jeudi 22 juin 2023

3. 35. Des Dixmes infeodees.

Des Dixmes infeodees.

CHAPITRE XXXV.

Jusques icy nous avons deduict une police introduite en faveur des pauvres guerriers, qui s' est perpetuee jusques à nous, & la recompense que l' on leur fait sur les Religions & Monasteres, sous le bon plaisir de nos Roys. Reste maintenant à discourir des Dixmes infeodees, autre recompense, qui fut faite sur les Cures, en faveur des mesmes guerriers. Je recognoistray que tout ainsi que les Curez doivent residence actuelle sur leurs Benefices, pour l' administration des saincts Sacremens, aussi à eux appartiennent les Dixmes par la seule monstre de leur clocher, de droict divin & primitif. Toutesfois ces Dixmes recevrent selon la diversité des lieux, & des temps, divers changemens. Car quelquesfois les Evesques par une main plus forte & puissante, les firent tomber sous leur puissance, comme generaux Pasteurs, & en frustrerent les Curez. Qui fut cause qu' en l' an 1560. en l' assemblee qui fut tenuë en la ville d' Orleans, les trois Estats en firent plaintes & doleances par leurs cahiers, au Roy Charles IX. Mais le Roy craignant par ce nouveau remuëment, d' aporter des troubles entre les Ecclesiastics, passa ceste requeste par connivence, avec promesse d' y faire droict en temps & lieu. D' un autre costé aussi la commune police de l' Eglise permit que ces Dixmes peussent estre prescriptes par les autres Eglises, ores qu' elles ne fussent parochiales, par une possession de quarante ans. Pareillement s' estans sur le moyen âge de nostre Christianisme faicts nouveaux Ordres de Religions, plusieurs Evesques leur donnerent diverses Cures, esquelles ils pourroient commettre gens sous eux, qui seroient appellez Vicaires perpetuels, & administreroient en leur lieu les saincts Sacremens, se contentants d' une pension congruë pour leurs aliments * demourans pardevers ces Monasteres le droict de dixmer, sur tous les climats de la parroisse, comme estans Curez primitifs, encores que la charge, & deservissement residast pardevers leurs Vicaires perpetuels. Entre ces divers changemens s' en fit un plus grand & extraordinaire en la France. Car combien que les hommes Layz soient par disposition canonique incapables de tenir Dixmes, toutesfois il y a certains territoires en France, où ils reçoivent des Dixmes, que nous appellons Infeodees, ne leur estant ceste possession revoquee en doute par les Ecclesiastics, voire sont ces Dixmes si privilegees, que si un Curé veut agir contre eux, soustenant qu' elles luy doivent appartenir, & qu' à cest effect il les face convenir pardevant le Juge d' Eglise, auquel la cognoissance des Dixmes appartient naturellement: Toutesfois si ceux qui sont convenus alleguent que ce soient Dixmes Infeodees, ils ferment totalement la bouche à l' Official, lequel doit renvoyer les parties pardevant le Juge Royal, pour voir s' il en doit retenir la cognoissance, ou non, autrement il commettroit abus.

