samedi 24 juin 2023

4. 1. Du Gage de Bataille dont userent anciennement les François,

LIVRE QUATRIESME.

Du Gage de Bataille dont userent anciennement les François, pour la verification de leurs faicts, & par especial és matieres Criminelles.

CHAPITRE I.

Tout homme de bon entendement, sans voir une histoire accomplie, peut presque imaginer de quelle humeur fut un peuple, lors qu' il lit ses anciens Statuts & Ordonnances, & d' un mesme jugement peut tirer en conjecture quelles furent ses loix, voyant sa maniere de viure. Car à dire le vray, les loix bien ordonnees en un pays, forment aux sujets une habitude de mœurs, qui semble au long aller estre en eux emprainte par la disposition de leur nature. Quand Cyrus Roy de Perse voulut abastardir les Lydiens, qui luy avoyent donné par le passé tant d' affaires, il leur ordonna loix de danses, de femmes, & de cabarets, avec interdiction de toutes sortes d' armes: tellement qu' en peu de temps les hommes auparavant aguerris le possible, commencerent au lieu de leurs glaives, à manier le fuseau exerçans offices de femmes. Et au contraire Lycurge voulant rendre le peuple de Lacedemone duict à tous les travaux militaires, fit en sorte par ses ordonnances que les femmes mesmes estoient plus promptes & dispostes à supporter le faix de la guerre, que plusieurs autres hommes de la Grece. Ayant autresfois entendu par les bouches d' autruy que nos François bannirent à jamais des Gaules les Romains, exterminerent de tout point la famille des Bourguignons, chasserent les Visigots, puis conquirent l' Allemagne, l' Italie, & partie des Espagnes, je presumois en moy-mesme que ceux qui avoient eu charge de leurs loix, avoyent esté sur toutes choses studieux de les nourrir perpetuellement aux armes, leur apprenans à ne faire non plus d' estat d' une mort honorable, que d' une penible vie. Et depuis goustant  à meilleures enseignes nos histoires, je trouvay mon imagination n' estre vaine, & que tout ainsi que volontairement ils s' exposoient au lict d' honneur, aussi estoient toutes leurs anciennes Ordonnances militaires. Je trouvay, pour commencer par le chef, que les Roys arrivans à la Couronne, au lieu des Sacres somptueux, & despensifs, qui depuis furent observez par la France, estoient par les Princes, & grands Barons, portez sur leurs boucliers, ou escussons par le camp, & mis en cette maniere en veuë de toute leur gendarmerie, pour faire entendre à chacun que sur l' appuy des armes ils devoient fonder l' entretenement de leur Estat. Je trouvay qu' aux afiliations (les Latins les nommerent adoptions) qui se faisoient entre les Roys, Princes, & autres grands Seigneurs, ils s' entrepresentoient une hache, donnant par cela le pere à cognoistre à celuy qu' il prenoit à fils, qu' il vouloit que luy succedant en ses biens, il les conservast par le glaive: & de ces institutions militaires est venu que nos Roys sont armez faisans leurs entrees dans Paris. Parquoy voyant toutes ces choses, je ne trouvay trop estrange que la preuve & decision de leurs causes, & specialement Criminelles, despendisent du trenchant de leurs espees. Qui est le subject du present Chapitre.

