samedi 24 juin 2023

4. 1. Du Gage de Bataille dont userent anciennement les François,

LIVRE QUATRIESME.

Du Gage de Bataille dont userent anciennement les François, pour la verification de leurs faicts, & par especial és matieres Criminelles.

CHAPITRE I.

Tout homme de bon entendement, sans voir une histoire accomplie, peut presque imaginer de quelle humeur fut un peuple, lors qu' il lit ses anciens Statuts & Ordonnances, & d' un mesme jugement peut tirer en conjecture quelles furent ses loix, voyant sa maniere de viure. Car à dire le vray, les loix bien ordonnees en un pays, forment aux sujets une habitude de mœurs, qui semble au long aller estre en eux emprainte par la disposition de leur nature. Quand Cyrus Roy de Perse voulut abastardir les Lydiens, qui luy avoyent donné par le passé tant d' affaires, il leur ordonna loix de danses, de femmes, & de cabarets, avec interdiction de toutes sortes d' armes: tellement qu' en peu de temps les hommes auparavant aguerris le possible, commencerent au lieu de leurs glaives, à manier le fuseau exerçans offices de femmes. Et au contraire Lycurge voulant rendre le peuple de Lacedemone duict à tous les travaux militaires, fit en sorte par ses ordonnances que les femmes mesmes estoient plus promptes & dispostes à supporter le faix de la guerre, que plusieurs autres hommes de la Grece. Ayant autresfois entendu par les bouches d' autruy que nos François bannirent à jamais des Gaules les Romains, exterminerent de tout point la famille des Bourguignons, chasserent les Visigots, puis conquirent l' Allemagne, l' Italie, & partie des Espagnes, je presumois en moy-mesme que ceux qui avoient eu charge de leurs loix, avoyent esté sur toutes choses studieux de les nourrir perpetuellement aux armes, leur apprenans à ne faire non plus d' estat d' une mort honorable, que d' une penible vie. Et depuis goustant  à meilleures enseignes nos histoires, je trouvay mon imagination n' estre vaine, & que tout ainsi que volontairement ils s' exposoient au lict d' honneur, aussi estoient toutes leurs anciennes Ordonnances militaires. Je trouvay, pour commencer par le chef, que les Roys arrivans à la Couronne, au lieu des Sacres somptueux, & despensifs, qui depuis furent observez par la France, estoient par les Princes, & grands Barons, portez sur leurs boucliers, ou escussons par le camp, & mis en cette maniere en veuë de toute leur gendarmerie, pour faire entendre à chacun que sur l' appuy des armes ils devoient fonder l' entretenement de leur Estat. Je trouvay qu' aux afiliations (les Latins les nommerent adoptions) qui se faisoient entre les Roys, Princes, & autres grands Seigneurs, ils s' entrepresentoient une hache, donnant par cela le pere à cognoistre à celuy qu' il prenoit à fils, qu' il vouloit que luy succedant en ses biens, il les conservast par le glaive: & de ces institutions militaires est venu que nos Roys sont armez faisans leurs entrees dans Paris. Parquoy voyant toutes ces choses, je ne trouvay trop estrange que la preuve & decision de leurs causes, & specialement Criminelles, despendisent du trenchant de leurs espees. Qui est le subject du present Chapitre.

Je ne veux pas approuver cette forme de Justice: mais tant y a que l' ancienne observance non seulement és matieres extraordinaires, telles que je diray cy-apres, mais aussi en quelques Civiles estoit, de faire entrer en camp clos deux champions par authorité du Juge ordinaire, pour le soustenement de nos droits. Chacun se rendant asseuré de la justice de sa cause, par la decision du combat: Comme si Dieu n' eust voulu octroyer la victoire que la part où estoit le bon droict: & m' esbahy comme cette ancienneté soit passee devant les yeux du Docte Alciat, sans la voir, au traicté qu' il a faict de la Monomachie, luy (dy-je) qui avoit esté plusieurs annees Docteur Regent en l' Université de Bourges. Le premier lieu où je trouve ces combats singuliers avoir esté condamnez, fut au Concil tenu en la ville de Valence 855. sous le Roy Lothaire, où l' on excommunie celuy qui en telles affaires tueroit son ennemy, & declare-l'on le cadaver du tué indigne de recevoir sepulture en terre saincte. Adoncques ce mesme Lothaire qui s' estoit separé d' avecques sa femme Totbergue, pour quelque soupçon d' adultere, vouloit soubmettre le gain de cette cause au jugement de l' espee. Le Pape Nicolas premier de ce nom luy remonstra par lettres, que cette voye estoit contre les ordonnances de Dieu, & non aucunement tollerable. Ce neantmoins les choses depuis se passerent de telle façon, que non seulement les procez se vuiderent à la pointe de l' espee, mais aussi se trouve qu' un point de droit fut jugé par cette mesme procedure au pays d' Allemagne. Le Moyne Sigebert nous raconte qu' il se presenta une question devant l' Empereur Othon I. de ce nom, sçavoir si en succession directe representation avoit lieu, en la resolution de laquelle les Docteurs se trouvans empeschez, il fut trouvé bon de remettre la decision de cette obscurité au jugement des armes, & furent choisis deux vaillans combatans pour le soustenement du pour & du contre. Combat qul succeda si à propos, que la victoire demeura à celuy qui estoit pour la representation, qui fut cause que l' Empereur ordonna que les arriere-fils & filles succederoient à leurs ayeuls & ayeules, avecques leurs oncles & tantes, tout ainsi qu' eussent fait leurs peres & meres s' ils eussent vescu. Cela est esmerveillable: mais vous ne vous esbahirez pas moins quand vous entendrez que quelquesfois la Cour d' Eglise les authorisa. Ainsi le trouverez vous dans Yves Evesque de Chartrès escrivant à l' Evesque d' Orleans: Clerici vestri (dit-il) nuper ad nos revertentes, qui causae Comitis Theobaldi Aurelianis interfuerunt, retulerunt nobis quod quidam miles Domini Radulphi quemdam militem Comitis, ad Monomachiam provocaverit, & hanc provocationem Ecclesia vestra iudicio confirmaverit, & diem peragendae Monomachiae constituerit. Chose dont Yves le reprend aigrement. Et en une autre lettre escrivant à Guillaume Archediacre de Paris, il l' admoneste de tenir la main, à ce qu' on ne decerne Gage de bataille pour une cause pecuniaire. Mais sur tout est fort notable ce qu' il escrit à Raimbert Archevesque de Sens, disant qu' il s' estoit meu pardevant luy une question, entre le Comte Rotrou, le Vicomte de Chartres, & le Seigneur de Courville, pour raison de quelque teneur feodale, où apres avoir ouy les parties, il les renvoya par devers le Juge de la Comtesse de Chartres, d' autant que la matiere estoit disposee de passer par le Gage de bataille. Le texte du passage est tel: Quae altercatio cum aliquandiu durasset, praecipimus iudicium fieri, iudicatumque, quia haec caussa sine Monomachia terminari non poterat, & iudicium sanguinis nobis agitare non liceret, ut utraque pars iret in curiam Comitissae, ad quam talia iudicia pertinebant, & de cuius feudo ista tenebant. Quand je vous allegue Yves Evesque de Chartres, je le vous pleuvy pour l' un des premiers personnages de son siecle, lequel ne s' offence pas trop de cette monomachie, sinon qu' il pense que la cognoissance n' en peut appartenir au Juge d' Eglise, non qu' il estimast que ce fust bien fait: car ailleurs il recognoist que c' estoit offenser Dieu de vouloir sonder ses secrets par telles voyes induës, mais parce que le commun usage de nostre France estoit tel. Il est tombé entre mes mains un livre escrit à la main, dont j' ay deux coppies de mesme substance, portant intitulation. Ce sont les establissement le Roy de France que li Prevost de Paris, & Orliens tiennent en lor plaits. Dans lequel vous trouverez. Nous deffendons bataille par tout nostre Royaume en toute querelle, mais nous n' ostons mie les clains, les respons, & contreclains, ne tous autres contrevenans, qui ont esté accoustumez en Cour Laye jusques à ores, selon les usages de divers pays, fors itant que nous en ostons les batailles, & en lieu des batailles nous mettons preuve de tesmoins, & de chartes. Et peu apres. En querelle de servage cil qui demande homme comme son serf, il fera sa demande, & poursigra sa querelle jusques au point de la bataille: Et en lieu de la bataille, cil qui pruevoit par bataille, pruevera par tesmoins & chartes. Et en un autre endroit. Se aucuns appelle son Seignour de faute de droit, il conviendra que la defaute de droit soit pruevee par bons tesmoins, & leaux tiltres, & non mie par la bataille. Desquels passages on peut recueillir qu' auparavant ces deffenses, il y avoit certaines matieres civiles où l' on employoit pour preuve, l' espee, au lieu de la plume, quand la plume testimoniale ou litterale n' estoit suffisante.

