mardi 27 juin 2023

4. 15. Jeux de Paulme, Bonnets ronds.

Jeux de Paulme, Bonnets ronds

CHAPITRE XV.

Au milieu des affaires serieuses il n' est point hors de propos de donner quelque relasche à son esprit. Je veux que ce chapitre soit de cette marque, & par forme de passe temps conjoindre les jeux de Paulme, avec les Bonnets ronds. Car aussi est-ce un deduict qui est ordinairement aimé par les escoliers. Il me plaist doncques icy discourir dont vient que nous appellons jeux de Paulme, les Tripots, où nous prenons nostre esbat avec des Raquettes, & non avecques la paulme de la main, & les Bonnets que portent les gens de robbe longue, Bonnets ronds, combien qu' ils soient quarrez. Cela est estrange maintenant, & sera paravanture plus à l' advenir, & tel se mocquera de telles recherches, comme trop basses, qui peut estre en communs propos ne sera marry d' en faire son profit.

Lors que les Tripots furent introduits par la France, on ne sçavoit que c' estoit de Raquette, & y joüoit-on seulement avec le plat de la main, & de pelotes: chose que je descouvre d' un vieux livre en forme de papier journal, dont je m' aide souvent en ces miennes Recherches. En l' an 1427. (dit-il) vint à Paris une femme nommee Margot aagee de vingt-huict ans, qui estoit du pays de Hainault, laquelle joüoit mieux à la Paulme qu' oncques homme eust veu, & avec ce joüoit de l' avant main, & de l' arriere-main tres-puissamment, tres malicieusement, & tres habillement, comme pouvoit faire homme, & y avoit peu d' hommes qu' elle ne gagnast, si ce n' estoit les plus puissans joüeurs, & estoit le jeu de Paris, où le mieux joüoit en la ruë Garnier sainct Ladre, qui estoit nommé le petit Temple. Passage que vous voyez authorizer en tout & par tout mon opinion, de laquelle je me croy d' avantage, par ce qu' autresfois parlant à un nommé Gastelier, il me fit un discours qui est digne d' estre recité. Cet homme en sa jeunesse avoit esté bon joüeur de Paulme, & depuis fut long temps Huissier de la Cour, & venant sur l' aage, resigna son Estat: mais quelque ancienneté d' aage qu' il eust (car quand il m' aprit ce que je diray, il estoit aagé de 76. ans & plus) si ne pouvoit-il oublier son premier deduict. Et de fait il n' y avoit jour que s' il y avoit quelque belle partie en son quartier, il n' en voulust estre spectateur. C' estoit un plaisir auquel il finit ses jours, & moy jeune homme qui n' y prenois pas moins de plaisir que luy, le gouvernois de fos à autre par occasion. Un jour entre autres il me compta qu' en sa jeunesse il avoit esté des premiers joüeurs de Paulme de son temps, mais que le deduit en estoit tout autre, parce qu' ils joüoient seulement de la main, & poussoient de telle façon la pelote que fort souvent elle estoit portee au dessus des murailles, & lors les uns joüoient à mains descouvertes, & les autres pour se faire moins de mal y apportoient des gands doubles. Quelques uns depuis plus fins, pour se donner quelque advantage sur leurs compagnons y mirent des cordes, & tendons, a fin de jetter mieux & avec moins de peine la balle. Ce qui se pratiqua tout communément. Et finalement de là s' estoit introduite la Raquette telle que nous voyons aujourd'huy, en laissant la sophistiquerie du Gand: Ha! vrayement dis-je lors à par moy, il y a grande apparence d' estimer que le jeu de Paulme vient de là: par ce que l' exercice consistoit principalement au dedans de nostre main ouverte, que nous appellons Paulme, depuis lisant le passage que je vous ay cy-dessus recité, j' en fus du tout confirmé.