Je ne veux pas approuver cette forme de Justice: mais tant y a que l' ancienne observance non seulement és matieres extraordinaires, telles que je diray cy-apres, mais aussi en quelques Civiles estoit, de faire entrer en camp clos deux champions par authorité du Juge ordinaire, pour le soustenement de nos droits. Chacun se rendant asseuré de la justice de sa cause, par la decision du combat: Comme si Dieu n' eust voulu octroyer la victoire que la part où estoit le bon droict: & m' esbahy comme cette ancienneté soit passee devant les yeux du Docte Alciat, sans la voir, au traicté qu' il a faict de la Monomachie, luy (dy-je) qui avoit esté plusieurs annees Docteur Regent en l' Université de Bourges. Le premier lieu où je trouve ces combats singuliers avoir esté condamnez, fut au Concil tenu en la ville de Valence 855. sous le Roy Lothaire, où l' on excommunie celuy qui en telles affaires tueroit son ennemy, & declare-l'on le cadaver du tué indigne de recevoir sepulture en terre saincte. Adoncques ce mesme Lothaire qui s' estoit separé d' avecques sa femme Totbergue, pour quelque soupçon d' adultere, vouloit soubmettre le gain de cette cause au jugement de l' espee. Le Pape Nicolas premier de ce nom luy remonstra par lettres, que cette voye estoit contre les ordonnances de Dieu, & non aucunement tollerable. Ce neantmoins les choses depuis se passerent de telle façon, que non seulement les procez se vuiderent à la pointe de l' espee, mais aussi se trouve qu' un point de droit fut jugé par cette mesme procedure au pays d' Allemagne. Le Moyne Sigebert nous raconte qu' il se presenta une question devant l' Empereur Othon I. de ce nom, sçavoir si en succession directe representation avoit lieu, en la resolution de laquelle les Docteurs se trouvans empeschez, il fut trouvé bon de remettre la decision de cette obscurité au jugement des armes, & furent choisis deux vaillans combatans pour le soustenement du pour & du contre. Combat qul succeda si à propos, que la victoire demeura à celuy qui estoit pour la representation, qui fut cause que l' Empereur ordonna que les arriere-fils & filles succederoient à leurs ayeuls & ayeules, avecques leurs oncles & tantes, tout ainsi qu' eussent fait leurs peres & meres s' ils eussent vescu. Cela est esmerveillable: mais vous ne vous esbahirez pas moins quand vous entendrez que quelquesfois la Cour d' Eglise les authorisa. Ainsi le trouverez vous dans Yves Evesque de Chartrès escrivant à l' Evesque d' Orleans: Clerici vestri (dit-il) nuper ad nos revertentes, qui causae Comitis Theobaldi Aurelianis interfuerunt, retulerunt nobis quod quidam miles Domini Radulphi quemdam militem Comitis, ad Monomachiam provocaverit, & hanc provocationem Ecclesia vestra iudicio confirmaverit, & diem peragendae Monomachiae constituerit. Chose dont Yves le reprend aigrement. Et en une autre lettre escrivant à Guillaume Archediacre de Paris, il l' admoneste de tenir la main, à ce qu' on ne decerne Gage de bataille pour une cause pecuniaire. Mais sur tout est fort notable ce qu' il escrit à Raimbert Archevesque de Sens, disant qu' il s' estoit meu pardevant luy une question, entre le Comte Rotrou, le Vicomte de Chartres, & le Seigneur de Courville, pour raison de quelque teneur feodale, où apres avoir ouy les parties, il les renvoya par devers le Juge de la Comtesse de Chartres, d' autant que la matiere estoit disposee de passer par le Gage de bataille. Le texte du passage est tel: Quae altercatio cum aliquandiu durasset, praecipimus iudicium fieri, iudicatumque, quia haec caussa sine Monomachia terminari non poterat, & iudicium sanguinis nobis agitare non liceret, ut utraque pars iret in curiam Comitissae, ad quam talia iudicia pertinebant, & de cuius feudo ista tenebant. Quand je vous allegue Yves Evesque de Chartres, je le vous pleuvy pour l' un des premiers personnages de son siecle, lequel ne s' offence pas trop de cette monomachie, sinon qu' il pense que la cognoissance n' en peut appartenir au Juge d' Eglise, non qu' il estimast que ce fust bien fait: car ailleurs il recognoist que c' estoit offenser Dieu de vouloir sonder ses secrets par telles voyes induës, mais parce que le commun usage de nostre France estoit tel. Il est tombé entre mes mains un livre escrit à la main, dont j' ay deux coppies de mesme substance, portant intitulation. Ce sont les establissement le Roy de France que li Prevost de Paris, & Orliens tiennent en lor plaits. Dans lequel vous trouverez. Nous deffendons bataille par tout nostre Royaume en toute querelle, mais nous n' ostons mie les clains, les respons, & contreclains, ne tous autres contrevenans, qui ont esté accoustumez en Cour Laye jusques à ores, selon les usages de divers pays, fors itant que nous en ostons les batailles, & en lieu des batailles nous mettons preuve de tesmoins, & de chartes. Et peu apres. En querelle de servage cil qui demande homme comme son serf, il fera sa demande, & poursigra sa querelle jusques au point de la bataille: Et en lieu de la bataille, cil qui pruevoit par bataille, pruevera par tesmoins & chartes. Et en un autre endroit. Se aucuns appelle son Seignour de faute de droit, il conviendra que la defaute de droit soit pruevee par bons tesmoins, & leaux tiltres, & non mie par la bataille. Desquels passages on peut recueillir qu' auparavant ces deffenses, il y avoit certaines matieres civiles où l' on employoit pour preuve, l' espee, au lieu de la plume, quand la plume testimoniale ou litterale n' estoit suffisante.