Or dont soit procedee ceste espece de Dixme, c' est paravanture la chose la plus obscure qu' il y ait en nostre Histoire: Parce que la commune opinion en attribuë l' invention à Charles Martel, lors qu' il recompensa la Noblesse qui l' avoit suivie encontre les Sarrazins. Disant que depuis la possession s' en est continuee entre les Seigneurs temporels jusques à nous. A la verité ceux qui ont esté de cest advis ne sont denuez de bien grand pretexte. Car le mesme Prince passant plus outre, se desborda de telle façon, qu' il fut le premier qui donna des Archeveschez & Eveschez aux Capitaines. Toutesfois je ne fais nulle doute que ceste opinion ne soit faulse. Parce que nous n' avons pas manqué d' Historiographes, dont les uns nacquirent dans la seconde lignee de nos Roys, & les autres y attoucherent de pres, uns Aimoïn, Rheginon, Flodoard, Adon, Sigebert, & neantmoins nul d' eux ne s' est souvenu de remarquer ceste induë liberalité en Charles Martel, ny mesmes Flodoard, qui d' ailleurs ne l' espargne nullement dedans son Histoire. Car parlant de luy, il luy impropere d' avoir osté l' Archevesché de Rheims à Rigobert son parrain pour la donner à un nommé Milon Capitaine: & encores qu' au chap. des Regales j' aye copié une partie de ce passage, si est-ce qu' avecq' la permission du Lecteur, je le coucheray icy tout au long. Hic Carolus ex ancilla stupro natus, ut in annalibus Regum de eo legitur, cunctis qui ante se fuerant audacior Regibus, non solum istum, sed etiam alios Episcopatus regni Francorum, Laicis hominibus & Comitibus dedit: ita ut Episcopis nihil potestatis in rebus Ecclesiarum permitteret: verum quod contra hunc virum sanctum & alias Christi Ecclesias perpetravit malum, iusto iudicio Dominus refudit in caput eius. Et là il discourt comme l' on le tenoit pour damné, par la revelation qui en avoit esté faite par S. Richer. Si sous ce passage vous voulez comprendre les Dixmes, il me semble que c' est errer. Car ceste usurpation induë meritoit bien d' être expliquee plus ouvertement par cest Autheur qui en un autre passage monstre combien on abhorroit d' exposer les Dixmes au commerce, voire à une personne Ecclesiastique. Car Hincmare Archevesque de Rheims, ayant entendu que les Religieux, Abbé & Convent de S. Denis vouloient vendre à un Curé une dixme à eux appartenant, voicy que le mesme Flodoard en dit. Je suis bien aise d' inserer tout au long les passages signalez des Autheurs manuscripts, & qui ne courent par les mains du peuple. Wiligiso cum cæteris Sancti Dionisij monachis, de eo quod audierat eos à quodam Presbytero, pretium quærere pro decima: unde maximam verecundiam dicit se habere, propter alios homines qui hoc audituri erant. Quod quantum periculum sit, eis ex divina ostendit authoritate, & canonum promulgatione. Ac inde, inde absit (inquit) fratres ut alij Ecclesiastici & Religiosi viri hoc audiant, & quia monachi de sancto monasterio sancti Dionisij decimam dereliquerunt, ut de ipso pretio infernum comparent. Multo magis autem absit ut Laici audiant, Quod nemo etiam peccatis publicis implicatus in sua parrochia facere audet. Si enim aliquis de alio monasterio, quam de nostro (Hincmare parle ainsi, d' autant qu' il estoit Religieux de S. Denis) hoc attentare, quanto magis facere praesumeret, eum ab omni communione de parrochia mea excommunicarem.

Vous voyez combien Hincmare qui vivoit du temps de Charles le Chauve detestoit ce conseil, & combien il craignoit qu' il ne vint à la cognoissance du peuple, pour le scandale, & neantmoins ce n' estoit qu' un changement de Dixme de Religieux à un Curé: Flodoard à fort bien fait son profit de cest exemple. N' estimez point que si de son temps les gens Laiz eussent possedé des Dixmes, cela luy fust demeuré au bout de sa plume. J' adjousteray qu' en tous les Concils qui furent faits sous Charlemagne, Louys le Debonnaire, Lothaire, Louys second Empereur de ce nom, & Charles le Chauve, il n' en est faite mention, combien que la pluspart d' iceux soient remplis de la desolation, qui commençoit d' être en nostre Eglise, & de l' ordre qu' ils entendoient y devoir être remis.

