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jeudi 8 juin 2023

3. 12. Que nos Rois sont francs, & exempts des censures de la Cour de Rome.

Que nos Rois sont francs, & exempts des censures de la Cour de Rome

CHAPITRE XII. 

La dignité de nos Roys est si grande, que je ne me puis estancher en ce que j' ay cy dessus discouru, ains veux y adjouster le present commentaire, pour monstrer qu' ils sont de toute ancienneté affranchis des excommunications de la Cour de Rome. Proposition qui semblera de prime-face tres-hardie, je ne diray point à ceux qui pour s' avantager en credit dedans Rome, veulent introduire une nouvelle Papauté en la France, mais aussi aux ames plus calmes, qui sans partialitez recognoissent nostre S. Pere le Pape, chef de nostre Eglise Catholique & Universelle. Comment me diront-ils? Tu accordes toute primace & superiorité au S. Siege, en ce qui concerne le Spirituel: Mesmes vos Roys de France, de tout temps immemorial se disent être les enfans aisnez de l' Eglise Catholique, Apostolique Romaine: Et neantmoins tu ne les veux exposer sous les verges de ce grand Siege, qui sont, premierement, les excommunications & censures, quand ils se desvoient de bon chemin

Et en apres l' interdiction de leur Royaume, en consequence du peché d' un Roy. A ceux-cy je respondray de ceste façon, & les supplie vouloir prendre ma response de bonne part. Mes amis, nous recognoissons en France le Pape, pour chef de nostre Eglise Universelle, mais pour cela il n' est point hors de propos, que nos Roys soient francs & exemps de sa censure. Ainsi que nous voyons tous les Monasteres anciens être naturellement sujets à la jurisdiction de leurs Diocesains: & neantmoins qu' il y en a plusieurs, qui par privileges speciaux en sont exempts. Nos anciens Rois furent les premiers protecteurs de l' Eglise Romaine, tant contre la tyrannie des Empereurs de Constantinople, que contre les courses des Lombards, qui estoient journellement aux portes de Rome. Un Roy Pepin gagna tout l' Exarquat de Ravenne, dont il fit present aux Papes: Deliura leur ville du long siege qu' Astolphe Roy des Lombards y avoit mis: Et Charlemagne son fils chassa de la Lombardie, leur Roy Didier, & toute sa race, se faisant Roy de la ville de Rome, & de toute l' Italie, où il fut depuis couronné Empereur de l' Occident, par le Pape Leon, lequel il remit tout d' une main en sa liberté contre l' insolence du peuple Romain, qui le gourmandoit. Et deslors fut arresté que les Papes esleuz ne pourroient entrer en l' exercice de leurs charges, qu' ils ne fussent avant tout œuvre confirmez, par luy & ses successeurs. Je m' asseure aussi que deslors luy & sa posterité furent affranchis des excommunications du S. Siege. Et encores que nous n' en voyons la constitution expresse, si est-ce qu' on la peut tirer de l' Ordonnance de ce mesme Empereur representee par Yve Evesque de Chartres, en ses Epistres 123. & 195. Si quos culpatores Regia potestas, aut in gratiam benignitatis receperit, aut mensa suae participes fecerit, hos & sacerdotum, & populorum conventus suscipere Ecclesiastica communione debebit: Ut quod principalis pietas recepit, nec à Sacerdotibus Dei extraneum habeatur. Si le Roy, dit-il, reçoit quelqu' un en sa grace & faveur, ou admet à la table quelques pecheurs, il faut aussi qu' ils soient receus par les Prestres, & tout le peuple en la communion des fideles: A fin que ceux que la pieté du Prince embrasse, ne soient rejettez de l' Eglise, comme Ethniques. Que si la table ou faveur de nos Roys rendoit l' excommunié franc des censures Ecclesiastiques, il faut bien dire que nos Roys estoient hors de toutes excommunications. Ils avoient droit de confirmer les Papes apres leurs eslections. Droit, di-je, que les Papes disent leur avoir esté par eux remis: Aussi ne nous doit-on non plus envier, que de tout temps immemorial on ait quitté dedans Rome à nos Rois, toutes excommunications que l' on voudroit faire contre leurs Majestez. Tant y a que le Pape Gregoire IV. voulant y contrevenir, pour gratifier aux enfans du Roy Louys le Debonnaire, qui estoient en mauvais mesnage avecq' luy, tous les bons Evesques & Prelats de la France, luy manderent avant qu' il y fust entré, que s' il venoit pour excommunier leur Roy, il pouvoit hardiment reprendre le chemin de Rome. Parce que luymesme s' en retourneroit excommunié: parole brusque (je le confesse) mais qui fut de tel effect que Gregoire pour couvrir son jeu, dit qu' il estoit seulement venu a fin de pacifier toutes choses: & de fait moyenna la paix pour quelque temps, entre le pere, & les enfans. Plus hardie fut la responce de nostre Noblesse Françoise au Pape Adrian, quand sur une querelle juste il voulut excommunier le Roy Charles le Chauve. 

Lothaire Roy d' Austrasie estant decedé, delaisse Louys son frere Empereur & Roy d' Italie son heritier, le Roy Charles le Chauve leur oncle s' empara du Royaume d' Austrasie par un droit de bien-seance. Louys eut recours au Pape, qui prit la cause pour luy: & admonesta le Chauve de faire droit à son nepueu, à peine d' excommuniement. Toutesfois Charles le Chauve n' y obeït, au moyen dequoy le Pape voulut interposer ses censures avecques aigres comminations: mesmes sçachant la grande authorité qui residoit en Hincmare Archevesque de Rheims, luy enjoignit de ne l' admettre à sa communion, sur peine d' être privé de la sienne. Jamais ordonnance de Pape ne fust plus juste & saincte que ceste-cy. Car quel pretexte y avoit-il qu' un oncle frustrast son nepueu de la succession de son frere? Toutesfois jamais ordonnance ne fut plus mal receuë que celle là. Parce que Hincmare ayant communiqué les Lettres Apostoliques à plusieurs Prelats & Barons de la France, pour sçavoir comment il se devoit gouverner en cest affaire, il escrivit au Pape Adrian ce qu' il avoit recueilly de leurs opinions: & nommément que eux tous se sçandalisoient de son Decret, disans que jamais on n' avoit veu tels commandements, bien que les Roys fussent heretiques, schismatiques, ou tyrans. Soustenants que les Royaumes s' acquieroient par la poincte de l' espee, & non par les excommunications du sainct Siege, ou des Prelats. Et quand je leur couche, (disoit Hincmare) de la puissance donnee par nostre Seigneur à sainct Pierre qui est transmise aux Saincts Peres de Rome ses successeurs, ils me respondent. Petite Dominum Apostolicum, ut quia Rex & Episcopus simul esse non potest, & sui antecessores Ecclesiasticum ordinem (quod suum est) & non Rempublicam (quod Regum est) disposuerunt. Non præcipiat nobis habere Regem, qui nos in sic longinquis partibus adjuvare non possit, contra subitaneos & frequentes paganorum impetus, & nos Francos iubeat servire, cui nolumus servire. Quia istud iugum sui antecessores, nostris antecessoribus non imposuerunt. Quia scriptum sanctis libris audivimus, ut pro libertate & hæreditate nostra ad mortem certare debeamus, & peu apres, Propterea si Domnus Apostolicus vult pacem quærere, sic quærat, ut rixam non moveat. C' est à dire: Recherchez nostre S. Pere le Pape, comme s' il pouvoit être Roy, & Evesque ensemblément. Ses predecesseurs ont disposé de l' Ordre Ecclesiastic, qui estoit de leur vray estoc, & non du fait d' une Republique, qui appartient aux seuls Roys. Qu' il ne nous commande point d' avoir un Roy, lequel habitué en païs loingtain, ne nous puisse secourir contre les courses inopinees & frequentes des Payens. Ny n' enjoigne à nous qui sommes François de servir contre nos volontez. C' est un joug que ses devanciers ne nous imposerent jamais. Aussi est-il escrit dans les sainctes lettres, que chacun doit combatre jusques à la mort, pour la manutention de sa liberté, & son bien. Partant si nostre S. Pere le Pape recherche la paix, qu' il la recherche de telle façon, que ce soit sans nouvelle noise. Et apres tout cela Hingmare ferme la lettre en ces mots. Et ut mihi experimento videtur, propter meam interdictionem, vel propter linguae humanae gladium, nisi aliud obstiterit, Rex noster, vel eius regni primores non dimittent, ut quod cæperunt, quantum potuerint non exequantur. Et comme je cognois par experience, dit-il, ny le Roy, ny les principaux Seigneurs de son Royaume, ne delairront point de poursuivre leur premiere route, quelque interdiction, ou glaive spirituel que j' y interpose, s' ils ne sont destournez par quelque autre obstacle. De laquelle missive vous pouvez recueillir que le Pape non seulement vouloit censurer le Roy Charles le Chauve, par faute de luy obeïr en une querelle tresjuste, mais aussi se declaroit juge des Empires & Royaumes. A quoy ny le Roy, ny ses sujets ne voulurent condescendre: Soustenans que cela n' estoit de son authorité & puissance: & qu' ils estoient resolus de luy faire teste à quelque prix que ce fust. Comme estant une Loy nouvelle dans la France, qu' il vouloit introduire au prejudice de nos Roys, & de leur estat. 

Tant nous embrassames deslors ce privilege de nos Roys, que je le vous puis dire, ou être né avecq' nostre Couronne soudain que Clovis fut fait Chrestien, ou bien sous la seconde lignee, peu apres que nos Roys eurent pris en main la defense & protection de l' Eglise Romaine. Car ainsi le voyons nous successivement avoir esté observé en Charlemagne, Louys le Debonnaire son fils, & Charles le Chauve son arriere fils. Le premier Roy des nostres qui sous la troisiesme lignee merita d' être censuré pour son demerite, fut Philippe premier, à raison d' un mariage mal ordonné qu' il avoit fait au prejudice de sa vraye & legitime espouse. Toutesfois le Pape Urbain second se donna bien garde de le vouloir excommunier de sa puissance unique & absolue, mais y interposa avecq' luy l' authorité de l' Eglise Gallicane au Concil de Clairmont en Auvergne. Celuy qui premier voulut franchir le pas au desadvantage de nostre Couronne fut Boniface huictiesme contre Philippe le Bel, mais jamais censures ne cousterent tant aux Papes, comme celles-là. Ainsi qu' avez peu entendre par le chapitre precedent. Le semblable fit Benoist XIII. (dit Pierre de la Lune) tenant son siege en Avignon, sous le regne de Charles VI. Et il s' en trouva autant mauvais marchand que l' autre. 

Jules II. voulut suivre ceste mesme piste contre nostre bon Roy Louys XII. surnommé le Pere du peuple. Or par l' assemblee Conciliaire de l' Eglise Gallicane tenuë en la ville de Tours, en l' an 1510. ses censures furent censurees. Sans nous esloigner de nostre temps pendant les Troubles derniers, pareilles censures vindrent de Rome, contre le Roy à present regnant. Et par Arrest, tant du Parlement de Paris transferé à Tours, que de la Chambre souveraine seante à Chaalons en Champagne, il fut ordonné que les Bulles seroient brulees par l' executeur de la haute Justice, comme elles furent. Il n' est pas que l' Arrest depuis donné contre Jean Chastel, le 29. Decembre 1594. ne portast ce chef particulier: qu' entre autres choses il estoit condamné à mort, pour avoir soustenu devant ses Juges, que nostre Roy Henry IV. n' estoit en l' Eglise, jusques à ce qu' il eust l' approbation du Pape. Dont il declareroit faisant l' amende honorable, avant que d' estre exposé au dernier suplice, qu' il se repentoit, & demandoit pardon à Dieu, au Roy, & à Justice. 

Ceste question concernant le privilege de la dignité de nos Roys, au prejudice de l' excommunication faite en Cour de Rome, tint aucunement les successeurs de Boniface en cervelle, pour le scandale advenu entre luy, & le Roy Philippe le Bel. Qui fut cause que le Roy Philippe le Long son fils, delegua Maistre Raoul de Presles, l' un de ses Maistres de Requestes, à Rome, en l' an 1316. pour en être esclaircy: lequel fit un ample extraict de tous les privileges Ecclesiastics de nos Roys. Mesmes y en avoit deux dont le mesme Boniface leur en avoit passé condamnation, auparavant qu' il fust ulceré contre nostre Roy: L' un que le Roy de France, la Royne sa femme, & leurs enfans ne pouvoient être excommuniez. L' autre que le Confesseur du Roy les pouvoit absoudre de tous pechez sans exception & reserve. Proposition si arrestee en ceste France qu' au traicté de paix qui fut fait en la ville d' Arras, l' an 1481. entre le Roy Louys XI. & Maximilian Archiduc d' Austriche, & les Estats du païs bas, les Deputez de Maximilian, & des Estats stipulerent des nostres, que le Roy promettoit d' entretenir le Traité, & à ceste fin luy & son fils se soubmettoient à toutes censures Ecclesiastiques. Non obstant le privilege (portoit la capitulation) des Roys de France par lequel, ny eux, ny leur Royaume ne pouvoient être contraints par Censures Ecclesiastiques. Traité depuis confirmé le mesme an par le Roy Louys, au Plessi lez Tours, portant la confirmation en ces mots. Avons soubmis, nous, & nostre fils, & nostre Royaume à toutes censures Ecclesiastiques pour l' entretenement du dit Traité nonobstant le privilege qu' avons, que nous, nos successeurs, & nostre Royaume, ne devons être soubmis, ny contraincts par censures. Maxime qui fut encores confirmee par arrest donné en l' an 1549. sur un sujet qui fut tel que je vous deduiray presentement. Charles Cardinal de Lorraine Archevesque de Rheims pour immortaliser sa memoire en une tres-noble entreprise, fonda une Université dedans Rheims, avec plusieurs grands privileges. Ce qui luy fut premierement permis par le Roy Henry II puis par le Pape Paule III. en ce qui regardoit le Spirituel, lequel decerna ses Bulles bien amples qui portoient entre autres clauses ceste cy. Nos igitur pium & laudabile Henrici Regis, & Caroli Cardinalis desiderium, plurimum commandantes, praefatum Regem Henricum, à quibusvis, excommunicationis, suspensionis & interdicti, aliisque Ecclesiasticis, sententiis & censuris, pœnis à jure vel ab homine, quavis occasione, vel caussa latis, si quibus quomodolibet innodatus existat, ad effectum praesentium duntaxat consequendum, harum serie absolventes. Cecy merite de venir à la cognoissance de tous. Parquoy (dit la Bulle) loüans grandement le bon & loüable zele du Roy Henry, & de Charles Cardinal, l' absolvons de toutes excommunications, suspensions, interdicts, sentences Ecclesiastiques & censures, peines de droict, ou ordonnees par les hommes, pour quelque suject & occasion que ce soit, & en quelque maniere qu' il en puisse être lié. Le tout seulement en consideration des presentes, & a fin qu' elles sortent leur effect. Plus grande faveur ne pouvions nous recevoir de Rome que celle-là. Que le Roy Henry, sans aucune sienne supplication fust declaré absout de toutes excommunications, qu' il avoit peu encovrir de fait, ou de droict, toutesfois de mesme liberalité qu' elle fut offerte, la Cour de Parlement de Paris la refusa. D' autant que par la verification, tant des Bulles que lettres patentes du Roy, il fut dit par Arrest du penultime Janvier 1549. A la charge que nonobstant ceste pretenduë  absolution, on ne pouvoit inferer, que le Roy eust esté, ou pouvoit être à l' advenir aucunement ny pour quelque cause que ce fust, suject aux censures & excommunications Apostoliques, ny prejudicier aux droicts, privileges & preeminences du Roy, & de son Royaume. Lors que cest Arrest fust donné nous n' estions partialisez en Religions, comme nous, avons depuis esté par le malheur du temps: au contraire les Lutheriens & Calvinistes estoient tresgriesuement punis en ceste France.