Car quant aux matieres criminelles, le style commun estoit d' user des Gages de batailles, aux delits ausquels estoit question de perte de corps, ou de membre. Ainsi le trouverez vous en la mesme Ordonnance de Paris, & d' Orleans, où apres avoir inseré un long article de l' ordre judiciaire, qui devoit estre à l' advenir observé quand il seroit question d' un meurdre, il adjouste. En itel maniere va len avant querre les cas de haute Ioustice, que nous nommerons, de Trahison, de Rat, d' Arçon, de Larrecin, de Muertre, & de tous crimes, où il y a peril de perdre la vie, ou membres, là où l' on faisoit la bataille, & en tous ces cas devant dits y seront tesmoins amenez. Ce qu' il appelle Rat & Arçon, veut dire Rapt & Incendie. Qui monstre qu' auparavant l' ordre commun de Justice estoit de prouver le crime par le Gage de bataille. La police que l' on y tint apres ces deffenses est telle qu' il est porté par un article, parlant du meurtre. Nous commandons que se aucuns veut appeller aucuns de muertre, qu' il soit ouiz attentivement. Et quand il viendra faire sa clamor, que len ly die, Se tu veux nully appeller de muertre ou de trahison, tu seras ouy, mais il convient que tu te lies à sueffrir mesmes peines que tes adversaires soufferroit se il estoit attaint, & sois bien certain que tu n' auras point de bataille, ains te conviendra pruever par bons tesmoins jurez, & convient que tu en ayes deux pour le mains, & bien amene tant de tesmoins qu' il te plaira à pruever, tant que cuidras qu' aider te doye, & si te vale ce qui te doit valoir: Car nous ne t' ostons nulles prueves qui ont esté reçeuës en Cor Laye, fors le Gage de bataille, & en lieu de la bataille, sçache bien que tes adversaires pourra bien dire contre tes tesmoins s' il veut. Et se cil qui appeller veut quand len ly ara ensy dit, ne veut poursigre sa clamor, laissier la puet sans peine, & sans peril, & s' il veut sa clamor poursigre, il le fera, & aura ses respit, & celuy qu' on appellera aura ses deffenses, & ses contremans selon la coustume dou pays, & de la terre. Et quand vendra au point où la bataille souloit venir, cil qui par bataille prueva se bataille fut, si pruevera par bons tesmoins, & la Joustice ly fera venir ses tesmoins aux cousts de celuy qui les requiert, se ils sont de son pouvoir. Et se cil contre cui les tesmoins seront amenez veut aucune raison dire contre les tesmoins, l' en l' orra. Et se la raison est bonne & aperte, & communément sçeuë, les tesmoins ne seront pas receus. Se la raison n' est communément sçeuë, & elle est niee de l' autre partie, len enquerra les tesmoins de l' une partie, & de l' autre, & seront li dit publié aux parties.

Article qui nous enseigne l' ordre que l' on commença de pratiquer en matiere criminelle, tant en la Prevosté de Paris, que Bailliage d' Orleans. Or le premier des nostres qui deffendit cette police fut S. Louys, & apres luy Philippes le Bel son petit fils, lequel par son Ordonnance de l' an 1303. dit que suivant les traces du Roy S. Louys son ayeul, il deffendoit tous ces Gages, nonobstant toute coustume à ce contraire, qui devoit estre plustost reputee une corruptelle de mœurs, & ce par l' advis de ses Prelats, & Barons. Ce nonobstant encores ne peut-il y apporter si bon ordre qu' il ne fust puis apres contrainct d' y donner quelque relasche: tant a de tyrannie sur nous une coustume de longue main enracinee dans un pays: D' autant que par autre Edit fait en l' an 1306. sur ce qu' on luy donna à entendre que l' on commettoit plusieurs meurtres en cachette, pour la verification desquels on ne pouvoit trouver tesmoins, les meschans se promettans impunité de mal faire par le moyen du precedent Edit: Pour cette cause il permit encores les Gages de bataille, en quatre circonstances concurrans ensemble, que le crime fust de telle suite: qu' il emportast peine de mort, que le fait eust esté commis proditoirement, & tel qu' il fust mal-aisé d' en faire preuve par tesmoins, qu' il y eust quelques presomptions violentes, non toutesfois concluantes encontre le prevenu: & finalement que ce fust chose certaine que le delit avoit esté commis. Depuis ces deffenses generales ainsi faites, il decerna ses lettres Patentes au Seneschal de Tholose, a fin qu' il eust à renvoyer toutes telles causes devant luy au Parlement de Paris.

De pouvoir icy raconter par le menu toutes les solemnitez par lesquelles on y procedoit, ce seroit chose fort mal-aisee, que je ne die impossible, attendu la disette que nous avons de nos Histoires, toutesfois voicy la forme que je trouve avoir esté tenuë au pays de Normandie, ainsi que j' ay tiré de l' ancien Coustumier, qui est le Livre de tous ceux que j' ay jamais leuz, qui nous en baille les plus fideles instructions. Quiconque entreprenoit l' accusation de quelqu'un pour cas qui meritast mort, falloit que tout d' une main il offrist verifier le crime par armes de sa personne à personne. Et estoit tenu l' accusé de comparoir personnellement devant le Juge au jour qui luy estoit assigné, auquel lieu apres avoir entendu la plainte de l' accusateur en termes bien conceuz, l' accusé denioit le fait, sur cela estoient jettez les Gages d' une part & d' autre en plaine justice, & estoit premierement pris par le juge le Gage du deffendeur, puis celuy du demandeur. Dés l' heure les deux champions estoient confinez en la prison du Duc, jusques au jour du combat: & estoit le haut Justicier tenu de leur administrer armes sortables & necessaires. Pouvoient ce neantmoins tous deux estre mis en la garde des gens de bien, qui estoient tenus les representer vifs ou morts au jour du combat. Et si cependant il advenoit à l' un d' eux quelque meschef, les gardes en estoient punis s' ils s' en trouvoient coulpables, portant telle peine que le combattant eust enduré, s' il eust esté vaincu, qui estoit ordinairement de mort ou d' infamie. Ne laissoit toutesfois celuy qui s' estoit rendu fuitif d' estre proclamé à son de trompe & cry public, & à faute de comparoir estoit declaré ou faux denonciateur, ou attaint, & convaincu du cas que l' on luy imputoit. Au demeurant le jour du combat se devoient les deux champions representer devant le Juge avant l' heure de midy, armez à la legere, & falloit qu' ils eussent les cheveux couppez tous ronds au dessus les oreilles, se pouvoient oindre devant qu' entrer en jeu pour avoir les membres plus souples. Là revoyoient-ils leurs demandes & deffenses, y adjoustans ou diminuans, selon ce qu' ils pensoient avoir plus ou moins dit. Puis entroient au camp clos, auquel y avoit quatre Chevaliers pareux esleuz pour la garde d' iceluy. Le surplus du peuple estoit hors la lice. Adoncques se faisoit le cry du Duc, a fin qu' aucun n' eust à nuire en dit, fait, ou signe, à aucuns d' eux: Les deux champions entrez au camp s' entretenans par les mains, s' agenoüilloient, & juroient chacun en son endroict avoir bonne cause. Lors leur estoient demandez leurs noms, & s' ils croyoient pas en Dieu le Pere, le Fils, & le sainct Esprit: & apres avoir dit reciproquement que ouy, le deffendeur disoit: Escoute homme que je tiens (l' appellant par son nom) ce Dieu m' aist, je n' ay point commis le forfait, duquel tu m' accuses: l' autre luy respondant par son nom, luy disoit qu' il en avoit menty. Puis juroient n' user sur soy d' aucunes sorcelleries: Alors l' on bailloit à tous deux leurs armes, & se separoient les quatre Mareschaux du camp, se mettans à l' heure entre eux deux, pendant lequel temps

