognoissance des Dixmes appartient naturellement: Toutesfois si ceux qui sont convenus alleguent que ce soient Dixmes Infeodees, ils ferment totalement la bouche à l' Official, lequel doit renvoyer les parties pardevant le Juge Royal, pour voir s' il en doit retenir la cognoissance, ou non, autrement il commettroit abus.

Or dont soit procedee ceste espece de Dixme, c' est paravanture la chose la plus obscure qu' il y ait en nostre Histoire: Parce que la commune opinion en attribuë l' invention à Charles Martel, lors qu' il recompensa la Noblesse qui l' avoit suivie encontre les Sarrazins. Disant que depuis la possession s' en est continuee entre les Seigneurs temporels jusques à nous. A la verité ceux qui ont esté de cest advis ne sont denuez de bien grand pretexte. Car le mesme Prince passant plus outre, se desborda de telle façon, qu' il fut le premier qui donna des Archeveschez & Eveschez aux Capitaines. Toutesfois je ne fais nulle doute que ceste opinion ne soit faulse. Parce que nous n' avons pas manqué d' Historiographes, dont les uns nacquirent dans la seconde lignee de nos Roys, & les autres y attoucherent de pres, uns Aimoïn, Rheginon, Flodoard, Adon, Sigebert, & neantmoins nul d' eux ne s' est souvenu de remarquer ceste induë liberalité en Charles Martel, ny mesmes Flodoard, qui d' ailleurs ne l' espargne nullement dedans son Histoire. Car parlant de luy, il luy impropere d' avoir osté l' Archevesché de Rheims à Rigobert son parrain pour la donner à un nommé Milon Capitaine: & encores qu' au chap. des Regales j' aye copié une partie de ce passage, si est-ce qu' avecq' la permission du Lecteur, je le coucheray icy tout au long. Hic Carolus ex ancilla stupro natus, ut in annalibus Regum de eo legitur, cunctis qui ante se fuerant audacior Regibus, non solum istum, sed etiam alios Episcopatus regni Francorum, Laicis hominibus & Comitibus dedit: ita ut Episcopis nihil potestatis in rebus Ecclesiarum permitteret: verum quod contra hunc virum sanctum & alias Christi Ecclesias perpetravit malum, iusto iudicio Dominus refudit in caput eius. Et là il discourt comme l' on le tenoit pour damné, par la revelation qui en avoit esté faite par S. Richer. Si sous ce passage vous voulez comprendre les Dixmes, il me semble que c' est errer. Car ceste usurpation induë meritoit bien d' être expliquee plus ouvertement par cest Autheur qui en un autre passage monstre combien on abhorroit d' exposer les Dixmes au commerce, voire à une personne Ecclesiastique. Car Hincmare Archevesque de Rheims, ayant entendu que les Religieux, Abbé & Convent de S. Denis vouloient vendre à un Curé une dixme à eux appartenant, voicy que le mesme Flodoard en dit. Je suis bien aise d' inserer tout au long les passages signalez des Autheurs manuscripts, & qui ne courent par les mains du peuple. Wiligiso cum cæteris Sancti Dionisij monachis, de eo quod audierat eos à quodam Presbytero, pretium quærere pro decima: unde maximam verecundiam dicit se habere, propter alios homines qui hoc audituri erant. Quod quantum periculum sit, eis ex divina ostendit authoritate, & canonum promulgatione. Ac inde, inde absit (inquit) fratres ut alij Ecclesiastici & Religiosi viri hoc audiant, & quia monachi de sancto monasterio sancti Dionisij decimam dereliquerunt, ut de ipso pretio infernum comparent. Multo magis autem absit ut Laici audiant, Quod nemo etiam peccatis publicis implicatus in sua parrochia facere audet. Si enim aliquis de alio monasterio, quam de nostro (Hincmare parle ainsi, d' autant qu' il estoit Religieux de S. Denis) hoc attentare, quanto magis facere praesumeret, eum ab omni communione de parrochia mea excommunicarem.

Vous voyez combien Hincmare qui vivoit du temps de Charles le Chauve detestoit ce conseil, & combien il craignoit qu' il ne vint à la cognoissance du peuple, pour le scandale, & neantmoins ce n' estoit qu' un changement de Dixme de Religieux à un Curé: Flodoard à fort bien fait son profit de cest exemple. N' estimez point que si de son temps les gens Laiz eussent possedé des Dixmes, cela luy fust demeuré au bout de sa plume. J' adjousteray qu' en tous les Concils qui furent faits sous Charlemagne, Louys le Debonnaire, Lothaire, Louys second Empereur de ce nom, & Charles le Chauve, il n' en est faite mention, combien que la pluspart d' iceux soient remplis de la desolation, qui commençoit d' être en nostre Eglise, & de l' ordre qu' ils entendoient y devoir être remis.

Je sçay bien que les compilateurs de Madbourg de l' Histoire Ecclesiastique, en la huictiesme Centurie, remarquent qu' au livre second des Concils, on trouve que Carloman fit faire une assemblee de Prelats, en l' an 742. portant entre autres cest article, Decimas occupatas à prophanis restituimus, c' est à dire, Nous restituons les Dixmes qui ont esté occupees par les gens Laiz. Que si cest article est veritable, il n' y avroit pas grande difficulté pour ceste opinion. Car ce Concil avroit esté tenu soudain apres le decez de Charles Martel. Toutesfois j' ay voulu diligemment rechercher, & ce Concil, & cest article, certes je ne l' ay point trouvé en tous les quatre Tomes des Concils. Et m' esbahy infiniement, si ce Concil est veritable, dont vient qu' en tous les autres il n' en ait esté parlé, pour reformer une chose tant prejudiciable à l' Eglise, comme celle-là. Au Concil tenu à Aix, le quatriesme an du regne de Pepin, article dixiesme, il est dit, que si les Abbez sont si mols de laisser tomber leurs Abbayes és mains de personnes Layes, & les Moines pour le salut de leurs ames en veulent sortir, faire le pourront par le congé de l' Evesque: & en ce faisant seront translatez en autres Monasteres convenables. Au Concil celebré à Aix sous le Debonnaire, il est (comme j' ay deduict cy dessus) prié de ne conferer les Abbayes des hommes, & femmes, qu' à personnes dignes, presupposant par là, le defaut qui ja estoit en l' Eglise. Aussi dés son temps mesmes trouve-l'on un Hilduin son grand aumosnier, outre les autres communs Benefices, avoir eu les Abbayes de sainct Denis en France, sainct Germain des Prez de Paris, & sainct Medard de Soissons. En celuy tenu à Paris est faite mention des gens Laiz, ausquels les Abbayes commençoient d' être baillees, & prie-l'on le Roy de tenir la main que cela ne se face à l' advenir. En un autre celebré à Mets sous Charles le Chauve, on se plainct des exactions, & coustumes induës, que les Officiers du Roy tiroient du Clergé, & aussi des alienations du bien de l' Eglise, qui avoient esté faictes par les Roys, ensemble des Religions, & Monasteres, qui s' estoient mis pour les guerres sous la protection du Roy, dont le service divin avoit esté supplanté tout à faict. Brief tout ce Concil est confit des abus & entreprises que les Laiz faisoient sur les Ecclesiastics. Et en plus forts termes au Concil de Paris, sous Louys deuxiesme, petit fils du Debonnaire, il est parlé des Seigneurs, qui de leur privee authorité avoient osté les dixmes des vrayes, & anciennes Eglises, pour les transporter à des nouvelles par eux basties: & est ordonné qu' elles seroient restablies en leur premier estat: & neantmoins en toutes ces assemblees n' est parlé un tout seul mot, des dixmes, qui avoient esté occupees par les Laiz. Enquoy selon mon advis, il gisoit plus de reformation, qu' en toutes ces particularitez.