Pareille mutation est advenuë aux Bonnets que nous appellons Bonnets ronds, combien qu' ils soient quarrez. Car anciennement les plus grands portans les Chapperons sur leurs testes, l' usage petit à petit s' en estant perdu, cela demeura seulement aux gens de robbe longue, enquoy l' on s' aidoit du Bourlet qui est rond, lequel environnoit le circuit de nos testes, & ce surplus du chaperon pendoit d' un costé, & de l' autre on environnoit son col: Chose qui ne se peut mieux representer que par des petits Marmouzets qui sont encores au commencement des barreaux de la Chambre doree du Parlement de Paris. Cela estoit penible & une grande charge de teste, au moyen dequoy il fut trouvé bon de retrancher tous ces grands apentis du Chaperon, & se reserver seulement ce qui representoit le Bourlet pour couvrir la teste. C' est pourquoy on s' advisa de faire avec grandes aiguilles des Bonnets ronds qui representoient le Bourlet (& paravanture furent-ils appellez Bonnets au lieu de Bourlets par un doux eschangement de l' un à l' autre) ce qui continua longuement. Car encores de ma jeunesse les plus vieux Theologiens prenans à Religion de ne rien changer des vieilles coustumes, en portoient. Et y avoit un petit monde de peuple qui en vivoit en cette grande ruë des Cordelieres, aux fauxbourgs sainct Marceau de Paris, lesquels furent fort long temps en mauvais mesnage avec les Escoliers, jusques à faire une forme de guerre civile les uns contre les autres. A ces Bonnets ronds on commença d' y apporter je ne sçay quelle forme de quadrature grossiere & lourde, qui fut cause que de mes premiers ans j' ay veu qu' on les appelloit Bonnets à quatre brayettes: le premier qui y donna la façon, fut un nommé Patrouillet, lequel se fit fort riche Bonnetier aux despens de cette nouveauté, & en bastit une fort belle maison en la ruë de la Savaterie, qui appartient aujourd'huy à Monsieur du Val Conseiller. Depuis, le Bonnet ayant changé de forme, luy est toutesfois demeuré le nom de Bonnet rond. Coustume toutesfois tres-inepte, mesmes que nous reparions nos testes rondes de Bonnets quarrez. Enquoy l' on peut dire que par une grande bigarrerie nous avons par hazard trouvé la quadrature du cercle, amusoir ancien des Mathematiciens, où ils ne peurent jamais donner attainte.



4. 14. D' où vient que l' on a estimé les Greffes, & Tabellionnez estre du Domaine du Roy,

D' où vient que l' on a estimé les Greffes, & Tabellionnez estre du Domaine du Roy, ensemble sommaire discours sur les Notaires, & Clercs des Greffes.

CHAPITRE XIV.

De tous les Estats de la France, ceux-cy sont particulierement estimez domaniaux à nos Roys, & non point du regne de Henry troisiesme dernier mort seulement, sous lequel pour faire deniers ils furent alienez: Mais dés le temps mesmes de Philippes le Long, par son Ordonnance de l' an mil trois cens dix-neuf, dans laquelle y avoit article expres portant ces mots: Et est à entendre que les sceaux, & escritures sont de nostre Domaine: & Et plus bas: Item tous sceaux, & escritures seront vendus d' oresnavant par encheres a bonnes gens & convenables: Mais d' où vient que tous les autres offices sont mis entre les parties casuelles, & ceux cy particulierement reputez domaniaux? Cela procede d' une ancienneté, qui prend ses racines de l' Empire de Rome, sous lequel tous ceux qui estoient serfs, & gens de mainmorte condition estoient par nous possedez, tout ainsi que toute autre chose qui estoit de nostre Domaine. De maniere qu' ils pouvoient estre par nous vendus, & alienez. Or est-il qu' entre les serfs il y en eut une espece de publics, c' est à dire de gens qui estoient destinez pour le service des villes: Dont les aucuns furent Greffiers destinez à recevoir es appointemens & sentences des Juges des lieux, & les autres Tabellions, pour recevoir les contracts qui se faisoient entre les parties. Pour le regard des Greffiers, nous l' apprenons de Jules Capitolin en la vie de l' Empereur Gordian, parlant d' un Arrest du Senat de Rome, qui avoit esté receu par la main d' un Senateur, & non d' un Greffier, a fin qu' il ne fust divulgué, lequel pour cette cause appelle il, Senatusconsultum tacitum. Non scribae (dit-il) non servi publici, non censuales exceperunt. Et c' est la cause pour laquelle AEmilius Probus en la vie d' Eumenes disoit. Scribae munus apud Graios fuiße honorificentius, quam apud Romanos. Nam apud nos sicut sunt, mercenarii existimantur, & apud illos contra, nemo ad id officium admittitur, nisi honesto loco, fide, & industria requisita. Quod necesse est eum omnium Consiliorum esse participem. Et les premiers qui entre les Empereurs de Rome les voulurent affranchir, furent Arcade, & Honore en la loy unique, De scribis & holographis, au Code Theodosian. Ils estoient par les anciens appellez Scribae, Censuales, Logographi, Holographi, mais le mot plus familier estoit celuy de Scriba. Vopisque en la vie de l' Empereur Probus se vante avoir recueilly une partie de son Histoire, Ex regestis Scribarum, c' est à dire des Registres du Greffe: Et de là vient qu' encores és jurisdictions Ecclesiastiques nous appellons Scribe celuy, qui est le Greffier, que nous avons entre nous appellé du mot Grec.