Car quant aux matieres criminelles, le style commun estoit d' user des Gages de batailles, aux delits ausquels estoit question de perte de corps, ou de membre. Ainsi le trouverez vous en la mesme Ordonnance de Paris, & d' Orleans, où apres avoir inseré un long article de l' ordre judiciaire, qui devoit estre à l' advenir observé quand il seroit question d' un meurdre, il adjouste. En itel maniere va len avant querre les cas de haute Ioustice, que nous nommerons, de Trahison, de Rat, d' Arçon, de Larrecin, de Muertre, & de tous crimes, où il y a peril de perdre la vie, ou membres, là où l' on faisoit la bataille, & en tous ces cas devant dits y seront tesmoins amenez. Ce qu' il appelle Rat & Arçon, veut dire Rapt & Incendie. Qui monstre qu' auparavant l' ordre commun de Justice estoit de prouver le crime par le Gage de bataille. La police que l' on y tint apres ces deffenses est telle qu' il est porté par un article, parlant du meurtre. Nous commandons que se aucuns veut appeller aucuns de muertre, qu' il soit ouiz attentivement. Et quand il viendra faire sa clamor, que len ly die, Se tu veux nully appeller de muertre ou de trahison, tu seras ouy, mais il convient que tu te lies à sueffrir mesmes peines que tes adversaires soufferroit se il estoit attaint, & sois bien certain que tu n' auras point de bataille, ains te conviendra pruever par bons tesmoins jurez, & convient que tu en ayes deux pour le mains, & bien amene tant de tesmoins qu' il te plaira à pruever, tant que cuidras qu' aider te doye, & si te vale ce qui te doit valoir: Car nous ne t' ostons nulles prueves qui ont esté reçeuës en Cor Laye, fors le Gage de bataille, & en lieu de la bataille, sçache bien que tes adversaires pourra bien dire contre tes tesmoins s' il veut. Et se cil qui appeller veut quand len ly ara ensy dit, ne veut poursigre sa clamor, laissier la puet sans peine, & sans peril, & s' il veut sa clamor poursigre, il le fera, & aura ses respit, & celuy qu' on appellera aura ses deffenses, & ses contremans selon la coustume dou pays, & de la terre. Et quand vendra au point où la bataille souloit venir, cil qui par bataille prueva se bataille fut, si pruevera par bons tesmoins, & la Joustice ly fera venir ses tesmoins aux cousts de celuy qui les requiert, se ils sont de son pouvoir. Et se cil contre cui les tesmoins seront amenez veut aucune raison dire contre les tesmoins, l' en l' orra. Et se la raison est bonne & aperte, & communément sçeuë, les tesmoins ne seront pas receus. Se la raison n' est communément sçeuë, & elle est niee de l' autre partie, len enquerra les tesmoins de l' une partie, & de l' autre, & seront li dit publié aux parties.