Par ainsi je ne doute aucunement qu' encores que sous la seconde lignee de nos Roys la desbauche de nostre Eglise fut tres-grande, toutesfois cest octroy de Dixmes, que nous avons depuis appellees, Infeodees, leur fut du tout incogneu. Et si seray encores plus hardy: car nous fusmes pres de cent ans depuis la venuë de Hugues Capet sans les cognoistre. Ne me pouvant persuader, si elles eussent esté en usage, que l' on ne leur eust donné quelque attainte en ce grand Concil qui fut tenu sous Urbain II. l' an 1097. dans la ville de Clairmont, où pour l' avancement de nostre Religion Chrestienne, fut concluë la premiere Croisade, mesmes fut censuré le vice du Roy Philippes I. & croy que l' on n' eust oublié la hardiesse des Laiz qui à face ouverte possedoient non le simple temporel, ains le bien spirituel des Eglises. Maistre Jean de Luc, personne d' honneur, en son Recueil des Arrests en donne la premiere invention à Philippes Auguste, lors qu' apres avoir longuement guerroyé il voulut recompenser ses Capitaines aux despens de l' Eglise, mais il s' abuse. Car l' on ne trouve jamais le remede qu' apres la faute commise, ny la medecine devant la maladie. Philippes Auguste commença de regner l' an 1181. & dés l' an, 1179. avoit esté tenu le Concil de Latran, qui avoit condamné telles usurpations. C' est pourquoy apres avoir consideré tout le temps, je demeure fiché en ceste opinion, que ces Dixmes laïcales furent introduites lors que nous entreprimes le premier voyage d' outre-mer. Auquel chacun pensoit faire œuvre tres-meritoire envers Dieu d' y contribuer de tous ses moyens & facultez, & à tant que plusieurs Curez pour exciter les Seigneurs des villages où estoient leurs Cures, leurs firent present de leurs Dixmes pendant leurs vies: dont ces Gentils-hommes & Seigneurs se seroient appropriez à jamais par un droict de bien-seance. Chose qui fut passee par connivence l' espace de quatre vingts ans, ou environ, jusques à ce qu' au Concil de Latran, tenu sous Alexandre troisiesme par l' article quatorze, on ne fait non seulement doute que les hommes Laiz ne puissent posseder des Dixmes, mais est en outre prohibé à ceux qui les possedoient d' une longue ancienneté de les pouvoir transporter à autres personnes de leur qualité, ains seulement aux Eglises. La teneur de l' article estoit telle. Prohibemus ne Laici Decimas, cum animarum suarum periculo retinentes, in alios Laicos possint aliquo modo transferre, si quis vero receperit, & Ecclesiae non tradiderit, Christiana sepultura privetur. Depuis ce Concil nous n' avons point douté en France qu' il n' estoit plus permis aux gens Laiz de faire nouvelles infeodations de Dixmes, mais est une regle generale que si quelqu'un en possede qui luy soient disputees par un Curé, doit outre sa longue ancienneté alleguer qu' il les possede devant le Concil de Latran, autrement sa prescription, voire de deux & trois cens ans luy seroit inutile: D' autant que toute prescription est bastie sur une possession: & c' est une regle tres-certaine, que le Lay est personne du tout incapable de posseder, & consequemment de prescrire une Dixme. A la suitte de ce Concil, en Mars, 1279. sainct Louys fit un Edict, par lequel il ordonna que si les Dixmes feodales retournoient aux Eglises, elles reprendroient leur originaire nature, sans pouvoir puis apres être possedees par gens Laiz. Edict que nous avons entendu seulement pour les Eglises parrochiales, par plusieurs arrests, & non pour les autres, ausquelles elles ne sont naturellement deuës. Au demeurant, parce que ceste matiere n' est commune, qui voudra être plus amplement informé des regles d' icelle, je le renvoye au docte du Moulin, en son Traicté des Fiefs, chap. 46. Et neantmoins encores vous feray-je part de l' ordonnance de S. Louys telle que je l' ay extraicte du vieux registre de S. Just qui est en la Chambre des Comptes. 

Louys par la grace de Dieu Roy de France. Nous faisons à sçavoir à tous ceux qui sont cy presens, comme à ceux qui sont à venir que nous pour le regard de l' amour divine & pour le salut & remede de nostre ame, & ensemblément pour le salut & pour la remembrance des ames du Roy Louys nostre pere, & de la Roine Blanche nostre mere, & de nos autres predecesseurs. Nous voulons & octroyons que toutes les personnes Layes qui ont la possession des dixmes des autres gens de nostre terre, & en nos fiements qui muevent au mehain ou sans mehain, qu' ils les puissent delaisser & donner ou en quelque autre maniere que ce soit droicturiere & convenable octroïer à Eglises à tenir sans requeste nulle qui en soit faite desormais à nous ne à nos successeurs en telle maniere que nos hoirs ou nos successeurs ne se puissent opposer en nulle maniere encontre nostre octroyement que nous en faisons maintenant, ny empescher de ores en avant. Et a fin que ce soit ferme & estable & permaigne à perdurableté, nous y feimes mettre nostre seel. Ce fut fait en l' an 1279. au mois de Mars.

dimanche 25 juin 2023

4. 3. De l' authorité du serment,

De l' authorité du serment, & d' une maniere de preuve qui se faisoit quelquesfois par iceluy.

CHAPITRE III.

L' authorité du Serment doit estre de telle recommandation en toutes nos actions, qu' il me plaist maintenant exercer ma plume sur ce sujet de toutes façons. L' on recite qu' au pays d' Egypte anciennement le parjure estoit puny par la mort, comme estant violateur de la pieté envers Dieu & de la foy envers les hommes, pour n' y avoir lien si estroit de cette humaine societé que l' entretenement du serment. A ce propos Ciceron en ses Offices disoit qu' il n' y avoit rien qui obligeast tant nostre promesse que la prestation de serment. Chose qui estoit averee en tous les actes solemnels, fust en paix faisant avecques nos ennemis, ou en l' exercice de la Religion ou de la justice. Voire sembloit estre si obligatoire qu' encore qu' il eust esté exigé par fraude ou force, on estimoit que nous n' en pouvions resilir. L' exemple de la fraude y est manifeste dans Herodote, quand il dit qu' Ariston Roy de Sparte s' estant enamouré de la femme d' Aget, promit de luy donner tout ce qu' il luy demanderoit: moyennant qu' Aget de son costé voulust juger qu' il feroit le semblable envers luy. Ce que l' autre luy promit: ne pensant point que cette promesse reciproque regardast en aucune façon les femmes, par ce qu' ils estoient tous deux mariez. Ayant doncques Aget demandé l' un des precieux joyaux d' Ariston, il l' obtint: mais à l' instant mesme, Ariston luy demanda sa femme pour espouser. A quoy Aget faisant instance, pour n' avoir estimé qu' en leurs pactions il y allast du fait des femmes, si fut-il condamné à y obeyr, pour s' y estre obligé par serment, ores qu' Ariston l' eust extorqué de luy par fraude. Non moins esmerveillable ce que l' on conte de Manlius, lequel ayant chassé de sa maison un sien fils, comme lourdaut & mal plaisant, le Tribun luy ayant faict donner jour devant le peuple de Rome, pour venir respondre sur cette cruauté paternelle. Le fils de ce adverty, ne voulant souffrir que son pere à son occasion reçeust quelque escorne, vint visiter de nuict le Tribun, qui le receut d' un favorable accueil, estimant qu' il luy voulust fournir des memoires pour sa cause. Mais l' enfant d' une charité filiale tira un poignard sur luy, disant qu' il l' occiroit presentement, si par serment il ne se vouloit obliger de soy desister de l' accusation qu' il brassoit encontre son pere. Chose que le Tribun pour eviter la mort, fut contraint de faire, & sur cette promesse ainsi extorquee de luy par force, ne passa plus outre à son entreprise. Parce qu' il y avoit interposé le serment. Admirable pieté, que ny la fraude, ny la force, n' excusa point de sa promesse celuy qui avoit juré. Nous voyous un semblable exemple dans Jean Sire de Joinville en la vie de sainct Louys, lequel ayant par colere juré qu' un Chevalier ne r' entreroit jamais dans sa maison, fut prié par le Connestable de luy pardonner. A quoy le Sire de Joinville respondit qu' il le vouloit bien, mais qu' auparavant il falloit qu' il eust dispense du Legat de Rome. Ce neantmoins le Legat dist qu' il ne le pouvoit dispenser, par ce qu' il avoit juré. Toutesfois ce serment n' estoit, si ainsi le faut dire, volontaire, mais par une colere. Que ce ne fust pecher, je n' en doute, mais qu' un tel peché ne peust recevoir quelque relasche à celuy qui la demandoit au Legat, & de la luy avoir refusee, cela nous monstre de quel respect & reverence leur estoit l' entretenir du Serment. Aussi le mot mesme nous l' enseigne, parce qu' en nostre Religion nous n' avons point plus grands & saints instruments pour sa manutention, que les Sacremens de l' Eglise. Or avons nous par un special privilege de nostre foy appellé entre les Chrestiens: Sacramentum, ce que les Payens appelloient Iusiurandum: & de ce mot de Sacrement nous avons fait par racourcissement celuy de serment. Mots que sainct Ambroise au troisiesme de ses Offices, chapitre douziesme, voulut marier ensemble, quand il disoit, Saepe plerique constringunt se iurisiurandi sacramento. Il ne faut donques point trouver estrange si entre les Ethniques, & depuis entre les Chrestiens, on remit quelquesfois la decision des causes du serment. Platon au dixiesme de ses loix disoit, que Rhadamante Roy de Lycie fut mis au rang des plus saints juges: Parce que prenant le serment des parties d' une part & d' autre, il donnoit prompte & seure fin aux causes. Qui me fait penser que les Payens ne faisoient si bon marché de leurs consciences, comme nous faisons aujourd'huy: ou bien que l' ordre que Rhadamante observoit en ses jugemens, estoit ridicule. Sainct Paul exhorte les Chrestiens de vuider leurs causes par leurs sermens.

