mardi 27 juin 2023

4. 9. Des Bonnets qu' on prend aux Licences, & Maistrises des Escoliers, Estreines, Banquets, que l' on faict à la feste des Roys.

Des Bonnets qu' on prend aux Licences, & Maistrises des Escoliers, Estreines, Banquets, que l' on faict à la feste des Roys.

CHAPITRE IX.

Les franchises & libertez dont j' ay parlé cy-dessus, me feront maintenant discourir de celles que les Escoliers acquierent en nos Universitez par leurs Maistrises & degrez de Licences. Par les deux precedens Chapitres j' ay esté homme du Palais, je seray maintenant Escolier. Quand un jeune homme a esté longuement sous la verge de son pedagogue, apres avoir passé sa jeunesse sous l' alambic d' une Grammaire, Rhetorique & Philosophie, à quoy certains temps sont prefix dans l' Université de Paris, par la reformation du Cardinal de Toute-ville, il n' y a Escolier qui ne desire de passer Maistre, pour estre de là en avant à soy. Cette ceremonie se fait tous les ans en Caresme apres la Feste de sainct Gregoire. J' ay veu en mon jeune aage qu' il n' y avoit College, où il n' en passast vingt & trente, maintenant il y en a beaucoup moins. Parce que soudain que nos enfans out esté quelques ans à l' estude d' humanité, nous les envoyons aux Universitez des Loix, pour leur faire puis apres suivre le barreau, dont on attend plus de profit.

Or en ces Maistrises on baille à chacun le Bonnet aux grandes Escholes, avec quelques autres solemnitez, & ce fait, on a acquis toute liberté, c' est à dire, que l' Escolier n' est plus sujet à la verge de ses Superieurs. Qui estoit une espece de servitude, par laquelle on dependoit en tout & par tout de leur volonté: & commencent d' estre appellez Maistres, tout ainsi que ceux de la puissance & authorité desquels ils dependoient auparavant. Tellement que par le commun mot de l' Université, quand on dit, il a pris le Bonnet, c' est autant comme si l' on disoit, il est passé Maistre. Chose que nous avons empruntée des Romains, lesquels entr' autres manieres d' affranchir leurs serfs, en avoient une particuliere qui estoit de donner le bonnet. Ainsi l' apprenons nous de Seneque au 6. de ses Epistres, où parlant de plusieurs bons & recommandables services que les Maistres avoient receuz de leurs serfs, apres avoir haut loüé leur fidelité. Dicet aliquis (fait-il) me vocare ad pileum servos. Le semblable fait Macrobe au premier de ses Saturnales, où apres avoir desrobé tout le discours de Seneque, il finit par mesme conclusion que luy, Dicet aliquis nunc me dominos de fastigio suo deijcere, & quodammodo ad pileum servos vocare. Comme si l' un & l' autre eussent voulu dire, on dira que je veux donner le bonnet aux serfs au prejudice de leurs Maistres, qui est à dire la liberté.