Article qui nous enseigne l' ordre que l' on commença de pratiquer en matiere criminelle, tant en la Prevosté de Paris, que Bailliage d' Orleans. Or le premier des nostres qui deffendit cette police fut S. Louys, & apres luy Philippes le Bel son petit fils, lequel par son Ordonnance de l' an 1303. dit que suivant les traces du Roy S. Louys son ayeul, il deffendoit tous ces Gages, nonobstant toute coustume à ce contraire, qui devoit estre plustost reputee une corruptelle de mœurs, & ce par l' advis de ses Prelats, & Barons. Ce nonobstant encores ne peut-il y apporter si bon ordre qu' il ne fust puis apres contrainct d' y donner quelque relasche: tant a de tyrannie sur nous une coustume de longue main enracinee dans un pays: D' autant que par autre Edit fait en l' an 1306. sur ce qu' on luy donna à entendre que l' on commettoit plusieurs meurtres en cachette, pour la verification desquels on ne pouvoit trouver tesmoins, les meschans se promettans impunité de mal faire par le moyen du precedent Edit: Pour cette cause il permit encores les Gages de bataille, en quatre circonstances concurrans ensemble, que le crime fust de telle suite: qu' il emportast peine de mort, que le fait eust esté commis proditoirement, & tel qu' il fust mal-aisé d' en faire preuve par tesmoins, qu' il y eust quelques presomptions violentes, non toutesfois concluantes encontre le prevenu: & finalement que ce fust chose certaine que le delit avoit esté commis. Depuis ces deffenses generales ainsi faites, il decerna ses lettres Patentes au Seneschal de Tholose, a fin qu' il eust à renvoyer toutes telles causes devant luy au Parlement de Paris.

De pouvoir icy raconter par le menu toutes les solemnitez par lesquelles on y procedoit, ce seroit chose fort mal-aisee, que je ne die impossible, attendu la disette que nous avons de nos Histoires, toutesfois voicy la forme que je trouve avoir esté tenuë au pays de Normandie, ainsi que j' ay tiré de l' ancien Coustumier, qui est le Livre de tous ceux que j' ay jamais leuz, qui nous en baille les plus fideles instructions. Quiconque entreprenoit l' accusation de quelqu'un pour cas qui meritast mort, falloit que tout d' une main il offrist verifier le crime par armes de sa personne à personne. Et estoit tenu l' accusé de comparoir personnellement devant le Juge au jour qui luy estoit assigné, auquel lieu apres avoir entendu la plainte de l' accusateur en termes bien conceuz, l' accusé denioit le fait, sur cela estoient jettez les Gages d' une part & d' autre en plaine justice, & estoit premierement pris par le juge le Gage du deffendeur, puis celuy du demandeur. Dés l' heure les deux champions estoient confinez en la prison du Duc, jusques au jour du combat: & estoit le haut Justicier tenu de leur administrer armes sortables & necessaires. Pouvoient ce neantmoins tous deux estre mis en la garde des gens de bien, qui estoient tenus les representer vifs ou morts au jour du combat. Et si cependant il advenoit à l' un d' eux quelque meschef, les gardes en estoient punis s' ils s' en trouvoient coulpables, portant telle peine que le combattant eust enduré, s' il eust esté vaincu, qui estoit ordinairement de mort ou d' infamie. Ne laissoit toutesfois celuy qui s' estoit rendu fuitif d' estre proclamé à son de trompe & cry public, & à faute de comparoir estoit declaré ou faux denonciateur, ou attaint, & convaincu du cas que l' on luy imputoit. Au demeurant le jour du combat se devoient les deux champions representer devant le Juge avant l' heure de midy, armez à la legere, & falloit qu' ils eussent les cheveux couppez tous ronds au dessus les oreilles, se pouvoient oindre devant qu' entrer en jeu pour avoir les membres plus souples. Là revoyoient-ils leurs demandes & deffenses, y adjoustans ou diminuans, selon ce qu' ils pensoient avoir plus ou moins dit. Puis entroient au camp clos, auquel y avoit quatre Chevaliers pareux esleuz pour la garde d' iceluy. Le surplus du peuple estoit hors la lice. Adoncques se faisoit le cry du Duc, a fin qu' aucun n' eust à nuire en dit, fait, ou signe, à aucuns d' eux: Les deux champions entrez au camp s' entretenans par les mains, s' agenoüilloient, & juroient chacun en son endroict avoir bonne cause. Lors leur estoient demandez leurs noms, & s' ils croyoient pas en Dieu le Pere, le Fils, & le sainct Esprit: & apres avoir dit reciproquement que ouy, le deffendeur disoit: Escoute homme que je tiens (l' appellant par son nom) ce Dieu m' aist, je n' ay point commis le forfait, duquel tu m' accuses: l' autre luy respondant par son nom, luy disoit qu' il en avoit menty. Puis juroient n' user sur soy d' aucunes sorcelleries: Alors l' on bailloit à tous deux leurs armes, & se separoient les quatre Mareschaux du camp, se mettans à l' heure entre eux deux, pendant lequel temps