Diodore Sicilien sur la fin de son premier livre nous dit qu' en la Sicile y avoit un Temple appellé Palice, auquel les plus grands & Religieux sermens se faisoient, & s' il y avoit quelqu' un si meschant & temeraire de s' y ozer parjurer, la punition s' en ensuivoit incontinant & qu' il y en avoit eu autresfois qui estoient sortis du pourpris du Temple aueugles pour s' y estre parjurez. Et à peu dire que la devotion & reverence que l' on portoit à ce lieu estoit si grande, que ceux qui avoient des procés, quand ils pensoient avoir affaire à plus forte partie qu' eux, vuidoient leurs procez, & decidoient leurs querelles, en deferant le serment à leurs parties adverses, & à la charge d' estre par elle fait en & au dedans de ce Temple, pour l' opinion qu' ils avoient que le parjure estoit tout aussi tost accompagné de sa peine: Que si le diable avoit telle puissance sur les personnes par la semence de ses superstitions, pour la forfaicture d' un serment, quelle crainte en doit avoir le Chrestien au milieu de la vraye & saincte Religion? Je trouve qu' avecques le Gage de Bataille, & l' atouchement du fer chaud, on voulut adjouster une troisiesme espece de procedures & preuves, qui se faisoit par le serment, esquelles celuy qui estoit accusé, jurant quelquesfois avecques siens parens, & desauoüant par serment le fait estoit declaré innocent. Du premier l' exemple est beau dans un ancien autheur escrivant la vie de l' Empereur Louys le Debonnaire, où Bernard grand Chambellan ayant esté soupçonné & accusé d' abus avecques l' Emperiere Judith, declara devant le Roy se vouloir purger par le gage de bataille, & à faute de trouver champion qui voulust entrer contre luy en champ clos, il s' en purgea par son serment. Bernardus imperator adiens, (porte le texte ) modum se purgandi ab eo quaerebat, more Francis solito, scilicet crimen obijcienti semet obiicere volens, armisque impacta diluere. Sed cum accusator, licet quaesitus deesset, cessantibus armis purgatio facta est iuramento. Ce fut en un Parlement où cette affaire fut traictee, pour l' importance du fait. Quant au serment, auquel on adjoustoit celuy des proches parens, cela se pratiquoit specialement en matiere de mariages. Car quand la femme estoit accusee d' adultere, on estimoit qu' il ne falloit point traicter cette cause avec plus de longueur que par le serment d' elle & de ses parens. Toutesfois cette regle n' estoit pas perpetuellement infaillible. Car en la vieille Cronique de sainct Denis, un seigneur accusant sa femme d' adultere, qu' il appelle Advoutrie. Elle requit (dit le texte) son pere, sa mere, & ses parens à aide & secours, & ceux qui saine & innocente la cuiderent de cette chose, jurerent à son Baron & à ses amis sur saincts, en l' oratoire sainct Denis, qu' elle n' avoit coulpe en ce dont on l' accusoit. Toutesfois la suitte du passage porte que les parens du mary n' y voulurent adjouster foy, & ne dit l' Historiographe quelle fut l' yssuë de cette accusation. Le vieux coustumier de Normandie au chapitre octante quatriesme disoit que cela se pratiquoit és matieres criminelles, legeres de faict ou de dit. Luitprand au sixiesme livre de son Histoire nous enseigne qu' un Pape Jean ayant conceu une mauvaise opinion contre l' Empereur, luy envoya des Ambassadeurs, avec charge expresse de luy dire qu' il estoit prest de se purger par le gage de bataille, ou par le serment, contre la fausse imputation qu' on luy mettoit sus. Qui omma (dit l' autheur) ordinatim prout eis iniunctum fuerat enarrantes non iuramento, non duello, Papa satisfactionem recipere voluit, sed in eadem, quam fuerat, duritia permansit. L' Empereur Charlemagne ne fit pas le semblable au Pape Leon, lequel accusé par le peuple Romain, voulut qu' il se purgeast devant tout le monde par serment, & qu' il fust son juge, & son tesmoin tout ensemble. Le semblable fit depuis l' Evesque d' Albe accusé, qu' estant Legat du sainct Siege, il avoit vendu les ordres de Prestrise. Ce que nous apprenons d' Yve de Chartres en son Epistre 260. Mais il ne faut jamais rapporter un petit modelle à un grand. Beaucoup de choses sont bien-seantes aux grands, qu' il ne faut pas permettre au commun peuple. Paraventure cette coustume fut cause, a fin d' oster la facilité de parjurer qu' au quatriesme livre des loix du Debonnaire, & de Lothaire son fils, article 95. il estoit dit, De eo qui periurium fecerit se sciente, nullam redemptionem habeat, nisi manum perdat & emendare studeat. Qui estoit à bien dire, tomber d' une fievre tierce en chaud mal. J' estime que cette loy ne fut jamais executee, non plus que celle des Romains qui vouloit que le debiteur banqueroutier fust mis en pieces, & ses membres distribuez à ses creanciers. Laquelle au rapport de toute l' ancienneté, jamais ne sortit effect. Or comme ainsi soit que cette deffence qui procedoit du serment, eust aussi bien lieu en la Germanie, qu' entre nous: aussi trouvé-je une loy, par laquelle il semble qu' Othon premier la voulut aucunement abroger. Antiquis est constitutum temporibus, ut si chartarum inscriptio, quae constabat ex praediis falsa ab adversario diceretur, sacrosanctis Evangeliis tactis verum esse ab ostensore chartae probaretur, sicque praedium sine deliberatione iudicum vendicabat. Qua ex re mos detestabilis in Italia improbusque non imitandus exolvit, ut sub legum specie, iureiurando acquireretur, qui Deum non timendo, minimè formidaret periurare. C' est pourquoy il veut & ordonne, que s' il n' y a preuve contraire litterale, ou par bons, & vallables tesmoins, la decision de cette cause soit terminee par le gage de bataille: Quoy que ce soit, cette coustume s' est fort aisément perduë entre nous, tout ainsi comme en Italie. Car il y avoit peu de seureté de remettre malgré nous nostre bon droict, sur la conscience de nostre partie adverse, & de ses proches parens.

Cette consideration m' admonneste de discourir en peu de paroles sur les sermens que nous faisons aujourd'huy en nos causes. Le Romain avoit deux sortes de sermens judiciaires. L' un decisif de la cause, quand de nostre consentement nous en rapportions au serment de nostre partie adverse: L' autre que l' on appelloit le serment en cause, ou de calomnie, quand dés l' entree de toute cause chaque partie juroit devant la face du Juge, qu' il n' entroit point en cette lice par calomnie, ains parce qu' il pensoit estre en tout & par tout bien fondé. Au Concil de Valence sous le Roy Lothaire, l' an 855. le serment en cause que l' on exigeoit des parties fut osté. Ce neantmoins ne laissant d' estre pris par les Juges, au Concil de Latran sous Alexandre III. il fut deffendu pour les Clercs, & personnes Ecclesiastiques. Le temps depuis le bannit de toutes causes entre toutes sortes de personnes, jusques à ce que l' Edict de Roussillon en l' an 1564. le voulut ramener en usage. En cas semblable anciennement en la France, nul n' estoit tenu de se condamner par sa bouche. Et mesmement aux monitions que l' on obtenoit, on y adjoustoit ordinairement cette clause, Dempta parte, & consilio. Le Chancelier Pouyet par l' ordonnance de l' an 1539. voulut que tout homme fust tenu en chaque partie de la cause de respondre par sa bouche apres serment par luy fait, sur les articles qui luy seroient proposez par sa partie adverse. Et de là est venu puis apres qu' en matiere de monition on n' excepte plus, ny la partie, ny son conseil. Car puis que nul ne se peut dispenser de subir l' interrogatoire, pourquoy doncques en vertu d' une monition de l' Eglise ne viendra l' on à revelation? Mais quelle est la loy meilleure, ou celle que nous observons aujourd'huy, ou l' ancienne? la nostre de prime-face a un beau regard. Car puis que nous ne tendons à autre but que de nous esclaircir de la verité que les parties envelopent par Sophistiqueries, pour attaindre à leurs fins, que pouvoit on trouver de meilleur que d' informer la conscience d' un juge par un venerable serment, ou bien, par la crainte d' une censure Ecclesiastique & L' un à l' autre ne promettans qu' une perdition eternelle de nos ames, voulans sauver nos biens passagers, si nous pensons obscurcir ce qui est de la lumiere de la verité. Consideration certes qui n' est pas de petit effect. Toutesfois si vous revenez à vostre second penser, peut-estre trouverez-vous que nos ancestres soustenans le party contraire, ne furent pas mois Religieux que nous. Que diriez-vous si je les en estimois plus? Car combien qu' ils s' estudiassent autant à la recherche de la verité comme nous, si est-ce que pour la consequence, ils ne voulurent ouvrir à toutes heures la porte, tant au serment, qu' aux censures, a fin de ne les faire venir au contemnement, & mespris du commun peuple: & comme disoit l' Empereur Justinian en l' une de ses constitutions, pour ne permettre que facilement on prevariquast contre la Majesté de Dieu: Enquoy certes leur opinion n' a esté grandement trompee: car je ne voy point que les juges soient plus esclaircis de la verité, & le peuple en est devenu plus meschant, mettant sous pieds la reverence, & du serment, & des censures Ecclesiastiques: voulant à quelque pris que ce soit ne se faire pauvre par sa bouche. Et est une chose fort notable, & digne d' estre trompettee à une posterité, que Messire Christofle de Thou, premier President en la Cour de Parlement de Paris, interrogeant un homme prevenu de crime, ne voulut jamais prendre de luy le serment, sçachant que pour sauver sa vie, il seroit malaisé qu' il ne se parjurast. Et à la mienne volonté que l' on pratiquast le semblable à l' endroit de tous les nouveaux Conseillers qui entrent en la mesme Cour, & que jamais on les fist jurer sçavoir s' ils ont acheté leurs Estats.

mardi 6 juin 2023

3. 11. Des remedes dont les Princes estrangers userent contre les censures Apostoliques,

Des remedes dont les Princes estrangers userent contre les censures Apostoliques, & interdictions de leurs Royaumes, ensemble de ceux que nous y avons apporté sous la troisiesme lignee de nos Roys. 