se mettoient tous deux devotement en oraison. Quoy fait, les quatre Mareschaux se retiroient aux quatre coings du camp, & lors crioit-on par le Duc. Laissez les aller. A laquelle parole decochoient l' un contre l' autre, & joüoient à qui mieux mieux de leurs cousteaux. Le vaincu estoit ignominieusement trainé hors du camp, & pendu à un gibet, ou bruslé, selon l' exigence du cas. Car, & l' accusateur, & l' accusé estoient de mesme loy pour ce regard. Bien est vray que l' accusé estoit de meilleure condition, en ce que s' il n' estoit vaincu quand les Estoilles apparoissoient, il estoit reputé le victorieux, & est chose fort notable & digne de grande recommandation, que je voy avoir esté religieusement gardee par les Normans, lesquels en tous Gages de bataille, permettoient de parler de Paix & la faire par le congé de la Justice en tout temps, jusques à ce que la bataille fust menee à fin, excepté en suite de Trahison, ou de Larcin, comme de crimes trop lasches, & pour lesquels n' y escheoit entre gens de bon cœur, pardon. Toutes ces choses se faisoient quand il y avoit accusateurs: Et quand il n' y en avoit point, & que neantmoins quelqu'un soupçonné par signes ou conjectures poignantes d' avoir commis un delit, estoit apprehendé par justice, il estoit nourry an & jour, en prison, au pain & à l' eau: ce qui estoit fait là, & au cas qu' il ne se soubmist à l' inquisition de Justice: Que si peut estre il s' y soubmettoit, alors estoient appellez sous main les tesmoins, sans les advertir à quelle fin on les appeiloit.

Telle estoit la commune usance qui s' observoit au pays de Normandie és matieres de crime, de laquelle paravanture on peut imaginer au plus pres quelle fut la façon de faire en tel cas par tout le reste de la France. Car encores que les pays & contrees ayent leurs Coustumes locales, toutesfois ordinairement le style & forme de proceder est universel, hors-mis que l' on y adjouste ou diminuë en chaque endroit plus ou moins. Depuis la prohibition generale de Philippes le Bel, s' il s' offroit quelque question de Gage de batailles, les Juges ordinaires eurent les mains closes, & n' y avoit que le Roy en son grand Conseil, ou la Cour de Parlement, qui en peust cognoistre. Et est grandement celebré le combat qui fut accordé par le Parlement en l' an 1386. entre le Seigneur de Carrouges & Jacques le Gris. Et parce qu' en telles affaires on eut recours à gens qui manioient la plume, pour prendre langue & conseil d' eux, aussi on y trouva des subtilisez, ou pour mieux dire des chiquaneries. De là vint que l' on disputa si un homme ayant appellé un autre au combat, jettoit son Gage en Justice, il estoit permis à autre que sa partie adverse de le relever, & si pour l' avoir relevé il n' encouroit point l' amende. De là, un homme estant appellé pour un delit, ne donnant un dementir à celuy qui le provoquoit, si par ce defaut il prejudicioit à sa cause, comme confessant taisiblement le crime. Sur quoy furent donnez deux Arrests rapportez par Jean Gallus en la premiere partie de ses Decisions: & d' une mesme main on apprenoit au demandeur à se donner garde de mesprendre. Et pour cette cause il devoit sur toute chose se garder de conclure à tuer, & vaincre le deffendeur. D' autant qu' il se fust obligé à tous les deux. Qu' il protestast de combattre de sa personne à personne, ou par advoüé. 

Car n' adjoustant ce mot advoüé, il se fust necessité au combat de sa personne. Qu' il declarast entendre combattre à pied ou à cheval: autrement il ne se soubmettoit qu' à l' une des deux conditions. Apres lesquelles conclusions, l' Advocat du deffendeur proposoit ces communes demarches, que l' on appelle en l' escrime de pratique, Declinatoires, & Dilatoires, & empeschoit par tous moyens que le crime ne tombast au hazard du combat. Et neantmoins s' il accordoit liberalement d' y descendre, falloit premier que faire aucune offre de combattre, qu' il niast le fait qu' on luy imputoit, a fin qu' il ne semblast l' avoir confessé. Et davantage ne falloit qu' il conclust non plus que le demandeur à rendre son ennemy vaincu & mort: parce qu' il fust entré en obligation de s' acquiter de l' un & de l' autre: Et neantmoins entant qu' à luy estoit, il suffisoit qu' il se maintint sain & sauve, sans estre vaincu jusques au raiz de la nuit. Car en ce cas il estoit estimé estre arrivé au dessus de la victoire. Celuy qui sera soucieux d' entendre par le menu toutes les particularitez des demandes & deffenses, pourra lire le vieux style de Parlement.

Toutes lesquelles subtilitez ont esté depuis retranchees: Car aussi n' y a il plus que le Roy qui puisse decerner les combats, & encores entre Gentils-hommes, lesquels font profession expresse de l' honneur. Car il n' est plus question de crime, ains seulement de se garantir d' un desmentir, quand il est baillé. En quoy les affaires se sont tournees de telle façon, qu' au lieu où les anciens accusans quelqu'un, le deffendeur estoit tenu de proposer ses deffenses par un desmentir, ny pour cela il ne perdoit pas sa qualité de deffendeur. Au contraire si j' impute aujourd'huy quelque cas à un homme, & qu' il me desmente, je demeure dés lors l' offensé, & faut que pour purger ce desmentir, je demande le combat. Tellement que mon ennemy n' est plus fondé que sur la deffensive. Ayant un grand advantage sur moy. Parce que pour joüer le personnage de deffendeur, il a le choix des armes, & moy seulement du champ de bataille: & se peut aguerrir sous main à telles armes qu' il luy plaist, dont il me saluë à l' impourveu le jour du combat. Qui n' est pas un petit advantage pour luy: Et ainsi le veismes nous pratiquer en l' an 1547. au combat de Jarnac, & la Chastigneraye, au parc de S. Germain en Laye devant le Roy Henry II. Cela est cause, que combien que les Advocats ne soyent plus appellez en telles matieres, si est-ce que tous ces Messieurs qui traittent les armes, apportent une infinité de sophistiqueries, pour faire tomber le desmentir sur leur ennemy, a fin s' il est possible que le choix des armes demeure par devers eux.

3. 38. Quelle compatibilité il y a entre la profession des Jesuites,

Quelle compatibilité il y a entre la profession des Jesuites, & les regles tant de nostre Eglise Gallicane, que de nostre Estat.

CHAPITRE (XLIV) XXXVIII. 