Or en cette ancienneté il n' y a rien qui ne soit loüable: je crains que le semblable ne soit à ce que je veux maintenant deduire: Car toutes & quantesfois que nous empruntons quelques Coustumes de Payens, & les adjoignons à nos jours de festes, je ne le puis trouver bon. Nous penserions faire tort au premier jour de l' an, auquel nous celebrons la Circoncision de nostre Seigneur, si nous ne l' accompagnions d' Estreines, c' est à dire, de dons que nous envoyons les uns aux autres. Ce qui fut observé avec telle devotion par nos ancestres, que nous recognoissions plus le premier jour de l' an sous le nom d' Estreines, qu' autrement. Nous tenons cette Coustume en foy & hommage du Payen. Suetone en la vie de Tibere, Prohibuit strenarum usum ne ultra Calendas Ianuarias exercerentur. Or que cela se fust depuis perpetué en l' Estat de Rome, nous le recueillons de Theodoret en son Histoire Ecclesiastique, quand il dit que l' Empereur Julian voulant discerner le Soldat Chrestien d' avec le Payen, il les estrenoit par fois le premier jour de sa nativité, & en recevant estreines de luy, il vouloit que les Soldats incensum (c'estoit   que nous appellons encens) ei offerrent. Erat enim ante eum positum thus. Symaque au 6. de ses Epistres, nous dit que les Estreines se bailloient dans Rome le premier jour de l' an, & qu' elles furent ainsi appellees, Quia viris strenuis dabantur. Au demeurant que telles Estreines fussent mises entre les actes d' idolatrie, nous en avons un grand Maistre, c' est Tertulian, lequel au Livre qu' il a fait de l' Idolatrie, dit que le Precepteur Chrestien, qui enseigne aux Escholes des Ethniques est idolatre, adjoustant ce mot, etiam strenae captandae sunt, voulant dire qu' à l' imitation des Payens il faudroit qu' il prit des Estreines. C' estoit, comme il est vray-semblable, une Coustume familiere aux Payens, qui enseignoient la jeunesse, de prendre tous les ans des Estreines, comme nous voyons maintenant les Regens des Colleges prendre tous les ans des dons & presens de leurs disciples, sous le nom de Lendiz.

Encores y a-il plus d' excuse en cette Coustume, qu' en celle des Roys, laquelle nous solemnisons avec une infinité de desbauches de bouche, qui emportent ordinairement quant & soy plusieurs autres sortes de hontes & pudeurs. Et faut neantmoins que ceux qui en furent les premiers introducteurs fussent gens de lettres par toutes les rencontres qui se trouvent en ce deduit. Nous commençons dés la vueille, non de prier Dieu, mais de faire bonne chere. Celuy qui est le maistre du banquet a un grand gasteau, dans lequel y a une febue cachee, Gasteau, dy-je, que l' on coupe en autant de parts qu' il y a de gens conviez au festin. Cela fait on met un petit enfant sous la table, lequel le Maistre interroge sous ce nom de Phebé, comme si ce fut un qui en l' innocence de son aage representast une forme d' Oracle d' Apollon. A cet interrogatoire l' enfant respond d' un mot Latin Domine: sur cela le Maistre l' adjure de dire à qui il distribuera la portion du Gasteau qu' il tient en sa main, l' enfant le nomme ainsi qu' il luy tombe en la pensee, sans acception de la dignité des personnes, jusques à ce que la part est donnee à celuy où est la febue, & par ce moyen il est reputé Roy de la compagnie, encores qu' il fust le moindre en authorité. Et ce fait, chacun se desborde à boire, manger, & danser. Il n' y a respect des personnes, la festivité de la journee le veut ainsi. Qu' il n' y ait en cecy beaucoup de l' ancien Paganisme, je n' en fais doute. Ce que nous representons ce jour là, est la feste des Saturnales que l' on celebroit dedans Rome sur la fin du mois de Decembre, & commencement de Janvier. Les anciens Romains eurent cette ferme opinion, que sous le regne du Roy Saturne tous biens estoient en commun, & qu' il n' y avoit ny mien ny tien entre les vivans, & moins encores estoient ces qualitez de Maistres, & Serfs en usage. C' est pourquoy on appelloit son siecle un aage d' or, & en commemoration de ce, en solemnisant sa feste tous les ans, toutes choses sembloient communes dans les maisons entre les maistres, & les valets. Ce n' estoient que festins, & allegresses: les maistres despoüilloient leur grandeur, & les serviteurs leurs bassesses, voire commandoient lors à leurs maistres, si le sort de ce faire avoit rencontré sur eux. Seneque au 6. de ses Epistres, en la 47. Epistre disoit, Nec illud quidem videtis quam omnem invidiam maiores nostri dominis, omnem contumeliam servis detraxerint: dominum patrem familiae appellarunt, servos, (quod etiam in mimis adhuc durat) familiares. Instituernut diem festum, non quo solum domini cum servis vescerentur, sed quo etiam honores illis in domo gerere, ius dicere permiserunt, & domum pusillam Rempublicam esse iudicaverunt. C' estoit en la feste des Saturnales, de laquelle Tacite disoit au 13. Livre de ses Annales, Festis Saturno diebus inter alia aequalium ludicra regnum iusu sortientium, evenerat ea sors Neroni. Cela monstre qu' en rendant tout le monde esgal dans les maisons, encores faisoient-ils lors un Roy. Chose que l' on voit au doigt & à l' œil s' estre transplantée chez nous, non vrayement au mois de Decembre, ains en celuy de Janvier son plus proche, & en la Feste des Roys sur la rencontre du nom: Car quant à ce que nous y employons la febue, nous l' avons emprunté de la Grece. Xenophon au Livre des dits, & actes de Socrates, nous enseigne que dans la ville d' Athenes les Magistrats estoient creez au sort de la febue: Paravanture leur servoit-elle de balote, & c' est pourquoy quand Pythagore nous enseignoit à fabis esse abstinendum, il entendoit parler des Magistrats. Ainsi l' explique Erasme en ses Chiliades, comme s' il eust voulu dire qu' il y avoit plus d' asseurance en une vie privee, qu' en celle qui estoit exposee aux flots, & tempestes publiques.