CHAPITRE XI.

Vous avez peu recueillir par le precedent chapitre de quelle façon les Empereurs, Roys, & Princes estrangers furent mal menez par les Papes, & le peu de moyen qu' ils eurent de s' en garentir: Chose à mon jugement qui provint, parce qu' ils leurs voulurent faire teste par la voye de fait seulement. Les aucuns prenans les armes en main pour les combatre: les autres estimans avoir beaucoup faict pour eux, quand ils avoient empesché que le Legat envoyé de Rome, ne peut entrer dans leurs pays, pour publier les fulminations: & les derniers en leur opposans des Antipates. Remedes nullement propres à ce mal. Par ce que ceux qui s' armoient, perdoient de plus en plus le cœur de leurs subjects, voyans leurs Princes non seulement excommuniez, mais encores affliger par armes ouvertes le S. Siege. Et quant aux seconds, ils se trompoient grandement: Car le son de la trompette de Rome pouvoit donner jusques à eux, & les derniers non seulement ne fermoient la playe, mais introduisoient un nouveau schisme en l' Eglise. Nous seuls entre toutes les autres nations, avons eu ce privilege special de n' estre exposez aux passions dereglees de ceux qui pour être pres des Papes vouloient abuser de leur authorité à nostre desadvantage. Car nous avons eu de tout temps & ancienneté, trois grandes propositions qui nous ont servy de bouclier: Propositions non point fondees sur la voye de fait, ains de droict, n' ayans opposé aux censures Apostoliques que le glaive spirituel. La premiere est que le Roy de France ne peut etre excommunié par l' authorité seule du Pape. La seconde, que le Pape n' a nulle jurisdiction ou puissance sur le temporel des Roys: La derniere, que le Concil general & universel est dessus le Pape. En tant que touche le premier poinct, je ne veux pas dire que noz Roys soient francs & exemps de censures Ecclesiastiques, & que par ce moyen ils se puissent donner toute bride: mais bien qu' ils ne peuvent être censurez par la seule main du Pape. Soubs la lignee du grand Clovis, nos Roys ne cognoissoient en rien les fulminations de la Cour de Rome, encores qu' en leur histoire il y ait eu 2. ou 3. particularitez qui meritoient bien d' être censurees. Et combien que sous la 2. lignee, les Papes eussent commencé de s' aprivoiser de la France, par la correspondance qui avoit esté entr' eux & le Roy Pepin, & que depuis sous la troisiesme, ils y eussent pris grand pied, si est-ce que jamais nous ne voulumes tolerer en France, qu' ils excommuniassent nos Roys de leur authorité absoluë. La police que l' on y tint, fut d' envoyer un Legat en France, & de faire assembler un Concil National, par lequel nos Roys estoient excommuniez, s' ils vouloient s' opiniastrer en leurs fautes. Ainsi fut-il pratiqué contre le Roy Lothaire, de la famille de Charlemagne, par le Pape Nicolas premier. Ainsi contre le Roy Philippes premier par Urbain second, au Concil de Clairmont. Proposition que je verifieray plus amplement au prochain Chapitre.

Au regard du temporel, nous en avons encores moins douté, toutesfois parce que les courtisans de Rome tiennent formellement le contraire, je vous veux icy representer un placard digne d' être enchassé dans ce livre. Sous le regne de Charles cinquiesme, dit le Sage, fut fait un livre en Latin, plain d' erudition & doctrine, appellé le Songe du Verger, dans lequel, l' autheur represente deux Roynes, la Puissance Spirituelle, & la Temporelle, qui soustenoient diversement leurs grandeurs devant le Roy, par deux Advocats, dont l' un portoit le nom de Clerc, pour la puissance Spirituelle, l' autre, celuy de Chevalier pour la Temporelle. Et parce que la memoire de cest œuvre est à demy ensevelie, il me plaist de la ressusciter. Le Clerc par plusieurs grandes authoritez soustient que le Pape a toute puissance sur les Roys, & Monarques, & non seulement sur leurs consciences, mais aussi sur leurs temporels & Royaumes. Chose qu' il prouve non point par authoritez sophistiques, telles qu' un tas de copistes ignorans de Cour de Rome, ont voulu faire passer pour Constitutions Decretales, quand ils disent qu' il y a deux grands luminaires, le grand & le petit, plus que In principio Deus creavit cœlum & terram, & que S. Jean n' avoit point dit In principiis, pour monstrer que le Ciel & la terre obeïssoient au seul Siege de Rome, & autres telles frivoles qui viennent plus au scandale, qu' augmentation de la dignité du sainct Siege. Mais bien d' une plus haute luite pour terrasser le Chevalier, il remonstre que nostre Seigneur Jesus-Christ estoit Seigneur de toutes choses spirituelles & temporelles, auquel estoit par l' organe du Roy David, Prophete de Dieu, dit. Demande-moy, & je te donneray gens & heritage, & seront tes possessions jusques à la fin de la terre: & ailleurs qu' il estoit Seigneur des Seigneurs, & Roy des Roys: & en un autre passage, qu' au Seigneur appartenoit la terre, & toutes ses appartenances. Leçon qui n' estoit point escrite de la main des hommes, ains envoyee de Dieu, & dictee par son sainct Esprit. De laquelle nous pouvions recueillir l' authorité du sainct Siege. Parce que nous ne revoquions point en doute que S. Pierre ne fust le grand Vicaire de nostre Seigneur Jesus-Christ. Consequemment que tous ces mesmes privileges avoient esté transmis en luy & ses successeurs. Qui ne sont pas petites remarques, pour monstrer que le Pape ne se donne point sous faux titre ceste authorité sur les Roys. Toutesfois le Chevalier y respond si pertinemment, que je m' asseure que celuy qui lira ces presens discours, sans être preoccupé de passion, luy donnera gain de cause. Parce, dit-il, qu' il faut considerer en nostre Seigneur deux temps, celuy d' humilité avant sa mort & Passion, celuy de gloire lors qu' apres sa Resurrection, il fut monté aux Cieux. Que tous les passages que l' on allegue de David se rapportent au temps de sa gloire, mais quant à son estat d' humilité, il ne se voulut jamais donner aucune prerogative sur les biens, & encores moins sur les Princes & Seigneurs terriens. Et c' est pourquoy estans semonds par quelques particuliers de vouloir être arbitre de leurs partages, il respondit qu' il n' estoit venu en ce bas être à cest effect, & refusa de s' en mesler. D' ailleurs il dit qu' il failloit rendre à Cæsar ce qui appartenoit à Cæsar, & à Dieu ce qui appartenoit à Dieu. Et estant mesme devant Pilate, il recogneut franchement que son Royaume n' estoit de ce bas monde. Concluant ce Chevalier que quand nostre Seigneur fit sainct Pierre son grand Vicaire, ç' avoit esté pour le representer en l' estat de l' humilité, non en celuy de sa majesté & gloire. Comme aussi luy donna-il fermement les clefs des Cieux, non de la terre, pour nous enseigner qu' il luy donnoit seulement la charge du spirituel. A quoy je puis adjouster non mal à propos, que quand sainct Pierre, poussé d' un zele extraordinaire, frapa Malchus de son glaive pour secourir nostre Seigneur, il en fut blasmé par luy, comme n' establissant pas son regne sur les armes materielles. Chose mesme qui fut trouvee de si mauvaise grace, que trois des Evangelistes ne l' oserent nommer recitant ceste histoire pour le respect qu' ils luy portoient, & ne sçeussions qui estoit l' Apostre, si sainct Jean ne se fust donné la liberté de le dire, par une authorité tres-grande qu' il avoit entre les autres trois Evangelistes. J' adjousteray qu' il ne faut point plus asseuré commentaire de ceste saincte leçon que le tiltre que la posterité de sainct Pierre voulut choisir, quand les Papes en leur premiere & ordinaire qualité s' intitulerent Serfs des Serfs, pour nous monstrer qu' ils espousoient le tiltre d' humilité, auquel nostre Seigneur avoit surrogé sainct Pierre. Toutes lesquelles considerations nous enseignent que c' est à juste raison que nostre Eglise Gallicane a de toute ancienneté soustenu que la puissance temporelle de nos Roys ne despendoit en riens de l' authorité du S. Siege. Reste doncques le dernier poinct par lequel nous croyons aussi que le Concil general & universel est par dessus le Pape. Jamais la Faculté de Theologie de Paris n' eut un plus grand Theologien, que Maistre Jean Gerson, duquel nous avons un discours, dont le tiltre est, De Auferibilitate Papae ab Ecclesia, par lequel il nous enseigne, non qu' il faille supprimer le Pape de l' Eglise Catholique, mais bien qu' il estoit en la puissance du Concil general assemblé, de le faire demettre selon les occurrences d' affaires: & de fait, ainsi fut-il jugé & ordonné par le grand Concil de Constance.