Je vous ay discouru tout ce que dessus, non pour malveillance que je porte au S. Siege, plustost m' envoye Dieu la mort, ains pour vous monstrer que nos Roys portent avecques leur Couronne, leur saufconduit par tout, & ne sont sujects aux embusches de leurs ennemis pres des Papes. Placard que j' ay icy enchassé tout expres, contre ces nouveaux broüillons & trouble-mesnages, qui pour se faire grands dedans Rome, aux despens des Princes & Potentats Souverains, nous enseignent que leurs Royaumes peuvent être transferez d' une main à autre par les Papes: Je ne seray point marry que ceste puissance s' execute par tout ailleurs où il leur plaira, moyennant que ce ne soit, ny contre nos Roys, ny contre nostre Royaume. Et neantmoins il ne faut pour tout cela qu' ils forlignent de leur devoir. Parce qu' il y a un plus grand juge que le Pape, qui transfere les Royaumes, & sçait chastier non seulement les delinquants, mais aussi les enfans, des fautes commises par les Peres.

mardi 6 juin 2023

3. 11. Des remedes dont les Princes estrangers userent contre les censures Apostoliques,

Des remedes dont les Princes estrangers userent contre les censures Apostoliques, & interdictions de leurs Royaumes, ensemble de ceux que nous y avons apporté sous la troisiesme lignee de nos Roys. 

CHAPITRE XI.

Vous avez peu recueillir par le precedent chapitre de quelle façon les Empereurs, Roys, & Princes estrangers furent mal menez par les Papes, & le peu de moyen qu' ils eurent de s' en garentir: Chose à mon jugement qui provint, parce qu' ils leurs voulurent faire teste par la voye de fait seulement. Les aucuns prenans les armes en main pour les combatre: les autres estimans avoir beaucoup faict pour eux, quand ils avoient empesché que le Legat envoyé de Rome, ne peut entrer dans leurs pays, pour publier les fulminations: & les derniers en leur opposans des Antipates. Remedes nullement propres à ce mal. Par ce que ceux qui s' armoient, perdoient de plus en plus le cœur de leurs subjects, voyans leurs Princes non seulement excommuniez, mais encores affliger par armes ouvertes le S. Siege. Et quant aux seconds, ils se trompoient grandement: Car le son de la trompette de Rome pouvoit donner jusques à eux, & les derniers non seulement ne fermoient la playe, mais introduisoient un nouveau schisme en l' Eglise. Nous seuls entre toutes les autres nations, avons eu ce privilege special de n' estre exposez aux passions dereglees de ceux qui pour être pres des Papes vouloient abuser de leur authorité à nostre desadvantage. Car nous avons eu de tout temps & ancienneté, trois grandes propositions qui nous ont servy de bouclier: Propositions non point fondees sur la voye de fait, ains de droict, n' ayans opposé aux censures Apostoliques que le glaive spirituel. La premiere est que le Roy de France ne peut etre excommunié par l' authorité seule du Pape. La seconde, que le Pape n' a nulle jurisdiction ou puissance sur le temporel des Roys: La derniere, que le Concil general & universel est dessus le Pape. En tant que touche le premier poinct, je ne veux pas dire que noz Roys soient francs & exemps de censures Ecclesiastiques, & que par ce moyen ils se puissent donner toute bride: mais bien qu' ils ne peuvent être censurez par la seule main du Pape. Soubs la lignee du grand Clovis, nos Roys ne cognoissoient en rien les fulminations de la Cour de Rome, encores qu' en leur histoire il y ait eu 2. ou 3. particularitez qui meritoient bien d' être censurees. Et combien que sous la 2. lignee, les Papes eussent commencé de s' aprivoiser de la France, par la correspondance qui avoit esté entr' eux & le Roy Pepin, & que depuis sous la troisiesme, ils y eussent pris grand pied, si est-ce que jamais nous ne voulumes tolerer en France, qu' ils excommuniassent nos Roys de leur authorité absoluë. La police que l' on y tint, fut d' envoyer un Legat en France, & de faire assembler un Concil National, par lequel nos Roys estoient excommuniez, s' ils vouloient s' opiniastrer en leurs fautes. Ainsi fut-il pratiqué contre le Roy Lothaire, de la famille de Charlemagne, par le Pape Nicolas premier. Ainsi contre le Roy Philippes premier par Urbain second, au Concil de Clairmont. Proposition que je verifieray plus amplement au prochain Chapitre.

Au regard du temporel, nous en avons encores moins douté, toutesfois parce que les courtisans de Rome tiennent formellement le contraire, je vous veux icy representer un placard digne d' être enchassé dans ce livre. Sous le regne de Charles cinquiesme, dit le Sage, fut fait un livre en Latin, plain d' erudition & doctrine, appellé le Songe du Verger, dans lequel, l' autheur represente deux Roynes, la Puissance Spirituelle, & la Temporelle, qui soustenoient diversement leurs grandeurs devant le Roy, par deux Advocats, dont l' un portoit le nom de Clerc, pour la puissance Spirituelle, l' autre, celuy de Chevalier pour la Temporelle. Et parce que la memoire de cest œuvre est à demy ensevelie, il me plaist de la ressusciter. Le Clerc par plusieurs grandes authoritez soustient que le Pape a toute puissance sur les Roys, & Monarques, & non seulement sur leurs consciences, mais aussi sur leurs temporels & Royaumes. Chose qu' il prouve non point par authoritez sophistiques, telles qu' un tas de copistes ignorans de Cour de Rome, ont voulu faire passer pour Constitutions Decretales, quand ils disent qu' il y a deux grands luminaires, le grand & le petit, plus que In principio Deus creavit cœlum & terram, & que S. Jean n' avoit point dit In principiis, pour monstrer que le Ciel & la terre obeïssoient au seul Siege de Rome, & autres telles frivoles qui viennent plus au scandale, qu' augmentation de la dignité du sainct Siege. Mais bien d' une plus haute luite pour terrasser le Chevalier, il remonstre que nostre Seigneur Jesus-Christ estoit Seigneur de toutes choses spirituelles & temporelles, auquel estoit par l' organe du Roy David, Prophete de Dieu, dit. Demande-moy, & je te donneray gens & heritage, & seront tes possessions jusques à la fin de la terre: & ailleurs qu' il estoit Seigneur des Seigneurs, & Roy des Roys: & en un autre passage, qu' au Seigneur appartenoit la terre, & toutes ses appartenances. Leçon qui n' estoit point escrite de la main des hommes, ains envoyee de Dieu, & dictee par son sainct Esprit. De laquelle nous pouvions recueillir l' authorité du sainct Siege. Parce que nous ne revoquions point en doute que S. Pierre ne fust le grand Vicaire de nostre Seigneur Jesus-Christ. Consequemment que tous ces mesmes privileges avoient esté transmis en luy & ses successeurs. Qui ne sont pas petites remarques, pour monstrer que le Pape ne se donne point sous faux titre ceste authorité sur les Roys. Toutesfois le Chevalier y respond si pertinemment, que je m' asseure que celuy qui lira ces presens discours, sans être preoccupé de passion, luy donnera gain de cause. Parce, dit-il, qu' il faut considerer en nostre Seigneur deux temps, celuy d' humilité avant sa mort & Passion, celuy de gloire lors qu' apres sa Resurrection, il fut monté aux Cieux. Que tous les passages que l' on allegue de David se rapportent au temps de sa gloire, mais quant à son estat d' humilité, il ne se voulut jamais donner aucune prerogative sur les biens, & encores moins sur les Princes & Seigneurs terriens. Et c' est pourquoy estans semonds par quelques particuliers de vouloir être arbitre de leurs partages, il respondit qu' il n' estoit venu en ce bas être à cest effect, & refusa de s' en mesler. D' ailleurs il dit qu' il failloit rendre à Cæsar ce qui appartenoit à Cæsar, & à Dieu ce qui appartenoit à Dieu. Et estant mesme devant Pilate, il recogneut franchement que son Royaume n' estoit de ce bas monde. Concluant ce Chevalier que quand nostre Seigneur fit sainct Pierre son grand Vicaire, ç' avoit esté pour le representer en l' estat de l' humilité, non en celuy de sa majesté & gloire. Comme aussi luy donna-il fermement les clefs des Cieux, non de la terre, pour nous enseigner qu' il luy donnoit seulement la charge du spirituel. A quoy je puis adjouster non mal à propos, que quand sainct Pierre, poussé d' un zele extraordinaire, frapa Malchus de son glaive pour secourir nostre Seigneur, il en fut blasmé par luy, comme n' establissant pas son regne sur les armes materielles. Chose mesme qui fut trouvee de si mauvaise grace, que trois des Evangelistes ne l' oserent nommer recitant ceste histoire pour le respect qu' ils luy portoient, & ne sçeussions qui estoit l' Apostre, si sainct Jean ne se fust donné la liberté de le dire, par une authorité tres-grande qu' il avoit entre les autres trois Evangelistes. J' adjousteray qu' il ne faut point plus asseuré commentaire de ceste saincte leçon que le tiltre que la posterité de sainct Pierre voulut choisir, quand les Papes en leur premiere & ordinaire qualité s' intitulerent Serfs des Serfs, pour nous monstrer qu' ils espousoient le tiltre d' humilité, auquel nostre Seigneur avoit surrogé sainct Pierre. Toutes lesquelles considerations nous enseignent que c' est à juste raison que nostre Eglise Gallicane a de toute ancienneté soustenu que la puissance temporelle de nos Roys ne despendoit en riens de l' authorité du S. Siege. Reste doncques le dernier poinct par lequel nous croyons aussi que le Concil general & universel est par dessus le Pape. Jamais la Faculté de Theologie de Paris n' eut un plus grand Theologien, que Maistre Jean Gerson, duquel nous avons un discours, dont le tiltre est, De Auferibilitate Papae ab Ecclesia, par lequel il nous enseigne, non qu' il faille supprimer le Pape de l' Eglise Catholique, mais bien qu' il estoit en la puissance du Concil general assemblé, de le faire demettre selon les occurrences d' affaires: & de fait, ainsi fut-il jugé & ordonné par le grand Concil de Constance.

Voila en somme les trois propositions par lesquelles nous avons fait bouclier contre les assauts de la Cour de Rome, lors que sans subject elle s' est voulu armer contre nous. De maniere qu' en telles induës entreprises, nous appellasmes des censures Apostoliques au Concil futur general: auquel combien que le Pape deust presider, si est-ce que la pluralité des voix le pouvoit, & devoit emporter. C' estoit encor un brin de nos premiers privileges: parce que nous ressouvenans de nos anciens Concils, nous pensasmes, qu' il y falloit avoir recours comme à un ancre de dernier respit. Et seroit impossible de dire combien ceste ressouvenance profita depuis à l' Eglise Chrestienne, Tesmoin le Concil de Constance par moy presentement touché, tesmoin le Concil de Basle. Et se comportans nos Roys en ceste façon, non seulement ne leur prejudicia l' excommunication de l' Eglise Romaine (car l' appel en suspendoit l' effect) & encores moins furent estimez heretiques, mais au contraire demourerent en reputation de tres-fideles & Catholics, & fils aisnez du S. Siege Apostolic; & comme tels furent, entre tous les Princes Chrestiens, appellez Roys tres-Chrestiens: leur apportant cela un autre grand bien: car ny les Prelats, ny la Noblesse, ny le demourant du peuple, ne se desbanderent d' eux, quelque respect & reverence qu' ils portassent au S. Siege. Je veux dire quand les sujects ne couvoient aucune ambition particuliere en leurs ames au prejudice de la Couronne, & qu' il n' y alloit que de la querelle de Rome encontre nous. En cas semblable les Princes estrangers, qui à la suitte de telles censures & interdictions d' un Royaume, aiguisent aisément leurs cousteaux contre le Prince excommunié, toutesfois ne s' oserent jamais mettre de la partie contre nous. Voire nous succederent les choses si à propos, que combien que les Papes se formalisassent en toute extremité contre les Empereurs, pour les investitures des Evesques, si ne nous oserent-ils jamais heurter pour nostre Regale, qui ne s' eslongne pas grandement des investitures. Je le vous verifieray par un exemple singulier. Boniface VIII. voulant ioüer mesme personnage contre Philippes le Bel, que Gregoire VII. avoit fait contre l' Empereur Henry IV. luy envoya l' Archidiacre de Narbonne, porteur d' unes bulles dont la teneur estoit telle. Bonifacius Episcopus Servus servorum Dei, Philippo Francorum Regi, Deum time & mandata eius observa. Scire te volumus quod in temporalibus & spiritualibus, nobis subes. Praebendarum, ad te collatio nulla spectat: Et si aliquarum vacantium custodiam habeas, earum fructum successoribus reserves, & si quas contulisti, collationem haberi irritam decrevimus, & quatenus processerit revocamus. Aliud credentes fatuos reputamus. Datum Lateranensi, quarto Nonas Decembris, Pontificatus nostri anno sexto. Ces bulles ayans esté presentees, l' Archidiacre cita à Rome tous les Archevesques, Evesques, & Docteurs en Theologie, au premier jour de Novembre ensuivant, pour respondre sur ce que dessus: Le Roy commanda au porteur de vuider promptement du Royaume, & neantmoins fit une responce à Boniface plus brusque que n' estoient ses bulles. Philippus Dei gratia, Francorum Rex, Bonifacio se gerenti pro summo Pontifice, salutem modicam, sive nullam. Sciat tua fatuitas, in temporalibus nos alicui non subesse, aliquarum Ecclesiarum & præbendarum vacantium collationem, ad nos iure regio pertinere, & percipere fructus earum, & contra omnes possessores utiliter nos tueri. Secus autem credentes fatuos reputamus. C' estoit trop hardiment r' envié sur les pretensions du Pape. En quoy certes je souhaiterois qu' avecq' plus de sobrieté & modestie, il eust defendu ses droicts. Non pas en faveur de Boniface, que je ne mets au nombre des bons Papes, ains pour l' honneur de la dignité Pontificale. Cecy appresta matiere de nouvelle guerre entre l' Eglise de Rome, & nous. Parce que Boniface commença de proceder à belles censures contre le Roy, absolvant tous ces sujets du serment de fidelité, & par mesme moyen mit en interdiction le Royaume: duquel il fit present à Albert Empereur d' Allemagne, qu' il couronna Roy de France. C' estoit assez pour estonner de primeface un Roy: mais luy sage & avisé, assembla toute son Eglise Gallicane, & par son avis appella de ces censures, au futur Concil general. Quoy voyant l' Empereur, & que ceste interdiction n' avoit desarroyé les membres d' avecq' le chef, se contint dedans ses limites. Dont Boniface indigné, pour n' avoir peu attaindre au dessus de ses entreprises, mourut de despit. Qui occasionna le peuple de dire qu' il estoit mort de rage, & ses ennemis, qu' il mourut enragé: Tournans en parole d' effect ce qui estoit de Metaphore. Duquel exemple vous pouvez recueillir les trois propositions de nostre France, par moy cy dessus discouruës, que nous avons de tout temps & ancienneté tenuës pour fermes & stables, sans nous separer en nostre Eglise Gallicane, de l' obeïssance & honneur que nous devons au sainct Siege.