lundi 26 juin 2023

4. 8. Des Ordonnances de Charlemagne, pour obvier aux fraudes que l' on pratiquoit en France sous le pretexte des Clericatures.

Des Ordonnances de Charlemagne, pour obvier aux fraudes que l' on pratiquoit en France sous le pretexte des Clericatures.

CHAPITRE VIII.

Le Chapitre precedent m' a remis en memoire quelques fraudes que l' on pratiquoit anciennement en la France, sous le pretexte des Clericatures, ausquelles il fut pourveu par nostre Empereur Charlemagne, tout ainsi que Philippes le Bel voulut s' opposer à celles que l' on avoit introduict en France, sous le masque des Bourgeoisies du Roy: Mais parce que ce discours prend ses racines de plus haut, il convient noter que les anciens Romains, au moins sur le moyen aage de leur Jurisprudence, furent fort empeschez de resoudre si celuy qui avoit obtenu plaine franchise & liberté de son Maistre, devoit estre tout d' une main reputé Citoyen de Rome, qui estoit une liberté outrepassant toutes les autres. Le premier qui franchit le pas fut l' Empereur Constantin, lequel par un privilege special de nostre Religion Chrestienne, voulut que celuy qui estoit affranchy au sein de nostre Eglise, ioüyst de cette plaine liberté, qui n' avoit jamais auparavant esté communiquee à quelque personne que ce fust: Et comme ainsi soit que tous les mauvais exemples prennent leur source de beaux & specieux commencemens, aussi advint-il le semblable en cet affaire. Car au commencement cette liberté se donnoit du consentement du Maistre, avec l' intervention de l' Eglise pour l' authoriser d' avantage: Toutesfois par succession de temps les Ecclesiastics s' en voulurent faire accroire, & le serf estant manumis par eux obtenoit plaine liberté malgré son Maistre. Dont les Maistres irritez en faisoient leurs plaintes aux Eglises: A quoy on se trouva bien empesché. Car estant cette difficulté proposee en un Concil de Carthage, sçavoir si les serfs qui avoient recours aux Eglises, pouvoient estre affranchis sans attendre le vouloir de leurs Seigneurs, & si apres cette manumission leurs Maistres les pouvoient r'appeller à leur ancienne servitude, il n' en fut rien resolu, ains par les 67. & 85. articles fut cette difficulté remise à la volonté, & decision de l' Empereur: ce qui causoit l' obscurité estoit que les choses mises en balance d' un costé, de donner par une Eglise liberté à un esclave, sous pretexte des Ordres sacrez, c' estoit priver un Maistre, sans son consentement, de ce qui luy appartenoit. Au contraire, de le reduire en son ancienne servitude, c' estoit troubler la dignité Ecclesiastique. Depuis nostre Charlemagne y voulut apporter police. Car par le vingt & troisiesme article du premier Livre de ses Loix, il deffendit par expres de n' appeller à l' Ordre Clerical ou Monachal un homme sans le vouloir & consentement de son Maistre. Et par l' article 82. il ordonna que nul Evesque ne *promeust aux Ordres de Prestrise un serf, que premierement il n' eust esté affranchy par son Maistre. Le texte du 23. article est tel: Ut servuum alterius nullus suscipiat ad Clericalem ordinem, & en l' article 82. Statuimus ut nullus Episcoporum servos ad sacros ordines promouere poßit, nisi prius à Domino libertatem consequuti sint. Et si l' Evesque avoit contrevenu à cette Ordonnance, il estoit par le mesme article permis au maistre un an apres la consecration, de reduire son serf à sa premiere qualité, sinon que luy le sçachant, n' y eust voulu du commencement apporter obstacle. Car en ce cas il estoit estimé y avoir preste taisible consentement, & par consequent non receuable à s' en plaindre. Ce mesme Empereur voulut encores passer plus outre. Car tout ainsi qu' il deffendit que le serf peust estre receu aux Ordres qu' il n' eust permission de son Maistre, aussi ne voulut-il que celuy qui estoit né de condition franche peust entrer en ce mesme Ordre Clerical, sans avoir congé de luy. Et parce que cela importe à l' Estat, il merite bien que nous inserions icy l' article tout de son long, qui est le 113. du I. Livre. 