Je sçay bien que les compilateurs de Madbourg de l' Histoire Ecclesiastique, en la huictiesme Centurie, remarquent qu' au livre second des Concils, on trouve que Carloman fit faire une assemblee de Prelats, en l' an 742. portant entre autres cest article, Decimas occupatas à prophanis restituimus, c' est à dire, Nous restituons les Dixmes qui ont esté occupees par les gens Laiz. Que si cest article est veritable, il n' y avroit pas grande difficulté pour ceste opinion. Car ce Concil avroit esté tenu soudain apres le decez de Charles Martel. Toutesfois j' ay voulu diligemment rechercher, & ce Concil, & cest article, certes je ne l' ay point trouvé en tous les quatre Tomes des Concils. Et m' esbahy infiniement, si ce Concil est veritable, dont vient qu' en tous les autres il n' en ait esté parlé, pour reformer une chose tant prejudiciable à l' Eglise, comme celle-là. Au Concil tenu à Aix, le quatriesme an du regne de Pepin, article dixiesme, il est dit, que si les Abbez sont si mols de laisser tomber leurs Abbayes és mains de personnes Layes, & les Moines pour le salut de leurs ames en veulent sortir, faire le pourront par le congé de l' Evesque: & en ce faisant seront translatez en autres Monasteres convenables. Au Concil celebré à Aix sous le Debonnaire, il est (comme j' ay deduict cy dessus) prié de ne conferer les Abbayes des hommes, & femmes, qu' à personnes dignes, presupposant par là, le defaut qui ja estoit en l' Eglise. Aussi dés son temps mesmes trouve-l'on un Hilduin son grand aumosnier, outre les autres communs Benefices, avoir eu les Abbayes de sainct Denis en France, sainct Germain des Prez de Paris, & sainct Medard de Soissons. En celuy tenu à Paris est faite mention des gens Laiz, ausquels les Abbayes commençoient d' être baillees, & prie-l'on le Roy de tenir la main que cela ne se face à l' advenir. En un autre celebré à Mets sous Charles le Chauve, on se plainct des exactions, & coustumes induës, que les Officiers du Roy tiroient du Clergé, & aussi des alienations du bien de l' Eglise, qui avoient esté faictes par les Roys, ensemble des Religions, & Monasteres, qui s' estoient mis pour les guerres sous la protection du Roy, dont le service divin avoit esté supplanté tout à faict. Brief tout ce Concil est confit des abus & entreprises que les Laiz faisoient sur les Ecclesiastics. Et en plus forts termes au Concil de Paris, sous Louys deuxiesme, petit fils du Debonnaire, il est parlé des Seigneurs, qui de leur privee authorité avoient osté les dixmes des vrayes, & anciennes Eglises, pour les transporter à des nouvelles par eux basties: & est ordonné qu' elles seroient restablies en leur premier estat: & neantmoins en toutes ces assemblees n' est parlé un tout seul mot, des dixmes, qui avoient esté occupees par les Laiz. Enquoy selon mon advis, il gisoit plus de reformation, qu' en toutes ces particularitez.