Il n' est pas qu' un Bachelier en Theologie, ayant au College de Harcourt entre autres articles de ses propositions mis cestuy. Qu' il estoit en la puissance du Pape d' excommunier un Roy, & donner son Royaume en proye, & d' affranchir ses sujects du serment de fidelité qu' ils avoient en luy, quand d' ailleurs il se trouvoit favoriser les Heretiques. Ceste proposition avoit esté mise en avant pour être disputee par le pour & par le contre, sans en faire une resolution affirmative: toutesfois le Parlement estant adverty de ce qui s' estoit passé, ne peut passer par connivence, que les Escoliers fussent si osez, que de mettre la grandeur du Roy en dispute, & de fait par Arrest du quatriesme Decembre 1561. ceste proposition fut declaree seditieuse: Et d' autant que ce Bachelier n' avoit peu être pris au corps, pour s' estre sauvé de vitesse, il fut ordonné que le Bedeau de la Sorbonne, habillé d' une chappe rouge, en presence de l' un des Presidents de la Cour, & de quatre Conseillers, & des principaux de la Faculté de Theologie, declareroit que temerairement & follement ceste proposition avoit esté soustenuë: & parce que ceste question avoit esté mise sur le tablier, & soustenuë au College de Harcour, defenses furent faite d' y disputer publiquement de la Theologie, l' espace de quatre ans ensuivant. Verité est que depuis cinquante ans en ça, se vint planter au milieu de nous une nouvelle Secte portant le nom de Jesuites, laquelle a ses propositions du tout contraires aux nostres, à la ruine de nostre Estat. Et parce qu' en l' an 1564, l' Université de Paris me fist cest honneur de me choisir pour son Advocat, & que je plaiday en plain Parlement sa cause encontr' eux, j' ay reservé pour la closture de ce troisiesme livre, le plaidoyé que j' en fis lors, le voulant faire passer pour chapitre.

Au demourant pour fermer ce que je pense appartenir au present suject, encores veux je adjouster cecy. Tout ainsi comme aux jeux & comedies qu' on represente sur un theatre, chacun y entre pour son argent, & se donne Loy de juger des bien ou malseances des Comediens, ainsi en advient-il aux Republiques. Les grands, en maniant les affaires d' Estat, joüent tels roolles qu' il leur plaist. Les petis en sont spectateurs à leurs despens, & pour n' être employez aux grandes charges, il leur reste seulement loisir de juger des coups. Permettez-moy doncq' je vous prie, de dire ce qu' il me semble de tout ce fait: Les vrayes armes dont les Papes veulent user contre les Princes souverains sont les censures, à la suitte desquelles ils couchent de l' interdiction des Royaumes, dont ils laissent l' execution à ceux qui ont les armes en main, pour s' en impatroniser, sous leur adveu & authorité. He vrayement if faut que la maladie soit merveilleusement aiguë en laquelle on employe ceste medecine. Or puis qu' il la faut employer, nul n' a tant d' interest qu' elle face ses operations que le Pape: autrement il diminuë d' autant de reputation envers tous les peuples: Et n' y a riens qui la face tant operer dans nos ames que le respect que nous luy portons. C' est pourquoy si j' estois capable de conseillier en si haut subject, je dirois qu' il y a trois circomstances qu' il faut soigneusement garder en ceste affaire. Premierement que voz censures ne soyent trop communes & triviales. Secondement que ne fermiez point trop rigoureusement la porte aux Princes qui vous reblandissent avecques humbles soubmissions. Et finalement que dedans vos censures il n' y ait point d' ambition cachee, en faveur de quelque autre Prince, dont vous esperez commodité, ou craignez incommodité. Le premier poinct cause le mespris. Le second fait oublier le chemin de Rome. Tellement qu' en interdisant un Royaume, vous mettez sans y penser une ville en interdiction, qui n' est riche que des deniers qui proviennent des autres Provinces. Miserable est la vengeance, quand en vous vengeant d' un ennemy, vous vous vengez de vous mesmes. J' adjousteray, que ce pendant pour ne laisser fluctuer en incertitude les dignitez Ecclesiastiques d' un pays, & a fin qu' elles ne demeurent veufves & denuees de Pasteurs, la necessité fait trouver des voyes extraordinaires pour y pourveoir, lesquelles par un long usage se peuvent tourner en ordinaires, n' y ayant plus violent & certain tyran sur nos actions que l' accoustumance. Et ne considerez pas que fermant la voye de Rome, faites ouverture à une chose que tous les Politics souhaitent. Qui est de ne transporter point l' or & l' argent hors de leur Royaume, sous pretexte des provisions beneficiales. Le plus grand secret qu' il y a en cest affaire, est, que tout ainsi que Dieu, qui ne desire riens tant que d' être appellé le Pere commun de nous tous, & comme tel ouvre ses bras à ceux qui le reclament dignement, aussi le Pape estant son Vicaire, & portant pareil tiltre de Pere, doit pratiquer la parabole de l' enfant prodigue à l' endroit du Prince qui retourne par devers luy: & penser que les ceremonies que les Courtisans y desirent, font oublier la devotion. Bref, que comme l' enfant doit obeïssance à son Pere, aussi le Pere est obligé de n' irriter point son enfant. Car pour le regard du dernier poinct, qui concerne les factions secrettes que l' on couvre du masque de censures, je ne veux, ny ne puis croire qu' elles se logent dedans Rome. Parce que si elles s' y logeoient, ce seroit l' accomplissement de malheur, qu' un Prince fournist à son ambition detestable, sous le nom & aux despens de la Religion Catholique Apostolique de Rome. Cela pouvoit autresfois passer sans scandale, lors que les consciences estoient plus retenuës en l' obeïssance des Papes, mais maintenant c' est tout autre discours. Le siege de Rome est comme une grande bute contre laquelle plusieurs peuples descochent aujourd'huy leurs fleches. L' heresie de Martin Luther, & de Jean Calvin bastie sur quelques abus, les y convie comme à un festin: Et Dieu sçait si ceux-là avoient le moindre sentiment de ceste scandaleuse negotiation, *esguiseroient, & leurs esprits, & leurs plumes, pour declamer contre ces *censures. Je ne pense point certes qu' il y ait armes qu' il faille tant craindre dans Rome que la plume. C' est où je finiray ce chapitre. Et Dieu vueille que ces miens discours soient digerez par ceux qui tiennent le gouvernail du S. Siege, de mesme devotion, comme je les ay escrits. 

lundi 5 juin 2023

3. 8. Des libertez de l' Eglise Gallicane sous la seconde famille de nos Roys.

Des libertez de l' Eglise Gallicane sous la seconde famille de nos Roys. 

CHAPITRE VIII. 

*Estant la grandeur du Pape telle que j' ay cy-dessus discouruë, & infiniment respectee en ce qui dependoit de la foy, pour la grande religion qui tousjours avoit reluy dedans Rome, cela fut cause que Pepin qui avoit la force de France en ses mains desirant faire tomber la Couronne en sa famille, eut recours au Pape de Rome, (ainsi que j' ay deduit en un autre chapitre) par lequel il fut proclamé Roy de France, & apres son decez Charles son fils fut aussi couronné Empereur. Tellement que de là en avant les Papes commencerent de s' accroistre dedans ce Royaume, en prerogative & grandeur d' une autre façon qu' auparavant. Car plus d' authorité leur donnoit-on, & plus l' on confirmoit la Royauté de nouvel adjugee à ceste seconde famille, à la confusion de la premiere. Et lors commencerent aussi de prendre tiltres plus hauts. Parce que tout ainsi que du commencement, ils avoient esté seulement appellez Evesques de Rome, puis Papes: aussi dés lors en avant on commença de les appeller, tantost Apostoles, tantost Apostolics, sans autre suitte de paroles: & eux mesmes quand ils parloient de leurs actions, avoient accoustumé d' user de ceste maniere de parler. Nostre Apostolat ordonne telle, ou telle chose. Outre que cela se remarque fort souvent dans l' ancienneté, il n' y a lieu toutesfois qui soit plus digne d' être noté que de Rheginon Abbé, qui estoit sur la fin de ceste lignee, vers le regne de Charles le Simple. Cestuy au premier livre de son Histoire, où il parle sommairement de la premiere famille de noz Roys, n' a autre mot dans la plume que celuy de Pape quand il parle du siege de Rome: mais quand au deuxiesme, il descend à la lignee de Pepin, tout aussi tost commence-il d' appeller le Pape ores Apostole, ores Apostolic, & sur tout n' use jamais du mot de Pape, qu' il ne l' appelle Pape universel, voire que quelques Evesques ne rendans honneur condigne au Siege de Rome, dit qu' ils blasphemoyent contre le Pape: & encores que ce changement de style procede plus en cest Autheur d' une simplicité Monachale, que de discours: si est-ce que de ceste simplicité nous pouvons recueillir la verité de l' Histoire. Ayant Rheginon escrit de ceste façon selon le moins, ou le plus d' authorité qu' il voyoit avoir esté prise par les Papes, selon la diversité des temps & saisons.

Or combien que l' authorité du sainct Siege Apostolic fut lors tres-grande, si ne faut-il estimer que pour cela s' esvanouist l' ancien usage de noz Concils, ny par consequent de noz privileges, ains furent diversement tenus soubz Pepin, Charlemaigne, & Louys le Debonnaire, sans en rien changer la forme qui avoit esté suyvie soubz noz premiers Roys, voire de plus grande efficace en plusieurs articles. Car entre autres choses il fut celebré un Concil à Verdun, pour la reformation de toutes les Eglises de France, & d' Allemaigne, par lequel en reprenant les arrhemens des anciens Peres, il fut ordonné qu' il n' y avroit en une Eglise qu' un Evesque: que les Evesques obeiroient aux Metropolitains, que l' Evesque avroit toute Jurisdiction sur son Clergé, tant regulier que seculier: Que deux fois l' an on tiendroit Concil en France, les premiers jours de Mars & d' Octobre, en telle ville qu' il plairoit au Roy: Que les Monasteres tant d' hommes que de femmes vivroient selon les reigles de leurs ordres, & s' ils refusoyent de ce faire, que l' animadversion en demoureroit par devers l' Evesque, & par appel par devant les Metropolitains, que le Roy entendoit constituer dessus les Provinces: Que les differends, qui pourroient sourdre entre le Metropolitain & l'  Evesque, seroient vuidez par la decision d' un Concil: Qu' une Abbesse n' avroit qu' une Abbaye, & defense à elle de sortir sinon par necessité, & encores avecq' le congé de son Evesque. Que l' excommunié ne pourroit entrer dedans l' Eglise, ny manger, ny boire avec un autre Chrestien, ny le saluër, ou approcher de luy pour prier Dieu qu' il ne se fust premierement reconcilié avecq' son Evesque. Et si dedans certain temps il ne se mettoit en devoir de faire lever les censures Ecclesiastiques, que l' on implorast le bras seculier encontre luy.

En ce Concil general passerent plusieurs autres articles notables, esquels n' est faite mention des Papes, non plus qu' en ceux qui furent tenus soubz Charlemagne, & Louys le Debonnaire, és villes de Paris, Compostelle, Strasbourg, Arles, Aix, Majence, Tours, Chalon, & autres situees, part en la France, part en Allemaigne, & Espaigne, lesquelles estoient souz la domination de ces deux Roys, & Empereurs. Et par especial est fait grand estat de cinq Concils, qui furent celebrez soubz Charlemaigne. Concilia quinque iussu eius (dit Rheginon, & apres luy Adon de Vienne) super statum Ecclesiarum per totam Galliam ab Episcopis celebrata sunt. Quorum unum Maguntia, alterum Rhemis, tertium Turonis, quartum *Cabilonis, quintum Arebate, congregatum est: & constitutiones, quae in singulis falta sunt, ab Imperatore sunt confirmata, quos qui nosse voluerit, in supradictis civitatibus investire poterit, quanquam & earum exemplaria in archivo Palatii habeantur. 

Les Evesques (dit-il) par le commandement de l' Empereur assemblerent cinq Concils parmy la Gaule, dont l' un fut à Majence, l' autre à Rheims, le tiers à Tours, le quart à Chalon, & le cinquiesme à Arles. Et toutes les constitutions qui furent faictes en chaque Concil, furent confirmees par l' Empereur: desquelles qui voudra avoir plus certaine information, il les pourra trouver en icelles villes, combien qu' il y en ait autant és archifs & thresor du Palais. Passage merveilleusement recommandable, pour montrer que non seulement la police Ecclesiastique de France s' assoit en ce temps là par noz Concils, mais aussi que l' on y requeroit l' authorité du Prince, tant pour l' ouverture, que confirmation d' iceux: Tout ainsi que pour le jourd'huy l' emologation d' une Cour de Parlement: Chose qu' il ne faut pas trouver estrange. Car aussi est-ce la verité que ces Concils, recognoissans prendre authorité par noz Roys, determinoient indifferemment ce qui concernoit tant la police seculiere, que Ecclesiastique. Qui fut à mon jugement cause que le mesme Rheginon, que j' ay cy dessus allegué, confond les mots de Synodus, & Placitum, combien que celuy-là fut seulement destiné pour les Ecclesiastiques, & cestuy pour les Seculieres. De là est pareillement venu qu' Ansegise Evesque reduisant par escrit les anciennes constitutions de Charlemaigne, & Louys le Debonnaire son fils, mesle & le spirituel; & le temporel dans icelles, le tout par un entrelas de puissance, a fin que tout ainsi que noz Prelats, par la tolerance, ou permission de noz Roys, jectoient l' œil quelquefois sur le reglement de la police seculiere, comme si ell' eust esté de leur fonds: aussi le Roy par le consentement general de tous les Prelats se donnoit Loy sur toutes les deux. Car il ne faut faire aucune doute que noz Roys n' eussent adoncques cognoissance de la discipline de leur Clergé. Et c' est aussi ce que nous enseigne Aimoïn au cinquiesme de son Histoire, quand il dict, que le Debonnaire fit publier un livre concernant la discipline Ecclesiastique. Ce dont cest autheur pouvoit seurement parler, d' autant qu' il estoit de ce mesme temps. Or dans ces Loix de Charlemaigne, & Louys, vous y pourrez recognoistre une infinité de sainctes constitutions, dignes de la grandeur de noz Roys. De quelle marque sont celles-cy. Qu' il ne fust loisible à un Evesque de promouvoir à l' ordre Ecclesiastic un Esclave, sans le gré & consentement de son maistre: Que les Vierges que lon vouloit faire Religieuses ne fissent profession qu' elles n' eussent attainct le vingt-cinquiesme an de leur aage: Que nul ne fust faict Prestre, qu' il n' eust trente ans passez, & accomplis: & que pareillement il n' eust esté bien & deuëment examiné: Injonction aux Prestres, c' est à dire aux Curez, de donner à entendre au menu peuple l' Oraison Dominicale, a fin qu' en priant Dieu, il sceust ce qu' il luy demandoit: Que les Evesques fussent éleuz par le Clergé & le peuple: & les Abbez par les Religieux: Commandement aux Evesques d' annoncer la saincte parole de Dieu à leur peuple: defenses de recevoir les enfans Religieux, ou Religieuses sans l' expres consentement de leurs peres: Que les hommes de franche condition ne peussent prendre clericature de l' Evesque sans prealable permission du Roy: & ce pour autant qu' il avoit entendu que plusieurs prenoient ceste qualité, non tant par devotion qu' ils eussent à Dieu, que pour s' exempter des charges seculieres qu' il leur convenoit supporter pour le service du Roy? Que chaque Seigneur fust tenu de nourrir ses mendians invalides sur sa terre & seigneurie, sans permettre qu' ils vaguassent ailleurs: Que les Eglises servissent à tous de franchise: De ne publier legerement, & sans grande cause des censures Ecclesiastiques: De n' ensevelir les morts dedans les Eglises, ains seulement aux Cimetieres: Que les Evesques donnassent ordre d' avoir escholes publiques en leurs dioceses pour l' instruction des enfans aux bonnes lettres. Defenses d' aliener le bien de l' Eglise, & aux Tabellions d' en recevoir les contracts, sur peine de bannissement: Que les dismes fussent conservees aux Eglises: Et plusieurs autres ordonnances de mesme subject que je passe pour briefueté souz silence, par lesquelles vous pourrez voir que ce n' est de ceste heure que noz Roys sont en possession d' avoir l' œil, & intendance sur la police Ecclesiastique.