De liberis hominibus, qui ad servitium Dei se tradere volunt, ut prius hoc non faciant, quam à nobis licentiam postulent: hoc ideo quia audivimus aliquos ex illis non tam caussa devotionis fecisse, quam pro exercitu, seu alia functione fugienda: quosdam verò cupiditatis caussa ab his, qui res illorum concupiscunt circumventos audivimus, & hic ideo prohibemus.

Qui est à dire: Nous deffendons à toutes personnes de franche condition de se faire d' Eglise, s' ils n' en ont eu congé de nous, & ce d' autant que nous avons entendu que quelques-uns d' entr'eux l' ont fait, non tant par devotion, que pour s' exempter de l' armee & autres charges Royales, mesmes qu' il y en a les aucuns d' eux, lesquels surpris par l' avarice de ceux qui affectionnoient leur bien y sont entrez, & c' est pourquoy nous le deffendons. Maurice Empereur de Constantinople en avoit fait une non grandement esloignee de cette-cy. Car il deffendit à tout homme appellé en charge publique de ne se faire promouvoir aux dignitez de l' Eglise. Davantage que celuy qui estoit enroollé en sa gendarmerie ne se peust faire Moine, s' il n' avoit accomply le temps entier de sa Milice, ou que pour estre valetudinaire & maladif, il eust eu permission de se retirer en sa maison. Chose qui donna sujet à S. Germain au I. Livre de ses Epistres, de luy mander que pour le regard du I. article, il ne le pouvoit assez loüer. Parce que celuy qui vouloit au lieu de sa dignité seculiere entrer en une Ecclesiastique, n' abandonnoit pas le monde, ains le changeoit. Mais quant au 2. il ne le pouvoit approuver. D' autant que par la vie solitaire, un Moine renonçoit à toute mondanité, pour viure au repos de sa conscience. En quoy s' il m' estoit permis d' interposer mon jugement, je dirois volontiers que l' un & l' autre avoit quelque raison sous divers regards: S. Gregoire parlant pour ceux qui sans arriere-boutique se voüoient à Dieu: & l' Empereur Maurice voulant s' opposer à ceux qui sous le masque d' un froc, vouloient se descharger du faix de la guerre.