Par ainsi je ne doute aucunement qu' encores que sous la seconde lignee de nos Roys la desbauche de nostre Eglise fut tres-grande, toutesfois cest octroy de Dixmes, que nous avons depuis appellees, Infeodees, leur fut du tout incogneu. Et si seray encores plus hardy: car nous fusmes pres de cent ans depuis la venuë de Hugues Capet sans les cognoistre. Ne me pouvant persuader, si elles eussent esté en usage, que l' on ne leur eust donné quelque attainte en ce grand Concil qui fut tenu sous Urbain II. l' an 1097. dans la ville de Clairmont, où pour l' avancement de nostre Religion Chrestienne, fut concluë la premiere Croisade, mesmes fut censuré le vice du Roy Philippes I. & croy que l' on n' eust oublié la hardiesse des Laiz qui à face ouverte possedoient non le simple temporel, ains le bien spirituel des Eglises. Maistre Jean de Luc, personne d' honneur, en son Recueil des Arrests en donne la premiere invention à Philippes Auguste, lors qu' apres avoir longuement guerroyé il voulut recompenser ses Capitaines aux despens de l' Eglise, mais il s' abuse. Car l' on ne trouve jamais le remede qu' apres la faute commise, ny la medecine devant la maladie. Philippes Auguste commença de regner l' an 1181. & dés l' an, 1179. avoit esté tenu le Concil de Latran, qui avoit condamné telles usurpations. C' est pourquoy apres avoir consideré tout le temps, je demeure fiché en ceste opinion, que ces Dixmes laïcales furent introduites lors que nous entreprimes le premier voyage d' outre-mer. Auquel chacun pensoit faire œuvre tres-meritoire envers Dieu d' y contribuer de tous ses moyens & facultez, & à tant que plusieurs Curez pour exciter les Seigneurs des villages où estoient leurs Cures, leurs firent present de leurs Dixmes pendant leurs vies: dont ces Gentils-hommes & Seigneurs se seroient appropriez à jamais par un droict de bien-seance. Chose qui fut passee par connivence l' espace de quatre vingts ans, ou environ, jusques à ce qu' au Concil de Latran, tenu sous Alexandre troisiesme par l' article quatorze, on ne fait non seulement doute que les hommes Laiz ne puissent posseder des Dixmes, mais est en outre prohibé à ceux qui les possedoient d' une longue ancienneté de les pouvoir transporter à autres personnes de leur qualité, ains seulement aux Eglises. La teneur de l' article estoit telle. Prohibemus ne Laici Decimas, cum animarum suarum periculo retinentes, in alios Laicos possint aliquo modo transferre, si quis vero receperit, & Ecclesiae non tradiderit, Christiana sepultura privetur. Depuis ce Concil nous n' avons point douté en France qu' il n' estoit plus permis aux gens Laiz de faire nouvelles infeodations de Dixmes, mais est une regle generale que si quelqu'un en possede qui luy soient disputees par un Curé, doit outre sa longue ancienneté alleguer qu' il les possede devant le Concil de Latran, autrement sa prescription, voire de deux & trois cens ans luy seroit inutile: D' autant que toute prescription est bastie sur une possession: & c' est une regle tres-certaine, que le Lay est personne du tout incapable de posseder, & consequemment de prescrire une Dixme. A la suitte de ce Concil, en Mars, 1279. sainct Louys fit un Edict, par lequel il ordonna que si les Dixmes feodales retournoient aux Eglises, elles reprendroient leur originaire nature, sans pouvoir puis apres être possedees par gens Laiz. Edict que nous avons entendu seulement pour les Eglises parrochiales, par plusieurs arrests, & non pour les autres, ausquelles elles ne sont naturellement deuës. Au demeurant, parce que ceste matiere n' est commune, qui voudra être plus amplement informé des regles d' icelle, je le renvoye au docte du Moulin, en son Traicté des Fiefs, chap. 46. Et neantmoins encores vous feray-je part de l' ordonnance de S. Louys telle que je l' ay extraicte du vieux registre de S. Just qui est en la Chambre des Comptes. 

Louys par la grace de Dieu Roy de France. Nous faisons à sçavoir à tous ceux qui sont cy presens, comme à ceux qui sont à venir que nous pour le regard de l' amour divine & pour le salut & remede de nostre ame, & ensemblément pour le salut & pour la remembrance des ames du Roy Louys nostre pere, & de la Roine Blanche nostre mere, & de nos autres predecesseurs. Nous voulons & octroyons que toutes les personnes Layes qui ont la possession des dixmes des autres gens de nostre terre, & en nos fiements qui muevent au mehain ou sans mehain, qu' ils les puissent delaisser & donner ou en quelque autre maniere que ce soit droicturiere & convenable octroïer à Eglises à tenir sans requeste nulle qui en soit faite desormais à nous ne à nos successeurs en telle maniere que nos hoirs ou nos successeurs ne se puissent opposer en nulle maniere encontre nostre octroyement que nous en faisons maintenant, ny empescher de ores en avant. Et a fin que ce soit ferme & estable & permaigne à perdurableté, nous y feimes mettre nostre seel. Ce fut fait en l' an 1279. au mois de Mars.

3. 34. Des Oblats appellez Religieux Laiz.

Des Oblats appellez Religieux Laiz.

CHAPITRE XXXIV. 