Voila en somme les trois propositions par lesquelles nous avons fait bouclier contre les assauts de la Cour de Rome, lors que sans subject elle s' est voulu armer contre nous. De maniere qu' en telles induës entreprises, nous appellasmes des censures Apostoliques au Concil futur general: auquel combien que le Pape deust presider, si est-ce que la pluralité des voix le pouvoit, & devoit emporter. C' estoit encor un brin de nos premiers privileges: parce que nous ressouvenans de nos anciens Concils, nous pensasmes, qu' il y falloit avoir recours comme à un ancre de dernier respit. Et seroit impossible de dire combien ceste ressouvenance profita depuis à l' Eglise Chrestienne, Tesmoin le Concil de Constance par moy presentement touché, tesmoin le Concil de Basle. Et se comportans nos Roys en ceste façon, non seulement ne leur prejudicia l' excommunication de l' Eglise Romaine (car l' appel en suspendoit l' effect) & encores moins furent estimez heretiques, mais au contraire demourerent en reputation de tres-fideles & Catholics, & fils aisnez du S. Siege Apostolic; & comme tels furent, entre tous les Princes Chrestiens, appellez Roys tres-Chrestiens: leur apportant cela un autre grand bien: car ny les Prelats, ny la Noblesse, ny le demourant du peuple, ne se desbanderent d' eux, quelque respect & reverence qu' ils portassent au S. Siege. Je veux dire quand les sujects ne couvoient aucune ambition particuliere en leurs ames au prejudice de la Couronne, & qu' il n' y alloit que de la querelle de Rome encontre nous. En cas semblable les Princes estrangers, qui à la suitte de telles censures & interdictions d' un Royaume, aiguisent aisément leurs cousteaux contre le Prince excommunié, toutesfois ne s' oserent jamais mettre de la partie contre nous. Voire nous succederent les choses si à propos, que combien que les Papes se formalisassent en toute extremité contre les Empereurs, pour les investitures des Evesques, si ne nous oserent-ils jamais heurter pour nostre Regale, qui ne s' eslongne pas grandement des investitures. Je le vous verifieray par un exemple singulier. Boniface VIII. voulant ioüer mesme personnage contre Philippes le Bel, que Gregoire VII. avoit fait contre l' Empereur Henry IV. luy envoya l' Archidiacre de Narbonne, porteur d' unes bulles dont la teneur estoit telle. Bonifacius Episcopus Servus servorum Dei, Philippo Francorum Regi, Deum time & mandata eius observa. Scire te volumus quod in temporalibus & spiritualibus, nobis subes. Praebendarum, ad te collatio nulla spectat: Et si aliquarum vacantium custodiam habeas, earum fructum successoribus reserves, & si quas contulisti, collationem haberi irritam decrevimus, & quatenus processerit revocamus. Aliud credentes fatuos reputamus. Datum Lateranensi, quarto Nonas Decembris, Pontificatus nostri anno sexto. Ces bulles ayans esté presentees, l' Archidiacre cita à Rome tous les Archevesques, Evesques, & Docteurs en Theologie, au premier jour de Novembre ensuivant, pour respondre sur ce que dessus: Le Roy commanda au porteur de vuider promptement du Royaume, & neantmoins fit une responce à Boniface plus brusque que n' estoient ses bulles. Philippus Dei gratia, Francorum Rex, Bonifacio se gerenti pro summo Pontifice, salutem modicam, sive nullam. Sciat tua fatuitas, in temporalibus nos alicui non subesse, aliquarum Ecclesiarum & præbendarum vacantium collationem, ad nos iure regio pertinere, & percipere fructus earum, & contra omnes possessores utiliter nos tueri. Secus autem credentes fatuos reputamus. C' estoit trop hardiment r' envié sur les pretensions du Pape. En quoy certes je souhaiterois qu' avecq' plus de sobrieté & modestie, il eust defendu ses droicts. Non pas en faveur de Boniface, que je ne mets au nombre des bons Papes, ains pour l' honneur de la dignité Pontificale. Cecy appresta matiere de nouvelle guerre entre l' Eglise de Rome, & nous. Parce que Boniface commença de proceder à belles censures contre le Roy, absolvant tous ces sujets du serment de fidelité, & par mesme moyen mit en interdiction le Royaume: duquel il fit present à Albert Empereur d' Allemagne, qu' il couronna Roy de France. C' estoit assez pour estonner de primeface un Roy: mais luy sage & avisé, assembla toute son Eglise Gallicane, & par son avis appella de ces censures, au futur Concil general. Quoy voyant l' Empereur, & que ceste interdiction n' avoit desarroyé les membres d' avecq' le chef, se contint dedans ses limites. Dont Boniface indigné, pour n' avoir peu attaindre au dessus de ses entreprises, mourut de despit. Qui occasionna le peuple de dire qu' il estoit mort de rage, & ses ennemis, qu' il mourut enragé: Tournans en parole d' effect ce qui estoit de Metaphore. Duquel exemple vous pouvez recueillir les trois propositions de nostre France, par moy cy dessus discouruës, que nous avons de tout temps & ancienneté tenuës pour fermes & stables, sans nous separer en nostre Eglise Gallicane, de l' obeïssance & honneur que nous devons au sainct Siege.

Il n' est pas qu' un Bachelier en Theologie, ayant au College de Harcourt entre autres articles de ses propositions mis cestuy. Qu' il estoit en la puissance du Pape d' excommunier un Roy, & donner son Royaume en proye, & d' affranchir ses sujects du serment de fidelité qu' ils avoient en luy, quand d' ailleurs il se trouvoit favoriser les Heretiques. Ceste proposition avoit esté mise en avant pour être disputee par le pour & par le contre, sans en faire une resolution affirmative: toutesfois le Parlement estant adverty de ce qui s' estoit passé, ne peut passer par connivence, que les Escoliers fussent si osez, que de mettre la grandeur du Roy en dispute, & de fait par Arrest du quatriesme Decembre 1561. ceste proposition fut declaree seditieuse: Et d' autant que ce Bachelier n' avoit peu être pris au corps, pour s' estre sauvé de vitesse, il fut ordonné que le Bedeau de la Sorbonne, habillé d' une chappe rouge, en presence de l' un des Presidents de la Cour, & de quatre Conseillers, & des principaux de la Faculté de Theologie, declareroit que temerairement & follement ceste proposition avoit esté soustenuë: & parce que ceste question avoit esté mise sur le tablier, & soustenuë au College de Harcour, defenses furent faite d' y disputer publiquement de la Theologie, l' espace de quatre ans ensuivant. Verité est que depuis cinquante ans en ça, se vint planter au milieu de nous une nouvelle Secte portant le nom de Jesuites, laquelle a ses propositions du tout contraires aux nostres, à la ruine de nostre Estat. Et parce qu' en l' an 1564, l' Université de Paris me fist cest honneur de me choisir pour son Advocat, & que je plaiday en plain Parlement sa cause encontr' eux, j' ay reservé pour la closture de ce troisiesme livre, le plaidoyé que j' en fis lors, le voulant faire passer pour chapitre.