se mettoient tous deux devotement en oraison. Quoy fait, les quatre Mareschaux se retiroient aux quatre coings du camp, & lors crioit-on par le Duc. Laissez les aller. A laquelle parole decochoient l' un contre l' autre, & joüoient à qui mieux mieux de leurs cousteaux. Le vaincu estoit ignominieusement trainé hors du camp, & pendu à un gibet, ou bruslé, selon l' exigence du cas. Car, & l' accusateur, & l' accusé estoient de mesme loy pour ce regard. Bien est vray que l' accusé estoit de meilleure condition, en ce que s' il n' estoit vaincu quand les Estoilles apparoissoient, il estoit reputé le victorieux, & est chose fort notable & digne de grande recommandation, que je voy avoir esté religieusement gardee par les Normans, lesquels en tous Gages de bataille, permettoient de parler de Paix & la faire par le congé de la Justice en tout temps, jusques à ce que la bataille fust menee à fin, excepté en suite de Trahison, ou de Larcin, comme de crimes trop lasches, & pour lesquels n' y escheoit entre gens de bon cœur, pardon. Toutes ces choses se faisoient quand il y avoit accusateurs: Et quand il n' y en avoit point, & que neantmoins quelqu'un soupçonné par signes ou conjectures poignantes d' avoir commis un delit, estoit apprehendé par justice, il estoit nourry an & jour, en prison, au pain & à l' eau: ce qui estoit fait là, & au cas qu' il ne se soubmist à l' inquisition de Justice: Que si peut estre il s' y soubmettoit, alors estoient appellez sous main les tesmoins, sans les advertir à quelle fin on les appeiloit.