Puis que la place de l' Oblat en un Monastere, & les Dixmes infeodees furent anciennement destinees pour ceux qui faisoient profession de la guerre, je ne ferois peut être chose mal à propos, si je les acouplois ensemblément par un Chapitre: toutesfois pour donner temps & loisir au Lecteur de se recueillir, je leur donneray discours & Chapitres divers. Jamais ne fut que les Princes & Republiques n' ayent pris soin de ceux, qui avoient esté rendus impotens par leurs guerres, en faisant service au public. Plutarque dit que Pisistrat ayant usurpé la tyrannie en la ville d' Athenes, ordonna que celuy, qui en la guerre avoit esté mutilé de ses membres, fut tout le demourant de sa vie nourry aux despens de la Chose publique. Ce qui avoit esté autrefois ja encommencé en la personne de Tersippé à la suasion de Solon. Aussi dit Aristote au second de ses Politiques passant plus outre, que tant aux Atheniens, que Milesiens, les enfans mesmes de ceux qui estoient morts pour la Republique, estoient alimentez du public. Et Alexandre le Grand se voyant à la conqueste de Persepoly, apres avoir reduit sous son obeïssance plusieurs pays, se presenterent à luy quatre mil soldats Gregeois, aux aucuns desquels, les ennemis avoient coupé le nez, aux autres les aureilles, aux autres les pieds, le supplians d' avoir pitié d' eux, & de les vouloir dispenser de ce long voyage: Et comme ce Roy estoit & liberal & debonnaire, il fit donner à chacun monture, & bonne quantité de deniers pour retourner en leur païs. Mais eux (dit Quinte Curse) cognoissans qu' il n' y avoit païs tant propre & convenable aux miserables personnes, que la solitude, ores qu' il y en eust quelques uns qui fussent poussez d' un desir de revoir le lieu de leur naissance, si est-ce que la plus grande & meilleure partie fut d' advis de demander à Alexandre lieu propice, auquel esloignez de la veuë de toute la Grece, ils pourroient cacher la deformité de leurs corps. Ce qu' Alexandre leur accorda, & qui plus est leur assigna biens & heritages pour leur nourriture & aliments. Autant en fit nostre bon sainct Louys, pour les trois cens Chevaliers Chrestiens, ausquels les infideles avoient creué les yeux. Ceste mesme consideration a fait entre nous, que s' il se trouve quelque pauvre soldat qui soit demouré estropié de l' un de ses membres au service de la Republique en la guerre, nos Roys ont pleine puissance de leur assigner une place de Religieux, pour leur viure & sustentation en certaines Abbayes, comme n' y ayans lieux plus propres, où se puisse couvrir leur calamité. Tel Religieux est par nous appellé Oblat (N. E: ablatio), ou Religieux Lay, auquel ordinairement les Abbez, ou Prieurs, ordonnent pension à l' arbitrage des Parlemens, plus, ou moins, selon la necessité du temps & saisons. Et sont nos Rois de tout temps en plaine possession de ce faire. Chose à mon jugement qui vient d' une tres-longue ancienneté. Car il ne faut faire nulle doute que du temps de la premiere institution des Abbez & Moines, c' estoient personnes seculieres, qui ne tenoient nul degré en l' Eglise, encore que toute leur profession fut de prier Dieu en leurs cellules. Ce que l' on peut amplement apprendre de plusieurs passages de S. Hierosme, & par especial au livre premier contre Jovinian, où parlant des dignitez Ecclesiastiques, il dit que l' Evesque, le Prestre, ou Diacre sont mots de charge, plus que d' honneur, ne mettant en nul rang les Abbez. Ce qu' aussi nous apprenons de plusieurs Concils, & non seulement nul Moine n' estoit Prestre, mais il estoit defendu aux Prestres de se faire Moines, comme nous apprenons de S. Gregoire au troisiesme livre de ses Epistres en l' unziesme Epistre. Et mesmes lors que l' on appella à l' ordre de Prestrise les Religieux, c' estoit pour une necessité urgente, par faute d' autres personnes suffisantes, comme l' on voit en autre passage de S. Gregoire. Et ce encores avec une grande circonspection, & dispense des superieurs, & Evesques. Et depuis ils eurent permission expresse d' être Prestres par les Concils, & par succession de temps, cela s' est tourné en necessité, estant leur profession monastique unie avec la Prestrise. Or fut ceste premiere institution cause à mon jugement que nos Roys, tant sous la premiere que seconde lignee, ne porterent jamais tel respect aux Abbayes, comme aux Eveschez. Et combien qu' és Eveschez ils estimassent qu' il fallut proceder par Election, & que quelques Concils ordonnassent le semblable pour les Abbayes, toutesfois ils ne garderent ceste Loy si estroitement pour les Abbez. Car mesmes ils les mettoient quelquefois au rang des Vassaux, lors qu' ils decernoient leurs mandements à uns & autres. A ce propos Aymoïn au livre cinquiesme dit que Charlemagne ordinavit per totam Aquitaniam Comites, Abbatesque, necnon alios plurimos, quos vassos vocant, ex gente Francorum, eisque commisit curam regni, prout utile iudicarent. Qui est à dire, qu' il establit par toute l' Aquitaine des Comtes & Abbez, & plusieurs autres que l' on appelle Vassaux, & donna ces charges à des François, pour avoir soing du Royaume, ainsi qu' ils trouveroient bon de faire. Chose qui occasionna nos Roys sous la seconde lignee de tourner ces Abbez en abus, conferans les Abbayes à Capitaines & guerriers. Mais tout ainsi que cela fut trouvé de mauvais, & pernicieux exemple, par les anciens preud'hommes, au contraire jamais vous ne trouverez en l' ancienneté que l' on se soit scandalisé que nos Roys de leur puissance absoluë conferassent les Abbayes, moyennant que ce fut à personnes dignes & recommandables, tant en suffisance, que bonnes mœurs, comme nous recueillons par expres de la seconde partie du Concil tenu à Aix, l' an 833. sous le Debonnaire, où parlant de la fonction & puissance ordinaire des Roys de France, Similiter poscimus (porte le huictiesme article) ut in Abbatissis constituendis, & Rectoribus Monasteriorum, vestrum principaliter caveatis periculum. Semblablement nous vous supplions (dirent les Evesques au Roy) que preniez garde à vostre ame lors que vous constituerez des Abbesses, & des Recteurs, & Gouverneurs de Monasteres. Au Concil tenu dans Paris de ce mesme temps, il avoit esté arresté que quiconque seroit pourveu par les Roys seuls aux Archeveschez & Eveschez, fut declaré inhabile de les tenir: d' autant qu' il y failloit parvenir par Eslection du Clergé, assistee du consentement du Prince: mais icy pour les Abbayes on dicte toute autre leçon. 