Toutesfois les affaires de la France ne demourerent pas longuement en cest estat souz ceste famille. Car tout ainsi que toutes choses violentes ne sont jamais de duree, aussi ceste famille estant en peu de temps arrivee en une extremité de grandeur, elle esprouva souz trois Roys, trois aages, sa jeunesse souz Pepin, sa virilité souz Charlemaigne, & sa vieillesse souz Louys le Debonnaire. Car tous ceux qui leur succederent, ne firent, à mon jugement que radoter, ainsi que nous voyons quelques uns par leur aage decrepit tomber au rang d' enfance. Ce ne furent que partialitez, que divisions, tantost entre les freres, tantost entre les cousins, puis avecq' leurs propres subjects, jusques à ce que pour closture de ces tragiques spectacles, ils descheurent en fin totalement de leur Estat, par la promotion de Hugues Capet, soubz la lignee duquel on establit une nouvelle forme de Republique. Pendant lesquelles divisions le Pape qui par la confederation qu' il avoit faite avecq' les trois premiers Roys, communiquoit fort souvent avecq' les François, se donna plusieurs grandes authoritez sur noz Roys, auparavant incogneuës: & encores dessus noz Prelats, lesquels mesmement tournans en abus les Concils anciens de la France, & ce qui estoit de devotion, s' oublierent tant que pour gratifier à l' ambition detestable des enfans Louys le Debonnaire qui ne feit jamais faute aux siens que par une trop grande simplicité, que nous avons couvert du mot de Debonnaireté) feirent un Concil à Lyon, quelques uns disent à Soissons, où ils excommunierent leur Roy, & le declarerent incapable, & indigne tant de l' Empire, que du Royaume, permettans à ses enfans de s' en emparer. Ce qui fut apres cher vendu à noz Ecclesiastics. Parce que depuis cest ambitieux Concil, je ne voy plus gueres en usage ceste dignité ancienne de Concils, ou par une juste vengeance de Dieu, pour avoir ainsi temerairement abusé de leur authorité au prejudice de leur Roy, ou bien que les Roys mesmes faicts sages par cest exemple, en voulussent retrancher l' authorité & l' usage. Car combien que l' on celebrast puis apres quelques Concils, si ne furent ils de telle efficace que les anciens. Quoy que foit, depuis ce temps là les Papes gaignerent grande puissance dessus nos Prelats, & au lieu où auparavant quelques uns d' entre eux affligez s' estoient retirez en la ville de Rome comme en une ressource de leurs afflictions pour en tirer quelque honneste support, & ayde, ainsi que firent Maxime, Brice, Salon, Sagitaire, Urcissin, on commença de là en avant d' abreger ce mot, & d' une ressource en faire un ressort, & appeller au Pape des torts & griefs, que les Ecclesiastics pretendoient leur avoir esté faits par leurs confreres. Pareillement le Pape eut souvent des Legats en France, qui s' en faisoient croire. Chose à quoy la porte fut d' autant plus aisec à ouvrir qu' avecq' l' ambition s' estoit en ce temps là logee l' ignorance chez nous. Car Rheginon nous tesmoigne que deux Legats du Pape estans retournez de France à Rome, rapporterent au Pape Nicolas premier, que jamais ils n' avoient trouvé tant d' asnerie, que celle qui estoit lors en nostre Eglise: n' y ayant un tout seul Prelat qui fust sainement nourry aux constitutions Canoniques. Au contraire à peine que Rome eut jamais un Pape de plus grand sens que Nicolas (je n' en excepteray ny Leon premier, ny S. Gregoire) en ce mesmement qui appartenoit à l' accroissement du siege de Rome. J' ay dit en quelque autre endroict qu' entre tous les Papes, il y en eut trois, ausquels la Papauté estoit grandement redeuable, qui furent premiers de leurs noms, Leon, Gregoire, & Nicolas, dont les deux premiers furent par la posterité surnommez les Grands. Leon comme grand Prelat qu' il estoit, pour le respect qu' on luy portoit, fut le premier de tous les Papes qui receut le titre d' Universel au Concil de Chalcedoine, par ceux qui presenterent requestes. Et ores que Gregoire premier combatist fortement contre ce tiltre, craignant que le Patriarche de Constantinople ne le prist, & que par ce moyen il ne se voulust prevaloir d' un degré dessus l' Eglise de Rome, comme celuy qui avoit quelque faveur pres de l' Empereur Maurice: si est-ce que ce grand & sage Prelat Romain couvoit ceste mesme grandeur dans sa poictrine, comme j' ay deduit ailleurs, mesmes qu' en l' une de ses Epistres il soustient que le Constantinopolitain estoit subject au Pape de Rome. Toutesfois ce procez, qui sembloit estre pendu au croc, fut bravement, & hardiment jugé par Nicolas premier, escrivant tant à Michel Empereur de Constantinople, qu' à Phocius Patriarche pour la defence d' Ignace, qu' il jugeoit avoir esté soubs un Concil feint, & simulé mal exterminé de son siege. Car il leur monstre par vifves raisons que le sainct siege Apostolic estably dedans Rome, ville par les anciens nommee Eternelle, tenoit ses privileges, non par emprunt d' un Concil de Constantinople, ou de Chalcedoine, ains en proprieté de Dieu, & de la saincte Escriture. Partant qu' il n' estoit en la puissance d' aucun Prince terrien de les deraciner. Qu' à S. Pierre, duquel luy, & les Papes estoient vicaires, avoit esté baillee puissance de par Dieu universellement sur toutes les Eglises du monde, & que le seul mot de l' Eglise Romaine contenoit ce que ce grand seigneur vouloit être compris sous le nom de toutes les Eglises, desquelles pour ceste cause luy appartenoit avoir le soin. Qu' il n' y avoit en tout cest Univers, auctorité quelle qu' elle fust, qui se peust parangonner à l' Apostolique, & que ce qui s' estoit passé par jugement, ne pouvoit être en aucune façon retracté. Que les anciens Canons avoient voulu que de tous les Climats du monde on peut appeller au sainct Siege de Rome, mais que nul ne pouvoit appeller de luy. Et adjoustoit puis apres, que nulle reigle, nulle coustume n' enseignoit que l' on peust sans l' expres consentement du Pape anuller une sentence par luy donnee. Bien la pouvoit-il luy mesmes reformer selon l' exigence des affaires. Que de toute ancienneté les Papes estoient en possession de ceste grandeur dés le bers mesme de nostre Eglise. Qu' ainsi Victor, qui n' estoit grandement eslongné du temps des Apostres, avoit excommunié les quartodecimains de l' Asie: Que Jules avoit donné assignation à Athanaise, & ses Coevesques de comparoir à Rome par devant luy: A quoy liberalement ils obeirent. Que Felix avoit destitué Acarius de son Evesché de Constantinople: & Agapit condamné Antoine Evesque du mesme lieu. Pour ces causes, que ce qui estoit ordonné par le S. Siege de Rome de son propre mouvement, & puissance absolue, ne pouvoit être revoqué en doute, quelque coustume à ce contraire que l' ignorance du temps eust apportee.

Plusieurs autres raisons alleguoit ce grand prelat, authorisees de maints exemples, dont ores que les aucuns peussent recevoir quelque contredit pour l' histoire seulement, si est-ce que qui lira ces discours, il les trouvera pleins de fonds, jugement & entendement, pour le subject qu' il traitte: & si j' ay quelque sentiment en ceste affaire, & que l' on me permette d' y interposer mon jugement, je croy qu' à cestuy appartenoit le surnom de Tres-grand, non qu' il excedast de sens, Leon & Gregoire premiers: mais il en eut autant qu' eux, tant de naturel que d' acquis, és choses, où il vouloit donner attainte. Et outre ce il trouva le temps propre, & favorable, pour mettre à execution ses desseins, qui est le poinct qui nous fait paroistre plus grands entre les hommes. Car * faut pas estimer que Pirrhus & Annibal fussent moindres en vaillance, ou conduitte, qu' Alexandre de Macedoine, ou Jules Cesar: mais lors que les deux premiers heurterent leur fortune contre l' Estat de Rome, il n' estoit encores disposé à prendre coup, pour une infinité de raisons, comme il fut du temps de Jules Cesar, & celuy d' Asie du temps d' Alexandre. Aussi ne fais-je aucune doute que si Leon ou Gregoire fussent tombez sous le siecle de Nicolas, où les affaires de nostre Eglise estoient en desarroy, ils n' eussent fait ce que fist Nicolas, & luy en leurs temps ce qu' ils firent & non plus. Mais puis que cestuy couronna l' œuvre, tout ainsi que ces trois Papes furent premiers de nom, & d' effect, aussi penseroy-je faire tort à l' histoire, si je ne donnois au troisiesme sinon le tiltre de Tres-grand, pour le moins le tiltre de Grand, tout ainsi qu' on fait aux deux autres. 

samedi 3 juin 2023

3. 6. Des libertez de l' Eglise Gallicane devant & sous la premiere lignee de nos Roys.

Des libertez de l' Eglise Gallicane devant & sous la premiere lignee de nos Roys. 

CHAPITRE VI. 

Jamais dignité ne monta à telle grandeur que la Papauté, & jamais dignité ne fut tant combatuë en ce monde, comme celle-là, non par armes materielles, ains par les spirituelles, par les opinions d' uns & autres: les aucuns luy donnans (ainsi que quelques-uns estiment) plus qu' il ne luy appartenoit, ores qu' il luy en appartint beaucoup, & les autres beaucoup moins. Je dy expressemment combatuë par uns & autres: parce que ce n' est pas petite question de sçavoir lequel des deux lui a plus nuit, ou celui qui noury en cour de Rome par flateries courtizanes luy a voulu trop donner, ou l' autre qui habitué és parties Septentrionales, luy en a moins accordé. Car encores que le premier faisant contenance de soustenir la grandeur de son maistre apportast en faveur de luy, une infinité de propositions prejudiciables tant aux Roys, Princes, & Potentats, qu' aux Patriarches, Archevesques, & Evesques, si est-ce que le temps nous a enseigné qu' il ressembloit en cecy au Lierre, lequel embrassant estroitement une paroy, semble la soustenir pour quelque temps aux yeux de ceux qui la regardent, toutesfois petit à petit la mine interieurement: aussi le semblable est-il avenu au fait present. Car combien que pour quelque temps ces propositions ayent porté coup à l' avantage du Pape, & desavantage de tous autres Princes, toutesfois nous avons cogneu puis apres qu' elles couvoient sous elles, sinon la ruine, pour le moins quelque diminution de sa dignité. Et ont esté cause qu' au long aller plusieurs peuples se sont voulu soustraire de son obeïssance. Tellement que celuy qui luy en a voulu trop bailler, l' a mais au hazard de tout perdre, au grand scandale de l' Eglise, dommage de la Chestienté, & desolation de tous les Estats Politics. De ma part ne m' estant icy proposé de juger des coups, je me contenteray de reciter comme toutes choses se sont passees en cest endroit, laissant au jugement des plus sages, & clair-voyans, si elles se devoient en ceste façon escouler.

Il ne faut faire nulle doute que les Papes n' ayent tousjours eu le premier Siege de l' Eglise Chrestienne, & pour tels recogneuz de toute l' ancienneté. Ils furent pour tels recogneuz, toutesfois avec ceste honneste modification, qu' il n' estoit en leur puissance de terrasser les autres Evesques. Mesmes encores que pour le jourd'huy nous appellions le Siege de Rome, Siege Apostolic (mot que nous n' approprions à nul autre) si est-ce que comme j' ay dit ailleurs, tous les Sieges du commencement ausquels les Apostres, ou leurs Disciples avoient presidé, estoient nommez Apostolics. Et depuis ce mot fut specialement adapté par succession de temps seulement aux Sieges de Rome, Alexandrie, Antioche, & Hierusalem, comme nous recueilions des Histoires Ecclesiastiques de Socrate, Sozomene, & Theodoric, jusques à ce que les trois dernieres villes estans tombees sous la puissance des Sarrazins, ausquelles ne restoit plus, si ainsi je l' ose dire, qu' un tiltre imaginaire d' Eveschez, il n' y a aujourd'huy Eglise entre nous qui porte ce tiltre de sainct Siege Apostolic, fors celuy de Rome.

Au demourant ne laissoient les autres Evesques & Pasteurs d' estimer que chacun d' eux dans leurs dioceses estoit de mesme puissance & authorité sur leurs brebis, comme tous les Evesques Apostolics dedans leurs confins. C' est la cause pour laquelle, combien que sainct Cyprian Evesque d' Affrique recogneust avec tout honneur & respect, Cornelian Evesque de Rome, superieur de toute l' Eglise, & qu' à ceste occasion luy & quarante un Evesques l' eussent supplié par lettres de trouver bon que l' on admist à la communion de l' Eglise ceux qui pour la crainte des tourmens s' en estoient distraits, mais estoient revenus à penitence: & qu' en autre endroict escrivant au mesme Pape, il confesse que la Chaire de S. Pierre est l' Eglise principale, dont estoit issuë l' unité sacerdotale. Toutesfois en la mesme Epistre il se plainct que Felicissime heretique Affricain, s' estoit venu justifier à Rome, au prejudice des Evesques d' Affrique, dont il estoit justiciable, & par lesquels il avoit esté excommunié. Luy mesmes escrivant encores à Cornelian Evesque de Rome, & le priant de recevoir quelqu' un à sa communion, il adjouste tout suivamment: Je veux dire, fait-il, à l' unité de l' Eglise Catholique. 

Et en un autre lieu à Jubaïan. Car Dieu, dit-il, authorisant sainct Pierre, sur lequel il edifia son Eglise, & dont il voulut que l' Eglise universelle prit sa source, luy donna ceste puissance, que tout ce qui seroit par luy lié sur la terre, seroit aussi lié aux Cieux. Qui sont tous passages formels, par lesquels on voit en quelle reverence ce sainct personnage avoit le Siege de Rome: ce neantmoins il ne voulut jamais passer (condénatió) condemnation que pour cela, l' Evesque de Rome peust decreter chose aucune sur les diocesains des autres Evesques, en ce qui estoit de leurs dioceses. Ainsi voyez-vous qu' escrivant à Antonian, il dit que l' Eglise de Dieu est un grand Evesché composé de plusieurs Evesques, qui simbolisent en foy ensemble. Et au Concil qu' il tint dans Cartage sur la question de sçavoir s' il failloit rebaptiser le Chrestien, qui avoit esté baptisé par un Evesque heretique, il fut arresté que nul ne se devoit nommer Evesque des Evesques, ny tyranniquement attirer son compagnon à son opinion: comme estans tous les Evesques exposez au jugement de Jesus-Christ, lequel avoit seul, & pour le tout, puissance d' establir les Prelats aux gouvernemens de ses Eglises, & de juger de leurs actions. Pareille resolution trouvons nous dans sainct Hierosme, escrivant à Evagre, quand il dit que le moindre Evesque estoit aussi grand dedans ses fins, & limites, que le plus grand de la Chrestienté. Et toutesfois il ne faut douter qu' il n' estimat la chaire de sainct Pierre être la premiere de toute l' Eglise, ainsi que nous recueillons par expres de l' Epistre qu' il escrit à Damase Pape. Bannisson (disoit-il) de nous l' envie de ceste puissance de Rome, eslongnons nous de l' ambition: j' ay maintenant affaire avec le successeur d' un pescheur, disciple de la Croix. Quant à moy, ne me representant autre premier que Jesus-Christ, je fais vœu de communion perpetuelle avecques vostre Saincteté. Je veux dire avecques là chaire de sainct Pierre. Je sçay, & veux recognoistre que sur ceste Pierre l' Eglise de Dieu est bastie, & que quiconque mangera l' Aigneau Paschal hors ceste maison, sera excommunié. Car aussi s' il advient que pendant le deluge aucun soit mis hors l' Arche de Noé, il est noyé. Tous lesquels passages nous enseignent avec quelle devotion ces bons vieux peres embrasserent la grandeur de l' Evesque de Rome, entre tous les autres: toutesfois avec ceste condition qu' il ne pouvoit riens entreprendre sur les autres Evesques. 