Au demourant pour fermer ce que je pense appartenir au present suject, encores veux je adjouster cecy. Tout ainsi comme aux jeux & comedies qu' on represente sur un theatre, chacun y entre pour son argent, & se donne Loy de juger des bien ou malseances des Comediens, ainsi en advient-il aux Republiques. Les grands, en maniant les affaires d' Estat, joüent tels roolles qu' il leur plaist. Les petis en sont spectateurs à leurs despens, & pour n' être employez aux grandes charges, il leur reste seulement loisir de juger des coups. Permettez-moy doncq' je vous prie, de dire ce qu' il me semble de tout ce fait: Les vrayes armes dont les Papes veulent user contre les Princes souverains sont les censures, à la suitte desquelles ils couchent de l' interdiction des Royaumes, dont ils laissent l' execution à ceux qui ont les armes en main, pour s' en impatroniser, sous leur adveu & authorité. He vrayement if faut que la maladie soit merveilleusement aiguë en laquelle on employe ceste medecine. Or puis qu' il la faut employer, nul n' a tant d' interest qu' elle face ses operations que le Pape: autrement il diminuë d' autant de reputation envers tous les peuples: Et n' y a riens qui la face tant operer dans nos ames que le respect que nous luy portons. C' est pourquoy si j' estois capable de conseillier en si haut subject, je dirois qu' il y a trois circomstances qu' il faut soigneusement garder en ceste affaire. Premierement que voz censures ne soyent trop communes & triviales. Secondement que ne fermiez point trop rigoureusement la porte aux Princes qui vous reblandissent avecques humbles soubmissions. Et finalement que dedans vos censures il n' y ait point d' ambition cachee, en faveur de quelque autre Prince, dont vous esperez commodité, ou craignez incommodité. Le premier poinct cause le mespris. Le second fait oublier le chemin de Rome. Tellement qu' en interdisant un Royaume, vous mettez sans y penser une ville en interdiction, qui n' est riche que des deniers qui proviennent des autres Provinces. Miserable est la vengeance, quand en vous vengeant d' un ennemy, vous vous vengez de vous mesmes. J' adjousteray, que ce pendant pour ne laisser fluctuer en incertitude les dignitez Ecclesiastiques d' un pays, & a fin qu' elles ne demeurent veufves & denuees de Pasteurs, la necessité fait trouver des voyes extraordinaires pour y pourveoir, lesquelles par un long usage se peuvent tourner en ordinaires, n' y ayant plus violent & certain tyran sur nos actions que l' accoustumance. Et ne considerez pas que fermant la voye de Rome, faites ouverture à une chose que tous les Politics souhaitent. Qui est de ne transporter point l' or & l' argent hors de leur Royaume, sous pretexte des provisions beneficiales. Le plus grand secret qu' il y a en cest affaire, est, que tout ainsi que Dieu, qui ne desire riens tant que d' être appellé le Pere commun de nous tous, & comme tel ouvre ses bras à ceux qui le reclament dignement, aussi le Pape estant son Vicaire, & portant pareil tiltre de Pere, doit pratiquer la parabole de l' enfant prodigue à l' endroit du Prince qui retourne par devers luy: & penser que les ceremonies que les Courtisans y desirent, font oublier la devotion. Bref, que comme l' enfant doit obeïssance à son Pere, aussi le Pere est obligé de n' irriter point son enfant. Car pour le regard du dernier poinct, qui concerne les factions secrettes que l' on couvre du masque de censures, je ne veux, ny ne puis croire qu' elles se logent dedans Rome. Parce que si elles s' y logeoient, ce seroit l' accomplissement de malheur, qu' un Prince fournist à son ambition detestable, sous le nom & aux despens de la Religion Catholique Apostolique de Rome. Cela pouvoit autresfois passer sans scandale, lors que les consciences estoient plus retenuës en l' obeïssance des Papes, mais maintenant c' est tout autre discours. Le siege de Rome est comme une grande bute contre laquelle plusieurs peuples descochent aujourd'huy leurs fleches. L' heresie de Martin Luther, & de Jean Calvin bastie sur quelques abus, les y convie comme à un festin: Et Dieu sçait si ceux-là avoient le moindre sentiment de ceste scandaleuse negotiation, *esguiseroient, & leurs esprits, & leurs plumes, pour declamer contre ces *censures. Je ne pense point certes qu' il y ait armes qu' il faille tant craindre dans Rome que la plume. C' est où je finiray ce chapitre. Et Dieu vueille que ces miens discours soient digerez par ceux qui tiennent le gouvernail du S. Siege, de mesme devotion, comme je les ay escrits. 

mardi 1 août 2023

8. 5. De ces mots de Dom, Dam, Vidame, Dame, Damoiselle, Damoiseau, Sire, Seigneur, Sieur.

De ces mots de Dom, Dam, Vidame, Dame, Damoiselle, Damoiseau, Sire, Seigneur, Sieur.

CHAPITRE V.

Puis que nostre langue est bastie sur les ruines de la Latine, je ne puis en discourant l' ancienneté d' icelle, que je ne Latinise aussi. Les anciens Romains du temps de leur liberté ne recognoissoient ce tiltre de parade, & flatterie qu' ils observerent depuis sous ce mot de Dominus, qui estce que nous appellons Sire, ou Seigneur: Mais parlans ou escrivans les uns aux autres, se salüoient & gouvernoient sous leurs propres noms. Ce qui estoit encore en essence apres que Jules Cesar eut reduit sous son authorité toute la grandeur de la Republique, ainsi que l' on peut recueillir des plaidoyez, que Ciceron fit devant luy, tant pour Marcellus, que pour Ligarius. La tyrannie s' estant depuis sa mort asseuree à meilleures enseignes dedans Rome, la flaterie des inferieurs qui vouloient s' accroistre par les bien-faits des Empereurs, s' y vint pareillement loger. De là est qu' un Comedien en plein Theatre appella Auguste son Seigneur, (cela se dit en Latin Dominus) & les spectateurs ayans jetté l' œil sur luy, le lendemain, par Edit il prohiba que l' on n' eust à le reblandir sous ce tiltre. Et Tibere son successeur se courrouça fort aigrement contre un homme qui l' avoit ainsi appellé, disant que ce luy estoit faire injure. Le premier Empereur des Romains, qui commanda par expres que l' on l' appellast Dominus, fut Calligula, si nous croyons à Sextus Aurelius Victor, ou bien Domitian, selon le rapport de Suetone, auquel à mon jugement il faut plus adjouster de foy qu' à l' autre. Le Poëte Martial du tout voüé à flatter la tyrannie, parlant de cet Empereur, l' appella Dominum, Deumque nostrum: Et se tourna cela depuis tellement en usage, que Pline second l' un des premiers Senateurs & Orateurs de son temps, escrivant à l' Empereur Trajan, qui fut surnommé le Bon, ne parle jamais à luy en tout le dixiesme de ses Epistres, que sous ce titre de Domine. Lampride celebre l' Empereur Alexandre Severe, de ce qu' il ne voulut estre qualifié de ce tiltre superbe. Or comme des grands on vient aux moyens, puis aux petits, cela mesme se pratiqua non seulement envers les Empereurs, mais aussi envers les Princes & Gentils-hommes, & à peu dire, à l' endroit du commun peuple, selon que les occasions se presentoient: Parce que quand Auguste defendit au peuple de ne le qualifier de ce glorieux nom de Dominus, il fit la mesme deffense à ses enfans, & encore ne voulut que parlans les uns aux autres ils n' en usassent: comme nous apprenons de Suetone: Et Seneque au I. livre de ses Epistres, en la 3. dit que de son temps quand on salüoit un homme, duquel on ne sçavoit le nom, on l' appelloit ordinairement Monsieur: Quomodo (dit-il) obvios si nomen non succurrit, dominos salutamus. Martial se joüant sur cette mesme rencontre, en un distique, se mocque de Cinna:

Quum voco te Dominum, volo tibi Cinna placere: 

Saepe etiam servum sic resaluto meum. 

Et en un autre endroit se mocquant des enfans, qui appelloient leurs peres Dominos:

Tum servum scis te genitum, blandéque fateris,

Quum dicis Dominum Sosibiane patrem.

Paulin escrivant à Ausone:

An tibi me Domine illustris si scribere sit mens.

Toutes façons de faire qui ont esté depuis transplantees chez nous sous les mots de Sire, & Seigneur, & Sieur, & encores avecques le progrez du temps sur cette maniere de parler qui fut tiree du mot de Dominus, on y en enta une autre, qui fut de ne parler aux Princes, ou grands Seigneurs par ces dictions de Tu, ou Vos, mais on y adjoustoit je ne sçay quelles qualitez puisees du vray fonds de la flaterie. Ainsi le trouverez vous és Epistres de Symmaque, esquelles escrivant à l' Empereur Theodose, ou Valentinian, il dit, Vestra aeternitas, vestrum numen, vestra perennitas, vestra clementia, vestrum aeternitatis numen. Qui est une forme d' idolatrie. Il n' est pas que les grands personnages n' en ayent aucunement usé. Ainsi le trouverez vous dans S. Gregoire, lequel escrivant à un Patriarche ou Archevesque dit, Vestra sanctitas, Vestra beatitudo, aux autres Evesques communément, Vestra fraternitas, aux Patrices de Gaule ou Italie, Vestra excellentia, Qualité dont on use encore envers les Ducs non souverains, tout ainsi que du mot d' Altesse emprunté de l' Espagnol envers les Ducs souverains.