Tellement que cela s' estant tourné en un long usage, & d' un long usage en Loy, fut cause que nos Roys se dispenserent plus librement à l' endroict des Abbayes, que des Eveschez. Et tout ainsi que sous la lignee de Martel ils confererent les Abbayes à des Capitaines, quand il leur pleut, aussi estiment quelques-uns que deslors ils se donnerent permission d' y mettre des soldats, au lieu des Religieux, quand il leur vint en fantasie. Et ne s' eslongne pas grandement de ceste opinion, Claude Sceissel en la vie du Roy Louys douziesme, quand il dit, qu' estant au païs de Languedoc en une Abbaye dont je ne me ramentoy du nom, il entendit que les Religieux de ce lieu tenoient de main en main pour Histoire tres-veritable, que Charlemagne fit tuer l' un de leurs Abbez, pour avoir refusé de recevoir dans son Abbaye un soldat, qu' il luy avoit envoyé. Chose qui peut être vraye, toutesfois je croy que ceste invention d' Oblats est principalement deuë à la troisiesme lignee de nos Roys. Et voicy comment. La Couronne de France estant devoluë en la famille de Capet, & les polices tant Ecclesiastiques que temporelles s' acheminans à meilleur train, les nouveaux ordres de Religion, qui lors furent entez par la France sur celuy de S. Benoist, avecq' charges & conditions expresses, que les Abbez seroient esleuz par les Religieux, furent cause qu' il n' y eust plus de distinction, & que de là en avant l' on proceda par Eslection, tant aux anciens Monasteres, que nouveaux. De là sourdirent deux nouvelles polices. Car les Eslections estans surrogees au lieu des Collations, nos Roys voulurent que tout ainsi qu' il n' estoit procedé aux Eslections d' un Evesque sans avoir premierement leur permission: aussi le semblable s' observast aux Eslections des Abbez, comme nous apprenons du testament de Philippes Auguste. Au surplus quittans ce grand tiltre qu' ils avoient de conferer les Abbayes, ils voulurent tourner leur privilege en une aumosne pitoyable, ne se donnans pas permission d' y mettre tel Religieux Lay que bon leur sembleroit, & sans cause: mais cognoissans que le bien des Monasteres n' estoit pas seulement dedié aux Moines, & Abbez, ains que les reparations, & les pauvres y avoient aussi leur part, ils voulurent que si aucun pour leur avoir fait service és guerres, se trouvoit perclus de l' un de ses membres, ils le pourroient recompenser d' une place de Religieux Lay. Quoy faisant c' estoit accommoder & l' Eglise, & le public ensemblément. L' Eglise, en l' excitant à une chose, qu' elle mesme sans aucune semonce du Roy devoit faire. Le public, en le deschargeant de l' obligation qu' il avoit envers ce pauvre soldat estropié, & donnant par mesme moyen courage aux siens de bien faire. Aians seulement retenu nos Roys cest eschantillon, pour être un memorial à toute la posterité de la preéminence qu' ils avoient eu autresfois sur les Monasteres. Et de fait si vous y prenez garde, ils reserverent seulement ce droict d' Oblat sur les Monasteres Electifs, & non sur les autres. Comme si l' on eut voulu dire que puis que la collation, qui appartenoit à nos Rois en ce Monastere, s' estoit tournee en Election: le moindre honneur que l' on pouvoit en ceci faire à nos Rois, estoit qu' ils peussent aumosner une place de Religieux à un pauvre soldat impotent, pour le salarier de ses pertes. Et pour ceste mesme consideration les Abbayes des Religieuses estans aussi originairement en la collation de nos Roys, ils eurent pareillement ce privilege anciennement, de pouvoir colloquer une pauvre Damoiselle en chaque Religion des Nonnains. On trouve un Arrest donné à la Purification nostre Dame 1274. dont la substance estoit telle: 