Au demeurant tout ainsi que les Greffiers, aussi estoient les Tabellions, serfs publics. Et de faict, le tiltre du Code Theodosian conjoint les Tabellions avec les Scribes, & Greffiers. Et cela a produit une coustume, dont plusieurs ignorent la raison. De disposition ordinaire du droict des Romains, nul ne pouvoit stipuler que pour soy-mesme. Regle qui recevoit une particuliere exception, par ce que les serfs, qui estoient de nostre Domaine pouvoient stipuler pour nous. En France nous voyons que les Notaires qui sont les Ministres des Tabellions, stipulent pour nous, encores que nous soyons absens. Parce que les Tabellions estoient reputez serfs publics, & par consequent pouvoient diversement stipuler pour chacun selon les occurrences des affaires. Quand les François s' impatroniserent des Gaules subjectes auparavant de l' Empire, ils ne trouverent point alors, comme il est grandement vray-semblable, ces Greffiers & Tabellions afranchis: Et y a grande apparence que l' ordonnance d' Arcade, & Honore fut introduite pour les villes de Rome, & Constantinople, où ils avoient toute puissance, & non pour prejudicier aux villes, qui particulierement avoient telles sortes de serfs publics. Au moyen dequoy nos Roys ayans transporté en eux tout ce qui estoit de l' authorité publique des villes, ils estimerent les Greffes, & Tabellionnez estre de leur vray estoc & Domaine. Chose que l' on a tousjours estimé, encores que par succession de temps ils ayent esté exercez par gens de franche condition. Cecy se doit nommément entendre pour les Greffes des Jurisdictions ordinaires qui sont les Prevostez, Vigueries, & Vicomtez, & non pour les Greffes des Bailliages, Seneschaussees, ou Elections, & moins encores des Cours souveraines: Qui sont Ordres que la necessité des affaires a depuis introduits en la France, comme pareillement leurs Greffiers, lesquels ne furent jamais mis au nombre des serfs, ny par consequent ne doivent estre reputez domaniaux. Certes celuy qui pour advantager ses affaires, les fit exposer en vente par le feu Roy Henry III. comme domaniaux, meriteroit, s' il vivoit, qu' on luy fist son procez extraordinaire, a fin de servir d' exemple à la posterité. Car je vous puis dire que sur la vente de ces Greffes fut entee la ruine de nostre Estat. Mais pour reprendre le fil du present chapitre, & que l' on cognoisse aussi dont sont provenus les Notaires qui sont ceux qui reçoivent aujourd'huy les minutes des contracts, lesquels sont puis apres grossoyez par les Tabellions, a fin d' estre mis à execution par le moyen du seel qui est par eux apposé. La verité est que ces Tabellions ne pouvans seuls fournir aux affaires, furent contraincts de prendre gens en leurs maisons pour les seconder: Tout ainsi que les Greffiers avoient aussi gens qui escrivoient sous eux, lesquels faisoient part & portion de leurs familles, & qui demeuroient avecques eux. Ceux qui demeuroient avecques les Tabellions, furent à la longue appellez Notaires. Les autres qui avecques les Greffiers furent appellez Clercs, mots de mesme signification pour ceux qui sçavent manier la plume. Et de là vient que nos anciens en cas toutesfois plus auguste appelloient les Secretaires de nos Roys, Clercs, & Notaires, comme ceux qui faisoient seulement profession d' escrire dessous leur authorité. Les Notaires premierement se desmembrerent d' avecques leurs maistres, choisissans des demeures particulieres, & depuis par successions de temps on les erigea en estats pour recevoir les notes, & minutes des contracts. Cette separation n' advint pas si tost aux Greffiers. Car sans aller chercher exemple plus loingtain, sous le regne de François premier, tous les Clercs de Maistre Helie du Tillet Greffier Civil du Parlement de Paris, se tenoient encores chez luy, il couchoit, nourrissoit, chauffoit, le tout en la mesme façon que l' on voit les Clercs des Advocats, & Procureurs. Le Premier Greffier du Parlement, sous lequel se changea cette ancienne coustume, fut Maistre Jean du Tillet, par ce que ses Clercs s' habituerent en autres maisons que la sienne, & se marierent. Vray que tout ainsi que leurs predecesseurs en leurs maisons ordonnaient des charges diverses de leurs Clercs: aussi fit cettuy le semblable, combien qu' ils ne demeurassent chez luy, jusques à cette grande desbauche des Greffes, qui advint sous le regne du Roy Henry troisiesme, quand il les erigea en Offices, tout ainsi comme auparavant avoient esté les Notaires. Et de la vente d' iceux en fit un present à la Royne Catherine de Medicis sa mere.