Quand je plaiday cette grande cause, en ce boüillon d' action, inspiré d' une plus haute chaleur, il m' advint de dire que les Jesuites ouvriroient quelque jour la porte aux troubles de la France, entre le Catholic Romain, & le Catholic François: Toutesfois depuis refroidy par leurs deportemens exterieurs, par lesquels ils faisoient contenance de n' avoir autre but en leurs ames, qu' une devotion Chrestienne, escrivant au Seigneur Foussomme, l' un de mes premiers compagnons d' escole, comme le tout s' estoit passé au Parlement entre l' Université de Paris, & eux, je fermay ma lettre par ces mots. Quant à moy je n' estime point que les Huguenots ayent de petits adversaires en ceux-cy: Comme ainsi soit qu' entre toutes les Religions, la Chrestienté se doive gagner par prieres envers Dieu, exemples, bonnes mœurs, & sainctes exhortations, envers le peuple & non par le tranchant de l' espee. Paroles qu' expressément j' adjoustay, par ce que le Huguenot defendoit lors sa cause par les armes au milieu de cette France. Depuis voyant que les Jesuites ne m' avoient rendu menteur en mon prognostic, ayans esté les premiers boutefeux de nos troubles de l' an 1585. contre le feu Roy Henry troisiesme, Prince tres Catholic entre tous les Roys Catholics: Mesmes que depuis la reduction de nostre grand Roy Henry quatriesme, sous l' authorité du sainct Siege ils avoient attenté par deux fois contre sa vie: l' une pendant la trefue de l' an 1593. à Melun, par la Barriere, à cela guidé tant par les instructions de Varade, lors Recteur des Jesuites de Paris, que du Pere Jacques Commolé son compagnon: L' autre dedans Paris en pleine paix, par Jean du Chastel rejetton de leur Seminaire sur la fin de 94. je recognoistray franchement que la patience m' eschappa, quand j' augmentay mes Recherches. En l' an 1560. je fis imprimer le premier livre: & en 62. le deuxiesme. En l' an 1596. j' y en adjoustay quatre autres, & glassay sur la fin du troisiesme, les deux chapitres precedans: En cette presente annee 1606. qu' ils sont r'imprimez, j' y adjouste de plus cettuy-cy: Non pour haine que je leur aye voüee, & j' en appelle Dieu à tesmoin, ains pour l' amitié que je porte à ma patrie. Je veux qu' au peu de vie qui me peut rester dedans une longue ancienneté de mon aage, chacun cognoisse que je luy rends le devoir auquel je suis obligé. Nous avons certaines regles par lesquelles nostre estat s' est de tout temps, & fortement, & prudemment, & sainctement entretenu sous l' authorité du sainct Siege: les Jesuites ont les leur, par lesquelles en peu de temps ils se sont infiniment agrandis, sous la mesme authorité, & singulierement dedans Rome. Grandeur que je leur veux envier, moyennant qu' ils ne s' advantagent au desadvantage de nous. Tout bon & fidelle Chrestien doit souhaitter, que nous & eux combatans par commun vœu, la doctrine de Martin Luter, & Jean Calvin, sous la banniere de nostre sainct Pere de Rome, symbolizions au demeurant en toutes choses, & ne soyons bigarrez en propositions, qui engendrent au long aller les Schismes, à la ruine non seulement des Republiques, mais aussi de l' Eglise generale & Universelle. Grandement me plaist la leçon que j' appren d' eux, quand en exhortant leurs confreres, ils disent. Idem sentiamus, idem dicamus omnes, Doctrinae differentes non admittantur, nec verbo, in concionibus, vel lectionibus publicis, vel libris. Je les somme de vouloir pratiquer en cette France avecques nous, ce qu' ils desirent estre observé entr'eux. Je veux mettre sous pieds le maltalent que la souvenance de nos derniers troubles nous peut apporter, dont ils se recognoissent par leurs livres avoir esté les premiers autheurs. Quant à moy je veux imputer ce malheur à nos pechez, quoy que soit à une Ordonnance tres-expresse de Dieu, pour nous admonester de mieux viure.

Si leur profession est telle qu' ils trompettent, si leur congregation est plus approchante que toutes les autres de l' Eglise que Jesus Christ voulut bastir au milieu de ses Apostres, pour laquelle cause ils se donnerent le titre particulier de la compagnie de Jesus. Hé! vrayement je ne me puis assez estonner dont vient qu' à leur advenement en l' an 1554. lors que l' on brusloit sans respit tous ceux qui se desvoyoient de l' Eglise Catholique, Apostolique, & Romaine, ils furent condamnés avec paroles tres-aigres, par la venerable faculté de Theologie de Paris, vraye touche de nostre foy. Je vous ay tout au long representé mon Plaidoyé, sa censure. J' adjouste que nostre Eglise Gallicane estant assemblee à Poissy, où ce sage Cardinal de Tournon presidoit comme Archevesque de Lyon, & Primat de France, secondé par le grand Cardinal de Lorraine Archevesque de Rheims, tous deux ennemis capitaux de l' heresie moderne, toutesfois par leur sentence decretale, donnee par les voix, & suffrages communs de toute l' assemblee des Prelats de France, au rapport de l' Evesque de Paris, le 15. Decembre, 1561. cette compagnie de Jesus receut pareille condamnation, non veritablement avec telles paroles d' aigreur, mais de mesme substance: Par laquelle leur est expressément defendu de prendre cette qualité de la Societé de Jesus, ny de viure comme Religieux, ains comme escoliers qui seroient reglez sur le pied general des Universitez de la France. Decret depuis confirmé par la Cour de Parlement de Paris. Je recognoistray que poursuivans en l' an 1564. d' estre admis au corps de l' Université de Paris, la cause fut appointee au Conseil par le Parlement pour la consequence. Mais tant y a qu' eux mesmes recognoissent que lors par un conflus de mesmes volontez, ils eurent neuf parties, qui leur firent teste: l' Université de Paris en son general, la Faculté de Theologie en son particulier, l' Evesque de Paris, le Gouverneur, tous les Curez, les quatres Ordres des Mendians, les Hospitaux, l' Evesque de Beauvais, & l' Abbé de saincte Geneviefve, tous deux anciens conservateurs des privileges de l' Université. Il n' y avoit pas quinze mois passez, que nous avions bruslé à l' envy, les chaires, & bancs du Patriarche, & Popincourt (maisons ausquelles les Huguenots avoient exercé leur Religion) fait decapiter Gabaston Chevalier du Guet, pour s' estre rendu leur protecteur, & pendre les Cagers pere & fils, gonfanonniers de leurs entreprises. Se peut-il faire qu' en si peu de temps, tant de Compagnies & Seigneurs eussent tourné leurs robbes, & voulu guerroyer à yeux bandez ceux qui se vantoient estre Champions du S. Siege, pour le defendre contre tous ceux qui le voudroient attaquer, & qu' à ce faire ils n' eussent esté induits que pour une apparence insolite d' une nouveauté, sans aprofondir leurs merites, ou demerites? Non vrayement: mais au contraire ayans les yeux plus aigus que nous, ils recogneurent que la grandeur de cette nouvelle compagnie seroit bastie sur la ruine de nostre estat. Et voicy comment. Par les choses qui ont esté par moy cy-dessus discouruës & verifiees, vous avez entendu.

I. Que nous recognoissons en cette France dés le bers de nostre Religion Chrestienne, nostre S. Pere le Pape pour Chef, Primat, & Pere des Peres de l' Eglise Catholique & Universelle.

II. Mais toutesfois sous condition que nos Roys ne peuvent estre par luy excommuniez de sa puissance absoluë.

III. Qu' il ne peut interdire nostre Royaume de France. 

IV. Moins encores le transferer d' un main à autre.

V. Qu' il n' a aucune jurisdiction & authorité sur le temporel de nostre Royaume.

VI. Que quelque grandeur qui reside en luy, il ne peut rien entreprendre au prejudice de nos Ordinaires, qui tiennent la puissance, non de luy, ains de nostre Seigneur Jesus Christ, lors que montant aux Cieux, il commanda à ses Apostres, desquels ils sont successeurs, d' espandre par tout l' Univers la semence de sa saincte doctrine.