Voila ce qui appartient à l' ancienneté de Rome, mais pour revenir à nostre Dominus, lors que la Barbarie commença de se loger dedans la langue Latine, nous fismes d' un Dominus, un Domnus: & en l' usage de ces deux mots, au regard de Dominus, ce fut une reigle generale entre les Chrestiens de l' approprier à nostre Seigneur en toutes les prieres & oraisons que nous faisions en l' Eglise: mais quant aux Seigneurs temporels, voire spirituels, nous les appellions ordinairement Domini, & quelques-fois Domni. Ainsi le voyez vous dedans nos Litanies. Ut Domnum Apostolicum & omnes Ecclesiasticos ordines in sancta religione conservare digneris. Qui est à dire, qu' il plaise à Dieu conserver en sa saincte Religion nostre S. Pere le Pape, & tous les autres Ordres Ecclesiastics. Ce Domnus masculin ne fut point enté en son entier sur les vulgaires, mais bien en fut fait un feminin, Donna, familier aux Italiens, Provençaux, Tholosans, Gascons, & nous en nostre langue Françoise fismes un mot de Dame. Car il est certain que le mot de Donna vient de Domina. Et au lieu de faire de Domnus un mot entier, nous le divisasmes en deux, & en fismes un Dom. De là vint qu' en nos anciens Romans, nous appellasmes Dom Chevalier, ce que nous dirions aujourd'huy, Sire Chevalier, ou Seigneur, & qu' en certains Monasteres (comme aux Chartreux) nous appellons Dams les Religieux qui sont constituez en dignitez par dessus les autres, mot qui symbolise avec celuy de Dom: car l' un & l' autre viennent du mot Domini. Chose en quoy toutes-fois semble y avoir plus d' obscurité pour le mot de Dam ou de Dame, ce neantmoins il n' en faut faire aucune doute. J' ay autres-fois trouvé en la Librairie du grand Roy François, qui estoit à Fontainebleau, une vieille traduction de la Bible, & nouveau Testament, où le Translateur parlant à Dieu, l' appelloit Dame-Diex, tout ainsi que l' Italien Domine Dio: Cela se peut encore mieux averer en ce mot de Vidame, qui de sa premiere institution estoit le Juge temporel des Eveschez & Colleges Ecclesiastics, que nos ancestres appellerent en Latin, Vicedominus. Sainct Gregoire en la 66. Epistre du neufiesme de ses Epistres se plaignant de Paschase Evesque, de ce qu' il n' avoit point de soin de faire rendre la justice à ses sujets, Volumus (dit-il) ut memoratus frater noster Paschasius, & Vicedominum sibi ordinet, & Maiorem domus, quatenus poßit vel hospitibus venientibus, vel caußis quae eveniunt, idoneus & paratus existere. C' estoit avoir un Vidame pour juger les causes, & un Maistre de l' Hostel Dieu pour recevoir les Pellerins. Du Vidame en cette signification vous trouverez estre faite mention expresse au 2. livre des loix de Louys le Debonnaire chapitre 28. & au Concil tenu à Maience en l' an 813. article 50. Omnibus Episcopis, Abbatibus, cunctoque Clero, omnino praecipimus, Vicedominos, Praepositos, Advocatos sive defensores bonos habere. Et Flodoart au 2. livre de son Histoire dit que Charlemagne delegua Walfarius Archevesque de Reims par toute la France, pour s' informer du devoir que les Evesques, Abbez & Abbesses rendoient à leurs charges, & qualem concordiam & amicitiam adinvicem agerent, & ut bonos & idoneos Vicedominos & Advocatos haberent, & undecumque fuisset, iustitias perficerent. Depuis tout ainsi que nos Rois firent de leurs Comtes Juges, des Vassaux, aussi firent le semblable, les Ecclesiastics de leurs Vidames: & de là est que nous voyons les Vidames de Chartres, d' Amiens, & Reims estre tres-riches & amples Seigneuries, que l' on releve des Evesques. Par ainsi il ne faut point douter que le mot de Dame anciennement en France estoit comme le Dominus Latin approprié aux hommes: Vray que le temps a voulu qu' il soit en fin abouty aux femmes seulement, tout ainsi que celuy de Donna aux Italiens. Et n' en sçavrois rendre autre raison, sinon que les femmes commandent naturellement aux hommes, nonobstant quelque superiorité que par nos loix nous nous soyons donnez sur elles.

Tout ainsi que de Dominus & Domina, on fit un Domnus & Domna, aussi fit on de ces deux-cy deux diminutifs Domnulus & Domnula. Salvian en une Epistre qu' il escrit sous le nom de Palladia à Hipatius & Quieta ses pere & mere. Aduoluor vestris (ô parentes charissimi) pedibus, illa ego vestra Palladia, vestra Gracula, vestra Domnula, cum qua his tot vocabulis quondam, indulgentißima pietate lusistis. Tout de cette mesme façon fismes nous en France, du mot de Dame deux diminutifs, l' un de Damoisel pour les hommes, & Damoiselle pour les femmes. Quant au Damoisel masculin, nous en usasmes quelques-fois pour Seigneur. Ainsi j' ay-je trouvé passant par Eclimont en la Bibliotheque de Messire Philippes Huraut Comte de Cheverny, & Chancelier de France, dans les Croniques de France de Philippes Mosque vieux Poëte François, où il dit que S. Louys estoit Damoisel de Flandres, voulant dire qu' il en estoit Seigneur souverain. Parole qui est encore en usage pour Messieurs de la Rochepot, que l' on appelle Damoiseaux de Commercy. Bien sçay-je que l' on en use encore d' un autre sens pour ceux qui sçavent courtiser de bonne grace les Dames, ou leur complaire. Ainsi fut appellé Amadis de Gaule en sa jeunesse, Damoisel de la mer, parce qu' ayant esté recous au berceau de la fureur de la mer, depuis croissant en aage, beauté & valeur, il estoit grandement agreable aux Dames. 

J' ay voulu toucher l' origine du mot de Dame, & de ce qui en depend, devant celuy de Sire, pour autant que mon opinion est que Dame vient de Dominus, sur lequel j' ay employé tout le commencement de ce chapitre. Car quant au mot de Sire que nos ancestres rapporterent aux Roys, quelques uns estiment qu' il prend sa source du Grec, & les autres de Herus Latin qui signifie Maistre. De cette opinion semble avoir esté Guillaume Budé, quand s' introduissant parler avec le grand Roy François sur le fait de la chasse, en sa Philologie, il l' appelle tousjours Here, comme s' il l' eust voulu appeller Sire en nostre langue. De ma part je ne fais aucune doute que nous ne l' ayons emprunté du Grec, non pas de la poussiere des escoles Gregeoises, ains des ceremonies de nostre Eglise, & voicy comment. Encores qu' és Pseaumes de David, S. Hierosme eust traduit ce S. mot de Jehova sous celuy de Dominus, qui n' estoit pas de petite estoffe aux Romains, comme j' ay deduit cy-dessus, si est-ce qu' és plus solemnelles prieres de nostre Eglise, mesmes au sacrifice de la Messe, nous loüons Dieu sous cette grande parole de Kyrie, qui signifie en Grec un Seigneur, mais Seigneur plein de certitude & justice: & c' est pourquoy par une noble Metaphore, on appelle en Grec les principes & propositions belles & indubitables *grec, ce que l' on dit autrement en Latin, Certas & receptas sententias: Et de fait nos anciens François parlans de Dieu, usoient ordinairement de ce mot de Sire, comme vous verrez au commencement de l' histoire de Villardoüin, où parlant des miracles que Dieu exerçoit par Foulques Curé de Nuilly sur Marne, dit ainsi, Nostre Sire fit mains miracles par luy, & Hugue de Bercy en sa Bible Guyot:

A hy beau Sire Diex comment

Seme preud'hom mauvaise graine.

Et dans le Roman de la Roze, Nature discourant avec Genius Archi-prestre de la puissance que Dieu luy avoit donnee.

Cestuy grand Sire tant me prise, 

Qu' il m' a pour sa Chambriere prise.

Marot dans sa traduction des 50. Pseaumes use tantost du mot de Sire, tantost de Seigneur; comme aussi faisons nous en nos oraisons.

Quant à moy je veux croire que le peuple estimant qu' un Roy estoit entre les hommes la plus expresse image de Dieu, & s' il faut qu' ainsi je le dise, un second Dieu en terre qui devoit estre, & pere, & Seigneur de ses sujets tout ensemble, le voulut aussi appeller Sire, & depuis comme les choses tombent en abus, les Princes, grands Seigneurs, & Chevaliers, qui approchoient de plus pres de ce grand Soleil, se firent aussi appeller Sires. Es Amours du Comte Thibaut de Champagne, du temps de S. Louys, il y a une chanson, où il introduit un Comte Philippes, qui luy fait plusieurs demandes:

Bons Rois Thiebaut Sire conseillez moy:

En ce vers il l' appelle Sire comme estant Roy de Navarre, & en deux couplets precedens il luy baille ce mesme tiltre comme simple Comte de Champagne, & de Brie.

Par Diex Sire de Champagne, & de Brie,

Je me suis moult d' un rien esmerveillé.

La forme que nous observons en cecy soit en parlant, soit en escrivant au Roy, est de mettre seulement le mot de Sire. Nos ancestres n' en userent pas tousjours ainsi par une reigle stable & infaillible. Le Roy Philippes de Valois ayant par lettres de Cachet commandé à Messieurs des Comptes de rechercher tous les dons qui avoient esté faicts à Louys Seigneur de Bourbon, ils luy rescrivirent par leurs premieres lettres en cette façon, Tres-cher, & tres-redouté Seigneur, vous nous avez mandé, &c. Et depuis ayans faict la recherche de ce que le Roy vouloit, ils firent une autre recharge de telle teneur. Tres-puissant, & redouté Seigneur, comme vous ayez mandé à nous les gens de vos Comptes. Qui monstre que parlans au Roy ils l' appelloyent tantost Sire, tantost Seigneur, je voy quelques anciennes familles en France, qui affecterent que le mot de Sire, tombast particulierement sur elles, comme le Sire de Pont, & le Sire de Montmorency, & specialement le Seigneur de Coussi, quand il estoit en essence: car il portoit en sa devise:

Je ne suis Roy, ny Prince aussi, 

Je suis le Sire de Coussy.