Or ne faut-il point douter qu' entre toutes les nations, celle de la Gaule ne favorisast infiniement le sainct Pere de Rome, avec une honneste dispense de luy faire des remonstrances, tantost humbles, tantost aigres, & rigoureuses, selon que nous le voyons plus ou moins s' emanciper du devoir commun de l' Eglise. De là vient qu' au cinquiesme livre de l' histoire Ecclesiastique d' Eusebe, vous voyez le Clergé de Lyon admonnester doucement Eleuthere Evesque de Rome d' acquiescer à la raison, & ne se separer de la communion de quelques autres Eglises, comme il avoit fait. De là au mesme livre, que Victor Evesque de Rome ayant excommunié les Eglises du Levant, qui ne s' accordoient avec luy, sur quelques ceremonies des jours concernant la celebration des Pasques, est non seulement admonnesté par sainct Irené Evesque de Lyon, mais tres-aigrement repris d' apporter ceste division en l' Eglise. Passages dont on peut sans flatterie, ou calomnie remarquer, & l' authorité qu' avoient deslors les Evesques de Rome, & la liberté honneste qui estoit en l' Eglise Gallicane, de controoler sobrement leurs actions lors qu' elles se mettoient à l' essor. Quelques seditieux & mutins de nostre siecle ont voulu soustenir que le mot d' Eglise Gallicane estoit une chimere, non recogneuë par les anciens autheurs, toutesfois vous en trouverez expresse mention dedans Yves Evesque de Chartres, en ses 94. 116. & 118. Epistres, & dans Sigebert sur le commencement de sa Chronique, & le Pape Hormisda parle de Canonibus Gallicanis, in c. si quis Diaconus 50. distinct.

La proposition generale de nostre Eglise Gallicane fut de reduire toutes ses pensees à l' union de l' Eglise Romaine, la recognoistre la premiere, simboliser aux articles de foy, & aux principes generaux, & universels de l' Eglise, avecques elle, comme estant la vraye source & fontaine, dont il les falloit puiser, laquelle n' avoit jamais esté troublee par les damnables & malheureuses heresies de l' Orient. Mais en ce qui despendoit de la discipline Ecclesiastique, nous n' estimions qu' il fallut l' aller mendier à Rome, ains que chaque Evesque avoit puissance de l' establir modestement dans son diocese. Et s' il y avoit quelque obscurité, qui resultast de ce, ils avoient accoustumé de la resoudre par Concils Nationnaux, ou Provinciaux, ausquels on ne mendioit aucunement l' authorité du sainct Siege, ains des Evesques des Gaules. Comme en cas semblable les Abbayes voulans être exemptes de la jurisdiction de leurs Evesques, on ne passoit point les monts pour obtenir leurs exemptions. Car ainsi trouvons-nous és Archifs de sainct Germain des Prez, que quand le Roy Childebert voulut exempter ceste Abbaye de la puissance de l' Evesque de Paris, il y interposa seulement l' authorité de cest Evesque, assisté de sept ou huict autres qui tous sous-signerent ceste exemption: & le semblable fut fait par Landry Evesque de Paris, pour l' exemption de sainct Denis en France, comme on voit par un autre tiltre ancien, qui est au Thresor de ceste Abbaye. Et vivans en ceste façon, nous eusmes beaucoup de choses distinctes & separees quant aux mœurs de l' Eglise Romaine. 

Ainsi voyons-nous qu' auparavant le temps de Charlemagne, le chant de l' Eglise Gallicane estoit autre que celuy de l' Eglise Romaine: Ainsi usant l' Eglise de Rome du Psaultier de la version des septante deux Interpretes, soudain, apres que S. Hierosme l' eust traduit, l' Eglise Gallicane prit pour son usage ceste traduction. Enquoy les choses nous succederent si à propos, que tout ainsi que nous laissames par traicte de temps nostre premier, & ancien chant, pour prendre celuy de l' Eglise Romaine, aussi à nostre imitation l' Eglise Romaine quitta la version des septante deux Interpretes, pour se tenir à celle de S. Hierosme. En cas semblable furent plusieurs choses introduites en nostre Eglise Gallicane, qui depuis furent transportees delà les mots (monts). Car le premier que l' on dit avoir jamais composé des Hymnes, & Cantiques, pour des chanter en l' honneur de Dieu, & de ses Saincts és Eglises, fut sainct Hilaire Evesque de Poictiers, & celuy qui apres se voulut en cecy conformer à luy, fut sainct Ambroise Evesque de Milan: Pareillement celuy qui premier inventa les Rogations, que nous celebrons la sepmaine avant l' Ascension, fut Mamerque Evesque de Vienne. Institution qui depuis fut trouvee si bonne, qu' elle s' est par une taisible alluvion espanduë par toutes les Eglises, & specialement en la Romaine. Et se rendirent aucuns des nostres tant admirables en saincteté, qu' ils firent mesme teste aux Empereurs, lors qu' ils les voyoient degenerer de la justice. Sulpice Severe nous enseigne que Maxime ayant occupé l' Empire, premierement en la grande Bretagne, puis és Gaules, où il commanda librement, à la honte des vrais & legitimes Empereurs, il fut pour ceste cause excommunié par nostre grand sainct Martin, qui ne le voulut jamais recevoir à communion, que premierement il ne l' eust deuëment informé que pour la seurté de sa vie, il avoit esté contrainct de s' impatroniser de l' Estat, & que s' il ne l' eust fait, les legionaires l' eussent mis à mort. Et le semblable fit-il contre Itachius, & Ursatius Evesques, lesquels contre les anciens Canons de l' Eglise avoient opiné à la mort des Priscilianistes. Excommunication qui fut de tel effect, que ces deux Evesques par plusieurs importunitez solliciterent l' Empereur de moyenner leur reconciliation avec ce sainct homme, laquelle l' Empereur Maxime, ny eux, ne peurent jamais obtenir, jusques à ce qu' ils eussent changé d' opinion, & fait penitence de leur erreur. Tant estoit grande, & venerable la reputation de ce grand personnage és Gaules. N' estant lors moins redoutee l' excommunication venant de sa part, que depuis celle des Papes venant de Rome. Tout de ceste mesme façon voyons nous que pour purger les heresies, on eut quelquefois recours à nostre Eglise Gallicane, aussi bien comme à la Romaine. Adon Archevesque de Vienne raconte que les Pelagiens troublans la foy de la grande Bretagne, nous leur envoyasmes S. Germain, & S. Loup, Evesques d' Auxerre, & de Troye, qui par leurs sainctes & Chrestiennes exhortations nettoyerent le pays de cest erreur.

Et ce qui de plus en plus authorisa nostre Eglise Gallicane fut, que selon la diversité des temps elle produisit des Prelats, qui pour leur saincteté furent grandement respectez de toute la Chrestienté. Uns Irené Evesque de Lion, Hilaire Evesque de Poictiers, Saturnin Evesque de Tholose, Martial, de Limoges, Denis, puis Germain de Paris, Gatian, & Martin de Tours, Medard de Soissons, Germain, d' Auxerre, Loup de Troye, Remy de Rheins (Rheims), Arnoul de Mets, tous enregistrez au catalogue des Saincts: sans faire icy estat de plusieurs autres grands personnages, qui par leurs merites se rendirent fort recommandez de toute l' ancienneté: Mamerque, & Avite à Vienne, Sidon Apollinaire en Auvergne, Saluian Prestre à Marseille, Gregoire en la ville de Tours. A fin que je ne face aussi mention de ceux qui furent sous la deux, & troisiesme lignee de nos Rois, pour lesquels j' apporteray en son lieu autre discours que celuy qui s' offre, quand l' occasion s'y presentera. Tous ces saincts hommes vivans en l' union de la foy approuvee par les saincts Concils generaux, & consequemment en celle de l' Eglise Romaine: toutefois ils ne permirent jamais que l' on entreprit dedans Rome sur leurs superioritez. Je ne veux point dire, ne permirent (ce mot sans y penser s' est escoulé de ma plume) mais bien le Pape ne se donna jamais permission d' enjamber sur leurs puissances, & authoritez ordinaires: Au contraire les laissa viure en ceste honneste & saincte liberté de Concils, tantost Nationaux, tantost Provinciaux, qu' ils avoient empruntez de l' Eglise primitive, & continuez de pere à fils. Car a fin que je ne foüille dans une longue & obscure ancienneté, où peut-être nous ne recognoistrions riens qu' à tatons, je commenceray mon discours par Leon premier, qui pour avoir grandement authorisé le sainct Siege, emporta le surnom de Grand, il y eut quatre Concils tenus de son temps en la Province de Narbonne, & encores deux autres és villés de Carpentras, & Arles, esquels non seulement il ne presida, mais qui plus est au second article du deuxiesme Concil, il fut dit que qui ne voudroit acquiescer à la sentence de son superieur, il failloit qu' il eust recours au Concil, sans faire mention de Rome. Chose que je ne penseray jamais que Leon eust passé par connivence (luy qui d' ailleurs avoit receu au Concil de Chalcedoine par quelques Clercs le tiltre d' Evesque, & Patriarche universel, & qui encores se le donna escrivant à Eudoxie Emperiere) s' il n' eust estimé qu' il ne devoit entreprendre sur les libertez de nostre Eglise. Comme aussi en donna-il jugement ouvert, quand en respondant à la demande qui luy avoit esté faite par Rustique Evesque de Narbonne, il luy escrivit que celuy n' estoit Evesque, qui n' avoit esté esleu par le Clergé, & confirmé par son Metropolitain: Ne mettant icy riens de reserve pour l' authorité du sainct Siege à ceste confirmation, & neantmoins vous voyez par ceste question que les nostres y avoient recours pour être esclaircis des obscuritez qui se presentoient entre eux.

Ceste Eglise Gallicane s' estant en ceste façon bastie par longue succession de temps, Clovis Roy de France, apres avoir receu le sainct Sacrement de baptesme, ny toute sa posterité, n' eschangerent riens de ceste ancienne liberté: & ne trouverez dessous toute ceste lignee un seul Concil entre nous qui soit assemblé sous l' authorité du sainct Siege, ains sous celle de nos Roys, esquels presidoit par fois le Metropolitain du lieu, par fois celuy, qui entre les Prelats pour sa saincte vie estoit en plus grande reputation, & par fois celuy qui estoit plus agreable au Roy. Il y en eut cinq notables en la ville d' Orleans. Le premier par le commandement de Clovis, où se trouverent trente trois Evesques: & là entre autres choses fut arresté, que les Abbez estoient sujects à la cohertion des Evesques, & que s' ils commettoient quelque irregularité, les Evesques les pouvoient chastier. Le second sous Childebert I. auquel presida Honorat Archevesque de Bourges, où entr' autres articles fut renouvellee l' ancienne police de l' eslection des Evesques Metropolitains, qui s' estoit perduë par la nonchalance du temps. C' est à sçavoir que le Metropolitain seroit esleu par les Ecclesiastics, & par le peuple de sa Province, & en apres confirmé par ses Evesques comprovinciaux, & qu' il seroit tenu de faire tous les ans un Concil Provincial. Le troisiesme sous le mesme Childebert le vingt-sixiesme an de son regne, où presida Loup Archevesque de Lion, auquel furent ramenez en usage plusieurs anciens Canons de l' Eglise, & defenses faites de vendre le bien de l' Eglise, voire aux Abbez mesmes, sans l' expresse authorité de l' Evesque. Le quatriesme sous le mesme Childebert, où il fut de rechef enjoint aux Metropolitains, de renouveller d' an en an leurs Synodes, avecq' leurs comprovinciaux. Le cinquiesme celebré le trente-huictiesme an du regne du mesme Roy, auquel par l' article xvij. il fut dit que les appellations du Metropolitain seroient jugees, & terminees par le Concil Provincial, qui se devoit tenir tous les ans, & defendu à tous Evesques, un siege vacquant, de riens attenter au prejudice de son successeur, tant au temporel, que spirituel. A l' exemple dequoy furent diversement tenus plusieurs autres Concils, selon que les affaires & necessitez Ecclesiastiques le desiroient. A Clairmont, où il fut conclud que l' Evesque seroit esleu par le Clergé, & confirmé par son Archevesque. Pareillement plusieurs en la ville de Tours, où mesmes par le second Concil furent faites inhibitions & defenses de laisser vaguer les pauvres d' une ville à autre, ains que chaque ville seroit tenuë de nourrir les siens: En la ville de Paris, où adjoustant aux eslections des Evesques, il fut de rechef ordonné que l' Evesque seroit esleu par le Clergé, & confirmé par l' Archevesque: Mais on y adjousta ces deux mots, sans que l' authorité du Roy y fust interposee. Et au surplus que l' on ne donnast au peuple un Evesque qui luy fust desagreable. Sous le Roy Gontran, deux à Lyon, deux à Mascon, un à Valence. En tous lesquels furent principalement traictees & decidees les affaires qui concernoient la discipline de l' Eglise, tant pour le regard des chefs, que des membres. Et outre ce, au dernier Concil d' Orleans, furent les heresies Eutichienne, & Nestorienne condamnees. Concils, puis-je dire, infiniement honorez par toute l' ancienneté, & dont Gratien le moine sçeut fort bien faire son profit dans son Decret. Aussi sont-ils inserez avec tous les autres Concils, comme estans approuvez, & authorisez de l' Eglise universelle, encores que l' authorité du sainct Siege n' y intervint. Et neantmoins nous pouvons remarquer en iceux une reigle generale, qui estoit qu' en apportans une honneste police à l' Eglise Gallicane, toutesfois ils embrassoient tres-estroictement les bonnes instructions & memoires du sainct Siege. Comme nous pouvons recueillir du troisiesme Concil d' Orleans. 