VII. Que son Legat, que l' on appelle à Latere, qu' il envoye selon les occasions en France, n' a aucune puissance chez nous, qu' elle ne luy soit auparavant accordee par le Roy, & verifiee par les Cours de Parlement souveraines, chacune, aux destroicts de leur jurisdictions.

VIII. Que si le Pape entreprend quelque chose au prejudice de ce que dessus, il nous est loisible d' appeller comme d' abus, non veritablement de luy, pour l' honneur & reverence que luy portons, mais bien de l' execution de ses Bulles, en quoy nous apportons encores telle soubmission, que ne la qualifions pas execution, ains fulmination, comme procedant d' une main plus haute que de tous les autres Potentats.

IX. Que le Concil general est par dessus luy.

X. Et ores qu' il soit dessus luy, toutesfois nous ne le recevons en France, là & au cas qu' il entreprenne sur les droits ou de nos Roys, ou de nostre Eglise Gallicane.

XI. Et c' est pourquoy nous admettons fort bien en France le Concil de Trente, en ce qui concerne les articles anciens de nostre Foy, mais non la nouvelle discipline que l' on y a voulu apporter: Le tout pour les raisons par moy plus amplement cy-dessus touchees.

Voila la Foy generale que nous gardons de tout temps & ancienneté en cette France, pour laquelle nous ne fusmes jamais estimez heretiques, au contraire nos Rois entre tous les Roys ont esté tenus pour fils aisnez de l' Eglise Romaine: Et vivans en cette façon, avons non seulement maintenu vertueusement en son entier nostre Estat, mais celuy mesme du S. Siege, lors que quelques premiers Prelats voulurent abuser de leurs dignitez.

XII. J' adjousteray une chose dont je n' ay parlé en ce livre pour ne s' en estre l' occasion presentee: Qu' il n' est permis aux communautez Ecclesiastiques posseder biens temporels & les unir à leurs tables, soit par donations entre vifs, ou testamentaires, ny par acquisitions, sans la permission expresse du Roy, lequel peut s' il veut leur enjoindre d' en vuider leurs mains, a fin que ces biens ne tombent point en mainmorte. Que s' il leur veut permettre d' en jouyr, anciennement c' estoit à la charge de luy en laisser le tiers par l' ordonnance de Charles sixiesme de l' an 1402. Charge qui par succession de temps a esté reduite au revenu de trois anees pour le moins: Et c' est ce que nous appellons Amortissement, dont Messire Gille le Maistre premier President au Parlement de Paris, a faict un beau traicté, tiré des Archifs, & Memoriaux de la Chambre des Comptes de Paris.

Toutes ces propositions & maximes ne plaisent à ceux qui sont habituez en la Cour de Rome. Les Papes ont leurs Decretales, par lesquelles ils soustiennent estre non seulement Primats generaux de l' Eglise, ains Princes temporels & spirituels de toute la Chrestienté. Comme de faict par la Bulle du Jubilé de l' an 1600. du feu Pape Clement huictiesme, sainct Pierre, & S. Paul, desquels ils sont successeurs, sont appellez Princes de toute la terre. Nous n' approuvasmes cette clause, & neantmoins embrassames avec une devotion admirable ce grand & sainct Jubilé. Ce fondement de Principauté passé en forme de chose jugee dedans Rome, toute voye leur est ouverte au prejudice de nos anciens droicts. Et ne doutent point qu' ils ne puissent excommunier tous Roys, & tous Empereurs, interdire leurs Royaumes & Empires, & les transferer d' une main à autre, toutes & quantesfois qu' ils le trouvent bon. Qu' ils sont dessus les Concils generaux, que les Patriarches, Archevesques & Evesques despendent d' eux en tout & par tout, comme estans leurs Vicegerents. En consequence dequoy ils peuvent charger leurs dioceses, quand ils veulent. Que le Concil de Trente doit estre receu sans aucun retranchement. Et finalement que c' est directement combatre la liberté ancienne Ecclesiastique, de mettre bride aux acquisitions qui peuvent estre faictes par les Eglises, ou en faveur d' elles. Et c' est ce grand differant qui court aujourd'huy entre l' Estat de Rome & de Venise, & pour lequel nostre sainct Pere le Pape Paul cinquiesme a interdit la Seigneurie de Venise par ses Bulles du dix-septiesme Avril 1606. Ausquelles les Venitiens ont respondu par un manifeste sous le nom d' un Theologien. Et à la mienne volonté que pour eviter un scandale, tout cela fust ensevely dedans le cercueil d' oubliance. Ce qui rend les Jesuites plus recommandez dedans Rome, est l' obeïssance aueuglee qu' ils rendent au sainct Siege, par eux appellee Obedientia caeca, qui m' estoit incogneüë quand je plaiday la cause contr'eux, parole Latine plus fascheuse à digerer que celle dont on use en François. Et pour cette cause leur sage Richeome en son Apologetic l' appelle Obeïssance aueuglée, comme celle qui n' eut jamais lumiere en ce subject pour voir si ce qui leur estoit commandé estoit, ou bien ou mal faict: Et leur bon Ignace l' appelloit une sage folie. Obeïssance qu' ils promettent rendre à sa Saincteté entrans en cette compagnie, à un seul clin d' œil sans parole, tout ainsi comme en nostre Seigneur Jesus Christ, voire à ce commandement de ne se donner le loisir de parachever une lettre encommencee, mais d' y obeïr tout œuvre cessant, despoüiller son propre jugement pour espouser celuy de nostre sainct Pere le Pape, & se laisser emporter à cette obeïssance, tout ainsi que le corps mort ou le baston par celuy qui le manie. Je ne dy rien qui ne soit par leurs constitutions Latines plus estroittement ordonné. Et est l' un des premiers vœux ausquels ils s' obligent entrans en leur Religion. Regle que Ignace de Loyola leur autheur leur soustenoit devoir estre si stable, comme j' ay dict en mon plaidoyé, que si au milieu d' un orage le Pape luy eust commandé d' entrer en un petit esquif sans gouverneur, il se fust tres-volontiers exposé, & que le semblable devoit estre fait par les siens. Bref leur principale ambition est d' estre recogneus pour les premiers & fidelles vassaux de la Papauté. Et pour cette cause à chaque mutation de Pape, leur General renouvelle entre ses mains nouveau serment de fidelité. Il ne faut doncques point faire de doute qu' ils approuvent tout ce que les Decretales attribuent à la Papauté, ores qu' elles tendent à l' eversion generale des propositions par lesquelles nous avons soustenu nostre Estat.

Chose qu' ils ne dissimulent nullement par leurs livres. Par ce que Montaigne soustient que le Pape peut transferer tout Royaume à qui luy plaist, quand il le trouve le devoir faire. Qui dit tout n' en excepte pas un, ny par consequent le nostre. Mais un nouveau gladiateur & escrimeur à toute outrance, des leur, a voulu renvoyer dessus luy, descochant particulierement ses flesches contre nostre Roy à present vivant, & contre nostre Royaume. Celuy dont je parle est un Carolus Scribanus Recteur des Jesuites d' Anvers, lequel sous le nom de Clarus Bonarsius, (qui est l' anagramme du sien) a faict trois livres Latins qu' il intitule Amphitheatrum honoris, & moy je l' appelle l' Amphitreatre d' horreur: par ce que dés le titre mesme il le recognoist estre un couppe-gorge de tous ceux qui n' adherent à leur saincte Societé, lesquels il soustient estre Calvinistes. Quoy faisant il reduit grandement au petit pied l' estenduë du sainct Siege de Rome. Par ce qu' il y a une infinité de gens de bien & d' honneur, tres-Catholiques, qui abhorrent sur toutes choses les Jesuites. Or cette sage teste sur le chapitre 12. de son premier livre met ce tiltre.

Calvinista. Societas evertit Galliae Regnum, cum docet Pontificiam excommunicationem in Galliae Reges validam.

Societas. Magnorum impetigini nescit adulari, non dignitati decrescere, frontem expandit, ut calamum, nulli subjecta, quare nec quicquam adscribit Pontifici non testatum omni memoria.