Telle estoit la commune usance qui s' observoit au pays de Normandie és matieres de crime, de laquelle paravanture on peut imaginer au plus pres quelle fut la façon de faire en tel cas par tout le reste de la France. Car encores que les pays & contrees ayent leurs Coustumes locales, toutesfois ordinairement le style & forme de proceder est universel, hors-mis que l' on y adjouste ou diminuë en chaque endroit plus ou moins. Depuis la prohibition generale de Philippes le Bel, s' il s' offroit quelque question de Gage de batailles, les Juges ordinaires eurent les mains closes, & n' y avoit que le Roy en son grand Conseil, ou la Cour de Parlement, qui en peust cognoistre. Et est grandement celebré le combat qui fut accordé par le Parlement en l' an 1386. entre le Seigneur de Carrouges & Jacques le Gris. Et parce qu' en telles affaires on eut recours à gens qui manioient la plume, pour prendre langue & conseil d' eux, aussi on y trouva des subtilisez, ou pour mieux dire des chiquaneries. De là vint que l' on disputa si un homme ayant appellé un autre au combat, jettoit son Gage en Justice, il estoit permis à autre que sa partie adverse de le relever, & si pour l' avoir relevé il n' encouroit point l' amende. De là, un homme estant appellé pour un delit, ne donnant un dementir à celuy qui le provoquoit, si par ce defaut il prejudicioit à sa cause, comme confessant taisiblement le crime. Sur quoy furent donnez deux Arrests rapportez par Jean Gallus en la premiere partie de ses Decisions: & d' une mesme main on apprenoit au demandeur à se donner garde de mesprendre. Et pour cette cause il devoit sur toute chose se garder de conclure à tuer, & vaincre le deffendeur. D' autant qu' il se fust obligé à tous les deux. Qu' il protestast de combattre de sa personne à personne, ou par advoüé. 

Car n' adjoustant ce mot advoüé, il se fust necessité au combat de sa personne. Qu' il declarast entendre combattre à pied ou à cheval: autrement il ne se soubmettoit qu' à l' une des deux conditions. Apres lesquelles conclusions, l' Advocat du deffendeur proposoit ces communes demarches, que l' on appelle en l' escrime de pratique, Declinatoires, & Dilatoires, & empeschoit par tous moyens que le crime ne tombast au hazard du combat. Et neantmoins s' il accordoit liberalement d' y descendre, falloit premier que faire aucune offre de combattre, qu' il niast le fait qu' on luy imputoit, a fin qu' il ne semblast l' avoir confessé. Et davantage ne falloit qu' il conclust non plus que le demandeur à rendre son ennemy vaincu & mort: parce qu' il fust entré en obligation de s' acquiter de l' un & de l' autre: Et neantmoins entant qu' à luy estoit, il suffisoit qu' il se maintint sain & sauve, sans estre vaincu jusques au raiz de la nuit. Car en ce cas il estoit estimé estre arrivé au dessus de la victoire. Celuy qui sera soucieux d' entendre par le menu toutes les particularitez des demandes & deffenses, pourra lire le vieux style de Parlement.

Toutes lesquelles subtilitez ont esté depuis retranchees: Car aussi n' y a il plus que le Roy qui puisse decerner les combats, & encores entre Gentils-hommes, lesquels font profession expresse de l' honneur. Car il n' est plus question de crime, ains seulement de se garantir d' un desmentir, quand il est baillé. En quoy les affaires se sont tournees de telle façon, qu' au lieu où les anciens accusans quelqu'un, le deffendeur estoit tenu de proposer ses deffenses par un desmentir, ny pour cela il ne perdoit pas sa qualité de deffendeur. Au contraire si j' impute aujourd'huy quelque cas à un homme, & qu' il me desmente, je demeure dés lors l' offensé, & faut que pour purger ce desmentir, je demande le combat. Tellement que mon ennemy n' est plus fondé que sur la deffensive. Ayant un grand advantage sur moy. Parce que pour joüer le personnage de deffendeur, il a le choix des armes, & moy seulement du champ de bataille: & se peut aguerrir sous main à telles armes qu' il luy plaist, dont il me saluë à l' impourveu le jour du combat. Qui n' est pas un petit advantage pour luy: Et ainsi le veismes nous pratiquer en l' an 1547. au combat de Jarnac, & la Chastigneraye, au parc de S. Germain en Laye devant le Roy Henry II. Cela est cause, que combien que les Advocats ne soyent plus appellez en telles matieres, si est-ce que tous ces Messieurs qui traittent les armes, apportent une infinité de sophistiqueries, pour faire tomber le desmentir sur leur ennemy, a fin s' il est possible que le choix des armes demeure par devers eux.