Et parce que paravanture l' on pourroit dire que c' estoient simples Concils Provinciaux, esquels n' estoit requise l' authorité du sainct Siege, encores y a-il passage expres d' Evesque qui florissoit de ce temps-là, & qui tenoit l' un des premiers lieux de la France, tant pour la dignité de luy, que de son siege, qui nous esclaircit grandement de ce poinct. Celuy dont je parle est Gregoire de Tours, lequel ayant esté envoyé par Childebert second en ambassade avec autres Prelats & Seigneurs, par devers Gontran Roy d' Orleans, executant le fait de sa charge, entre autres choses fit ces remonstrances à Gontran, comme luy-mesmes atteste au neufiesme livre de son histoire. Vous avez, dit-il, notifié à Childebert vostre nepueu qu' il eust à faire assembler en un lieu tous les Evesques de son Royaume, parce qu' il y a plusieurs difficultez, dont il se faut esclaircir: toutesfois il estoit d' advis que selon la coustume ancienne des saincts Decrets, chaque Metropolitain assemblast ses Evesques comprovinciaux, & que lors ce qui se trouveroit de male-façon en chaque province fut reformé par sanctions Canoniques. Car quelle raison y a-il de faire maintenant si grande congregation, veu qu' il n' y a nul peril eminent à nostre Eglise, & qu' il ne se presente aucune nouvelle heresie? Quelle necessité y a-il doncques que tant d' Evesques s' assemblent: A quoy le Roy fit responce: Il y a plusieurs choses, dont il faut cognoistre. Et lors il ordonna que le premier jour du quatriesme mois ensuyvant ce Concil fust tenu. Passage par lequel on peut indubitablement recueillir que non seulement les Concils particuliers, & Provinciaux, mais aussi generaux, & Nationaux, esquels il s' agissoit de la foy, s' ouvroient par l' authorité de nos Roys. Car Gregoire ne fait nulle doute par ce discours, s' il y eust eu quelque necessité apparente pour quelque nouvelle heresie, qu' il eust bien esté d' advis d' assembler ce Concil general, mais non autrement: & neantmoins Gontran s' en fit croire. 

Or seruoit encores l' usage de ces Concils à autre chose. Car si un Prelat estoit prevenu en justice, on assembloit soudain un Concil par l' auctorité du Roy, & en ceste assemblee legitime estoit fait le procez à cest accusé, lequel par les voix & suffrages des Evesques estoit condamné, ou absous, quelques fois au contentement de nos Roys, quelquesfois contre leur volonté. Gregoire Archevesque de Tours accusé d' avoir dit que Gontran Archevesque de Bourdeaux avoit incestueusement abusé de Fredegonde, Royne de France, son procés luy est fait en l' Eglise sainct Pierre de Paris (nous l' appellons aujourd'huy du nom de saincte Geneviefve) & là, bien que Chilperic & Fredegonde sa femme desirassent le contraire, il est absous de ceste faulse imputation. Au contraire Pretexat Archevesque de Roüen est en un autre Concil tenu à Paris, condamné à la solicitation, & poursuitte du mesme Roy. Auquel Concil (si vous lisez Gregoire de Tours) vous trouverez combien peut la solicitation du Roy, pour corrompre une Justice, quand telle est son intention. Autre Concil, par lequel Urcissin Evesque de Cahors est destitué de son Evesché, pour avoir receu dans sa ville, Gondebault Roy putatif. Cest Urcissin est celuy, pour la restitution duquel, sainct Gregoire escrivit depuis à Theodebert, & Theodoric Roys, nepueux du Roy Gontran. Autre Concil tenu à Lyon sous le mesme Gontran, ou Salon, & Sagitaire, Evesques d' Ambrun, & de Gap, furent aussi condamnez. Autre en la ville de Verdun sous Childebert second, où Gilles Archevesque de Rheims fut demis de son Archevesché, pour avoir voulu attenter contre la vie du Roy. Bref c' estoit une coustume si familiere à la France, que ce seroit du tout errer contre l' ancienneté, qui la voudroit ignorer

Et n' est pas chose qu' il faille aisément passer sous silence, qu' en toute ceste premiere famille de nos Roys, je ne voy point qu' aucun d' eux familiarisast avecques les Papes par lettres, ou autrement, fors la Royne Brunehault, Childebert son fils, & Theodebert, & Theodoric, enfans de Childebert, à l' endroit de sainct Gregoire. Ceste Royne, l' une des plus malheureuses Princesses que la terre porta jamais, pensa couvrir ses meschancetez envers Dieu, & les hommes, pour avoir recours à ce grand sainct homme. Platon disoit en ses loix qu' il y avoit trois especes d' Atheistes: les uns qui du tout soustenoient n' y avoir des Dieux: les autres, qu' il y en avoit, mais qu' ils ne se soucioient des affaires humaines, ains les laissoient vaquer à l' incertain: & les derniers qui croyoient y avoir des Dieux qui avoient soin de nous tous, mais qui facilement estoient appaisez par prieres. Non que par ceste derniere espece ce grand, & sage Philosophe voulut bannir de nos consciences, les prieres: mais il s' attachoit à ceux qui pensent toute meschanceté leur être permise, & en être quittes par une chimagree exterieure des prieres, recidivans neantmoins de jour à autre en leurs pechez. Vice fort familier quelquesfois aux plus grands. Et croy que ceste mesme opinion fit retirer Brunehault pardevers ce sainct personnage, joinct la reputation en laquelle estoit son Eglise. Qui est cause que S. Gregoire luy addresse plusieurs lettres, par lesquelles il louë infiniement le zele qu' elle portoit à la Religion Chrestienne: & à la suitte de cela, à Childebert, Theodobert, & Theodoric, pour le respect qu' ils portoient à leur mere, & ayeule. Ou bien paravanture en consideration de ce que Childebert guerroya quelque temps les Lombards, par lesquels l' Eglise de Rome estoit grandement affligee, comme voisins puissans & factieux. 

vendredi 2 juin 2023

3. 4. Comme & avec quel progrés les Papes s' impatroniserent de Rome, & d' une partie d' Italie.

Comme & avec quel progrés les Papes s' impatroniserent de Rome, & d' une partie d' Italie.

CHAPITRE IIII.

Aux discours qui se sont cy-dessus passez il n' estoit question de toucher au temporel, ains ceste superiorité si vertueusement soustenuë par l' Evesque de Rome, regardoit seulement le spirituel, & ne pensoit lors ce Prelat à s' impatroniser de la ville de Rome, & des environs, & moins encore de donner loy aux Empereurs, & Roys: mais les occasions selon les changemens des temps, & regnes, le pousserent à ceste grandeur. Je ne sçay comment il advient que humant l' air d' une contree, nous transformons par mesme moyen les effects de nostre Religion aux mœurs du Pays, soubz lequel nous sommes nourris. Jamais n' avoit esté, du temps mesme du Paganisme, que l' Egypte ne fust estimee superstitieuse, la Grece aiguë, & subtile, comme celle qui avoit produict plusieurs sectes de Philosophes, Rome ambitieuse le possible, & qui dés sa premiere enfance sembloit être nee pour commander: Aussi quelques temps apres que la Religion Chrestienne fut establie en l' Egypte, ce pays nous produisit plusieurs esprits sombres, & melancoliques, qui faisoient des voeus esloignez de la commune usance des autres: La Grece plusieurs heresies, qui ont mesme par suitte de temps apporté la division entre l' Eglise Latine, & la Grecque: Et Rome de mesme façon au millieu de ses ruines couuoit de longue main un Estat Monarchique soubz le nom de la Religion. Estat vrayement miraculeux qui a eu ses principaux Conseillers non seulement establis dedans l' enclos d' une seule ville, ains espars par toutes les Provinces, au gré & contentement des Empereurs, Roys & Princes souverains: Estat qui sans être gardé par les armes a faict trembler, & passer souz sa misericorde les plus grands Monarques du monde. Jamais Histoire ne contint plus de Religion & de saincteté, que celle que les Evesques de Rome apporterent premierement pour gaigner ce haut degré, que depuis ils ont tenu en l' Eglise, & jamais Histoire ne fut plaine de tant de prudence, que celle que nous reciterons maintenant pour le temporel: outre ce qu' ils trouverent les temps commodes, & si ainsi le faut dire furent conduicts par la main pour executer leurs desseins. Parquoy le contentement ne sera petit, ce me semble, de sçavoir par quels moyens ces saincts Peres sont parvenus à si grande seigneurie de biens, que mesmes ils ont voulu enjamber avec le temps toute puissance, & auctorité sur les Roys, jusques à faire vacquer les Royaumes. Constantin le Grand ayant donné fin à toutes les guerres civiles, soit qu' il veit plusieurs peuples Orientaux se revolter contre l' Empire, ou qu' il fut d' une nature disposee à nouveautez, delibera de chercher lieu commode sur l' emboucheure de la mer, par lequel il peust donner ordre aux courses, & surprises des Barbares. Ce lieu par bonne & meure deliberation fut trouvé en la ville de Byzance, laquelle, non seulement il fortifia de tout poinct, mais la rebastit tout à neuf, la faisant nommer de son nom Constantinople: & non content de l' avoir embellie de Palais, & superbes bastimens, il y transporta de la ville de Rome plusieurs belles antiquailles, & qui plus est, luy & ses successeurs y firent ordinaire demeure: de sorte que là où les Empereurs magnifioient auparavant, & Rome, & l' Italie, ce pays fut peu apres reduit en la mesme forme que les autres Provinces, & regy par Ducs, & gouverneurs. Car quand mesmes il y avoit deux Empereurs, dont l' un demouroit en l' Orient, & l' autre en l' Occident, si est-ce que je ne sçay par quelle fatalité, ils choisissoient plustost toute autre habitation que la ville de Rome, les uns s' habituans à Milan, les autres en nostre ville de Paris, les aucuns en celle d' Arles, & les autres, comme les Roys des Ostrogots, en la ville de Ravenne. Je ne puis rendre raison de cecy, sinon qu' il sembloit que la fortune de Rome lasse d' être commandee par les armes, vouloit faire preuve à quelle grandeur elle pourroit parvenir estant gouvernee par gens qui feroient seulement profession de la parole de Dieu, & de l' Escriture.

Du changement de ce siege Imperial plusieurs nations estrangeres prindrent subject, & argument d' assaillir l' Italie, peut-être par un juste courroux du Ciel pour ioüer la vengeance de plusieurs siecles passez, & faire desgorger le butin de tous autres peuples, dont par tant de centaines d' ans les Italiens estoient enflez. A ceste occasion fut l' Italie trois fois ravagee par les barbares, & autant de fois, Rome prise, & saccagee. Premierement soubz Alaric Roy des Visegots, puis soubz Ataulphe son successeur, & finalement par Gentseric Roy des Vandales, qui se donna le loisir de ruiner ceste ville l' espace de quatorze jours entiers. Cela fut cause que les Empereurs, soit qu' ils fussent lors aneantis, ou que le desastre de l' Empire fust tel, commencerent de tenir la plus part des Provinces de l' Occident comme demy abandonnees. Tellement que les Allains, Bourguignons, François, Pictes, Anglosaxons, & les Vandales, & Visegots prindrent diversement leur chanteau és Gaules, en la grande Bretaigne, & Espaigne: & commença l' Estat des Empereurs de s' esbranler grandement en Italie. Au moyen dequoy, comme si ce pays leur esté totalement arraché des poings par ces trois inondations, & ravages, ils oublierent à la longue d' y commander en personnes. Cependant par occasion, il se leva une vermine de petits tyrans en ce pays là, qui pour n' offencer la Majesté de l' Empire, n' osoient prendre le tiltre d' Empereurs, aussi ne se vouloient-ils donner qualité si basse que de simples Gouverneurs: mais nageans entre les deux par un mot comme moytoyen se firent appeller Patrices: Dignité qui secondoit aucunement l' Imperiale, ainsi que j' ay deduict au livre precedant, & dont Constantin avoit esté le premier autheur. Ceux-cy furent Avite, Majorian, Severian, Antheme, Olibre, & quelques autres jusques à un Orestes, puis Augustule son fils, qui fut tué par Odoacre Roy des Heruliens, lequel entre les estrangers fut le premier qui à descouvert prit tiltre, & qualité du Roy d' Italie, & y regna quatorze ans, & depuis du vouloir & consentement de Zenon Empereur, fut tué *par Theodoric Roy des Ostrogots, qui fut investy du pays d' Italie par le mesme Empereur, où luy, & deux ou trois de ses successeurs regnerent, establissans leur demeure en la ville de Ravenne: jusques à ce que Justinian Empereur premier de ce nom, espiant son apoint, par l' entremise de son grand capitaine Bellissaire, reprit Rome laquelle fut encores depuis reprise par Totilas, l' un des successeurs de Theodoric, & par luy demantelee de murailles par une indignation forcenee: deliberant la rayer rez pieds rez terre, & rendre pastis à bestes, s' il n' en eust esté destourné par les lettres, & honnestes remonstrances de Bellissaire, le priant de ne vouloir ruiner tout à faict la ville, en laquelle il pouvoit à l' advenir commander, si tant estoit que le douteux succez de la guerre le voulust favoriser. Ainsi delaissa-il son premier propos: mais adverty que ce grand guerrier approchoit, duquel, Vitige son devancier Roy avoit à bonnes enseignes esprouvé les forces (Car Bellissaire l' avoit pris en champ de bataille, & depuis mené en triomphe dedans la ville de Constantinople) quitta la place, & enleva quant & soy la plus grande partie des Senateurs de Rome, & les autres, les espandit avecq' leurs femmes, & familles çà & là, laissant la ville toute deserte & inhabitee. Depuis Bellissaire y estant entré sans aucun destourbier, la repara, & rempara au moins mal qu' il luy fut possible, r'alliant petit à petit le pauvre peuple tout esgaré & esperdu.

Apres tant de heurts ainsi repliquez, je ne voy point que les Empereurs du Levant feissent grand estat de la ville de Rome, estant, ce leur sembloit, comme une espaue exposee à la misericorde de celuy qui la pouvoit premier occuper. Et de faict Narses ayant exterminé de tout poinct le nom des Gots de l' Italie, & Longin estant envoyé en son lieu pour y commander, il ne daigna jamais passer par la ville de Rome pour la reparer de ses cheutes. Et qui y apporta le dernier accomplissement de ruine, fut Constant fils de Constantin second, lequel ayant esté mis en route par les Lombards (qui nouvellement s' estoient empietez du pays d' Italie, à la semonce de Narses) repassant par la ville de Rome, comme s' il y eust voulu faire sa derniere main, enleva en cinq jours qu' il y sejourna le peu de bon, & de beau qui y restoit de ces memorables ruynes. Et disent les historiographes qu' en ce peu de temps il fit plus de deluge à la ville, que n' avoient fait tous ces grands desbords barbaresques, que j' ay presentement recitez. 