Et sur se pied continuë d' une longue enfilure son theme, faisant le procez a nostre ancienneté immemoriale, à cette grande Cour de Parlement de Paris, aux traictez, par nous faits avec les Princes estrangers, & par especial à nostre grand Roy Henry IV. du nom. Mais comme il advient ordinairement que les Jesuites meslans les affaires d' Estat avec leur Religion, se trouvent toutesfois de vrais escoliers nourris en la poussiere de leurs Colleges, aussi s' est trouvé le semblable en cestuy, lequel en deffendant la grandeur du Pape contre nos Roys, luy fait toutesfois en cet endroit son procez, plus qu' à nous. Car estimant que sous la proposition par nous mise en avant, que nos Roys ne peuvent estre excommuniez par le Pape, nous leur laschions toute bride à mal faire, pour desmentir nostre proposition. Voicy le premier mets dont ce Jesuite nous sert.

Neque ego hic alijs verbis utar, quam primi Galliae melioris vitae parentis (il entend parler de sainct Remy Archevesque de Rheims) ille nos doceat quid possit Episcopus in Galliae Regem. Si Regium genus quod ad honorem sanctae Ecclesiae & defensionem pauperum, una cum fratribus meis, & Coepiscopis omnibus Germaniae, Galliae, atque Neustriae, in Regiae Maiestatis culmen, perpetuo regnaturum elegi, baptizavi, à fonte suscepi; donoque sepriformis spiritus consignavi, & per eiusdem sacri Chrismatis ordinavi in Regem. Si inquam aliquando genus illud Regium, per benedictionem meam toties consecratum, mala pro bonis reddens, Ecclesiarum Dei perversor, destructor, depopulator, gravis aut contrarius existere voluerit, convocatis Rhemorum Episcopis, primum moveatur, & deinde Ecclesia Rhemensis, adiuncta sibi sorore Ecclesia Trevirensi, iterum conveniat: tertio vero Archiepiscopis tribus, aut quatuor convocatis, princeps ille quicumque fuerit admoneatur. Quod si deinceps incorrigibilis contumaciae spiritum non deposuerit, & se per omnia Deo subdens benedictionibus Ecclesiae participare noluerit, elogium segregationis à Christi corpore ei ab omnibus porrigatur, totumque quod in persona Iudae traditoris Domini nostri Iesu Christi cantare solet Ecclesia, per singulas et decantetur Ecclesias, fiantque dies eius pauci, & principatum eius accipiat alter. Beau passage certainement que ce Jesuite nous met en main, par lequel j' apprends que nos Roys peuvent estre excommuniez, non par le Pape (car il n' en faict aucune mention) ains par nostre Eglise Gallicane seulement, & non encores en toutes occurrences de fautes, mais quand ils se voüent à la ruine des Eglises de Dieu. Voila comment nos nouveaux Jesuites faisans semblant d' honorer le sainct Siege, pour s' aggrandir, le ruinent de fonds en comble. Mais quant à nous autres François qui sommes les vrais, legitimes, naturels & anciens enfans de l' Eglise Catholique, Apostolique, Romaine, & non nouvellement adoptez, nous en usons tout autrement. D' autant que nous ne denions pas que nos Roys ne puissent estre censurez, ny pareillement que le Pape ne puisse estre de la partie en telles censures (comme toutesfois le Jesuite l' en forclost par ce passage) mais bien qu' ils ne le peuvent estre de la main absoluë du seul Pape. Et comment doncques? C' est qu' avec son authorité, on y interpose celle de nostre Eglise Gallicane: tout de la mesme façon qu' il fut fait contre Lothaire Roy d' Austrasie, sous Nicolas premier du temps de la seconde lignee de nos Roys, & contre le Roy Philippes premier de ce nom sous Urbain II. En la troisiesme lignee, ainsi que j' ay touché cy-dessus plus amplement.

Or comme les Jesuites sont sans frein, & se laissent emporter à la mercy de leurs plumes, aussi ce grand gladiateur, pour ne laisser son Amphiteatre oiseux & en friche, apres sa premiere demarche, entre en une seconde, qui est que les Roys de France peuvent estre non seulement privez de leur Royaume, mais de leurs vies par leurs subjets, selon la diversité des occasions & circonstances. Leçon certes brutale, monstrueuse, & digne d' un esprit Jesuite, qui a pris sa nourriture entre les sauvages des Indes: mais non d' un cœur Noble & genereux du François; que les estrangers ont honoré de cet Eloge particulier. Francis id proprium ac peculiare, nullos unquam externos pati Principes, suos autem usque adeo amare & colere, ut pro eorum dignitate ac Maiestate tuenda, non opes tantum, sed vitam ipsam profundere possint. Je vous laisse à part, que tout ainsi que le Diable ne manque jamais de passages de la saincte Escriture, mal pris pour surprendre la conscience d' une ame foible, aussi ce grand Atheologien pour revestir sa detestable opinion de quelque pretexte, s' aide de quelques exemples du vieux Testament. Se donnant bien garde d' avoir recours au nouveau, qui doit estre le guide & fanal de nos deportemens: Au demeurant ne pensez pas que ce Jesuite d' Anvers, qui a l' esprit à l' envers, soit seul entre les Jesuites de cet advis. C' est une cabale dont ils font trophee. L' un des plus signalez Peres de leur Societé est Emanuel Sa Docteur en Theologie, lequel se vante en ses Aphorismes de Confession, avoir esté quarante ans entiers, à nous fabriquer ce Sainct œuvre, qu' il estime indubitable en ses propositions, puis qu' il les appelle Aphorismes. Voyons doncques quelle est la leçon qu' il nous enseigne sur ce propos.

13. Rex potest, per Rempublicam privari ob tyrannidem, & si non facit officium suum cum est aliqua caussa iusta, eligi potest alius à maiori parte populi. Quidam tamen solam tyrannidem putant.

14. Tyrannicè gubernans lata sententia potest deponi à populo, etiam qui iuravit ei perpetuam obedientiam, si monitus non vult corrigi.

De ces maximes ils font gloire: car l' un de leurs plus favoris, Petrus Mathaeus leur donne pour premiere loüange ces deux mots. Tyrannos aggrediuntur. Passage amplement commenté par Montaigne, en sa Verité defendue, où pour donner air à cette proposition, il faict les distinctions d' entre les vrais Rois, & Tyrans. O pauvres Roys qui de toute ancienneté, par privilege exprez de Dieu, donnez la Loy à vos sujets! Combien est aujourd'huy vostre condition miserable, puis que sur les instructions & memoires de ces nouveaux Sires, vos peuples ont non seulement jurisdiction ordinaire, mais extraordinaire sur vous. Et feront desormais une anatomie de vos actions, pour sçavoir si estes dignes, & de regner, & de viure. Comme ils estiment cette proposition indubitable, & vray Aphorisme d' Estat, aussi luy ont-ils plusieurs fois voulu faire sortir effect contre la deffuncte Royne Elizabeth d' Angleterre, uns Campian, Parry, Squirre, & de fraische memoire contre leur Roy à present regnant par Garnet, & sans sortir des limites de nostre Royaume, deux fois encontre nostre grand Roy Henry. La Theologie Gallicane n' est point carnaciere: Elle nous enseigne d' obeyr à nos Roys, soient bons ou mauvais (encores que graces a Dieu, nous n' en ayons jamais euz, que de bons.) Leçon qu' elle a apprise du Sage dedans ses Proverbes, de sainct Pierre en sa premiere Epistre, de sainct Paul aux Rom. à Titus, à Timothee: du Prophete Baruth parlant à Nabuchodonozor, que Dieu avoit faict tomber en sens reprouvé * du bel exemple de David persecuté à tort par son Roy Saül. Nous estimons que tels que Dieu donne les Princes Souverains, tels les faut-il recevoir par les sujets, sans entrer en cet examen, s' ils sont Roys ou Tyrans. Que celle-là est la vraye doctrine de Jesus-Christ, lequel interrogé par Pilate, s' il ne cognoissoit pas avoir toute puissance sur luy, respondit: Tu ne l' avrois pas, si elle ne t' estoit donnee d' en haut: Pilate meschant entre les meschans, besongnoit soubs l' authorité d' un Tibere Empereur Payen, qui ioüyssoit de l' Estat de Rome, au prejudice du peuple Romain. Toutes-fois sans entrer en cognoissance de cause, ny de la qualité Payenne de l' Empereur, ny de son induë  usurpation, il fit joug: parce que cette puissance luy estoit octroyee de Dieu. Aussi fut par le Concil de Constance, à l' instigation de nostre grand Gerson, Chancelier de l' Université de Paris, celuy-là declaré heretique qui soustenoit estre permis au sujet de tuer son Roy exerçant tyrannie, quelque serment de fidelité qu' il luy eust fait. La Compagnie des Jesuites remua nostre Estat en l' an mil cinq cens quatre-vingt cinq, par ses pratiques, & quelque temps apres ces mal-heureux Livres d' Emanuel Sa, & Petrus Mathaeus furent exposez en lumiere, pour enseigner sous faux tiltre leur detestable leçon aux François. Et à tant vous voyez par cecy la Prophetie de nostre venerable Faculté de Theologie de Paris accomplie, quand par sa censure elle predit, que cette nouvelle Secte priveroit injustement les Seigneurs, tant spirituels que temporels de leurs droicts, & exciteroit plusieurs troubles, partialitez & divisions parmy les peuples.