Cùm dominus Rex utendo suo iure proprio in principio sui regiminis post suam coronationem, in Abbatia sui regni de gardia sua, possit ponere, videlicet in monasterijs monachorum, unum monachum, in monasterijs monialium, unam monialem, ac moniales de Cussiaco in monasterio suo, Abbatissae regimine destituto, recipere non vellent quandam domicellam, quam dominus recipi miserat, dicentes quòd Abbatissa carebant: Ordinatum fuit quòd dicta domicella poneretur in dicta Abbatia, & de bonis ipsius viveret, sed non vestiretur donec creata esset Abbatissa. Depuis je ne voy pas que l' on ait continué ce privilege pour les femmes, mais bien aux hommes seulement, & encores en cas de necessité signalee telle que dessus. Bien est vray aussi que nous passons en cecy plus outre, par les Arrests de la Cour de Parlement, qui a sceu balancer l' un par l' autre: d' autant que le Roy peut mettre un Oblat non seulement és Monasteres de sa garde, & qui sont de fondation Royale, mais aussi en ceux qui sont de fondation Ducale, & Comtale, moyennant qu' ils soient electifs, comme dit a esté, & qu' ils valent de revenu mil, ou douze cens liures pour le moins. Au demourant je ne veux pas oublier que ce seroit grandement s' oublier, qui voudroit maintenant pourvoir les Capitaines & Seigneurs d' Abbaïes, sur ce que j' ay dit, que sur le premier establissement d' icelles, c' estoient gens Laiz, & non Ecclesiastics qui s' y habituoient. D' autant que depuis la necessité du temps a aporté en cecy toute autre discipline que celle-là. Parce que non seulement nous appellons les Abbez & Religieux à l' ordre de Prestrise: mais qui plus est, ils semblent par l' usage commun avoir partagé avecq' les Curez, le devoir commun de l' Eglise, estant demouree aux Curez l' administration des saincts Sacremens, & aux Religieux celle de la parole de Dieu. Et toutes & quantesfois que vous verrez les Rois permettre aux Capitaines, & gens de guerre de iouïr par personnes interposees des biens de l' Eglise, croyez que c' est un Prognostic tres-certain d' une mutation tres-grande de l' Estat, tout ainsi que nous veimes autresfois en ceste France sous la seconde lignee de nos Roys.