Le peu d' oeil que les Empereurs eurent de là en avant sur ceste ville, & les grandes secousses qu' elle avoit souffertes tant de fois, furent cause que les Papes, qui y avoient voüé perpetuelle demeure (joinct le credit qu' ils avoient gaigné sur les Eglises) y prindrent de grandes puissances, mesmes sur le fait de la police. Car encores que l' on n' appellast aux Archeveschez & Eveschez que ceux qui estoient en reputation de preud' hommes, si est-ce que comme j' ay dit ailleurs, les anciens estoient tres aises de choisir gens habilles, & disposez pour manier les affaires du monde, & c' est dont se plaignoit saint Hierosme en son livre premier contre Jovinian, qu' és elections des Prelats on s' amusoit quelquesfois plus à choisir des sage-mondains, que des gens de bien. Cela se faisoit pour autant qu' aux affaires qui se presentoient en une ville, on avoit accoustumé de les envoyer en ambassade par devers le Prince. Et disoit à ce propos Sidonius escrivant à Evagrius, parlant de l' election de l' Evesque de Bourges, qui avoit esté remise à son arbitrage, que s' il eust esleu quelque Moine on luy eust imputé à vice. D' autant que cestuy eust esté plus propre de jouër le personnage d' un Abbé, que d' un Evesque, & qu' il luy eust esté plus seant d' interceder pour nos ames envers le Juge celeste, que de harenguer pour nos corps envers le Prince terrien. Estans doncques tous personnages de marque ceux qui estoient appellez au Pontificat de Rome, il ne leur fut pas trop mal aisé à la longue de s' agrandir aux despens de la Couronne Imperiale. Mesmes depuis la venue des Lombards, contre lesquels les Papes estoient contrains, avec l' Eglise, de se defendre, pour le moins de racheter d' eux la paix au prix de leurs bourses. Il y a tantost vingt & septans (disoit sainct Gregoire, escrivant à Constance Emperiere, femme de Maurice) qu' en ceste ville de Rome nous sommes environnez des armes des Lombards, en quoy je ne vous veux point dire combien l' Eglise fournit d' argent chaque jour, a fin de viure seurement au milieu d' eux. Et escrivant depuis à l' Empereur Phocas, il contoit trente cinq ans. Et tout ainsi que les Empereurs pour les raisons cy dessus desduites, s' accoustumerent de faire peu d' estat de Rome, pareillement ce mesme contentement enseigna au Pape de ne respecter les Empereurs de la façon qu' il avoit fait, lors qu' ils estoient paisibles de l' Italie. Aussi adoncques commencez vous de voir, & un Pelage second, & un Gregoire premier, entrer en l' exercice de leurs charges, apres leurs elections, auparavant qu' ils eussent esté confirmez par l' Empereur. Ce qu' ils n' eussent pas osé entreprendre auparavant, les choses estans quoyes & tranquiles en ce pays là. Et pour toute reparation en sont quittes par une excuse pretextee de la crainte qu' ils avoient des Lombards. Et Constantin troisiesme voyant combien son authorité estoit diminuée à l' endroict des Papes, quasi par un jeu forcé, mais couvert du manteau d' une volonté liberale, accorda que l' election des Papes fust bonne & vallable, sans attendre son consentement, ou de son Lieutenant. Et diminua encores ceste Majesté Imperiale envers les Romains de tant que sous Justinian second, fils de Constantin, l' Exarquat, qui avoit duré 64 ans, cessa & fut reduit par les Lombards sous leur puissance. C' estoient les villes de Ravenne, Cezenne, Creme, Forin, Imole, Bolongne, Modenne, & quelques autres. Qui plus est les Empereurs Grecs non seulement ne tenoient rien de la vieille Majesté de l' Empire, mais sembloient être un rebut, ou mocquerie de fortune. Car le mesme Justinian, dont j' ay presentement parlé, fust chassé par Leonce Patrice lequel (luy ayant faict couper le nez, & les aureilles) l' envoya en exil. Le mesme Leonce chastié de pareille peine, dont il avoit usé contre son seigneur souverain fut emprisonné par Tibere, qui occupa sur luy l' Empire. Toutesfois, & Leonce, & Tibere pris par Justinian, il les fit tous deux mourir, & luy tout essaurillé, & enazé qu' il estoit, & reintegré en sa Couronne. Apres luy philipique ayant imperé un an, & quelques mois, on luy creue les yeux, & le reduit-on à son premier rang. Anastaise son successeur est contrainct de se tondre, & faire vœu de Religion. Comme faict le semblable Theodose qui luy succeda, pendant toutes lesquelles desbauches, & que fortune prenoit plaisir au desplaifir de ces pauvres Princes, il ne faut trouver estrange si le Pape s' establit en grandeur dedans la ville de Rome. Et ce qui le fit plus hardiment contemner leur authorité, c' est que l' Empire en fin tomba és mains de Leon, qui fist guerre juree aux images: en vengeance de quoy le Pape luy fist autre guerre par fulminations & censures Ecclesiastiques. 

Adoncques prenoit grand pied dans la France la famille des Martels. Car tout ainsi qu' entre toutes les nations du Ponant, les François s' estoient rendus redoutables, aussi entre tous les François florissoit Charles Martel, lequel pour la necessité de noz Roys, avoit soubs le nom de Maire du Palais introduit par devers soy la Majesté de la Couronne, tellement qu' il ne luy manquoit que le nom de Roy seulement. Gregoire le tiers voyant que d' un costé il avoit pour ennemy mortel l' Empereur de Grece, duquel il ne redoutoit pas tant les forces, pour être plus eslongné de luy: d' un autre costé que Luitprand Roy de Lombardie, avoit denoncé la guerre aux Romains: mesmes avoit mis le siege devant Rome, il pensa qu' il luy failloit chosir nouveau party. Pour ceste cause se meit soubs la protection de Martel, à la persuasion duquel, Luitprand se desista de son entreprise, & tout le reste de sa vie traitta debonnairement les Romains. Ceste premiere ouverture apporta depuis de grands biens à la Papauté, voire que je vous puis presque dire que l' asseurance de leur grandeur temporelle vient de là: Tellement que tout ainsi qu' à Gregoire premier l' on doit l' asseurance de la superiorité de l' Eglise, aussi à Gregoire le tiers est deu l' un des plus grands traicts, qui ait oncques esté entrepris par les Papes pour la temporalité, d' autant ou qu' il faut être du tout menteur en l' histoire, ou recognoistre que la premiere grandeur des Papes en leur temporel, procede tant de la protection, que liberalité des François. 

Or ne pouvoit estre confederation plus à propos que celle qui fut lors traittee entre les Papes & les Martels: par ce que les uns & les autres aspiroient chacun endroict soy à mesme but. Les uns d' être les premiers en Italie, & les autres en ceste France. Ceux-là avoient assez de pretexte, mais non de force: & ceux-cy plus de force qu' il ne leur failloit, mais avoient besoin de pretexte. Ces deux defauts feurent suppleez l' un par l' autre, par ceste nouvelle alliance. 

A Childeric Prince de peu d' effect &va leur, estoit escheuë la Couronne de France, & soubs l' authorité de Pepin fils de Martel se manioit tout l' Estat de France, toutesfois d' ozer remuer quelque nouveau mesnage contre le Roy, il estoit fort malaisé. Car la reverence du seul nom de Clovis qui avoit chassé le Romain des Gaules, supplanté le Bourguignon, Visegoth: & encores vaincu l' Alemant, auparavant indomptable, estoit tellement emprainte au cœur des François, que combien que sa posterité forlignant, ne servit lors presque que d' image, si est-ce que la seule memoire de ce grand guerrier, & la devotion que le commun peuple avoit envers ses successeurs pour le respect de luy, faisoit tenir les Princes & grands Seigneurs en cervelle. D' un autre costé le Pape, qui avoit toute voix & authorité dedans Rome, pour l' insuffisance des Empereurs de la Grece, & neantmoins n' avoit la force pour faire teste aux Lombards, qui vindrent de rechef luy faire la guerre apres la mort de Luitprand, soubs la conduitte d' Astolfe leur Roy, ne pouvoit bonnement parvenir à ses desseins, s' il n' avoit secours estranger. Pour ceste cause Pepin desja allié avec les Papes, par la confederation d' entre Gregoire le tiers & son pere, desirant approprier à soy & aux siens, non seulement l' effect, mais le nom de la Royauté, depescha deux hommes d' Eglise par devers Zacharie Pape, pour le rang & authorité qu' il tenoit entre les Prelats a fin d' interposer son decret, & donner advis auquel des deux appartenoit mieux le sceptre, ou à celuy, qui sans aucun soin laissoit fluctuer les affaires de son Royaume à la mercy de tous vents, & qui en toutes les actions, outre la recommandation de ses ancestres, n' avoit rien que la parade exterieure d' un Roy, ou bien à l' autre, qui avec moindre faveur de parentelle, portoit le faix & charge de tout le Royaume. Zacharie qui estoit sur le poinct d' appeller Pepin à son aide contre les Lombards, ne voulut mesprendre de parole à celuy qu' il esperoit luy devoir assister d' effect. Parquoy il sententia pour & en faveur du second, & que c' estoit celuy-là auquel la Couronne devoit loyaument appartenir. Grande est certes l' auctorité d' un Prelat de quelque Religion qu' il soit, pour lier la conscience d' un peuple, qui a l' œil fiché dessus luy. Ceste sentence estoit donnee par forme d' advis seulement, toutesfois Pepin en sçeut bien faire son profit: & les Papes mesmes depuis la sceurent fort bien tirer en consequence, pour monstrer qu' ils avoient puissance de conferer les Royaumes, selon que les occasions de ce faire se presentoient. Ceste mesme sentence requeroit plus ample execution pour la ceremonie: ceste execution se rencontre à poinct nommé. 

Astolfe Roy des Lombards pressoit journellement la ville de Rome. Au moyen dequoy Estienne succeur de Zacharie est contrainct de venir en France, pour implorer l' aide de Pepin. Et vrayement il falloit pour authoriser l' establissement de ce nouveau Roy, que celuy par l' authorité duquel il s' estoit mis en possession du nom, & des armes de France, fut grand. Parquoy Pepin pour n' oublier rien de son devoir, va à pied au devant du S. Pere, entrant dans Paris, & non content de ceste honneste submission, meine son cheval par les resnes, jusques au Palais. Pepin à ceste nouvelle entree est sacré & Couronné Roy par le Pape, en l' Eglise de sainct Denis, & le Royaume à luy confirmé, & à sa posterité. En contre-eschange dequoy il s' achemine avec Estienne en Italie contre les Lombards, où il sçeut si bien faire ses besongnes, qu' il reprit sur eux l' Exarquat, & reduisit leurs affaires en plus grande modestie que jamais auparavant, asseurant par ce moyen en l' Estat des Papes encontre eux. L' Empereur qui lors commandoit à la Grece prevoyant ce qui advint puis apres, depesche Ambassadeurs par devers le Roy, pour le prier de ne favoriser point tant la cause de l' Eglise, qu' il frustre l' Empire de l' Exarquat, ensemble de la ville de Rome. Toutesfois Pepin sçachant que la grandeur du Pape estoit la sienne (car plus seroit de Pape estably en puissance & authorité, plus seroit asseurée la Couronne à sa famille) presta l' aureille sourde à ces remonstrances, donnant avant que departir toutes les terres de l' Exarquat au Pape. Et deslors Paule Epiatre chambellan de l' Empereur, commença de saigner du nez, n' osant plus prendre le nom de Duc, ou gouverneur dans la ville de Rome, ny mesmes manier en aucune façon les affaires sous le nom, & authorité de son maistre. Voila la premiere & plus signalee donation, qui ait jamais esté faicte aux Papes, & qui lors commença de les advantager à huis ouvert, en auctorité temporelle. Ny pour cela toutesfois ne furent ils rendus proprietaires de Rome: mais leur ayant esté donné l' Exarquat en plaine proprieté, tout ainsi qu' apres l' expulsion des Gots, ceux qui tenoient le premier lieu dans Italie, estoient les Exarques, aussi le Pape estant fait Exarque par ceste donation, tenoit certainement grand rang entre les puissances temporelles. 

Les affaires doncques d' Italie estoient telles. Au Pape appartenoit l' Exarquat en proprieté, dont Pepin estoit demouré souverain. Les Lombards possedoient une bonne partie du pays où ils avoient planté leur premiere & ancienne demeure: La Pouïlle & la Sicile estoient és mains de l' Empereur: Et quant à la ville de Rome, elle balançoit, ne desauouant tout à fait l' Empereur de Grece à seigneur, mais aussi le recognoissant avec si peu de remarques, qu' il estoit mal-aisé de juger s' il en estoit seigneur, ou non. Ce pendant la fortune du temps, qui sembloit s' être du tout vouëe à l' advancement de la Papauté, ne peut permettre que Didier Roy des Lombards demourast quoyement dans ses bornes, ains voulut reprendre de plus beau les anciennes querelles des siens contre les Romains. Adrian qui lors estoit Pape appella à son secours les François, sur lesquels commandoit Charles fils de Pepin, qui depuis pour sa generosité, & hautes chevaleries, merita le surnom de Grand. Ce Prince prend la charge de ceste affaire, & delibere de coucher de sa reste. Pour le faire court, les choses luy succederent si à propos qu' il extermina de tout point Didier, & sa race. Reduisant soubs l' obeyssance des François tout le pays d' Italie, fors la Poüille, & la Sicile. Ce coup apporta nouvelle face aux affaires de tout l' Occident, pour autant que la maison des Martels, & la famille des Papes fraternisoient tellement ensemble, que leurs grandeurs temporelles despendoient reciproquement l' une de l' autre. Cela fut cause qu' Adrian Pape pour oster à l' Empereur de Grece toute opinion de retour en Italie, se delibera par la voix du peuple faire tomber és mains de Charles (nous le nommons Charlemaigne d' un mot corrompu du Latin) la ville de Rome, qui depuis quelques annees en là n' obeissoit que par contenance aux Gregeois: Toutesfois de luy octroyer le tiltre d' Empereur du premier coup, c' estoit une entreprise trop hardie, & ne pouvoit faire cela sans s' exposer à l' envie de plusieurs nations. 

Au moyen dequoy il le fait eslire Patrice de Rome, faisant reprendre vigueur à la ville par où mesme elle avoit failly. Car s' il vous en souvient j' ay dit cy-dessus qu' apres les premieres courses des Barbares, il y eut quelques moyens Seigneurs, comme Avite, Autheme, Majorian, & autres qui s' impatroniserent de la ville, & de l' Italie, lesquels pour n' oser prendre la qualité d' Empereurs, se firent appeller Patrices, sur lesquels Odoacre envahit l' Estat d' Italie. Et tout ainsi que par eux il faillit, aussi pour restablir les choses en leur ancienne dignité, Adrian pourchassa ce tiltre de Patritiat à Charlemagne (ne luy donnant du commencement le tiltre d' Empereur, pour n' irriter l' Empereur de Grece:) Mais avec toutes prerogatives de grandeur: Tellement qu' au lieu, où anciennement l' Empereur pretendoit la confirmation tant du Pape, qu' autres Evesques luy appartenir, cela fut accordé à Charlemaigne, & ses successeurs: mesmes que nul ne pourroit être sacré Archevesque, ou Evesque en quelque Province de son obeissance, qu' il n' eust esté par luy investy. En ce voyage, pour recompense, Charlemaigne confirme au S. Pere, l' advantage qui luy avoit esté fait par Pepin. Ainsi fut entre eux partagé le gasteau, aux despens de l' Empire, à l' un estant confirmé l' Exarquat, comme de son propre, à l' autre le Patritiat: pour iouïr du reste de l' Italie: & neantmoins qu' il commanderoit sur toute l' Italie, sans exception en toute souveraineté, fors sur le pays de la Poüille. 