Mais recognoissons, s' il vous plaist quelle est la suitte de ce beau livre d' Emanuel: Nous ne feismes jamais de doute en cette France, que le peuple François, de quelque qualité qu' il fust, je veux dire, ou Seculier ou Ecclesiastique, estoit naturel subject de nos Roys: verité est, que l' Ecclesiastique commettant quelque delict, que nous appellons Commun en practique, on luy faict quelques passe-droicts en faveur de l' Eglise: Mais aux crimes, & specialement à ceux qui touchent le haut poinct, comme quand ils machinent contre le Roy ou son Estat, nous ne doutasmes jamais, qu' ils ne fussent reputez crimineux de leze Majesté, & comme tels ne peussent estre exemplairement chastiez, tout ainsi que les gens Laiz, tant par nos Juges Royaux, que Cours souveraines. Chose entre nous tant privilegee, que combien que le Confesseur ne doive en aucune façon reveler ce qui luy a esté dict en Confession, toutesfois il est tenu de venir à revelation de cestuy, autrement il encourroit le mesme crime de leze Majesté. Salus populi suprema lex esto. Du salut de nostre Prince depend le salut general de nous tous. Faisons doncques derechef entrer sur l' eschaffaut ce grand Theologien Jesuite, qui a basty ses Aphorismes par l' ordre Alphabetic.

15. Clerici rebellio in Regnum non est crimen laesae Maiestatis: quia non est subditus Regi.

16. Cognito magno Reipub. periculo per confessionem, sufficit generaliter monere ut caveatur. Potest & is cui paratum est malum moneri, ut caveat tali loco, & tempore, modo non sit periculum ut perdatur poenitens.

Considerez je vous prie en quel piteux desarroy nous mettent ces nouveaux Religieux d' Estat, qu' ils ayment mieux que le Roy & son Estat se perdent, que celuy qui se dispose de les perdre. Et introduisent entre nous une espece de gens qui ne peuvent estre declarez crimineux de leze Majesté, conspirans contre sa Majesté dedans son Royaume. Ces quatre dernieres propositions frappent ouvertement, tant contre le Chef, que le gros de nostre Estat. Ce que je representeray cy-apres, ruine la police commune de la France. Repassons encores sur ces Aphorismes.

17. Clerici familia eiusdem est cum ipso fori. 

18. Clerici bona possunt per iudicem Ecclesiasticum confiscari, in casibus in quibus Laici, sic per leges puniuntur. 

19. Clericus ob falsum testimonium coram iudice saeculari non potest per eum puniri.

20. Clericus percussus à Laico, potest agere coram iudice Ecclesiastico.

21. Clericus potest uti consuetudine & Statuto Laicorum ad suam utilitatem. Voulant dire que la coustume ne le lie s' il ne luy plaist.

22. Episcopus potest sub poena excommunicationis cogere sibi exhiberi testamenta defunctorum, eamque exequenda curare.

23. Episcopus potest imponere Beneficio quod confert pensionem ad alendum pauperem Clericum.

24. Foemina non solet succedere in feudo.

25. Intestato Clerico non habenti cognatos, succedere debet Ecclesia cui serviebat, sed fortè iam succedit Camera Apostolica.

26. Ad supplicium ductus Reus non tenetur fateri quod male negavit, nisi alioqui grave damnum sequeretur. 

27. Reus non est cogendus à Confessore fateri crimen.

Le Cardinal Bellarmin en son traicté de l' Exemption des Ecclesiastics, cha. I. Propositions 3. & 4.

28. Non possunt Clerici à Iudice saeculari iudicari, etiam si leges civiles non servent.

29. Bona tam Ecclesiastica, quàm secularia Clericorum libera sunt à tributis Principum saecularium.

Toutes propositions qui derogent formellement au droict commun de nostre France: & leur donnant cours c' est bouleverser nostre Estat. Mais sur tout je vous prie de considerer de quelle consequence est l' impieté des vingt sixiesme & vingt septiesme articles. De soustenir que celuy qui est prest de rendre son ame en l' autre monde, ne soit tenu à sa mort de recognoistre pardevant le Magistrat, la verité qu' il avoit faussement deniee: & que son Confesseur le doive adstraindre de le recognoistre.

C' est à dire qu' il donne absolution à celuy qu' il voit emporter avecques soy un peché mortel & criminel devant Dieu. Les Jesuites preschent aux Eglises, instituent toutes sortes de personnes dedans leurs Colleges, peuvent faire imprimer leurs livres sous l' adveu de leur General, & sur tout sont Maistres passez en matiere de Confessions. Bon Dieu! quelles poisons peuvent-ils semer en public parmy le peuple, par leurs presches, leçons, & livres: & beaucoup plus en particulier par leurs Confessions à l' endroit d' une pauvre conscience timoree, qu' ils meneront à baguette par leurs foudroyantes menaces? Je sçay bien que quelque flagourneur Jesuite, qui aura l' oreille de son Maistre, desadvoüera les livres par moy cy-dessus touchez, comme discours d' uns & autres particuliers des leurs, qui ne peuvent prejudicier à toute leur Compagnie. Car pour bien dire, le desadveu leur est autant familier, que de publier à face eshontee leurs conceptions. Mais à cecy je responds, que nous devons tenir pour chose tres-asseuree, que jamais livre ne vient de leur part, qu' il n' ait esté approuvé par leur General. Libri edi non poterunt (disent leurs Constitutions) sine Approbatione, & consensu praepositi Generalis, qui eorum examinationem tribus committet. Et combien que leurs Ordonnances soient telles, toutesfois il ne faut trouver estrange leurs desadveuz en telles affaires pour trois causes. La premiere d' autant que hors-mis leurs vœux, ils peuvent pecher sans pecher, quand cela se tourne au profit & utilité de leur Societé. Cela s' appelle en leur Caballe, un peché fait en l' honneur de Dieu: Nimirum (porte le pretexte) ut loco timoris offensae succedat amor & desiderium omnis perfectionis, & ut maior gloria, & laus Christi creatoris, ac Dominl nostri consequatur.