Mais voyez comme Dieu se moque de nos grandeurs: Ce Roy qui pour son excellence, & prerogative de dignité est par ses sujets appellé Sire, n' a peu empescher que ce mesme tiltre n' ait esté baillé aux simples marchands. Et de là est venu ce gaillard Epigramme de Clement Marot, où il appelle deux Marchands ses creanciers, Sire Michel, Sire Bonaventure.

Or tout ainsi que le mot de Sire approprié à Dieu par nos ancestres a esté communiqué à nos Rois, aussi avons nous employé en leur faveur le mot de Majesté, qui appartient proprement à nostre Dieu, & neantmoins il ne fut jamais que l' on ne parlast de la Majesté d' un Roy en un Royaume, tout ainsi que de celle d' un peuple en un Estat populaire. Verité est que nos peres en usoient avec une plus grande sobrieté que nous. Lisez les huict premiers livres d' Amadis de Gaule, où le Seigneur des Essars voulut representer sous un Perion de Gaule, & sa posterité, ce qui estoit de la vraye courtizanie, lisez le Palmerin d' Olive, vous ne trouverez point que ceux qui gouvernent les Rois usent de cette façon de parler, Vostre Majesté, &c. façon de parler toutesfois qui s' est tournee en tel usage au milieu de nos Courtisans, que non seulement parlans au Roy, mais aussi parlans de luy, ils ne couchent que de cette maniere de dire, Sa Majesté, a fait cecy, Sa Majesté a fait cela, ayans quitté le masculin. Usage qui commença de prendre son cours entre nous sous le regne de Henry second, au retour du traité de Paix que nous fismes avec l' Espagnol en l' an 1559. en l' Abbaye d' Orcan.

Un jour le feu sieur de Pibrac & moy tombans sur ce propos, & trouvans

cette nouvelle forme de parler, faire tort à nostre ancien usage, je luy envoyai ce sonnet.

Ne t' estonne Pibrac, si maintenant tu vois

Nostre France qui fut autresfois couronnée

De mille verds Lauriers, ores abandonnée

Ne servir que de fable aux peuples & aux Roys.

Le malheur de ce siecle a eschangé nos lois:

Cette masle vertu, qui jadis estoit née

Dés le bers avec nous, s' est toute effeminée,

Ne nous restant pour tout que le nom du François.

Nos peres honoroient le nom du Roy sur tous,

Ce grand nom, mais depuis la sottie de nous,

Ainçois du Courtisan l' a fait tourner en roüille, 

On ne parle en la Cour que de sa Majesté,

Elle va, elle vient, elle est, ell' a esté,

N' est-ce faire tomber la Couronne en quenoüille?

Belle chose & bien-seante à un subject parlant à son Roy de l' honorer de ce Sainct nom de Majesté, mais en son absence de rapporter toutes ses actions à ce mot, & tourner le masculin en un feminin, nos ancestres n' en userent de cette façon, & m' asseure qu' ils ne respectoient avec moindre devotion, leus Roys, que nous. Et neantmoins je vous diray cecy en passant, car ailleurs ne trouveray-je lieu plus à propos pour le dire. Dedans le registre des lettres de Sainct Gregoire j' en trouve neuf diversement par luy envoyees ores à la Royne Brunehault, ores à Childeric son fils, Roy d' Austrasie, & de Bourgongne, ores aux Roys Theodebert, & Theodoric enfans de luy, par toutes lesquelles il ne parle à eux que soubs ce mot d' Excellence: vostre excellence a fait ouyr, fera cela. Or voyez comme les choses se sont changees avec le temps: car cette parole s' employe par quelques uns en faveur des Ducs qui ne sont Souverains, Altesse pour les Ducs souverains & finalement la Majesté pour les Rois. Reste maintenant à parler du mot de Seigneur: car quant à celuy de Sieur il est abregé de l' autre. Jamais ne fut qu' en une Republique bien ordonnee, on n' ait appellé les personnes anciennes aux premieres dignitez de la Republique. De cela il y a tant d' exemples, que ce ne seroit que remplissage de papier de les reciter. Il est certain que le mot de Seigneur vient de Senior, qu' on appella en nostre vieux François Seignor, & depuis Seigneur. En toute l' histoire de Gregoire de Tours vous verrez estre faite mention de ces Seigneurs, qu' il appelle tantost Seniores, tantost Maiores natu. Chose qui se voit nommément au 7. livre, chap. 32. & dans Aimoin, livre 4. chap. 28. & 32. en l' un desquels ceux qu' il nomme Primores Vasconiae, il les appelle en l' autre Seniores. Or sous cette premiere lignee de nos Roys, il ne faut point faire de doute, que le mot de Seigneur ne signifioit celuy qui estoit maistre ou proprietaire d' un lieu, ains seulement celuy qui estoit appellé aux premiers degrez & dignitez du Royaume: mais sous la seconde nous l' estendismes aux proprietaires de terres & maisons, & commença l' on aussi dés lors à l' employer en matiere des Nobles, comme quand nous disons un Seigneur qui a soubs soy quelques vassaux ou subjects. Au 3. livre des Loix de Charlemagne & Louys le Debonnaire art. 24. Ut nullus comparet Caballum, bovem & iumenta, vel alia, nisi illum hominem cognoscat, qui eum vendit, aut de quo pago est, aut ubi manet, aut qui ei est Senior: C' est a dire celuy qui estoit son Seigneur. Et au 4. livre art. 24. Quicumque liber homo inventus fuerit anno praesente, cum Seniore suo in hoste non fuisse, plenum Heribannum persolvere cogatur, & si Senior, aut Comes eum domi dimiserit, ipse pro eo eundem Heribannum persolvat, & Heribanni ab eo tot petantur, quot homines dimisit. De là est venu que l' on adapte specialement le mot de Seigneur aux terres nobles, que nous appellons feodales & seigneuriales, encores que je sçache bien que nous en usons pour les autres heritages de quelque qualité qu' ils soient, quand ils nous appartiennent en proprieté. Tellement que le mot de Seigneur va tantost à l' honneur, tantost au profit. Au demeurant, la difference dont nous usons entre Monseigneur, & Monsieur, nous employons le premier à personnages qui tiennent grand rang, & auctorité dessus nous, & le second, à gens d' honneste qualité, mais que nous ne pensons point tenir plus de rang que nous. Ce qui ne fut pas observé tousjours par nos anciens. Car dedans les Memoriaux de la Chambre des Comptes de Paris, je trouve une lettre du vingtseptiesme Novembre 1339. de Jean de sainct Just Maistre des Comptes, qu' il escrivoit au Chancelier sur quelque obscurité qui concernoit la dignité de la Chambre, dont le commencement est tel: Monsieur le Chancelier, comme vous ayez commandé à moy Jean de sainct Just. Et en une des lettres de la chambre du Roy Philippes de Valois parlant du Roy decedé, on l' appelle Monsieur le Roy. Si nous avions maintenant à parler en trosiesme personne des Princes, nous nous donnerions bien garde d' user de ce mot de Monsieur, & encores moins, parlans du Roy, lequel n' est jamais appellé Monsieur, que par ses freres & sœurs, ou en ligne collaterale par celuy qui est le plus proche de la Couronne au dessous de luy. Encores mettons nous en usage ce mot de Monsieur pour les Princes d' une façon particuliere. Car jamais nous n' appellons un Prince Monsieur, cela est pour le commun des gens de marque: Mais si nous les appellons par leurs propres noms, nous en usons en cette façon, François Monsieur Duc d' Alençon, Henry Monsieur, Prince de Condé. De dire dont cela a pris sa source, un autre que moy le trouvera. Cela n' estoit pas en usage sous le regne de Philippes de Valois: Parce qu' en la seconde lettre que la Chambre luy escrivit, dont j' ay cy dessus fait mention, parlant du Duc de Bourbon, Messieurs des Comptes l' appellent Monsieur Louys de Bourbon. Les Italiens font beaucoup meilleur marché que nous de ce mot de Seigneurie: Car tout ainsi que l' Espagnol met en usage vostre Merce presque en toute occurrence de propos, aussi faict le semblable l' Italien le mot de vostre Seigneurie. Arioste en une sienne Satyre attribue cela aux Espagnols, depuis qu' ils s' estoient habituez en Italie:

Dapoi che l' adulatione Spagnuola,

A posto la Seignoria in burdello.

Bien vous puis-je dire qu' en tout le Decameron de Boccace, où l' on recueille les vrayes fleurs de la Langue Italienne, vous n' y trouverez que deux fois cette façon de parler, dont ils sont aujourd'huy si prodigues. D' une chose me puis-je plaindre, aussi bien que Martial faisoit à Sosibian, qu' il n' y a presque Gentilhomme de la France, qui ne pensast avoir faict tort à sa noblesse, s' il n' estoit appellé par ses enfans, Monsieur, au lieu de ce doux nom de Pere.