Estant Adrian allé de vie à trespas, & à luy succedé Leon, soudain qu' il eut esté esleu, il envoya les clefs de l' Eglise de S. Pierre à Charlemagne, & la banniere, tant pour le prier de vouloir confirmer son eslection, qu' aussi qu' il luy pleust envoyer à Rome quelque seigneur, pour recevoir le serment de fidelité des Romains. Sur ces entrefaites le peuple courroucé le voulut destituer de son siege, luy imputant plusieurs choses mal convenables à sa dignité. La cognoissance de ce different est sursise jusques à la venue de Charles, que l' on attendoit de jour à autre dans Rome, avec une merveilleuse devotion & attente de plusieurs peuples, qui accouroient de toutes parts en ceste ville, pour voir son entree magnifique, & sembloit par ce seul spectacle que Rome eust esté restablie en son ancienne splendeur. En ce mesme temps Irene Imperatrice de Constantinople avoit cruellement fait creuer les yeux à l' Empereur Constantin son fils, & par ce moyen jouissoit à tort, sous le nom de luy, du droict de l' Empire. Chose qui luy avoit apporté une haine publique de tous. La presence d' une femme commandant à un tel Empire contre l' ordre ancien, la cruauté barbaresque d' une mere contre son fils, & haine publique de tous encontre elle, donnerent occasion au Pape, & au Roy de passer outre, & de Patrice prendre le tiltre d' Empereur: Mais auparavant il failloit que Leon satisfist au peuple, & se purgeast devant le Roy. Il importoit certes à la grandeur future des Papes que ceste accusation advint pour en avoir si brave yssue. Estant doncques Charles arrivé à Rome, & receu avec telle pompe & magnificence que sa Majeté requeroit, quelques jours apres les preparatifs de l' accusation dressez, il s' assiet en un haut throsne, oit les parties d' une part & d' autre, mais quand ce vint à la prononciation de son arrest, luy qui n' aspiroit à choses basses, sçachant que plus il exalteroit de Pape, plus il se faciliteroit une voye à la grandeur qu' il projettoit, declara que ce n' estoit à luy de juger de celuy qui avoit les clefs des cieux en main, lequel ne devoit recevoir autre juge que de sa seule conscience. Partant remettoit la decision de ceste accusation au serment du S. Pere. Ce jugement estant loué d' un chacun, Leon se leva sur pieds, & monté sur une haute chaire, afferma que tout ce qu' on luy avoit improperé, estoit une pure calomnie: & sur ceste sienne declaration fut absous à pur & à plain. L' on se souvenoit encore des jugemens de Constantin, & Valentinian qui en avoient usé tout de la mesme façon. Car ç' a esté une regle fort familiere aux Ecclesiastics de tirer à necessité ce que du commencement on leur avoit accordé par devotion. Leon estant declaré par privilege special juge, tesmoin & partie en son propre fait, & ne pouvans ses jugemens être controulez par autre que de luy seul, l' on ne fist pas lors grande doute d' executer ce qui restoit. Ainsi receut Charlemaigne la Couronne de l' Empire, & fut sacré Empereur par les mains du grand Pontife de Rome avecques un applaudissement general de toute l' Europe. Et pour autant qu' Irene voyoit que ce luy estoit jeu forcé, elle luy accorda liberalement ce tiltre avec la iouyssance de Rome, & de l' Italie, hormis de la Poüille & de la Sicile. Pratiquant sous main le mariage de luy, & d' elle. A quoy il ne voulut entendre, & en ceste façon le Pape, & le Roy se donnans l' esteuf l' un à l' autre, s' enrichirent des despouilles de l' Empire, & de là en avant commença nouvelle face d' Estat à l' Empire, se trouvant party en deux principautez, qui n' avoient nulle correspondance de l' une à l' autre, comme on avoit veu autrefois, y ayant lors deux Empereurs continuellement divers, l' un du Levant, & l' autre de l' Occident. 

Cest exemple depuis servit aux Papes. Car tout ainsi que Pepin, & Charlemaigne avoient emprunté leurs pretextes pour se faire maistres & seigneurs souverains, premierement de la France, puis de l' Italie, aussi Robert Guischard Normand s' estant emparé du Royaume de Naples, au prejudice du vray heritier, pour asseurer son estat à sa posterité, eut recours à l' authorité du S. Siege, & se fit vassal de la Papauté. Ce qui s' est perpetué jusques à huy.

La famille de Charlemaigne estoit creuë en trois Princes consecutifs, Charles Martel, Pepin & Charlemaigne, soubs lequel elle avoit attaint au comble de sa grandeur: elle decreut par mesmes degrez en trois autres Princes, Louys le Debonnaire, Charles le Chauve, & Louys le Begue. Car le demeurant de ceste lignee ne fut qu' un rebut de fortune, & à mesure qu' elle declina, aussi de mesme proportion se dispenserent les Papes des confederations, & promesses, qui avoient esté par eux jurees avec Pepin & Charlemaigne. A Leon succeda Estienne quatriesme, puis Paschal premier, & tout ainsi que lors du declin des Empereurs de Grece, Pelage second s' estoit le premier des Papes ingeré en l' exercice de sa charge, sans attendre la confirmation de l' Empereur de l' Orient: aussi cestuy Paschal prit le premier la hardiesse de iouyr de la Papauté, sans attendre le consentement du Debonnaire, lequel en fit plainté par ses Ambassades: Mais le Pape cognoissant le Prince, avec lequel il avoit à demesler ce fuseau, leur fit response, qu' il ne falloit point tirer en perpetuelle consequence les loix qui avoient esté introduites pour la necessité du temps, & sçeut bien pallier ses excuses (joint que le cœur

genereux des autres Roys manquoit grandement en cestuy) que non seulement le Debonnaire prit en payement ces paroles, mais qui plus est, quelques uns disent que par une liberalité inepte il renonça au droict de confirmation des Papes. Et ce qui authorisa encores d' avantage la puissance des Papes dans Rome, apres le decez de Louys le Debonnaire, fut que pendant que Lothaire, Louys, & Charles le Chauve ses enfans combattoient les uns encontre les autres pour leur partage: du temps de Leon quatriesme, les Sarrazins qui lors rodoient presque tout le monde, vindrent donner jusques à Rome, qu' ils pillerent, & meirent à sac, sans que celuy qui tenoit lors tiltre d' Empereur entre nous, fit contenance de la secourir. Qui fut cause que le Pape la fit reparer és Eglises, & fortifier de boulevers; mesmes bastit un chasteau en forme de roquette, que nous appellons le chasteau S. Ange, & luy mesmes alla en personne à la guerre. Sigisbert Croniqueur dit qu' il fit une nouvelle Rome, qui est celle que l' on a depuis habitee, laquelle il fit appeller de son nom Leonine.

Depuis ce temps je ne voy point que les Papes ayent tenu grand conte de la lignee de Charlemaigne, en quelques contrees qu' elle fust esparce. Et les divisions mesmes qui peu apres coururent par la France, entre Charles le Gras, Eude, & Raoul, chacun d' eux prenant diversement le tiltre de Roy de France, abastardirent presque toute la reputation que nos Empereurs avoient acquise par leur vaillance & sagesse dedans l' Italie. Tellement que vous voyez que l' on commence de là en avant à les mater par loix, & ordonnances Decretales. Par ce que Nicolas premier ordonna que les Empereurs & Princes seculiers n' eussent aucun lieu aux Concils, sinon qu' il fust question de la foy. Que les seculiers ne jugeroient de la vie des Clercs: que le Pape ne pouvoit estre lié, ou delié par puissance humaine. Et Adrian second son successeur, que nulle puissance seculiere ne se devoit immiscer en l' election des Patriarches, Metropolitains, ou Evesques, comme estant chose contre Dieu. Ne parlant de la Papauté: car puis qu' il donnoit la loy aux Roys, & Empereurs, il ne faisoit point de doute qu' ils n' avoient aucune jurisdiction, ou cognoissance de cause sur luy, ny sur ses successeurs. Et lors se reigloient toutes choses fort aigrement contre les Princes par anathemes & censures Ecclesiastiques. 

Toutesfois encores n' estoient les Papes du tout affranchis de la crainte de ceste grande lignee. Pour s' en asseurer de tout poinct, la fortune du temps suscita dedans l' Italie, une racaille de tyrans, uns Guy, Lambert, Berenger premier, un Louys, puis un Hugues seigneurs de la Provence, un Raoul de Bourgongne, un Beranger (Berenger, Berenguer) second, tous lesquels remuerent ce païs là, avec une infinité de maux. Au moyen dequoy le Pape a recours aux Othons d' Alemaigne, qui lors commençoient de poindre, comme nouveaux rejettons de fortune. Car pendant que les Berengers avoient d' un costé remué l' Estat d' Italie, les Allemans esleurent Empereur sur eux, Conrad lequel en mourant designa pour son successeur Henry Duc de Saxe, auquel succeda Othon premier grand guerrier. Cestuy appellé par les Romains chassa tout à fait les Berengers, & leurs corrivaux, d' Italie. La ruine de tous ces seigneurs, & le peu de sejour qu' Othon faisoit en Italie, rendit les Papes beaucoup plus asseurez que devant, encores que ce ne fust sans coups ferir. Mais vous ne les voyez gueres de là en avant passer par la mercy des autres Princes. En ces Othons vous commencerez de trouver nouvelle face d' affaires. Car ayant l' Empire continué de pere en fils par droict successif du premier au second, & du second au troisiesme Othon, Gregoire cinquiesme s' avisa de rendre l' Empire electif. Il semble que ce nom de Gregoire ait esté fatal pour l' accroissement de la Papauté en six ou sept Gregoires, premier, troisiesme, cinquiesme, septiesme, neufiesme, unziesme, & de nostre temps en Gregoire treziesme. Parquoy fut celebré un Concil du consentement de tous les Princes de la Germanie, par lequel il fut arresté, & conclud qu' advenant la mort de l' Empereur, on y pourvoyroit par la voye d' election qui seroit commise à six Princes d' Allemagne, dont les trois seroient Ecclesiastics, les Archevesques de Majence, Treues, & Cologne, & les trois seculiers c' estoient les Marquis de Brantbourg, Duc de Saxe, & Comte Palatin. Et s' ils estoiet partis en voix, on y adjouteroit pour septiesme le Duc de Boesme pour les departir. A la charge qu' apres que l' Empereur seroit esleu, il recevroit confirmation, puis couronnement par le Pape. Ainsi par succession de temps voila la chance tournee. Car au lieu, où auparavant les Empereurs s' estoient donnez la loy d' élire, ou de confirmer les Papes esleus, maintenant par ce Decret conciliaire, ils ont ceste mesme confirmation à l' endroit des Empereurs, & ne faict-on plus de doute qu' en l' election du Pape n' y soit plus requise l' authorité Imperiale. Depuis ceste constitution ainsi faite l' on n' a point veu que les Papes n' ayent eu tres-grande puissance temporelle dans Rome, dessus les Empereurs: & encores que les aucuns leurs voulussent envier cette grandeur, si est-ce que les Papes s' en sont fait croire, quelque resistance que l' on leur ait faite. 

Il seroit impossible de dire combien ce temps là produisit de divisions & discordes aux principaux Estats de l' Europe. Car d' un costé nostre France estoit infiniement embrouillee par les factions d' Eude, & ses successeurs, qui ouvrirent la porte au Royaume à Hugues Capet. D' ailleurs chacun dans l' Italie sembloit jouer à boute-hors, d' autant que tantost un Guy, & Lambert occupent l' Estat, tantost apres eux Berenger premier, puis Louys, qui en est encores chassé par le mesme Berenger, luy d' une mesme fortune par Raoul Bourguignon, & Raoul par Hugues Comte d' Arles, & cestuy-cy par Berenger second petit fils du premier. En cas semblable l' Estat de Rome estoit en mesme conbustion. Car apres que la femme Anglesche soubs l' habit d' homme eust esté si impudente d' imposer aux yeux de toute la Chrestienté, Formose ayant esté quelques annees apres creé Pape avecq' le mescontentement de plusieurs seigneurs de la ville, Estienne sixiesme son successeur annulla tous les Decrets par luy faits, & non assouvy de ceste vengeance, par une inhumanité estrange fit tirer le corps du tombeau, & revestir d' ornemens Pontificaux: puis en forme de degradation le fit despouiller publiquement piece apres piece, & reduire en habillement laical, soubs lequel il luy fit recevoir sepulture, apres luy avoir fait couper deux doigts, & jetter dans le Tibre. Au contraire Romain successeur d' Etienne, restablit tout ce qui avoit esté annullé par son predecesseur. Et ainsi par trois ou quatre successions de Papes, chacun defaisoit ce que son predecesseur avoit fait & ordonné en ce grand theatre de Rome, à la veuë de tous les Chrestiens. 

Au bout de ces longs troubles, & divorces, comme ainsi soit que des corruptions viennent les generations, & des grands desordres, les grands ordres: aussi se planterent nouvelles polices en l' Occident. Car tout ainsi qu' en la Germanie furent establis six Magistrats pour Electeurs de l' Empire, qui ont grande auctorité pour la conservation de cest Estat: aussi quelque temps apres la venuë de Hugues Capet, qui fut presque vers le mesme temps, s' insinua entre nous en ceste France le departement de noz douze Pairs, six Ecclesiastics, & six Laiz, pour être comme Conseillers, & intendans generaux des affaires de nostre France: & de mesme façon les Papes, qui de toute ancienneté s' estoient habituez dans Rome, voyans que par devers eux demouroient les prerogatives, & anciennes remarques de l' Empire, voulurent avoir autour d' eux un conseil, de la façon que les Empereurs. Pour ceste cause commença d' être grandement elevé en authorité, & grandeur,  vers le temps de Jean dix & neufiesme, pour toutes les affaires du sainct Siege, le consistoire des Cardinaux. Toutesfois par ce que ceste compaignie pour le rang qu' elle tient entre nous, merite bien d' avoir sa remarque à part, j' en discourray en un autre chapitre ce que j' en pense devoir estre dit. 

Or combien que depuis que l' Empire fut electif, le Pape donnast presque la Loy aux Empereurs, & que par ce moyen nul Prince Chrestien ne s' ozast parangonner en authorité avecq' luy, si avoit-il une bride en sa maison qui l' empeschoit: c' estoit le peuple Romain, lequel licentieusement se dispensoit de fois à autre encontre luy. Car estant perpetuellement en luy emprainte la memoire de son ancienne liberté, il pensoit que par nul laps de temps elle ne pouvoit être prescrite. Parquoy pour aucunement contenter ses opinions desbordees, fut erigé un nouvel estat dans Rome, qui fut appellé Senateur, dont encores aujourd'huy en voit-on quelques remarques. C' estoit une image du Patritiat, qui avoit esté autrefois deferé à Charlemaigne. Et combien qu' en cestuy l' on ne veit pour dire le vray que le masque d' un Magistrat, toutesfois encores ne pouvoient avoir les Papes tel controleur à leur porte. A ceste cause Lucius second, voulant par force bannir cest office de Rome, fut à coups de pierres outragé par la commune, de telle façon qu' il en mourut. Et Eugene troisiesme son successeur, ayant excommunié le peuple, avec Jourdain leur Senateur, fut contraint d' abandonner la ville, & s' en venir en ceste France, ressource ancienne des Papes lors de leurs afflictions: Nous en voyons encores une Epistre expresse de sainct Bernard qu' il escrivit au peuple de Rome le blasmant tres-aigrement de ce qu' il s' estoit ainsi indiscrettement bandé contre son chef. Et en fut mesmement Adrian quatriesme en grande altercation avecq' les Romains. Toutesfois ayans les Papes puis apres recueilly en ce fait leurs esprits, & pourpensé que ceste dignité n' estoit qu' un amusoir de peuple, mesmes que la voulant suprimer tout d' un coup c' estoit se heurter contre une folle populace, qui est comme un torrent, lequel plus reçoit d' obstacles & barrieres, plus fait de violens efforts. Pour ceste cause ils estimerent qu' ils viendroient à la longue mieux à chef de leur intention par une sage tolerance. Ce qu' ils firent, & leur succeda ce conseil si à propos, que non seulement ce Senateur passa puis apres en toutes choses par où ils voulurent, mais en sceurent fort bien faire leur profit quand les occasions le requirent, estant un nom de Magistrat sans effect, qu' ils presentoient toutesfois aux Princes estrangers, quand ils les vouloient allecher de venir en Italie, pour prendre leur querelle en main encontre leurs ennemis. Car ainsi en userent-ils à l' endroit de Charles Comte d' Anjou, pour exterminer de Naples la posterité de Federic second: & encores depuis envers Pierre d' Arragon, pour chasser celle de Charles quand ils en furent las. En fin ceste belle qualité de Senateur, s' estant par traicte de temps changee en simple tiltre (parce que la colere du peuple s' estoit matee petit à petit) demoura par devers les Papes tout l' Estat de Rome & des environs sans aucune contradiction: Et en effect voila les procedures par lesquelles ils s' impatronizerent par le menu de ceste grande ville.