La seconde, que par leurs vœux, ils sont tenus d' obeïr à leur General, d' une obeïssance autant aueugle & absoluë, comme à nostre sainct Pere le Pape. De maniere que le General n' ayant autre but en sa teste, que l' advancement de son Ordre, il ne faut point faire de doute, qu' envoyant ses supposts par unes & autres Provinces, pour provigner leur Societé, il ne les charge de desadvoüer toutes choses, qu' ils verront prejudicier à leur faict, encores que la verité soit contraire, à quoy ils sont obligez d' obeïr. Parce qu' en la rencontre & concurrence de ces deux, le merite de l' obeïssance de l' inferieur au Superieur, efface le demerite de la menterie. Et finalement pour se garentir d' un mensonge, ils ont trouvé un nouveau formulaire, de dire d' un, & penser d' autre, qu' ils appellent equivoquer. Venin dont ils ont tellement empoisonné les pauvres Catholiques Anglois, sous la conduite de Garnet leur Archi-prestre, que la plus part d' eux ne contractent aujourd'huy ensemble qu' avecques cette protestation expresse: qu' ils entendent besongner sans aucune equivocation. Tel est le terme de leur pays. C' est en bon langage ce que disoient les meschantes ames des Payens: Iuravi lingua, mentem iniuratam habeo: Parolle deslors detestee par tous les gens de bien, ores qu' ils ne fussent Chrestiens.

Ce que j' ay cy-dessus discouru, regarde le salut de nos Roys, & de leur Estat: Car quant aux autres incompatibilitez qui sont entre les Jesuites, & nous, je vous renvoye à mon Catechisme, auquel trois des leur faisans contenance de vouloir respondre (non à tout, ains à une quatriesme partie pour le plus) le premier a dedans son livre de la Chasse, representé un chien enragé, qu' ils ont tout aussi tost estouffé, l' autre dedans son Apologetic, une pie babillarde empannee des plumes d' un oyseau qu' on appelle Duc, & le dernier dedans son Amphiteatre, une beste sauvage allouvie, revestuë de la peau de l' Asne d' Apulee. Seulement prié-je le Lecteur, que despoüillant toute passion, il lise leurs livres, & le mien, & les compare piece à piece, a fin qu' il puisse juger sainement, qui est celuy de nous sur lequel doit demeurer le dementir. Et cependant sçachant combien ils ont faict pour moy par leurs escrits, ores que j' aye esté contre leurs intentions, toutesfois pour n' en estre ingrat, je leur fay present de ce quatrain qu' ils insereront s' ils me croyent sur le commencement de leurs livres.

Peres, Chasseur, Charlatan, Escrimeur,

Qui deffendez fort mal le Jesuisme, 

O combien peu vous doit vostre Imprimeur, 

O combien plus vous doit mon Catechisme!

En la derniere impression de ces miennes Recherches, qui fut en l' an 1607. je finy ce troisiesme Livre, & le present Chapitre de la façon que dessus. Je supplie maintenant les Jesuites, & les adjure au nom de ce grand Jesus, qu' ils portent pour leur enseigne, de mettre la main sur leurs consciences, & d' entrer en une conference Chrestienne & amiable avecques moy. Deslors commença de courre un livre d' un je ne sçay quel Marane, Jean Mariane Espagnol, de la Societé de Jesus, sous le tiltre de l' Institution du Prince; Livre escrit en termes Latins non inelegans, qui donnent assez d' envie au Lecteur de jetter l' œil dessus. Ce meschant homme non content des trois ou quatre Aphorismes d' Emanuel Sa Jesuite, que je vous ay cy-dessus representez, les voulut r' envier de deux longs commentaires, je veux dire de deux chapitres en son premier Livre, par le premier desquels il recite par tenans & aboutissans la mort de nostre bon Roy Henry troisiesme, execrablement commise par un Frere Jacques Clement Jacobin, qu' il canonise, & colloque entre les ames bien-heurees. De là continuant le fil de son discours, il deduit le pour & le contre de la mort des Roys, & en fin ferme sa question sur l' affirmative, & soustient qu' il est permis au sujet de tuer son Roy, regnant d' autre façon que celle qu' il propose. Vous sçavez l' execrable parricide inopinément advenu au milieu des joyes publiques dedans la ville de Paris en la personne de nostre Grand Roy Henry, depuis trois ou quatre mois en ça: Cuius animus meminisse horret, luctúque refugit. De moy je veux croire, & tenir pour proposition tres-certaine, que nul des Jesuites habituez dedans la France n' y a presté aucun consentement, veu les obligations qu' ils avoient tous, tant en general que particulier à ce grand Prince. Mais tant y a que nul, voire de ceux qui plus ont favorisé leur party, ne revoque aucunement en doute, que ce meschant monstre, qui a commis ce detestable parricide, ne l' ayt faict sur les instructions de ce Marane, par lesquelles les deux interlocutoires de Barriere, & de Chastel se sont mal heureusement tournez en une diffinitive. Je voy que le Pere Coton Jesuite, pour destourner ce coup des siens, a depuis exposé en lumiere un certain petit manifeste, par lequel il entend prouver de divers passages, que l' opinion commune de leur Societé est toute autre. S' il est ainsi il faut faire le procez au Pere Claude Aquevive leur General, sans l' authorité duquel, ou de ceux par luy commis, il n' est permis aux Jesuites de faire imprimer aucun livre sur les peines portees par leurs Constitutions. Comme de faict vous le voyez estre icy practiqué par ce placard, mis au frontispice du livre de ce Marane, dont la teneur est telle. Stephanus Hojeda Visitator Societatis Iesu in Provincia Toletana, potestate speciali facta à nostro Patre General Claudio Aquaviva, do facultatem ut imprimantur libri tres quos de Rege, & Regis institutione composuit P. Ioannes Mariana eiusdem Societatis, quippe approbatos prius à viris doctos & gravibus ex eodem nostro ordine. In cuius rei fidem has litteras dedi meo nomine subscriptas, & mei officij sigillo munitas. Madriti in Collegio nostro, quarto Nonas Decembris M.D.LXXXXVIII. Et d' autant que j' ay voulu que cecy fust notoire à tout le monde, je l' ay ainsi traduit de mot à mot. Je Estienne Hojeda Visiteur de la Societé de Jesus en la Province de Tolede, par le pouvoir special de nostre Pere General Claude Aquevive, permets de faire imprimer les trois livres que Jean Mariana Pere de la mesme Societé a composé, du Roy & de son Institution; Et ce pour autant que ils ont esté approuvez par cy-devant, par des gens doctes & graves de nostre mesme Societé. En tesmoignage dequoy j' ay donné ces lettres soubs-signees de mon nom, & seellees de mon Seau à ce requis. De nostre College de Madrit le 5. Decembre 1598. Signé Estienne Hojeda Visiteur. Outre laquelle permission vous verrez leur Provincial Pierre de Onna l' avoir entant que besoin estoit de plus en plus approuvé, par le tesmoignage qu' il en donne, & qu' on a mis au commencement du Livre. 

Le Pere Coton par les Constitutions de leur Ordre, doit une obeïssance aueugle aux ordonnances de son General, sans qu' il luy soit loisible d' entrer en cognoissance de cause, si bien ou mal il a ordonné. C' est pourquoy je remets au jugement du Lecteur d' examiner s' il est en sa puissance par un petit manifeste de desadvoüer ce qui a esté trouvé bon, non tant par celuy qui a esté commis par Aquevive, que par le Provincial de Tolede, & encores par les plus doctes de leur Compagnie, comme vous voyez estre attesté par le placart cy-dessus collationné; singulierement eu esgard que cela mesme qui a esté observé en ce livre dans l' Espagne, se garde par toutes les autres nations, esquelles Aquevive commet examinateur des Livres que l' on veut faire imprimer, parce que les quatre Assistans qui sont pres de luy dedans Rome pour cet effect n' y pourroient fournir, & neantmoins ja à Dieu ne plaise, les affaires de France estans en l' estat que je les voy aujourd'huy, qu' il soit rien innové au prejudice de leur famille.

Fin du troisiesme Livre des Recherches.

Fin du troisiesme Livre des Recherches.